samedi, 28 septembre 2024
Ver Sacrum: la source sacrée chez les peuples italiques et son importance pour Rome
Ver Sacrum: la source sacrée chez les peuples italiques et son importance pour Rome
Par Chiara (Blocco Studentesco)
Source: https://www.bloccostudentesco.org/2024/08/29/bs-ver-sacrum-primavera-sacra-italici-e-romani/
Le printemps a toujours été associé à la renaissance, au retour de la lumière et à l'allongement des jours.
Dans les civilisations anciennes, il était si important qu'il marquait le calendrier, coïncidant avec le début de la nouvelle année astronomique, avec l'entrée du soleil dans la constellation du Bélier.
C'était le cas pour les Romains, qui célébraient à cette occasion les Matronalia, fêtes de la déesse Juno Lucina, protectrice des femmes, de la gestation, de l'accouchement et du mariage. Les femmes romaines apportaient des offrandes au temple qui lui était dédié sur la colline de l'Esquilin, construit, selon Varron, par Titus Tatius, roi des Sabins, à la suite de l'interruption de la guerre entre les Romains et les Sabins eux-mêmes grâce à l'intervention de quelques femmes courageuses.
Le calendrier romulien comportait dix mois (Numa Pompilius y ajoutera janvier et février), dont le premier était mars, période de renaissance de la nature et de l'esprit. Au cours de ce mois, la trêve hivernale des batailles prenait fin et il était possible de reprendre la guerre. Rome et son armée renaissaient en même temps que la fière nature.
La religion romaine est née d'un mélange de croyances et de rituels différents, en particulier ceux de la période pré-impériale. Avant le Ier siècle, les influences extérieures étaient nombreuses; il suffit de réfléchir aux mythes des origines, où Latins, Étrusques, Osco-Umbriens et autres peuples italiques se sont rencontrés, créant ensemble ce qui allait devenir la ville éternelle. Le ver sacrum s'inscrit parfaitement dans ce schéma.
Selon Paul Diacre, il s'agissait d'un sacrifice au cours duquel les hommes et les animaux nés au printemps étaient immolés à une divinité pour protéger la communauté des dangers. Les animaux étaient abattus, tandis que les enfants à naître étaient consacrés à la divinité et, une fois qu'ils avaient atteint l'âge de la majorité, la tête voilée, ils étaient accompagnés jusqu'aux frontières et éloignés de leur patrie.
Pour Denys d'Halicarnasse, en revanche, le phénomène se produit à la suite d'une explosion démographique ou en raison de problèmes liés à la production agricole et à la subsistance de la population.
Il parle de deux types de ver sacrum: l'un se produisait dans la joie, en rapport avec une promesse faite à une divinité en temps de guerre ou pour une explosion démographique; l'autre, au contraire, se pratiquait dans la souffrance, pour obtenir du dieu une intervention qui puisse épargner des souffrances à la communauté.
Toutes ces « migrations » étaient caractérisées par la présence d'un animal totémique, un dieu qui veillait sur ceux qui partaient à la recherche de leur nouvelle patrie.
Les voyages se déroulaient de manière ordonnée et les voyageurs imitaient les mouvements et le comportement de l'animal-guide afin de bénéficier d'une protection tout au long du chemin.
Strabon nous apprend que le noyau sabin qui allait donner naissance aux Samnites était conduit par un taureau, tandis que Flaccus écrit que celui qui s'est matérialisé dans les Picènes était conduit par un pivert ; tous ces animaux étaient sacrés pour Mamers, un dieu osco-umbrien qui correspond au Mars des Latins.
C'est probablement de la présence de totems qu'ont découlé les insignes militaires romains caractérisés par des effigies d'animaux. La corrélation entre le ver sacrum et le monde militaire est donc évidente; Denys d'Halicarnasse affirme encore que les jeunes gens partaient armés de leur patrie.
Le pic, le loup et le taureau sont des animaux fondamentaux dans la religion romaine primitive.
Le premier animal rappelle la figure divine de Picus, l'un des premiers rois romains de la période « héroïque ». Il était le fils de Saturne, dieu de l'agriculture et des semailles, et de Pomona, nymphe protectrice des plantes fruitières. Selon une version du mythe, la magicienne Circé tomba amoureuse de lui et, après avoir été rejetée, le transforma en pivert. Le fils de Picus était Faunus, à son tour père de Latinus, fondateur du peuple latin, ancêtre des Romains.
Déjà dans la mythologie indo-européenne, il était l'oiseau du feu et de la foudre, symbolisé par sa marque rouge et le fait que le son qu'il émet ressemble à celui du bois que l'on frotte pour allumer un feu.
Le taureau, déjà animal divin dans les religions orientales et dans les religions grecques (minoennes), a été utilisé, notamment à l'époque de la guerre sociale, comme symbole de la ligue samnite. Il est ainsi devenu un élément identitaire: sa seule représentation rappelle le peuple auquel il est lié.
Quant au loup, il était l'animal guide des Irpini et des Lucani, deux autres des peuples qui composaient la ligue osco-umbrienne. De plus, le loup, dans sa version féminine, ne peut que nous faire penser à Rome. Et la louve capitoline fait aussi partie de cette histoire, puisque c'est Picus qui l'a aidée à élever les jumeaux Romulus et Remus.
L'étroite relation entre le monde animal et le monde divin permet donc d'acquérir les éléments nécessaires pour comprendre la civilisation romaine et toutes ses particularités.
Le ver sacrum est une autre manifestation festive traditionnelle prouvant combien le monde antique était complexe et comment Rome a assimilé ces traditions issues des populations qui lui étaient voisines. Tous les peuples ont la conscience de leur propre identité et Rome, pour sa part,a absorbé toute la diversité de ses voisins, tout en la ré-élaborant selon ses propres principes de base. La connaissance des peuples italiques, par voie de conséquence, s'avère absolument fondamentale pour comprendre à fond ce que deviendra la ville, caput mundi.
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samedi, 14 septembre 2024
Interprétation métaphysique des mythes
Interprétation métaphysique des mythes
Eduard Alcántara
Source: https://septentrionis.wordpress.com/2019/09/22/interpretacion-metafisica-de-los-mitos/
On rencontre souvent des interprétations de mythes faites à partir de la littéralité de ce qu'on y lit. Une première lecture de ceux-ci y conduit indubitablement. Mais les mythes des différentes traditions sapientielles présentent différents degrés d'interprétation, chacun d'entre eux étant approprié au type d'homme qui y accède. Ceux qui connaissent l'ésotérisme qu'ils contiennent doivent s'efforcer de les interpréter en profondeur: dans une perspective métaphysique.
À titre d'exemple, nous avons, comme nous l'expliquent les Eddas, ce qui s'est passé entre Sigmund et Odin et l'intervention du dieu pour faciliter la mort du héros. Nous ne devrions pas, à cet égard, faire des réflexions qui appartiennent à un plan différent de celles que nous devrions faire sur les influences que la déesse Freya aurait pu avoir sur les décisions d'Odin... et ce plan devrait être le plan métaphysique et non le plan humain.
Au-delà des commentaires mondains sur les prétendues « calzonacerías » du dieu qui écoute ce que lui dit sa femme, nous devons nous élever à un niveau d'interprétation ésotérique et, par conséquent, nous n'avons pas moins à nous rappeler certains commentaires très justes qu'Enrique Ravello a faits il y a de nombreuses années sur la race solaire des Tuatha de Dannan, dont la tradition celtique nous parle dans « Le livre des invasions ». Nous avons été frappés par le fait qu'une race solaire ait le nom de « Dannan » associé à son ethnonyme, car ce terme nous semblait renvoyer à des divinités de type démétrique-chtonien-matriarcal.
Ravello a fait une comparaison très éclairante avec Shiva et Kali. Kali danse autour de son consort Shiva, symbolisant en réalité la shakti (énergie cosmique) qui, par son action, permet au Principe (Shiva - ou, selon l'approche, brahman) de passer de la puissance à l'acte (de s'actualiser) et donc de se manifester ; tout comme l'atman (la semence divine) peut s'actualiser dans l'homme différencié grâce à l'activation de ladite énergie (appelée, chez l'être humain, kundalini). Ainsi, Dannan serait l'équivalent de Kali (la shakti) et expliquerait de manière satisfaisante la conquête du divin (à partir de l'activation de la shakti-kundalini-Dannan) par cette race solaire (les Tuatha). Et, de la même manière, Freya symbolise (non pas sur un plan exotérique mais sur un plan ésotérique) cette shakti qui actualise Odin pour qu'il se manifeste et, sur le plan sensible de la réalité, prenne des décisions et agisse. C'est dans ce sens qu'il faut interpréter l'influence de Freya (ou de Héra) sur les décisions d'Odin (ou de Zeus).
Nous répétons que dans un environnement purement religieux et exotérique, les mythes seraient perçus d'un point de vue littéral, mais dans un environnement traditionnel, il serait inexcusable de ne pas percevoir l'arrière-plan principal des mythes, qui est de nature métaphysique et ésotérique.
Si, par exemple, Odin brise l'épée de Sigmund, nous devons y voir le reflet de la spiritualité traditionnelle, pour laquelle le monde des hommes et celui des dieux ne sont pas irrémédiablement séparés. Par leurs rites, les hommes peuvent interagir avec le monde nouménal (des dieux) et ce dernier, par ces rites, peut se manifester dans le monde sensible et, en outre, - dans le cas de l'initié - être un symbole - cette manifestation nouménale - des effets suprasensibles réels que l'homme, en conséquence de ses actes, peut éprouver dans son for intérieur. Nous comprendrons ainsi comment les dieux apparaissent dans l'Iliade s'affrontant sur le même champ de bataille où s'affrontent les armées achéenne et troyenne, et nous comprendrons aussi comment le héros Diomède attaque - au cours de cette guerre - Aphrodite et la blesse à la main, ou comment il blesse lui-même Arès au flanc d'un coup de lance et oblige le dieu qui saigne à se retirer dans l'Olympe.
Nous pourrions comprendre la confrontation entre Diomède et Arès comme celle du héros qui a atteint l'éveil au premier principe non manifesté et qui est donc au-dessus de la divinité d'Arès, qui, en tant que dieu, fait partie du monde manifesté (même s'il est subtil). On pourrait également interpréter qu'en blessant Arès, il blesse sa propre fureur, symbolisée par ce dernier, comprenant ainsi le déconditionnement des turbulences mentales que l'initié doit réaliser sur son chemin vers la conquête de l'Éternel et de l'Impérissable dans son propre être.
Dans les vers de l'Iliade, les dieux et les héros se côtoient et interagissent, comme un reflet fidèle de la proximité ontologique qui existait entre eux, et les dieux prennent l'un ou l'autre parti sur le champ de bataille. C'est une conséquence du fait que l'homme a été intérieurement transfiguré et est devenu un héros : il a réveillé, activé et actualisé la divinité dormante que nous portons tous en nous... il lui parle et regarde donc le dieu sur un pied d'égalité.
Du point de vue de la métaphysique, toute interprétation des mythes basée sur des critères rationalistes, psychologiques, moraux, bref, humains, est donc déplacée.
Eduard Alcántara
eduard_alcantara@hotmail.com
eduardalcantaracalatrava@gmail.com
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dimanche, 08 septembre 2024
La déesse-mère celtique Dana
La déesse-mère celtique Dana
Roberto Rosaspini Reynolds
Source: https://melmothlibros02.blogspot.com/2024/09/la-diosa-madre-celta-dana.html
La régente suprême et déesse-mère du panthéon celtique insulaire était la déesse Dana, Danu, Anna ou Anu pour les Irlandais Gaël, Donu (Scott Gaël) et Don (Brython et Welsh).
DANA, mère de tous les dieux et de tous les humains du TUATHA DE DANNAN, régnait sur le Pays des Morts (le Monde Souterrain) et les druides invoquaient sa protection lorsqu'ils devaient agir en tant que psychopompes (conducteurs des âmes des ports).
Avec son compagnon Bilé ou Beli, elle était la régente suprême des TUATHA DE DANNAN, mentionnés comme les Clans de la déesse Dana dans les manuscrits de Goidel, et Fils de Dón dans la littérature galloise.
Les DANANN viennent, selon la légende, de quatre grandes villes, probablement mythiques, dont aucune trace de l'emplacement original n'a été conservée : Falias, Murias, Gorias et Finlas, de chacune desquelles ils ont rapporté un trésor magique.
De Falias vient la LIA FAIL, ou « pierre du destin », qui aurait poussé un cri lorsque le véritable successeur au trône d'Irlande {pierre parlante} était en sa présence.
De Murias vient le chaudron de Dagda, en possession de la déesse Arianrod, et de Finlas la lance infaillible, propriété de Nuada, Celui à la Main d'Argent, et de Gorias l'épée invincible de Lugh, Celui au Long Bras.
Dana, Donu ou Dun (selon la branche celtique) était la mère de tous les dieux, ainsi que la déesse de la lune et, en tant que telle, elle gouvernait les marées, les saisons de pêche et les récoltes. Elle était la patronne des sorciers et des augures, et on lui érigeait des temples fréquentés par des bandruidh (druidesses), que les habitants des villes allaient consulter pour connaître leur avenir et leur prospérité.
Il régnait sur le pays des morts, et les druides devaient lui demander la permission de guider les âmes des défunts récents à travers les portes du sidh jusqu'à leur dernière demeure.
Son nom est passé dans la toponymie, comme dans les pics jumeaux du comté de Kerry, en Irlande, qui étaient connus sous le nom de Da Chich Danann (les seins de Dana) (photos).
Dans la tradition galloise, elle est également vénérée, sous le nom de Dôn, comme la mère de certains dieux et héros, tels que Gwyddyon, Amaethon et Arianrhod.
Bien qu'il n'y ait pas de preuves concluantes, certains auteurs médiévaux assimilent Dana aux déesses Morrigan (celtique écossaise, irlandaise et mannoise), Rhiannon (galloise) et Modron (britannique) et, par l'intermédiaire de cette dernière, à la fée Morgane des légendes arthuriennes.
D'autres chercheurs associent la déesse DANA ou ANNA à une divinité indo-européenne archaïque, connue en Inde sous le nom d'Anna Purna (Anna la pourvoyeuse).
Il a également été suggéré que, en tant que divinité maternelle, elle a été christianisée sous la figure de SAINTE ANNA, la mère de la Vierge Marie, convertie par les catholiques irlandais en une divinité tutélaire aux traits nettement celtiques.
Roberto Rosaspini Reynolds : LES CELTES. MAGIE, MYTHES ET TRADITION
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La Dame de la Tradition
La Dame de la Tradition
Je remercie du fond du cœur tous ceux qui ont commémoré le jour tragique du 20 août 2022 où ma fille Darya a été brutalement tuée par une terroriste ukrainienne.
Alexander Douguine
Source: https://alexanderdugin.substack.com/p/the-lady-of-tradition?publication_id=2827487&post_id=148424496&isFreemail=true&r=jgt70&triedRedirect=true
Chers amis !
Je remercie du fond du cœur tous ceux qui ont commémoré le jour tragique du 20 août 2022 où ma fille Darya a été brutalement tuée par une terroriste ukrainienne. Je remercie tous mes amis et les amis de Darya pour leurs condoléances et pour avoir partagé mon profond chagrin. Je vous remercie également d'avoir publié les différents livres écrits par Dasha ou dédiés à sa mémoire.
Dasha était avant tout une femme de la Tradition. Et la Tradition, pour elle, c'était tout : le sacré, la philosophie, la politique, la famille, l'amitié, le passé et l'avenir, l'éternité même...
Dasha était très directe dans sa fidélité à la Tradition. Jusqu'à sa mort brutale... Elle a été assassinée au retour du festival « Tradition » le 20 août 2022. Il ne peut s'agir d'une pure coïncidence. C'est le signe de Dieu.
Seul ce pour quoi les gens sont prêts à sacrifier leur vie possède une véritable valeur. La tradition est la valeur la plus élevée. Pour Darya. Pour moi, pour ma femme Natasha, pour ma famille, pour mon peuple. C'est ce qui fait de la patrie la patrie, du peuple le peuple, de l'Église l'Église, de la culture la culture.
Dasha était l'incarnation de la créativité, elle s'élançait vers l'avenir, elle vivait dans la foi et l'espoir. Elle ne regardait jamais que vers l'avant et vers le haut. À tort, elle l'a fait de manière trop abrupte, en ce qui concerne le « haut ». .... Mais son message vit parmi nous et devient de plus en plus distinct, recueilli, clair. Son message est une invitation à l'avenir russe et à un avenir véritablement européen. Un avenir qui doit encore être réalisé. Par vous, par nous.
Dasha s'est toujours considérée comme un projet, comme le lancement d'une volonté créatrice. Elle a brûlé de philosophie, de religion, de politique, de culture et d'art. Elle a vécu si richement, si pleinement, précisément parce qu'elle s'intéressait à tout. D'où la variété de ses intérêts, de ses textes, de ses discours, de sa créativité, de ses entreprises. De son vivant, elle souhaitait vivement que les Russes se mettent en marche, que notre pays et notre culture sortent de l'immobilisme et prennent leur envol.
Elle considérait que sa mission était de vivre pour la Russie et, si nécessaire, de mourir pour la Russie. C'est ce qu'elle a écrit dans son journal, « Les hauteurs et les marécages de mon cœur », que nous avons récemment publié en Russie. Le deuxième livre philosophique de Dasha, « Eschatological Optimism », sera bientôt publié en Russie. Il est formidable qu'il soit déjà publié en anglais. Dasha est rappelée et aimée dans le monde entier par ceux qui sont fidèles à la Tradition même dans les périodes les plus sombres, même lorsque la Tradition elle-même n'existe plus, par ceux qui restent fidèles à Dieu même lorsqu'il est mort.
Vivre pour la Russie est son message, qui doit être transmis encore et encore.
Nous avons de nombreux héros merveilleux, des guerriers, des défenseurs, des personnes à l'âme profonde et au cœur pur. Certains d'entre eux ont donné leur vie pour la patrie. Certains d'entre eux vivent aujourd'hui avec nous. La mémoire de chaque héros est sacrée. Il en va de même pour la mémoire de Dasha.
Mais le fait est que Dasha n'est pas seulement une patriote et une citoyenne modèle, elle est aussi porteuse d'un incroyable potentiel spirituel (même si elle n'a pas eu le temps de le déployer pleinement - elle a été tuée trop jeune, à 29 ans). Elle s'est efforcée d'incarner la grâce de la Russie impériale, le style de l'âge d'argent de la culture russe du début du 20ème siècle et était imprégnée d'un profond intérêt pour la philosophie du néoplatonisme. Orthodoxie et géopolitique russe. L'art moderne d'avant-garde - musique, théâtre, peinture, cinéma - et la compréhension tragique de l'ontologie de la guerre. L'acceptation sobre et aristocratiquement contenue de la crise fatale de la modernité et la volonté ardente de la surmonter. Tout cela est un optimisme eschatologique. Faire face au malheur et à l'horreur de la modernité et, malgré l'horreur, maintenir une foi rayonnante en Dieu, en sa miséricorde et en sa justice.
J'aimerais que le souvenir de Dasha ne se concentre pas tant sur les images de sa vie de jeune fille vive, charmante et pleine d'énergie pure, mais qu'il soit plutôt la continuation de son ardeur, la réalisation de ses projets, de ses rêves impériaux purs et clairvoyants.
Aujourd'hui, il est clair pour beaucoup que Dasha est objectivement devenue notre héroïne nationale. Des poèmes et des peintures, des cantates et des chansons, des films et des universités, des pièces et des productions théâtrales lui sont dédiés. Des rues de villes et de villages portent désormais son nom. Un monument est en cours de préparation pour être installé à Moscou et peut-être dans d'autres villes.
Une jeune fille qui n'avait jamais pris part aux hostilités, qui n'avait jamais appelé à la violence ou à l'agression, qui était profonde et souriante, naïve et bien éduquée, a été brutalement assassinée sous les yeux de son père par une ennemie sans cœur et sans pitié, une terroriste ukrainienne qui participait également au festival « Tradition » et n'a pas hésité à impliquer sa petite fille de 12 ans dans ce meurtre brutal. Ce sont les autorités de Kiev et les services secrets du monde anglo-saxon, ennemis acharnés de la Tradition, qui l'ont envoyée commettre cet acte. Il y a exactement un an, le 20 août 2022, j'ai donné une conférence sur le « rôle du diable dans l'histoire » au Festival de la Tradition. Dasha a écouté. Le meurtrier a également écouté. Le diable écoutait ce que je disais sur le diable, se préparant à faire son œuvre diabolique.
Et Dasha est certainement devenue immortelle. Notre nation ne pouvait rester indifférente à cela. Et ma tragédie, la tragédie de notre famille, des amis de Dasha, de tous ceux qui ont communiqué et collaboré avec elle, est devenue la tragédie de tout notre peuple. Et les larmes ont commencé à étouffer les gens, aussi bien ceux qui connaissaient notre fille que ceux qui entendent parler d'elle pour la première fois.
Et ce ne sont pas seulement des larmes de douleur et de chagrin. Ce sont les larmes de notre résurrection, de notre purification, de notre victoire à venir.
Dasha est devenue un symbole. Elle l'était déjà. Mais il est maintenant important que la signification essentielle de ce symbole ne disparaisse pas, ne se dissolve pas, ne s'évanouisse pas. Il est important non seulement de préserver la mémoire de Dasha, mais aussi de poursuivre son travail. Parce qu'elle avait une cause. Sa cause.
Il y a des saints qui aident dans certaines circonstances : l'un dans la pauvreté, l'autre dans la maladie, le troisième en pèlerinage, le quatrième en captivité. Des icônes russes individuelles sont également distribuées de manière à aider les personnes qui se trouvent dans des situations difficiles, parfois désespérées. L'une des images de la Mère de Dieu s'intitule « Apaise mes peines ». Et il y a un canon que l'on lit quand il devient impossible de vivre et que tout s'écroule.....
Les héros et les héroïnes sont également différents. L'un incarne la vaillance militaire. Une autre -- la tendresse sacrificielle. Le troisième -- la force d'âme. Quatrièmement, le summum de la volonté politique. Tous sont magnifiques.
Dasha incarne l'âme. L'âme russe.
S'il n'y a pas d'âme, il n'y aura pas de Russie, il n'y aura rien.
De nombreuses personnes de bonne volonté se sont portées volontaires pour porter la mémoire de Dasha.
Il y a l'« Institut populaire Daria Dugina ».
Il y a les « Classes de courage Daria Dugina ».
Il y a une nouvelle série de l'excellente maison d'édition Vladimir Dal, « Les livres de Dasha ».
Il existe divers prix et d'autres initiatives.
Et nous laissons les gens faire ce que leur cœur leur dicte.
L'important est de tout faire avec son âme.
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mercredi, 04 septembre 2024
Noix et pain dans les rayons de l'éternité
Noix et pain dans les rayons de l'éternité
Alexandre Douguine
Je félicite tout le peuple russe pour être le sauveur de la noix et du pain.
Le grain et la noix sont les deux plus grands symboles de la culture spirituelle. Le grain est un symbole fondamental de la vie, de la mort et de la résurrection. Nous, les Russes, nous appartenons à la civilisation du grain. Dans notre vision primordiale du monde, tout se réduit à l'épi. La terre est préparée pour la germination. La graine est semée. Elle est protégée. Elle est récoltée. Priée. Et enfin, elle est transformée en pain.
L'apogée du mystère du grain est la prosphora - pour la transsubstantiation dans le corps de Dieu. Dans la prière principale, le peuple-painier, le peuple-paysan, le peuple-chrétien demande du pain. Et le Sauveur nous donne du pain, pour que nous restions sur sa terre, nous donne le pain quotidien.
Le pain est l'objet principal des soins. Tout le cosmos tourne autour du grain. Les champs sont sanctifiés par le soleil et la lune, lavés par les eaux célestes, balayés par des vents puissants, recouverts par la neige et son froid brûlant. Au commencement était le pain. Et l'homme russe a uni son destin à celui du pain. Nous sommes le peuple du pain. Le peuple du troisième sauveur.
La noix est également d'une importance capitale. Elle aussi est une image du monde - le noyau et la coquille, l'intérieur et l'extérieur. À l'extérieur du corps, à l'intérieur de l'âme. Le corps lui-même ne vaut rien, ne signifie rien, n'est nécessaire à rien. C'est une coquille, un cocon flétri. Une noix devient une noix grâce à son cerneau. Nous appelons d'ailleurs la noix comestible, "cerneau". Il n'y a donc rien de plus sinistre qu'une coquille vide, que son bourdonnement assourdissant, qu'un corps sans âme, qu'un extérieur sans intérieur. Nietzsche formule un aphorisme cruel : toute noix vide veut être cassée. Chaque corps veut exposer son âme, mais combien monstrueux est le moment où de la chenille flétrie émerge non pas un papillon lumineux, mais un vide béant ou ... une nouvelle chenille. C'est ainsi qu'une coquille donne naissance à un vide ou à une autre coquille.
Quand on trouve la bonne noix, on trouve l'amande. Cela signifie que le cours de la vie était juste et qu'il avait un sens. Dieu nous en préserve, si c'était le contraire.
Dans l'iconographie et la peinture des temples, le Christ apparaît dans une mandorle, c'est-à-dire dans une forme ovale semblable à une amande. Un autre symbole de paix avec la pomme. Sur le pourtour de la noix du monde se trouvent des étoiles. Son noyau est Dieu lui-même. Il ressuscite, il revit, il sauve. C'est pourquoi on l'appelle la noix salvatrice.
Ce n'est pas par hasard que les Russes ont donné un double nom au troisième sauveur. Ils ont remarqué que la récolte du pain et celle des noisettes ne coïncident presque jamais. Elles alternent. Soit le sauveur des noisettes, soit le sauveur du pain. Ce sont les territoires de deux espaces symboliques : le champ cultivé et la forêt sauvage. Ce sont des zones de nature et de culture. Dieu est là et là aussi. Mais de manière différente. Le grain exige de l'homme russe toutes ses forces vitales. La noix pousse d'elle-même dans la forêt. Deux images du monde.
Три Спаса n'est pas un ouvrage sur l'agriculture. Il s'agit d'un bref cours de métaphysique chrétienne russe, dispensé dans l'église, la prière, le travail et la nature. Notre christianisme cosmique. Ses origines sont au-dessus du monde, au-delà. Mais les rayons de la Sainte Trinité imprègnent de part en part toute la chair de l'existence. Et l'Esprit Saint est partout. Il n'y a aucun point qui lui soit inaccessible, aucune zone qui échappe à son contrôle. Le miel, la pomme, le pain, la noix, la culture, l'histoire, la société, la politique, la vie, la mort, les éléments, la nature, les animaux et les outils de travail sont tous ouverts à Dieu et à sa présence. Si nous voulons sauver, nous devons sauver tout le monde et toutes les choses. Après tout, tout est créé par Dieu. Cela signifie que tout a un noyau secret. Le monde est avant tout une âme.
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mercredi, 28 août 2024
Les quatre paliers de l’Apocalypse
Les quatre paliers de l’Apocalypse
par Pierre-Emile Blairon
Partie I : Mise en place et accélération des étapes du déclin
Cet article sera édité en deux parties ; la première expose les quatre paliers historiques qui nous conduisent à l’Apocalypse, une « fin des temps » dans la religion chrétienne. Je passerai rapidement sur les trois premières phases, sujets largement développés dans mes articles précédents, publiés sur ce même site et, pour la plupart réunis en recueil dans mes derniers livres, et je m’attarderai sur celle qui est actuellement en cours, le quatrième palier donc, riche en péripéties jusqu’alors inédites dans l’Histoire du monde.
La deuxième partie de l’article, nous donne quelques pistes, pour le moins dérangeantes, je dirais plutôt : ahurissantes, établies par de très anciennes civilisations traditionnelles, en l’occurrence indienne, qui a su décrire, avec une précision qui laisse pantois, les terribles moments que nous sommes en train de vivre et, selon toute logique, qui vont voir arriver le cataclysme final. Et son retournement salvateur.
Première phase : 1789, anéantissement des valeurs traditionnelles
Dans le processus involutif rythmé par les divers paliers de putréfaction qui nous entraînent vers la fin apocalyptique de ce cycle, dans la période historique contemporaine, nous avons d’abord assisté à la destruction par les sectes mondialistes de toutes les valeurs traditionnelles et naturelles qui fondaient le socle des civilisation, première phase qui s’est déroulée en accéléré (après quelques siècles de préparation), dès la date symbolique et tragique de la sanglante et barbare Révolution française (1), avec un succès universel que n’espéraient pas aussi transposable (comme la Révolution bolchevique en premier lieu) les promoteurs de ce saccage.
Deuxième phase : 2020, tests de soumission et de réduction des populations, lobotomisation
La deuxième phase, placée sous le signe de la peur qui doit être inculquée aux masses pour les rendre malléables à souhait, a démarré en 2020 avec la mise en place des divers tests de soumission et de réduction des populations qui ont été initiés dans le cadre de la pseudo-pandémie et de l’inoculation des pseudo-vaccins ; cette phase n’a pas été couronnée par la même réussite que la première tout au moins en ce qui concerne la tentative de réduction des populations telle qu’elle figure dans les projets de la secte mondialiste, à peine déguisée : les dégâts provoqués par la mini-grippe ayant été minimes et ceux causés par les pseudo-vaccins se faisant encore attendre, bien que nous puissions quand même déjà enregistrer un nombre important de décès de personnes dont l’âge et la maladie ne correspondent à aucune norme scientifique.
Mais la grande réussite de cette phase a été la mise en place de l’ingénierie sociale, une manipulation psychologique des foules destinée à les soumettre à la première injonction, autrement dit la parfaite lobotomisation (ablation virtuelle du cerveau) des individus et donc leur soumission. Les Français ont été presque instantanément transformés en toutous : au café : prenez-le debout, non, assis, non, couché ; portez le masque, ne le portez plus, portez-le à nouveau ; à la plage : ne bronzez pas en position statique, donc couché, au contraire, marchez sans vous arrêter ; le soir, aboyez à 20 heures pour soutenir les soignants, ne les soutenez plus, n’aboyez plus, au contraire, mordez-les et jetez-les à la rue sans ressource, ce sont de mauvais citoyens ; pour vous soigner, prenez du Doliprane ou du Rivotril si vous pensez être sur le point de mourir…
Troisième phase : 2024, satanisation, Terreur
Dans l’agenda de nos fausses élites, agenda qu’elles ne cherchent même plus à dissimuler et qui se place sous le signe d’une accélération du processus involutif en 2024, une troisième phase a été révélée en pleine lumière, si l’on peut parler ainsi puisqu’il s’agit d’un culte rendant hommage à un personnage ambigu comportant deux faces d’apparence antagoniste d’une même médaille, Satan et Lucifer (le nom de ce dernier signifiant porteur de lumière) alors que Satan est le personnage sombre et maléfique que l’imagerie populaire nous transmet : il s’agit de la « satanisation » de toutes les manifestations rassemblant un public par définition déjà captif et faible puisqu’il s’adonne à l’idolâtrie ; deux événements mondiaux ont, cette année, été consacrés à la glorification du démon : l’Eurovision (qui, comme son nom ne l’indique pas, rassemble d’autres pays que les seuls européens) et les Jeux Olympiques. Cette satanisation concerne également la plupart des chanteurs et chanteuses connus mondialement qui auraient signé un « pacte avec le diable », selon les dires mêmes de certains de ces saltimbanques ; on sait les foules immenses que drainent chacune de leurs apparitions publiques qui s’apparentent à de grandes messes diaboliques ; il est ici judicieux de rappeler que l’Eurovision est entièrement dédié à leur promotion et que les J.O. ont permis à ces « idoles » de subjuguer (c’est le mot qui convient : de placer sous le joug) le public en les laissant pratiquer leur « art » pendant la majeure partie des cérémonies d’ouverture et de fermeture de ces J.O.
J’ai indiqué dans nombre de mes articles précédents (2) la probable genèse de ce culte à Satan qui trouverait, paradoxalement, ses origines dans les trois religions du Livre et qui a fait florès, par dévoiement ou réaction, au sein de la société américaine et de ses élites depuis l’arrivée des premiers pionniers anglo-saxons, les « pilgrims », rejetés d’Angleterre justement à cause de leur fanatisme biblique.
Il est difficile de comprendre comment et pourquoi des personnes qu’on suppose intelligentes (puisqu’elles sont « l’élite mondiale ») peuvent invoquer et magnifier le « diable », notion que les esprits rationnels considèrent comme une superstition de foules crédules ; il n’y a pas de réponse à cette question à moins de faire appel à des éléments de connaissance d’ordre surnaturel, ou de considérer plus prosaïquement que ces élites mettent en avant ce concept pour maintenir d’une manière constante, encore une fois, une peur irraisonnée au sein de ces masses ; à l’appui de cette dernière thèse, il suffit de songer que le premier palier de ce processus nocif a commencé avec la Révolution et que la période la plus représentative de cet événement qui a bouleversé la société française a été appelée la Terreur.
La Terreur : cette sauvage péripétie de notre Histoire, dont les Français auraient à rougir plutôt qu’à perpétuer la mémoire, a été rappelée avec une délectation malsaine et une mise en scène sanglante par les concepteurs de la cérémonie d’ouverture de ces J.O. 2024 avec la décapitation de la reine Marie-Antoinette sous les yeux d’un public apathique, si ce n’est ravi (3) ; cette foule ne se demandant jamais ce que venait faire la représentation de ces horreurs lors de la célébration d’un événement mondial propre à rassembler sereinement les peuples : la compétition pacifique et saine d’athlètes réunis dans le même amour du sport.
Quatrième phase : 2024- 20… ? Confusion, imposture, transgenrisme, la bête de l’événement
Un autre aspect, tout aussi étrange et saugrenu que cette satanisation, est apparu d’une manière récurrente dans ces manifestations mondiales, comme couplé avec la célébration du Malin.
Je veux parler du transgenrisme.
Il s’agit d’abord de créer une confusion générale dans l’esprit des masses, déjà considérablement perturbé et déficient, par la banalisation de l’imposture dans ce qu’elle a de plus extrême, dans le fait qu’elle porte atteinte à ce qu’il y a de plus naturel et habituel : l’identité sexuelle (4). En fait, l’imposture et Satan vont de pair : Satan est la représentation du mensonge (5) et l’imposture le paroxysme du mensonge puisque l’imposture ne se contente pas de mentir : elle met en place une pseudo-réalité de substitution procédant de la classique inversion des valeurs qui se produit à la fin d’un cycle.
Depuis plusieurs années, on assiste à une mise en scène théâtrale mettant en avant des personnes dites « transgenres » ; il s’agit d’hommes qui se travestissent en femmes, ou le contraire ; un rapport de la FRA (organisme de l’Union européenne pour les droits fondamentaux) du 9 décembre 2014 indique que « le terme « transgenre » est utilisé pour désigner les personnes dont l’identité de genre et/ou l’expression de genre diffère du sexe qui leur a été assigné à la naissance. Ce terme peut couvrir de nombreuses identités de genre. L’enquête a énuméré plusieurs sous-catégories : personnes transsexuelles, transgenres, travesties, ayant une variance de genre, homosexuelles ou ayant une identité de genre différente. »
On notera avec intérêt cette partie du texte : « qui leur a été assigné à la naissance » pour se demander logiquement « par qui » ce sexe leur a été assigné ? Réponse : d’abord par ses parents, ce qui serait un bon début d’explication, et, plus formellement, la plupart du temps par le personnel médical qui assiste à la naissance et qui arrive encore à distinguer un sexe masculin d’un sexe féminin sans demander une analyse ADN.
J’ai tenté d’en savoir plus, mais j’ai renoncé à entrer dans les méandres des divers statuts et appellations des personnes trans+, leurs problèmes, psychologiques, psychiatriques et sexuels, leurs opérations esthétiques diverses et nombreuses, l’absorption de multitude d’hormones remboursées par la Sécurité sociale, cette recherche pouvant m’entraîner à déployer un temps et une énergie qui me sont précieux pour un résultat somme toute inintéressant.
Même si cette étrange communauté constitue un pourcentage infime de la population (entre 1 et 3% en France), elle est hyper-représentée médiatiquement et s’insère dans cette quatrième phase comme un élément indispensable qui permet d’ajouter à la déstabilisation que la secte mondialiste s’efforce d’instaurer en permanence dans la société, d’autant plus que cette communauté LGBTQQIP2SAA (mais oui, ça vient de sortir, on n’arrête pas le progrès) est autorisée à faire du prosélytisme auprès d’enfants souvent très jeunes dans les écoles. Qui est qui ? Est-ce un homme ? Une femme ? Autre chose ? Questions cruciales que des enfants ne devraient jamais avoir à se poser. Et c’est pourtant là le but recherché par ce militantisme malsain.
Le monde entier, lors de ces deux grands événements médiatiques qu’ont été l’Eurovision et les Jeux Olympiques, a bien noté, en même temps que l’évocation insistante du démon et de ses symboles et attributs, la présence massive, sans jeu de mots, de ladite communauté précitée.
Cette phase 4 consiste à préparer l’apparition quasi-miraculeuse d’un mouvement de résistance, ou d’un personnage providentiel, qui, dans ses discours, promettra de faire cesser le chaos et d’organiser la restauration des valeurs traditionnelles ; ce sera encore un faux espoir car cette organisation, ou ce personnage, seront créés et manipulés par cette même caste mondialo-sataniste (6). Cette organisation, ou ce personnage, auront pour unique rôle d’attirer vers eux la sympathie, l’adhésion, voire l’adulation des foules toujours prêtes à s’enflammer pour ceux qui leur promettent monts et merveilles : puissance du verbe et de l’apparence ! Cet avènement, la bête de l’événement, comme disait Macron qui pouvait prophétiser sans se donner trop de mal, sera le coup de grâce donné à toute autre tentative de résurgence d’un ordre souverain.
