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Kubrick et la question russe

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Kubrick et la question russe

Nicolas Bonnal

Entre Spartacus, héros communiste (et excellent ballet), 2001 et les cosmonautes russes (dirigés par des femmes) et l’argot russe des voyous d’Orange mécanique – sans oublier bien sûr la Lolita de Nabokov ou Dr Folamour – Kubrick semble obsédé par les Russes – et pas négativement. En musique aussi : pensons à Chostakovitch (EWS), à Khatchaturian (2001)…

Citons notre livre sur Kubrick alors pour balayer le problème et offrir quelques pistes de réflexion. On n’évoquera pas son frère Raoul membre du parti communiste…


Kubrick et les Russes. En voilà une question pour le directeur de Folamour ! Mais commençons par le Commencement, par 2001, qui aurait des origines …russes.

Nous avons évoqué Solaris, un des plus célèbres et élitistes films de science-fiction du monde. Cela pose la question soviétique et Dieu disait qu’elle se pose dans le monde de Kubrick, surtout au cœur des années soixante! Kubrick filme Spartacus, Folamour, il adapte un grand auteur russe dans Lolita,

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Kubrick filme l’argot russe dans Orange mécanique, Kubrick enfin organise une importante rencontre avec des savants russes dans 2001 ; et ces derniers ne sont pas le moins du monde tournés en ridicule, ils sont juste privés d’information comme dans tout le monde dans ce film finalement habité par la conspiration. La science-fiction s’étant surtout développée dans un contexte de guerre froide, et la conquête spatiale aussi finalement (elle a pris fin avec la guerre des étoiles du président Reagan, aussi farcesque que le film du même nom !), il nous semble important de reposer la question russe – d’autant qu’à l’époque les Russes multiplient les films spatiaux.

La SF des empires, des jeux vidéo, des super-héros et des jeux galactiques n’étant pas celle de Kubrick, d’où pouvait venir son modèle ?

La critique américaine croyait que son modèle venait du sympathique George Pal (d’ailleurs sujet hongrois) ou de certains films japonais ?

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En réalité son modèle venait d’un très beau film soviétique, En route vers les étoiles, de Pavel Klushantsev (photo). Ce petit chef d’œuvre est un documentaire de 1957 et l’on peut voir que Kubrick et son équipe y ont puisé beaucoup. Kubrick l’a dit lui-même, il n’est donc pas question de parler de plagiat, mais de source d’inspiration. Voyons voir :

  • Le film soviétique veut décrire la conquête spatiale, ses enjeux scientifiques et techniques. Nous y sommes avec 2001.
  • En route vers les étoiles (Doroga k svesdam) dure cinquante minutes, montre les préparatifs puis filme le vol poétiquement.
  • La tête d’un homme adulte se surimpressionne sur la planète bleue. On est aussi dans 2001. C’est au début de ce film stupéfiant.
  • La lumière est très forte, les vaisseaux blancs, notable par leur vaillance. Leur lenteur est aussi bien nette à l’écran. Les maquettes sont similaires.
  • On voit l’intérieur des vaisseaux. On a un petit confort matériel, un intérieur cosy, on joue aux échecs, on prend soin d’un jeune chat. Il y a des femmes d’un niveau scientifique respectable, même des asiatiques. Kubrick aurait pu envoyer Draba dans l’espace !
  • On voit les cosmonautes sortir dans l’espace, s’approcher du vaisseau, le tout est filmé comme un ballet. Dans son film sur la Lune, Klushantsev utilisera Tchaïkovski ! C’est d’ailleurs un musicien soviétique, Khatchatourian, que Kubrick utilise pour décrire la petite vie des cosmonautes. Khatchatourian est aussi l’auteur d’un ballet nommé… Spartacus.
  • L’intérieur de la station est un hémicycle, même les fauteuils ressemblent un peu à ceux du Hilton dans 2001 (ils sont noirs). Les maquettes et les formes sont très proches. Les cosmonautes sont vêtus identiquement – mais sans couleur.
  • Les russes installent un jardin expérimental, celui de… Silent running, le film de Douglas Trumbull, le génie des effets spéciaux de 2001. Il y a une station météo à bord et l’on essaie de comprendre le mystère de la vie.
  • Une séquence tournée en Crimée montre un canot à moteur devant récupérer en mer Noire les cosmonautes amerrissant dans un futur proche. Certaines prises de vue de la mer sont des négatifs, exactement comme dans les célèbres séquences de la Vision à la fin de 2001.
  • La voix off sécurisante évoque beaucoup de voix off chez Kubrick. Elle s’émerveille devant le progrès et souligne que toutes ces missions sont faites pour le bonheur de ceux qui vivent sur terre !

Ces lignes ne rendent pas de la beauté plastique impressionnante qui ressort de ce poème cinématographique plein de confiance (ou de mensonges…) en l’avenir et en la science. Un grand documentaire est supérieur à presque tous les films, et c’est pourquoi il ne faut pas négliger non plus les documentaires du jeune Kubrick.

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Certes c’est un film de propagande mais ce n’est pas une insulte. 2001 est aussi un film de propagande, fait avec infiniment plus d’argent, et c’était aussi un film sur le futur, toujours très hypothétique comme on sait. Dans un livre amusant et disparate, l’alors marxiste Dominique Noguez parlait très bien de 2001 comme d’un film expérimental (son livre se nommait le cinéma, autrement) certes, mais aussi comme d’un film impérialiste à la gloire des USA. C’est exactement comme cela qu’il a été perçu à l’époque, au moment où gagnant apparemment la conquête spatiale, l’Amérique conquérait les cerveaux et gagnait la guerre froide.

On a partout des drapeaux américains dans le film, partout des symboles IBM, partout les symboles ATT, American Express (ne partez pas sans elle !), ou les Hilton cités plus haut. 2001 célèbre l’Amérique comme l’ainée des nations du monde, le modèle des sciences, des corporations et des héros people – ici discrets et humbles en plus.

En s’inspirant du film de Pavel Klushantsev, Kubrick a fait d’une pierre deux coups : il s’est inspiré d’une source que peu d’autres iraient voir (car qui connaît sérieusement le cinéma soviétique, qui fut longtemps le premier et le plus important du monde ?) ; il a fait un film pédagogique et anagogique, élevant l’esprit de l’homme ; il a fait un documentaire en même temps qu’une œuvre de fiction ; il a célébré comme on le faisait alors la science et le progrès depuis l’aube de l’humanité.

Après Kubrick a rajouté les traits propres à son génie : l’inquiétant ordinateur, qui annonce notre contrôle moderne ; la fantaisie visionnaire (qui existe toujours dans le cinéma russe de l’époque, voyez mon livre sur Ptouchko aussi et Rou) ; et la musique. Et dire qu’il a emprunté des musiques d’artistes du bloc communiste ! Pensez à Khatchaturian et à la mélancolique partition de Gayaneh dans 2001, à la suite pour jazz de Chostakovitch dans son dernier opus.

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Russophilie et crypto-bolchévisme

Kubrick est-il resté un bolchevik discret jusqu’à la fin ? En tout cas nous pouvons relever dans son œuvre une dimension bien russophile. Certains ont voulu voir dans la tempête de neige de Shining une métaphore de la guerre froide.

Mais même la russophilie relative de Kubrick doit aussi être notée: il y a les entretiens téléphoniques du président dans Folamour; les Russes sont traités comme de grandes personnes et les personnages les plus chargés sont les généraux anticommunistes Turgidson et Ripper – qui se plaignent de leur impuissance via l’évocation furibarde de la fluorisation de l’eau ! Mais le président, raisonnablement ridiculisé, tente de s’entendre avec les Russes.

Dans Orange mécanique, la révolte de la jeunesse nécessite un autre langage, un autre argot, à base de russe – ce n’est pas dit dans le film ! Mais les maltchiks, devotchkas et malinkis donnent à cette jeunesse anglaise déboussolée, cette jeunesse anglaise héritière du Welfare State et de Lord Beveridge une tonalité bien russe !

Enfin dans 2001 : l’odyssée de l’espace le rôle des Russes n’est pas à négliger. Dans leur livre sur le fœtus astral, les professeurs structuralistes Dumont et Monod se moquaient d’eux, et ils avaient bien tort. Après les soviétiques que chez eux les femmes ne sont pas des secrétaires ou des serveuses, mais des ingénieurs et des cosmonautes. L’une de ces femmes est d’ailleurs amie de Floyd, elle connaît sa famille, il s’agit d’une relation de travail ; la guerre froide est bien dépassée depuis… Dr Folamour. Dans le film ce sont clairement les Américains et Floyd qui sont en faute pour rétention d’informations importantes (on a osé parler d’épidémie, ce qui n’était ni moral ni malin).

Nous traiterons ailleurs des emprunts des inspirations soviétiques de 2001, surtout liées au film génial de Pavel Klushantsev. On peut rajouter à propos de ce film que le savant russe est nommé Smyslov, comme le plus grand joueur d’échecs de son temps ! A-t-on assez parlé du goût de Kubrick pour les échecs ! En réalité il devait avoir une certaine estime pour les Russes et les Soviétiques, par-delà la guerre froide dont il se moque dans Folamour et paraît-il dans Shining… Le beau personnage du joueur d’échecs russophone dans la Razzia le démontre : Maurice est la seule personne intelligente et cultivée du film.

Oui, en ce sens oui, on peut bien dire que Kubrick était un bolchevik. Culte du cinéma, goût des échecs et de l’ordre, dénonciation du rôle de l’argent des guerres impériales, du délire du complexe militaro-sexuel, critique radicale du Deep State américain et de ses couches supérieures, tout son monde montre bien qui il aurait fait un excellent propagandiste !

Est-ce à dire que pour cette raison on l’aurait tué ? C’est l’interprétation délirante, marrante et paranoïaque d’une partie du web consacré à Kubrick. La charge contre les Ziegler ricanant qui dirigent cette planète et mènent le monde à sa perte aurait valu au vieux cinéaste un royal châtiment digne de Shakespeare. En dénonçant les Illuminati et les élites hostiles – pensez au ministre tory d’Orange mécanique, l’auteur de Spartacus (nom de guerre du premier Illuminatus !), de Folamour et de Shining aurait pris des risques… Et 666 jours avant 2001 il mourut. Inexplicablement.

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Orange mécanique et la langue russe

Que c’est drôle quand même ! Dans Orange mécanique, Gulliver fait penser à Swift mais cette parole en russe veut dire tête, qui vient de golova en russe. Swift aussi aimait se jouer des mots pour se jouer du monde. Kubrick reprend aussi les mots suivants recyclés froidement par Burgess pour créer sa novlangue : le célèbre maltchik pour garçon, soumka pour le sac, prestoupnick pour le criminel, malenky pour petit, rooka pour main, litso pour le visage. Un petit peu plus complexe est le lien entre Horror show et horosho <

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dimanche, 17 décembre 2023 | Lien permanent

Théodore Kaczynski enfin vu de droite

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Théodore Kaczynski enfin vu de droite

Nicolas Bonnal

Je n’avais lu que des extraits du texte de Kaczynski dont ma culture pyrrhonienne (encore un texte contre les machines ?) m’avait toujours tenu éloigné : et cet affreux terroriste d’ailleurs, n’était-il lui-même qu’une énième psy-op du système ? Et le terrorisme Una-bomber (opération stupide, compliquée, et peu efficace, vouée à l’échec donc…) relève-t-il aussi d’une énième manip’ du Deep State US dont la version totalitaire et post-moderne apparut avec le binôme Clinton et Janet Reno ? Même les procès sont comme les attentats ou les piteux «massacres dans les boites de nuit» mis en scène depuis les années Clinton (celui de Michael Jackson comme celui d’O. J. Simpson). L’avènement des chaînes info et du web a rendu le conditionnement perpétuel et hyper-efficace – et l’opposition liquide et virtuelle, qui se contente de cliquer toute la journée, totalement inefficace. Mais bon, parlons du texte.

Là, j’ai eu des surprises. Kaczynski est un homme de droite, un réac conservateur blanc (d’où la manip’ encore plus envisageable : le mâle blanc lucide - haï par Sartre et nos intellos froncés - = terroriste etc.) et il attaque le progressisme venu de la gauche dure.

On commence :

« 7. Mais qu'est-ce que le progressisme ? Dans la première moitié du 20ème siècle, on pouvait à peu près identifier le progressisme au socialisme. Aujourd'hui, les choses sont moins claires, et il est difficile de qualifier d'un seul mot un mouvement devenu très hétéroclite. Quand nous parlerons ici des progressistes, nous ferons surtout référence aux socialistes, aux collectivistes, aux gens «politiquement corrects», aux féministes, aux défenseurs des homosexuels et des handicapés, aux défenseurs des droits des animaux, etc. Mais n'est pas forcément progressiste celui qui participe à de telles activités… »

Attention : la pleurnicherie humanitaire de Philippe Muray a toujours existé : Marx en parle (la duchesse de Sutherland extermine ses paysans écossais mais elle chérit la case de l’oncle Tom – voyez le Capital, VI), Hobson en parle, et Gustave de Beaumont, et quelques dizaines d’autres. Ce qui importe ici c’est de noter la liquidation de la question sociale (les pauvres n’ont qu’à crever, il suffit comme dit Nietzsche dans la Volonté, §154, de leur couper l’appétit) remplacée par la question sociétale : féminine attitude, LGBTQ, haine rabique du blanc (d’autant plus facile que le petit blanc Ran-Tan-Plan ne comprend toujours pas pour qui il vote), etc.            

0269001985550P.JPGLe langage devient fou et on va retrouver Orwell et l’âme désarmée de Bloom (dont j’ai aussi parlé ailleurs – je répète que les pires intellos ne sont pas les juifs mais les froncés, à part Céline-Drumont-Céline, et pas pour les raisons qu’on croit, et ce depuis six siècles) :

« 11. Lorsqu'un individu juge dépréciatifs presque tous les propos tenus sur lui — ou sur les groupes auxquels il s'identifie — nous pouvons dire qu'il nourrit un sentiment d'infériorité ou de dépréciation de soi. C'est une attitude fréquente chez ceux qui militent en faveur des droits des minorités, qu'ils appartiennent ou non aux communautés qu'ils défendent. Ils sont particulièrement susceptibles sur les mots désignant les minorités. Les termes «nègre», «oriental», «handicapé», ou «nana» désignant un Africain, un Asiatique, un infirme ou une femme n'avaient pas à l'origine de connotation péjorative. «Nana» et «gonzesse» étaient presque les équivalents féminins de «gars», «mec» ou «type». »

Kaczynski voit comme Allan Bloom le rôle des militants dans les universités (cf. les éléments de Cornell university en 1959) ; car la vraie guerre culturelle a eu lieu en occident anglo-saxon, pas en Chine. Un qui l’avait compris était Eric Hobsbawn, juif communiste rationnel qui voit l’Occident démocratique anglo-saxon devenir totalement cinglé dans les années soixante (il est rejoint par Vargas Llosa et des dizaines d’autres) :

« Ce sont les militants eux-mêmes qui leur ont donné un sens péjoratif. Quelques défenseurs des droits des animaux vont jusqu'à rejeter le terme «animal domestique» et insistent pour le remplacer par «compagnon animal». Les anthropologues progressistes se donnent beaucoup de mal pour éviter le moindre propos dépréciatif sur les peuples primitifs. Ils veulent désormais les appeler des «peuples sans écriture».

