Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 28 février 2024

Les migrations, une question qui divise les régionalistes européens ?

w1280-p1x1-2014-09-17T142616Z_179520883_LR1EA9H143HMF_RTRMADP_3_SCOTLAND-INDEPENDENCE_0.jpg

cortege-2.jpg

Les migrations, une question qui divise les régionalistes européens ?

Peter Logghe

Source : Nieuwsbrief Knooppunt Delta, no 187, février 2024

L'exemple de la Corse

La situation des nationalistes corses peut s'avérer intéressante pour attirer notre attention sur le contexte de cet article. Le 2 mars 2022, Franck Elong Abé, un djihadiste de 36 ans, originaire du Cameroun africain et ancien détenu des Américains à Bagram et en Afghanistan, a été nommé responsable de l'entretien de la salle de sport de la prison de la ville française d'Arles. Yvan Colonna, auteur présumé de l'assassinat du préfet français de Corse, M. Erignac, et nationaliste corse connu, est également détenu et fréquente la salle de sport de la prison. Rapidement, les deux se battent. Le nationaliste corse Yvan Colonna mourra de ses blessures à l'hôpital de Marseille le 21 mars 2022 (source : Conflits, Revue de Géopolitique, Jan-Feb 2024, no 49).

Le mouvement nationaliste corse officiel accuse le gouvernement français d'échec politique, échec qui a causé la mort de Colonna. L'islamisme djihadiste du tueur n'est pas mentionné. Une partie de la jeunesse nationaliste n'accepte plus ce silence. Olivier Battini, étoile montante de la jeunesse nationaliste, déclare: "On a essayé de nous faire taire sur les origines islamiques du tueur de Colonna, en désignant uniquement l'État français comme responsable. J'ai résisté et j'en ai tiré les conséquences en démissionnant de Femu a Corsica (parti autonomiste)". Battini a fondé le mouvement Palatinu dans la foulée. Il sait de quoi il parle, puisqu'il a lui-même été interné un temps pour une prétendue tentative d'assassinat d'un fonctionnaire français en Corse. Le Palatinu, quant à lui, a fait parler de lui pour des manifestations et des émeutes en 2023 dans des quartiers gangrenés par le trafic de drogue. Là encore, le Palatinu dénonce l'immigration comme cause possible de la désintégration sociale due à la violence et au trafic de drogue.

870x489_emojis.jpg

Les régionalistes sont apparus pendant la période de décolonisation

La Corse est un bon exemple, car la génération nationaliste la plus âgée pense encore pleinement dans le cadre idéologique de l'émergence du nationalisme corse d'après-guerre. Les minorités ethniques européennes opprimées ont aligné leur lutte sur les soulèvements des autres continents contre le colonialisme européen, parce qu'il s'agissait d'une oppression similaire, disaient-ils. Peu à peu, cet angle d'attaque s'est estompé, notamment lorsque certains dirigeants nationalistes corses ont demandé à l'Italie d'accueillir les clandestins sauvés en mer. Dès cette époque, de jeunes nationalistes s'agitent et ne manquent pas d'en faire part à leurs dirigeants politiques.

Gilles_Simeoni_(cropped).jpgQuoi qu'il en soit, le régionalisme politique a fait du chemin. Dans le sillage de la décolonisation du tiers-monde, qui a pris son essor dans les années 1960, ces jeunes régionalistes ont glissé leur propre problématique, en douceur, dans l'idéologie de la décolonisation. Ainsi, le fils d'Edmond Simeoni, fondateur de l'ARC, Gilles Simeoni (photo), est un avocat actif à la Ligue des droits de l'homme. Les exemples sont légion.

Ces régionalistes, qui ont placé le signe de l'égalité entre la lutte pour l'indépendance algérienne et la lutte pour l'indépendance bretonne, ont été accueillis à bras ouverts par la gauche. Jusqu'au début des années 2000, cette stratégie a même semblé fonctionner dans une certaine mesure, et divers peuples d'États multinationaux comme la Grande-Bretagne, l'Espagne et la France se sont vu attribuer des compétences régionales (en matière d'éducation, de culture, de politique linguistique, etc.) Avec la création de la CECA, puis de l'UE, ils ont trouvé leur place idéologique auprès des Verts et de l'Alliance libre européenne.

Cependant, cette même UE, dont les régionalistes de gauche espéraient qu'elle remplacerait les États-nations, s'est avérée être aussi un bouchon sur la bouteille comme l'étaient et le sont les États-nations eux-mêmes. Le dernier pas des régionalistes et des autonomistes, le pas vers l'indépendance de leur région, l'Union européenne n'a pas voulu le faire (comme l'a montré la question catalane). La question de l'élargissement à l'Est (Ukraine, Géorgie, Balkans) semble bien plus importante que l'accueil de nouveaux Etats membres comme la Catalogne, l'Ecosse, la Flandre... à la table des négociations.