Ce sera une nouvelle épreuve pour ceux, peu nombreux, qui avaient réussi à garder un esprit lucide, une colonne vertébrale et un minimum de bon sens et qui verront avec tristesse leurs congénères tomber (à nouveau) dans le piège grossier qui leur sera tendu.
* * *
Les quatre paliers de l’Apocalypse
Partie II : Fin de cycle ? Fin du monde ? Apocalypse ?
Fin de cycle ? Fin du monde ? Apocalypse ? Antéchrist ?
En ce qui concerne l’apparition hypothétique de ce « Sauveur », que les traditions religieuses appellent aussi faux Messie ou Antichrist, ou Antéchrist, qui reste, quelle que soit sa dénomination, un imposteur, il s’agit d’une éventualité qui n’est évidemment pas une invention de mon cerveau exalté ; je ne vais pas jouer au prophète inspiré, comme Macron, qui connaît, semble-t-il, tous les détails du plan élaboré par l’Organisation qui l’a mis à la place qu’il occupe.
L’apparition de ce personnage faussement providentiel est attestée dans les livres sacrés des religions monothéistes lorsque viendra la fin des temps, ou l’Apocalypse, chez les chrétiens, mais aussi dans la plupart des traditions anciennes, mais aussi dans les témoignages et les prédictions de nombre de visionnaires.
Nous allons faire un rapide survol des éléments dont nous avons connaissance.
L’apparition du monothéisme juif, suivi du christianisme et de l’islam, a entraîné une conception du temps différente de celle des antiques civilisations; pour entrer dans la logique d’un dieu révélé qui aurait élu le peuple juif, il fallait qu’il y ait un début et une fin (de préférence heureuse) à cette élection réciproquement partagée, il fallait donc adopter le concept d’un temps linéaire, concept artificiel qui amènerait celui d’évolution et de progrès (du pire au meilleur).
Pour les traditions anciennes qui se référaient à la nature et à son fonctionnement, le temps était logiquement cyclique (les astres, les saisons, les jours, les arbres et leurs feuilles, toutes les manifestations naturelles naissent, meurent et reviennent en permanence) et son déroulement était involutif (du meilleur au pire), les choses de la vie naturelle sur Terre allant toujours en se dégradant jusqu’à la mort et non pas en s’améliorant (on ne naît pas vieux décrépi pour finir jeune et beau en parfaite forme).
C’est ainsi que les Indo-Européens (Grecs, Italiques, Iraniens, Indiens, Celtes, Nordiques, Slaves, Arméniens) ont établi des mesures de ce cycle divisé en quatre périodes appelées âges, donc du meilleur au pire : Âge d’or, d’argent, de bronze, de fer ; le cycle auquel nous appartenons aurait duré 64800 ans et nous nous situons à la fin de la fin du dernier âge, l’Âge de fer, connu également sous sa dénomination indienne: Kali-yuga, ou nordique: Ragnarök.
Comment savons-nous que nous sommes exactement à la fin de notre cycle?
Tout simplement parce que les livres sacrés des anciennes civilisations ont décrit la façon dont se terminent tous les cycles et cette façon est peu ou prou identique à chaque fin de cycle. D’autre part, les religions du Livre ont repris certains éléments de ces anciennes traditions.
Un exemple ? La fin des Assours
L’indianiste Alain Daniélou (7) nous rapporte un extrait des Puranas, livres sacrés indous où il est question d’une guerre entre les dieux Vishnu et Shiva; Vishnu, pour détruire le peuple des Assours, a l’idée de créer un personnage pervers appelé Arihat qui sera un imposteur : « Le faux sage s’approcha du dieu et lui demanda : quel est mon nom ? Que dois-je faire ? Vishnu dit : ton nom sera Arihat (destructeur de gens pieux). Tu dois composer un pseudo-livre saint de 1600 versets en langage populaire condamnant les castes et les devoirs des divers âges de la vie. Tu seras doué du pouvoir de faire quelques miracles. La base de ton enseignement sera: le ciel et l’enfer n’existent que dans cette vie et tu enseigneras cette doctrine aux Assours de façon qu’ils puissent être détruits. »
On ne peut s’empêcher de penser à une approximative figure du Christ, ou du Bouddha, représentée par cet Arihat l’imposteur. Arihat, prônant l’égalitarisme et la non-violence, parvint à ses fins: le déclin des Assours.
Ce déclin se manifeste de différentes façons ; c’est dans le détail de ce curieux inventaire que l’on va retrouver quelques aspects de notre vie de tous les jours:
- Le nombre des princes et des agriculteurs décline graduellement.
- Les classes ouvrières veulent s’attribuer le pouvoir royal et partager le savoir, les repas et les lits des anciens princes.
- La plupart des nouveaux chefs est d’origine ouvrière. Ils pourchassent les prêtres et les tenants du savoir.
- On tuera les fœtus dans le ventre de leur mère et on assassinera les héros.
- Des voleurs deviendront des rois, les rois seront des voleurs.
- Les dirigeants confisqueront la propriété et en feront un mauvais usage.
- Ils cesseront de protéger le peuple.
- De la nourriture déjà cuite sera mise en vente.
- Le nombre des vaches diminuera.
- Des groupes de bandits s’organiseront dans les villes et les campagnes.
- Les commerçants feront des opérations malhonnêtes.
- Ils seront entourés de faux philosophes prétentieux.
- Tout le monde emploiera des mots durs et grossiers
- On ne pourra se fier à personne.
- Les gens du Kali-Yuga prétendront ignorer les différences de race et le caractère sacré du mariage, la relation de maître à élève, l’importance des rites.
- Les agriculteurs abandonneront leurs travaux de labours et de moisson pour devenir des ouvriers non-spécialisés et prendront les mœurs des hors-castes.
- L’eau manquera et les fruits seront peu abondants.
- Beaucoup seront vêtus de haillons, sans travail, dormant par terre, vivant comme des miséreux.
- Les gens croiront en des théories illusoires.
Le Dieu Shiva, voyant cette décadence, « lança contre elle son arme la plus terrible, une arme de feu qui, en un instant, brûlait tout, détruisait toute vie […] Seuls furent sauvés quelques fidèles de Shiva qui s’étaient échappés dans la région où vivent les Gana (les compagnons de Shiva), c’est-à-dire le monde Mahar ou monde extra-planétaire. Ce sont ces rescapés qui ont préservé en secret certains éléments du savoir des Assours pour les humanités futures ».
Où l’on voit, avec ces dernières lignes, que les cycles se terminent tous de la même façon.
Une minorité lucide et volontaire subsiste après le cataclysme; elle a pris soin de rassembler les éléments positifs qui constituent le meilleur de leur Humanité et traverse, avec son bagage sur le dos, le gué qui la mène vers l’inconnu.
C’est grâce à eux, à ces hommes et ces femmes de savoir, ces êtres éveillés, que le nouveau cycle peut démarrer sur les bases de l’ancien. Les racines étant préservées, un nouvel arbre peut dès lors s’épanouir et fleurir. Nous remarquerons que ces survivants sont amenés à se réfugier sur une autre planète, chez les Gana.
L’un de ces textes sacrés, le Lingä Purânä, comporte des prédictions qui se rapportent non plus à l’Humanité dans laquelle vivaient les Assours il y a plus de soixante mille ans, mais à la nôtre ; nous allons alors retrouver la thèse développée par Nostradamus, celle d’un Grand Justicier, le Grand Monarque, qui vient faire une guerre totale aux « méchants » ; dans ce cas, la catastrophe finale n’est plus seulement d’ordre cataclysmique mais se rapporte directement à l’attitude des hommes qui provoquent cette catastrophe. Il s’y ajoute alors une raison d’ordre moral qui fait que la catastrophe devient une opération de purification. « Durant la période de crépuscule qui termine le Yugä, le justicier viendra et tuera les méchants. Il sera né de la dynastie de la Lune. Son nom est Guerre (Samiti). Il errera sur toute la terre avec une vaste armée. Il détruira les Mlécchä (les Barbares de l’Occident) par milliers. Il détruira les gens de basse caste qui se sont saisis du pouvoir royal et exterminera les faux philosophes, les criminels et les gens de sang mêlé. Il commencera sa campagne dans sa trente-deuxième année et continuera pendant vingt ans. »
Il y a dans ce texte, que j’ai fait paraître dans mon premier livre il y a 18 ans (8), l’intégralité de ce qui se passe actuellement et de ce qui pourrait arriver :
- Arihat est le faux messie, l’antéchrist ou l’antichrist de la Bible ; celui-là même que la secte mondialiste a l’intention de nous proposer comme « guide suprême ».
- Le détail de toutes les avanies que cette même secte nous fait subir ; si vous transposez le langage ancien décrivant l’Inde de cette période lointaine dans notre période actuelle, vous constaterez que nous sommes en train de vivre presque toutes ces mésaventures, avec – petit retour en arrière - plusieurs références à ce qui s’est passé pendant la Révolution qui est à l’origine de ce désastre.
- Une guerre atomique éclate ensuite qui détruit la presque totalité de l’espèce humaine ne laissant en vie que quelques personnes, ces « êtres différenciés » debout au milieu des ruines chers à Julius Evola, qui vont pouvoir redémarrer le nouveau cycle.
Donc, voilà, tout y est ; il n’y a rien de nouveau sous le soleil, le monde est en perpétuel recommencement.
Nous pouvons remarquer que nous sommes un peu plus concernés par ce qui s’est passé à la fin du cycle précédent, il y a 64.800 ans, que par les prédictions concernant celui que nous vivons, à savoir l’apparition d’un justicier (la parousie, le retour du Christ, le Grand Monarque ?) qui anéantira les satanistes, pour simplifier.
Jean Phaure, primordialiste (9) chrétien, (1928-2002) annonçait en 1974 la fin des temps pour... 2030 !
Jean Phaure écrivait ces mots bouleversants en 1973: « Douloureux honneur que d’appartenir à une Humanité finissante qui ne sait pas sa fin prochaine, qui ne veut pas le savoir, - et de le dire pourtant, car il faut qu’en cette époque certaines choses soient dites, aussi inconfortables soient-elles. Dans le demi-siècle à venir, les événements les plus brutaux, les plus inconcevables , à la fois maléfiques et bénéfiques, vont éclater – et ce n’est qu’alors que la plupart s’apercevront que certains les avaient prévus. Car cette Humanité est sourde et aveugle, et son réveil sera sanglant (10)... »
Selon la tradition shivaïte, notre grand cycle d’Humanité, que les Hindous appellent Manvantara est le septième sur Terre; la première Humanité est née il y a plus de 400.000 ans.
Notre Manvantara, dont nous pourrions voir la fin rapidement, s’est étendu sur 64.800 ans, nombre qui correspond à: 2,5 cycles précessionnels de 25.920 ans, 5 « grandes années » de 12.960 ans, 30 « Ères » zodiacales de 2160 ans (11).
Avant d’entrer dans l’Ère du Verseau, nous sortons de l’Ère des Poissons, caractérisée par la prédominance du christianisme suite à la descente de l’avatar Christ. Dans la tradition hindouiste, un avatar est la descente d’un dieu ou d’un représentant de Dieu qui s’incarne pour rétablir l’ordre et sauver le monde à chaque ère zodiacale.
Notre Humanité a donc connu au moins 30 avatars, mais sûrement plus, car il peut y avoir apparition de plusieurs avatars pour chaque début d’ère zodiacale, qui ont à peu près tous le même profil: fils de Dieu, ou d’un dieu, et d’une mortelle vierge, venus combattre le démon, ou les démons, guérisseurs et initiateurs, périssant en sacrifice avant de remonter vers le Père (voir, par exemple, la figure d’Héraklès ou celle de Mithra). Pour Jean Phaure, le Christ a ceci de différent, et de spirituellement supérieur, d’avec ses prédécesseurs, c’est qu’il arrive à la fin du grand cycle, du Manvantara, pour le clôturer dans l’Apocalypse, la gloire de la Révélation et la parousie qui est le second avènement du Christ (p. 248).
Cette fin apocalyptique pourrait survenir dans un délai très court à l’heure où nous écrivons car Jean Phaure, reprenant un texte sacré hindou, précise qu’elle pourrait se situer en... 2030.
« C’est donc la grande Tribulation de l’Antéchrist qui représente le terme de la cyclologie adamique, le renversement total de l’âge d’Or primordial, et la fin du Cycle proprement dit. Une tradition hindoue situe cette « fin » (fin du Kali-Yuga) en 2030. Nicolas de Cuse (1401-1464) « tombe » sur la même date! […] Quelle que soit l’importance des traditions que nous venons d’évoquer, ce n’est évidemment qu’à titre d’hypothèse de travail que nous faisons état de cette datation (2030), qui nous semble cependant prêter à l’échelonnement des événements de la Fin un cadre chronologique de grande vraisemblance».
Comment être du bon côté du manche
Je voudrais terminer sur une note optimiste (si c’est possible dans ce contexte), à savoir que je lis ce matin même, 20 août 2024, sur le site canadien nouveaumonde.ca (12), que « Selon un décret signé par le président Vladimir Poutine, Moscou fournira une assistance à tous les étrangers qui souhaitent échapper aux idéaux néolibéraux mis en avant dans leur pays et s’installer en Russie, où les valeurs traditionnelles règnent en maître.
En vertu de ce document, ces ressortissants étrangers auront le droit de demander une résidence temporaire en Russie « en dehors du quota approuvé par le gouvernement russe et sans fournir de documents confirmant leur connaissance de la langue russe, de l’histoire russe et des lois fondamentales ».
Les demandes peuvent être fondées sur le rejet des politiques de leurs pays « visant à imposer aux gens des idéaux néolibéraux destructeurs, qui vont à l’encontre des valeurs spirituelles et morales traditionnelles de la Russie ».
Cela peut toujours servir, à défaut de pouvoir vous réfugier sur une autre planète comme l’ont fait les derniers survivants des Assours…
Pierre-Emile Blairon
- (1) Victor Hugo avait déjà perçu en son temps la Révolution française comme une étape constitutive de ce singulier satanisme qui resurgirait à la fin de notre cycle, dans son œuvre inachevé : La Fin de Satan.
- (2) Notamment dans La France, laboratoire de la secte mondialiste, octobre 2023.
- (3) Preuve, s’il en fallait, que l’opération d’ingénierie sociale évoquée dans la deuxième phase a parfaitement fonctionné.
- (4) Système XY de détermination sexuelle : « Il est fondé sur la présence de chromosomes sexuels différents entre les différents individus de l'espèce. Ainsi, les mâles possèdent un chromosome X et un chromosome Y, alors que les femelles possèdent deux chromosomes X. Le sexe hétérogamétique (possédant donc deux chromosomes sexuels différents) est donc le sexe mâle » (Wikipedia). La polémique qui a été créée aux J.O. 2024 à propos d’une personne de nationalité algérienne qui a gagné la finale de boxe féminine n’avait pas lieu d’être ; cette polémique est née du fait que le C.I.O a avancé pour toute justification que cette personne possédait un passeport indiquant son sexe féminin comme critère de son statut, alors que les fédérations de boxe le contestent. Il est évident qu’une mention sur un passeport n’est pas une preuve suffisante. Il faut recourir à une analyse du génotype contenu dans une cellule d’ADN qui indiquera sans le moindre doute le genre de l’individu.
- (5) C’est encore Victor Hugo qui écrivait dans Les Misérables: « Mentir, c’est la face même du démon ; Satan a deux noms : il s’appelle Satan et il s’appelle Mensonge. »
- (6) Il y a une constante : la secte mondialo-sataniste procède toujours par test, c’est dans son ADN, puisque ce « sauveur » qu’elle semble vouloir mettre en place n’est rien d’autre que la répétition préalable à l’avènement de la vraie Bête chère à leur cœurs (façon de parler, ces gens n’ont pas de cœur) ; a priori, l’apparition récente du RN en force dans l’Assemblée nationale et de son jeune représentant ne semblent pas devoir être assimilés à ce projet, le RN se cantonnant pour l’instant dans un silence prudent.
- (7) Le Destin du monde selon la tradition shivaïte, première partie : la théorie des cycles, p. 21 à 40. Albin Michel, 1985
- (8) La Dame en signe blanc, 2006.
- (9) Primordialiste, ou traditioniste : qui se réclame de la Tradition primordiale, laquelle peut se définir par quelques caractéristiques fondamentales, à savoir : la cyclologie : le temps se déroule par cycles (il n’est pas linéaire), en involution (il n’est pas évolutionniste, ou progressiste), la fin d’un cycle est marqué par l’inversion des vraies valeurs qui fondent les civilisations, la Tradition primordiale implique que toutes les religions, civilisations ou spiritualités proviennent d’une source unique, une civilisation primordiale de caractère à la fois solaire (Apollon) et polaire (Hyperborée), qui a ensuite répandu sa connaissance à travers le monde ; pour l’ésotérisme chrétien, le Christ est d’essence apollinienne.
- (10) Le Cycle de l’Humanité adamique, introduction à l’étude de la cyclologie traditionnelle et de la fin des temps, p. 503, Dervy, 1973.
- (11) Ibid. p. 240 et 509.
- (12) https://nouveau-monde.ca/la-russie-offre-un-refuge-aux-pe...
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samedi, 24 août 2024
Tradition et modernité. Au commencement était le sang...
Tradition et modernité. Au commencement était le sang...
par Emiliano Calemma
Source: https://www.destra.it/home/tradizione-e-modernita-in-principio-era-il-sangue/
Il est étonnant de voir comment la plupart des partisans de l'idéologie dominante parviennent à subvertir la réalité des faits avec une simple déclaration, un court écrit, une vidéo stupide de quelques secondes. Mais il y a une explication : des décennies de propagande, assénée par les vainqueurs, ont enterré des décennies de silence observé par les vaincus. Et les torts sont partagés, à parts égales.
Au commencement était le sang: c'est la grande vérité qui a disparu de tous les livres, de toutes les télévisions, de l'esprit de la soi-disant majorité démocratique. Au commencement était le sang, entendu comme l'union des valeurs fondatrices: la terre, le peuple, la tradition. La principale composante de la nouvelle idéologie est précisément la rupture du lien entre le sang, la terre, le peuple et la tradition.
Avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, le sang, la terre, le peuple et la tradition signifiaient l'appartenance, ils représentaient des éléments inséparables qui formaient un concept immuable de patrie. L'homme était prêt à mourir. Et il était prêt à le faire sur la base d'éléments tangibles et millénaires.
Puis vint l'issue du conflit que nous connaissons si bien et tout se transforma en concepts abstraits. En explications absurdes qui renversent l'ordre naturel des choses et nient même la réalité biologique. « Personne ne peut décider de ce que nous nous sentons être » ou “la diversité est une force”, tels sont les mantras d'aujourd'hui.
Le chef-d'œuvre a été de tout transformer en idées abstraites, détachées de la réalité, qui peuvent être transformées à volonté ou modifiées selon les besoins. Le concept semble compliqué, mais il ne l'est pas : s'il faut changer une montagne, ce sera pratiquement impossible ; mais s'il faut changer une idée, ce sera plus simple. Si tout est totalement déconnecté de la réalité, tout sera toujours modifiable en fonction des besoins.
Pour les politiciens et les influenceurs à la solde de l'idéologie, tout est abstrait : ils prennent la vie des gens et la manipulent pour en faire une culture du mélange basée sur des concepts qui n'ont rien de réel. Ce qui est blanc est blanc, ce qui est noir est noir. Ce qui est homme est homme et ce qui est femme est femme, disait-on, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Aujourd'hui, tout est nuance, tout est « je suis ce que je veux », tout est dysmorphisme aberrant.
La terre est une idée et les frontières disparaissent. Le peuple devient une idée et efface les cultures et les nationalités. La tradition se transforme en idée et des cultures alternatives basées sur les caprices de quelques-uns voient le jour.
Et le signe le plus distinctif de cette folie générale, où rien n'a de substance et où toutes les formes sont en constante mutation, est le fait que ceux qui croient encore à la terre, au peuple et à la tradition peuvent, d'une certaine manière, être aidés par les hommes politiques qui sont censés les représenter. C'est un autre aspect de cette lecture sociale complexe.
Dans ce tourbillon constant de politiciens, de partis et de leurs slogans, le gagnant est toujours le système. Un système fluide qui a en son centre l'inamovible dieu argent, et tout autour une pléthore de galaxies formées par des groupes plus ou moins influents qui œuvrent pour que l'idéal métamorphique abstrait l'emporte sur les piliers de la tradition.
« Tout sera nié. Tout deviendra un credo. C'est une attitude raisonnable que de nier l'existence des pierres sur la route ; ce sera un dogme religieux que de l'affirmer. C'est une thèse rationnelle de penser que nous vivons tous dans un rêve ; ce sera un exemple de sagesse mystique d'affirmer que nous sommes tous éveillés. Nous allumerons des feux pour témoigner que deux et deux font quatre. Nous tirerons l'épée pour prouver que les feuilles sont vertes en été. Nous défendrons non seulement les incroyables vertus et sagesses de la vie humaine, mais aussi quelque chose d'encore plus incroyable : cet univers immense et impossible qui nous regarde droit dans les yeux. Nous nous battrons pour les merveilles visibles comme si elles étaient invisibles. Nous regarderons l'herbe et les cieux impossibles avec un étrange courage. Nous ferons partie de ceux qui ont vu et qui ont cru ». (Gilbert Keith Chesterton).
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jeudi, 15 août 2024
Pound au Milieu
Pound au Milieu
Laurent James
Parmi les écrivains de génie du siècle écoulé, il s’en est trouvé certains qui ont bien vu, et même prophétisé l’importance grandissante de la Chine, et surtout sa prépondérance à venir sur la civilisation européenne en déliquescence complète et irréversible. C’est le nom de Céline qui survient en premier, notamment grâce aux pages de Rigodon évoquant la future absorption des peuples blancs par la vague jaune. « Dans un demi-siècle, peut-être avant, la France sera jaune, noire sur les bords… ». Par ailleurs, ses lignes sur l’arrivée des Chinois à Brest (« Ces gens qui n’ont jamais mangé se rempliront de crêpes ») sont à la fois l’écho de la fameuse transe vocale célinienne à l’ambassade d’Allemagne en février 44, racontée par Benoist-Méchin (« Derrière Staline il y a encore la Chine. Le seul pays du monde qui possède à la fois le nombre et un sang dominant. Il finira par déferler sur nous et nous engloutira tous, comme une poignée de larves blanchies à l’eau de Javel ! »), et le prodrome de La France de Jean Yanne par Dominique de Roux, prodigieux recueil d’aphorismes flamboyants tournant autour du film d’anticipation – car tout le monde sait désormais que c’est comme ça qu’il faut le voir – Les Chinois à Paris.
« La Chine flotte dans l’air. C’est l’étendard du Vide ».
Il y a aussi le cas très singulier de Raymond Abellio, sans doute le plus grand connaisseur français du Yi King… Alors que Céline pensait que les Chinois n’iraient pas plus loin que Cognac, après s’être imbibés dans les caves, « tout saouls, heureux… […] de ces profondeurs pétillantes que plus rien existe… », Abellio écrivait dans La Fosse de Babel que la future invasion de nos contrées par la Chine aurait un but bien plus énigmatique, relatif à l’essence hautement spirituelle de ses destinées ultérieures, puisque si la Chine Rouge submergeait un jour notre continent, ce serait « pour y chercher Dieu » …
Formidable prophétie, d’une profondeur dialectique inouïe… Toutes proportions élargies à dessein, la France étant une projection affine de l’Europe à la fois sur les plans géographique et historique, je vois dans cette destinée – la fertilisation de Confucius par le Saint-Esprit – un parallèle avec celle des Francs qui vinrent jadis puiser chez nos ancêtres la foi chrétienne trinitaire.
Mais le membre de cette famille d’écrivains qui s’est révélé être le plus définitivement convaincu de l’importance principielle et eschatologique de la Chine, au point d’en maîtriser singulièrement la langue et les signes, c’est bien Ezra Pound.
John Tytell nous apprend dans sa biographie que Pound, installé chez Yeats, dévorait les écrits de Confucius dès l’hiver 1914, se basant notamment sur les travaux de l’orientaliste Ernest Fenollosa – lui-même converti au bouddhisme Tendai au sein du temple Mii-dera, si cher à mes yeux de pèlerin du lac Biwa... Pound commencera d’ailleurs à rédiger ses premiers Cantos l’année suivante. Maître Kung apparaît dès le Canto XIII, professant à ses disciples l’ordre et l’harmonie, et le principe fondamental du juste milieu comme éthique de vie.
And he said
“Anyone can run to excesses,
It is easy to shoot past the mark,
It is hard to stand firm in the middle”
Les Cantos seront par la suite profondément imprégnés de pensée confucéenne, l’un des plus impressionnants restant le Canto Pisan LXXVII (agrémenté de sa vertigineuse Explication).
« Chung
in the middle
whether upright or horizontal »
Il faut bien voir qu’en réalité, c’est la structure même des Cantos qui est idéogrammatique. La distribution des segments de phrases, en langues anglaise, française, grecque, provençale, chinoise, italienne, allemande ou latine, est établie autour d’espaces typographiques aussi vides que le vent, la page elle-même formant dans son ensemble un symbole graphique prodiguant un sens supplémentaire aux mots en tant que tels. On ne le souligne peut-être pas suffisamment: il faut tenir le volume des Cantos à bout de bras jusqu’à ce que la visualisation d’un idéogramme en trois dimensions se forme devant nos yeux, un peu sur le principe dalinien de Gala nue regardant la mer qui à 18 mètres laisse apparaître le président Lincoln. Chaque Canto est un vortex de fécondité, c’est-à-dire – selon les termes mêmes de Pound – une indivisible source à la fois oscillante et absolue, puisant son énergie vitale dans sa maturité convexe ; un poème formellement futuriste, voire khlebnikovien, mais transfiguré par une vision joycienne de l’univers.
Je relis chaque année La Kulture en Abrégé depuis l’âge de mes quinze ans. Je prends toujours un plaisir inouï à revêtir les atours de ce « contradicteur imaginaire » reprochant à Pound de s’en prendre aussi violemment à la pensée grecque, au bénéfice exclusif de la métaphysique chinoise. « Comparés à une œuvre authentique telle que le Ta Hio, les tergiversations et les atermoiements d’Aristote relèvent de la trahison. S’il vivait à notre époque, ce type écrirait de la merde pour les doublures de théâtre ». Un peu plus loin : « Kung est supérieur à Aristote grâce à son intuition totalitaire ». Et puis : « Bon, Arry Stot prêche la doctrine du milieu. Kung, pour sa part, parle du ferme, de l’inamovible milieu. Et sans avoir recours à cet épouvantable salmigondis de chiendent et de termes vagues ».
Je mis du temps à comprendre que la nature du juste milieu prêchée par Arry différait singulièrement de celle prêchée par Kung. La tempérance du Logos apollinien n’est pas comparable avec « l’ontologie des souffles se développant dans la sphère médiane entre le Yang et le Yin », comme l’écrit Alexandre Douguine dans un texte très éclairant sur « la noologie de l’ancienne tradition chinoise » - identifiant le Centre chinois avec la phénoménologie heideggerienne, et allant jusqu’à affirmer que « Le Dasein jaune n’est pas seulement dormant, mais exclut la possibilité même d’un éveil. L’éveil est conçu non comme une alternative au sommeil, mais comme une transition vers un autre rêve ». Voilà qui permet de jeter aux chiottes toute la terminologie bourgeoise et occidentale d’un Alain Peyrefitte…
Car c’est bien parce que la Chine dort qu’elle pilera l’Occident.
La Nouvelle Étude poundienne, sa Paideuma éminemment totalitaire, est entièrement placée sous l’égide de l’idéogramme du mortier. « Ce qui signifie que le savoir doit être broyé, moulu, réduit en poudre fine ». Dans son Anthologie classique définie par Confucius (traduction par Auxeméry en français de la traduction poundienne en américain des 305 poèmes du Shijing, publiée par Pierre-Guillaume de Roux en 2019), Pound utilise le terme de bonifica pour désigner « l’agriculture au cordeau » recommandée par Maître Kung. Or, c’est ainsi que les italiens désignaient en 1928 la mise en œuvre administrative de l’assèchement des Marais Pontins… Car il y a un fait indubitable : « Le Duce et Kung fu tseu ont compris l’un et l’autre que leurs peuples ont besoin de poésie : que l’éducation ne se fait PAS à partir de la prose, qui n’en est que l’enceinte extérieure. […] La poésie est totalitaire, comparée à n’importe quel texte en prose » (La Kulture en Abrégé, 22). Et c’est la raison pour laquelle Mussolini est « un grand homme, ce que démontre amplement la manière dont il influe sur le cours des événements, mais que révèle aussi dans l’intimité sa vivacité d’esprit, la vitesse avec laquelle ses émotions se peignent sur son visage » (id., 15).
Contrairement à Jean Parvulesco qui, à la suite de Guido Gianettini, pressentait dans la Chine non-chinoise – la Chine mongole, ouralo-altaïque, la Chine mandchoue des Qing – une alliée potentielle de la race indo-européenne pour la formation d’un axe grand-continental eurasiatique révolutionnaire Paris-Berlin-Moscou-New Delhi-Tôkyô, Ezra Pound voyait dans l’altérité radicale de la Chine chinoise – la Chine des Han et des profondeurs abyssales du Pacifique, la Chine lémurienne aurait dit Jean Phaure – un exemple à suivre pour vorticiser notre propre civilisation avilie par l’usure, et la replacer dans le règne de la Voie sous le ciel. Et, sur ce point, c’est très probablement Pound qui avait vu juste, en termes de prophétie historique.
La raison de la prescience de Pound est révélée dans le petit ouvrage de Dominique de Roux titré Le Gravier des vies perdues, et dont voici le dernier paragraphe :
« Ezra Pound est le représentant du ciel sur la terre.
Représentant du ciel, tel était dans les traités de poétique chinoise des Tang, cette fonction qui se caractérisait par de la douceur, de la violence et le sens de l’oubli. D’ailleurs, à l’âge des dieux, l’oméga des Cantos rejoint l’alpha du premier vers, retour à la parole originelle qui a maintenu le monde suspendu au-dessus du néant et de son devenir qui jusqu’à la fin veilleront sur les personnes, sur leur histoire ».
Oui, Ezra Pound est bien ce Wang ou Roi-Pontife, cet Homme Universel, terme médian de la Grande Triade envisagé dans sa fonction de médiateur, cet Empereur-Jaune engendreur de Dragons et incarnant la quintessence des rêves.
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mercredi, 14 août 2024
Abellio Tao
Abellio Tao
par Laurent James
« Nous creusons la fosse de Babel » - Franz Kafka, Cahiers divers et feuilles volantes
Publié en 1953, Assomption de l’Europe est un ouvrage essentiel de Raymond Abellio. Il s’agit d’une analyse structurelle complète de la morphologie historique de l’Europe, et des raisons de sa transformation en Occident.
Abellio y explicite sa vision de l’ontogenèse des civilisations, précisant qu’elle est tout à fait similaire à celle des individus.
Il assigne cinq instants clefs à la vie d’une civilisation, à savoir : la conception, la naissance, le baptême, la communion et la mort, fondant ainsi une véritable symbolique historique des sacrements.
Ainsi, pour Abellio, la conception de l’Europe chrétienne se fait-elle par Jésus : le germe est déposé au sein de la matrice.
Par la naissance, le nourrisson quitte la matrice pour entrer dans le monde, tout en restant tributaire de sa mère ; pour Abellio, il s’agit de la scolastique de Saint Thomas d’Aquin, qui met toute sa raison dans la foi.
Le baptême consacre l’instant où la personne ne se contente plus de voir le monde : elle se voit elle-même. Elle renait de par l’acquisition de la conscience de sa propre conscience, se voyant pour la première fois comme sujet dans un monde d’objets. À la Renaissance, Galilée et Descartes mettent toute leur foi dans la raison.
Quant à la communion, il s’agit d’un moment où la civilisation change son rapport avec le monde, qui n’est plus un monde d’objets, mais un monde de sujets. Et un sujet, ça s’assujettit. En 1789, l’Europe ne se voit plus comme cause-de-soi, mais cause-de-l’univers. Elle s’appelle désormais Occident, et se confondra de plus en plus avec le monde jusqu’à ce que ce soit le monde qui devienne pleinement occidental. L’épuisement consécutif à cet épanchement indéfini mène en toute logique à la mort. Et c’est bien ce qui se passe aujourd’hui.
Cependant, cette loi des cycles montre la qualité de l’inachèvement indéfini de ce processus, chaque étape historique d’une civilisation ayant des répercussions indéfinies dans toutes les autres. Ainsi : « Le baptême de l’Europe fut la conception de l’Amérique » ; et, bien plus tard : « La guerre de 1941-1945 a marqué pour l’Amérique l’instant de sa Re-naissance ». De l’autre côté de la planète, le prétendu statisme de la civilisation chinoise, par exemple, naguère dénigré par Guillaume Faye pour mettre en exergue une supposée supériorité de la civilisation occidentale, n’est que le signe d’une durée beaucoup plus longue de ses trois premiers sacrements, par rapport aux civilisations placées sous le signe du christianisme.
Et il est fort probable que la Chine ne franchisse en ce moment les arcanes de sa propre communion avec le monde, ce qui ne pourra qu’aboutir au remplacement de l’Occident par la sinisation complète du monde – ce à quoi on finira bien par trouver un nom plus évocateur, et aussi plus précis, car contrairement au processus d’occidentalisation du monde qui prit son essor avec la transgression du nec plus ultra par Christophe Colomb, prenant les atours d’une exportation – forcément bancale – des aspects les plus formels et externes de la religion chrétienne, la sinisation actuelle du monde ne passe en aucune manière par la volonté d’imposer Lao Tseu, ni Confucius, et encore moins Bouddha. La Chine absorbe tout, et ne rejette rien.
Alors que c’est la géopolitique qui devrait l’emporter sur les idéologies, notons que c’est la technocratie qui l’emporte aujourd’hui sur la géopolitique, poursuivant sa tâche pour asseoir son pouvoir total, se jouant des guerres intra-continentales et de toute multipolarité, effective ou non. C’est-à-dire que le pouvoir absolu des ténèbres du non-être n’envisage plus du tout quelque choc des civilisations que ce soit, mais l’aplanissement des civilisations, et leur résorption dans une harmonie nihiliste de façade.
Le redressement économico-industriel de la Russie, tout comme de la Chine et prochainement de l’Inde, s’est fait sous les fourches caudines de la cyber-technocratie de surveillance généralisée. L’État s’est libéré des servitudes oligarchiques, pour tomber sous la férule des technocrates.
Les forces spirituelles, qui sont les forces vivantes de chaque civilisation, se battent ardemment pour retrouver leur place dans chacun de ces pôles, afin de rendre au concept de multipolarité son véritable caractère révolutionnaire et anti-occidental.
En Chine, aujourd’hui, la reconnaissance du visage, ou de la paume de la main, par numérisation optique sert bien souvent de moyen de paiement. L’identité personnelle de notre propre corps a remplacé l’impersonnalité suprême du billet de banque.
Mais on sait – en tout cas, je le sais parfaitement – que, par ailleurs, de nombreux groupes taoïstes de combat tentent de subvertir le néo-confucianisme au pouvoir, de manière à rendre à la Chine sa véritable autorité spirituelle (tout en conservant et fortifiant son ascendant politique).
La Chine hante toute l’œuvre de Raymond Abellio : essais, romans, journal, mémoires. Lors des Rencontres Abellio de 2014, Gilles Bucherie affirmait que la Chine était un outil abellien pour mesurer l’émergence de l’histoire invisible.
Il y a tout d’abord la prégnance du Yi-King, dont il est écrit dans le Manifeste de la nouvelle gnose qu’il « fonctionne sur une base quadripolaire, celle du Vieux Yang, du Jeune Yang, du Jeune Yin et du Vieux Yin », et dont la logique de la double contradiction « anime depuis des millénaires les transformations à l’œuvre dans les soixante-quatre hexagrammes ». Et Abellio insistait surtout sur le fait qu’il était temps de révéler au grand jour la Structure Absolue de ce Yi-King, car « nous sommes entrés dans une ère de désoccultation intellectuelle de l’ésotérisme ». Désocculter le Yi King, c’est montrer par exemple l’identité formelle de sa structure avec celle des codons du code génétique, ou même avec les lois de transformation des particules sub-atomiques (voir Le Tao de la physique, de Fritjof Capra). C’est mettre en avant « la logique sphérique contre la logique linéaire, la logique pleine contre la logique plane ».
« La désoccultation du Yi King s’inscrit dans la ligne d’une révolution culturelle universelle où la phénoménologie occidentale, en tant que fin de la philosophie, vient éclairer du dedans et en quelque sorte intérioriser la révolution permanente venue de l’Orient » (La Fin de l’ésotérisme).
Le Symbolisme de la Croix est peut-être le livre de René Guénon qui a le plus marqué la pensée d’Abellio ; et notamment ces chapitres de pure considération géométrique, généralement considérés comme difficiles, qui mettent en lumière le fait que « le passage des coordonnées rectilignes aux coordonnées polaires » décrivant la Croix en rotation sur elle-même aboutit à « la figuration du vortex sphérique universel suivant lequel s’écoule la réalisation de toutes choses, et que la tradition métaphysique de l’Extrême-Orient appelle Tao, c’est-à-dire la Voie » (Guénon, op. cit.).
L’image tridimensionnelle de la Croix en rotation comme seul et unique lien possible, vivant et agissant, entre Orient et Occident.
Stat orbis dum volvitur crux.