Disons-le nûment alors. Le danger ne vient pas des races ou des immigrés, des noirs ou des « arabo-musulmans », mais des gauchistes blancs toqués, humanitaires tous cultivés et rêvant d’une bonne retraite (disait déjà Céline) :

« 12. Les plus sensibles au langage «politiquement incorrect» ne sont ni le Noir du ghetto, ni l'immigré asiatique, ni la femme battue, ni la personne handicapée ; il s'agit plutôt d'une minorité de militants dont la plupart n'appartiennent à aucun groupe «opprimé», mais viennent des couches privilégiées de la société. Le bastion du «politiquement correct» se trouve dans les universités, en majorité chez les professeurs, blancs, de sexe masculin, hétérosexuels, issus de la classe moyenne, avec emploi fixe et bon salaire. »

L’increvable fonctionnaire français (Godelier) qui a invité la théorie du genre se dit lui-même fonctionnaire au service de l’humanité… Rassurez-vous, Platon avait déjà tout dit sur la dégénérescence démocratique (livre VIII de la République, voyez mon texte).

On se met à adorer le faible ou la victime :

« 13. De nombreux progressistes font leurs les problèmes des groupes qui paraissent faibles (les femmes), historiquement vaincus (les Indiens d'Amérique), répulsifs (les homosexuels) ou inférieurs d'une quelconque façon. Ce sont eux qui pensent que ces groupes sont inférieurs et c'est précisément à cause de cela qu'ils s'identifient à eux, même s'ils ne s'avouent jamais de tels sentiments. (Nous ne voulons pas dire que les femmes, les Indiens, etc., sont inférieurs, nous relevons seulement un trait de la psychologie progressiste.) »

61eZWuuZKSL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgLe passage à la liquidation des sexes ou des races ou de la culture (qui est ontologiquement raciste, sexiste, etc., donc éliminable, tout comme la langue non inclusive est fasciste – dixit Barthes, grammairien-sémiologue qui fut le nouveau Vaugelas de nos interminables flemmes savantes) nous prépare au conditionnement informatique qui va métamorphoser ontologiquement. On va y revenir. Kaczynski ajoute :

« 14. Les féministes sont vraiment rongées par la crainte que les femmes ne soient pas aussi fortes et aussi compétentes que les hommes, et cherchent désespérément à prouver qu'elles le sont.

15. Les progressistes ont tendance à haïr tout ce qui renvoie une image de force, d'habileté et de réussite. Ils détestent les États-Unis, la civilisation occidentale, les Blancs de sexe masculin et la rationalité. »

La liquidation du « mâle blanc bourgeois » (Sartre dans sa monstrueuse conférence sur les intellectuels à Tokyo) est le programme numéro un. Et tous les Biden, Macron, Delors, Schäuble, von der Leyen, Lagarde, Biden (again, car je l’adore, et il va être réélu dans un fauteuil bourgeois de sa salle ovale) et Powell ne sont payés ou motivés que pour ça: nous réduire à néant. Rappelons que le pauvre doit et va crever, la cause est entendue depuis Gorbatchev et le virage à droite (1984…) Mitterrand-Fabius-Delors. L’extrême-gauche culturelle sert le milliardaire post-humain de la bourse (qui crève tous les plafonds avec son IA en dépit de tous les Bill Bonner, Delamarche, Greyerz et Gave de la place antisystème). Kaczynski note aussi qu’on reprogramme les caractères (en fait on programme l’humanité comme on veut, il est temps de le reconnaître) pour en faire des efféminés, des dégonflés et assistés :

« 16. Des locutions comme «confiance en soi», «indépendance d'esprit», «initiative», «esprit d'entreprise» ou «optimisme» ont peu de place dans le vocabulaire progressiste de gauche. Le progressiste est anti-individualiste et pro-collectiviste. Il demande à la société de résoudre les problèmes des individus et de les prendre en charge. Il n'a pas confiance en ses propres capacités à résoudre ses problèmes et à satisfaire ses besoins. Il est opposé à la notion de compétition parce que, dans le fond, il se sent minable. »

Qui a parlé le premier d’efféminé aux temps modernes ? Un certain La Boétie, dans sa Servitude volontaire ...)

La quête du vaccin par tous nos innombrables retraités et nos petits jeunes conditionnés par la télé et la hiérarchie sanitaire-administrative  (O Foucault si incompris – voyez mes textes encore…) a montré cette dimension minable du petit fonctionnaire post-humain. On se serait cru dans un épisode du prisonnier (« individualiste ! »), faux rebelle toujours facilement et manipulé et ridiculisé par les femmes – vive James Bond et Sean Connery donc. Le machisme ou donjuanisme est le seul moyen de mettre fin à ces temps du jésuitisme de la Fin.

L’art moderne et le cinéma des festivals doivent aussi dégénérer pour créer notre homoncule occidental dont la civilisation a déjà disparu, ce que plein de naïfs n’ont pas compris :

« 17. Les formes d'art prisées par les intellectuels progressistes modernes sont caractérisées par le sordide, l'échec et le désespoir. Ou bien encore elles prennent une tournure orgiaque, rejetant tout contrôle rationnel, comme s'il n'y avait plus aucun espoir de parvenir rationnellement à quoi que ce soit, comme s'il ne restait plus qu'à s'immerger dans les sensations du moment. »

51BsgiZu2ML._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgLe déclin de l’art est bien décrit par Tolstoï dans son essai sur l’art (voyez mon texte). A la même époque le sioniste Max Nordau en parle très bien (voyez mon texte aussi). Freud évoque même la disparition des races évoluées (si, si) du fait de la culture… C’est bien cela qui me désole chez Barzun : a-t-il compris de quels temps il parlait ?

Je trouve ensuite un deuxième lien, dernier et surtout essentiel : celui entre la sous-culture gauchiste festivalière, antiraciste-écologiste etc. et le triomphe de la toute-puissance technologique mise au service du contrôle des populations (ici Mélenchon s’incite à la table de Schwab à Davos) :

« 157. Si la société industrielle survit, il est probable que s'installera un contrôle technologique presque total du comportement humain. Il ne fait aucun doute que la pensée et le comportement humain sont pour une large part biologiquement déterminés. Les expériences l'ont démontré: des sensations comme la faim, ou des sentiments comme le plaisir, la colère ou la crainte peuvent être manipulés en stimulant électriquement des parties précises du cerveau. Les souvenirs peuvent être détruits en endommageant certaines régions du cerveau, ou ravivés par stimulation électrique. Des médicaments peuvent provoquer des hallucinations ou modifier l'état d'esprit. Il existe peut-être une âme humaine immatérielle mais, si elle existe, il est évident qu'elle est moins déterminante que les données biologiques du comportement humain. Dans le cas contraire, les scientifiques ne pourraient pas manipuler si facilement les sensations et les comportements à l'aide de médicaments et d'impulsions électriques. »

Ce que Kaczynski décrit (comme tant de films hollywoodiens de la bonne époque), nous le vivons maintenant :

« 158. Les autorités ne peuvent guère envisager de contrôler la population en branchant des électrodes dans tous les cerveaux. Mais le fait que les pensées et les sensations humaines soient si vulnérables aux interventions biologiques montre que le problème du contrôle du comportement est principalement un problème technique : un problème de neurones, d'hormones et de molécules complexes, le genre de problème auquel les scientifiques peuvent s'attaquer. Étant donné les extraordinaires performances techniques de notre société, il est plus que probable que de grands progrès seront accomplis dans le contrôle du comportement humain. »

Il explique pourquoi cela marchera (cf. la stratégie du salami des soviétiques) :

« 159. Les gens parviendront-ils à résister victorieusement à l'introduction d'un tel contrôle ? Ce serait certainement le cas si on tentait de l'instaurer brusquement. Mais parce qu'il sera installé très progressivement, il n'y aura aucune résistance rationnelle et efficace (voir paragraphes 127, 132, 153). »

Je termine par le meilleur : l’alliance entre la subversion et la technologie. C’est le 666. Un antéchrist machine uni à un Lucifer gnostique. C’est ce que nous avons maintenant en Europe comme en Amérique (la Chine et la Russie se contentent pour l’instant de la machine, ignorant quelque peu le LGBTQ…) :

« 216. Certains progressistes ont l'air de s'opposer à la technologie ; cela durera tant qu'ils seront exclus de la direction du système. Mais si le progressisme devient un jour dominant dans notre société et qu'alors il dispose de la technologie, les progressistes s'en serviront avec enthousiasme et favoriseront son développement. Ils ne feront ainsi que répéter ce qu'ils ont déjà fait tant de fois par le passé. Quand les bolcheviques étaient minoritaires en Russie, ils étaient vigoureusement opposés à la censure et à la police secrète, ils prônaient l'autodétermination des minorités nationales, etc. ; mais, aussitôt arrivés au pouvoir, ils imposèrent une censure plus stricte, créèrent une police secrète encore plus implacable q

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vendredi, 29 décembre 2023 | Lien permanent | Commentaires (2)

Tocqueville et la fabrication du pauvre britannique

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Tocqueville et la fabrication du pauvre britannique

Nicolas Bonnal

L’Angleterre et ses dominions orwelliens paraissent aujourd’hui les entités administratives  (il n’y a plus d’Etat) les plus totalitaires du monde; difficile de savoir quelle élite, locale ou globale, a décidé de l’édification du cauchemar british, carbonique ou antiraciste. Un épisode raconté par Tocqueville va nous rappeler qu’en la terre d’Utopie, de Bensalem (Bacon) et de 1984 tout a toujours indiqué un inquiétant cauchemar bien éloigné des libertés vantées ici ou là par les agents de l’Empire. Hugo semble s’en être rendu compte dans l’Homme qui rit, qui dénonce d’une façon inédite et géniale les méfaits de la kleptocratie la plus dure et résiliente du monde. Mais on y reviendra.

Les émeutes britanniques montrent que le pauvre anglais est toujours d’aussi mauvaise qualité. L’élite ne vaut guère mieux (Todd a expliqué pourquoi) mais ce n’est pas notre problème aujourd’hui. Là elles se sont trouvées un adversaire à leur hauteur ces élites britanniques, et c’est le pauvre anglais contre lequel elles s’acharnent depuis Hastings, et qui finira l’année numérisé, avant nous donc; car cette bataille de Hastings (1066 donc, avec son livre du Jugement dernier à la clé) est la bataille qui sert de modèle à la globalisation: une élite néo-féodale aura toute la terre, le reste crèvera. Guillaume avait fait détruire des centaines de villages pour étaler ses territoires de chasse. Il chassa aussi le clergé saxon avec l’aide papale (ce fut la première croisade en fait, et c’est dommage qu’on ne le comprenne pas) et une élite ORTHODOXE trouva refuge à Constantinople.

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Tolkien savait ces choses, et lui qui détestait les Normands et se concentrait sur le vieux génie saxon (voyez mon livre) avait compris que la dystopie et le monde moderne avaient lieu en Angleterre. Lisez enfin l’Homme qui rit de Hugo (l’Homme qui rit est l’ancêtre du Joker de Batman) qui décrit magnifiquement (plus grand roman du monde, a dit justement – tout arrive – Ayn Rand) le sort du pauvre dans l’île noire d’Hergé, mère de toutes les dystopies. Certains disent que l’élite possède encore 50% des terres britanniques, d’autres 85%. Elle a concentré sa population INDUSTRIELLE dans cinq villes depuis un siècle et demi comme dans ses dominions (90%  de la population australienne ou canadienne vit dans cinq ou six villes) et tout le monde est content-vacciné-numérisé-alcoolisé-connecté. Le contrôle du pauvre par la cruauté (toujours exemplaire) ou du britannique moyen par la presse et par les médias (voyez McLuhan) a toujours été sans égal. Le flegme britannique ou soumission imbécile aura fait le reste à travers les âges: voir les guerres fratricides contre une Allemagne qui ne demandait que la paix (cf. nos textes sur Grenfell et Churchill).

Mais pour être parfaite une élite diabolique doit aussi et surtout être humanitaire et progressiste (voyez Dorian Gray et son couple festif, homo, socialiste, amateur d’exotismes, collectionneur et anarchisant). Comme dit Trotski dans un texte célèbre que j’ai recensé, « pour chaque brigandage elle (l’élite bancaire US) sert un mort d’ordre humanitaire ». De ce point de vue le christianisme avec sa tartuferie ontologique et millénaire et ses capacités baroques à se transformer lui servira jusqu’au bout d’accompagnateur fidèle.

Elite la plus dure du monde, la féodalité british a toujours su y faire avec le paupérisme au point de cultiver son pauvre depuis la Réforme. Elle a créé le pauvre soumis, industriel, numérisé, absous et béni, pauvre qui n’a pas le droit de bouger de sa paroisse. Et elle l’a fait sous Elisabeth, au moment où Shakespeare (dix fois moins sulfureux et informé que Marlowe, mais c’est un autre problème) dessine la mondialisation dans la Tempête avec ses Caliban. C’est ce que nous explique Tocqueville donc dans son incroyable étude sur le paupérisme qui décrit en quelques pages le monde à venir du « mendiant ingrat », comme dit Léon Bloy :

« Mais je suis profondément convaincu que tout système régulier, permanent, administratif, dont le but sera de pourvoir aux besoins du pauvre, fera naître plus de misères qu'il n'en peut guérir, dépravera la population qu'il veut secourir et consoler, réduira avec le temps les riches à n'être que les fermiers des pauvres, tarira les sources de l'épargne, arrêtera l'accumulation des capitaux, comprimera l'essor du commerce, engourdira l'activité et l'industrie humaines et finira par amener une révolution violente dans l'État, lorsque le nombre de ceux qui reçoivent l'aumône sera devenu presque aussi grand que le nombre de ceux qui la donnent, et que l'indigent ne pouvant plus tirer des riches appauvris de quoi pourvoir à ses besoins trouvera plus facile de les dépouiller tout à coup de leurs biens que de demander leurs secours (1835). »

Il y a beaucoup de pauvres en Angleterre donc :

« Pénétrez maintenant dans l'intérieur des communes ; examinez les registres des paroisses, et vous découvrirez avec un inexprimable étonnement que le sixième des habitants de ce florissant royaume vit aux dépens de la charité publique. »

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Et de distinguer les deux charités, la traditionnelle (enfin, l’ancienne, la chrétienne) et la moderne:

« Il y a deux espèces de bienfaisances: l'une, qui porte chaque individu à soulager, suivant ses moyens, les maux qui se trouvent à sa portée. Celle-là est aussi vieille que le monde ; elle a commencé avec les misères humaines; le christianisme en a fait une vertu divine, et l'a appelée la charité.

L'autre, moins instinctive, plus raisonnée, moins enthousiaste, et souvent plus puissante, porte la société elle-même à s'occuper des malheurs de ses membres et à veiller systématiquement au soulagement de leurs douleurs. Celle-ci est née du protestantisme et ne s’est développée que dans les sociétés modernes. »

La deuxième charité est inédite et dangereuse (rappelons que c’est elle qui promeut depuis le théosophisme l’invasion de pays européens promis au brassage numérique des troupeaux de Laban – voyez mon livre sur Internet) :

« La première est une vertu privée, elle échappe à l'action sociale ; la seconde est au contraire produite et régularisée par la société. C'est donc de celle-là qu'il faut spécialement nous occuper. »

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Atelier du monde moderne. Voici comment Tocqueville décrit notre Angleterre (quel est son secret ? Voyez le Repaire du ver blanc, livre de Bram Stoker et film de Ken Russell avec l’inévitable-inquiétant-omniprésent Hugh Grant):

« Le seul pays de l'Europe qui ait systématisé et appliqué en grand les théories de la charité publique est l'Angleterre. A l'époque de la révolution religieuse qui changea la face de l'Angleterre, sous Henri VIII, presque toutes les communautés charitables du royaume furent supprimées, et comme les biens de ces communautés passèrent aux nobles et ne furent point partagés entre les mains du peuple, il s'ensuivit que le nombre de pauvres alors existants resta le même, tandis que les moyens de pourvoir à leurs besoins étaient en partie détruits. »

Conséquence : on fabrique du pauvre…

« Le nombre des pauvres s'accrut donc outre mesure, et Élisabeth, la fille de Henri VIII, frappée de l'aspect repoussant des misères du peuple, songea à substituer aux aumônes que la suppression des couvents avait fort réduites, une subvention annuelle, fournie par les communes. »

Pas besoin de communisme, même sacerdotal. Albion fabrique et contrôle son pauvre Made in England:

« Une loi promulguée dans la quarante-troisième année du règne de cette princesse dispose que dans chaque paroisse des inspecteurs des pauvres seront nommés; que ces inspecteurs auront le droit de taxer les habitants à l'effet de nourrir les indigents infirmes, et de fournir du travail aux autres. A mesure que le temps avançait dans sa marche, l'Angleterre était de plus en plus entraînée à adopter le principe de la charité légale. Le paupérisme croissait plus rapidement dans la Grande-Bretagne que partout ailleurs. »

Tocqueville rappelle aussi que la terre se concentre entre quelques mains (cf. l’Ukraine ou la France en ce moment d’extermination des paysans):

« Il arrive depuis un siècle, chez les Anglais, un événement qu'on peut considérer comme un phénomène, si l'on fait attention au spectacle offert par le reste du monde. Depuis cent ans, la propriété foncière se divise sans cesse dans les pays connus; en Angleterre, elle s'agglomère sans cesse. Les terres de moyenne grandeur disparaissent dans les vastes domaines, la grande culture succède à la petite. »

Tocqueville rappelle qu’il vaudrait mieux ne pas trop pousser tout le monde à l’oisiveté :

« Il y a pourtant deux motifs qui le portent au travail: le besoin de vivre, le désir d’améliorer les conditions de l’existence. L’expérience a prouvé que la plupart des hommes ne pouvaient être suffisamment excités au travail que par le premier de ces motifs, et que le second n’était puissant que sur un petit nombre. Or un établissement charitable, ouvert indistinctement à tous ceux qui sont dans le besoin, ou une loi qui donne à tous les pauvres, quelle que soit l’origine de la pauvreté, un droit au secours du public, affaiblit ou détruit le premier stimulant et ne laisse intact que le second. »

Résultats ? Avant la Ferme des Animaux donc, beaucoup de pauvres, surtout beaucoup de surveillants :

« Les Anglais ont été obligés de placer des surveillants des pauvres dans chaque commune. »

On crée une nouvelle classe, celle des assistés :

« Toute mesure qui fonde la charité légale sur une base permanente et qui lui donne une forme administrative crée donc une classe oisive et paresseuse, vivant aux dépens de la classe industrielle et travaillante. C'est là, sinon son résultat immédiat, du moins sa conséquence inévitable. Elle reproduit tous les vices du système monacal, moins les hautes idées de moralité et de religion qui souvent venaient s'y joindre. »

Un abaissement moral du pauvre et même du riche trop taxé (on le rassure : les ultra-riches ne le sont nulle part, taxés) en découle :

« Mais le droit qu'a le pauvre d'obtenir les secours de la société a cela de particulier, qu'au lieu d'élever le cœur de l'homme qui l'exerce, il l'abaisse. Le pauvre qui réclame l'aumône au nom de la loi est donc dans une position plus humiliante encore que l'indigent qui la demande à la pitié de ses semblables au nom de celui qui voit d'un même œil et qui soumet à d'égales lois le pauvre et le riche.

La charité légale laisse subsister l'aumône, mais elle lui ôte sa moralité. Le riche, que la loi dépouille d'une partie de son superflu sans le consulter, ne voit dans le pauvre qu'un avide étranger appelé par le législateur au partage de ses biens. »

Aucune gratitude à attendre (Léon Bloy a donc raison) :

« Le pauvre, de son côté, ne sent aucune gratitude pour un bienfait qu'on ne peut lui refuser et qui ne saurait d'ailleurs le satisfaire ; car l'aumône publique, qui assure la vie, ne la rend pas plus heureuse et plus aisée que ne le ferait l'aumône individuelle; la charité légale n'empêche donc point qu'il n'y ait dans la société des pauvres et des riches, que les uns ne jettent autour d'eux des regards pleins de haine et de crainte, que les autres ne songent à leurs maux avec désespoir et avec envie. »

Comme un implacable et méchant libéral (mot qui ne veut rien dire depuis des siècles) ou même libertarien (voyez mon recueil), Tocqueville explique donc :

« J'ai dit que le résultat inévitable de la charité légale était de maintenir dans l'oisiveté le plus grand nombre des pauvres et d'entretenir leurs loisirs aux dépens de ceux qui travaillent. »

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Les sceptiques pourront relire Jack London et sa description des pauvres londoniens (sic) victimes non pas du capitalisme mais de la charité trop bien ordonnée. Tocqueville écrit alors, comme un bon taoïste chinois:

« Si l'oisiveté dans la richesse, l'oisiveté héréditaire, achetée par des services ou des travaux, l'oisiveté entourée de la considération publique, accompagnée du contentement d'esprit, intéressée par les plaisirs de l'intelligence, moralisée par l'exercice de la pensée: si cette oisiveté, dis-je, a été la mère de tant de vices, que sera-ce d'une oisiveté dégradée acquise par la lâcheté, méritée par l'inconduite, dont on jouit au milieu de l'ignominie et qui ne devient supportable qu'à

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mardi, 17 septembre 2024 | Lien permanent | Commentaires (1)

Les vanités du gaullisme et du souverainisme

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Les vanités du gaullisme et du souverainisme

Nicolas Bonnal

Il y a un mantra souverainiste en France en ce moment, lié au désespoir d’une petite partie de l’opinion (la majorité reste hypnotisée ou anesthésiée). Evidemment il est platonicien et ne risque pas d’accoucher dans la réalité.

On nous répète donc qu’en sortant de l’Europe on résoudrait tous nos problèmes. Or il me semble que cette Europe techno-jacobine dirigée par les Delors, les Breton et les Lagarde elle a été bien francisée. C’est Varoufakis qui me le fit comprendre dans son livre sur le minotaure (européen). Il écrivait même que la surclasse de hauts fonctionnaires français désirait entrer dans l’euro pour profiter du boom immobilier (celui des résidences secondaires notamment) qui s’ensuivrait.

Je ne vois pas en plus en quoi les énarques, Asselineau, Florian, Dupont-Aignan, etc., qui totalisent 1% à chaque élection (je sais, elles sont truquées…) et désirent le Frexit (on ne pouvait pas trouver un mot plus sexy et franchouillard que celui calqué sur le raté Brexit – voir Todd – des Britanniques, qui n’a profité qu’à la City, à l’inflation et aux migrants, comme annoncé par Valérie Bugault ?) dirigeraient la France mieux que les confrères énarques qui veulent rester européens. Tous énarques, tous souverainistes !

le_coq_heretique_autopsie_de_lexception_francaise-71933-264-432.jpgLa France c’est depuis des centaines d'années un coq hérétique, un pays centralisé, autoritaire, avec une armée de fonctionnaires, un administration qui marche plus ou moins bien, et depuis peu une dette et une immigration qui sont incontrôlables. Sur le reste on relira mon Coq hérétique (qui fut référencé par le Figaro, VA et par mon ami Laughland) et mes textes sur Marx (et son armée de fonctionnaires) ou Gobineau. Tiens, redonnons cet extrait, de Gobineau dans sa lettre à Tocqueville :

« Vous avez admirablement montré que la révolution française n’avait rien inventé et que ses amis comme ses ennemis ont également tort de lui attribuer le retour à la loi romaine, la centralisation, le gouvernement des comités, l’absorption des droits privés dans le droit unique de l’État, que sais-je encore ? L’omnipotence du pouvoir individuel ou multiple, et ce qui est pire, la conviction générale que tout cela est bien et qu’il n’y a rien de mieux. Vous avez très bien dit que la notion de l’utilité publique qui peut du jour au lendemain mettre chacun hors de sa maison, parce que l’ingénieur le veut, tout le monde trouvant cela très naturel, et considérant, républicain ou monarchique, cette monstruosité comme de droit social, vous avez très bien dit qu’elle était de beaucoup antérieure à 89 et, de plus, vous l’avez si solidement prouvé, qu’il est impossible aujourd’hui, après vous, de refaire les histoires de la révolution comme on les a faites jusqu’à présent. Bref, on finira par convenir que le père des révolutionnaires et des destructeurs fut Philippe le Bel. »

Et il résume, assez génialement je dois dire, le présent perpétuel des Français (Lettre de Téhéran, le 29 novembre 1856) :

"Un peuple qui, avec la République, le gouvernement représentatif ou l’Empire, conservera toujours pieusement un amour immodéré pour l’intervention de l’Etat en toutes ses affaires, pour la gendarmerie, pour l’obéissance passive au collecteur, à l’ingénieur, qui ne comprend plus l’administration municipale, et pour qui la centralisation absolue et sans réplique est le dernier mot du bien, ce peuple-là, non seulement n’aura jamais d’institutions libres, mais ne comprendra même jamais ce que c’est. Au fond, il aura toujours le même gouvernement sous différents noms… ".

La sortie de l’Europe ? Je lui souhaite du plaisir à la France avec ses casseroles de retraités, de branchés, de bobos, d’immigrés, de fonctionnaires, de chômeurs, de dettes, de DOM-TOM,  de règlements, et de sous-culture étatisée ad vitam…

Mais voyons pour le gaullisme. Le problème c’est déjà que tous s’en réclament : les huns et les autres si j’ose dire. Et la Marine à la peine  (qui se rapproche de Leyen maintenant, via Meloni, féminisme oblige), et le macaron, et les républicains, et les gauchistes, qui oublient que cette référence un peu usée tout de même a créé le parti (UDR, RPR qu’importe) qui a cautionné toutes les gabegies européennes, migratoires et socialistes. L’accélération de la chute française date moins de Mitterrand que de Chirac et son néo-gaullisme d’opérette (Chirac ridiculisa le pauvre Todd et sa fracture sociale) qui visait la Russie (réécoutez-le, bon Dieu) lors de la pitoyable reprise des essais nucléaires en 1996.

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Mais allons au fond et succinctement, quitte à choquer les ânes sensibles :

La surestimation du gaullisme certes ne frappe pas assez les bons esprits qui sont surtout des esprits distraits. Car De Gaulle, c’est la Libération et la Grandeur de la France, De Gaulle, c’est la prospérité et la voix de la France libre (bis), De Gaulle, c’est une époque bénie… Or dans les années soixante toute l’Europe en voie de destruction se développait. Elle était vraiment décadente cette Europe, quoiqu’en pense le poireau Aron. La vraie révolution culturelle avait lieu en Occident et pas en Chine : c’est le marxiste Eric Hobsbawn qui nous l’a démontré dans son âge des extrêmes. Sur les ratages du gaullisme pendant la guerre, lire et méditer l’indispensable Kerillis, lui-même héros de guerre, journaliste et expert militaire.

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En fait le gaullisme repose sur une hypnose collective proche de celle de 1789, de Napoléon ou de la République dont le Général se réclama toujours. Le Français adore être hypnotisé (comme l’Anglo-Saxon sa parèdre) et Macluhan le décrit très bien (la Galaxie Gutenberg, Edition Biblis, p. 399-408) dans ses chapitres sur le nationalisme, basés sur l’extraordinaire historien US Carleton Hayes.

Je n’ai aucune envie de m’étendre sur cette question qui mériterait un bon livre  – un de plus… Mais au moins rappelons les faits principaux :

– De Gaulle, c’est une Résistance et une Libération bâclées : voyez par exemple le livre de Kerillis, De Gaulle dictateur (mal titré hélas). De Gaulle c’est une malédiction portée sur l’extrême-droite collabo et une sanctuarisation de la Résistance dont se réclament tous les escrocs qui nous gouvernent. Ses Mémoires de guerre sont le livre de chevet jamais lu de chaque président. De Gaulle c’est aussi l’oubli de la trahison et de la désertion des communistes qui se sont chargés ensuite de l’épuration qui ne cessera jamais. J’aime la courageuse expression d’Audiard : « je suis un antigaulliste du 18 juin ». On brûle ses films ?

– De Gaulle, c’est aussi la trahison des pieds noirs et la perte brutale, sanglante et bâclée de l’Algérie (voyez les livres publiés par mon éditeur Dualpha notamment celui de Manuel Gomez). Le gâchis a été total, et on en paiera toujours le prix.

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– De Gaulle, c’est les Trente Glorieuses (disparition des paysans et mauvais traitements des ouvriers) et la destruction de la France rurale traditionnelle, la transformation et l’américanisation d’un Hexagone mué en France défigurée pour reprendre le titre d’une émission célèbre de Michel Péricard (photo), lui-même gaulliste. Comparez Farrebique et Biquefarre. Voyez mon livre sur la destruction de la France au cinéma.