Quelques mots sur le rôle de la prêtrise invisible, absolument définitive pour l’avenir de notre civilisation selon Abellio, et dont les caractéristiques sont fondamentalement taoïstes : « Les prêtres purs sont toujours invisibles. Aussi est-ce à l’Occident se dissolvant en tant qu’Occident visible qu’il appartient de faire germer en lui l’esprit de la première caste, et celui-ci ne sera pleinement intensifié dans son ordre que lorsque cet Occident disparaîtra. […] Ces prêtres déjà conscients du futur Occident ne peuvent être aujourd’hui que des solitaires sans action visible dans le monde » (Assomption de l’Europe).
C’est dans cet esprit qu’Abellio, face à la tentation quiétiste, en appelait à un « militantisme prophétique » réunissant politique, science et spiritualité au sein d’un Ordre nouveau, mettant en œuvre une « dialectique du vide foudroyé » - comme l’écrivait Jean Parvulesco dans son portrait flamboyant Le Soleil rouge de Raymond Abellio, esquisse d’une « grande biographie personnelle » qui reste encore à venir…
À ma connaissance, la seule personne véritablement qualifiée à avoir tenté de revivifier cette idée motrice a été Ubald Hirsch, fils du kabbaliste Charles Hirsch, co-auteur avec Abellio de La Bible : document chiffré (originellement dédié à Pierre de Combas). Deux pages de l’ouvrage anonyme Les Magiciens du nouveau siècle (J’ai lu, 2018) relatent la tentative d’enlèvement d’Ubald à l’âge de dix ans par une secte séthienne... L’Ordre ardemment rêvé par Ubald Hirsch était structuré en trois fonctions majeures, trois castes opératives et quatre pôles visibles, et agencé suivant l’ordre sénaire-septénaire des arcanes majeurs du Tarot de Marseille – qu’Abellio voyait comme un équivalent européen du Yi-King. Ubald lisait Vers un nouveau prophétisme comme le mode d’emploi pour l’élaboration d’un militantisme prophétique et opératif, à visée à la fois gauloise et européenne ; il périt à la tâche, vaincu par Abaddon. Je tenais à profiter de ce texte pour lui rendre hommage.
J’ai nommé plus haut Fritjof Capra. Il y aurait toute une réactualisation synthétique des connaissances scientifiques à faire, dans la perspective abellienne d’élaborer à la fois une véritable science numérale au service de l’Ordre, et de fonder une physique basée sur la fécondité de l’indétermination. Le Tao est fluctuant – tout autant que l’énergie minimale de la matière, celle du Vide. Une physique qui emprunterait à Héraclite, Grégoire de Nazianze et Maître Eckhart les principes-clés de sa pensée, et que l’on pourrait coupler en toute sérénité avec le Tao Te King.
Une physique préconisée par Guénon dans ses Principes du calcul infinitésimal, où il précise que la définition d’un système à l’équilibre ne devrait plus reposer sur une somme vectorielle des forces nulles (principe fondamental de la statique), mais sur un produit vectoriel des forces égal à l’unité.
« Ainsi, l’équilibre sera défini, non plus par le zéro, mais par l’unité. Cette formule correspond exactement à la conception de l’équilibre des deux principes complémentaires yang et yin dans la cosmologie extrême-orientale ».
Il y avait quelque chose d’indéterminé
avant la naissance de l’univers.
Ce quelque chose est muet et vide.
Il est indépendant et inaltérable.
Il circule partout sans se lasser jamais.
Il doit être la Mère de l’univers.
Tao Te King, XXV
Le Tao engendre Un.
Un engendre Deux.
Deux engendre Trois.
Trois engendre tous les être du monde.
Tao Te King, XLII
Par ailleurs, la Chine - astrologiquement associée à Pluton dans La Fosse de Babel - se pose comme suprême horizon eschatologique dans Visages immobiles : son dernier roman, son « roman du huitième jour ». Elle apparaît alors de façon lumineuse comme une rupture radicale avec le monde juif – dont on sait qu’Abellio connaissait particulièrement bien les arcanes ésotériques. Et sa compréhension singulière de la signification de Kafka et Simone Weil ne fait que renforcer cette impression. « Kafka et Simone Weil ne sont pas des consciences juives qui se sentent prises au piège du corps européen, ce sont des corps juifs pris au piège de la conscience européenne » (Assomption de l’Europe).
Jean Parvulesco : « Aussi peut-on considérer que, si l’œuvre de Dostoïevski devait marquer l’entrée dans les ténèbres d’un cycle historique tout à fait final, le cycle même de la manifestation suprême des puissances négatives et de la grande subversion nihiliste à leur service, l’œuvre de Raymond Abellio en marque, elle, aujourd’hui, et comme au-delà de tout, la tragique sortie ». En montrant dans son dernier roman l’émergence planétaire d’un nouveau terrorisme, Abellio illustre également, et de manière concomitante, le remplacement de la gnose juive par la pensée chinoise.
Visages immobiles : « Dans le combat qui s’engage en ce moment pour la domination du monde, il n’y a plus que deux esprits moteurs, tous deux ultimes, et ce sont l’esprit juif et l’esprit chinois, que tout oppose. Je dis bien tout. Autant les Juifs, par leur activisme cérébral, sont des hypermâles faits pour l’action en soi, autant les Chinois apparaissent comme les porteurs de l’hyperféminité qu’appellent aujourd’hui le renversement des temps et le rééquilibrage paisible du monde ».
Yang juif contre yin chinois.
Taoïsme suprême de la Fin des Temps.
Les premiers expulsent Dieu. Les seconds l’absorbent, dans un vertige d’impersonnalité absolue.
C’est la signification de cette célèbre sentence d’Abellio, expliquant que lorsque la Chine submergera notre continent, ce sera « pour y chercher Dieu ».
Puisque « la vraie mission de la Chine », lit-on dans La Fosse de Babel, « est d’abord de faire cesser sur la terre la lutte de l’espace et du temps ».
Si la Chine finira par sortir victorieuse du combat ultime contre l’esprit juif, ce n’est pas par un quelconque antisémitisme (on ne trouve la moindre trace en Chine ni de juifs, ni – contrairement au Japon – d’antisémites), mais par la plénitude toute-puissante de son indifférence souveraine et abyssale envers le judaïsme.
Je finirai par une anecdote, qui illustre parfaitement mes propos. À l’occasion d’un récent séjour au Sichuan, j’ai tissé des liens – ou plutôt, des liens se sont tissés d’eux-mêmes – de manière irréversible avec le Mont Heming qui, plus encore que le Qingcheng, représente le réceptacle terrestre du Tao originel – bien avant que Huangdi, l’Empereur Jaune tokharien, n’en reçoive les enseignements de Ning Fenzhi. Il se trouve qu’un homme d’affaires contemporain a exprimé le désir de reconstruire les temples sacrés du mont Heming, en grande partie détruits durant la Révolution culturelle. Cet homme, Xue Yongxin, a récemment fait la déclaration suivante : « Je vais faire de cette montagne le cœur vivant du Taoïsme, tout comme le sont le Vatican pour les chrétiens et Jérusalem pour les musulmans ».
Je vous laisse méditer.
洛鸣
Laurent James, 5 mai 2024.
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mardi, 13 août 2024
Les fondements mythiques du capitalisme
Les fondements mythiques du capitalisme
Gil-Manuel Hernàndez i Martí
Source: https://geoestrategia.es/noticia/43145/politica/los-fundamentos-miticos-del-capitalismo.html
Ceux qui ont perdu leurs symboles historiques et ne peuvent se contenter de "substituts" se trouvent aujourd'hui dans une situation difficile: le néant s'ouvre devant eux, devant lequel l'homme détourne le visage avec effroi. Pire encore, le vide est rempli d'idées politiques et sociales absurdes, toutes spirituellement désertées (Carl G. Jung : Sur les archétypes de l'inconscient collectif, 1934).
Le pouvoir du mythe
Le capitalisme, en tant que système économique et social prépondérant dans le monde, a exercé et continue d'exercer une influence significative sur nos vies et sur la formation des sociétés de manière profonde, complexe et durable. Cette formation historique, enracinée dans des théories et des pratiques économiques et politiques, fonctionne comme un mode de production matérielle, une machine à générer et à concentrer les profits, et un mécanisme de contrôle social qui repose sur une logique d'exploitation englobant diverses dimensions telles que la classe, le sexe, la race et l'espèce. Il s'agit également d'une force puissante pour façonner les subjectivités et d'un dispositif hégémonique pour la reproduction culturelle. En tant que tel, il se manifeste comme une structure intégrale de domination et de transformation du monde, avec la capacité d'influencer toutes ses sphères, et même de conduire l'humanité vers un état d'effondrement civilisationnel, en raison de sa nature écocide.
Si l'anthropocentrisme, le patriarcat et la construction de l'ego humain existaient déjà avant l'avènement du capitalisme, ce dernier les intensifie, les exacerbe et les subordonne à une logique prédatrice centrée sur la recherche du profit dans le cadre d'un marché prétendument concurrentiel, qui prévaut sur toute autre considération éthique ou forme de relation sociale.
Cependant, une exploration plus approfondie du capitalisme nous permet de l'analyser dans une perspective plus large, en plongeant dans ses fondements mythiques et archétypaux. Dans cet article, nous allons tenter d'explorer la manière dont la logique du capitalisme, façonnée autour du 16ème siècle et développée avec une intensité croissante à partir du 18ème siècle, est particulièrement synchronisée avec l'énergie psychique et sociale de certains mythes et archétypes qui ont existé tout au long de l'histoire de l'humanité. Ces configurations mythiques et archétypales sont présentes, avec diverses adaptations et nuances, dans la plupart des cultures humaines, comme l'ont montré l'anthropologie et la psychologie des profondeurs. Dans cette exploration, nous nous appuierons sur la mythologie grecque comme référence, en raison de sa proximité culturelle. Elle a laissé une empreinte profonde sur la formation de la psyché collective de l'Occident, où le capitalisme a émergé et s'est développé.
Il convient de souligner qu'un mythe est un récit, généralement traditionnel et sacré, qui a une signification symbolique et qui est partagé au sein d'une communauté ou d'une culture spécifique. Les mythes fonctionnent comme des incarnations culturelles des archétypes, compris comme les forces impersonnelles de l'inconscient collectif. Selon Carl Jung (2004), les archétypes constituent une sorte de modèles fondamentaux dans la psyché humaine, qui se manifestent par des images archétypales et s'expriment de manière synchronisée dans la façon dont les individus et les collectifs perçoivent leur environnement et y réagissent (Jung, 2010). Comme le souligne Joseph Campbell (2015) dans son célèbre ouvrage The Power of Myth, les mythes sont métaphoriquement vrais et précieux parce qu'ils véhiculent des vérités sur l'expérience humaine qui échappent à une approche exclusivement rationnelle et scientifique. Les mythes constituent des universaux culturels qui, tout au long de l'histoire, ont servi de récits symboliques pour donner un sens au monde, car les symboles qu'ils contiennent expriment des idées-force qui dépassent le rationnel et le temporel pour entrer dans le mystère et l'ineffable (Chevalier et Gheerbrant, 2007). En effet, comme l'a souligné Thomas Berry (2015), les symboles sont des sources d'énergie et, en même temps, des moyens de transformation psychique. Les symboles expriment des significations partagées, avec la capacité de représenter quelque chose qui est reconnu et compris par un groupe ou une communauté. En tout état de cause, les mythes que les symboles articulent sont souvent flexibles et s'adaptent à l'évolution de la société, conservant leur pertinence et leur signification au fil du temps.
En effet, comme l'a souligné Carl Kerenyi (2009), le mythe survit grâce à la plasticité du mythologème, qui fait référence au riche matériel mythique qui est continuellement révisé, généré et reconfiguré avec des éléments culturellement spécifiques. En d'autres termes, le mythologème fait référence aux composantes minimales et universelles d'un mythe, qui peuvent être répétées ou combinées sous diverses formes pour construire des récits mythologiques plus complexes. Ainsi, le mythologème fonctionne comme un motif récurrent qui apparaît dans différents récits mythologiques et peut se référer à des personnages, des événements, des objets ou des situations. Les mythologèmes ont constitué les fondements de récits qui ont résisté à l'épreuve du temps, des récits qui, "au lendemain d'un monde qui se dissout, restent le miroir dans lequel nous nous contemplons et donnons un sens à notre existence" (Marcet, 2023).
Certes, les mythes peuvent déformer plus ou moins la réalité, mais ils contribuent aussi à la façonner, à la construire et à l'orienter. Les mythes servent à établir, étayer et renforcer des valeurs, des identités, des normes et des croyances partagées au sein d'une communauté, en se transmettant de génération en génération. Ils sont véritablement performatifs et prescriptifs, ce qui explique leur pouvoir et leur transcendance. Comme Vicente Gutiérrez (2023) l'a récemment affirmé en parlant des "mythes qui soutiennent le capitalisme fossiliste", les mythes soutiennent culturellement les modes de production, qui sont également des modes de production de mythes, de sorte que sans les mythes, la permanence, la force et l'acceptation des systèmes économiques, politiques et sociaux ne peuvent pas être comprises. En effet, un mythe ne consiste pas en une simple "superstructure" dérivée du déterminisme matérialiste qui caractérise les relations entre les forces productives. Il s'agit plutôt d'une infrastructure génératrice de connaissances et de sens, d'une "structure de sentiment", d'un tissu symbolique, d'un cadre interprétatif et d'une philosophie quotidienne aux caractéristiques numineuses indéniables. Les mythes, en tant que traduction culturelle des archétypes, expriment la force énergétique des archétypes et leur capacité à harmoniser, stimuler, orienter et renforcer les actions des sociétés humaines et, par conséquent, des modes de domination dans chaque cycle historique.
L'hybris du capitalisme
L'analyse des fondements mythiques du capitalisme, c'est-à-dire l'exploration de ses mythologèmes, permet à la fois de mesurer sa force historique et de comprendre à quel point il est difficile de le réformer, de le dépasser ou d'imaginer des alternatives viables. Lorsque Mark Fisher (2016) a inventé le terme "réalisme capitaliste", il tentait de décrire un état culturel et politique dans lequel le capitalisme a si profondément imprégné la société qu'il est perçu comme la seule façon possible d'organiser la vie. Ainsi, même lorsque les gens reconnaissent les problèmes et les échecs du capitalisme, il leur est difficile d'imaginer et d'élaborer des alternatives significatives, en raison de l'hégémonie écrasante de la pensée capitaliste.
Les motivations et les manifestations du pouvoir du capitalisme, au sens économique, politique et idéologique, sont bien connues et bien étudiées. Mais les impulsions psychiques et archétypales du capitalisme, véhiculées culturellement par les mythes classiques et exprimées dans les mythologèmes, sont peut-être moins connues, en raison du parti pris excessivement matérialiste et rationaliste des sciences sociales critiques. C'est pourquoi nous devons leur prêter attention, car depuis les profondeurs silencieuses de l'inconscient collectif, elles poussent sans relâche, suivant une logique synchronistique (Jung, 2004), pour être entendues, connues et comprises. Une tâche nécessaire pour proposer des alternatives émancipatrices crédibles face à un système totalisant qui menace de tout balayer.
Dans notre modeste approche de ce que nous comprenons comme les fondements mythiques du capitalisme, nous nous concentrerons sur l'idée qu'ils parlent tous d'une inflation pathologique et destructrice de l'ego. Selon Marcet (2023), toutes les mythologies des cultures de la terre nous mettent en garde contre l'hybris: nous ne pouvons pas être comme des dieux, car nous en périrons. Dans la tradition grecque, l'hybris ou hubris est un terme qui renvoie à une arrogance excessive, à un manque de respect pour les dieux, pour la nature. L'hybris, dans sa version capitaliste, se retrouve donc dans les récits mythiques qui présentent des personnages ou des situations reflétant la poursuite effrénée du pouvoir, de la richesse et du succès, sans tenir compte des conséquences morales ou sociales de leurs actions.
L'hybris de la mythologie grecque a constitué une impulsion archétypale liée au long développement historique de la notion d'individualité, comprise comme l'illusion d'un sujet indépendant et autonome. Cependant, cette hybris a été exacerbée lorsque la conception moderne du progrès a pris forme, ce que le capitalisme a traduit en une obsession compulsive d'avancer, de croître et d'accumuler des richesses et du pouvoir, quel qu'en soit le prix, en regardant toujours vers le temps du futur, ce temps propulsé par une modernité qui a annulé l'ancien lien entre l'humanité et la nature/divinité (Marcet, 2023). Cette pulsion irrépressible, qui implique une démesure due à l'aveuglement et à l'orgueil impie (Jappe, 2021), se manifeste par la recherche du profit, l'avidité systémique, l'expansion économique et la croissance perpétuelle. Les dettes, cependant, doivent être remboursées à un moment ou à un autre.
Dans ce champ narratif, les exploits des "entrepreneurs", des hommes d'affaires prospères et des acteurs "perturbateurs" du marché font souvent référence à l'archétype du héros classique ivre d'hybris. Ces combattants légendaires de l'avant-garde capitaliste relèvent des défis, prennent des risques, rivalisent sans relâche et surmontent des obstacles dans leur quête d'expansion, ce qui explique pourquoi ils sont vénérés comme garants de l'avancement de la civilisation. La vie est à leur portée. Bien sûr, plus de modération, de retenue, de compassion, de consensus ou de conciliation est toujours possible, ne serait-ce que par souci de stratégie, et cela a d'ailleurs été le cas dans certaines phases historiques du capitalisme. Mais en fin de compte, l'élan implacable de l'hybris capitaliste signifie que la composante faustienne de sa dynamique structurelle conduit nécessairement au désastre. Le néolibéralisme sauvage contemporain en est la preuve.
En effet, comme les mythes grecs nous mettent en garde contre les excès de l'hybris, défier certaines limites, qu'elles soient naturelles ou divines, ne pas tenir compte des avertissements concernant les excès, commettre les mêmes erreurs encore et encore, a un coût élevé, qui s'incarne dramatiquement dans les krachs, les crises ou les effondrements. Ces événements, loin de s'arrêter ou de s'atténuer, tendent à se répéter cycliquement dans le capitalisme, intensifiant et mettant en danger la vie sur la planète elle-même. Le système a-t-il appris quelque chose des leçons historiques fournies par la puissance de ses fondations mythiques ? Il ne semble pas, et c'est plutôt inquiétant. Examinons, même si c'est de manière impressionniste, certains de ces anciens mythes particulièrement révélateurs.
Les mythes anciens de l'hybris capitaliste moderne
Le mythe d'Icare
Icare et son père Dédale s'échappèrent de Crète, où ils étaient retenus par le roi Minos, au moyen d'ailes faites de plumes attachées à leurs épaules avec de la cire. Cependant, Icare, aveuglé par sa propre arrogance, a désobéi aux avertissements de son père de ne pas s'élever trop haut au-dessus de la mer, s'approchant dangereusement du soleil, faisant fondre la cire et tomber Icare dans l'eau. Ce mythe illustre les conséquences désastreuses de l'ambition démesurée, de l'imprudence technologique, de la mégalomanie, de la vanité et de l'insouciance qui caractérisent le capitalisme. Le mythe montre comment le fait d'ignorer les avertissements de ne pas dépasser certaines limites peut conduire à l'échec et à la ruine. Symboliquement, il suggère également que la surchauffe de la civilisation thermo-industrielle, représentée par le réchauffement climatique, entraîne sa ruine en la précipitant dans les abysses de la mer, elle-même symbole fondamental de l'inconscient collectif et du monde souterrain.
Le mythe du roi Midas
Grâce à son hospitalité envers le satyre Silène, tuteur et fidèle compagnon de Dionysos, ce dernier donna au roi Midas le pouvoir de transformer en or tout ce qu'il touchait. Bien que ce don ait d'abord semblé être une bénédiction, le roi Midas ne tarda pas à en découvrir les conséquences désastreuses, car même sa nourriture et sa fille se transformaient en or lorsqu'il les touchait. Réalisant qu'il ne pouvait pas apprécier une nourriture qui se transformait en métal à son contact, il supplia Dionysos de le libérer de son don. Ce dernier lui demanda de se laver dans la rivière Pactole, ce qui le ramena à la normale. Le mythe met en garde contre la façon dont l'obsession de la richesse (l'or qui prolifère) et l'accumulation de biens peuvent conduire à un malheur généralisé, comme c'est notamment le cas dans le capitalisme mondial financiarisé, déconnecté de la sphère productive et livré à la spéculation la plus brutale. Cette situation symbolise cette quête insatiable du profit (l'or) qui guide le capitalisme (le roi), déconnecté de toute instance transcendante, sensible ou spirituelle, qui conduit immanquablement à l'aliénation, à la dégradation de l'humanité et à l'anéantissement de la vie. D'une certaine manière, le désir ultime du roi Midas de réparer le mal suggère la possibilité d'un certain repentir sous la forme d'une diminution, d'un endiguement ou d'une modération des besoins matériels inhérents au fonctionnement du système, mais cela reste à voir.
Le mythe de Tantale
Après avoir été invité par les dieux à leur banquet, Tantale succomba à la tentation de les égaler en leur offrant de la nourriture, allant même jusqu'à sacrifier son propre fils pour leur servir ses restes. En guise de punition, Tantale fut condamné à un tourment éternel dans les enfers, où on lui présentait de la nourriture et de la boisson qui lui étaient toujours retirées lorsqu'il essayait de les prendre. En outre, un énorme rocher se balançait au-dessus de lui, menaçant de l'écraser. Ce mythe illustre l'addiction démesurée du système à être un dieu, axée exclusivement sur une obsession vorace pour les biens matériels. Le capitalisme, reflété dans ce mythe, génère un désir insatiable et constant, à l'instar du consumérisme de masse qu'il promeut à l'échelle mondiale. Cependant, l'objet du désir ne peut jamais être complètement satisfait, car de nouveaux appétits apparaissent constamment et la poursuite avide se poursuit afin que le taux de profit continue de croître, avec les risques que cela comporte (le rocher qui oscille). Ce récit reflète la réalité systémique d'une ambition permanente, d'une quête sans fin de désirs à satisfaire et d'une frustration chronique qui n'apporte qu'angoisse, frustration et malheur.
Le mythe de Prométhée
Le titan Prométhée trompa Zeus et, pour le punir, le dieu suprême de l'Olympe lui refusa l'accès au feu. Prométhée vola cependant des escarbilles incandescentes pour les donner aux humains afin de les aider dans leur développement. En réponse, Zeus l'enchaîna à un rocher où un aigle dévora à plusieurs reprises son foie qui se régénérait sans cesse. Il fut libéré par Héraklès, fils de Zeus, et le centaure Chiron, mais Prométhée dut désormais porter un anneau attaché à un morceau du rocher auquel il était enchaîné. Ce mythe met en évidence l'aspiration au progrès, à l'amélioration intellectuelle et matérielle de soi, ainsi que l'assimilation à l'intelligence divine, que la société capitaliste incarne si bien (aujourd'hui avec l'"intelligence artificielle").
Cependant, Marx et le socialisme ont également admiré Prométhée en tant que symbole de la révolution et du progrès civilisationnel. Tout au long de l'histoire de la culture occidentale, le mythe de Prométhée a été interprété de trois manières: comme une figure charismatique qui permet le progrès humain; comme le prototype romantique du rebelle qui défie les dieux et la nature; mais aussi comme une figure maléfique dont le savoir et la capacité technologique ont causé de grands désastres et d'énormes souffrances. Ce mythe caractéristique de la modernité, que le Frankenstein de Mary Shelley a mis à jour (ce n'est pas pour rien qu'il est sous-titré "ou le Prométhée moderne"), raconte la dangereuse tendance à vouloir ressembler à la divinité. En d'autres termes, il raconte comment l'ambition technologique et la perversion de la connaissance scientifique dans le contexte capitaliste intrinsèquement titanesque peuvent déclencher des monstruosités éthiques et des effets dystopiques imprévus. En outre, le mythe souligne que, bien qu'il existe une possibilité de se libérer de ces maux, l'humanité doit rester humble et se souvenir de ses effondrements passés, comme l'indique l'image de l'anneau avec le morceau de roche que Prométhée doit toujours porter.
Le mythe de Narcisse
La dimension psychopathologique du capitalisme est énoncée par la figure de Narcisse. Narcisse était célèbre pour son extraordinaire beauté, mais aussi pour sa profonde vanité. Pour punir son arrogance, la déesse Némésis le fit tomber amoureux de sa propre image reflétée dans un étang. Absorbé dans sa contemplation, il ne put s'arracher à son propre reflet. Dans une version romaine du mythe, il est dit que lorsque Narcisse a vu son visage dans l'eau, il a été pris au piège: de peur d'abîmer son image, il n'a pas voulu la toucher et n'a pas pu s'empêcher de la regarder. Narcisse se serait suicidé en se jetant dans l'étang, car il ne parvenait pas à posséder l'objet de son désir. Ce mythe renvoie à l'égocentrisme et au soi-disant narcissisme, des aspects qui sont clairement caractéristiques du capitalisme. Il apparaît séduit par sa propre dynamique de destruction créatrice (la "beauté" du capital). Cette fascination l'empêche de modérer ses appétits, ce qui le conduit inévitablement à l'aliénation ultime et, finalement, au suicide par écocide.
Le mythe de Phaéton
Phaéton était le fils d'Hélios et, désireux de se vanter de sa lignée auprès de ses amis, il persuada son père de lui accorder un vœu. Il demanda à pouvoir guider le char du soleil dans le ciel pendant une journée. Malgré les tentatives de dissuasion d'Hélios, Phaéton resta inflexible dans sa détermination. Le jour venu, le jeune homme fut pris de panique et perdit le contrôle des chevaux blancs qui tiraient le char. Désespéré, il monta trop haut, refroidissant la terre, puis redescendit trop bas, provoquant sécheresse et incendies. Phaéton transforma par inadvertance une grande partie de l'Afrique en désert, brûlant la peau des Éthiopiens. Finalement, Zeus fut contraint d'intervenir, frappant le char déchaîné d'un coup de foudre pour l'arrêter, provoquant la chute de Phaethon qui se noya dans le fleuve Eridanus (Po). Ce mythe illustre de manière impressionnante comment l'ambition excessive et l'irresponsabilité dans le maniement de certaines technologies peuvent déclencher l'altération anthropogénique de la planète, comme c'est le cas dans la réalité d'aujourd'hui avec le chaos climatique causé par le capitalisme et sa religion technologique dogmatique.
Le mythe du Minotaure
Ce récit mythique reflète le processus par lequel une engeance contre nature (le capitalisme mondial) peut conduire à la barbarie et au sacrifice de l'avenir d'une société (les nouvelles générations et celles à venir). Le Minotaure, ou "taureau de Minos", était le fils de Pasiphaé, épouse du roi crétois Minos, et d'un taureau blanc que Minos appréciait beaucoup, car il lui avait été donné par Poséidon. Le Minotaure ne mangeait que de la chair humaine et, en grandissant, il devenait de plus en plus sauvage. Lorsque le monstre devint incontrôlable - comme la civilisation industrielle capitaliste - Dédale construisit le labyrinthe de Crète, une structure gigantesque composée d'un nombre incalculable de couloirs entrecroisés, dont un seul menait au centre de la structure, où le Minotaure était abandonné. Pendant des années, Athènes, soumise au roi Minos, a dû livrer quatorze de ses jeunes hommes, qui ont été enfermés dans le labyrinthe, où ils ont erré, perdus, pendant des jours, jusqu'à ce qu'ils rencontrent le Minotaure et lui servent de nourriture. C'est ainsi que le héros Thésée, aidé par le fameux fil fourni par Ariane, fille du roi Minos, a pu pénétrer dans le labyrinthe et tuer le Minotaure. Cela montre que même si nous essayons de contenir le capitalisme, sa nature prédatrice ne change pas, et qu'il n'y a donc rien de mieux que de le tuer.
L'économiste grec Yanis Varoufakis (2024) fait référence au mythe du Minotaure, notant que la satisfaction de la faim de la créature était cruciale pour maintenir la paix imposée par le roi Minos, qui permettait au commerce de traverser les mers, apportant avec lui les avantages de la prospérité pour tous. En adaptant cette métaphore au capitalisme contemporain, Varoufakis identifie un Minotaure mondial sous la forme de l'hégémonie économique des États-Unis et de Wall Street. Cette hégémonie s'appuie sur le déficit commercial des États-Unis, qui importent massivement des produits manufacturés du reste du monde au profit de Wall Street et des grands investisseurs américains. Selon Varoufakis, alimenté par ce flux constant de tributs, le Minotaure mondial, lié au néolibéralisme et à l'informatisation de la finance, a permis et maintenu l'ordre mondial post-Bretton Woods, tout comme son prédécesseur crétois avait préservé la Pax Creta, bien qu'au prix d'importantes souffrances pour les populations du monde et d'énormes risques financiers. Cependant, comme le Minotaure originel, ce système a commencé à s'effondrer avec la crise économique de 2008. Varoufakis (2024) conclut ainsi: "En fin de compte, on se souviendra de notre Minotaure comme d'une bête triste et bruyante dont le règne de trente ans a créé, puis détruit, l'illusion que le capitalisme peut être stable, que la cupidité peut être une vertu et que la finance peut être productive".
Le mythe de Sisyphe
Sisyphe, connu pour avoir irrité les dieux en raison de son extraordinaire ruse, fut condamné à une tâche apparemment interminable et futile dans le monde souterrain (le royaume de l'inconscient collectif). Son travail consistait à pousser un énorme rocher en haut d'une colline escarpée. Cependant, chaque fois qu'il était sur le point d'atteindre le sommet et de se libérer de son fardeau, la pierre redescendait, l'obligeant à recommencer. Ce cycle se répétait à l'infini et Sisyphe ne parvenait jamais à achever sa tâche.
Ce mythe a été interprété de diverses manières. Certains y voient l'histoire d'un effort sans fin et dépourvu de sens, qui met en évidence l'absurdité de la condition humaine. D'autres l'interprètent comme une métaphore du courage humain, de la détermination, de l'effort et de l'endurance face à des obstacles apparemment insurmontables. Du point de vue du fonctionnement historique du capitalisme, le mythe de Sisyphe semble se rapporter à la puissance considérable des forces archétypales qui s'accordent avec un système régi par une conception purement expansive, ascendante et technico-matérielle du progrès. Cette obsession folle de l'accumulation de richesses et du sentiment de maîtrise conduit à un cycle sans fin de labeur et de stress sans récompense significative, car les problèmes finissent par réapparaître, conduisant à une nouvelle chute qui détruit une grande partie de ce qui a été créé et oblige à chercher de nouvelles voies d'ascension avec de lourds fardeaux sur les épaules. Ces fardeaux, tels que l'exploitation, l'inégalité, la violence ou la domination, font partie de la logique perverse du système, qui pèse structurellement sur ses ambitions excessives. Ainsi, l'inconscience ou l'arrogance face aux limites du système, imposées par la nature (le divin), génère des crises ou des effondrements récurrents, dont on ne tire pas vraiment les leçons. Cela ouvre la porte à de nouvelles tentatives irrationnelles d'ascension, elles aussi vouées à l'échec.
Le mythe d'Erysichthon et le capitalisme catabolique
Mais s'il est un mythe, par ailleurs peu connu, de la dérive actuelle vers un capitalisme catabolique et autolytique, c'est bien celui d'Erysichthon. Mais avant de l'aborder, il faut rappeler que le capitalisme catabolique désigne un capitalisme assoiffé d'énergie et sans possibilité de croissance, le catabolisme étant entendu comme un ensemble de mécanismes métaboliques de dégradation par lesquels un être vivant se dévore lui-même. Comme le souligne Collins (2018), à mesure que les ressources énergétiques et les sources de production rentables s'épuisent, le capitalisme est contraint, par sa soif continue de profit, de consommer les biens sociaux qu'il a autrefois créés. Ainsi, en se cannibalisant lui-même, le capitalisme catabolique transforme la pénurie, les crises, les catastrophes et les conflits en une nouvelle sphère de profit. En d'autres termes, la marchandisation de l'apocalypse finit par générer des perspectives commerciales lucratives (Horvat, 2021). Par conséquent, le processus d'effondrement déclenché par la contradiction même entre la logique expansive capitaliste et les limites naturelles de la planète s'intensifie.
La condition catabolique de ce capitalisme crépusculaire est renforcée par sa dérive autolytique. En biologie, l'autolyse est un processus par lequel les enzymes présentes dans les cellules d'un organisme mort commencent à décomposer la structure cellulaire. Cependant, l'autolyse peut également se produire dans des corps vivants mais malades, de sorte que dans certaines conditions pathologiques, telles que les maladies dégénératives ou les blessures graves, les cellules peuvent activer des mécanismes d'autolyse, conduisant à la dégradation des tissus et des structures cellulaires au sein de l'organisme vivant. Une comparaison qui illustre de manière frappante la décomposition et la désintégration du tissu social, déjà malade, sous l'action du capitalisme historique, qui à son tour intensifie le capitalisme catabolique. Ce dernier définit un système en phase terminale, en passe d'être remplacé par un système émergent potentiellement plus pernicieux, éventuellement de nature néo-féodale ou techno-féodale (Varoufakis, 2024).
Pour en revenir au mythe d'Erysichthon, il raconte l'histoire d'un roi thessalien connu pour son appétit brutal et son ambition débridée. Nous savions que le capitalisme a un caractère cannibale, qui le conduit à tout engloutir sur son passage pour continuer à croître (Fraser, 2023). Mais le mythe d'Erysichthon va plus loin, et Anselm Jappe (2019) le sauve dans son ouvrage La société autophage. Capitalisme, démesure et autodestruction, qui traite du caractère auto-cannibalisant du capitalisme contemporain. Selon Jappe, le mythe d'Erysichthon, jadis recueilli par le poète grec Callimaque et le romain Ovide, raconte l'histoire d'un personnage devenu roi de Thessalie après avoir expulsé ses habitants autochtones, les Pélasgiens, qui avaient consacré une magnifique forêt à Déméter, la déesse des récoltes. En son centre se dressait un arbre gigantesque, et à l'ombre de ses branches dansaient les Dryades, les nymphes de la forêt. Mais Erysichthon, désireux de transformer l'arbre sacré en planches de bois pour construire son palais, se rendit dans la forêt avec ses serviteurs dans l'intention de l'abattre. La déesse Déméter elle-même tente de l'en dissuader, mais le roi répond par le mépris. Devant le refus des serviteurs d'accomplir le sacrilège, Erysichthon abattit lui-même l'arbre, alors que du sang en coulait et qu'un châtiment était annoncé. Dans ce cas, l'abattage dans la forêt sacrée représente un affront direct aux dieux et à la nature elle-même. L'histoire illustre comment des actions imprudentes et égoïstes peuvent conduire à la dégradation et au désastre, tant au niveau personnel qu'environnemental.
En effet, Déméter a envoyé la faim personnifiée dans Erysichthon, pénétrant son corps par son souffle. Le roi fut pris d'une faim insatiable, et plus il mangeait, plus il avait faim. Il engloutit et consomme tout ce qui se trouve à sa portée, vendant sa fille pour obtenir plus de nourriture. Mais comme rien ne pouvait apaiser son incroyable appétit, il commença à s'arracher ses propres membres, de sorte que son corps, en se dévorant, s'amenuisa jusqu'à ce qu'il meure. Pour Jappe, il s'agit d'un des mythes grecs qui évoque l'hybris, qui finit par provoquer la némésis, c'est-à-dire le même châtiment divin que Prométhée, Tantale, Sisyphe, Icare, Midas ou Phaéton, entre autres, subiraient également. Un mythe étonnamment actuel, puisqu'il fonctionne comme une anticipation archétypale de ce qui se passe lorsque la nature n'est pas respectée, car un tel manque de respect attire nécessairement la colère des dieux, ou de la nature elle-même. Pour Jappe, seule la disparition presque complète de la familiarité avec l'antiquité classique peut expliquer pourquoi la valeur métaphorique de ce mythe a échappé jusqu'à aujourd'hui aux porte-parole de la pensée écologique.
Selon Jappe, la faim d'Erysichthon n'a rien de naturel, et donc rien de naturel ne peut l'apaiser. Il s'agit d'une faim énorme qui ne peut être satisfaite. Sa tentative désespérée de l'atténuer pousse le roi à consommer sans relâche, dans une allusion mythique claire à la logique de la valeur, de la marchandise et de l'argent. Mais le besoin et l'avidité ne cessent pas : "Ce n'est pas simplement la méchanceté des riches qui est en jeu ici, mais un enchantement qui fait écran entre les ressources disponibles et la possibilité d'en jouir" (Jappe, 2019:13). La déesse punit Erysichthon à la hauteur de son crime : incapable de se nourrir, il vit comme si toute la nature avait été transformée en un désert qui refuse de fournir un support naturel à la vie humaine.
Pourtant, souligne Jappe (photo), l'aspect le plus remarquable du mythe d'Erysichthon est sa fin. Une rage abstraite qui ne contient pas seulement la dévastation du monde, mais qui se termine par l'autodestruction et l'autoconsommation. Le mythe ne parle donc pas seulement de l'anéantissement de la nature et de l'injustice sociale, mais aussi du caractère abstrait et fétichiste de la logique marchande et de ses effets destructeurs et autodestructeurs dans le cadre du capitalisme catabolique. C'est comme l'image d'un bateau à vapeur qui continue à naviguer tout en consommant progressivement ses propres composants, ou la fameuse scène des Marx Brothers à bord d'une locomotive en marche, où pour la faire fonctionner il faut démonter les wagons et les utiliser comme combustible, jusqu'à ce qu'ils finissent par être consumés par le feu.
Mais, comme le suggère Jappe, le mythe rappelle aussi la trajectoire des toxicomanes en manque, comme cette soif constante d'argent qui caractérise la logique capitaliste et qui n'est jamais pleinement satisfaite. Erysichthon est un narcissique pathologique, qui nie l'objectivité et la sensibilité du monde extérieur, qui à son tour lui refuse l'aide matérielle. L'hybris d'Erysichthon reflète la tendance à l'autodestruction implicite dans le capitalisme catabolique, animé par une pulsion suicidaire "que personne ne veut consciemment mais à laquelle tout le monde contribue" (Jappe, 2019:15).