– De Gaulle, c’est aussi le début de l’interminable immigration africaine qui suit la décolonisation ratée – Audiard s’en moque dans son libertaire et jubilatoire Vive la France. Les cinéastes ont bien vu les maléfices en œuvre sous de Gaulle : voyez Weekend ou Deux ou trois choses de Godard sans oublier Alphaville ; voyez Play Time de Jacques Tati, le début de Mélodie en sous-sol…

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– Sur le plan des Français, on voit une détérioration du matériel humain: société de consommateurs, d’assistés, de téléphages et d’automobilistes. L’enlaidissement du pays modernisé entraîne l’enlaidissement des gens, la fin de l’élégance parisienne et le déclin de la culture française. Voyez Debord qui rejoint Pierre Etaix ou Jacques Tati. Et ne parlons pas de mai 68, de l’explosion de la pornographie et de la destruction finale de Paris sous Pompidou, ancien laquais de Rothschild (pour ceux qui se plaindraient de l’autre). De Gaulle nous laissa aussi Chirac et Giscard…

– Déclin de la culture? Lisez mon livre sur la comédie musicale. Paris enlaidi cesse d’influencer ou d’inspirer les créateurs américains. Eric Zemmour – et j’y reviendrai – en parle très bien dans son livre sur la Mélancolie française: Malraux a tourné le dos à la France traditionnelle (Chirac aussi avec ses arts premiers) et africanisé notre culture. Sinistre politique de l’Etat culturel livré au gauchisme (dixit Debré lui-même) via les MJC.

– Enfin sur le plan de la vie politique, on souffre de cette catastrophique constitution et des éternels effets du scrutin majoritaire. On a Macron et on le garde. On a créé la constitution la plus dangereuse du monde et on continue de la défendre…

– Politique étrangère ? On a gardé l’Otan, l’Europe : quant à la politique arabe… Le Québec libre aussi aura fait long feu. Le tiers-mondisme diplomatique héritier pathétique de la décolonisation ne mena nulle part. Mais il énervait les Américains…

– On relira avec intérêt notre texte sur Michel Debré qui voyait l’effondrement français arriver avec cette Cinquième. De Gaulle œuvra en destructeur ET en fantôme.

images.jpgMais De Gaulle comprit le piège ; et j’ai décrit cette prise de conscience du premier concerné, le général lui-même. Je me cite alors :

De Gaulle échoue – mais il en ressort qu’on ne pouvait qu’échouer. Sur le referendum – sa porte de sortie comme on sait – nous sommes clairement informés (citation déjà reprise par Philippe Grasset) :

«J’expose au Général que le but de ma visite est de préciser les conditions qui peuvent permettre le succès, du référendum. Interruption du Général : « Je ne souhaite pas que le référendum réussisse. La France et le monde sont dans une situation où il n’y a plus rien à faire et en face des appétits, des aspirations, en face du fait que toutes les sociétés se contestent elles-mêmes, rien ne peut être fait, pas plus qu’on ne pouvait faire quelque chose contre la rupture du barrage de Fréjus. Il n’y aura bientôt plus de gouvernement anglais; le gouvernement allemand est impuissant ; le gouvernement italien sera difficile à faire; même le président des Etats-Unis ne sera bientôt plus qu’un personnage pour la parade.

Le monde entier est comme un fleuve qui ne veut pas rencontrer d’obstacle ni même se tenir entre des môles. Je n’ai plus rien à faire là-dedans, donc il faut que je m’en aille et, pour m’en aller, je n’ai pas d’autre formule que de faire le peuple français juge lui-même de son destin (p.112). »

On répète parce que c’est merveilleux :

« Je n’ai plus rien à faire là-dedans, donc il faut que je m’en aille et, pour m’en aller, je n’ai pas d’autre formule que de faire le peuple français juge lui-même de son destin. »

Allez, on se rassure : l’héritier Debré fit 1% des voix aux présidentielles de 1981.

md31460760742.jpgC’est Douglas Reed, l’auteur de la Controverse de Sion qui avait dit une très bonne chose sur la France après l’opération tragi-comique de Suez en 56 : c’est la terre du fiasco récurrent.

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dimanche, 16 juin 2024 | Lien permanent

Emmanuel Todd et la dématérialisation occidentale

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Emmanuel Todd et la dématérialisation occidentale

Nicolas Bonnal

Relisons Todd et son extraordinaire, dense et variée Défaite de l’Occident (j’écrirais accident, trop guénonien que je suis…). Plutôt que de décadence, mot trop ressassé depuis Spengler et sans signification maintenant, je préfère parler de dématérialisation: la puissance soi-disant économique et militaire des USA ne peut rien contre la Russie (ou les Houthis). C’est que tout disparaît. Todd:

« Pourtant, on le verra, le système américain, même s’il a réussi à soumettre l’Europe, souffre spontanément du même mal qu’elle: la disparition d’une culture nationale partagée par la masse et les classes dirigeantes. »

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L’effondrement culturel et religieux (non au sens guénonien, traditionnel, mais quantitatif occidental) précipite une inefficacité tragi-comique (de Leslie Nielsen à Joe Biden – voyez l’amiral-président Benson de la série Hot Shots aussi) dont PhG s’est fait l’ardent-hilarant commentateur :

« L’implosion, par étapes, de la culture WASP – blanche, anglo-saxonne et protestante – depuis les années 1960 a créé un empire privé de centre et de projet, un organisme essentiellement militaire dirigé par un groupe sans culture (au sens anthropologique) qui n’a plus comme valeurs fondamentales que la puissance et la violence. Ce groupe est généralement désigné par l’expression « néocons ». Il est assez étroit mais se meut dans une classe supérieure atomisée, anomique, et il a une grande capacité de nuisance géopolitique et historique. »

Oui, on en revient toujours à cette capacité de nuisance dont me parla un jour J. J. Annaud (voyez mon livre) à propos de la critique de cinéma. Idem donc pour l’énarchie française ou la bureaucratie bruxelloise.

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Evidemment Todd compare notre empire américain au bon vieil empire romain :

« L’afflux massif en Italie de blé, de produits manufacturés et d’esclaves y avait détruit la paysannerie et l’artisanat, d’une manière qui n’est pas sans rappeler celle dont la classe ouvrière américaine a succombé à l’afflux de produits chinois. Dans les deux cas, en forçant un peu le trait, on peut dire qu’a émergé une société polarisée entre une plèbe économiquement inutile et une ploutocratie prédatrice. La voie d’une longue décadence était désormais tracée et, malgré quelques sursauts, inéluctable. »

NDLR : la « plèbe économiquement inutile », c’est nous, c’est les mangeurs inutiles que Davos veut exterminer. Mais continuons :

« Enfin, différence fondamentale : le Bas-Empire a vu l’établissement du christianisme. Or, l’une des caractéristiques essentielles de notre époque est la disparition complète du substrat chrétien, un phénomène historique crucial qui, justement, explique la pulvérisation des classes dirigeantes américaines. »

Ici petit désaccord : le christianisme du début détraqua l’empire ; Escobar a écrit de très bonnes lignes dessus. Il fonctionna comme un wokisme (femmes, esclaves, rebelles, nihilistes, voyez Nietzsche) et accompagna l’effondrement technique à cette époque (lisez un extraordinaire texte de Bill Bonner sur ce sujet).

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Citons Escobar : « Le tissu urbain même de Rome a été détruit : les rituels, le sens de la communauté, le chant et la danse. Rappelez-vous que les gens baissent encore la voix en entrant dans une église.

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Pendant des siècles, nous n’avons pas entendu les voix des dépossédés. Une exception flagrante se trouve dans un texte du début du VIe siècle d’un philosophe athénien, cité par Ramsay MacMullen dans « Chrétienté et Paganisme du IVe au VIIIe siècle ».

Le philosophe grec écrit que les chrétiens sont « une race dissoute dans toutes les passions, détruite par une auto-indulgence contrôlée, rampante et féminine dans sa pensée, proche de la lâcheté, se vautrant dans toutes les bassesses, avilie, se contentant de la servitude dans la sécurité ».

Si cela ressemble à une proto-définition de la culture de l’annulation occidentale du XXIe siècle, c’est parce que c’est le cas. »

Sans rancune, Bergoglio ? Et notre culture de la Croisade et du migrant à recueillir alors ?

Bill Bonner lui précise : 

« Durant une période de 300 ans environ, la taille de pierre a disparu d’Angleterre. Pendant la période romaine, on trouvait des milliers d’artisans expérimentés qui savaient extraire la pierre… brûler de la chaux pour faire du mortier… mais aussi tailler et assembler les pierres pour faire d’élégantes villas.

Ils savaient comment construire une maison pavée de mosaïques, avec chauffage au sol – et un toit de tuiles d’argile.

Au VIème siècle, ils avaient oublié. Au VIIème siècle, on ne trouvait peut-être pas une seule personne, en Bretagne anglaise, qui sache comment faire du mortier de chaux – ou tourner un pot.

Il n’y avait plus d’importations de la Méditerranée – vin, huile d’olives, vaisselle, bijoux, épices, blé. Il n’y avait plus non plus de marché où les acheter… ni d’argent pour cela. La seule monnaie encore en circulation avait été frappée avant l’effondrement de l’empire romain. »

On se dirige, on retourne plutôt à cette société occidentale dite des âges sombres : celle condamnée où personne ne sait plus rien faire !

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J’avais écrit ici un texte sur Todd et le micro-théâtre militaire US. Il insiste sur sa non-portée :

« Pour revenir à notre tentative de classification, je serais tenté de parler, concernant les États-Unis et leurs dépendances, d’État post-impérial : si l’Amérique conserve la machinerie militaire de l’empire, elle n’a plus en son cœur une culture porteuse d’intelligence et c’est pourquoi elle se livre en pratique à des actions irréfléchies et contradictoires telles qu’une expansion diplomatique et militaire accentuée dans une phase de contraction massive de sa base industrielle – sachant que « guerre moderne sans industrie » est un oxymore. »

C’est surtout une absurdité. Rappelons que cette guerre occidentale se fait aussi sans soldats. Ma femme qui est ukrainienne me dit que ce serait aux soldats ukrainiens de former les cadres incapables de l’Otan, pas l’inverse.

Mais restons dans ce cadre moral effondré (qui a duré jusqu’aux années soixante, voyez toujours cette ère du cool de Thomas Frank):

« Ce principe s’applique ici à plusieurs champs essentiels: à la séquence « stade national, puis impérial puis post-impérial » ; à l’extinction religieuse, qui a fini par entraîner la disparition de la moralité sociale et du sentiment collectif ; à un processus d’expansion géographique centrifuge se combinant à une désintégration du cœur originel du système. »

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Todd retombe sans le vouloir ou le savoir sur Nietzsche ensuite :

« Ce que j’appellerai l’« état religieux zéro » va produire, dans certains cas, les pires, une déification du vide.

J’utiliserai le mot « nihilisme » dans une acception qui n’est pas forcément la plus commune, et qui rappellera plutôt – et ce n’est pas un hasard – le nihilisme russe du XIXe siècle. »

Problème alors : on échappe au raisonnable et à la réalité : « le nihilisme tend alors irrésistiblement à détruire la notion même de vérité, à interdire toute description raisonnable du monde. »

Problème : mais n’était-ce déjà pas le cas avec Hegel (que j’ai toujours considéré comme un mauvais moment philo à passer) et le marxisme-léninisme du siècle passé ?

Todd ajoute sur ce désarmement ontologique :

« L’état zombie n’est pas la fin du voyage. Les mœurs et les valeurs héritées du religieux s’étiolent ou explosent, et disparaissent enfin ; et alors, mais alors seulement, apparaît ce que nous sommes en train de vivre, le vide religieux absolu, avec des individus privés de toute croyance collective de substitution. Un état zéro de la religion. C’est à ce moment-là que l’État-nation se désintègre et que la globalisation triomphe, dans des sociétés atomisées où l’on ne peut même plus concevoir que l’Etat puisse agir efficacement.

On peut donc définir les années 2000 comme les années de la disparition effective du christianisme en Occident, d’une façon précise et absolue. On relève aussi une convergence dans le néant des catholiques et des protestants. L’Europe de l’Est n’est pas concernée et l’Italie, Vatican oblige, ne dispose toujours que de l’union civile. »

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On en revient au vide, au zombi, à l’objectif nul – ici on se rapproche de Baudrillard. Il ne reste que du simulacre (et encore…). Todd écrit très justement :

« L’individu ne peut être grand que dans une communauté et par elle. Seul, il est voué par nature à rétrécir. »

Si ma mémoire est bonne c’est ce qu’écrivait J. F. Lyotard dans sa scolaire et ennuyeuse Condition postmoderne : « chacun est ramené à soi ; et chacun sait que ce soi est peu ». Entre le code QR et le bulletin de vote anti-RN le froncé de souche aime rappeler que son soi est peu…

Mais venons-en à la bonne vieille dématérialisation. La clé de tout c’est ça : comment un pays déglingué et dégénéré (la Russie donc), qui a le PNB de l’Espagne ou de Monaco peut-il résister à l’Amérique et à ses dominions ?

« À la veille de l’invasion de l’Ukraine, je le rappelle, la Russie, en incluant la Biélorussie, ne pesait que 3,3 % du PIB de l’Occident. Comment ces 3,3 % ont-ils pu tenir et produire plus d’armement que l’adversaire ? Pourquoi les missiles russes, dont on attendait la disparition par épuisement des stocks, continuent-ils de tomber sur l’Ukraine et son armée ? Comment une production massive de drones militaires a-t-elle pu se développer depuis le début de la guerre, après que les militaires russes eurent constaté leur carence dans ce domaine ? »

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Après notre statisticien-démographe arrive avec des données qui font mal : notre nullité ontologique en matière de science dure et d’ingénierie pas sociale (on préfère étudier l’écologie, les droits de la femme...).

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mercredi, 24 juillet 2024 | Lien permanent

Georges Duhamel et le triomphe de la matrice US

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Georges Duhamel et le triomphe de la matrice US

Nicolas Bonnal

CVT_Scenes-de-la-vie-future_6606.jpgLivre légendaire, que je n’avais jamais lu. Mon lecteur Paul qui est ukrainien, admirateur de Parvulesco, ingénieur qui vit en Amérique, spécialiste de la recherche des livres sur le web, n’a rien trouvé. Je l’ai acheté car un éditeur a cru bon de le publier, avec d’ailleurs une très bonne préface de Catherine Cusset. On cite cette plume courageuse (qui vit aussi en Amérique, car qui n’y vit pas ?) :

« La première fois que je suis entrée dans un magasin Gap et que j'ai vu les rangées de tee-shirts sans forme aux couleurs criardes, je n'aurais pu imaginer que trente ans plus tard Gap débarquerait en France. Ni Starbucks, ni les fast-foods, ni les chocolate cookies et les cupcakes. Nous avions l'élégance française, les cafés français, la pâtisserie française, quel besoin y avait-il de ces gâteaux insipides et de ces chaînes où le café n'avait d'autre goût que celui du sucre? Nous qui avions les plus jolis vêtements d'enfants, pourquoi suivons-nous maintenant la mode américaine ? Le confort américain s'est imposé. Comme se sont imposés les rituels de Halloween et de la Saint-Valentin qui ont pris la place de nos propres carnavals. Et le club de gym au coin de la rue, remplaçant la promenade matinale ou dominicale… »

a9ee9663a610c05fb1204b6f591e31a0900b3039e8b3cd0689e36fcf1eed6117.jpgC’est cela qu’il faut comprendre. Le livre de Duhamel (auteur cent fois inférieur à Céline, Evola ou  Bernanos, mais qu’importe ?) n’est pas un opus sur l’antiaméricanisme (voyez Philippe Roger pour ça), c’est le livre sur le monde futur déjà en place depuis un siècle alors (voyez mes textes sur Poe et surtout Baudelaire), monde futur américain qui va bouffer l’humanité et contre lequel personne ne pourra rien, ni Dieu ni saint ni héros. L’Amérique est une malédiction cosmique. C’est le pays de la vingt-cinquième heure. Trop tard pour Dieu, les machins sont là.

On commence par le cinéma, car ce sont les pages les plus célèbres de ce livre qui fut un succès extraordinaire de librairie (150 éditions) avant d’être maudit par Satan.

« Et, déjà, les images. Elles passent, c'est le mot. Alors que toute œuvre digne de ce nom cherche à demeurer, elles passent, ces images qui ne représentent pas la vie, mais un monde à part, le monde-cinéma, où tout est faux, arbitraire, absurde. Les images dont une quelconque, isolée, immobile, apparaît, par son échelle, ses dimensions, sa mise en page, ses trucs, ses conventions, ses poncifs, ses accessoires, ses costumes, sa gesticulation, apparaît, dis-je, comme prodigieusement étrangère à ce que nous savons de la vie véritable et vivante. »

Lui-même prend peur alors :

« Cette fois, parfaitement ressaisi, maître de moi comme de ce misérable univers, sûr de mon jugement, je ferme les yeux et, dans mon esprit bien étanche, impénétrable, incorruptible, j'instruis paisiblement le procès. »

Les insultes célèbres :

« C'est un divertissement d'ilotes, un passe-temps d'illettrés, de créatures misérables, ahuries par leur besogne et leurs soucis. C'est, savamment empoisonnée, la nourriture d'une multitude que les puissances de Moloch ont jugée, condamnée et qu'elles achèvent d'avilir. »

Et dire que je revois mille films par an et que j’ai publié douze livres de cinéma…

Mais continuons :

« Un spectacle qui ne demande aucun effort, qui ne suppose aucune suite dans les idées, ne soulève aucune question, n'aborde sérieusement aucun problème, n’allume aucune passion, n'éveille au fond des cœurs aucune lumière, n'excite aucune espérance, sinon celle, ridicule, d'être un jour « star » à Los Angeles. »

1dc028728f63e2b5f652ebbdacde392731282b1370221b3dc5dd6ec3e89bb59b.jpgNous devenons des machines (Bernanos) et nous succombons à la vitesse (Virilio) :

« Le dynamisme même du cinéma nous arrache les images sur lesquelles notre songerie aimerait de s'arrêter. Comme les pires caresses mercenaires, les plaisirs sont offerts au public sans qu’il ait besoin d'y participer autrement que par une molle et vague adhésion. Ces plaisirs se succèdent avec une rapidité fébrile, si fébrile même que le public n'a presque jamais le temps de comprendre ce qu'on lui glisse sous le nez. Tout est disposé pour que l'homme n'ait pas lieu de s'ennuyer, surtout! Pas lieu de faire acte d'intelligence, pas lieu de discuter, de réagir, de participer d'une manière quelconque. Et cette machine terrible, compliquée d'éblouissements, de luxe, de musique, de voix humaines, cette machine d'abêtissement et de dissolution compte aujourd'hui parmi les plus étonnantes forces du monde. »

Dissolution est un terme éminemment guénonien. Duhamel souvent très inspiré use du terme « simulacre » trente ans avant Baudrillard aussi :

«Si je quitte les images une seconde, si je lève les yeux au plafond, j'aperçois un ciel où clignotent des étoiles et que parcourent des nuées légères. Bien entendu, c'est un faux ciel, avec des fausses étoiles, de faux nuages. Il nous verse une fausse impression de fraîcheur. Car, ici, tout est faux. Fausse, la vie des ombres sur l'écran, fausse, I’espèce de musique répandue sur nous par je ne sais quels appareils torrentueux et mécaniques. Et qui sait? fausse, aussi, cette multitude humaine qui semble rêver ce qu'elle voit et s'agite parfois, sourdement, avec des gestes de dormeur. Tout est faux. Le monde est faux. Je ne suis peut-être plus, moi-même, qu'un simulacre d'homme, une imitation de Duhamel... »

Et il annonce la Société du Spectacle et il constate déjà le grand abrutissement général. Que n’aurait-il dit devant une télé ou un smartphone ou un ordinateur ? Mais il a tout compris quand même, à l’heure de Trump, Macron, Kamala et Ursula :

41123yllLKL.jpg« J'affirme qu'un peuple soumis pendant un demi-siècle au régime actuel des cinémas américains s'achemine vers la pire décadence. J'affirme qu'un peuple hébété par des plaisirs fugitifs, épidermiques, obtenus sans le moindre effort intellectuel, j'affirme qu'un tel peuple se trouvera, quelque jour, incapable de mener à bien une œuvre de longue haleine et de s'élever, si peu que ce soit, par l'énergie de la pensée. J'entends bien que l'on m'objectera les grandes entreprises de l'Amérique,  les gros bateaux, les grands buildings. Non! Un building s'élève de deux ou trois étages par semaine. II a fallu vingt ans à Wagner pour construire la Tétralogie une vie à Littré pour édifier son dictionnaire… »

C’est la fin du Temps décrite par Guénon. Mais il y aura aussi la Fin de l’espace que Guénon refuse de voir (Règne de la Quantité toujours)  - et cette fin, elle est liée à la bagnole :

« Qu'est la difficulté de l'automobile, aujourd'hui, au prix de celle que l'on trouve à jouer, même modestement, de la flûte ou du violon ?

L'auto n'a pas conquis l'espace. Elle l’a perdu, gâté. Il n'y a plus de solitude, plus de silence, plus de refuges. Qui fuit la ville en auto retrouve tout de suite la ville. »

RO40023817.jpgSur le cheval soudain libéré mais aussi inutile Duhamel écrit ces lignes flippantes (sic) et prodigieuses :

« Mais heureux, heureux le cheval ! II ne souffrira plus. C'est lui le héros de la fête. Il ne tombera plus entre les brancards brisés. II ne tremblera plus sur ses pattes roidies. Il ne sera plus relevé à coups de pied et à coups de fouet. L'auto va le dispenser de souffrir et surtout de vivre. Le meilleur service que l'on puisse rendre à cette bonne bête, c'est de le soulager de l'existence. Le non-être n'est pas terrible. C'est le ne-plus être qui nous fait horreur. »

Dispenser de souffrir et de vivre : c’est du Tocqueville cette fois (« le trouble de penser et la peine de vivre »). Ce qui arrive au troupeau arrivera au troupeau humain du spectaculaire, à coups de Reset et de vaccins ou autres. Il est déjà anesthésié le troupeau (Drumont), et déjà prêt à ne plus être.

les_espions.jpgComme Fritz Lang (revoir Metropolis et surtout les Espions, cent fois supérieurs), Duhamel prend peur en Allemagne :

« Les plus étranges américaneries, je les ai vues en Allemagne, dans ce pays dont les jeunes hommes, au retour de leur premier voyage transatlantique, trouvent que New York n'est pas mal, mais plus assez américain. Derrière ses architectes, j'ai visité la nouvelle ville de Francfort, la cité des blocks pareils, en leur monotonie, à des falaises de craie blanches habitées par des bestioles disciplinées.

Il y a, sur notre continent, en France comme partout, de larges places que l'esprit de la vieille Europe a dès maintenant désertées. Le génie américain colonise, petit à petit, telle province, telle cité, telle maison, telle âme. »

On rejoint Catherine Cusset citée plus haut : ils reviennent toujours et ils bouffent tout, nos ricains. Chaque moment et chaque mètre carré seront bouffés. Car on n’est jamais assez américanisés et eux n’ont jamais fini d’inventer ou de réinventer une salauderie-friandise.

Il n’y aura aucune résistance politique ou autre (si, contre Trump !):

« La civilisation des fourmis s'étend sur la face des continents émergés, depuis le froid du Nord jusqu'au froid du Sud. Peut-être y a-t-il, çà et là, quelque révolte de palais. Mais la civilisation des fourmis dure depuis des siècles de siècles. Pas de révolution chez les insectes. Pas de révolution imaginable dans la fourmilière américaine. »

a21c7b862a2b1f02824a354d60e161c905ac41b4575c33fe0d5087eb533a5452.jpgVoyez mon texte sur Davos, Sunak et les termites inspiré par le livre de Maeterlinck sur ces êtes étranges et si américains.

Et comme on est en plein jeux olympiques :

« Le sport, entre les mains de traitants ingénieux, est devenu la plus avantageuse des entreprises de spectacles. Il est - corollaire obligé - devenu la plus étonnante école de vanité. L'habitude, allègrement acquise, d'accomplir les moindres actes du jeu devant une nombreuse assistance a développé, dans une jeunesse mal défendue contre les chimères, tous les défauts que l'on reprochait naguère encore, aux plus arrogants des cabotins. Il s'est fait un bien étrange déplacement de la curiosité populaire. Quel ténor d'opérette, quel romancier pour gens du monde et du demi-monde, quel virtuose de l'éloquence politique peut se vanter, aujourd'hui, d'être aussi copieusement adulé, célébré, caricaturé que les chevaliers du «ring», du stade ou de la piste? Et je ne parle pas des pinces, des spécialistes exceptionnels, des inventeurs, de ceux qui ont des traits d'inspiration, créent un genre, une tradition, se montrent, en quelque mesure, grands par la patience, le courage, la grâce ou la fantaisie… »

On répète car le modèle a triomphé partout y compris chez ceux qui font mine de s’opposer aux ricains (Baudrillard parle bien de ce simulacre) :

« Pas de révolution chez les insectes. Pas de révolution imaginable dans la fourmilière américaine. »

4 Juillet 1776, date du début de la Fin (pardon, de la « Grande Transformation ») de l’Humanité.

Sources:

https://lesakerfrancophone.fr/de-notre-devenir-termite-vi...

https://www.amazon.fr/puissance-apocalyptique-Essais-folie-am%C3%A9ricaine/dp/B0CVDFV4TN/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&crid=3GGAGQKJ76SS8&dib=eyJ2IjoiMSJ9.3ToCe3P-uDO3eDIJTVUQbAiZl5W_0KViZ027Un-C2KrGjHj071QN20LucGBJIEps.3pGG9LbDEh_MoK6hjx58UmURDshDZxzuDr2ZArA7dR4&dib_tag=se&a

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jeudi, 08 août 2024 | Lien permanent

Céline et la grosse dépression américaine

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Céline et la grosse dépression américaine

Nicolas Bonnal

« Toujours j’avais redouté d’être à peu près vide, de n’avoir en somme aucune sérieuse raison pour exister. À présent j’étais devant les faits bien assuré de mon néant individuel. Dans ce milieu trop différent de celui où j’avais de mesquines habitudes, je m’étais à l’instant comme dissous. »

Tous les ploucs rêvent d’aller à New York, et tous les crève-misère rêvent de se rendre en Amérique. Et voici comment le génie du siècle passé décrit son expérience new-yorkaise.

La peur de la ville debout (vision d’horreur en fait que celle de ce New York imposé depuis au monde entier avec ses tours de force) :

« Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New York c’est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux même. Mais chez nous, n’est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le Voyageur, tandis que celle-là l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur. »

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Le froid qui va avec, et qui frappait Tocqueville :

« Ça fait drôle forcément, une ville bâtie en raideur. Mais on n’en pouvait rigoler nous, du spectacle qu’à partir du cou, à cause du froid qui venait du large pendant ce temps-là à travers une grosse brume grise et rose, et rapide et piquante à l’assaut de nos pantalons et des crevasses de cette muraille, les rues de la ville, où les nuages s’engouffraient aussi à la charge du vent. Notre galère tenait son mince sillon juste au ras des jetées, là où venait finir une eau caca, toute barbotante d’une kyrielle de petits bachots et remorqueurs avides et cornards. »

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La trouille à l’immigration surtout pour un fauché (il sera aussi mis en quarantaine) :

« Pour un miteux, il n’est jamais bien commode de débarquer nulle part mais pour un galérien c’est encore bien pire, surtout que les gens d’Amérique n’aiment pas du tout les galériens qui viennent d’Europe. « C’est tous des anarchistes » qu’ils disent. Ils ne veulent recevoir chez eux en somme que les curieux qui leur apportent du pognon, parce que tous les argents d’Europe, c’est des fils à Dollar.

J’aurais peut-être pu essayer comme d’autres l’avaient déjà réussi, de traverser le port à la nage et puis une fois au quai de me mettre à crier : « Vive Dollar ! Vive Dollar !

C’est un truc. »

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Broadway :

« Nous on avançait dans la lueur d’en bas, malade comme celle de la forêt et si grise que la rue en était pleine comme un gros mélange de coton sale.

C’était comme une plaie triste la rue qui n’en finissait plus, avec nous au fond, nous autres, d’un bord à l’autre, d’une peine à l’autre, vers le bout qu’on ne voit jamais, le bout de toutes les rues du monde.

Les voitures ne passaient pas, rien que des gens et des gens encore. »

Manhattan et Mammon, le manque de pognon, la cité tentaculaire qui nous réduit à l’état de toutes petites fourmis :

« C’était le quartier précieux, qu’on m’a expliqué plus tard, le quartier pour l’or : Manhattan. On n’y entre qu’à pied, comme à l’église. C’est le beau coeur en Banque du monde d’aujourd’hui. Il y en a pourtant qui crachent par terre en passant. Faut être osé. »

« C’est un quartier qu’en est rempli d’or, un vrai miracle, et même qu’on peut l’entendre le miracle à travers les portes avec son bruit de dollars qu’on froisse, lui toujours trop léger le Dollar, un vrai Saint-Esprit, plus précieux que du sang.

Quand les fidèles entrent dans leur Banque, faut pas croire qu’ils peuvent se servir comme ça selon leur caprice.