En effet, à ce stade, il est crucial de mentionner le lien profond entre le mythe de Mars (Arès), dieu de la guerre, et le capitalisme, étant donné que ce dernier fonctionne comme un régime de guerre permanente contre la vie. Dans cette perspective, le "terrible amour de la guerre", archétype universel évoqué par le psychologue jungien James Hillman (2010), est fortement amplifié par la logique capitaliste. En effet, cet "amour de la guerre" dévastateur, capable de générer un sens, un but et une transcendance dans son action destructrice, est particulièrement sacralisé par les présupposés existentiels du capitalisme. Par conséquent, en raison de la convergence mythique-archétypale entre l'hybris et l'amour de la guerre, le capitalisme tend inévitablement vers la dévastation du monde.
Des fondements mythiques du capitalisme à l'impossible capitalisme mythique
Comme nous l'avons vu, le capitalisme possède des fondements mythiques attestés par les grands mythes de l'antiquité classique occidentale, qui à leur tour traduisent et incarnent des archétypes universels. Ces fondements mythiques parlent de l'hybris, cette arrogance qui défie les dieux, et malgré leurs avertissements de ne pas dépasser certaines limites, celles-ci sont ignorées, avec les graves conséquences que cela implique, comme cela s'est produit et continue de se produire avec les excès inhérents au fonctionnement du capitalisme. Mais, paradoxalement, bien que le capitalisme cherche à devenir un mythe pour améliorer sa reproduction, en acquérant une aura d'authenticité et d'unicité qui lui donne une apparence de transcendance, il lui est impossible d'y parvenir. En effet, le mythe communique à travers le symbole, qui est inaccessible au capitalisme en raison de sa nature "diabolique".
Ceci nécessite une explication. Le capitalisme, surtout dans sa forme la plus contemporaine de société de marché consumériste, appelée aussi "capitalisme libidinal" (Fernández-Savater, 2024), utilise abondamment un désir perpétuellement inassouvi, cherchant à définir, à consacrer et à renforcer sa propre condition mythique. Il se présente comme l'incarnation moderne des anciens héros classiques, particulièrement propulsés par toutes sortes de pulsions prométhéennes. En outre, il cherche à incorporer et à réinterpréter laïquement le paradis terrestre biblique comme une terre d'abondance et de bonheur. Elle exploite divers moyens pour tenter d'y parvenir, comme en témoignent les grands blockbusters artistiques de l'industrie culturelle, les parcs à thème, les récits médiatiques sur les avancées en matière de conquêtes, d'innovations, d'inventions, de progrès scientifiques et technologiques, ainsi que sur la connaissance des secrets du macrocosme et du microcosme. L'attention est outrageusement attirée par l'exploration spatiale, la découverte d'énergies miraculeuses, les développements perturbateurs de l'économie de l'attention, les algorithmes sophistiqués, les possibilités de consommation immédiate à la demande, l'informatique quantique, les crypto-monnaies, le cybermonde, la robotique de nouvelle génération, l'intelligence artificielle. Cependant, malgré les efforts du capitalisme pour se constituer en mythe avec tout cela, c'est un faux mythe, juste un feu d'artifice, parce qu'en fin de compte, la désolation causée par le capital progresse, l'effondrement écosocial s'intensifie, l'extinction de la nature s'étend, les dommages causés à l'humanité prolifèrent, et tout cela ne décrit pas un mythe, mais son avortement. Le capitalisme mythique devient une impossibilité.
Le monde des mythes authentiques remet les choses à leur place : "Le capitalisme libidinal est un monstre, un centaure en particulier, tiraillé entre une pulsion de conservation, de stabilisation, de normalisation, et une pulsion désordonnée de conquête, de pillage et de saccage. Un double régime, la promesse et le poison, la productivité et la dévastation, le bien-être et la guerre, qui traverse toutes les institutions et tous les dispositifs, tous les objets de consommation et chacun d'entre nous". (Fernández-Savater, 2024:6-7).
Il en est ainsi parce que le mythe renvoie au symbole et que le symbole renvoie à l'union, à ce qui unit, relie, lie et crée. L'opposé du symbole est le diabolique, c'est-à-dire ce qui sépare, ce qui divise, ce qui contredit, ce qui est destructeur. Comme le souligne Marcet (2023), le mal ne peut être que l'antonyme du Symbole. Pour les anciens chrétiens, comme pour les Grecs classiques, le Symbole constituait l'essence de leurs mythes, de leur poésie et de leur religion, ce qui vertébrait et religiosait tout. C'est pourquoi, si le Symbole était ce qui réunissait à nouveau, le mal devait être par force ce qui divisait et opposait les hommes. D'ailleurs, souligne Marcet, les racines grecques des mots symbole et démon sont éclairantes. Symbole vient de synballein (syn, "un"), qui signifie "jeter ensemble, unir". En revanche, diaballein (dia, "deux"), du grec diabolos (διάβολος), signifie "jeter séparément, provoquer une querelle (diviser)". L'opposé du symbole est donc le diable: celui qui divise le "un" en "deux" et initie le conflit irrésolu entre les opposés. De même, le capitalisme n'est pas seulement ambivalent, contradictoire et conflictuel dans ses pulsions, mais il est finalement entraîné dans sa chute par celles d'un rang plus pervers qui provoquent davantage de division, de déstructuration, de fragmentation, de chaos et de perdition. Le capitalisme aspire à être mythiquement dionysiaque, aphrodisiaque et paradisiaque, c'est-à-dire le jardin des délices, mais finit par être sordidement catabolique, hyperbolique et diabolique, c'est-à-dire le Mordor. Tout le contraire du symbole. Bref, l'antithèse même du mythe unificateur du monde que le capital prétend incarner.
Comme nous l'avons vu, le capitalisme, dans sa quête d'expansion et de croissance illimitées, s'accorde, traduit et actualise l'énorme énergie des archétypes qui, à travers les mythes, expriment l'hybris et ses conséquences. Dans tous les mythes, nous trouvons le motif ou le mythologème des avertissements divins/naturels contre les effets des excès de l'hybris, ainsi que le motif ou le mythologème de l'ignorance délibérée de ces effets. Dès les débuts de la révolution industrielle capitaliste, de nombreux avertissements ont été lancés sur les conséquences désastreuses du développement du système pour la nature et l'humanité. Malgré cela, les responsables de l'expansion capitaliste ont fait et continuent de faire le choix conscient de la destruction (Riechmann, 2024).
Un capitalisme mythique est donc irréalisable, car il ne peut se construire sur des symboles réels, c'est-à-dire sur des constructions ayant la capacité unificatrice de représenter quelque chose qui est reconnu, compris et assumé par un groupe ou une collectivité. Si les mythes authentiques tendent à synchroniser les peuples à travers des symboles partagés, dans la mesure où ils sont susceptibles d'une compréhension universelle en raison de leur caractère archétypal, les faux mythes, comme le capitalisme qui prétend devenir un mythe, sont construits sur la division, l'inégalité et l'exclusion, sur la négation même du mythe. Et s'ils traduisent un archétype, c'est celui du diable, entendu comme une énergie de l'inconscient collectif synonyme de séparation, d'incompréhension, de déviation ou d'erreur.
Le capitalisme, malgré ses promesses renouvelées et toujours trahies de progrès, d'abondance et de prospérité, perpétue l'exploitation, la division et le malheur. Son incompétence mythico-symbolique et son inévitable tendance à l'effondrement deviennent visibles dans cette "apocalypse" qui fonctionne comme une "révélation" de ses limites, comme une terrible convergence de ces "tournants eschatologiques" (Horvat, 2021) qui certifient l'échec existentiel du capital. Archétypiquement lié aux configurations mythiques de l'hybris, il est condamné à faire face aux conséquences de ses excès. La question est de savoir si d'autres mythes puissants, avec leurs symboles authentiques, pourront empêcher le capitalisme d'entraîner le monde dans sa chute.
Bibliographie:
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- Hillman, J. (2010) : Un terrible amour de la guerre, Madrid, Sexto Piso.
- Horvat, S. (2021) : Després de l'apocal-lipsi, Barcelone, Arcàdia.
- Jappe, A. (2019) : La société autophage. Capitalismo, desmesura y autodestrucción, Logroño, Pepitas de Calabaza.
- Jung, C.G. (2004) : La dinámica de lo inconsciente, Madrid, Trotta.
- Jung, C.G. (2010) : Les archétypes et l'inconscient collectif, Barcelone, Paidós.
- Kerenyi, C. (2009) : Les héros grecs, Vilaür, Atalanta.
- Marcet, I. (2023) : La historia del futuro, Barcelone, Plaza y Janés.
- Riechmann, J. (2024) : Ecologismo : pasado y presente (con un par de ideas sobre el futuro), Madrid, Los Libros de la Catarata.
- Varoufakis, Y. (2024) : Technofeudalism. El sigiloso sucesor del capitalismo, Barcelone, Deusto.
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lundi, 12 août 2024
Symbologie du cerf
Symbologie du cerf
par Aldebaran
Source: https://huestantigua.wordpress.com/2024/08/09/simbologia-del-ciervo/
"Parfois, notre destin ressemble à un arbre fruitier en hiver ; qui penserait que ces branches vont bourgeonner et fleurir ? Mais nous l'espérons et nous le savons."
- Goethe
Introduction
C'est au tour, dans notre analyse de certains types d'animaux, du cerf. Un animal imposant qui inspire naturellement la force et la noblesse, et qui est également présent - avec une population en bonne santé - dans les forêts européennes.
Note brève et pratique
Mais avant d'entrer dans l'analyse, il convient de faire une brève et importante remarque concernant l'interprétation des symboles. Du moins en ce qui concerne nos interprétations.
Lorsque nous regardons quelque chose et que nous analysons les choses avec nos propres outils, c'est comme si nous cherchions quelque chose comme "son sens". Ce sens n'apparaît pas aussi clairement que nous le souhaiterions, mais se présente comme une sorte de "quantité d'énergie-attention" qui se concentre sur tel ou tel élément observé. Par exemple, les pattes d'un animal, très banales, concentreront peu d'"énergie-attention". En revanche, avec une crête immense et colorée, c'est tout le contraire qui se produira : elle concentrera beaucoup d'attention, elle sera très "captivante". C'est là que nous "sentons" le sens. C'est alors que l'esprit culturel commence à protester en demandant "Mais qu'est-ce que cela veut dire ?", comme s'il cherchait à le "réifier", à en faire un argument qu'il peut traiter à partir de ses possibilités rationnelles-culturelles limitées.
C'est ici que nous devons comprendre qu'une telle chose n'est pas possible et que ce à quoi nous parviendrons est une réduction de ce "sens". Les symboles purs ne peuvent jamais être complètement englobés par les arguments culturels parce qu'ils participent de l'Infini et que l'esprit culturel, même s'il peut l'intuitionner, ne le fait pas, car il est fini. Une analyse exhaustive de tout symbole pur et puissant remplirait des bibliothèques et ne l'engloberait jamais complètement. Par conséquent, toute interprétation symbolique qui peut être communiquée doit être considérée comme une orientation uniquement et exclusivement, quelque chose comme un pointage dans une direction. Mais il ne s'agit en aucun cas d'une signification fermée, finie ou achevée.
Caractéristiques importantes du cerf
Nous pensons que nous serons d'accord si nous décidons que l'élément du cerf qui capte le plus l'attention, qui accumule le plus de significations potentielles autour de lui, ce sont ses cornes, ses bois.
Les bois
Le sujet des bois est à analyser en soi, car même si nous allons proposer une "version extraordinairement réduite", il nous donne beaucoup d'éléments à méditer. Notre réduction, du moins pour le thème du cerf, est très simple, bien qu'elle soit plus orientée vers la tête que vers les bois eux-mêmes. C'est-à-dire que nous interpréterons les bois comme nous interpréterions, par exemple, le chapeau ou le casque : "ce qui est sur la tête" ; la tête, à son tour, étant symbolique de l'"esprit" et même de la "conscience".
Que porte donc le cerf sur sa tête ? Des bois. Et, plus précisément, quelle sorte de bois ? Une ramure verticale, montant vers le ciel et ressemblant à un "arbre". Dans ce cas, le cerf a sur la tête "l'image d'un arbre". Nous avons donc un "animal de la forêt avec un arbre sur la tête".
L'arbre
Comme nous l'avons fait pour les bois, nous passerons trop légèrement sur le symbole de l'Arbre. Une image qui donnerait lieu à une polémique sans fin sur le plan culturel.
Nous nous en tiendrons donc à la réduction qui nous amène à le comprendre comme une représentation de la lignée, du lignage, de la descendance, du "voyage d'une même graine à travers le temps".
Quant à la Forêt, sous une forme terriblement réduite, nous dirons qu'elle est une image des origines : de la nature "non domestiquée" ou "non dominée par la technique matérialiste". Au niveau de la conscience de l'individu, la Forêt représenterait le "Sauvage", c'est-à-dire les contenus qui ne sont pas propres à l'environnement culturel, qui n'ont pas été placés en lui par le scénario social ou culturel, mais qui sont antérieurs à ces mêmes scénarios sociaux.
Ainsi, pour en revenir au cerf, nous avons "un animal de la forêt qui a sa lignée sur la tête". Il est donc facile de comprendre pourquoi le cerf est parfois appelé "roi de la forêt" : celui qui, ayant son lignage dans la tête, règne sur la forêt. Par ailleurs, il n'est pas moins intéressant de noter que "corne" et "couronne" ont la même origine étymologique.
La proposition des cervidés
Enfin, si l'on admet que nous ne sommes pas allés trop loin dans l'interprétation de ces symboles magnifiques et puissants, quel type de proposition, en fonction de ce que nous avons interprété, pourrions-nous dire que le cerf nous "chuchote" ?
D'une manière générale, nous pourrions interpréter que le Cerf nous propose de prendre en compte notre Lignée, car c'est une manière de comprendre d'où nous venons, de connaître nos racines et l'importance de développer une sagesse autour d'elles.
D'autre part, si nous tenons compte du fait que le territoire du Cerf est la "Forêt", nous pourrions résoudre que cette proposition est aussi une sorte d'avertissement : "la conscience de votre Lignée sera essentielle pour dominer la Forêt". En d'autres termes, ceux qui s'immergent en eux-mêmes dans le cadre d'une quête transcendante devront être attentifs à leur propre lignée.
Trace de la proposition
Avons-nous des traces d'une telle proposition ? Nous le pensons. Il y a, par exemple, le terme culturellement établi d'"arbre généalogique".
Nous avons également, en ce qui concerne l'Arbre, que, malgré tous les efforts déployés par le christianisme pour éradiquer cette image si présente dans les traditions païennes, l'image de l'Arbre a été conservée et sa présence a même été récupérée au moment où l'on célèbre la "Naissance de la Divinité" au solstice d'hiver. Nous le voyons sur l'"Arbre de Noël" et nous voyons même un type de cerf, le renne, tirer le char du Père Noël.
Le mythe dit aussi que c'est sous un arbre, l'arbre de la Bodhi, que Siddartha a atteint l'illumination.
Nous pouvons même trouver une version commodément déformée et peut-être même diabolisée de "l'arbre interdit" dans le jardin d'Eden.
Pour en revenir à l'idée d'une proposition initiatique, l'arbre est présent dans des mythes qui nous parlent de la même chose. Nous considérons que le meilleur exemple est personnifié par Wotan/Odin accroché à l'Yggdrasil pour trouver la Sagesse des Runes.
Dans ce sens, en général, le troisième travail d'Hercule, où il doit chasser le cerf de Cérynie, consacré à Artémis - dont les bois étaient en "or" et qui, dans sa poursuite, conduit le Héros au "pays des Hyperboréens" - nous semble être l'une des traces les plus représentatives de ce qui précède.
Enfin, et toujours en relation avec l'Arbre, nous pouvons prêter attention au quotidien et analyser, par exemple, le premier élan d'un enfant devant un Arbre : qu'est-ce que c'est ? Que veulent les enfants lorsqu'ils contemplent un Arbre merveilleux ? Y grimper !
Enfin, que les "Rois de la forêt" guident les courageux qui décident de s'aventurer à l'intérieur !
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jeudi, 25 juillet 2024
Romanité sacrée et religion d'État
Romanité sacrée et religion d'État
Par Luca Leonello Rimbotti
Source: https://www.centroitalicum.com/romanita-sacra-e-religione-dello-stato/
Bonaiuti et Pettazzoni, deux bâtisseurs d'identité
Les civilisations se mesurent aussi et surtout à la manière dont elles abordent la question de l'identité. Les institutions vitales et grandissantes ont dans l'identification des caractères nationaux et populaires l'une de leurs fonctions les plus importantes. Au contraire, comme chacun le constate à notre époque, les sociétés en désintégration ne font que se prosterner devant l'autre, confondre ou même effacer les traces du long chemin commun, donnant naissance à ce sentiment de culpabilité ou Selbsthass (haine de soi), dans lequel Freud trouvait déjà des preuves de l'effondrement consciencieux des peuples et des individus. La recherche du sacré, l'excavation de dépôts mémoriels collectifs, l'effort de protection et de valorisation des symboles de l'histoire, sont autant de motifs de croissance, d'une culture qui se diffuse et se renforce, enrichissant la vie et la vie politique d'un savoir commun.
C'est sous le signe de la confrontation et, le cas échéant, du conflit bénéfique, que se déploie l'activité d'une Kultur créatrice. Le retour à la source de l'individuation s'accompagne de la volonté de s'opposer au lent déclin des valeurs, préférant vivre un coucher de soleil lumineux plutôt qu'une ruine sans honneur. La société contemporaine a aussi besoin du sacré. Surtout la société contemporaine, qui est quotidiennement marquée par les attaques d'une massification toujours plus plébéienne, à l'enseigne de ce cosmopolitisme matérialiste et ennemi du mythe qui a tout nivelé et privé de sens.
Lorsque, par exemple, Ernesto Bonaiuti (photo) - le prêtre moderniste, excommunié en 1926 et relevé de ses fonctions d'enseignant à partir de 1929, notamment pour avoir refusé de prêter serment au régime fasciste - professait la nécessité d'étudier la religion comme un fait en soi et non comme un acte de foi, il réalisait en réalité une opération culturelle de grande importance: la réintroduction de la prise en charge du sacré dans la société. Malgré les accusations de l'Eglise (et indirectement du régime, qui devient son allié seulement à partir de 1929), Bonaiuti n'a pas véhiculé la sécularisation, mais a lancé une conception du sacré qui devait être autre chose que le confessionnalisme.
Contre le temporalisme papal, devait passer l'idée de la religion comme fait social. Ce n'est pas rien. La « sécularisation des sciences religieuses », dans la perspective de Bonaiuti, devait conduire à la libération des énergies liées au sacré, tout en les inscrivant dans des catégories politiques et non cléricales. Sur ce point, non pas paradoxalement, mais tout naturellement, l'hérétique Bonaiuti croise la lecture historique faite par le fascisme.
La rédaction des Accords du Latran, si elle contraignit l'Italie à certaines servitudes (instruction religieuse dans les écoles, lois sur le mariage, favoritisme au profit des instituts catholiques, subventions, privilèges : en un mot, l'« étatisation » du catholicisme), au point qu'il y eut des moments de grave rupture idéologique (comme par exemple dans le cas de Giovanni Gentile), en revanche, elle ne contraignit pas beaucoup le régime.
L'indépendantisme fasciste à l'égard de l'Eglise (dont témoignent les tensions avec l'Action catholique vers 1931), s'inspirait des déclarations de Mussolini lui-même qui, dans certains discours prononcés quelques mois après la Conciliation, avait affirmé la supériorité historique de Rome sur le christianisme, proclamant que la parole du Christ, sans l'union avec la Ville éternelle, qui en élargissait le message, serait restée une modeste affaire de sectarisme levantin: seule Rome, comme Paul de Tarse l'avait bien deviné, ferait d'une hérésie juive la religion de l'État romain universel. Cela mettait à mal le récit de la continuité entre la communauté chrétienne primitive et l'Église, qui apparaissait ainsi beaucoup plus romaine que catholique.
Certains historiens ont insisté sur le fait que Bonaiuti, officiellement « persécuté » par le régime fasciste, était en fait son soutien idéologique sur le point fondamental de la primauté politique de l'État sur la confession. Bonaiuti le « persécuté », qui écrivait pourtant dans des journaux fascistes (peut-être en signant de ses seules initiales, mais, de fait, il écrivait bel et bien dans ces journaux) comme le « Corriere Padano » du féal de Bottai Nello Quilici, ou dans « La Stampa » dirigée par des pontes comme Malaparte et Augusto Turati, ce Bonaiuti icône de l'antifascisme posthume, disait des choses étonnamment dans la ligne, et il ne tarissait pas d'éloges sur le régime. D'ailleurs :
Les Accords du Latran étaient aussi présentés, presque paradoxalement, comme un encouragement à la liberté de recherche, une persuasion que Bonaiuti nourrissait, au moins par moments, même en privé.
Selon lui, dans les mots du leader du fascisme prenait forme « l'action unificatrice de Rome » et le rêve d'une primauté italienne renouvelée dans les sciences religieuses [1].
Ce jugement, au lieu d'opposer le régime à l'histoire et à la morale, l'inclut pleinement parmi les facteurs de consolidation non seulement de l'identité religieuse, mais aussi de la fonction historique, élevée à la dimension universelle.
On connaît d'ailleurs les arguments de Mussolini à cette époque sur la possibilité pour le fascisme de profiter de la visibilité mondiale garantie par le catholicisme romain, dont l'« impérialisme » éthique aurait pu facilement être flanqué de ce que l'on appelait pour l'instant l'« impérialisme spirituel » de l'Italie fasciste.
Quoi qu'il en soit, le fait que « l'historien “hérétique” ait pris le parti de l'État fasciste contre les prétentions ecclésiastiques », réveillant également l'intérêt de Gentile, signifie que l'histoire enregistre souvent des cas de convergence de vues politiques et idéales, même de la part de sujets provenant de milieux différents, ou divisés par des jugements divergents sur de simples détails.
Bonaiuti, en effet, ne s'oppose même pas à la polémique sur le nouveau paganisme germanique, qu'il considère, à l'instar de la majorité de la culture fasciste, comme un fragment moderne de la Réforme luthérienne, qui a trouvé dans la polémique antiromaine le point d'appui de sa propre révolte. C'est précisément dans la proposition d'une centralité renouvelée de la romanitas, opposée à la paganitas nationale-socialiste, que Bonaiuti s'est trouvé aux côtés de ceux qui (pas nécessairement depuis les rivages clérico-fascistes) différenciaient l'Italie romaine du nouveau Reich naissant, dont le racisme remontait directement à Luther et à la constitution ethnique ancestrale du germanisme, jugée immuable, ce qui lui permettait d'affirmer
la permanence inaltérable des caractéristiques primitives de la spiritualité collective germanique à travers les siècles, et donc sa résurgence impétueuse et incontestée dans les idéaux et les programmes du nazisme [2].
Ce qui, à vrai dire, était plutôt un argument fort des néo-païens emmenés par Rosenberg : le national-socialisme comme vecteur d'une identité raciale inaltérable. Dans ce sillage, la même guerre d'Éthiopie de 1935-36, insérée par Bonaiuti dans la tradition de Dante sur l'empire comme « moyen providentiel » pour la rédemption de l'humanité, fut jugée positivement, au point de se joindre à la condamnation de la Société des Nations à Genève, accusée par le prêtre moderniste d'être un repaire calviniste qui s'efforçait de s'opposer à l'avancée légitime de la nouvelle Italie vers l'empire. A l'avènement de celui-ci, en mai 1936, Bonaiuti ne manqua pas de revendiquer les justes titres de la romanitas renouvelée de Mussolini, en se référant directement à saint Augustin et à son éloge de la Rome césarienne et de son « expansion providentielle ». Sur ce point, il faut le dire, Bonaiuti s'est trouvé aux côtés de l'Église qui, à l'instar de la puissante Curie milanaise, s'est distinguée en bénissant les Chemises noires en partance pour l'Abyssinie, où elles allaient non pas imposer un régime brutal, mais y apporter la lumière de Rome, chrétienne et fasciste, « par laquelle le Christ est romain », pourrait-on dire, à la suite d'Alighieri.
Les études historico-religieuses comme moment essentiel de revigoration d'une idéologie identitaire radicale. C'est aussi le cas d'un autre grand interprète du sacré dans l'histoire moderne, Pettazzoni (photo, ci-dessus), académicien d'Italie depuis 1933.
Avec ce grand connaisseur des spiritualités anciennes (de la Sardaigne primitive à la Grèce, à l'Iran et au Japon), l'importance de la religion en tant que fait national est confirmée. Chaque peuple emprunte son propre chemin vers le sacré selon les coordonnées de sa spécificité. Une sorte de « religion d'État », qu'il s'agisse du shintoïsme japonais, de la paganitas hellénique ou du zoroastrisme, des phénomènes qui portent à chaque fois les stigmates d'une culture, non reproductible dans son unicité. L'objectif scientifique de Pettazzoni était de conjuguer la religiosité d'État avec celle du salut individuel, afin de rendre compte de ces grandes religions politiques dont les civilisations du passé ont témoigné. À commencer, pour nous Occidentaux, par le culte impérial augustéen, auquel la fusion avec le christianisme opérée par Constantin allait générer dans la « religion de l'homme » la qualification d'un pouvoir supplémentaire, donné par une « religion officielle de l'État ». Comme pour le shintoïsme, Rome pourrait donc voir le culte privé élevé au rang de doctrine civile et de dogme d'État. De ces aspects, ignorant délibérément les apories historiques, Pettazzoni a relevé la caractéristique du communautarisme et de l'offrande héroïque de soi, cette énergie de l'esprit intérieur qui fait de l'homme un prêtre de la patrie et un témoin du sacrifice volontaire.
Même, en ces temps de projection faustienne vers l'illimité, Pettazzoni préfigure un régime fasciste capable d'assumer ces héritages romano-païens, de dépasser le confessionnalisme injecté par le Concordat, et d'espérer une Italie ramenée aux héroïsmes des pères, comme cela se passe au Japon en ces années de mysticisme surhumaniste. Le dépassement du christianisme et sa dilution espérée dans un système de religiosité nationale, à préférer au radicalisme d'un certain national-socialisme néo-païen, devaient, selon le savant, donner vie à quelque chose qui puisse orienter l'Italie vers le culte de la sacralité de la lignée divine: si le christianisme universel semblait refroidir les instincts nationaux-populaires, la « religion d'État », qui connaissait les voies de la collectivité, les libérait positivement [3].
Comme Giuseppe Tucci (photo), l'autre grand orientaliste de l'époque et son jeune collègue enseignant à La Sapienza, Pettazzoni devait envisager de dépasser le christianisme par le chrisme d'un paganisme renouvelé, afin de générer cette religion de l'État populaire qui aurait en son centre la mystique héroïque « de la mort en armes ».
L'éthique héroïque du Japon impérial, incarnée dans le code guerrier traditionnel, était considérée comme un objectif que les Italiens de l'époque pouvaient atteindre: « Le Buscidô propose un idéal qui a des racines solides même dans cette mère des héros qu'est l'Italie et que tous les grands peuples connaissent » [4].
Cela aurait donné à la guerre de l'Axe, alors en cours, le visage d'un « acte liturgique » qui avait sa source originelle dans le « patrimoine civique-religieux archaïque ».
De cette manière, les connotations archaïques du millénarisme historique, consacré aux énergies énigmatiques de la création, qui, comme dans le zoroastrisme iranien, interprétait la vie comme une lutte inépuisable, auraient été ravivées : « la lutte humaine n'est qu'un épisode de la lutte cosmique entre le principe du bien et le principe du mal » [5].
Des formulations aussi grandioses paraissent incompréhensibles aujourd'hui, en raison de la domination débordante de la pensée séculière et mécaniste. Ces conceptions seraient les filles de mondes lointains et mythologiques, et pour la plupart, narcotisés par les fumées cosmopolites, elles peuvent sembler les divagations d'esprits enfiévrés. Le fait que des génies de premier plan, versés dans l'étude scientifique des faits anthropologiques, se soient consacrés à elles semble un paradoxe. En effet, il n'est pas rare que, lorsqu'une culture vaincue montre ses facettes faites d'une puissance imaginative rendue inerte par le temps, elle apparaisse totalement incompréhensible à une postérité inculte, qui se rassemble autour d'elle dans l'incrédulité.
Notes:
[1] Matteo Caponi, Il fascismo e gli studi storico-religiosi : appunti sul discorso pubblico di Ernesto Bonaiuti e Raffaele Pettazzoni, in Paola S. Salvatori (ed.), Il fascismo e la storia, Scuola Normale Superiore, Pisa 2020, pp. 169-170.
[2] Ernesto Bonaiuti, Paganesimo, germanesimo, nazismo, Bompiani, Milan 1946, p. 7. Mais la première version de ce texte remonte à l'avant-guerre. Cf. également la récente réédition du même titre, BookTime, Milan 2019.
[3] Cf. Caponi, cité, p. 181 : « Comme on pouvait le lire dans un volume de propagande de 1942, le fascisme était appelé à s'approcher de l'esprit japonais ».
[4] Giuseppe Tucci, Il Buscidô [1942], in Sul Giappone. Il Buscidô e altri scritti, Edizioni Settimo Sigillo, Rome 2006, p. 86.
[5] Raffaele Pettazzoni, La religione di Zarathustra [1920], Arnaldo Forni Editore, éd. anast. 1979, Bologne, p. 86.
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lundi, 15 juillet 2024
Apprendre à mourir: le sens de la vie
Apprendre à mourir: le sens de la vie
L'homme, animal symbolique et mythologique, oublie son véritable or alchimique intérieur au profit du matériel. La liberté intérieure, la perception du sacré et la beauté authentique se trouvent dans la connaissance de soi et l'éveil spirituel, au-delà de la vie extérieure et matérielle.
Guillermo Más Arellano
Source: https://herculesdiario.es/cultura/aprender-a-morir-el-sentido-de-la-vida/
L'homme se distingue du reste du règne animal par sa capacité à utiliser un langage connotatif et surtout dénotatif; il s'ensuit qu'avant d'être un animal conscient, voire un être pour la mort, comme nous le sommes, l'homme est un animal symbolique et mythologique, un poète capable d'incarner le sacré qu'il porte en lui à travers des actes rituels et des paroles magiques, puisque tout acte est potentiellement sacré : la magie, c'est en prendre conscience pour modifier la Nature par la Volonté et l'Eros.
L'alchimie, parmi tant d'autres dons, était capable d'accorder à ses meilleurs praticiens le pouvoir de transformer le plomb en or ; l'homme moderne, en revanche, s'est tourné vers le matériel, vers l'obtention de l'or physique, oubliant au contraire le véritable or alchimique : celui que tout homme porte en lui. Les rêves sont pour le bourgeois, comme les mythes pour le paysan, les réminiscences de tout un monde subconscient qui lui parle de sa liberté intérieure. La maison de l'Être est toujours là, en nous, quel que soit l'activisme, axé uniquement sur l'expérience extérieure, qui voudrait nous persuader de l'inexistence de cette liberté spirituelle que nous portons en nous comme un feu inaltérable.
Nous appelons kairos le moment opportun où quelque chose d'important se produit. Nous appelons metanoia le changement profond qui s'opère en nous lorsque nous nous ouvrons à ce moment qui nous arrache à la vie mondaine. Enfin, nous appelons hiérophanie l'instant de perception du sacré qui ne nous est accordé que par l'initiation au processus précédent. En fin de compte, il s'agit de l'anagnorisis qui, en Occident, porte l'épithète pieuse de révélation ou de rédemption. La vision du Soi que nous sommes par essence.
Platon, le père de la philosophie, auteur d'une œuvre qui a nourri l'Occident solaire et apollinien pendant des siècles, n'était qu'un commentateur des mythes. Il a largement falsifié l'héritage de ces mythes, trahissant leur composante lunaire et dionysiaque qui, dans la civilisation indo-européenne, a permis une pleine coexistence des sociétés. A travers les rites et les mythes, la liturgie et la poésie, la civilisation occidentale se rappelle depuis des siècles que l'inconscient existe et qu'il doit être libéré dans les moments de fête grâce auxquels la société est équilibrée : c'est le potlach tragicomique qui structure mythopoétiquement toute culture (civilisation).
La disparition du rite en Occident, dont ont parlé René Girard, Gaston Bouthoul ou Roberto Calasso, a remis entre les mains de la littérature la tâche de rappeler cette vérité ; mais comme la littérature a disparu, en réponse à un terrible critère d'utilité, de loisir qui va à l'encontre du néc-otium, nous laissant orphelins de cette même vérité, l'état de la question s'est aggravé à un point qui était impensable auparavant. Cependant, la littérature et son message, la maison de l'Être, reste en nous, endormie, attendant que nous dormions pour faire son apparition nocturne : dans les rêves, comme dirait David Lynch, citant Roy Orbison.
Chaque éclair de beauté que nous pouvons encore expérimenter, chaque égratignure laissée par le monde intermédiaire qui se manifeste surtout dans les rêves, est un nouveau souffle pour la liberté intérieure que, pendant des siècles, l'Occidental s'est efforcé d'anéantir. Tout homme de l'Amazonie sait ce que le scientifique le plus expérimenté ignore: il existe des forces cachées qui sous-tendent la vie ; nous appelons cela, compris comme un don que chaque homme s'offre à lui-même, la liberté. La mobilisation totale, l'oubli profond du Moi, a plongé notre civilisation dans la décadence ; et nos cœurs dans la disgrâce. Depuis la Renaissance et surtout les Lumières et l'Industrialisation, le processus de destruction s'est accéléré. Après l'effondrement de plus en plus imminent, le temps du mythe renaîtra.
Nietzsche a souligné à juste titre que, si le désir est à proprement parler projeté vers l'extérieur, notre malaise est avant tout une agitation intérieure. On a beau vouloir indiquer dans ces lignes des raisons extérieures à ce qui s'est passé, on a beau vouloir indiquer des réponses pratiques à l'ampleur du problème, il faut malgré tout comprendre que le problème de la liberté est un problème intérieur et que, par conséquent, l'éveil ou non à cette liberté personnelle dépend uniquement de chacun d'entre nous. Car la liberté est nécessaire et tout le reste, en particulier ce qui a trait au monde matériel, est purement facultatif et disparaîtra en temps voulu (vanitas). Une nuisance au calme et au silence que tout chemin ascétique requiert nécessairement.
Nous n'avons pas besoin de notre prochain et de son enfer lorsque le chemin de la connaissance de soi reste sans fin. Toute l'angoisse formée par l'effet des débris extérieurs sur nous peut être éliminée d'un seul coup si la volonté s'exerce. Le reste n'est que bagage, insignifiance, ruines qui seront effacées par le silence imperturbable de celui qui cherche le sacré parmi les casseroles. La faiblesse ne se manifeste alors que par la peur, par l'ego, par une peur intime de soi qui fuit la transparence du silence. La liberté, en revanche, doit être atteinte libre de tout bagage : telles sont les règles de l'ascension. Incipit authenticité : sans rien à perdre. Même dans la pire des prisons, la liberté est possible, si le sujet emprisonné se l'accorde.
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dimanche, 14 juillet 2024
Symbologie de l'aigle
Symbologie de l'aigle
par Aldébaran
Source: https://huestantigua.wordpress.com/2024/07/04/simbologia-del-aguila/
"Un jour, j'étais seul. L'aigle royal était passé par là et m'avait non seulement offert un de ses vols de chasse percutants, mais avait décrit les acrobaties les plus fantastiques en compagnie de sa compagne. L'aigle ! Le mâle et la femelle sont restés suspendus dans le ciel pendant cinq ou dix minutes, qui sait !....
J'étais amoureux de ses ailes, je voulais devenir un oiseau".
- Félix Rodríguez de la Fuente
Introduction
Nous vous proposons ici une nouvelle interprétation symbolique, cette fois de l'aigle, impressionnant et merveilleux.
Nous ne reviendrons pas sur les critères et les motivations de l'analyse, et nous invitons les personnes intéressées à consulter les analyses précédentes de l'Ours (= http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2024/04/18/symbologie-de-l-ours.html ) et du Loup.
Nous tenons également à vous avertir que cette analyse est très restreinte et limitée. Nous sommes conscients que l'analyse des symboles, de par son ambivalence et son ampleur impressionnantes, est une tâche ingérable ou, si vous préférez, interminable pour tout esprit tourné vers la culture. C'est pourquoi nous proposons à tous ceux qui aiment le sujet de faire leur propre analyse et d'élargir ainsi les possibilités d'interprétation.
Les oiseaux
La première chose à signaler à propos de l'aigle est qu'il s'agit d'un oiseau et qu'à ce titre - même s'il est vrai que tous les oiseaux ne volent pas - il possède la "faculté de voler".
Il est vrai que l'on pourrait écrire plusieurs volumes sur l'interprétation des oiseaux au niveau symbolique, mais nous nous contenterons ici de signaler cette capacité et de l'interpréter comme la possibilité de "ne pas rester en surface mais en altitude". Bien sûr, nous résolvons cette "hauteur" comme une distance qui permet de "ne pas être impliqué dans l'observé" ou, si l'on veut, "de ne pas être à portée de son influence" et même "d'être invisible à celui qui ne peut observer que le superficiel". Cependant, dans le cas de l'Aigle, cette "non-implication", comme nous le verrons, ne signifie pas l'inattention ou l'oubli.
D'autre part, si nous déchiffrons la Terre comme "les choses matérielles", alors le séjour en vol pourrait également signaler la capacité de "considérer les choses matérielles loin de leur influence" ou, puisque les oiseaux sont au Ciel, d'"avoir l'opportunité de considérer les choses transcendantes" ou "les choses non terrestres".
Caractéristiques importantes de l'aigle
Après avoir abordé le sujet du vol et des hauteurs, il convient de noter que l'aigle fait partie de la catégorie des oiseaux de "haute altitude". Pour quantifier l'animal lui-même, ses hauteurs maximales se situent entre 6000 et 7000 mètres. C'est cette altitude qui révèle une autre de ses caractéristiques essentielles: sa magnifique vue.
Toujours sur le plan matériel et à titre d'exemple, on estime que l'aigle peut voir les lièvres et les lapins à plusieurs kilomètres de distance. Cette caractéristique montre bien que l'aigle n'a pas seulement la capacité de voler haut, mais qu'il ne doit pas non plus perdre de vue le territoire qu'il survole. Et c'est là, comme nous l'avons souligné, que le vol de l'aigle n'implique pas nécessairement un mépris du terrain ou du "terrestre". En effet, il arrive souvent que l'aigle, comme tout autre oiseau de proie, vole précisément pour avoir un avantage insurmontable lors de la chasse.
Sur le plan symbolique, nous avons tendance à interpréter ce spectacle incroyable comme une plus grande puissance ou une plus grande portée dans la possibilité de voir et de comprendre ce qui est observé. Si nous nous plaçons dans un contexte culturel, la "distillation" de cette combinaison de "hauteur et de vision" nous chuchoterait que l'on peut penser et sonder "au-delà des possibilités culturelles", ce qui serait cette "surface" que les oiseaux transcendent - avec le vol - tout en étant "hors de portée des oiseaux".
Une autre caractéristique importante de l'aigle, que l'on retrouve également chez d'autres oiseaux de proie, est sa façon de chasser et, plus précisément, le vol en piqué qui l'amène à sa proie. Cet attribut, sur le plan symbolique et sous certains aspects, associe l'aigle à l'éclair : une force terrible, mortelle et imparable qui tombe du ciel sur la terre. Ceux qui ont eu la chance de l'observer dans la nature comprendront ce que je veux dire.
Nous interprétons que le vol, ainsi que la vision en hauteur, sont relatifs au "Potentiel de Domination", puisque la volonté n'est applicable que là où elle a atteint l'attention; c'est-à-dire que nous ne pouvons appliquer la volonté que dans les domaines dont nous sommes conscients - la conscience indique la possibilité d'exercer la Volonté. C'est pourquoi, compte tenu de la hauteur de vol de l'aigle et de sa capacité de vision, nous constatons que le potentiel d'action de l'aigle est écrasant. Si nous ajoutons à cela le fait qu'il atteint le sol en quelques fractions de seconde et avec une force insurmontable, nous n'avons aucun doute sur le fait que l'Aigle domine effectivement le territoire depuis les hauteurs. De plus, cela nous incite à voir l'Aigle comme une manifestation absolument divine. Un échantillon, un petit reflet, de ce que sont les pouvoirs divins : distance, vision, domination et possibilités d'action inaccessibles à l'humain.
Une dernière caractéristique de l'Aigle, qui ne fera qu'ajouter à l'idée de le considérer comme quelque chose de Divin, est sa Présence. Nous le disons ainsi, en majuscules, même s'il s'agit d'un animal. Mais il est indéniable, lorsqu'on assiste à la vie de cet animal, de reconnaître une sorte de charisme qu'il possède clairement et qui - nous le soupçonnons - lui est donné parce que notre propre milieu le contemple comme tel: comme une manifestation divine.
La proposition d'Aguileña
Si nous sommes d'accord avec l'idée que l'aigle est un reflet du divin dans la nature animale. Et si l'idée de ces écrits est de chercher en chacun de nous ces contenus de notre conscience que ces grands animaux nous murmurent... l'Aigle, comme le Loup, demande de faire de la place, de l'espace, pour des caractéristiques qui, dans leur développement, seront propres aux Héros, aux Hommes à l'Héritage Divin. Évidemment, nous nous référons à la hauteur du vol comme "distance" et à la capacité de vision comme des traits nécessaires pour exercer la domination, où l'on doit être le premier "banc d'essai".
Mais aussi - comme pour l'ours -il donnera un aperçu de la puissance contenue dans cet intérieur divin par sa façon d'agir: semblable à la foudre qui tombe des cieux. Un attribut, ce dernier, qui résonne également avec l'idée du "Moment opportun" ou "Kairos".
Trace de la proposition
Il ne sera pas difficile, pour ceux qui le souhaitent, de trouver des preuves que l'aigle a été et est, en général, un symbole du divin. Un oiseau que l'on retrouve généralement parmi les animaux qui identifient les grandes divinités des principaux panthéons et, surtout, parmi leurs chefs.
À titre anecdotique, nous voudrions souligner que l'aigle est un symbole tellement approprié du divin qu'il est curieux qu'en espagnol, bien qu'il s'agisse d'un mot de genre féminin, il soit utilisé avec l'article masculin, laissant ainsi un détail amusant de sa condition de syzygie intégrée.
D'autre part, il n'y aura pas beaucoup de doutes lorsqu'il s'agira de le relier à la capacité de dominer, puisqu'il a été le symbole de plusieurs empires.
En somme, bravo aux "Aigles" et souhaitons qu'ils soient nombreux à prendre leur envol !
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Juin-juillet 2024
Aldébaran
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dimanche, 02 juin 2024
Sport ou religion ?
Sport ou religion ?
Alexander Douguine
Source: https://www.geopolitika.ru/article/sport-ili-religiya
Le sport a des origines préchrétiennes et appartient à la culture grecque antique. Avec le théâtre, la philosophie et les systèmes de gestion de la polis, le sport, et en particulier les Jeux olympiques, était l'un des traits caractéristiques de la civilisation grecque. C'est dans cette civilisation qu'il a connu son plus grand développement et la forme sous laquelle il nous est connu aujourd'hui.
L'interprétation grecque du sport était basée sur l'idée de jeu. C'est pourquoi les compétitions elles-mêmes étaient appelées "jeux". Le terme de "jeu" était également attribué à la représentation théâtrale, dans laquelle, tout comme dans le sport, les poètes - créateurs de tragédies et de comédies - s'affrontaient. Le concept de jeu est étroitement lié aux fondements mêmes de la culture, comme le montre J. Huizinga dans son célèbre ouvrage Homo Ludens.
Il s'agit ici de tracer la ligne de démarcation entre l'implication sérieuse dans la contemplation d'un affrontement ou d'une compétition, ainsi que dans la création d'une œuvre dramatique (si l'on parle de théâtre) et le caractère conventionnel d'un tel affrontement. Le sport et le théâtre, et le jeu en tant que tel, présupposent la distance. C'est pourquoi, parmi les dieux grecs, patrons des Jeux olympiques, il n'y avait pas Arès, le dieu de la guerre. C'est le sens du jeu: il s'agit d'une bataille, mais pas d'une bataille réelle, conventionnelle, car elle ne franchit pas une certaine ligne critique. De même que le théâtre ne fait que représenter l'action, le sport, lui, ne fait que représenter la vraie bataille. La culture naît précisément de la prise de conscience de cette limite. Lorsque la société l'intériorise, elle acquiert la capacité de faire des distinctions subtiles dans le domaine des émotions, des sentiments et des expériences éthiques. Le sport et le théâtre procurent du plaisir précisément parce que, malgré le caractère dramatique de ce qui se passe, l'observateur (le spectateur) garde une distance par rapport aux événements qui se déroulent.
C'est cette distance qui forme un citoyen à part entière, capable de séparer strictement la gravité de la guerre de la conventionnalité d'autres types de rivalités. Ainsi, pendant la durée des Jeux olympiques, les cités-États grecques souvent ennemies concluent une trêve (έκεχειρία). C'est à l'occasion de ces jeux que les Grecs ont réalisé leur unité au-delà des contradictions politiques entre les différentes polis. Ainsi, les différents éléments du sport étaient unis par la reconnaissance de la légitimité de la distance.
À l'époque chrétienne, les manifestations sportives du monde hellénistique ont progressivement disparu parce que le christianisme offrait un tout autre modèle de culture et d'unité humaine. Tout y est sérieux et l'autorité ultime est l'Église universelle elle-même, dans laquelle les peuples et les nations sont unis. C'est elle qui porte la paix et la plus grande distance possible, celle qui sépare la terre du ciel, l'homme de Dieu. Face à la mission universelle du Sauveur, les différences entre les peuples (« Juifs et Hellènes ») passaient à l'arrière-plan. Le sport (tout comme le théâtre) a donc probablement perdu de son importance.
La renaissance du sport commence au 19ème siècle dans des conditions totalement nouvelles. Il est intéressant de noter qu'alors que le théâtre, en tant que partie intégrante de la culture antique, réapparaît au tout début de la Renaissance, il faut attendre quelques siècles de plus pour que les Jeux olympiques renaissent. Cela a probablement été entravé par certains aspects esthétiques du sport lui-même, qui contrastaient fortement avec les notions chrétiennes de ce qui constituait un comportement décent.
Il est révélateur qu'en Allemagne, le fondateur du mouvement sportif ait été un païen convaincu et un nationaliste radical, Friedrich Ludwig Jahn (1778-1852) (gravure, ci-dessus), qui voyait dans le mouvement sportif et gymnique une base pour diffuser les idées d'unification allemande parmi les jeunes, ce qui est devenu le fondement de l'idéologie du sport. Jahn était un fervent défenseur de l'antiquité germanique et prônait la renaissance des runes. Au 20ème siècle, les idées de Jahn ont continué à se développer dans le cadre du pangermanisme et du mouvement de jeunesse Wandervogel, et ont notamment exercé une influence majeure sur le national-socialisme.
Pierre de Coubertin (photo), qui a revitalisé le mouvement olympique, était également un nationaliste (et en un sens, un "raciste"). L'implication des Grecs, alors en lutte nationale avec l'Empire ottoman, s'inscrit également dans la stratégie globale des puissances européennes visant à transformer les rapports de force géopolitiques. Parallèlement, la franc-maçonnerie européenne, bien que fondamentalement athée, y était également très attentive, sans pour autant être étrangère à une certaine esthétique « païenne ».
De manière générale, il s'avère que le sport, phénomène culturel non chrétien à l'origine, a disparu au cours du Moyen Âge chrétien et est revenu en Europe dans un contexte post-chrétien et même en partie anti-chrétien.
Cela soulève avec une urgence nouvelle le problème suivant: le sport est-il compatible avec le christianisme ? Les passions, l'esthétique et les règles du jeu suscitées par le sport peuvent-elles être combinées avec une vision chrétienne du monde ? Bien entendu, cette question est un cas particulier d'un problème plus fondamental: le christianisme est-il compatible avec le monde moderne en général, construit en général - et pas seulement, bien sûr, le sport - sur les bases de la désacralisation, du matérialisme, de l'évolutionnisme, de la laïcité et de l'athéisme ? Il n'est évidemment pas possible de répondre à cette question de manière univoque, mais il convient de la poser, ne serait-ce que pour lancer un cycle de discussions significatives. De telles discussions pourraient nous aider à mieux comprendre, dans les nouvelles conditions, ce qu'est le sport et, plus important encore, ce qu'est le christianisme.
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samedi, 01 juin 2024
Bruckberger et l’abdication de l’Eglise
Bruckberger et l’abdication de l’Eglise
par Nicolas Bonnal
J’ai déjà écrit sur son livre-brulot, sa Lettre à Jean-Paul II (pape dont il attendait beaucoup, et qui a masqué plus que ralenti l’effondrement terminal de la bâtisse), et je vais encore insister et compléter. Bruckberger tape lourd et il l’a fait en dépassant Guénon: il voit le mal se glisser dans l’Eglise depuis le treizième siècle. Remarquez, Guénon a parlé de l’affaire des Templiers (mais sans trop viser l’Eglise) dans son Autorité spirituelle, et Huysmans avait écrit que tout dégénérait depuis ce treizième siècle dit des cathédrales. Les plus lucides reliront Dante.
Bruckberger attaque d’abord le Concile de Vatican II – sans qu’on puisse le suspecter de traditionalisme ou autre.
«Commettez allégrement tous les crimes ou laissez allégrement commettre tous les crimes contre la foi, contre les sacrements, contre les commandements de Dieu, ne vous laissez surtout pas intimider ! Invoquez publiquement le concile, l'esprit conciliaire, les réformes soi-disant issues du concile, et vous voilà aussitôt, non seulement justifié, mais hors de toute atteinte, hors de cause, au-dessus de tout Soupçon; vous échappez automatiquement à toute juridiction, rien ne peut vous être reproché.»
Puis notre courageux auteur (scénariste du Dialogue des carmélites qui résonne comme une Fin initiatique de la France médiévale – façon Adrienne-Sylvie de Nerval) s’est rendu compte que tout allait déjà mal depuis un certain temps tout de même :
« Je pense souvent à l’Angleterre au XVIème siècle, au moment où, sous la pression de la monarchie, l'Eglise d'Angleterre s'est séparée de Rome, sans que l'ensemble du peuple catholique anglais s'en aperçoive. Il y a eu le chancelier Thomas More qui a versé son sang. Mais il n'y a eu qu'un évêque, un seul, l'évêque Fischer de Rochester (tableau, ci-dessous), qui a osé dénoncer l'imposture du changement de religion. Lui aussi est mort martyr. Combien y avait-il d'évêques en Angleterre en ce temps-là ? »
Depuis combien de siècles en fait le roi est-il nu ?
On se rend compte que déjà il n’y avait pas trop de héros. Le christianisme était depuis Innocent III au moins affaire d’organisation, de surveillance et de répression, pas de grands élans.
Mais restons-en au Concile :
« De quoi s'agissait-il, sinon de changer la substance de la religion catholique, de rejeter l'autorité du pape, mais encore plus de transformer le sacrifice de la messe en un service de communion ? Je pense que beaucoup de ces évêques étaient de braves gens. Malheureusement en certaines circonstances, et quand on a des responsabilités de commandement, être un brave homme ne suffit pas. Quant au bon peuple, il a tendance à suivre ses chefs immédiats… »
Le vernis craquait déjà (Bayle, Fontenelle…) sous Louis XIV. C’est La Bruyère qui parlant du dévot écrit dans les Caractères que c’est un homme qui sous un roi athée serait athée. Et Feuerbach qui parle du masque de la religion qui a remplacé la religion. Macluhan explique cela avec son homme typographique. On reprogramme l’occidental typographique depuis Gutenberg, c’est tout.
Bruckberger compare l’Eglise à une entreprise qui a mal tourné et masque son bilan ou décide de faire autre chose. Entreprise qui écrirait pince-sans-rire :
« MESURES A LONG TERME
REMPLACER DISCRETEMENT LE PRODUIT ACTUEL PAR UN PRODUIT NOUVEAU, QUI ASSURERA LA RECONVERSION ET L'AVENIR DE L'ENTREPRISE. »
Ensuite Bruckberger parle de complot des technocrates à l’intérieur de l’Eglise (technocrate me semblerait presque un compliment, mais bon…) :
« La leçon de la parabole est claire. Quelle qu'ait été l'intention de Jean XXIII et de Paul VI - et cette intention n'a aucune espèce d'importance en regard de ce qui s'est passé dans la réalité il y a eu complot de technocrates à l'intérieur de l'Eglise pour, à l'occasion et sous le couvert du dernier concile, purement et simplement changer la religion catholique, en changer discrètement mais sûrement la substance. C'est ce complot que nous dénonçons sans relâche… »
Il cite même un journaliste plus conscient du problème que le bourgeois catho de base (le seul à « pratiquer » - mot atroce -, le reste ayant disparu, je veux dire le peuple, notamment paysan, de Farrebique) :
« Alain Woodrow est un autre chroniqueur religieux du Monde. Il a publié un livre intitulé : l’Eglise déchirée. Dès la première page, il écrit : « Le christianisme est en miettes, morcelé à la suite de schismes religieux et politiques qui ont jalonné son histoire; il est en train de se dissoudre sous l'action corrosive des sciences humaines, de se transformer en un folklore de la société actuelle. » Humainement, c'est très bien vu et c'est incontestable. »
Sauf que le folklore suppose des costumes, du savoir-faire, des danses, des efforts et des sacrifices physiques, tout ce qui a disparu...
Bien entendu, tout va bien. Tout va toujours très bien:
« Bien entendu, les évêques français, qui l'ont menée au point d'exténuation où elle se trouve, ne l'admettront jamais. Ils vous affirmeront dur comme fer que l'Eglise de France ne s'est jamais mieux portée. Ils vous joueront l'envers du Malade imaginaire. L'Eglise de France en est au dernier état d'un cancer généralisé, ils vous jureront la main sur le cœur qu'elle va très, très bien. »
C’est le raisonnement des Shadocks de notre jeunesse : il n’y a pas de solution car il n’y a pas de problème.
Bruckberger va citer « le grand savant laïc » (entièrement d’accord, voyez mes textes) Lévi-Strauss qui remarque timidement dans une interview:
« C. LÉVI-STRAUSS. C'est l'appauvrissement du rituel qui me frappe. Un ethnologue a toujours le plus grand respect pour le rituel. Et un respect d'autant plus grand que ce rituel plonge ses racines dans un lointain passé. Il y verra le moyen de rendre immédiatement perceptibles un certain nombre de valeurs qui toucheraient moins directement l’« âme » si l'on s'efforçait de les faire pénétrer par des moyens uniquement rationnels. Louis XIV a dit, dans son testament, en s'efforçant de justifier le cérémonial de la Cour, des choses assez profondes : qu'on ne peut pas demander à tout le monde d'aller au fond des choses. Il faut qu'il y ait des expressions sensibles. »
Lévi-Strauss ajoute plus loin (car le journaliste est bouché…) :
« J’entends bien que tout rituel doit évoluer. Une société religieusement vivante serait une société capable d'enrichir son rituel. Mais les tentatives de renouvellement - du moins ce que vois quand j'assiste à des messes d'enterrement ou de mariage ne paraissent pas très convaincantes. »
Ce pas très convaincant, le bourgeois en fait son ordinaire quand il célèbre des mariages à 100.000 ou 200.000 euros. Bruckberger ajoute :
« On ne peut dire plus clairement, ni avec plus de prudence et de gentillesse, qu'en France, la réforme liturgique issue du dernier concile est un fiasco. Un grand savant agnostique s'en dit troublé. Nos évêques, eux, n'en sont nullement troublés : même si elle devait entraîner la mort du patient, ils nous forceraient à tenir la bouche ouverte jusqu'à ce que toute la potion soit avalée. Un grand savant explique ce qu'Aristote nous avait depuis longtemps appris : qu'il n'est rien dans l'intelligence qui ne soit d'abord tombé sous le sens, et que tout ce qui touche la sensibilité, surtout si ça vient de loin, doit être modifié avec la plus grande prudence. Les évêques n’en ont cure… »
Les évêques n’ont cure de rien. Remarquez, c’est ce que dit Léon Bloy dans tout son journal, et nous sommes toujours là, alors pourquoi paniquer ?
Puis il y a plus grave. Bruckberger remonte dans le Temps pour constater comme je le fais souvent que les choses étaient pourries depuis longtemps ; les jésuites, les temps baroques ? Non, non, le siècle de Saint-Louis avec son Inquisition et ses croisades antichrétiennes dévastatrices :
« Bernanos avait coutume de remarquer qu'une civilisation tombe en décadence quand la fin y justifie les moyens. En ce sens il y a longtemps que la civilisation chrétienne est en décadence. La décadence a commencé au XIIIème siècle avec l'Inquisition, elle a atteint son zénith avec la casuistique jésuite aux XVIème et XVIIème siècles. Mais nous avons dépassé ce stade, nous l'avons dépassé de très loin. »
Et de parler de Himmler et de Lénine avec l’Inquisition :
«Aujourd'hui, on sait de manière certaine que Himmler, chef et organisateur de la Gestapo, Lénine lui-même, ont lu et étudié le Manuel des inquisiteurs. Le système était là tout entier : ils n'ont eu qu'à l'utiliser sur une immense échelle et à l'industrialiser. Mais le système était là, ce n'est pas eux qui l'ont inventé, il était là, complet, exprimé dans une langue juridique admirable: avec l'usage de la torture physique pour arracher des aveux, le conseil de dire le faux pour savoir le vrai ; l'instigation à la délation et la récompense du délateur. Ce n'est pas parce que les ennemis de l'Eglise ont maintenant utilisé ce système sur une très grande échelle, à l'échelle de la « mass production » et de la « mass distribution », ce n'est pas parce que, en notre siècle, ils ont industrialisé la torture et la délation, industrialisé dans les camps de concentration et dans l'archipel du Goulag le mensonge et la violence, que l'origine de ce système en est moins souillée. Et l'origine de ce système, c'est l’Inquisition officiellement patronnée par les papes… »
Michelet avait tout dit. Je me cite :
« Tout finit au douzième siècle ; le livre se ferme… », termine Michelet qui remarque qu’un système périclitant comme celui de l’Eglise – ou de la démocratie bourgeoise à notre époque - a tendance à devenir totalitaire et dangereux :
« Les anciens conciles sont généralement d’institutions, de législation. Ceux qui suivent, à partir du grand concile de Latran, sont de menaces et de terreurs, de farouches pénalités. Ils organisent une police. Le terrorisme entre dans l’Église, et la fécondité en sort. »
La dure ou molle réalité c’est qu’on se fout de tout (à une époque où le vaccin Bourla devient un acte d’amour…) :
« Désormais tous les crimes sont possibles : on les trouvera aussi naturels que de voir l'eau couler sous les ponts. La civilisation chrétienne est morte. Les évêques français l'ont portée en terre collégialement. Ils ne savent plus ce qu'ils font. Car on ne voit pas ce qui peut remplacer la civilisation chrétienne. Quand elle est morte, c'est aussi l'humanité qui meurt en l’homme. »
Le terme (sic) qui résonne le mieux alors, c’est celui d’abdication :
« Vous apprendrez à connaître nos évêques de France, nos chefs spirituels. Vous ne serez pas long à voir qu'ils ont pratiquement abdiqué cette mission essentielle de l’Eglise, de donner aux hommes des raisons de vivre, et éventuellement de mourir. Bernanos disait d'un clergé devenu socialiste qu'il fait ainsi la preuve qu'il ne sait plus parler qu'aux ventres. Voilà pourquoi la voix de ce clergé est si confuse, elle n'a aucune raison d'être distinguée, dans le concert cacophonique de toutes ces voix qui ne s'adressent jamais en l'homme qu'à Son ventre : ses puissances digestives et sexuelles. Comme si l’homme n'était rien d'autre. »
Abdication c’est peut-être trop noble, cela fait penser à Charles X. Parlons de retraite alors.
Un autre bon chrétien, mort comme tant d’autres en quatorze, écrivait avant la Grande Guerre:
« C’est toujours le système de la retraite. C’est toujours le même système de repos, de tranquillité, de consolidation finale et mortuaire. Ils ne pensent qu’à leur retraite, c’est-à-dire à cette pension qu’ils toucheront de l’État non plus pour faire, mais pour avoir fait. Leur idéal, s’il est permis de parler ainsi, est un idéal d’État, un idéal d’hôpital d’État, une immense maison finale et mortuaire, sans soucis, sans pensée, sans race. Un immense asile de
vieillards. Une maison de retraite. Toute leur vie n’est pour eux qu’un acheminement à cette retraite, une préparation de cette retraite, une justification devant cette retraite. Comme le chrétien se prépare à la mort, le moderne se prépare à cette retraite. Mais c’est pour en jouir, comme ils disent. »
Sources principales :
Charles Péguy, « Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne » (1914, posthume), dans Œuvres complètes de Charles Péguy, éd. La Nouvelle Revue française, 1916-1955, t. 9, p. 250
https://www.amazon.fr/DANS-GUEULE-BETE-LAPOCALYPSE-MONDIA...
https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/11/30/le-reverend-...
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mardi, 28 mai 2024
Le destin est entre vos mains: les quatre leçons du maître Yuan Liao-Fan
Le destin est entre vos mains: les quatre leçons du maître Yuan Liao-Fan
Giovanni Sessa
Source: https://www.paginefilosofali.it/il-destino-e-nelle-tue-mani-le-quattro-lezioni-del-maestro-yuan-liao-fan-giovanni-sessa/
En Chine, au début du 17ème siècle, la dynastie Ming est au pouvoir. Le territoire du Céleste Empire est immense. A l'intérieur de ses frontières, la situation politique est particulièrement difficile. La paix sociale et la justice sont remises en cause par des affrontements sanglants avec les Mongols, tandis que les Japonais se livrent à d'incessants actes de piraterie. Les Ming tentent de défendre l'idée d'un Empire « d'en haut », d'une domination divine sur le monde. C'est à ce moment de l'histoire que les Quatre leçons du maître Yuan Liao-Fan, un haut fonctionnaire impérial, ont été révélées. Ce texte, si connu en Chine qu'il a donné lieu ces dernières années à la production d'œuvres audiovisuelles qui s'en inspirent, est pratiquement inconnu en Italie. Le choix de "Mimesis edizioni" de le proposer à nos lecteurs sous le titre Le destin est entre vos mains. Cultivez-le avec bonté. Le livre est en librairie sous la direction d'Erica Gallesi, scénariste et auteur de télévision. Le texte est également agrémenté d'un commentaire signé par Alberto Lomuscio, cardiologue et vice-président de la Société italienne d'acupuncture (pour les commandes : mimesis@mimesisedizioni.it, 02/24861657, pp. 185, euro 16.00).
Liao-Fan, dans ces pages, présente sa propre vie. Il raconte le changement soudain et profond qu'il a subi lorsqu'il s'est rendu compte qu'il était le véritable architecte de son propre destin. C'est une œuvre qui se développe en accord avec les valeurs dominantes en Chine à cette époque historique : le néo-confucianisme et le bouddhisme. Les maîtres de référence de Liao-Fan sont Confucius et Mencius. Deux sont les guides avec lesquels il est entré en contact personnel : « Kong, un sage capable de prédire l'avenir, et Yun Gu, un maître zen capable de changer les destins » (p. 8). Grâce à eux, il a appris à se sentir libre et à améliorer son état existentiel. L'auteur, bouddhiste convaincu, adresse ces pages à son fils et aux jeunes, afin qu'ils apprennent à affronter le défi que représente la vie, en étant conscients que « ce n'est que si l'on est en harmonie avec le monde que l'on pourra s'en sortir » : « ce n'est que si l'on est en harmonie avec les Principes Célestes et le Mandat du Ciel » (p. 8) que l'on est capable de conjuguer moment et éternité, dans un « ici et maintenant » apaisant. C'est pourquoi les considérations éthiques jouent un rôle prépondérant dans le traité, qui, bien entendu, ne tombe jamais dans la moralisation. Les protagonistes du récit sont des fonctionnaires de l'empire et des érudits désireux de réussir les « épreuves » par lesquelles l'élite spirituelle était sélectionnée pour accompagner l'empereur dans l'exercice de ses fonctions.
L'auteur, fort de son expérience existentielle, souhaite transmettre à ses lecteurs quatre leçons : 1) Apprendre à créer son propre destin ; 2) Comment se révolutionner ; 3) Comment cultiver la bonté ; 4) Les bienfaits de la vertu d'humilité. De précieux préceptes visant à ennoblir l'homme et à le faire vivre en harmonie avec le cosmos, exprimés sous une forme ludique et engageante. Des quatre leçons, la plus importante, propédeutique aux autres, est la première. Alberto Lomuscio, avec une argumentation sagace, nous plonge dans les choses vivantes du rapport entre le Destin et la Destinée. L'idée d'un Destin immodifiable, selon lui, a imprégné la pensée occidentale, en partant de la tragédie attique pour arriver aux notes du Samarcande de Vecchioni. Son paradigme, la vie d'Œdipe, contraint au suicide à cause de son inceste avec Jocaste et du meurtre de son père. Différent du Destin, c'est le Destin qui : « contient [...] des éléments de coercition » (p. 132), une direction indiquée pour notre vie, modelable cependant par notre « savoir vivre ». Dans la pensée chinoise, il existe trois types de Destin différenciés : 1) le Destin du Ciel, c'est-à-dire le contexte dans lequel nous sommes placés (cosmique, historique, social, etc.) ; 2) le Destin de la Terre, représenté par le conditionnement génétique-physiologique ; 3) le Destin de l'Homme, comprenant le libre arbitre. Chacun de ces types de destin conditionnerait notre vie à hauteur de 30 %. Les dix pour cent restants sont attribués à l'éducation, au hasard et au conditionnement.
Le terme chinois pour désigner le destin est Ming Yun. Ming : « représente le commandement d'une autorité supérieure (le Ciel) auquel l'humanité assemblée doit se soumettre » (p. 111), tandis que Yun représente un chemin de vie en accord avec les lois du Ciel : « La vraie sagesse consiste à accepter et à embrasser sa nature la plus authentique, ce qui nous conduira à atteindre un état idéal, dans la liberté personnelle la plus complète et la plus gratifiante » (p. 112), comme dans les leçons de Liao-Fan. Comment y parvenir ? Lomuscio l'explique dans un parcours concis mais exhaustif des différentes écoles de la pensée chinoise. Parmi elles, le taoïsme joue le rôle principal. Le Wu-wei, le non-agir, est associé, dans cette Voie, au « Vide du Cœur », symbole du « Centre » spirituel, mental et psychologique de l'homme. Le Cœur donne un sens à la vie de l'individu, tout comme l'Empereur joue le même rôle au niveau de la communauté. Le « Vide du Cœur » indique l'attitude dynamique avec laquelle nous devons nous rapporter au principe (Tao) qui anime les choses et le monde et qui est toujours à l'œuvre : il s'ouvre à la Connaissance en tant que : « action-non-action spontanée et adhérente à la nature » (p. 148), capable de garantir le Salut, physique et spirituel. D'où l'importance des styles de vie, comme le suggère Liao-Fan dans le traité. Il est nécessaire d'éliminer toute impulsion égoïste, de pratiquer le calme et l'humilité, et d'agir avec bonté envers les vivants et les défunts.
Dans ce cas, le Ming Shu, le « calcul du destin », nous rend aptes à façonner, à construire, dans les limites qui caractérisent la vie humaine, un chemin de raffinement continu. Ursa Major étant considérée comme le pont de lumière entre le Soleil et la Lune, le Yin et le Yang, les Chinois pensaient que l'homme qui marchait sur le Chemin devait s'abreuver de sa lumière rayonnante, afin d'en saisir l'énergie diffusante. Cette référence permet de comprendre la place centrale de l'astrologie en Chine, comme en témoignent les pages que lui consacre Lomuscio. Pour cette raison, Le destin est entre vos mains peut être considéré comme un texte important, non seulement comme un accès pertinent à la philosophie chinoise, mais aussi comme le porteur d'une vision anti-déterministe de la vie. À une époque où les conceptions sotériologiques réapparaissent ou où, selon d'autres, la fin de l'histoire se manifesterait, il s'agit là d'un héritage précieux, d'un bain réparateur d'« humilité », d'un exemple d'ignorance savante.
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dimanche, 05 mai 2024
Variations autour de l’idée d’Empire
Variations autour de l’idée d’Empire
par Georges FELTIN-TRACOL
L’idée d’Empire serait incompatible avec l’histoire de France. La nation française, héritière du Royaume des Lys, se serait construite contre elle, en particulier face aux différentes figures des Habsbourg, de Charles Quint à François-Joseph. Cette hostilité de principe s’inscrit dans la langue française. Verbe du premier groupe, empirer signifie « devenir pire, aggraver ». L’idée impériale n’appartiendrait pas à la tradition française. Affirmation péremptoire et erronée !
En Provence, vieille terre d’Empire – on l’oublie trop souvent -, dans les belles cités d’Aix et d’Orange, se développe l’association militante et culturelle Tenesoun. Son site annonce qu’elle promeut « une identité reposant sur le triptyque suivant : Provence, France, Europe ». Ce sympathique mouvement sort une revue de belle facture, Tenesoun Mag, qui publie des numéros hors série instructifs et didactiques. Intitulé « Empire(s) », le hors série de février 2024 (4 €, à commander sur le site éponyme) aborde le thème de l’Empire.
Il est plaisant que de jeunes militants s’approprient cette idée qui parcourt en filigrane l’histoire de France. On se focalise trop sur l’aspect juridique de l’émancipation royale française par rapport à l’héritage mémoriel carolingien en oubliant la bigarrure institutionnelle, sociale et économique constitutive de l’ancienne France. Certes, les Capétiens ont réussi là où les Hohenstaufen ont échoué. Toutefois, cela n’empêche pas, bien au contraire, que « la France est un empire, écrit avec raison Aurélien Lignereux dans L’Empire de la paix. De la Révolution à Napoléon : quand la France réunissait l’Europe, (Passés composés, 2023) : tel est le constat d’évidence partagé en 1789 tant y était frappante la diversité des populations que les rois avaient réunies et soumises à une souveraineté qui n’admettait nul supérieur en matière temporelle (le roi étant “ empereur en son royaume “) mais qui pouvait s’accommoder de l’hétérogénéité des coutumes, et qui devait même respecter certains privilèges garantis par les actes de réunion ». Dans un précédent essai, L’Empire des Français 1799 – 1815 1 – La France contemporaine (Le Seuil, coll. « Points – Histoire », 2014), le même auteur, spécialiste de l’œuvre napoléonienne, prévenait qu’« il serait réducteur de ne voir dans les entreprises de Napoléon que la consécration d’une ambition personnelle, sans racines dans le pays. C’est faire peu de cas de l’aspiration aux XVIe et XVIIe siècles à une translatio imperii en faveur de la France, rêve que traduisaient un messianisme dynastique et un providentialisme chrétien ».
Aurélien Lignereux se réfère bien évidemment à l’étude capitale, novatrice et magistrale d’Alexandre Yali Haran, Le Lys et le Globe. Messianisme dynastique et rêve impérial en France aux XVIe et XVIIe siècles (Champ Vallon, 2000). L’idée impériale n’est pas étrangère aux monarques français. Elle persiste d’ailleurs dans l’inconscient politique collectif, d’où le tropisme européen présent autant chez les nationalistes que chez les socialistes sans parler de certains gaullistes, des démocrates-chrétiens, des écologistes et des régionalistes. Il est dommage que les auteurs de ce hors série n’évoquent pas cet ouvrage précieux.
À la suite du Testament d’un Européen de Jean de Brem, Julien Langella revient sur la conquête hispanique de l’Amérique. Il formule pour l’occasion un hispanisme de langue française nullement incongru (la Franche-Comté fut longtemps une possession des rois d’Espagne). Rédacteur de plusieurs articles dans ce numéro, Estève Claret rappelle qu’« au fondement de l’empire se trouve un principe supérieur, qu’il soit spirituel, sacré, transcendant, métaphysique ou messianique. L’empire ne se contente pas d’assurer le bien commun des communautés politiques sous son autorité; il agit au nom d’un principe qui lui est supérieur et qui inscrit ces dernières dans un destin ». L’Empire englobe dans une unité nécessaire et limitée les multiples variétés qui s’expriment en communautés incarnées.
Dans « Saint-Empire romain germanique : le pouvoir du centre impérial sur ses périphéries », Estève Claret s’intéresse à l’origine territoriale du Sacrum Imperium qui « correspond, souligne-t-il, à la “ réunion “ de trois couronnes : la Trias des royaumes de Germanie, d’Italie et d’Arles – Bourgogne. Eux-mêmes sont composés de duchés dits ethniques (Stammsherzogtümer) car ils sont le fruit de regroupements linguistico-culturellement cohérents (Bavière, Franconie, Saxe, Souabe, etc.) ».
En lecteur avisé de Francis Parker Yockey, de Guillaume Faye et de Julius Evola, Tristan Rochelle explique que l’Empire, chanté par Dante, « est une institution surnaturelle à vocation universelle au même titre que l’Église, par exemple. Il se veut être le reflet de l’ordre cosmique, une image du royaume céleste. D’origine surnaturelle, il occupe la fonction de “ centre universel “, de centre de gravité d’un espace civilisationnel ». Dommage cependant que le poison dit universel s’insinue partout. À l’ère post-moderniste, ne serait-il pas cohérent d’envisager l’idée impériale dans une approche pluriverselle ? La notion de « Plurivers » convient en effet mieux à la perception révolutionnaire-conservatrice d’Empire, surtout aujourd’hui, période instable propice à « la résurgence des impérialismes ».
Les impérialismes ne se confondent pas avec les empires d’origine traditionnelle. Hubert R souligne que « le terme “ empire “ est lui-même à double tranchant. Il peut désigner tout à la fois un ensemble de peuples que relient des facteurs communs (culture, religion, ethnie…) et gouvernés par un pouvoir central. Ou bien il peut se rapporter à une volonté de domination servie par une prétention à l’universalité au nom d’une doctrine exclusivement spirituelle, idéologique ou économique ». Quant à Tristan Rochelle, il bouscule volontiers le lecteur par un volontarisme énergique et parfois provocateur. « Le seul droit qui vaille, c’est celui qu’offre la force. Une terre n’appartient à un peuple que tant qu’il est capable de la tenir en sa possession. Si un peuple étranger l’envahit et parvient à s’en rendre maître, alors celle-ci devient sienne. Et peu importe à cet égard depuis combien de temps son prédécesseur l’occupait. Les véritables frontières d’un peuple sont celles posées par sa volonté de conquête. Ces lois, qui sont celles de la vie, sont impitoyables mais sont les seules qui vaillent. Pleurnicher à ce propos ne les changera pas, l’Histoire est un cimetière de peuples vaincus. » Féroce et terrible constat. Ne serions-nous pas les ultimes veilleurs d’une civilisation désormais défunte qui rend l’esprit impérial totalement inaudible et incompréhensible ?