Pas du tout. Ils parlent à Dollar en lui murmurant des choses à travers un petit grillage, ils se confessent quoi. »

Et ils n’ont pas fini de lui parler à D-Dollar avec la parité et les indices à 20000 !

La fameuse saleté, la piscine à caca puritaine :

« À droite de mon banc s’ouvrait précisément un trou, large, à même le trottoir dans le genre du métro de chez nous. Ce trou me parut propice, vaste qu’il était, avec un escalier dedans tout en marbre rose. J’avais déjà vu bien des gens de la rue y disparaître et puis en ressortir. C’était dans ce souterrain qu’ils allaient faire leurs besoins. Je fus immédiatement fixé. En marbre aussi la salle où se passait la chose. Une espèce de piscine, mais alors vidée de toute son eau, une piscine infecte, remplie seulement d’un jour filtré, mourant, qui venait finir là sur les hommes déboutonnés au milieu de leurs odeurs et bien cramoisis à pousser leurs sales affaires devant tout le monde, avec des bruits barbares ».

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La pauvreté dans la métropole babélienne :

« Contre l’abomination d’être pauvre, il faut, avouons-le, c’est un devoir, tout essayer, se soûler avec n’importe quoi, du vin, du pas cher, de la masturbation, du cinéma. »

La cinéphilie comme culture de mort on connaît ça nous aussi. C’est la petite mort dit le maître.

Premier gros accès de déprime :

« Ce qui est pire c’est qu’on se demande comment le lendemain on trouvera assez de force pour continuer à faire ce qu’on a fait la veille et depuis déjà tellement trop longtemps, où on trouvera la force pour ces démarches imbéciles, ces mille projets qui n’aboutissent à rien, ces tentatives pour sortir de l’accablante nécessité, tentatives qui toujours avortent, et toutes pour aller se convaincre une fois de plus que le destin est insurmontable, qu’il faut retomber au bas de la muraille, chaque soir, sous l’angoisse de ce lendemain, toujours plus précaire, plus sordide ».

Après ces lignes sublimes sur l’âge qui vient :

« C’est l’âge aussi qui vient peut-être, le traître, et nous menace du pire. On n’a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie, voilà. Toute la jeunesse est allée mourir déjà au bout du monde dans le silence de vérité. Et où aller dehors, je vous le demande, dès qu’on a plus en soi la somme suffisante de délire ? La vérité, c’est une agonie qui n’en finit pas. La vérité de ce monde c’est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir. Je n’ai jamais pu me tuer moi. »

Après la résignation du peuple bien bestial et soumis :

« Au lit ils enlevaient leurs lunettes d’abord et leurs râteliers ensuite dans un verre et plaçaient le tout en évidence. Ils n’avaient pas l’air de se parler entre eux, entre sexes, tout à fait comme dans la rue. On aurait dit des grosses bêtes bien dociles, bien habituées à s’ennuyer. »

Après la petite mort du cinéphile (on connaît comme on disait) :

« Il faisait dans ce cinéma, bon, doux et chaud. De volumineuses orgues tout à fait tendres comme dans une basilique, mais alors qui serait chauffée, des orgues comme des cuisses. Pas un moment de perdu. On plonge en plein dans le pardon tiède. On aurait eu qu’à se laisser aller pour penser que le monde peut-être, venait enfin de se convertir à indulgence. On y était soi presque déjà.

Alors les rêves montent dans la nuit pour aller s’embraser au mirage de la lumière qui bouge. Ce n’est pas tout à fait vivant ce qui se passe sur les écrans, il reste dedans une grande place trouble, pour les pauvres, pour les rêves et pour les morts. »

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Deuxième attaque de spleen américain :

« En Afrique, j’avais certes connu un genre de solitude assez brutale, mais l’isolement dans cette fourmilière américaine prenait une tournure plus accablante encore.

Toujours j’avais redouté d’être à peu près vide, de n’avoir en somme aucune sérieuse raison pour exister. À présent j’étais devant les faits bien assuré de mon néant individuel. Dans ce milieu trop différent de celui où j’avais de mesquines habitudes, je m’étais à l’instant comme dissous. Je me sentais bien près de ne plus exister, tout simplement. Ainsi, je le découvrais, dès qu’on avait cessé de me parler des choses familières, plus rien ne m’empêchait de sombrer dans une sorte d’irrésistible ennui, dans une manière de doucereuse, d’effroyable catastrophe d’âme. Une dégoûtation.

Ce commerce qui fatigue et qui vous prend la tête car il est non-stop. Il aurait pu être scénariste de Koyaanisqatsi Céline ! D’ailleurs Debord et Ellul sont cités au générique de cette oeuvre fabuleuse.

« En sortant des ténèbres délirantes de mon hôtel je tentais encore quelques excursions parmi les hautes rues d’alentour, carnaval insipide de maisons en vertige. Ma lassitude s’aggravait devant ces étendues de façades, cette monotonie gonflée de pavés, de briques et de travées à l’infini et de commerce et de commerce encore, ce chancre du monde, éclatant en réclames prometteuses et pustulentes. Cent mille mensonges radoteux. »

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Et les rites du transport déjà compliqués en Amérique :

« Un tramway longeait le bord de l’Hudson allant vers le centre de la ville, un vieux véhicule qui tremblait de toutes ses roues et de sa carcasse craintive. Il mettait une bonne heure pour accomplir son trajet. Ses Voyageurs se soumettaient sans impatience à un rite compliqué de paiement par une sorte de moulin à café à monnaie placé tout à l’entrée du wagon. Le contrôleur les regardait s’exécuter, vêtu comme l’un des nôtres, en uniforme de milicien balkanique prisonnier. »

Troisième crise de déprime liée au manque de pognon :

« Alors tout devient simple à l’instant, divinement, sans doute, tout ce qui était si compliqué un moment auparavant... Tout se transforme et le monde formidablement hostile s’en vient à l’instant rouler à vos pieds en boule sournoise, docile et veloutée. On la perd alors peut-être du même coup, l’habitude épuisante de rêvasser aux êtres réussis, aux fortunes heureuses puisqu’on peut toucher avec ses doigts à tout cela. La vie des gens sans moyens n’est qu’un long refus dans un long délire et on ne connaît vraiment bien, on ne se délivre aussi que de ce qu’on possède. J’en avais pour mon compte, à force d’en prendre et d’en laisser des rêves, la conscience en courants d’air, toute fissurée de mille lézardes et détraquée de façon répugnante. »

Tout cela repose sur une culture de la frustration qui s’apprend après l’enfance abrutie de cinéma.

Lola ne rassure pas, mais ses copines non plus :

« Je n’arrivais pas démêler tout à fait le vraisemblable, dans cette trame compliquée de dollars, de fiançailles, de divorces, d’achats de robes et de bijoux dont son existence me paraissait comblée. »

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Comment s’en sortir ? Par la menace du revolver (on est en Amérique !) :

« Elle a sorti alors un revolver d’un tiroir et pas pour rire. L’escalier m’a suffi, j’ai même pas appelé l’ascenseur.

Ça m’a redonné quand même le goût du travail et plein de courage cette solide engueulade. Dès le lendemain j’ai pris le train pour Detroit où m’assurait-on l’embauche était facile dans maints petits boulots pas trop prenants et bien payés. »

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Heureusement il y a les beautés helléniques (Stoddard, idole de Fitzgerald, parle de ce caractère hellénique de la race première américaine) :

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dimanche, 15 septembre 2024 | Lien permanent

Quand Dostoïevski dénonce la Babylone mondialiste et l’homoncule occidental…

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Quand Dostoïevski dénonce la Babylone mondialiste et l’homoncule occidental…

Nicolas Bonnal

Notes d’hiver sur des impressions d’été…

Ce voyage connu et oublié est essentiel pour compléter mon livre et mes réflexions sur Dostoïevski et la modernité occidentale (je vais rajouter ce texte à mon recueil traduit en roumain du reste). Ici il ne s’agit pas comme dans Crocodile d’un conte fantastique et comique, mais d’un ensemble de réflexions échevelées et épouvantées face à la grande modernité infernale occidentale et son troupeau bourgeois et consommant. Les cibles de ce voyage pas comme les autres sont surtout Londres et Paris, les deux capitales les plus folles alors de cet Occident qui fonctionne en mode turbo maintenant, contre le monde (toujours…) et contre sa population toujours plus hébétée et « hallucinée » (Guénon).

Ce qui est clair c’est que la civilisation (l’anti-civilisation de Guénon) est déjà là: elle est marchande, technique, mondialiste, fascinante, effrayante, babylonienne, apocalyptique. Et elle veut déjà refaire son homme à zéro façon Schwab:

« Mais, en revanche, quelle assurance avons-nous dans notre Vocation civilisatrice, de quelle façon hautaine résolvons-nous les questions, et quelles questions: le sol n'existe pas, le peuple non plus, la nationalité est un certain système de contributions, I'âme, - tabula rasa, c'est une cire que l'on peut modeler pour en faire I'homme véritable, l'homme universel en général, I'homonculus; il suffit de se servir des produits de la civilisation européenne et de lire deux ou trois livres. »

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Le ton est sarcastique mais résume ce que nous vivons depuis deux siècles : le refus de l’homme, des peuples et des nationalités qui survivent tant bien que mal. Rappelons cette observation de Debord :

« Non seulement on fait croire aux assujettis qu’ils sont encore, pour l’essentiel, dans un monde que l’on a fait disparaître, mais les gouvernants eux-mêmes souffrent parfois de l’inconséquence de s’y croire encore par quelques côtés. Il leur arrive de penser à une part de ce qu’ils ont supprimé, comme si c’était demeuré une réalité, et qui devrait rester présente dans leurs calculs. Ce retard ne se prolongera pas beaucoup. Qui a pu en faire tant sans peine ira forcément plus loin… »

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Donnons la note des éditeurs pour les moins érudits de nos lecteurs (s’il en reste) :

« 1. Tabula rasa, expression de Locke (Essai sur l'entendement humain) et des philosophes empiristes: elle compare l'esprit humain avant l'expérience à une « tablette rase », sur laquelle rien n'est écrit. Les choses viennent s'y imprimer de l’Extérieur et ne sont pas innées, comme chez Descartes. 2. L'homonculus : dans la tradition folklorique, homme de taille réduite auquel alchimistes et sorciers prétendaient pouvoir donner vie... »

Sur Locke relire De Maistre et Fukuyama qui, malgré les sarcasmes dont il fait inutilement l’objet, en a très bien parlé. La philo anglaise de l’époque est un social engineering destiné à fabriquer du bourgeois, explique tel quel notre petit maître sous-estimé et très mal lu (la différence entre des bourgeois US, euro, russe ou chinois, Alexandre Kojève – voyez mes textes – annonce qu’elle sera ténue aussi…).

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Comme Nietzsche ou Diderot, Dostoïevski comprend que notre civilisation déteste le petit peuple :

« Non, à présent je veux dire seulement ceci : l'article ne blâmait pas et ne maudissait pas uniquement les voiles légers, ne disait pas seulement que c'était un vestige de mœurs barbares, mais il critiquait la barbarie du peuple, la barbarie élémentaire, nationale, en l'opposant à la civilisation européenne de notre société de la plus haute noblesse. »

Idem chez Guénon dans ses aperçus : le peuple est un support plastique et initiatique, il garde toujours quelque chose du passé traditionnel, la classe moyenne fabriquée par l’Etat moderne jamais. Raison de cette rage à détruire partout et toujours les paysans.

La guerre des préjugés commence, et la caste occidentale veut toujours et partout imposer les siens:

« L'article raillait, l'article avait l'air d'ignorer que les accusateurs étaient peut-être mille fois pires et plus vils, que nous n'avons fait qu’échanger nos préjugés et nos des vilenies pour préjugés et des vilenies plus grandes. L'article faisait mine de ne pas s'apercevoir de nos propres préjugés et vilenies. »

Dostoïevski tape très fort sur le bourgeois. C’est l’homme uniforme de Fukuyama, la classe moyenne de Guénon, le philistin de Nietzsche, l’être moderne de Taine (pour qui le bourgeois a fleuri plus en France qu’ailleurs, à cause de l’Etat – on y revient) :

« Pourquoi regarde-t-il ayant l'air de dire: « Voilà, je ferai un peu de commerce dans ma boutique, aujourd'hui. Et si le Seigneur le permet, demain aussi, peut-être aussi après-demain, si le Seigneur veut bien m'accorder cette grâce... Eh bien, alors, alors, que je puisse mettre de côté quelque petite chose, et après moi le déluge. »

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Le bourgeois cache les pauvres, ajoute notre voyageur  :

« Pourquoi a-t-il fourré tous les pauvres dans un endroit quelconque et pourquoi assure-t-il qu'il n'y en a pas du tout? »

Surtout, il adore la presse et il croit tout ce que dit la presse et les journaux, les radios et les télés et les réseaux sociaux. Ecoutez bien :

« Pourquoi la littérature gouvernementale lui suffit-elle?

Pourquoi a-t-il une envie furieuse de se persuader que ses journaux sont incorruptibles?

Pourquoi consent-il à dépenser tant d'argent pour payer des espions? »

Oublions les espions, une vieille habitude anglo-saxonne ! Sur cette manie de la presse et cette intoxication, les grands esprits ont tout dit : Fichte, Thoreau, Balzac bien sûr, Léon Bloy, Drumont, Bernanos, Nietzsche encore. Mais je citerai le début d’Anna Karénine p. 15) :

« Le journal que recevait Stépane Arcadiévitch était libéral sans être trop avancé, et d’une tendance qui convenait à la majorité du public. Quoique Oblonsky ne s’intéressât guère ni à la science, ni aux arts, ni à la politique, il ne s’en tenait pas moins très fermement aux opinions de son journal sur toutes ces questions, et ne changeait de manière de voir que lorsque la majorité du public en changeait. Pour mieux dire, ses opinions le quittaient d’elles-mêmes après lui être venues sans qu’il prît la peine de les choisir ; il les adoptait comme les formes de ses chapeaux et de ses redingotes, parce que tout le monde les portait, et, vivant dans une société où une certaine activité intellectuelle devient obligatoire avec l’âge, les opinions lui étaient aussi nécessaires que les chapeaux. »

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On ajoute une dernière note tordante sur le bourgeois froncé décrit par notre auteur :

« Pourquoi n'ose-t-il souffler mot sur l'expédition du Mexique ? »

Oui, les expéditions punitives (Palestine, Yémen, Russie, Chine, Vietnam, Corée, Mali, Soudan, Cuba, Japon…), le bourgeois euro-américain ne s’en lasse et ne s’en lassera JAMAIS.