Quant à savoir si cet Empire européen plus qu’embryonnaire doit s’étendre selon la formule consacrée de Reykjavik jusqu’à Vladivostok, la réponse est finalement secondaire. Le plus important n’est-il pas en priorité de restaurer sa souveraineté intérieure ? En ces temps troublées d’hypertrophie individualiste, cette reconquête sur soi s’avère plus compliquée, mais aussi plus impérative que jamais.
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 113, mise en ligne le 2 mai 2024 sur Radio Méridien Zéro.
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mercredi, 01 mai 2024
1er mai: rites et parfums
Le 1er mai. Rites et parfums
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/calendimaggio-riti-e-profumi/
Ce soir, j'aimerais danser sur un feu. Sur un feu de joie allumé dans les bois. Entre les arbres.
Et je voudrais tresser des couronnes de lierre, les orner de muguet et boire de la bière fraîche, épicée et poivrée.
Voilà, dira le réalisateur, c'est l'explication... la bière.
Mais ce n'est pas ça... Je n'ai pas bu. Pas trop.
Seulement, ce soir, c'est Beltaine. Ce qui, encore aujourd'hui, dans certaines régions de nos Apennins, ou dans les vallées alpines, est célébré comme la fête du Calendimaggio.
Et c'est une fête autrefois importante. Ancienne. D'origine celtique. La fête de la lumière. Exactement 40 jours après l'équinoxe de printemps. Lorsque la lumière s'est élargie. S'est répandue. Et que le jour a pris le pas sur la nuit.
Pour les peuples du Nord, les Celtes, les Allemands, avec cette nuit, et avec la première aube de mai, le printemps a commencé.
Quand le Soleil est devenu progressivement plus intense. Chaud. Jusqu'au feu de l'été qui approche. Beltaine en est l'annonce.
Bien sûr, en cette fin de mois d'avril, parler de Soleil, de Lumière, de chaleur... d'été, semble presque... ironique. Des journées plus froides qu'en novembre, de la brume, de la pluie battante... de la neige sur les montagnes environnantes.
Une résurrection inattendue de l'hiver.
Mais ce soir, le soir de la Sainte Walpurga (Walpurgisnacht), le soleil est à nouveau chaud. Et le ciel est clair. D'un bleu profond. On dit que cela ne durera pas. Que demain, la pluie reviendra.
Mais je voudrais allumer un feu. Et, devant ces flammes dansantes, lire le Faust de Goethe. Le final. De la première partie. Le Sabbat sur le Mont Chauve. Et écouter Moussorgski.
Peut-être, parmi ces ombres, verrais-je les sorcières du rêve de Goethe. Et aussi la Marguerite de Boulgakov, qui est arrivée avec la chevauchée sauvage du professeur Voland.
Fantaisies littéraires. Et pas seulement.
En attendant, il me semble percevoir, intense, le parfum du muguet. qui sont les fleurs de ce jour. Les fleurs de Beltaine. Symbole de fertilité. Et d'éros. Parce que c'est une fête qui a à voir avec le printemps. Et donc à l'amour. Au sens le plus large du terme.
C'est pourquoi autrefois, dans de nombreux pays, il était de coutume d'apporter à l'être aimé un bouquet de muguet.
Blanc, presque éblouissant. Et avec un doux parfum. Séduisant.
Et pourtant... dangereux. Car ils sont toxiques.
Bonne fête de mai à tous!
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samedi, 27 avril 2024
L'Ivresse et les dieux
L'Ivresse et les dieux
par Luc-Olivier d'Algange
Qu'en est-il des dieux antérieurs ? Peut-on, sans avoir à se dire « païen », recevoir d'eux quelque lumière ? Peut-on s'interroger, par leurs ambassades ouraniennes, maritimes ou forestières sur le monde tel qu'il s'offre à nos sens et à notre intelligence? Pouvons nous les entendre, ces dieux, dans l'acception ancienne du verbe, c'est-à-dire les comprendre, les ressaisir dans la trame de notre entendement où vogue la navette du tisserand, dieu lui-même, comme des réalités allant de soi, mues par elles-mêmes, pourvues de cet impondérable que l'on nomme l'âme ? Les dieux existent: c'est leur faiblesse car ce qui existe peut disparaître; ce qui existe n'est point l'être; et l'être lui-même n'est qu'à l'infinitif (or l'impératif seul est créateur !). Mais ce qui existe vaut tout de même que l'on s'y attarde... L'existence des dieux demeure difficile à situer car elle est ubique: à la fois intérieure et extérieure. Précisons encore. Les dieux sont ce qui se laisse dire comme une réalité qui est à la fois en dedans et au-dehors, subjective non moins qu'objective. Hélios éclaire à la fois la terre et notre intellect. Dionysos fait danser en même temps la terre et nos âmes. Apollon ordonne ensemble le Cosmos et nos pensées. Ces quelques notes, prises sur le vif, il y a déjà longtemps, s'interrogent sur cette « zone frontalière », avec les inconséquences désirables qui sont le propre du promeneur.
Longtemps, et il n'est pas vraiment certain que l'on se soit dépris de cette habitude, on associa l'intérêt pour le monde antique à un engagement « républicain » dont nos sociétés modernes (où la res publica, hélas, s'est évanouie dans le culte de l'économie) seraient les héritières. Le fidèle aux anciens dieux se retrouvait ainsi fort paradoxalement du côté de la modernité, des « réformes », voire d'une forme de « progressisme » opposée aux « ténèbres » du Moyen-Age et des souverainetés royales Or, on ne saurait imaginer forme de pensée plus étrangère aux Anciens que l'idéologie du Progrès. Toute leur pensée était au contraire orientée par le constat d'une dégradation, d'une déchéance, d'un éloignement graduel de l'Age d'Or. Comment cette pensée « pessimiste » fut à l'origine des créations les plus audacieuses en philosophie, de la plus grande plénitude artistique, c'est là une question décisive à laquelle il nous importe d'autant plus d'apporter une réponse que nous constatons que la croyance inverse, « optimiste », nous fait sombrer dans la veulerie et l'informe. Le Progrès, disait Baudelaire, est la doctrine des paresseux. N'est-ce point se dispenser d'avance de tout effort et briser tout élan créateur que d'assigner au seul écoulement du temps le pouvoir de nous améliorer ou de nous parfaire ? Au contraire, si, comme Hésiode, nous croyons au déclin, à l'assombrissement des âges, ne disposons nous point alors nos intelligences et nos âmes, notre ingéniosité et notre courage à faire contrepoids à ce déclin?
Pour une intelligence qui s'accorde aux présocratiques, le monde de la symbolique romane demeurera certes infiniment plus proche, plus amical, que la « société du spectacle » du monde des esclaves sans maîtres. Fidèles à la logique du tiers inclus, nous n'entrerons pas dans ces polémiques qui font du paganisme une sorte d'anti-christianisme à peine moins sommaire que l'anti-paganisme des premiers chrétiens, tel que le décrivent Celse et l'Empereur Julien. Si le combat du Poète contre le Clerc revêt à nos yeux quelque importance, comment n'engagerions-nous pas la puissante vision poétique et métaphysique de Maître Eckhart et de Jean Tauler contre les lugubres cléricatures de la «pensée unique»? De plus en plus vulgaire, utilitaire, éprise de médiocrité, l'idéologie dominante n'a jamais cessé de détruire la splendeur divine chère aux Archaiothrèskoi, les fidèles aux anciens dieux, alors même qu'elle paraît de temps à autres s'en revendiquer. Mais cet éloignement, n'est qu'un éloignement quantitatif. La qualité de l'être, sa vision, demeure, elle, subtilement présente.
Le monde des dieux anciens n'est pas mort car il n'est jamais né. Que cette pérennité lumineuse soit devenue provisoirement hors d'atteinte pour le plus grand nombre d'entre nous, n'en altère nullement le sens ni la possibilité sans cesse offerte. Pérennes, les forces et les vertus divines s'entrecroisent dans le tissu du monde et nous laissent le choix d'être de simples spectateurs enchaînés dans une représentation schématique du monde ou bien d'entrer dans la présence réelle des êtres et des choses par la reconnaissance de l'Ame du monde. Séparés de tout, enfermés dans une « psyché » qu'il croit être l' « autre » du monde, le Moderne s'asservit à la représentation narcissique qu'il se fait de lui-même.
Pour le Moderne, les dieux, les Idées, les Formes prennent source dans son esprit, mais il ne voit pas assez loin pour comprendre que cet esprit lui-même prend source ailleurs qu'en lui-même. Cette impuissance à imaginer au-delà du cercle étroit de sa propre contingence, n'est-ce point ce que les platoniciens nommaient « être prisonniers des ombres de la Caverne » ? Le Moderne idolâtre sa propre contingence, il en fait la mesure de toute chose, inversant le principe grec qui enseigne que l'homme doit retrouver la mesure de toute chose. Croire que les dieux sont purement « intérieurs », aboutit à une idolâtrie de l'intériorité. Les utopies meurtrières du vingtième siècle, le fanatisme uniformisateur et planificateur des fondamentalismes divers qui se donnèrent cours n'ont-ils pas pour origine ce subjectivisme effréné qui veut faire de l’intériorité de l'homme et de son incommensurable prétention d'être moral, la mesure du monde ? Pour l'homme ancien, les dieux sont en nous car ils miroitent en nous. Notre entendement capte les forces extérieures auxquelles il lui appartiendra, en vertu d'un principe de création poétique, de donner des Formes; et ces Formes, à leur tour, seront hommages aux dieux qu'elles nomment et enclosent pour d'autres temps.
Cette vue du monde est humble et généreuse, attentive et donatrice. Loin de penser l'homme comme l'Autre, ou face à l'Autre, elle reconnaît en soi le Même sous les atours de l'apparition divine. Le dieu est celui qui apparaît. Or l'homme, qui va à la rencontre du monde divin et ne connaît ni naissance, ni mort, apparaît à l'éternité et le dieu qui lui apparaît est selon l'admirable formule d'Angélus Silésius, « un éclair dans un éclair ». C'est dans l'éclat le plus bref et le plus intense que l'éternité nous est donnée. La fulguration d'Apollon demeure à jamais dans l'instant de l'apparition qui nous révèle à nous-mêmes, dans la pure présence de l'être.
Etres de lumière, les dieux; et non point êtres d'ombre, êtres de présence et non point êtres de représentation. L'apparition est l'acte du saisissement souverain où la vision se délivre de la représentation pour reconquérir la présence. Telle est la promesse, la seule, que nous font les dieux antérieurs. Ils ne nous promettent que d'être présents au monde, car aussitôt sommes-nous présents au monde que nous entendons leurs voix. Etre présent au monde, n'est-ce point déjà, dans une large mesure, être déjà désencombré de soi-même ? N'est-ce point devenir l'infini à soi-même ? Que suis-je qui ne soit à l'image des vastes configurations des forces du monde que nomment les dieux ?
Croire aux dieux, c'est croire que le monde intérieur et le monde extérieur sont un. La force lumineuse apollinienne se manifeste à la fois dans le soleil physique, qui épanouit la nature et le soleil métaphysique, le Logos, qui épanouit l'Intelligence. Le génie de l'ancienne sagesse est d'avoir donné un même nom à ces forces intérieures et extérieures, visibles et invisibles. Comment vaincre l'usure des temps, la transformation progressive de la vie en objet, la réification propre à la société marchande, sans le recours aux exigences et aux beautés plus anciennes? La diversité, la liberté, la complexité des anciennes sagesses, la précellence accordée aux Poètes, Bardes, Chantres ou Aèdes (qui sont les créateurs de la vérité qu'ils énoncent, à la différence du clerc qui administre une vérité déjà définitivement formulée) nous demeurent une injonction permanente à ne point nous soumettre. Le monde moderne paraît triompher dans ses vastes planifications, mais il est bien connu qu'il existe des triomphes dont on périt.
Le « déterminisme » dont les Modernes se rengorgent n'est probablement qu'une vue de l'esprit, particulièrement inepte, qu'un peu de pragmatisme suffirait à corriger. Là où le Moderne voit un enchaînement nécessaire, ce qu'il nomme un « progrès » ou une « évolution », un esprit libre ne verra qu'une interprétation à posteriori. La suite d'événements qui conduisent à un désastre ou à une circonstance heureuse, selon l'interprétation qu'on lui donne, n'apparaît précisément comme « une suite » qu'après coup. Cette suite, que la science du dix neuvième siècle nomme déterminisme, apparaît à l'intelligence dégagée et pourvue de quelque imagination, comme un leurre. Dans la vaste polyphonie humaine et divine, les choses eussent pu se passer autrement, et de fait, elles ne cessent de se passer autrement. Les configurations auxquelles elles obéissent engagent non seulement la ligne et le plan, mais aussi les hauteurs et les profondeurs.
Apollon et Dionysos, par exemple, se manifestent par une logique différente de celle de la planification ou de la linéarité. Apollon fulgure des Hauteurs et s'épanouit dans l'ensoleillement intérieur des Formes parvenues à l'équilibre parfait. Dionysos, lui, selon la formule d'Euripide, fait danser la terre. « Quand Dionysos guidera, la terre dansera » chante le chœur des Bacchantes. La formule mérite que l'on s'y recueille. Ce recueillement est recueillement dans la légèreté. La terre dionysiaque n'est plus la terre lourde, immobile, des gens « terre à terre », c'est la terre vibrante, la terre mystérieuse, la terre gagnée par le Symbole aérien de l'excellence: la danse, victoire sur la pesanteur.
Dans le temps et le monde profane, la pesanteur est ce qui nous attache à la terre, nous ferme le royaume du ciel, le séjour des dieux. Dans l'espace et le temps sacré, sous le signe de Dionysos, les forces telluriques elles-mêmes nous délivrent de la pesanteur: la terre danse. Notre danse sur cette terre gagnée par les puissances phoriques du sacré, est la danse de la terre elle-même. L'ivresse nous accorde au monde.
Cet accord, certes, ne préjuge point d'ultérieurs désaccords. L'accord au monde que suscite l'ivresse n'est pas une béatitude définitive, il n'est pas davantage une approbation sans limite. La face sombre du mythe dionysien, comme du mythe orphique, témoigne que l'accord est la conquête d'un dépassement de la condition humaine ordinaire, avec toutes les audaces, les périls, mais aussi les enchantements qu'implique un tel dépassement. La part dangereuse de l'ivresse n'est pas seulement dangereuse pour l'individualisme, elle est aussi dangereuse pour l'ordre social lorsque celui-ci ne parvient pas à lui donner la place qui lui revient.
Le génie grec fut d'avoir donné au mystérieux et inquiétant Dionysos une place centrale dans la mythologie. Alors que les fondamentalismes modernes paraissent être avant tout des expressions humaines de la crainte devant les dionysies de l'âme et du corps, les mythologies anciennes surent réserver au sens de la dépense pure et à l'exubérance festive, la part royale. Dans la mythologie grecque, Dionysos est souvent nommé, à l'égal de Zeus, « le maître des dieux ». C'est que l'infinie prodigalité de l'ivresse est à l'image de l'inépuisable richesse du monde des dieux.
Aux valeurs d'utilité, de thésaurisation, l'ivresse oppose le Don rendu à son ingénuité native. Lorsque Dionysos guide, les identités sont bouleversées. Ce qui, dans la temporalité profane, nous circonscrit dans l'espace-temps dont nous tenons nos identités, est ici remis en jeu sous l'influx des forces du devenir. Dans les époques bourgeoises, les êtres humains qui ne savent conquérir de nouvelles vertus sont de plus en plus attachés à leur identité, mais cet attachement est mortel, car l'identité n'est qu'une écorce morte et seule importe la tradition qui irrigue, traverse et bouleverse les apparences comme une rivière violente. Lors des dionysies, les identités profanes sont mises à mal et une force de renouvellement saisit l'être, le désencombre de ses écorces mortes, l'expose à nouveau aux aventures. Pour les hommes épris de leur statut, pour les hommes imbus de leurs certitudes, les dionysies sont la pire des menaces. En revanche, pour le poète, voire pour l'homme qui désire faire de sa vie un hommage au Beau et Vrai, les dionysies sont une promesse. Les certitudes qu'elles détruisent dans leur emportement, les identités dont elles révèlent le mal fondé ne sont que des leurres qui font obstacle à l'expérience de la vérité de l'être.
Le resplendissement de l'être, dont les dieux sont en ce monde les messagers, ne cesse, dans les conditions profanes de l'existence, d'être voilé, recouvert de scories qui sont autant d'habitudes mentales. C'est en nous délivrant de ces habitudes mentales par l'apport de la vigueur donatrice de l'ivresse que nous recouvrons une vision de la réalité qui n'est plus une vision instrumentale mais ontologique. L'ivresse nous révèle le monde non plus tel que nous l'utilisons ou le planifions, mais tel qu'il est dans l'ouragan de l'être se révélant à lui-même. Quittant les évidences illusoires de l'identité, nous nous retrouvons au centre d'un jeu de forces dansantes qui nous portent témoignage de l'être que nous méconnaissions.
L'ivresse, lorsque Dionysos en personne guide la danse est connaissance. Le monde devant lequel nous passons habituellement, comme devant un spectacle qui ne nous concerne pas, s'impose à nous, retentit en nous, nous exalte et nous effraie tour à tour. L'homme en proie à l'ivresse, ou mieux vaudrait dire, à une ivresse (car il existe autant d'ivresses que de couleurs et même de nuances à l'arc-en-ciel) est enclin à voir dans les choses des Mystères. Les arbres deviennent des arcanes. Les ciels et les mers s'offrent à lui comme de lancinantes interrogations. Les forêts sont bruissantes de présences, et les villes elles-mêmes deviennent des Brocéliande. Mais par dessus tout, les mots acquièrent une puissance et une résonance nouvelles.
Le dithyrambe dionysiaque fête les retrouvailles de l'homme avec les sources de la parole. Car la source de la parole n'est pas dans l'utilisation du réel mais dans sa célébration. Ces mots qui, dans le langage profane sont des écorces mortes, de vaines identités, la puissance dionysiaque va leur rendre la magie invocatoire. Là où le monde est rendu à la présence de l'être, le mot résonne infiniment dans l'âme humaine. Le mot n'est pas étranger à la réalité qu'il nomme, il est le site magique de la rencontre de l'homme et du monde. L'ivresse dionysiaque désempierre la source de la parole. De tout temps, le génie verbal eut partie liée avec l'ivresse. La pauvreté de la parole, la ladrerie de l'expression (que certains critiques modernes vantent sous l'appellation « d'économie des moyens ») qu'est-elle d'autre sinon une crispation sur les évidences, un refus de se laisser gagner par les vastes exactitudes de l'ivresse. Les belles éloquences sont les œuvres du consentement à l'ivresse, de l'accord souverain de l'âme et du corps. La parole, lorsqu'elle se fait rythme et musique et entraîne avec elle la pensée en de nouvelles aventures, naît de l'accord de l'âme et du corps. Lorsque l'âme et le corps sont désaccordés, la parole se fige et s'étiole.
La culture du ressentiment, anti-dionysienne par excellence, répugne à ces preuves magnifiques de la concordance de la hauteur et de la profondeur. La parole, elle la veut « écriture » et « minimaliste », c'est-à-dire aussi peu enivrée que possible, comme si l'ivresse, qui bouleverse les identités, était le Mal par excellence. Les œuvres d'André Suarès, de Saint-John Perse ou de John Cowper Powys sont de magnifiques défis à cette culture du ressentiment dont les seules « valeurs » irréfutables sont la mesquinerie et le calcul. Le « rire des dieux » dont parle Nietzsche est fait précisément pour effaroucher le « bien-pensant », pour montrer le comique foncier des « valeurs », et leur inanité face aux Principes et la puissance dont se compose la polyphonie du monde.
Le Moderne, soumis au principe d'identité, est foncièrement attaché aux « valeurs » alors que l'Archaiothrèskos est fidèle aux Principes qui seront dans la geste éperdue des extases, principes de métamorphoses. Protéenne, l'ivresse invente des formes là où l'identité se contente de reproduire des formes. L'ivresse change, l'ivresse transfigure, là où le principe d'identité profane se limite à la duplication quantitative. L'ivresse crée des qualités. Elle inaugure l'ère, sans cesse reportée mais sans cesse sur le point d'advenir, du qualitatif. Toute perception d'une qualité est prélude d'ivresse. La qualité appartient à l'ordre de l'indiscutable. Celui qui ne la perçoit point ne saurait en parler. Perçue, la qualité suscite une interprétation infinie. L'herméneutique de la qualité est sans limite, alors que la quantité, aussi considérable soit-elle, se définit d'emblée par sa limite. La quantité est limitée, la qualité est infinie. L'ivresse dionysiaque est principe de poésie car elle invite au registre des harmoniques qualitatives du monde. Le souffle s'accorde à l'idée et le poème naît de ce « rien » qui est la chose elle-même rendue à la souveraineté de l'être. Les Mystères orphiques ou dionysiaques n'ont d'autre sens. Le moment du mystère est celui où l'être apparaît sous les atours de la réalité. Mystère car le site d'où se déploie le chant est celui de l'être irréductible dont aucune explication logique, ou grammaticale, ne peut s'emparer. Ce Mystère n'est point le mystère des « arrière-mondes », il ne relève pas davantage de cette sorte d'occultisme qu'affectionnent les Modernes. C'est le Mystère de la chose rendue, enfin, après la traversée odysséenne du Chant, à son propre silence.
Or, nous ne pouvons dire les choses que si nous recevons en nous, comme une promesse, le silence dont elles émanent. Longtemps, les sciences humaines feignirent de croire que les dieux n'étaient que de maladroites explications, dont on pouvait désormais se passer, des phénomènes naturels. Le dieu, en réalité, est ailleurs. Il n'explique pas, il nomme, et il nomme avec une pertinence telle que nous n'avons pas jusqu'à présent trouvé mieux que les noms des dieux, et les récits de leurs aventures, pour décrire les aléas de l'âme et du monde. Dire que la croyance aux dieux est morte avec le christianisme, c'est se faire de cette croyance, et de la croyance en général, une bien pauvre idée. L'exubérance, la prodigalité, l'ivresse ne meurent pas sur un décret, fût-il « théologique ». Leconte de l'Isle, par son goût pour la plénitude prosodique, les espaces grands et profonds, les symboles augustes, retrouve naturellement une part du génie ancien. La fidélité aux dieux antérieurs loin d'être une construction artificielle renoue avec une tradition qui ne fut jamais vraiment interrompue. L'éloignement des sagesses anciennes, leur supposée incompréhensibilité pour nous « Modernes », apparaît de plus en plus comme un vœu pieux que la plupart des œuvres d'art, de littérature ou de poésie modernes démentent avec ardeur.
Les dieux virgiliens frémissent dans la Provence de Giono avec une évidence que la morale chrétienne, pour louable qu'elle soit à certains égards, ne saurait leur ôter. Celui qui veut connaître l'être comme une présence, et non comme un concept, voit paraître les dieux qui nomment et racontent les aspects et les forces du monde réel qui échappent à toute utilisation possible. Nous pouvons ainsi reconnaître la pertinence herméneutique du récit mythique, son aptitude à dire ce qui advient en ce monde dans l'obéissance à des lois que nous ne comprenons pas entièrement. Les dieux décrivent une connaissance et disent en même temps les limites de la connaissance. Les dieux, certes, régissent, mais l'homme consent à la limite de sa science en disant qu'il ne sait pas exactement de quelle façon les dieux régissent. On ne saurait attendre une plus heureuse pondération de la part d'un physicien actuel. Le dieu ne dit pas la cause d'un mécanisme, il nomme le mécanisme et tout ce qui dans son antériorité ou sa postérité ne révèle rien d'évaluable.
Si nous acceptons de reconsidérer cette terminologie divine dans la perspective de nos propres préoccupations herméneutiques, nous allons au-devant d'heureuses surprises. Qui n'a constaté que la faiblesse de maints systèmes d'interprétation tenait d'abord à la scission entre l'intérieur et l'extérieur, l'objet et le sujet ? Dans l'épistémologie moderne, la science du monde intérieur et la science du monde extérieur paraissent séparées par des barrières infranchissables. Or, chacun sait que le monde intérieur conditionne la connaissance du monde extérieur, et inversement. Il n'en demeure pas moins que les sciences de l'Ame et les sciences de la « physis » se développent de façon séparées et marquent l'une à l'égard de l'autre une indifférence immense.
Le génie du paganisme et des récits mythologiques fut de formuler la connaissance du monde dans une terminologie qui concernait simultanément le monde physique et le monde l'Ame. Loin d'être au-delà de la science, cette recherche d'une coïncidence de l'intérieur et de l'extérieur semble désormais au diapason des recherches contemporaines. Pourquoi faudrait-il tenir en des catégories radicalement séparées ce qui ordonne le monde et ce qui ordonne l'esprit ? Cette obstination dualiste n'est-elle pas la cause du désemparement où nous sommes ? Le triomphe de la technique extérieure et l'absence totale de maîtrise de soi, de discipline intérieure, où nous voyons nos contemporains n'est-il point la preuve de l'inefficience de cette pensée dualiste ? Le dieu antique nous parle car il parle d'un site qui ignore la séparation de l'en-dehors et de l'en-dedans.
Dans les mythologies hindoues, grecques, celtiques, les principes intérieurs et les principes extérieurs ne sont pas jugés de nature différente. Ils sont des degrés différents, non des natures différentes. Nous avons traité ailleurs de l'erreur d'interprétation fort commune, qui voit dans l'œuvre de Platon une « séparation radicale » entre l'Idée et le monde sensible, là où Platon parle d'une « gradation infinie ». De même, les dieux ne sont pas radicalement séparés du monde. Ils sont eux-mêmes gradation infinie, messagers, principes de variations infinies, reliés à d'autres principes selon la loi de l'analogie qui gouverne le monde et nous enseigne que, dans la présence de l'être, rien ne se crée et rien n'est perdu. Les dieux témoignent de l'éternité de nos âmes, de nos pensées comme ils témoignent de l'éternité du monde.
Maître des ivresses, Dionysos nous invite à une expérience du temps dégagé de toute servitude linéaire. L'ivresse dionysiaque est la première, et la plus immédiate, des approches du temps modifié. Par l'ivresse, la temporalité devient chatoyante, complexe, variable selon des données métaphoriques et poétiques dont l'imagination est alors la maîtresse souveraine. L'accélération et l'exacerbation des idées, la fougue des sentiments et de l'imaginaire, les puissances démultiplicatrices de l'ivresse subvertissent l'illusion du temps mécanique et du temps quantifiable. Lorsque Dionysos mène la danse, l'âme bondit de qualités en qualités, d'intensités en intensités, si bien que le temps devient semblable à un espace résonnant d'échos et miroitant d'apparitions, toutes moins prévisibles les unes que les autres. L'univers entier devient alors le théâtre de cette fête dithyrambique. Pleine d'intersignes, de manifestations brusques, d'illuminations, au sens rimbaldien, la temporalité dionysiaque est une temporalité illuminée.
La lumineuse construction apollinienne n'est pas moins dégagée du temps linéaire que la fougue dionysiaque. Dionysos lutte encore avec le temps linéaire comme avec un ennemi, alors qu'Apollon domine toutes les temporalités de son évidence sculpturale. L'erreur d'interprétation la plus commune croit tirer avantage de l'intemporalité des dieux pour conclure à leur inexistence, car, selon l'historiographie profane, seules existent les choses et les créatures soumises au temps. Certes, tout ce qui tombe sous nos yeux semble soumis au temps. N'est-ce point parce que nous sommes soumis au temps que nous croyons voir dans les choses la marque de cette soumission ? N'anticipons-nous point arbitrairement de la nature des dieux par la connaissance de nos propres infirmités ? Nous passons à travers les apparences vers une extinction plus ou moins certaine et nous en concluons à la fugacité de toute chose. N'est-ce point sauter directement de la prémisse à la conclusion et faillir aux exigences élémentaires de l'exactitude philosophique ? L'ivresse, en nous délivrant de nos affaires trop humaines, de nos préoccupations mesquines, et des conditions qui nous enchaînent, nous laisse enfin face au monde réel que nous ne nous croyons plus obligés, alors, d'assujettir aux circonstances qui voient nos limites et nos défaites. Les théurgies anciennes, néoplatoniciennes et orphiques, prescrivaient de sortir de soi-même par l'extase afin d'accéder à la vision. Ce n'est que délivré des conditions de la nature humaine que nous pouvons voir. L'extase visionnaire fut ainsi longtemps considérée comme un instrument de connaissance.
Connaître par l'extase, voir par l'extase, loin de ramener l'homme vers la subjectivité ou l'intériorité, était alors un moyen de voir le monde hors des limites ordinaires de l'entendement humain. La mesure de l'homme ne devient la mesure du monde, du Cosmos, que si nous acceptons de nous abandonner à l'Odyssée de la pensée et de l'Ame. L'exigence épique n'est pas radicalement différente de l'exigence philosophique. Empédocle rejoint Homère dans la célébration de l'areté, cette vertu fondamentale qui dégage l'homme de la soumission banale aux phénomènes. L'éthique héroïque est une éthique du dégagement qui peut aller jusqu'à paraître désinvolture. La vision sera d'autant plus juste, et d'autant plus riche d'enseignements, qu'elle sera plus inhabituelle, mieux dégagée des conditions ordinaires de l'existence. De même, par ses instruments, explorateurs de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, par ses audacieuses hypothèses mathématiques, le chimiste et le physicien usent de méthodes qui invitent le regard à voir la réalité sous un jour radicalement différent de celui auquel elle se propose dans la vie quotidienne. Ce que le physicien nous apprend de la nature du Temps, depuis Newton, contredit l'expérience que nous en faisons dans la succession de nos travaux et de nos jours. Le Théurge des Mystères dionysiens ou orphiques n'agissait pas autrement en faisant de l'expérience visionnaire, qui rompt les logiques de la perception profane, une source de connaissance. Seul le point de vue inhabituel peut nous renseigner sur la nature de l'habituel. La « sur-temporalité » du monde divin qui se révèle dans la vision du Théurge délivre de la prison de la subjectivité, qui ne voit en toute chose que sa propre image insignifiante et périssable.
Dans les civilisations de masse, soumises à la loi du plus grand nombre et au règne de la Quantité, il est de coutume d'expliquer le supérieur par l'inférieur. Ainsi le désintéressement et les comportements humains, qui participent de la vertu donatrice, sont-ils soumis à la suspicion de l'inférieur qui cherchera les motifs intéressés là où s'exerce librement un génie dispendieux. De même, l'inspiration divine, l'extase visionnaire, les hautes opérations de l'entendement auxquelles nous convie la Théurgie orphique seront-elles soumises, par la critique profane, à la « subjectivité » ou justiciables d'une psychologie plus ou moins naturaliste. Dans un ordre plus récent et plus restreint, l'œuvre littéraire et son auteur, lorsqu'ils ne bénéficient point, en espèces sonores et trébuchantes, des fruits de leur labeur sont invariablement taxés de vanité. L'inaptitude du Moderne à voir au-delà du cercle étroit de ses intérêts les plus immédiats lui ôte d'emblée toute compétence à juger de la poésie et de la métaphysique. Il s'agit là moins d’une question de culture que d'orientation intérieure. Le monde auquel l'ivresse porte atteinte laisse place à de plus subtiles constructions où la multiplicité des états de conscience dévoile la multiplicité des états de l'être.
Les cultes grecs tardifs, les philosophies hermétiques, loin d'être seulement les éléments décadents d'une civilisation destinée à laisser place au christianisme, paraissent ainsi à celui qui s'y attache avec une certaine déférence, d'une richesse exceptionnelle. Les Hymnes Orphiques, dont une traduction nouvelle et musicale a été donnée par Jacques Lacarrière, témoignent d'une ferveur ancienne et portent en eux le témoignage des plus lointaines méditations grecques. De même le Discours sur Hélios-Roi de l'Empereur Julien, Les Mystères égyptiens de Jamblique, les fragments pythagoriciens, loin de témoigner d'une corruption des sagesses anciennes en révèlent certains aspects probablement maintenus cachés jusqu'alors, la discipline de l'arcane se levant, par exception, en ces périodes pressenties comme ultimes.
Si ces témoignages ne sont que lubies ou médiocres compilations, alors, en effet, le christianisme le plus exclusif et le plus administratif prouve sa nécessité. En revanche, si les ultimes formes libres du paganisme sont diaprées de sens et de beauté, si nous pouvons entendre et laisser miroiter en nous ce sens et cette beauté, alors, rien n'est joué. La perspective traditionnelle, à laquelle certains des plus éminents auteurs catholiques se sont ralliés, incline à croire que la Sagesse n'est point datable, « qu'elle naît avec les jours » selon la formule de Joseph de Maistre, et que les formes religieuses les plus anciennes sont aussi les plus lumineuses ambassadrices de la lumière d'or des origines. Ces conceptions, ennemies de toute exclusive religieuse, étaient partagées par les fidèles aux dieux antérieurs. Si le centre du temps est l'origine du monde, alors toutes nos formulations sont des points sur la périphérie, horizon d'éternité que rien n'altère, qu'aucune obsolescence ne menace fondamentalement.
Le génie du paganisme tardif fut d'avoir transposé dans l'ordre du secret, en vue d'une transmission de maître à disciple, les vastes certitudes des dieux afin de garantir leur survie en « ces temps de détresse » qu'évoquait Hölderlin. L'orphisme, le pythagorisme, les poétiques dionysiennes, alexandrines, hermétiques, ne sont pas du paganisme « pré-chrétien », mais du paganisme rendu subtil, en vue d'une traversée historique pleine d'incertitudes. Si les polémiques contre le christianisme, surtout sous la forme vulgaire qu'affectionnent les Modernes, nous semblent vaines (un cloître roman demeurant plus proche, par la forme et le fond, du temple d'Epidaure que de n'importe quelle construction moderne, fût-elle « néo-classique », issue de l'hybris moderniste) nous garderons à cœur, en revanche, de ne rien céder des ferveurs anciennes à l'illusion d'un quelconque « progrès ». Si le génie grec persiste dans l'architecture romane, il persiste aussi ailleurs, avant et après. La similitude entre la fin de l'Empire et l'actuel déclin de l'Occident est trop évidente pour n'être pas de quelque façon fallacieuse.
Certes, l'Occident sombre, et l'arrogance occidentale est mise à mal, mais voici bien longtemps que cet Occident-là, voué au dogme bicéphale de la marchandise et de la technique n'est plus que la subversion des principes fondateurs des Cités et des Empires dont nos arts et nos philosophies furent les héritiers. Voici bien longtemps que le génie de l'Europe et les destinées historiques de l'Occident ne coïncident plus en aucune façon, et souvent paraissent, aux observateurs les plus avisés, antagonistes. Le génie de l'Europe n'a pas disparu avec le triomphe historique de l'Occident mais il est devenu secret, apanage des individus audacieux qui surent résister à la planification et à l'uniformisation.
Le vingtième siècle restera dans l'Histoire comme le siècle de la destruction programmée de toutes les cultures traditionnelles. L'Occident fut destructeur de la magnifique culture chevaleresque et visionnaire des Indiens d'Amérique parce qu'il avait déjà renié en lui-même le génie européen. Pourquoi serions-nous solidaires de ce qui nous tue ? Poètes, artistes, ou amoureux des grandes heures, des ivresses dionysiennes et des songes apolliniens, pourquoi notre destin se confondrait-il avec le titanisme d'un pouvoir qui se fonde, selon l'excellente formule de Heidegger, sur « l'oubli de l'être » ? Le génie de l'Europe est fidélité aux dieux, le destin de l'Occident est la soumission aux Titans. Lorsque, selon la formule de Drieu « les Titans à genoux raidissent leur buste », ce ne sont point les dieux qui rêvent leur défaite mais le règne d'une force mécanique, aussi insolite que destructrice et passagère. Certes, des milliers de destinées humaines peuvent encore s'y briser, mais le simple regard d'Athéna qui se pose sur nos tumultes, si nous en prenons conscience, éloigne déjà tout ce dont nous souffrons dans les limbes des erreurs passées. Quoiqu'il advienne, les dieux nous précèdent. Les dieux ne sont pas dans notre passé, c'est nous qui sommes dans le passé des dieux et qui nous efforçons de les rejoindre.
Luc-Olivier d'Algange
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jeudi, 18 avril 2024
Symbologie de l'ours
Symbologie de l'ours
Source: https://huestantigua.wordpress.com/2024/04/02/simbologia-del-oso/
"Car ce qui peut reposer éternellement n'est pas mort..."
- H.P. Lovecraft
Introduction
C'est parti pour une nouvelle analyse du symbolisme animal. Dans ce cas, nous nous intéresserons à l'ours, cet animal magnifique et inquiétant qui peuplait autrefois la majeure partie de l'Europe et que l'on trouve encore aujourd'hui dans certaines régions.
Critères et motivations
Rappelons une partie de ce qui a été commenté dans l'article consacré au loup.
En ce qui concerne le critère d'analyse :
"[...] observez l'animal en question et essayez de déterminer quelle est sa caractéristique particulière, quels sont les éléments de sa physionomie ou de son comportement qui sont suffisamment exclusifs pour en être un facteur d'identification. Cette particularité doit donc être quelque chose qui n'est pas présent chez les autres animaux ou pas avec l'intensité qu'il aurait chez l'animal particulier que l'on analyse.
La recherche portera donc sur les aspects de l'animal qui le différencient des autres animaux. [...]"
Et en ce qui concerne la motivation de l'analyse :
"[...] certains symboles ont la capacité, pour ainsi dire, de proposer ou de postuler des "changements de conscience". Plus concrètement : nous pouvons directement désigner la "fascination" que certains symboles suscitent comme une manifestation de ce "processus de changement" dans la conscience de l'homme. C'est cette fascination que nous pouvons interpréter comme une manifestation de ce changement, un "générateur de l'approche" de la conscience vers la coïncidence avec le symbole : être comme lui".
Ceci étant dit, nous allons maintenant, sans plus attendre, exposer les éléments que nous souhaitons identifier dans le cas de l'Ours.
Caractéristiques importantes de l'ours
Comme le loup, l'ours est un autre protagoniste de son milieu, la forêt, du moins dans les conditions naturelles. Par exemple, dans des conditions normales, l'ours n'a pas de prédateur et partout où il va, il manifeste sa présence; c'est-à-dire que, sous ces aspects, l'ours n'est pas différent des autres grands prédateurs des forêts, des steppes, des montagnes ou des zones côtières septentrionales.
Nous pourrions souligner la férocité et la force de l'ours, ainsi que sa capacité d'intimidation, mais nous savons bien que ces caractéristiques sont présentes chez bon nombre d'animaux sauvages. C'est pourquoi, bien que nous devions les prendre en compte, nous les écarterons et ne les considérerons pas comme exclusives à l'ours. Nous soulignerons, dans ce sens, que, comme dans le cas du loup, la rencontre avec un ours peut être fatale. Cette qualité mortelle, tant chez le Loup que chez l'Ours, nous "chuchoterait" qu'il s'agit de symboles transcendants, car la rencontre avec eux nous rapproche dangereusement de la possibilité de la mort. En d'autres termes, elle nous expose à la limite humaine.
Il est également important de souligner que l'ours, contrairement au loup, est un animal solitaire et, sauf dans le cas d'une mère et de ses petits, ne forme pas de groupes. Cet aspect nous amène à interpréter l'éventuelle proposition de l'Ours comme quelque chose à prendre en compte dans le domaine de la solitude, du propre, et non pas en se projetant dans le domaine social. C'est-à-dire que sa proposition serait orientée vers l'individu, vers l'homme avec lui-même.
Nous pourrions analyser d'autres particularités de l'ours, comme le fait qu'il est l'un des rares animaux qui, grâce à sa capacité d'endurance, peut prendre du miel sans que les abeilles s'en préoccupent. Nous pourrions également évaluer et commenter l'impressionnant rugissement d'avertissement que l'ours émet avant d'entrer en combat.
Mais, de toutes les caractéristiques que nous avons évaluées dans cet article, celle qui nous semble la plus significative et l'une de celles qui identifient le mieux l'ours est sa capacité à hiberner, sa capacité à rester endormi pendant les mois d'hiver. Cette facette de l'ours nous oblige à valoriser le sommeil comme "apparence de la mort", de sorte que même s'il semble mort, il reste vivant et attend le moment où il se réveillera à nouveau. Le moment où il "reviendra à la vie" dans "l'analogie du sommeil et de la mort".
Dans cette perspective, et en gardant à l'esprit que l'ours est lui-même une force impressionnante et puissante de la nature sous la forme d'un animal, nous ne pouvons que sourire en imaginant ce que la signification de l'ours pourrait être pour quiconque s'est immergé dans une Quête Intérieure.
Ce que représente l'ours
Enfin, il y a maintenant la partie concernant "certains symboles qui ont la capacité, pour ainsi dire, de proposer ou de postuler des "changements de conscience"", nous devons donc souligner ces changements. Contrairement au cas du loup, ces changements seront un peu plus complexes et pas si faciles à percevoir ou à comprendre. En principe, il ne s'agira pas de tendances vers des caractéristiques à prendre en compte, comme c'était le cas dans notre analyse précédente.
Nous comprenons que la proposition de l'Ours consiste à comprendre - si possible intuitivement et même expérimentalement - le potentiel qui se trouve dans notre profondeur et à "faire de la place" dans la conscience pour que ce pouvoir ait un passage ou une liberté de mouvement au sein de nos possibilités. En d'autres termes : l'exercice âme-mental que proposerait le Symbole de l'Ours serait de regarder dans la "Profondeur de Soi" afin de prendre conscience que, lorsque le moment est venu - le "Printemps" - l'immense potentiel qui réside dans certaines personnes peut - et doit - se manifester ; c'est-à-dire qu'il doit s'éveiller.
Une trace de la représentation
Le premier cas que nous évoquerons pour retracer cette "représentation par l'ours du potentiel intérieur" est celui du soi-disant "Berserk" des mythes et des anciennes cultures nordiques. Fondamentalement, le "Berserk", qui est apparemment un homme normal, est - au moment opportun - un "homme-ours" dont la caractéristique visible, et très redoutée, est de "réveiller en lui une fureur sans mesure" qui, dans un scénario de bataille, fait de lui un adversaire bien supérieur aux autres. On peut dire qu'au combat, le Berserk est, comme l'Ours, une puissante force de la nature. Cette fois-ci sous la forme d'un homme.
Cependant, bien que l'image du Berserk nous suggère de nombreuses idées - y compris le concept du "titanesque" chez Evola - et que nous la considérions toujours comme positive pour l'analyse, nous ne sommes pas enclins à interpréter la Proposition de l'Ours dans un cadre matériel, mais comme une proposition plus spirituelle et, comme nous l'avons noté, orientée vers l'intérieur. Dans la même veine que le Loup, il nous semble que nous pourrions interpréter le Berserk comme "cet homme qui est capable de dépasser son état de domestication - culturel - et de retrouver sa condition "sauvage" et indomptée".
Dans ce sens, nous trouvons beaucoup plus précieux et illustratif un autre argument que nous allons souligner. Bien qu'il n'ait pas fait directement partie de notre recherche sur l'ours, il est réapparu - peut-être comme une synchronicité magique - alors que nous étions en train de l'étudier. Cet argument a été déterminant dans notre approche de la même analyse. Nous nous référons au cas du roi Arthur dans les mythes du Graal. La clé n'est autre que le nom même d'"Arthur", dont l'étymologie le rattache au grec "ἄρκτος" ("arktos", ours) et qui, comme l'indique l'histoire : est le personnage qui rétablit l'ordre transcendant dans le royaume.
En d'autres termes : Arthur - l'ours - est le représentant de cette puissance qui, au moment opportun, fait son apparition pour tout changer; cette fois-ci, non pas par la destruction, mais par l'imposition d'un Ordre transcendant. Telle est la mesure du pouvoir que représente l'Ours.
Nous pensons que les idées exposées ci-dessus sont suffisantes par rapport à notre motivation. Il appartiendra aux lecteurs/chercheurs d'approfondir les arguments et les innombrables détails qui les entourent (la grotte, la montagne, l'ours polaire, sa capacité à se tenir sur deux pattes, son odorat puissant, etc.
Quoi qu'il en soit, bon lecture !
Enfin, bravo aux "Ours" qui, depuis leur grotte, attendent la "Prima Vera" ("première vérité") appréciée qui les sortira de leur léthargie !
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vendredi, 12 avril 2024
L'éternel retour d'Evola 50 ans après sa mort
L'éternel retour d'Evola 50 ans après sa mort
Gennaro Malgieri
Source: https://electomagazine.it/leterno-ritorno-di-evola-a-50-anni-dalla-morte/
L'oeuvre de Julius Evola se confirme, avec le temps, un demi-siècle après sa mort (en date du 11 juin 1974), comme une aire incontournable au cœur de la modernité. Andrea Scarabelli lui a consacré un livre magnifique et volumineux, Vita avventurosa di Julius Evola, publié chez Bietti (pp.737,39,00 €), dont nous parlerons dans les prochaines semaines, un livre indispensable qui, par sa complexité et son exhaustivité, nous fait découvrir l'un des plus grands penseurs du vingtième siècle.
Pour avoir lu et apprécié Evola, bien que sur plus d'un point avec des réserves compréhensibles, il y a cinquante ans, ou même plus tôt quand le débat autour de ses idées faisait rage, en essayant de le sauver d'une diabolisation préventive, c'est comme si on ne l'avait pas connu du tout quand on le relit aujourd'hui, surtout après la publication du livre de Scarabelli, dans le contexte de la révolution la plus subtile et la plus radicale qui ait eu lieu: l'affirmation d'une pensée unidimensionnelle et homologatrice, totalitaire dans son essence et libertaire dans sa forme, qui est à la fois fiction et enveloppe du déracinement des valeurs auquel nous participons, consciemment ou inconsciemment. Evola, paradoxalement, est beaucoup plus notre contemporain qu'il ne l'était à l'époque où son observation minutieuse et son diagnostic précis de la décadence se sont déployés, se projetant dans une dimension qui, seulement des décennies plus tard, comme il l'imaginait lui-même, s'ouvrirait même dans les sphères culturelles qui, de son vivant, tendaient à le marginaliser, voire à le "réduire au silence".
L'œuvre d'Evola, loin d'être embaumée et conservée dans les recoins d'une aire intellectuelle minoritaire, fréquentée uniquement par des "dévots" sans esprit critique, est surtout aujourd'hui, dans sa complexité, non seulement un formidable réquisitoire, extraordinairement efficace et approprié, contre l'idéologie du déclin sous les différentes formes qu'elle a prises, mais se révèle pour ce que tant de gens ont pu y voir en s'y plongeant au point d'en sortir transformés, comme ce fut le cas par exemple pour le grand poète allemand Gottfried Benn après la lecture de Révolte contre le monde moderne. Et si ce sont les traits stylistiques d'une certaine "révolution conservatrice" que Benn a reconnus dans le livre du penseur italien, qui devait conquérir avec lui une notoriété non éphémère dans les milieux culturels européens, il faut dire aussi que l'analyse profonde et complète de la Tradition par Evola laissait entrevoir un horizon culturel qui, au tournant de la crise continentale, pas encore libéré des affres de la première grande guerre civile européenne, s'apprêtait à se dissoudre dans la crise de l'Europe, se préparait à se dissoudre dans la seconde, comme le prédisait "prophétiquement" un fascinant diagnosticien représentant le "déclin de l'Occident", un peu comme Evola lui-même le fera des années plus tard en entraînant la "prophétie" spenglérienne au-delà des contingences qui l'avaient inspirée pour la fonder dans l'éclipse d'une religiosité, même non fidéiste; la "crise du monde moderne" dont René Guènon avait déjà donné une représentation convaincante au point qu'elle tient encore face aux convulsions qui nous habitent et auxquelles nous avons l'impression de ne pas pouvoir échapper.
C'est à ce sentiment d'impuissance qu'Evola s'est souvent intéressé, nous invitant à une sorte de révolution spirituelle qui, en ce début du 21ème siècle, nous apparaît comme la seule carte à jouer face aux contradictions de l'égarement intellectuel. Les conséquences politiques sont connues et la crise substantielle de la démocratie, démembrée par les pouvoirs oligarchiques, maîtres absolus du marché, n'est que la dernière étape de la dissolution sociale qui a commencé avec les crimes commis par la Grande Révolution.
Le "totalitarisme mou", auquel Evola s'est implicitement référé tant de fois, ne s'arrête pas à la prétention d'uniformiser la vie selon l'uniformisation imposée par les potentats transpolitiques et la finance prédatrice à travers les médias, la publicité, l'allégorie fantasmagorique de la liberté exaltée - pour la nier - par les réseaux sociaux, l'apologie de l'homo consumans comme seul être réputé pertinent, la suppression de la souveraineté des peuples, des nations et des Etats en vue de la création d'un Marché Universel dont l'égalitarisme formel devrait être la ligne directrice. Avec pour objectif, de la part des oligarques intellectuels et politiques qui tiennent les ficelles, de transformer, jusqu'à les réduire à néant, les faits et phénomènes de diversité et de catapulter finalement la "théorie du genre" dans l'assimilation pratique de l'unisexe dans une société réduite à un désert de formes et privée de forces vives: bref, la révolution la plus bouleversante qui ait traversé l'humanité.
La "pensée unique" a hâtivement consumé, dans l'horrible lande des idéologies mortes, ses gloires, renversant le principe d'"universalité" (qui n'est pas l'uniformité) propre aux soi-disant "civilisations traditionnelles" en celui de "collectif" propre à la soi-disant "civilisation moderne". Celle-ci s'oppose à l'"universel" comme la "matière" s'oppose à la "forme", affirme Evola. Et il explique, dans les dernières pages de Révolte contre le monde moderne, que "la différentiation de la substance dans la promiscuité de la collectivité et la constitution d'êtres personnels par l'adhésion à des principes et à des intérêts supérieurs constituent la première étape de ce qui, dans un sens éminent et traditionnel, a toujours été compris comme la "culture". Lorsque l'individu est parvenu à donner une loi et une forme à sa propre nature, de sorte qu'il s'appartienne à lui-même au lieu de dépendre de la partie purement physique de son être, la condition préalable à un ordre supérieur est déjà présente, dans lequel la personnalité n'est pas abolie, mais intégrée: tel est l'ordre même des "participations" traditionnelles, dans lesquelles chaque individu, chaque fonction et chaque caste acquièrent leur signification propre par la reconnaissance de ce qui leur est supérieur et de leur lien organique avec lui. Et, à la limite, l'universel est atteint dans le sens du couronnement d'un édifice dont les solides fondations sont précisément constituées à la fois par les diverses personnalités différenciées et formées, chacune fidèle à sa propre fonction, et par des organismes ou des unités partielles avec des droits et des lois correspondants, qui ne se contredisent pas mais se coordonnent solidement grâce à un élément commun de spiritualité et à une disposition active commune à un dévouement supra-individuel".
Il en va tout autrement dans la modernité, où s'impose une conception opposée, de type mécaniste pourrait-on dire, visant au collectivisme. Ainsi, comme l'explique si bien Evola, l'individu apparaît de plus en plus incapable de valoir autrement qu'en fonction de quelque chose: dans ce "quelque chose", indéfini, il cesse d'avoir un visage propre; son visage est celui que les autres lui donnent, fruit de l'homologation, du renoncement à être lui-même du moins formellement. Aujourd'hui, on range tout cela sous le titre de "pensée unique", dont le déploiement est une praxis existentielle visant à la construction d'un indifférentisme accepté, presque toujours inconsciemment, comme une valeur apportée par le déploiement de la démocratie la plus accomplie, alors que c'est exactement l'inverse qui est vrai. C'est-à-dire que la régression dans l'indistinct constitue la dissolution non seulement des différences ordinaires et donc des hiérarchies morales, culturelles et civiles, mais aussi d'une démocratie populaire dont l'essence devrait être l'exaltation des pièces individuelles d'une mosaïque communautaire cimentée par la reconnaissance de la dignité.
À l'époque de la quantification et de l'absolutisme mercantile, il est inévitable que la force du nihilisme devienne un puissant facteur de stabilisation de l'instabilité, avec des conséquences facilement imaginables que nous pouvons déjà voir à l'œuvre autour de nous, massivement présentes dans notre imaginaire culturel et destinées à submerger même les îles isolées que l'on croyait jusqu'à récemment à l'abri des flots de la vulgarité massifiante qui véhicule les modes et les coutumes qui remontent à l'univers de l'unicité de la pensée et donc au triomphe de la modernité. Âge sombre" ou "âge de fer", reprenant l'antique image d'Hésiode: c'est ainsi qu'Evola a défini notre époque. Et lorsque les formulations ont pris des allures de polémiques politiques, il ne s'est pas trouvé un seul homme pour ne pas stigmatiser le "baron noir" par des épithètes irrévérencieuses et pour ne pas considérer ses disciples comme pathétiques. Le temps s'est fait gentilhomme et le néo-totalitarisme, préfiguré et analysé par Evola en des termes on ne peut plus alarmants, bien avant que ses miasmes n'envahissent nos existences, progresse dans l'indifférence de ceux qui ne perçoivent pas les restrictions des espaces de liberté désormais occupés par les cris des multitudes qui réclament l'attention d'on ne sait qui, étant donné que ceux qui tissent les fils de la modernité ont intérêt à faire semblant de donner l'apparence de l'autonomie et de la critique à ceux qui la réclament, à condition, bien entendu, de disposer d'un cadre et d'une structure impénétrables et blindés pour protéger la citadelle du pouvoir qui n'admet aucune contestation, celui de l'argent qui domine les consciences en les achetant avec des gadgets culturels et des croyances nouvellement créées.
Le spenglérien Evola écrit, toujours dans Révolte contre le monde moderne De même que les hommes, les civilisations ont leur cycle, un début, un développement, une fin, et plus elles sont immergées dans le contingent, plus cette loi est fatale. Cela, bien sûr, ne peut impressionner ceux qui sont enracinés dans ce qui, étant au-dessus du temps, ne serait altéré par rien et qui demeure comme une présence éternelle. Même si elle disparaissait définitivement, la civilisation moderne n'est certainement pas la première des civilisations à s'éteindre, ni celle au-delà de laquelle il n'y en aura pas d'autre. Les lumières s'éteignent ici et se rallument ailleurs dans les vicissitudes de ce qui est conditionné par le temps et l'espace. Les cycles se ferment et les cycles se rouvrent. Comme on l'a dit, la doctrine des cycles était familière à l'homme traditionnel, et seule l'insipidité des modernes leur a fait croire un instant que leur civilisation, plongée, plus qu'aucune autre ne le fut jamais, dans l'élément temporel et contingent, pouvait avoir un destin différent et privilégié.
Mais est-il possible que la fin d'un cycle puisse préluder à l'ouverture d'un autre dans une continuité, certes essentielle et marginale ? C'est un grand thème qui, projeté sur l'immense marécage contemporain, sollicite des considérations anthropologiques par rapport auxquelles tous les domaines de la pensée sont remis en question, à commencer par le religieux (même s'il n'est pas ancré dans une foi donnée) jusqu'à l'économico-social. C'est dans ce contexte que celui que l'on a appelé la "lux évolienne" s'est imposé de manière décisive, surpassant même des théoriciens de la crise et du déclin beaucoup plus acclamés. Evola, contrairement à ce que l'on pourrait penser - et surtout dans les dernières années, bien qu'il n'ait pas cultivé les illusions à court terme d'une possible renaissance (les nombreux articles qu'il a écrits pour Il Conciliatore, L'Italiano et Roma en sont la preuve) - a imaginé la possibilité d'inverser le cours des choses, sans s'attarder à les chercher dans certains renouveaux plus folkloriques qu'autre chose des "traditionalistes" autoproclamés de la dernière heure ou dans une religiosité de seconde main, telle qu'on l'observe dans Masques et visages du spiritualisme contemporain.
Il a imaginé qu'une minorité active et culturellement consciente de la tâche à laquelle elle doit se consacrer après avoir mesuré les étapes de la décadence et tiré les conséquences de la dissolution des formes même élémentaires inhérentes à une existence à peine ordonnée, pourrait émerger. Il définit les personnalités qui composent ce noyau comme des egregoroi, c'est-à-dire ceux qui regardent. Mais en plus grand nombre, dit-il, "il y a des individualités qui, sans savoir au nom de quoi, ressentent un besoin confus mais réel de libération. Orienter ces personnes, les mettre à l'abri des dangers spirituels du monde présent, les amener à reconnaître la vérité, et rendre absolue leur volonté que certains d'entre eux puissent atteindre la phalange des premiers, c'est encore ce que l'on peut faire de mieux". Et, toujours dans un rigoureux réalisme, il ajoutait: "Mais là encore il s'agit d'une minorité et il ne faut pas s'imaginer qu'il puisse en résulter une variation appréciable dans l'ensemble des destinées. Telle est donc la seule justification de l'action tangible que certains hommes de la Tradition peuvent encore exercer dans le monde moderne, dans un milieu avec lequel ils n'ont aucun lien. Pour l'action directrice précitée, il est bon que de tels "témoins" soient là, que les valeurs de la Tradition soient toujours indiquées, sous une forme d'ailleurs d'autant plus atténuée et dure que le courant adverse est plus fort. Même si ces valeurs ne peuvent pas être réalisées aujourd'hui, elles ne sont pas réduites à de simples "idées"". Et encore: "Rendre clairement visibles les valeurs de vérité, de réalité et de Tradition à ceux qui, aujourd'hui, ne veulent pas de "ceci" et cherchent confusément "autre chose", c'est apporter un soutien pour que la grande tentation ne l'emporte pas chez tous, où la matière semble désormais plus forte que l'esprit".
La Tradition, prise non pas comme conatus réactif à la "pensée unique", mais comme véhicule d'affirmation d'une "pensée autre", est donc l'héritage d'Evola pour les "derniers temps". Une Tradition, bien sûr, vécue dans ses valeurs constitutives et non dans les déchets rhétoriques qui lui sont associés, auxquels les attitudes culturelles ont offert un espace pour le moins irrespectueux à l'égard de l'univers traditionnel lui-même. Et qui ne peut devenir "active" qu'en prenant les traits d'une "révolution conservatrice", comme le suggère Evola lui-même dans Gli uomini e le rovine (Les hommes au milieu des ruines), dans Cavalcare la tigre (Chevaucher le tigre) et dans de nombreux autres écrits organiques et occasionnels. La formule met en évidence l'élément dynamique représenté par la "révolution", qui n'a donc pas de valeur subversive ou violente d'un ordre légitime, et l'élément constitutif qui l'étaye, lequel est "conservateur". Mais conserver quoi? La tradition et ce qui en découle, en la faisant vivre - et c'est là la tentative la plus ardue - à travers les instruments de la modernité sans être conditionnée ou même subjuguée par eux. Préserver la Tradition et ce qu'elle signifie est le seul véritable acte révolutionnaire imaginable. Et il est loin d'être irréaliste de croire qu'une réaction loin d'être stérile au totalitarisme de la "pensée unique" puisse en découler.
Loin de cristalliser l'idée de Tradition, Evola la relance comme proposition culturelle à l'heure de la crise de toutes les croyances et à la veille de l'effondrement d'idéologies élevées au rang de pratiques quasi mystiques. Dans un article paru dans Il Conciliatore en juin 1971, Evola écrit: "L'introduction de l'idée de Tradition vaut pour libérer chaque tradition particulière de son isolement, précisément en ramenant son principe générateur et ses contenus essentiels dans un contexte plus large, en des termes qui soient d'une intégration effective. Seules les éventuelles revendications d'exclusivisme et de privilèges sectaires en pâtissent. Nous reconnaissons que cela peut être dérangeant et créer une certaine désorientation chez ceux qui se sentaient en sécurité dans une zone donnée et clôturée. Mais pour d'autres, la vision traditionnelle ouvrira des horizons plus larges et plus libres, elle ne fera qu'instiller une sécurité supérieure, à condition qu'ils ne trichent pas au jeu: comme dans le cas de ces "traditionalistes" qui n'ont mis la main sur la Tradition que comme une sorte de condiment à leur propre tradition particulière réaffirmée dans toutes ses limites et dans tout son exclusivisme".
La personnalité multiforme d'Evola se prête, on le sait, à des interprétations diverses, variées, voire contradictoires. Mais sur un aspect de sa pensée, il n'y a probablement pas de différence de jugement. Evola - au-delà de ses propres intentions - est le protagoniste incontesté d'une révolte culturelle contre le conformisme dont la dictature de la "pensée unique" est l'expression la plus macroscopique et la plus meurtrière.
Evola est en bonne compagnie, bien sûr. Mais la pertinence contemporaine de ses idées est telle qu'il est considéré comme la référence d'une vision du monde qui embrasse, contrairement à d'autres, bien que contigus, les domaines les plus importants de l'esprit et de l'action, du sexe (à la "Métaphysique" duquel, anticipant prodigieusement les résultats de la soi-disant "libération sexuelle", il a consacré des pages qui déboulonnent la théorie du genre et l'unisexisme dominant) à la religiosité dans ses multiples déclinaisons, en passant par la science, la démographie, la contestation de la jeunesse et ses mythes, et les formes de décadence.
Quelle est sa pertinence aujourd'hui ? Question inutile. La réponse se trouve dans ses livres.
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mercredi, 10 avril 2024
Le traditionalisme et la Lituanie
Le traditionalisme et la Lituanie
Mindaugas Kaktavičius
Source: http://www.radikaliai.lt/
La tradition est ce qui se transmet. C'est ce qui reste constant dans les métamorphoses constantes de l'histoire et de la vie lituaniennes. C'est une source authentique de valeurs fiables de la culture nationale, qui nourrit toutes les cellules de la culture et de la mentalité nationale (1). La présente publication étudie les origines philosophiques et la vision du monde des nouvelles doctrines des mouvements religieux traditionalistes en Lituanie. Elle se concentre sur les concepts traditionalistes les plus influents du passé et du 20ème siècle, qui ont eu l'impact le plus fort sur l'émergence des nouveaux mouvements religieux (NRM) contemporains les plus influents dans notre pays.
Sacrum versus profanum
Avant de procéder à un examen plus détaillé des origines philosophiques et de la vision du monde des doctrines traditionalistes des NRM en Lituanie, nous aborderons brièvement l'idéologie du traditionalisme et définirons les concepts de base que nous utiliserons, ainsi que les doctrines traditionalistes qui ont eu l'impact le plus fort sur l'émergence et la propagation des NRM. Nous commencerons notre analyse par son concept central. L'origine du terme NRM doit être retrouvée au Japon, où le phénomène a commencé à être étudié au début du 20ème siècle. Le terme "nouvelles religions" est une traduction du japonais shin shukyo. Emprunté aux sociologues japonais dans les années 1970, les chercheurs occidentaux en ont fait un terme universel à utiliser à la place des termes "secte", "culte" ou autres "dénominations". Les sectes sont limitées aux groupes religieux, psychothérapeutiques, politiques ou commerciaux hautement manipulateurs [2].
En Occident, une approche différente des phénomènes religieux en général a commencé à émerger aux 19ème et 20ème siècles. Pierre Daniel Chantepie de la Saussaye (1848-1920) (photo, ci-dessus), le père néerlandais des études religieuses modernes, a inventé pour la première fois le terme "phénoménologie de la religion" dans son livre Lehrbuch der Religionsgeschichte (1887). Pour cet érudit, l'objectif de la phénoménologie de la religion était de collecter des données historiques afin d'analyser les concepts de la religion. Les idées de P. D. Chantepie de la Saussaye ont été suivies par un autre Néerlandais, William Brede Kristensen (1867-1953), qui a proposé de décomposer le phénomène de la religion en éléments spécifiques à des religions particulières.
La phénoménologie de Kristensen (photo, ci dessus) s'est beaucoup inspirée, mais elle s'est encore plus appuyée sur le concept très influent de sacré (das Heilige) développé par le théologien luthérien allemand Rudolf Otto (1869-1937) dans son livre éponyme publié en 1917.
Le sacré selon R. Otto se trouve "derrière" le sacré, [...] elle peut le déterminer, le conditionner, mais il ne peut pas être identifiée à la sainteté" [3]. Pour Otto, "l'espace et le temps sont divisés en deux sphères: le sacré et le profane" [4]. Cette division donne au sacré une nouvelle "place" - le "centre" du monde, l'axis mundi. Les Lituaniens, comme beaucoup de peuples, avaient leurs propres "centres" du monde - les alci.
Un exemple de "centre" du monde moderne et du nouvel âge est la pyramide dite de Merkinė dans le village de Česuki dans le district de Varėna (photo, ci-dessus). Plus tard, le thème du sacré a été développé par le spécialiste roumain des religions Mircea Eliade [5] (1907-1986), par le Néerlandais Gerardus van der Leeuw (1890-1950) [6] et par de nombreux autres chercheurs, qui ont tenté de définir la différence entre les deux mondes - celui dans lequel vit la personne religieuse et le monde séculier. Il est vrai que la dichotomie entre le sacré et le séculier, l'ésotérique et l'exotérique, n'est pas forte dans toutes les religions. Dans le bouddhisme, par exemple, le dualisme entre le sacré et le profane n'est pas reconnu, alors que dans les mouvements du nouvel âge, il revêt une importance capitale, comme en témoigne la stricte hiérarchie des membres de ces mouvements : les nouveaux venus se voient enseigner les "secrets" du NRM jusqu'à ce qu'ils atteignent le seuil de l'initiation, et, une fois ce seuil franchi, ils sont introduits dans le royaume du sacrum.
La distinction entre le sacré et le profane a été définie par les traditionalistes, influents partisans de la méthodologie comparative, dont l'école est également connue sous le nom de traditionalisme intégral ou de pérennisme (de Sophia Perennis, qui signifie "sagesse éternelle" en latin). L'inspirateur du mouvement traditionaliste, René Guénon (1886-1951), célèbre spécialiste français des études culturelles comparatives, de l'esthétique et de l'histoire de l'art, converti à l'islam, "a souligné la relativité du "culte des valeurs matérielles" et de la "civilitsation" qui sont exaltés en Occident et qui sont considérés dans le système de valeurs des civilisations traditionnelles comme des manifestations de "barbarie"".
Outre cet érudit, plusieurs autres pionniers du mouvement traditionaliste ont exercé une grande influence: de Ceylan (aujourd'hui Sri Lanka), où le mouvement traditionaliste a été fondé.
Ananda Coomaraswamy (1877-1947), métaphysicien né en Suisse et l'un des plus grands spécialistes des études comparatives indiennes et occidentales de la culture, de l'esthétique et des arts;
Le poète et peintre Frithjof Schuon (1907-1998), érudit suisse de langue allemande;
Titus Burckhardt (1908-1984);
Le spécialiste iranien de la religion, de la philosophie, de l'esthétique et de l'art Seyyed Hossein Nasr (né en 1933).
Ces penseurs ont affirmé que le monde moderne devait être réformé sur la base des traditions culturelles chères à l'humanité depuis des millénaires, qu'ils ont identifiées dans leurs textes comme le concept fondateur de la Tradition, qu'ils ont capitalisé et associé à la Sophia Perennis. Le terme Sophia Perennis ou Philosophia Perennis remonte d'ailleurs à la Renaissance. L'érudit allemand Gottfried Leibniz (1646-1716) a écrit plus tard sur ce sujet, mais c'est en fait le bibliothécaire du Vatican et théologien Agostino Steuco (Steucho/Steuchus/Steuchius), moins connu, qui a décrit pour la première fois l'idée de sagesse éternelle et inventé le terme "Philosophia Perennis" dans son ouvrage De philosophia perenni sive veterum philosophorum cum theologia christiana consensu libri X, publié en 1540. Il est vrai que les termes "source éternelle de la volonté de Dieu" ou "sagesse éternelle de Dieu" ont été utilisés par les scolastiques dès les 12ème et 15ème siècles, mais la phrase "Dieu est l'entendement, le compris et l'entendement de l'entendement" de Steuchius est devenue légendaire pour les philosophes à venir.
Comme nous pouvons le constater, les idéologues traditionalistes susmentionnés et leurs inspirateurs ont souligné l'importance du symbolisme, de la métaphysique et de la spiritualité. Ils se sont inspirés des traditions orientales pour affirmer que le monde occidental vivait un âge des ténèbres (Kali Yuga). Il ne pouvait être aidé que par une élite intellectuelle revivifiée qui ressusciterait de l'oubli les connaissances longtemps oubliées qui avaient formé le cœur de la mentalité des sociétés traditionnelles il y a des centaines ou des milliers d'années. L'époque au cours de laquelle la tradition divine s'est épanouie est appelée l'âge d'or (Satya Yuga).
Par une coïncidence intéressante, de nombreux traditionalistes étaient des adeptes de l'islam, la religion qui a connu la plus forte croissance dans le monde au cours du siècle dernier. L'islam est aujourd'hui pratiqué par plus de 1,5 milliard de personnes dans le monde. En Lituanie, bien que de nombreux adeptes de cette religion aient servi fidèlement notre État multiculturel et polyconfessionnel (en particulier dans les structures militaires) au cours des siècles, depuis l'apogée du Grand-Duché de Lituanie (elle constituait certaines des unités militaires les plus fiables du Grand-Duché de Lituanie), une petite communauté de musulmans - environ 3200 personnes - a survécu jusqu'à aujourd'hui. Comme les Karaïtes, les Juifs (Hassidim et Mitnageds) et les confessions chrétiennes (catholiques latins, catholiques grecs, vieux croyants, orthodoxes, luthériens évangéliques, réformés évangéliques), ils sont reconnus par la loi lituanienne comme une communauté religieuse traditionnelle, qui regroupe sept communautés (8). Comme dans le reste du monde, l'islam est la religion la plus en expansion en Lituanie. En témoignent non seulement le nombre croissant de convertis à l'islam en Lituanie, mais aussi la littérature qu'ils publient et les sites web qu'ils gèrent [9].
L'islam a une longue et profonde tradition en Lituanie. Les premiers musulmans étaient des Tatars, un groupe ethnique unique qui vit actuellement en République de Lituanie, dans la partie occidentale de la République du Belarus et à la frontière orientale de la République de Pologne. Les Tatars sont apparus aux 14ème et 16ème siècles et se sont installés dans le Grand-Duché de Lituanie, à l'invitation de Vytautas le Grand. Ayant perdu leur langue en peu de temps, les Tatars de Lituanie ont préservé leur identité nationale pendant plus de 600 ans, grâce à leur fort attachement à leur religion ancestrale, l'islam. Selon certaines sources, les souverains de Lituanie et de Pologne ont toujours été tolérants à l'égard de la société tatare et de sa religion, construisant des mosquées sur leurs terres et permettant aux Tatars de pratiquer leur religion sans entrave. En 1988, la Société culturelle tatare lituanienne a été fondée et les activités sociales des communautés tatares ont été rétablies.
En 1998, le Muftiyat, le centre spirituel des musulmans sunnites en Lituanie, a été restauré. "Cependant, les Tatars ne sont pas les seuls musulmans à vivre en Lituanie. Au cours des dix dernières années, des visiteurs étrangers ont commencé à arriver en Lituanie et à s'y installer pour y vivre ou y étudier. Bien que la Lituanie soit un pays chrétien, ils ont suivi avec diligence les traditions de leur pays d'origine. En collaboration avec des muftis et des imams tatars, les étudiants étrangers ont relancé les prières du vendredi et ont commencé à organiser des conférences dominicales dans les mosquées et les écoles des petites villes peuplées de Tatars. Outre les nombreuses communautés tatares, Vilnius abrite le muftiyat, le centre spirituel des musulmans sunnites de Lituanie, ainsi que la communauté de la jeunesse musulmane lituanienne, dont le centre est la mosquée de Kaunas" [10].
Martin Lings
Kurt Almqvist
Tage Lindbom
Ashq Dahlén
Il n'est pas surprenant qu'outre Guénon, les musulmans comprennent le traditionaliste F. Schuon, ses disciples Martin Lings (1909-2005), un Britannique, et les Suédois Kurt Almqvist (1912-2001) et Tage Lindbom (1909-2001), ainsi que Burckhardt, S. H. Nasr, et le compatriote iranien Ashq Dahlén (né en 1972).
D'autres traditionalistes, il faut le souligner, ne pratiquaient que des religions traditionnelles: Coomaraswamy était hindou, Marco Pallis (1895-1989), un Britannique, était bouddhiste, avec un intérêt particulier pour les traditions religieuses et la culture du Tibet, et le Français Jean Borella (né en 1930) était chrétien et néoplatonicien.
Julius Evola (1898-1974), éminent spécialiste italien des études culturelles et religieuses comparatives, qui s'est intéressé toute sa vie à l'hermétisme, au bouddhisme et au taoïsme, et qui a publié un certain nombre d'études comparatives importantes, s'est également décrit comme un traditionaliste "en cette époque de ténèbres spirituelles". La liste pourrait s'allonger à l'infini. Mais le fait est que la victoire du traditionalisme, ou plutôt de la Tradition, qui est restaurée à travers lui, sur la postmodernité peut être considérée comme au moins partiellement acquise. Les traditionalistes soulignent que notre époque n'est pas seulement une période d'obscurité et de crise, mais aussi un "royaume de la quantité" (terme de Guénon), où l'homme et le cosmos sont de plus en plus remplis de matérialité. Depuis la Renaissance, affirment-ils, le monde occidental a presque complètement perdu tout lien avec la Sophia Perennis et le sacrum. Dans le sous-continent indien, ces termes ont un équivalent sanskrit, le sanātana dharma ("loi éternelle"). L'hindouisme est la plus ancienne religion du monde, qui fait partie d'une tradition extrêmement complexe, la troisième après le christianisme et l'islam en termes de nombre d'adeptes (environ 1 milliard).
Voici un bref aperçu des principales thèses des gardiens de la Tradition. Selon René Guénon, "[...] les civilisations traditionnelles sont fondées sur l'intuition intellectuelle. En d'autres termes, dans ces civilisations, la doctrine métaphysique est la chose la plus importante, et tout le reste en découle. [...] Le monde moderne tente de toutes ses forces, tout en se réclamant de la science, de tendre vers un seul but: le développement de la production et de la mécanisation. Ainsi, en voulant asservir la matière, les hommes deviennent eux-mêmes ses esclaves. Ils ne se contentent pas de limiter leurs prétentions intellectuelles - si elles existent encore aujourd'hui - à l'invention et à la construction de mécanismes. Les hommes sont devenus eux-mêmes des mécanismes. [...] La qualité ne signifie plus grand-chose, seule la quantité compte. C'est pourquoi la civilisation moderne peut être qualifiée de quantitative, c'est-à-dire de matérialiste" [11].
Guénon souligne l'existence d'une "science sacrée" et d'une "science profane". "Le monde moderne est un monde de négation de la Tradition et de la vérité surhumaine. Si les hommes le comprenaient, la transformation finale du monde ne serait pas une catastrophe, mais il est désormais impossible de l'éviter. [...] Mais rien ne pourra jamais vaincre la vérité. Rappelons donc la devise de certaines des anciennes organisations initiatiques d'Occident : "Vincit omnia Veritas" - "La vérité triomphe de tout" [12]. Les paroles de Guénon sont devenues prophétiques des décennies plus tard, le rapport de la Fédération de la Croix-Rouge indiquant que le nombre de catastrophes naturelles a atteint un niveau record cette année, avec pas moins de 500 désastres en 2007 (contre 427 l'année précédente).