Mais continuons de voyager au gré des notes du plus rebelle et « flippant » des maîtres (un des rares écrivains de génie condamné à mort tout de même) ; nous arrivons à la fameuse et babylonienne exposition universelle:

« A Londres la même chose arrive, mais quelles larges images vous oppressent! Cette ville immense comme la mer qui s'agite jour et nuit, le bruit et le hurlement des machines, ces chemins de fer qui passent par-dessus les maisons (bientôt aussi en dessous), cette hardiesse d'entreprise, qui n'est en réalité que le degré le plus élevé de l'ordre bourgeois, cette Tamise empoisonnée, cet air saturé de charbon de terre, ces splendides Squares et ces parcs, ces terribles coins de la ville, tels que Whitechapel, avec sa population sauvage, à demi nue et affamée ; la cité avec ses millions et son commerce universel, le palais de cristal, l’Exposition, Oui, l’Exposition est étonnante. »

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On ne retrouvera cette cruauté des traits que chez Jack London (Les bas-fonds de Londres) et bien sûr chez Wilde (Dorian Gray est une parabole sur le Londres méphitique de Victoria-Rothschild et de l’aristocratie gay d’alors, parabole qui lui coûtera très cher).

Triomphe du capital mondialisé pétaradant et paradant :

« Vous sentez une force terrible, qui a réuni cette foule innombrable, venue de tous les points du monde en un seul troupeau ; vous sentez qu’ici il y a la victoire, le triomphe… »

Un mystérieux troupeau apparaît, celui de l’homme sans qualités qu’on réduit à l’état de bétail (voyez cette foule alignée avec ses smartphones devant l’Arc-de-Triomphe le soir du réveillon) devant la Babylone moderne enfin réalisée dans l’Angleterre biblique et puritaine de Milton, Cromwell et Rothschild :

« Vous paraissez même commencer à craindre quelque chose. Oui, si indépendant que vous soyez, vous commencez à craindre. Ceci ne serait-il pas l'idéal atteint? pensez-vous; n'est-ce pas la fin? Ne serait-ce pas « I'unique troupeau »? Ne faudrait-il pas I'accepter en effet comme vérité parfaite et se taire définitivement? Tout cela est si triomphant, si victorieux et si fier, que vous commencez à respirer avec peine. Vous regardez ces centaines de mille, ces millions d'hommes, qui y viennent humblement de toute la surface terrestre - des hommes venus avec une seule pensée, qui se tiennent silencieux et avec un calme entêtement, dans ce palais colossal, et vous sentez, que quelque chose de définitif s'est accompli, accompli et terminé. C’est comme une image biblique, quelque chose de Babylone, une prophétie de I'Apocalypse, qui s'accomplit devant vos yeux. »

Le maître ajoute même :

« Vous sentez qu'il faudrait énormément de résistance pour ne pas adorer Baal... »

Tiens, un peu d’Isaïe pour nous aider à comprendre (Isaïe, 60) :

« 9 Car les îles s’attendront à moi, et les navires de Tarsis [viennent] les premiers, pour apporter tes fils de loin, leur argent et leur or avec eux, au nom de l’Éternel, ton Dieu, et au Saint d’Israël, car il t’a glorifiée. 10 Et les fils de l’étranger bâtiront tes murs, et leurs rois te serviront. Car dans ma colère je t’ai frappée, mais dans ma faveur j’ai eu compassion de toi. 11 Et tes portes seront continuellement ouvertes (elles ne seront fermées ni de jour ni de nuit), pour que te soient apportées les richesses des nations, et pour que leurs rois te soient amenés. 12 Car la nation et le royaume qui ne te serviront pas périront, et ces nations seront entièrement désolées. »

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Et comme on est français et qu’on a parlé de Louis XIV et de Taine, on ajoutera ces lignes de Dostoïevski sur notre moliéresque bourgeois qui accouche depuis quatre siècles, devant des Sganarelle contrits et confits, de femmes savantes, précieuses ridicules, Orgon, pédants, Trissotin, Tartufe, dévots blindés, avares, médecins malgré eux, George Dandins cocus électeurs et éternels contents, malades imaginaires et bourgeois gentilshommes mondialisés et islamisés :

« D'ailleurs, il ne sait que très peu de l'univers en dehors de Paris. De plus, il ne tient pas savoir. C'est un trait commun à toute la nation et très caractéristique. Mais la particularité la plus caractéristique, - c'est l'éloquence. L'amour de l'éloquence vit toujours et augmente de plus en plus. J'aurais bien voulu savoir à quelle époque a commencé cet amour de l'éloquence en France. Certainement, le début principal date de Louis XIV. Il est remarquable qu'en France tout date de Louis XIV. Comment a-t-il fait pour prévaloir ainsi - je ne saurais le comprendre! Car il n'est pas de beaucoup supérieur aux rois précédents. Peut-être, parce qu’il a été le premier à dire: l'Etat, c'

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samedi, 06 janvier 2024 | Lien permanent

La destruction de la France au cinéma

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La destruction de la France au cinéma

par Nicolas Bonnal

Mon livre commente la destruction – ou la disparition de la France – de 1945 aux années 70. Je considère que si la France est devenue ce que l’on sait depuis, elle était déjà foutue alors – dans les années 70. Je l’ai perçue ainsi enfant déjà quand j’y venais, sorti de ma tranquille Tunisie. Je suis arrivé à Brest en famille en 1972, ville entièrement détruite et reconstruite, artificielle au possible. Cela ne parlait que football et télé à l’école et j’avais déjà le caractère des trois vieux emmerdeurs des Vieux de la Vieille. Mon seul réconfort visuel : les classiques US à la télé encore bien doublés et Chapeau melon et bottes de cuir – Emma Peel et Tara King. Le reste c’était les ZUP et les supermarchés. Et la foule « non encore remplacée » s’y engouffrait gaiment, comme si elle n’avait jamais connu – et aimé – que cela. Le litre d’essence à un franc dix-sept…

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Ce qui restait de la France c’était des bribes: le petit village, la petite campagne vite captée le tourisme industriel avant de servir d’investissement immobilier au bourgeois enraciné. Le reste était promis à plus d’industrialisation, plus de destruction, plus de remplacement. On avait une émission affolante qui s’appelait : La France défigurée (Péricard et Bériot) le samedi je crois, après manger (IE vite triturer ce qu’il y a dans le frigo).

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Le remplacement aussi m’est apparu dès cette époque: on se foutait de l’histoire, de la littérature; on aimait la baise, le tourisme, la gesticulation motorisée; on aimait la destination exotique, la bouffe nouvelle, et la spéculation. Et on est passé de mille balles du mètre à dix mille euros en cinquante ans, et à peu près partout. On s’adapte, comme dit Céline.

Le cinéma a bien filmé tout cela: il est la vérité vingt-quatre fois par seconde quand la télé est le mensonge vingt-quatre fois par seconde – conditionnement pour accepter tout ça et pour la fermer. J’ai vu par le cinéma la France remplacée dans Play Time de Tati, j’ai vu la France cybernétique et totalitaire dans Alphaville, et j’ai vu les Valseuses. J’ai vu la fin des ânes dans le Balthazar de Bresson (tué par le trafic et le vélomoteur).

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J’ai vu disparaitre ce qui restait d’Ancien Régime: le marquis libertin de la Femme du boulanger, les paysans traditionnels de Farrebique, les chevaliers servants de l’Empire dans Alerte au Sud (l’admirable film de Devaivre). J’ai vu disparaitre les curés aussi : c’est l’athée Jean Renoir qui filme un chant du cygne antimoderne dans le Déjeuner sur l’herbe. Son curé y est prodigieux et y annonce comme ceux de Pagnol la grande catastrophe. Mais les idiots avancent toujours, les somnambules, dit Hermann Broch.

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A la place est apparue une société froide et structurée autour de nouveaux axiomes : le capitalisme, l’Etat-providence, le court terme, le sexe, la violence fantasmée, la sottise télé. Tout cela a suscité au début des résistances (merci à Guy Debord qui m’aura éclairé pour tout) et puis on s’est habitué. Va critiquer la télé maintenant, va… Va remettre en cause l’usage hypnotique de la technologie, va… C’est Fahrenheit 451 partout (marrant tout de même ce film de Truffaut tourné en anglais et pas en français).

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Un écrivain américain (Thomas Frank) a parlé de conquête du cool et il dit qu’une cinq ans on change un peuple. Patrick McGoohan (le Prisonnier, seule série à connaître) dit qu’on ne peut échapper ni au Pentagone ni à Madison ni à la télé. Le peuple ‘froncé’ fut créé sous le gaullisme en quelques années. On peut dire que le phénomène était partout le même, mais je tape quand même sur le gaullisme, sur son culte indécent, sur sa constitution, sur ses trente glorieuses, sur ses grandes transformations, sur sa société de consommation. Comme disait André Bercoff dans sa Reconquête ces technocrates gaullistes et arrogants auraient dû lire les situationnistes pour voir dans quel hexagone ils nous mettaient.

Certes la France est coutumière du fait: c’est un pays implacable quand il s’agit d’idées neuves, a dit le professeur Paul Hazard. On aime s’y refaire à neuf. Le bonheur est une idée neuve, etc. On aime les nouvelles vagues, etc. On aime se moderniser, se créoliser, se remplacer, se renouveler, etc. C’est la Lumière du monde (dixit de Gaulle) donc on peut tout se permettre. Mais franchement c’est ici que la technocratie aura fait le plus de dégâts; ensuite les écologistes ont pris le relais et ont couvert leur hexagone d’éoliennes.

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J’en suis resté à Nerval et à Adrienne moi, et à la danse de la Chapelle dans Drôle de frimousse, filmé par un petit juif nommé Stanley Donen, qui avait déjà réalisé dix chefs-d’œuvre et qui lui aussi allait affronter l’ère du cool américaine et ne plus s’en remettre – voyez mon livre sur la comédie musicale américaine. Stanley bis (l’autre génie juif c’est Kubrick) a filmé la chute de Paris dans Charade : on est en 1963 seulement.  Chute brutale : la ville perd son charisme ; c’est une « commodité ».

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Après c’est Open bar, après c’est les drugstores, les aéroports, les autorités, les banlieues dégueulasses pour parler comme Belmondo (Nanterre forever) les bagnoles moches, les camps de vacances (vive les bronzés !), après c’est aussi une bonne inconscience de plus abruti par la consommation et par la télé, abrutissement que filment Godard ou Pierre Etaix au début des années soixante. Etaix aussi ne s’en remettra pas et Godard disparaît pour une décennie et sans doute pour toujours – un peu comme Rimbaud parti pour l’Abyssinie et revenu pour se faire amputer – ici par la commission d’avances sur recettes. C’est Nina Simone qui déclare à un Ardisson interloqué qu’elle n’aime plus venir à Paris, ville dénaturée explique-t-elle. 

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Dans les années cinquante quand Tati filme Mon Oncle, le public français réagit encore (peut encore réagir) et le monde entier aime son film ; et en URSS explique le grand et génial Jacques, le film rencontre un immense succès car la bourgeoisie en prend plein la gueule. Dix ans plus tard le modèle américain a gagné, la bourgeoisie américanisée et motorisée a gagné et elle a imposé son modèle. Play Time est un film aussitôt oublié et nié: on a mieux à faire dans les journaux bourgeois, on adore le gauchisme, le cul, la violence, la rébellion, notions toutes recyclées par nos bourgeois. La société postmoderne vit de la haine qu’elle s’inspire comme tel champ vit de la merde de ses paysans.

Mais comme c’est au sens figuré c’est plus grave.

Le système crée alors d’autres modèles : ses vieux râleurs (Gabin…), ses nostalgiques (Audiard…) qu’on aime bien et qu’on évoquera ici. Il crée des loubards, des queutards, des râleuses, des bobos, des renégats, des richards, des paumés, des consommateurs. On est dans la société de services, les sévices se multiplient.

Trois citations pour terminer. On espère qu’elles exaspèreront les imbéciles et rafraichiront l’imagination des bons chrétiens comme dit Léon Bloy. Mes fidèles lecteurs les connaissant déjà :

bd16859e0b2d598bc05770be8bc14d7c.jpgDebord sur la mafia et l’avilissement universel:

« C’était une forme de crime organisé qui ne pouvait prospérer que sur la « protection » de minorités attardées, en dehors du monde des villes, là où ne pouvait pas pénétrer le contrôle d’une police rationnelle et des lois de la bourgeoisie. La tactique défensive de la Mafia ne pouvait jamais être que la suppression des témoignages, pour neutraliser la police et la justice, et faire régner dans sa sphère d’activité le secret qui lui est nécessaire. Elle a par la suite trouvé un champ nouveau dans le nouvel obscurantisme de la société du spectaculaire diffus, puis intégré : avec la victoire totale du secret, la démission générale des citoyens, la perte complète de la logique, et les progrès de la vénalité et de la lâcheté universelles, toutes les conditions favorables furent réunies pour qu’elle devînt une puissance moderne, et offensive. »

Louis_de_Bonald_by_Julien_Léopold_Boilly.jpgBonald sur la disparition du sol et du peuple :

« Le sol n’est pas la patrie de l’homme civilisé ; il n’est pas même celle du sauvage, qui se croit toujours dans sa patrie lorsqu’il emporte avec lui les ossements de ses pères. Le sol n’est la patrie que de l’animal; et, pour les renards et les ours, la patrie est leur tanière. Pour l’homme en société publique, le sol qu’il cultive n’est pas plus la patrie, que pour l’homme domestique la maison qu’il habite n’est la famille. L’homme civilisé ne voit la patrie que dans les lois qui régissent la société, dans l’ordre qui y règne, dans les pouvoirs qui la gouvernent, dans la religion qu’on y professe, et pour lui son pays peut n’être pas toujours sa patrie… Dès lors, l’émigration fut une nécessité pour les uns, un devoir pour les autres, un droit pour tous. »

300px-Édouard_Drumont.jpgDrumont enfin sur le Français et Paris remplacés :

« L’être qui est là est un moderne, un nihiliste, il ne tient à rien. Il n’est guère plus patriote que les trois cent mille étrangers, que l’aveuglement de nos gouvernants a laissé s’entasser dans ce Paris dont ils seront les maîtres quand ils voudront ; il ne se révoltera pas comme les aïeux sous l’empire de quelque excitation passagère, sous une influence atmosphérique en quelque sorte qui échauffe les têtes et fait surgir des barricades instantanément. » 

Cela me parait important pour dire que l’immigration et le racisme qui va avec n’ont rien à faire ici et que le Grand Remplacement était joué dans les seventies sous Pompidou-Giscard. Après on a créé un être festif et nul (le bobo) nourri au bio et au cinoche de festival – et aussi et surtout comme partout ailleurs un maniaque du cinéma américain – non pas de Walsh, Hawks et Wilder, mais des blockbusters et des films-culte. C’est un autre sujet.