Burckhardt (photo, ci-dessus) a enseigné à aimer la tradition. "Pour comprendre une culture, il faut l'aimer, et cela ne peut se faire que sur la base de ses valeurs universelles et intemporelles. Ces valeurs sont essentiellement les mêmes dans toutes les vraies cultures, et elles satisfont non seulement les besoins physiques mais aussi les besoins spirituels de l'homme, sans lesquels sa vie n'a pas de sens. Rien ne nous rapproche plus d'une autre culture que les œuvres d'art qui la représentent, comme si elles en étaient le "centre". Il peut s'agir de peintures sacrées, de temples, de cathédrales, de mosquées ou encore de tapis anciens. Nous pouvons donc beaucoup mieux comprendre, par exemple, les formes intellectuelles et éthiques de la culture bouddhiste si nous connaissons l'image typique du Bouddha" [13].
Schuon a ajouté à la profondeur de la pensée de ces penseurs la miniature mystique "Être avec Dieu": "Soyez avec Dieu dans la vie. Dieu sera avec vous dans la mort. Soyez avec Dieu dans le temps. Dieu sera avec vous dans l'éternité. Souvenez-vous de Moi. Je me souviendrai de vous" [14].
Coomaraswamy a dit: "Les nations sont créées par les poètes et les artistes, et non par les commerçants et les politiciens. Les principes les plus profonds de la vie sont dans l'art" [15]. Pour ce penseur, le mot "nationalisme" signifiait l'expression culturelle d'une nation. Lorsque l'Inde est devenue indépendante, il a déclaré publiquement : "Soyez vous-mêmes". Le traditionaliste déclarait ainsi l'authenticité esthétique plutôt que l'aspect politique de la liberté.
Il est regrettable que de nombreux nouveaux mouvements religieux en Lituanie n'aient rien à voir avec la Tradition, mais soient influencés par la "McDonaldisation", l'expansion de la "culture" occidentale que Guénon craignait tant, ainsi que par le syncrétisme. Il est également désagréable que les traditionalistes soient souvent accusés de promouvoir un nationalisme fasciste. Pourtant, Guénon, Burckhardt, Schuon, Coomaraswamy, Pallis et Lings sont des humanistes qui luttent pour les droits des opprimés, des humiliés et pour la préservation de leurs traditions, et de telles accusations sont à l'origine de l'émergence de figures ultra-nationalistes à travers le monde, comme par exemple celle du philosophe russe, néo-eurasiste, qui s'est fait un nom sur la scène internationale, le philosophe russe et néo-eurasiste Alexandre Douguine (né en 1962) [16], le fondateur français du mouvement "Nouvelle Droite" Alain de Benoist (né en 1943), ou encore des propagandistes néo-nazis comme Stephen McNallen (né en 1948) [17].
Cependant, à côté des figures fascistes, il existe aussi dans notre pays des gardiens holistiques du sacrum.
Le terme "holisme" est dérivé du mot grec "holos", qui signifie "entier". "Le principe de base du holisme remonte à la Métaphysique d'Aristote: "Le tout est plus que la somme des parties". En d'autres termes, pour nous comprendre nous-mêmes, comprendre le monde, l'univers, nous devons considérer l'ensemble (sphères biologique, chimique, sociale, économique, mentale, linguistique et autres). Ce n'est qu'en comprenant le tout que nous pouvons comprendre comment les différentes parties du tout fonctionnent. Le terme "holisme" a été utilisé pour la première fois par le Premier ministre sud-africain, officier militaire (maréchal), botaniste et philosophe Jan Christian Smuts (1870-1950) dans son livre de 1926 intitulé Holism and Evolution (Holisme et évolution). Il définit le holisme comme "la tendance de la nature à former des ensembles qui sont plus grands que la somme de leurs parties, en tenant compte de la créativité de l'évolution".
La vie de J. Ch. Smuts, érudit et polyglotte, n'est pas sans rappeler la philosophie du holisme : il a lutté contre l'apartheid naissant en Afrique du Sud et a fondé les Nations unies. Lorsqu'Albert Einstein a lu "Holisme et évolution", il a déclaré qu'au cours du prochain millénaire, les gens seraient influencés par deux choses : sa théorie de la relativité et le holisme de J. Ch. Smuts. Le célèbre physicien a également ajouté que J. Ch. Smuts est "l'une des onze personnes au monde" à avoir compris sa théorie de la relativité. Une statue en l'honneur du fondateur du holisme est érigée sur Parliament Square, à Londres. J. Ch. Smuts est également considéré par les Juifs comme l'une des personnes ayant le plus contribué à la fondation d'Israël. Plusieurs rues des villes israéliennes portent son nom, ainsi qu'un certain nombre de plantes qu'il a trouvées en Afrique du Sud.
Par ailleurs, le holisme rappelle non seulement la culture mélanésienne de Nouvelle-Calédonie, que le missionnaire protestant Maurice Leenhardt (1878-1954) appelait le cosmomorphisme (la symbiose parfaite entre l'homme et le monde naturel qui l'entoure), mais aussi la foi balte, où nos ancêtres recherchaient l'harmonie avec les plantes, les animaux et les phénomènes naturels.
Dans la seconde moitié du 20ème siècle, les théories physiques du chaos et de la complexité se sont développées à partir du holisme. Le holisme a influencé l'écologie, une nouvelle approche de la théorie économique, la philosophie du langage, l'anthropologie, l'architecture, le design, l'éducation, la médecine psychosomatique" [18]. Il est vrai que certains spéculent sur le holisme et le transforment en un autre mouvement new age. Par exemple, l'Institut de santé holistique de Kaunas a été fondé, où l'on enseigne la médecine extrasensorielle, la bioénergie, l'"astrologie médicale", la chiromancie, la parapsychologie, la "psychologie spirituelle", etc.
Le retour à la tradition est également recherché par la foi balte, souvent qualifiée sans raison de "païenne" (latin paganus - "villageois"), bien que les adeptes de cette foi n'aient pas peur du mot "païen".
Il est vrai que Gintaras Beresnevičius admet qu'il est impossible de recréer une religion ancienne, "mais il est possible de recréer (créer ?) une certaine attitude, une humeur de l'âme - une ouverture religieuse à l'environnement - sur la base d'expériences spéciales sacrées" [20]. Beresnevičius qualifie les Romuviens - membres de la communauté confessionnelle balte Romuva - de "bouddhistes zen partiellement lituaniens", "et le bouddhisme zen, comme l'expérience sacrée de la nature, n'exclut pas un autre type de religiosité" [21]. Selon l'universitaire, l'idée du peuple romuva est le lien entre l'homme, ses ancêtres, la nature et l'univers. En d'autres termes, il s'agit d'un retour à la tradition. Surtout que dans le mouvement romuva, on peut sentir l'individualité de la personnalité, ils ne sont pas nivelés comme dans beaucoup de NRM : "... les Romuvas sont différents, individuels, leur religiosité ne les met pas dans un ghetto socialement, émotionnellement, elle n'endommage pas leur psyché", tandis que, mentionnant le cas de la Parole de Foi comme exemple, G. Beresnevičius souligne que "si vous parlez à l'un d'entre eux, vous parlez à tous" [22].
Les Romuvas eux-mêmes le disent: "Romuva est une foi et une religion baltes. Romuva, c'est la paix, l'harmonie et la beauté - les valeurs les plus importantes de notre esprit. Romuva est une religion de vie et d'harmonie. Le nom de Romuva a brillé à nouveau avec la renaissance d'un peuple et d'une ancienne foi naturelle. En la qualifiant de "baltique", nous soulignons son ancienneté et sa tradition ininterrompue" [23]. Par ailleurs, les Romuvas reconnaissent la réincarnation, bien que cette doctrine soit issue de la philosophie indienne.
Le premier krivi lituanien Jonas Trinkūnas (photo) a été ordonné sur la tombe de Gediminas à Vilnius en 2002, après un hiatus de 600 ans. G. Beresnevičius a qualifié cet événement d'importance européenne. Il s'agit bien sûr d'une des pierres angulaires de la restauration de la Tradition. Malheureusement, les autorités de notre pays, la Lithuanie, favorisent les NRM destructeurs - par exemple, le mouvement très controversé des adeptes d'Osho est enregistré comme une communauté bouddhiste auprès du ministère de la Justice, alors qu'il n'a rien à voir avec le bouddhisme, et ceux qui professent la foi balte ne reçoivent toujours pas de reconnaissance de la part de l'État.
Dans son livre sur la foi balte, Trinkūnas explique: "Vydūnas a écrit à plusieurs reprises sur l'ancienne foi des Lituaniens et s'est émerveillé de sa sagesse. Une caractéristique importante de cette foi était son autosuffisance; elle a grandi et s'est développée comme un chêne sacré dans sa terre natale. Malheureusement, l'expérience spontanée du Grand Mystère a été entravée et interrompue, et la perte de conscience de soi a pu se poursuivre pendant des siècles. Notre ancienne foi n'a jamais consisté à lire des livres et à en discuter. L'essence de cette foi était la vie elle-même et sa sagesse. Aujourd'hui, cependant, nous avons besoin de livres sur la religion naturelle et la vision du monde, car la connaissance vivante de la foi ancestrale s'est évanouie. La civilisation agressive dilue encore davantage la mémoire naturelle des peuples. En pensant à l'avenir de la nation, nous aspirons à sa survie et à celle de ses valeurs spirituelles. La tradition balte est la vision du monde, les anciennes croyances, les coutumes, le folklore, etc. et Romuva symbolise l'unité et la continuité de cette tradition" [24].
La nature traditionnelle de la foi balte a fait l'objet de nombreux écrits de la part de G. Beresnevičius (1961-2006), ainsi que Norbertas Vėlius (1938-1996) (photo, ci-dessus), qui a écrit The Ancient Baltic Worldview (1983), Sources of Baltic Religion and Mythology (4 volumes, 1996-2005) et d'autres ouvrages, Marija Gimbutienė/Marija Gimbutas (1921-1994), Pranė Dundulienė (1910-1991), Nijolė Laurinkienė, Elvyra Usačiovaitė, Libertas Klimka, Dainius Razauskas, Radvilė Racėnaitė, Vladimiras Toporovas et d'autres.
L'idée de Gimbutiene (Marija Gimbutas) selon laquelle la mythologie balte est une fusion des cultures matricentriques de la vieille Europe et de la nouvelle religiosité patricentrique apportée par les Indo-Européens est la plus proche du concept de Tradition. Il est vrai que le matricentrisme de la Vieille Europe n'est qu'une hypothèse qui existe depuis le 19ème siècle et qui a influencé les mouvements néopaïens qui ont émergé dans le monde dans la seconde moitié du 20ème siècle (dont le plus célèbre est peut-être la Wicca, un NRM, créé en 1954 par l'occultiste britannique Gerald Gardner (1884-1964).
Il faut cependant admettre que les origines du néopaganisme remontent à la Renaissance, avec la publication en 1532 de la Theologia mythologica du médecin allemand Georg Pictorius de Villigen (c.1500-1569) (gravure, ci-contre). Plus tard, en 1717, l'"Ordre des druides" a été fondé, suivi d'un intérêt pour l'héritage scandinave et, au début du 20ème siècle, pour les runes. Le plus grand spécialiste des runes est peut-être le poète, écrivain et occultiste autrichien Guido von List (1848-1919), qui a publié en 1908 une sorte de classique, Das Geheimnis der Runen (Le secret des runes).
Malheureusement, le néopaganisme a ensuite fusionné avec le mouvement new age. Selon Beresnevičius, cette fusion complète la société moderne avec la montée des tendances polythéistes, des doctrines orientales, des enseignements sur la réincarnation, du féminisme, de l'environnementalisme, de l'essor de l'astrologie et de l'exploration de la conscience et de l'inconscient dans la science et la parapsychologie. Tout cela a éloigné la société de la Tradition et l'a rendue laïque [25].
La tradition n'a pas complètement disparu. Des tentatives relativement mineures ont été faites pour étudier les runes lituaniennes (sic!). L'érudite lituanienne Pranciška Regina Liubertaitė (photo) affirme que non seulement les Scandinaves, les Anglo-Saxons (Anglais, Saxons, Jutes, Frisons), les Goths, les Turcs, les Hongrois, mais aussi... les Lituaniens possédaient des runes. Une plaque avec des signes runiques, qui a donné beaucoup à réfléchir [26], a été trouvée lors de la construction de l'ascenseur de la colline de Gediminas en 2003. Le mot rune est d'origine indo-européenne, et il signifie un secret, c'est-à-dire une tradition.
En résumé, tous les traditionalistes, qu'ils soient modérés ou radicaux, partagent le même désir de ramener la Tradition, seuls les moyens qu'ils proposent diffèrent.
À l'opposé des gardiens du sacrum (des phénoménologues aux traditionalistes et aux holistes) se trouvent les philosophes cyniques du postmodernisme et du transhumanisme.
Profanum contre sacrum
La philosophie postmoderne a été influencée par la phénoménologie, le structuralisme, l'existentialisme et la philosophie analytique. Mais voyons ce qui nous intéresse le plus dans ce cas, à savoir l'approche de la religion par la philosophie postmoderne.
Commençons par une hypothèse: le postmodernisme, contrairement aux gardiens du sacrum, nie le dualisme entre le monde spirituel et le monde physique, entre l'esprit et les objets qu'il valorise; en d'autres termes, la postmodernité est un monde qui peut être influencé par la seule pensée. Les postmodernistes nient la Tradition et influencent la mentalité de la société moderne sécularisée avec la vision que tout est hyperréalité, pseudo-événement, virtualité, simulacre. Les transhumanistes nient également la Tradition, mais ils rêvent d'une utopie du corps. Rappelez-vous les paroles prophétiques du penseur anglais Thomas More (1478-1535): "[...] les utopistes, par leurs facultés instruites par les sciences, sont admirablement habiles dans les inventions qui procurent toutes les commodités de la vie" [27].
Nous aimerions définir les principaux termes inventés et utilisés par les anti-traditionalistes (transhumanistes).
Daniel Boorstin
Hyperréalité. Dans la philosophie postmoderne, l'incapacité de la conscience à distinguer la réalité de la fantaisie. Les philosophes les plus célèbres qui ont étudié l'hyperréalité sont le Français Jean Baudrillard (1929-2007), l'Allemand Albert Borgmann (né en 1937), l'Américain Daniel Boorstin (1914-2004) et l'Italien Umberto Eco (né en 1932).
Baudrillard a déclaré: "La distorsion de l'espace qui suit la distorsion d'une planète équivaut au désensablement de la souche humaine, ou à sa réversion dans l'hyper-courant de la simulation. C'est la fin de la métaphysique, la fin du fantasme, la fin de la science-fiction, le début d'une ère d'hyperréalité" [28]. Borgmann a souligné l'aliénation de notre société par rapport à la Tradition, car elle est devenue hyperactive, pathologiquement accro au travail. Boorstin a dit un jour que le plus grand obstacle qui nous empêche de découvrir la forme de la terre, ses continents et ses océans, est l'illusion que nous savons. Eco a qualifié l'hyperréalité, paradoxalement, de "faux authentique".
Pseudo-événement. D. Boorstin a emprunté ce terme à Guy Debord (1931-1994), le célèbre situationniste auteur de l'ouvrage légendaire La Société du spectacle (1967). Un pseudo-événement est créé pour attirer l'attention des médias, mais il ne fonctionne pas dans la réalité. C'est la publicité qui s'est emparée de notre monde, les "nouvelles" biaisées, les "nouvelles" créées par les sociétés de relations publiques (PR). L'événement n'existe plus dans une société qui a oublié la Tradition, mais il a été remplacé par un pseudo-événement qui devient "plus réel que la réalité". Par exemple, la lettre "M" est censée créer le monde de McDonnald's, qui représente un certain aliment, mais en réalité la lettre "M" dans le monde profane ne signifie pas grand-chose. En revanche, la rune M (mannaz ou manwaz) a toujours signifié l'homme et, dans la Tradition, comme d'autres runes, elle a été chargée de sens.
Virtualité. Le terme a été inventé par Ted Nelson (né en 1937) (photo), philosophe américain et expert en technologies de l'information qui a inventé le terme hypertexte en 1963. On lui attribue également la phrase suivante: "La plupart des gens sont stupides, le gouvernement est mauvais, Dieu n'existe pas, tout est mauvais". Le virtuel représente tout ce qui n'est pas réel. En d'autres termes, c'est un profanum.
Simulacre. Le "père" de ce terme est Baudrillard. Les simulacres sont l'imagination utopique, la science-fiction et la "réalité" hyperréelle.
Pour résumer les grandes lignes de la philosophie postmoderne, il est clair que, selon Baudrillard, ce monde est une copie (copyworld). La réalité n'est plus réelle, elle a disparu de sa propre carte. Ou, comme le dirait Jacques Derrida (1930-2004), un autre philosophe postmoderne français, il y a "religion et espace-temps virtuel" [29].
"Il est vrai qu'il existe aussi une alternative (ou plutôt une opposition) positiviste à la Tradition: le transhumanisme. Le concept d'Übermensch, présenté au public dans le livre de Friedrich Nietzsche (1844-1900) de 1883 Ainsi parlait Zarathoustra (Also sprach Zarathustra), est au cœur de cette alternative. Elle trouve son origine dans l'expression "survie du plus apte" inventée par le philosophe anglais Herbert Spencer (1820-1903), telle qu'elle est décrite dans son ouvrage Principles of Biology de 1864, écrit en réponse à son admiration pour les idées de Charles Darwin (1809-1882). L'idée du surhomme a cependant dégénéré lorsque les nazis l'ont utilisée à leurs propres fins, déclarant que les Aryens étaient des surhommes, la "race supérieure" (en allemand: Herrenvolk). Dans la culture populaire et dans les nouveaux mouvements religieux, le surhomme est l'un des personnages les plus importants. Les hommes politiques utilisent également l'image du surhomme.
On peut qualifier tout cela de sophismes historiques ou de simples spéculations. Cependant, depuis un certain temps, il existe dans le monde une philosophie futuriste du transhumanisme (ou posthumanisme), qui est prise très au sérieux par beaucoup.
La pionnière du transhumanisme contemporain est l'artiste américaine Natasha Vita-More (née en 1950; de son vrai nom Nancie Clark) (photo), qui a écrit en 1982 le Manifeste pour l'art transhumaniste. On peut y lire: "L'art transhumaniste développe et prolifère de nouveaux modes d'expression artistique. Notre esthétique et nos expressions, liées à la science et à la technologie, stimulent l'expérience sensorielle. Les transhumanistes cherchent à améliorer et à activer la vie. Nous utilisons la technologie pour activer et améliorer la vie" [30].
Mais il ne s'agit là que des premières étapes du transhumanisme moderne (ou posthumanisme). L'une des figures les plus importantes associées au transhumanisme moderne est le philosophe et futurologue d'origine iranienne Fereidoun M. Esfandiary (1930-2000) (photo), qui a déclaré avoir "une grande nostalgie de l'avenir". En 1989, il a écrit un ouvrage de référence sur la philosophie du transhumanisme, Are You a Transhumanist?
Fils d'un diplomate iranien, il avait déjà visité 17 pays à l'âge de 11 ans, puis a travaillé pour la Commission des Nations unies en Palestine entre 1952 et 1954. Il a écrit plusieurs livres de fiction sous son vrai nom, et des ouvrages philosophiques scientifiques, futurologiques et transhumanistes sous le pseudonyme FM-2030 (il pensait qu'en 2030, notre civilisation aurait déjà considérablement changé - "cette année-là, nous serons devenus éternels"). Malheureusement, en 2000, le philosophe est emporté par un cancer. À sa demande, le corps de FM-2030 a été cryogénisé à l'Alcor Life Extension Foundation en Arizona.
Le transhumanisme (également connu sous le nom de >H ou H+) est aujourd'hui un vaste mouvement intellectuel et culturel qui soutient les dernières découvertes technologiques et scientifiques. Les transhumanistes pensent que les humains deviendront progressivement beaucoup plus intelligents et capables, c'est-à-dire des post-humains qui seront immortels - mais dans leur corps plutôt que dans leur âme [32].
La transformation des humains en post-humains a été décrite par l'éminent philosophe américano-japonais Francis Fukuyama (né en 1952). Dans son célèbre ouvrage La fin de l'histoire et le dernier homme (1992), il affirme que l'époque actuelle est la fin de l'histoire, car elle représente le point final de l'évolution idéologique de l'humanité et l'universalisation de la démocratie libérale occidentale.
Dix ans plus tard, dans son livre Our Posthuman Future: Consequences of the Biotechnology Revolution (2002), Fukuyama a développé cette thèse, affirmant que la fin de l'histoire ne peut survenir avant la fin des sciences naturelles et de la technologie. Pour lui, le fait que l'humanité soit sur le point de prendre le contrôle de ses processus évolutifs aura un effet profond et extrêmement destructeur sur la démocratie libérale. Les post-humains, selon Fukuyama, en manipulant le génome humain, seront capables de refaire l'humanité de la manière la plus neutre sur le plan idéologique et de la vision du monde. En d'autres termes, ce sera aussi la fin de la Tradition.
Incidemment, il convient de noter qu'en tant qu'ennemi idéologique du président américain George W. Bush (né en 1946), Fukuyama a souligné que les États-Unis ont grandement exagéré le danger de l'"islam radical", car la lutte contre le djihad n'est pas militaire, mais plutôt politique, une bataille avec les cœurs et les esprits de la population musulmane du monde, c'est-à-dire une bataille avec la Tradition. "Dans la période post-historique, il n'y aura ni art ni philosophie, seulement l'entretien perpétuel du musée de l'histoire" [33], conclut tristement Fukuyama.
Ainsi, après avoir brièvement discuté des origines philosophiques et de la vision du monde des doctrines des nouveaux mouvements religieux traditionalistes en Lituanie, nous pouvons dire qu'ils ont été principalement influencés par les diverses théories traditionalistes qui se sont répandues au cours du 20ème siècle. Leurs idéologues les plus influents ont encouragé les personnes de différents pays et religions à se tourner vers leurs racines et à prendre conscience de l'importance des valeurs traditionnelles dans un monde désacralisé dominé par de puissantes tendances à la commercialisation culturelle.
Parallèlement aux doctrines traditionalistes, des systèmes de vision du monde et des religions influentes telles que le taoïsme, le bouddhisme chan, le bouddhisme zen, le bouddhisme seon, l'hindouisme et le shintoïsme gagnent du terrain dans le monde d'aujourd'hui, tout comme la promotion du holisme et la déclaration de la relation indissoluble de l'homme avec la nature. Le nombre croissant de partisans de ces visions du monde, des holistes profondément enracinés dans l'élite universitaire et artistique occidentale, sont convaincus que, comme l'affirme le célèbre Livre des changements chinois (Yijing), tout est lié dans le monde et que, par conséquent, la nature ne peut être séparée de l'homme, et l'homme ne peut être séparé de la nature (ou de Dieu). Ces attitudes, qui ont suivi la puissante vague de l'orientalisme postmoderne, se sont largement répandues en Occident et sont devenues partie intégrante de la culture, de l'esthétique, de l'art et de la religion postmodernes. Selon les idéologues postmodernes influents, il n'y a plus de religion et de réalité clairement centrées dans le monde postmoderne de la culture méta-civilisationnelle, car nous vivons dans un contexte de lutte et de concurrence entre une multitude d'idées et de théories religieuses, et nous errons donc dans le monde comprimé de la mondialisation, à la recherche d'une vision du monde et d'une attitude religieuse plus acceptables pour tout le monde.
Selon les transhumanistes, à l'avenir, "dans l'ère humaine, les machines seront des dieux", "les machines complexes seront une forme évolutive de la vie" et "la logique sera un produit de l'imagination humaine" (selon les mots de l'écrivain anglais Robert Pepperell, fondateur de la branche posthumaniste du mouvement transhumaniste, né en 1963). Contrairement à de nombreuses régions du monde, où l'on observe un retour croissant aux valeurs traditionnelles de la culture, de la religion, de l'éthique et de l'art, en Lituanie, nous devons dire que les nouveaux mouvements religieux ont tendance à ignorer la tradition.
La plupart du temps, par manque de compréhension de l'importance des traditions culturelles dans le monde actuel, ils courent après des modes post-mondaines qui séduisent les gens qui ne croient pas en la valeur de la Tradition. En effet, la tradition ne se promeut pas d'elle-même, elle doit être découverte pour elle-même. C'est l'une des nombreuses raisons pour lesquelles la tradition unique de la culture et de la religion baltes, qui est si importante pour notre culture, notre mentalité et notre conscience nationale, a si peu de partisans. Cette situation est très surprenante pour de nombreux spécialistes religieux étrangers, en particulier les Japonais, qui sont parfaitement conscients de l'importance du maintien des traditions culturelles et religieuses nationales dans un monde post-moderne qui nivelle les distinctions.
Notes:
[1] A. Andrijauskas, Beresnevičius et les possibilités de la réception heuristique de l'histoire de la culture de la GDL // Kultūrologija 14. Est-Ouest: études comparatives V. - Vilnius, Institut de la culture, de la philosophie et de l'art, 2006, p. 29.
[2] M. D. Langone, Secular and Religious Critics of Cults : Complementary Visions, Not Irresolvable Conflicts, 22 novembre 2006, http://www.csj.org/infoserv_articles/langone_michael_secularandreligious....
[3] G. Beresnevičius, "Sanctification et laïcité": une brève introduction à un sujet inattaquable // Mircea Eliade, Sanctification et laïcité - Vilnius, Mintis, 1997, p. viii.
[4] Ibid, p. x
[5] M. Eliade, Sanctification et laïcité - Vilnius, Mintis, 1997.
[6] G. Van der Leeuw, Phänomenologie der Religion - Tübingen, J. C., 1933.
[7] A. Andrijauskas, Histoire comparée des idées de civilisation. - Vilnius Academy of Arts Publishing House, 2001, p. 335.
[8] http://www.state.gov/g/drl/rls/irf/2006/71392.htm.
[9] Cheikh Ali El-Tantawi, Introduction à l'islam. - Kaunas, Mosque, 2001 ; le journal de l'Union des communautés tatares de Lituanie "Lietuvos totoriai" - près de 140 numéros ont été publiés depuis 1995 [données du 26.02.2012], le journal peut être consulté sur Internet à l'adresse http://www.tbn.lt/lt/?id=8&item=43 ; et il y a également les sites web des musulmans vivant en Lituanie www.islamas.lt et www.musulmonai.lt.
[10] http://islamas.lt/il.htm.
[11] http://www.lib.ru/POLITOLOG/genon.txt.
[12] Ibid.
[13] http://www.worldwisdom.com/Public/Authors/Detail.asp?AuthorID=4#excerpt.
[14] http://www.frithjof-schuon.com/TEXT1142ENG.htm.
[15] http://www.tamilnation.org/hundredtamils/coomaraswamy.htm.
[16] http://www.evrazia.org.
[17] McNallen a créé en 1985 une pseudo-science, la métagénétique, prônant un homme nouveau au-delà des découvertes de la génétique, rappelant le "vrai Aryen" créé par les ariosophes nazis.
[18] M. Peleckis, The Phenomenon of Industrial Subculture (5) : Holistic Art in Lithuania // Literatura ir menas, 23.11.2007, http://www.culture.lt/lmenas/?leid_id=3166&kas=straipsnis&st_id=11786.
[19] Publicité dans le magazine Būrėja, 2005, n° 12 (38).
[20] G. Beresnevičius, Ant laiko ašmenų (Sur les axes du temps) - Vilnius, Aidai, 2002, p. 95.
[21] Ibid, p. 94.
[22] Ibid, pp. 93-94.
[23] Sous le signe de Romuva. Notre foi aujourd'hui. - Vilnius, Floramedia Baltic, 2001, p. 2.
[24] J. Trinkūnas, Baltic Faith. Vilnius, Diemedžio leidykla, 2000, pp. 5, 6, 8.
[25] G. Beresnevičius, Ant laiko ašmenų - Vilnius, Aidai, 2002, p. 87.
[26] Il y avait peut-être la seule communauté en Lituanie, bien que virtuelle, intéressée par Tradicija ir ruų paslaptys (Tradition et mystères des runes), qui se trouvait sur le site http://lietuva.white-society.org et s'appelait " Baltosios tradicijos " (Traditions baltes), mais sa page a été fermée ; les runes intéressent également certains musiciens industriels, comme le groupe Sala, originaire d'Utena.
[27] T. More, Utopia. - Vilnius, Vaga, 1968, p. 109.
[28] J. Baudrillard, Simuliakrai ir simuliacija - Vilnius, Baltos lankos, 2002, p. 143.
[29] J. Derrida, G. Vattimo et al, Religija - Vilnius, Baltos lankos, 2000, p. 10.
[30] http://www.transhumanist.biz/transhumanistartsmanifesto.htm.
[31] FM-2030, Êtes-vous un transhumain ? Monitoring and Stimulating Your Personal Rate of Growth in a Rapidly Changing World - New York, Warner Books, 1989.
[32] M. Peleckis, Transhumanisme : espoirs et dangers // Literatura ir menas, 14.09.2007, http://www.culture.lt/lmenas/?leid_id=3156&kas=straipsnis&st_id=11370.
[33] F. Fukuyama, La fin de l'histoire // The Natural Interest, été 1989, p. 18.
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mardi, 09 avril 2024
Magie arthurienne
Magie arthurienne
Fernando Galván
Source: https://melmothlibros02.blogspot.com/2024/04/la-magia-arturica.html
Le monde arthurien est étroitement lié à la fantaisie et à la magie du Moyen Âge. Il suffit d'évoquer le nom d'Arthur et de ses célèbres chevaliers pour que surgissent immédiatement à l'esprit les figures mythiques du magicien Merlin, de la fée ou de la sorcière Morgane, ou des objets magiques - aux pouvoirs extraordinaires - comme le Graal, ou l'épée Excalibur, ou encore des lieux dotés d'un important halo mythique et magique, comme Camelot, Avalon, la Forêt Stérile, la Chapelle Dangereuse, etc.
On pourrait citer des dizaines de motifs bien connus qui apparaissent partout au Moyen Âge et qui survivent encore dans les réécritures et les adaptations des récits arthuriens.
Il suffit de consulter un ouvrage aussi bien documenté que El Rey Arturo y su mundo. Diccionario de mitología artúrica (=Le Roi Arthur et son monde - Dictionnaire de la mythologie arthurienne (1)) de Carlos Alvar, pour constater la richesse magique et mythologique sous-jacente.
Dans le prologue de cet ouvrage, il est fait référence à l'Histoire de Lancelot du Lac comme noyau central des récits arthuriens, car elle contient la plupart des thèmes qui sont répétés et modifiés ailleurs.
Mais dans ce même récit sur Lancelot, étant donné sa longueur singulière, nous trouvons également ce que l'on peut observer dans d'autres récits en vers et en prose dans les différentes langues européennes médiévales.
C'est-à-dire que les personnages, les incidents, les objets et les lieux de ce monde fictif ne conservent pas une identité concrète et fixe, mais changent constamment, modifient leur nature et se transforment, comme par magie, en de multiples versions.
Le dictionnaire d'Alvar est irremplaçable, dans notre langue espagnole, pour trouver les clés de tant de transformations, des changements de physionomie et de noms adoptés par les centaines de personnages et d'incidents du monde arthurien.
Parfois, on croit percevoir dans tel ou tel élément narratif la trace de l'antiquité classique, d'autres fois celle du monde celtique primitif - d'où proviennent certainement beaucoup des légendes qui ont façonné le monde du roi Arthur - ; et à d'autres occasions, la présence du christianisme est indiscutable, qui - comme à d'autres époques - s'est efforcé au Moyen Âge d'adapter les fantaisies et les mythes païens à la doctrine de l'Église.
Il n'est donc pas facile de résumer la très longue liste d'événements magiques qui abondent dans tant de textes médiévaux.
Il existe des livres et des articles bien connus sur chacun des éléments importants liés à la magie et à la fantaisie. Citons, par exemple, les ouvrages prestigieux de R. S. Loomis, l'encyclopédie monumentale de N. J. Lacy et d'autres, les études de Geoffrey Ashe, William Albert Nitze et Nikolai Tolstoy.
Mentionnons également les livres de Carlos García Gual sur les légendes arthuriennes.
Pour ne pas me perdre dans le labyrinthe des détails magiques qui affectent le cycle arthurien, je préfère me concentrer sur une tentative d'explication de certaines des raisons de cette magie et de ses relations avec la science, la religion et l'histoire, et commenter brièvement les effets de cette magie au Moyen Âge et même à une époque ultérieure, car les résultats de la magie arthurienne dépassent largement les frontières du quinzième siècle.
Le monde de la fantaisie, du merveilleux, n'a pas eu la même importance dans d'autres périodes historiques.
Ann Swinfen, dans son livre Defence of Fantasy, qui étudie le roman fantastique contemporain, affirme ce qui suit :
L'un des aspects les plus difficiles de l'étude critique du roman fantastique résulte peut-être de l'attitude de la plupart des critiques contemporains, une attitude qui suggère que le mode d'écriture dit "réaliste" est en quelque sorte plus profond, plus engagé moralement, plus directement lié aux préoccupations humaines "réelles" qu'un mode d'écriture qui fait appel au merveilleux.
La raison pour laquelle je défends le fantastique est que c'est loin d'être le cas. Pour clarifier cette question, nous pouvons peut-être nous rappeler que ce que nous considérons aujourd'hui comme le monde "réel" - c'est-à-dire le monde de l'expérience empirique - a été considéré pendant de nombreux siècles comme le monde des "apparences". Pour nos ancêtres, plus enclins que nous par conviction et par apprentissage à chercher la réalité au-delà du monde matériel, ce qui était définitivement réel résidait dans les autres mondes spirituels. C'est sur la réalité de ces autres mondes que porte, dans une large mesure, la fantaisie".
En effet, au Moyen Âge, le surnaturel, la magie, n'était pas nécessairement une fantaisie irréelle, ni ne devait nécessairement s'opposer au concept de science, mais c'était souvent un moyen didactique de transmettre une connaissance profonde de la réalité, non accessible à un niveau empirique, et qui pouvait donc être présentée à travers des paradoxes et des contradictions avec les apparences du monde réel.
Fernando Galván : MAGIE ARTHURIENNE
- Carlos Alvar, El Rey Arturo y su mundo. Diccionario de mitología artúrica, Madrid, Alianza Editorial, 1991.
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lundi, 08 avril 2024
La fonction religieuse et astronomique des monuments mégalithiques
La fonction religieuse et astronomique des monuments mégalithiques
Mario Alinei & Francesco Benozzo
Source: https://melmothlibros02.blogspot.com/2024/04/la-funcion-religiosa-y-astronomica-de.html
La fonction astronomique des mégalithes, en particulier en relation avec leur fonction religieuse, est peut-être leur aspect le plus fascinant.
Niée avec obstination par les spécialistes jusqu'à récemment, elle est aujourd'hui universellement acceptée, après qu'Atkinson [1979] l'a clairement démontrée pour Stonehenge. Par la suite, cette fonction a été vérifiée pour les autres monuments.
Comme le dit Cunliffe (2001), même si "une partie de ce qui a été écrit est complètement fallacieux et une autre partie n'est pas prouvée, il reste un fait indiscutable que plusieurs de nos tombes mégalithiques les plus impressionnantes ont été conçues avec une immense habileté pour se rapporter précisément à d'importants événements solaires ou lunaires".
Il suffit de rappeler, parmi les exemples les plus connus, que la tombe irlandaise de Knowth (ci-dessus) a une orientation équinoxiale, associée au début de la saison des semailles et des récoltes.
Newgrange (ci-dessus), situé à peu de distance de Knowth, est l'un des cas les plus illustratifs. Il s'agit d'un sanctuaire mégalithique, daté entre 2475 et 2465 avant J.-C., qui consiste en une tombe à couloir.
La tombe a été construite de telle sorte que la ligne du couloir ou du passage d'accès à la chambre centrale était orientée vers le point de l'horizon où le soleil se lève le 21 décembre, le jour du solstice d'hiver le plus court de l'année (en termes religieux modernes, le jour de Noël).
La fonction à la fois scientifique et religieuse du monument est ici évidente. Le solstice, que le monument "capture" avec une précision absolue, marque à la fois la fin du principal cycle annuel de la nature, le cycle agricole, et l'aube d'un nouveau cycle : la nuit de la Saint-Sylvestre.
De plus, la lumière du soleil solsticial tombant sur le tombeau au centre du monument, il est clair que la résurrection du soleil devait impliquer celle des morts et assurer la même renaissance à tous les vivants, héritiers ou sujets de l'enseveli.
L'importance de ces observations pour l'interprétation des mégalithes est énorme, car elle permet de comprendre le lien entre la résurrection du soleil et la résurrection des morts. Plus généralement, la fonction du monument était à la fois scientifique, funéraire et magico-religieuse.
Les fouilles récentes ont également montré que les alignements, c'est-à-dire les rangées simples ou multiples de pierres placées les unes à côté des autres (très répandus en Bretagne) ont probablement une fonction mixte, rituelle et astronomique (cette dernière étant liée aux collines environnantes).
Les études menées au cours des vingt dernières années ont fourni des preuves statistiques impressionnantes que les bâtisseurs de mégalithes et les communautés mégalithiques observaient constamment le cycle de la lune.
Un exemple emblématique est Le Grand Menhir Brisé en Bretagne, aujourd'hui interprété comme le plus grand observatoire lunaire de l'Europe néolithique.
MARIO ALINEI - FRANCESCO BENOZZO : Origines des mégalithes européens
20:25 Publié dans archéologie, Traditions | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : archéologie, traditions, mégalithes, préhistoire | | del.icio.us | | Digg | Facebook