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J’ai choisi une centaines de films ici et comme dit notre correcteur Franz cela fait notice. C’est l’effet recherché. On a oublié de parler de Melville qui dans plusieurs films a fait mouche : dans Le Cercle rouge, il montre la société froide et glacée et technocratique qui sort du gaullisme (une société structuraliste) ; dans l’Armée des ombres il montre le martyrologue de la Résistance (la France antichrétienne et assez peu résistante adore se créer des religions de substitution) ; et dans Deux hommes dans Manhattan il dévoile les dessous sexuels des élites françaises à New York, la laideur de New York by night sans technicolor et la pourriture de cette ONU qui n’a pas fini de nous en faire baver. Le tout sans prétentions, sans y toucher, presque techniquement. Pas étonnant qu’on l’ait oublié : de toute manière il n’y a plus de nostalgie. Tout est mort et très enterré – y compris les nostalgiques.

Je peux en parler moi qui ai pleuré à la mort de Tati (un russe), de Buñuel (un aragonais) ou de Simone Signoret (autre immigrée) qui l’a bien dit: la nostalgie n’est plus et ne sera plus ce qu’elle était. Le Grand Reset a déjà eu lieu dans tous les cerveaux et le froncé pouvait se faire remplacer physiquement. Il ne sait plus s’il est vivant le froncé entre sa télé et sa pharmacopée. Ce n’est même pas vrai d’ailleurs: il est plus vieux, engraissé par la dette, et servi par le tiers-monde après avoir bien vécu après mai 68 ; mais de quoi se plaint-il ?

Un grand regret, que les films français de cette époque damnée ne soient pas meilleurs – mais c’est que la France est depuis longtemps un pays surfait et brillant qui vit de sa légende et de sa propagande ; Paris aussi est surestimé un peu comme Washington, car c’est une ville qui a été conçue par les bonapartistes et les républicains pour impressionner, et épater le touriste bourgeois. Le Grand Meaulnes est un film d’italien tourné avec un acteur… ukrainien ; on n’a rien fait sur Nerval et son Adrienne essence de la France druidique et médiévale enfouie ; du coup on a rajouté quelques comédies musicales à notre convenance qui toutes tournées dans les années cinquante ont montré au béotien hexagonal ce que c’était Paris avant son impeccable destruction moderniste et industrielle des années soixante.

9782251390062.jpgComme dit mon ami Paucard dans ses Criminels du béton on n’a plus écrit de chanson à la gloire de Paris depuis cette époque, alors…

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vendredi, 12 avril 2024 | Lien permanent | Commentaires (2)

Bruckberger et l’abdication de l’Eglise

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Bruckberger et l’abdication de l’Eglise

par Nicolas Bonnal

J’ai déjà écrit sur son livre-brulot, sa Lettre à Jean-Paul II (pape dont il attendait beaucoup, et qui a masqué plus que ralenti l’effondrement terminal de la bâtisse), et je vais encore insister et compléter. Bruckberger tape lourd et il l’a fait en dépassant Guénon: il voit le mal se glisser dans l’Eglise depuis le treizième siècle. Remarquez, Guénon a parlé de l’affaire des Templiers (mais sans trop viser l’Eglise) dans son Autorité spirituelle, et Huysmans avait écrit que tout dégénérait depuis ce treizième siècle dit des cathédrales. Les plus lucides reliront Dante.

Bruckberger attaque d’abord le Concile de Vatican II – sans qu’on puisse le suspecter de traditionalisme ou autre.

«Commettez allégrement tous les crimes ou laissez allégrement commettre tous les crimes contre la foi, contre les sacrements, contre les commandements de Dieu, ne vous laissez surtout pas intimider ! Invoquez publiquement le concile, l'esprit conciliaire, les réformes soi-disant issues du concile, et vous voilà aussitôt, non seulement justifié, mais hors de toute atteinte, hors de cause, au-dessus de tout Soupçon; vous échappez automatiquement à toute juridiction, rien ne peut vous être reproché.»

images.jpgPuis notre courageux auteur (scénariste du Dialogue des carmélites qui résonne comme une Fin initiatique de la France médiévale – façon Adrienne-Sylvie de Nerval) s’est rendu compte que tout allait déjà mal depuis un certain temps tout de même :

« Je pense souvent à l’Angleterre au XVIème siècle, au moment où, sous la pression de la monarchie, l'Eglise d'Angleterre s'est séparée de Rome, sans que l'ensemble du peuple catholique anglais s'en aperçoive. Il y a eu le chancelier Thomas More qui a versé son sang. Mais il n'y a eu qu'un évêque, un seul, l'évêque Fischer de Rochester (tableau, ci-dessous), qui a osé dénoncer l'imposture du changement de religion. Lui aussi est mort martyr. Combien y avait-il d'évêques en Angleterre en ce temps-là ? »

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Depuis combien de siècles en fait le roi est-il nu ?

On se rend compte que déjà il n’y avait pas trop de héros. Le christianisme était depuis Innocent III au moins affaire d’organisation, de surveillance et de répression, pas de grands élans.

Mais restons-en au Concile :

« De quoi s'agissait-il, sinon de changer la substance de la religion catholique, de rejeter l'autorité du pape, mais encore plus de transformer le sacrifice de la messe en un service de communion ? Je pense que beaucoup de ces évêques étaient de braves gens. Malheureusement en certaines circonstances, et quand on a des responsabilités de commandement, être un brave homme ne suffit pas. Quant au bon peuple, il a tendance à suivre ses chefs immédiats… »

Le vernis craquait déjà (Bayle, Fontenelle…) sous Louis XIV. C’est La Bruyère qui parlant du dévot écrit dans les Caractères que c’est un homme qui sous un roi athée serait athée. Et Feuerbach qui parle du masque de la religion qui a remplacé la religion. Macluhan explique cela avec son homme typographique. On reprogramme l’occidental typographique depuis Gutenberg, c’est tout.

Bruckberger compare l’Eglise à une entreprise qui a mal tourné et masque son bilan ou décide de faire autre chose. Entreprise qui écrirait pince-sans-rire :

« MESURES A LONG TERME

REMPLACER DISCRETEMENT LE PRODUIT ACTUEL PAR UN PRODUIT NOUVEAU, QUI ASSURERA LA RECONVERSION ET L'AVENIR DE L'ENTREPRISE. »

Ensuite Bruckberger parle de complot des technocrates à l’intérieur de l’Eglise (technocrate me semblerait presque un compliment, mais bon…) :

« La leçon de la parabole est claire. Quelle qu'ait été l'intention de Jean XXIII et de Paul VI - et cette intention n'a aucune espèce d'importance en regard de ce qui s'est passé dans la réalité il y a eu complot de technocrates à l'intérieur de l'Eglise pour, à l'occasion et sous le couvert du dernier concile, purement et simplement changer la religion catholique, en changer discrètement mais sûrement la substance. C'est ce complot que nous dénonçons sans relâche… »

Il cite même un journaliste plus conscient du problème que le bourgeois catho de base (le seul à « pratiquer » - mot atroce -, le reste ayant disparu, je veux dire le peuple, notamment paysan, de Farrebique) :

« Alain Woodrow est un autre chroniqueur religieux du Monde. Il a publié un livre intitulé : l’Eglise déchirée. Dès la première page, il écrit : « Le christianisme est en miettes, morcelé à la suite de schismes religieux et politiques qui ont jalonné son histoire; il est en train de se dissoudre sous l'action corrosive des sciences humaines, de se transformer en un folklore de la société actuelle. » Humainement, c'est très bien vu et c'est incontestable. »

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Sauf que le folklore suppose des costumes, du savoir-faire, des danses, des efforts et des sacrifices physiques, tout ce qui a disparu...

Bien entendu, tout va bien. Tout va toujours très bien:

« Bien entendu, les évêques français, qui l'ont menée au point d'exténuation où elle se trouve, ne l'admettront jamais. Ils vous affirmeront dur comme fer que l'Eglise de France ne s'est jamais mieux portée. Ils vous joueront l'envers du Malade imaginaire. L'Eglise de France en est au dernier état d'un cancer généralisé, ils vous jureront la main sur le cœur qu'elle va très, très bien. »

C’est le raisonnement des Shadocks de notre jeunesse : il n’y a pas de solution car il n’y a pas de problème.

Bruckberger va citer « le grand savant laïc » (entièrement d’accord, voyez mes textes) Lévi-Strauss qui remarque timidement dans une interview:

« C. LÉVI-STRAUSS. C'est l'appauvrissement du rituel qui me frappe. Un ethnologue a toujours le plus grand respect pour le rituel. Et un respect d'autant plus grand que ce rituel plonge ses racines dans un lointain passé. Il y verra le moyen de rendre immédiatement perceptibles un certain nombre de valeurs qui toucheraient moins directement l’« âme » si l'on s'efforçait de les faire pénétrer par des moyens uniquement rationnels. Louis XIV a dit, dans son testament, en s'efforçant de justifier le cérémonial de la Cour, des choses assez profondes : qu'on ne peut pas demander à tout le monde d'aller au fond des choses. Il faut qu'il y ait des expressions sensibles. »

Lévi-Strauss ajoute plus loin (car le journaliste est bouché…) :

« J’entends bien que tout rituel doit évoluer. Une société religieusement vivante serait une société capable d'enrichir son rituel. Mais les tentatives de renouvellement - du moins ce que vois quand j'assiste à des messes d'enterrement ou de mariage ne paraissent pas très convaincantes. »

Ce pas très convaincant, le bourgeois en fait son ordinaire quand il célèbre des mariages à 100.000 ou 200.000 euros. Bruckberger ajoute :

« On ne peut dire plus clairement, ni avec plus de prudence et de gentillesse, qu'en France, la réforme liturgique issue du dernier concile est un fiasco. Un grand savant agnostique s'en dit troublé. Nos évêques, eux, n'en sont nullement troublés : même si elle devait entraîner la mort du patient, ils nous forceraient à tenir la bouche ouverte jusqu'à ce que toute la potion soit avalée. Un grand savant explique ce qu'Aristote nous avait depuis longtemps appris : qu'il n'est rien dans l'intelligence qui ne soit d'abord tombé sous le sens, et que tout ce qui touche la sensibilité, surtout si ça vient de loin, doit être modifié avec la plus grande prudence. Les évêques n’en ont cure… »

Les évêques n’ont cure de rien. Remarquez, c’est ce que dit Léon Bloy dans tout son journal, et nous sommes toujours là, alors pourquoi paniquer ?

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Puis il y a plus grave. Bruckberger remonte dans le Temps pour constater comme je le fais souvent que les choses étaient pourries depuis longtemps ; les jésuites, les temps baroques ? Non, non, le siècle de Saint-Louis avec son Inquisition et ses croisades antichrétiennes dévastatrices :

« Bernanos avait coutume de remarquer qu'une civilisation tombe en décadence quand la fin y justifie les moyens. En ce sens il y a longtemps que la civilisation chrétienne est en décadence. La décadence a commencé au XIIIème siècle avec l'Inquisition, elle a atteint son zénith avec la casuistique jésuite aux XVIème et XVIIème siècles. Mais nous avons dépassé ce stade, nous l'avons dépassé de très loin. »

Et de parler de Himmler et de Lénine avec l’Inquisition :

«Aujourd'hui, on sait de manière certaine que Himmler, chef et organisateur de la Gestapo, Lénine lui-même, ont lu et étudié le Manuel des inquisiteurs. Le système était là tout entier : ils n'ont eu qu'à l'utiliser sur une immense échelle et à l'industrialiser. Mais le système était là, ce n'est pas eux qui l'ont inventé, il était là, complet, exprimé dans une langue juridique admirable: avec l'usage de la torture physique pour arracher des aveux, le conseil de dire le faux pour savoir le vrai ; l'instigation à la délation et la récompense du délateur. Ce n'est pas parce que les ennemis de l'Eglise ont maintenant utilisé ce système sur une très grande échelle, à l'échelle de la « mass production » et de la « mass distribution », ce n'est pas parce que, en notre siècle, ils ont industrialisé la torture et la délation, industrialisé dans les camps de concentration et dans l'archipel du Goulag le mensonge et la violence, que l'origine de ce système en est moins souillée. Et l'origine de ce système, c'est l’Inquisition officiellement patronnée par les papes… »

Michelet avait tout dit. Je me cite :

« Tout finit au douzième siècle ; le livre se ferme… », termine Michelet qui remarque qu’un système périclitant comme celui de l’Eglise – ou de la démocratie bourgeoise à notre époque -  a tendance à devenir totalitaire et dangereux :

« Les anciens conciles sont généralement d’institutions, de législation. Ceux qui suivent, à partir du grand concile de Latran, sont de menaces et de terreurs, de farouches pénalités. Ils organisent une police. Le terrorisme entre dans l’Église, et la fécondité en sort. »

La dure ou molle réalité c’est qu’on se fout de tout (à une époque où le vaccin Bourla devient un acte d’amour…) :

« Désormais tous les crimes sont possibles : on les trouvera aussi naturels que de voir l'eau couler sous les ponts. La civilisation chrétienne est morte. Les évêques français l'ont portée en terre collégialement. Ils ne savent plus ce qu'ils font. Car on ne voit pas ce qui peut remplacer la civilisation chrétienne. Quand elle est morte, c'est aussi l'humanité qui meurt en l’homme. »

Le terme (sic) qui résonne le mieux alors, c’est celui d’abdication :

« Vous apprendrez à connaître nos évêques de France, nos chefs spirituels. Vous ne serez pas long à voir qu'ils ont pratiquement abdiqué cette mission essentielle de l’Eglise, de donner aux hommes des raisons de vivre, et éventuellement de mourir. Bernanos disait d'un clergé devenu socialiste qu'il fait ainsi la preuve qu'il ne sait plus parler qu'aux ventres. Voilà pourquoi la voix de ce clergé est si confuse, elle n'a aucune raison d'être distinguée, dans le concert cacophonique de toutes ces voix qui ne s'adressent jamais en l'homme qu'à Son ventre : ses puissances digestives et sexuelles. Comme si l’homme n'était rien d'autre. »

Abdication c’est peut-être trop noble, cela fait penser à Charles X. Parlons de retraite alors.

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Un autre bon chrétien, mort comme tant d’autres en quatorze, écrivait avant la Grande Guerre:

 « C’est toujours le système de la retraite. C’est toujours le même système de repos, de tranquillité, de consolidation finale et mortuaire. Ils ne pensent qu’à leur retraite, c’est-à-dire à cette pension qu’ils toucheront de l’État non plus pour faire, mais pour avoir fait. Leur idéal, s’il est permis de parler ainsi, est un idéal d’État, un idéal d’hôpital d’État, une immense maison finale et mortuaire, sans soucis, sans pensée, sans race. Un immense asile de

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samedi, 01 juin 2024 | Lien permanent

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