En outre, le mouvement de décolonisation, précédé en cela par les universités anglo-saxonnes, s'est déplacé de plus en plus vers la gauche sur le plan idéologique. A Strasbourg et à Rennes, le discours racial et le débat sur la couleur de peau ont progressivement pris le pas sur la question de la protection du breton et de l'alsacien. Le cadre de la décolonisation a pris le pas sur le culturel-linguistique.

GettyImages-455428378.jpg

maxrehysdefault.jpg

Le nationalisme écossais se tire une balle dans le pied, paralysant les efforts d'indépendance

Beaucoup de régionalistes européens accrochent leur charrette à un agenda socialement progressiste, avec des notions d'"intersectionnalité des luttes". À Édimbourg, le Premier ministre écossais, Humza Yousef, a célébré sa nomination au poste de Premier ministre sur Twitter par une prière islamique dans son bureau, en compagnie de sa famille. Il a fait du projet de loi sur la réforme de la reconnaissance du genre et de la reconnaissance des personnes transgenres son cheval de bataille, mais - comme tout le monde le pressentait - il a en même temps provoqué une scission au sein de son propre parti, le Scottish National Party, avec ce projet de loi. Ash Regan, ministre des collectivités, a démissionné et une pétition de protestation contre cette "révolution du genre", lancée par Kate Forbes et d'autres, a depuis été signée par des milliers de membres du parti. Plusieurs organisations féminines écossaises ont déjà fait part de leurs inquiétudes quant à l'étendue de la reconnaissance des personnes transgenres et craignent que cette reconnaissance ne se fasse au détriment des femmes écossaises. Le détournement du débat public en Écosse vers des questions sociétales ultra-minoritaires a entraîné une diminution du soutien à l'indépendance de l'Écosse. Un second référendum sur l'indépendance semble plus éloigné que jamais.

Des élections sont prévues en Écosse en 2025 et les observateurs estiment que le parti travailliste écossais pourrait revenir au pouvoir. Le parti travailliste écossais a déjà reçu des félicitations encourageantes de la part du parti parent du Royaume-Uni.

Il est temps que les régionalistes, comme en Corse, osent dire adieu à des idées qui ne font qu'alourdir, miner et démentir leur cause régionaliste. Et qu'ils osent affronter la réalité de 2024.

Peter Logghe

Conflits, Revue de Géopolitique, janv-fév 2024, n° 49, p. 21 et s.

contact@revueconflits.com

Adresse :  32, rue du Faubourg Poissonnière, F-75010 Paris

vendredi, 12 janvier 2024

Parution du numéro 68 de War Raok

thuwraokbabnail.jpg

Parution du numéro 68 de War Raok

ÉDITORIAL 

Autonomie - Un gros mot, un sacrilège… un blasphème pour nos républicains français!

La France et son monarque-président viennent de découvrir, sur une vieille étagère poussiéreuse d’une de leurs nombreuses bibliothèques, un livre ancien, rangé précieusement afin de n’être point lu, à la couverture quelque peu jaunie et au titre provocateur, voire sulfureux : Autonomie, sous-titré « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » !

Précipitation pour une saine lecture ? Eh bien non, notre monarque-président et sa cour se sont arrêtés à la première page considérant que les tous premiers chapitres risquaient de mettre en péril leur empire colonial, que leur république « Une et indivisible »… et totalitaire  allait disparaître et ressembler alors aux horribles démocraties européennes voisines qui accordent une large autonomie à leurs peuples !

Les fondements de la république française allaient être sapés ! Est-il nécessaire de rappeler que la France a construit dans sa constitution un carcan empêchant toute évolution démocratique, toute réforme constitutionnelle afin de donner l’autonomie politique aux peuples qu’elle emprisonne ? La France, sa belle république, si on les compare aux États voisins européens qui les entourent, restent une anomalie, une exception… Pas touche au dogme ! Une fidélité inconditionnelle à leur révolution, révolution française qui ne s’est pas déroulée sous une pluie de roses mais dans un bain de sang, une monstruosité et pour nous Bretons la fin d’une existence nationale : plus de nation bretonne, plus de peuple breton… tous Français ! Je ne m’abaisserai pas à décrire ce qui s’est réellement passé sous cette Terreur révolutionnaire en Bretagne, mais ce qu’on en connaît pourrait faire passer les monstres de Daesh ou du Hamas pour de gentils apprentis…

Revenons et examinons maintenant la proposition d’autonomie du président français au peuple corse. Loin de moi l’idée de m’ingérer dans les affaires internes de mes amis nationalistes corses, je pressens tout de même, après les déclarations de Gilles Simeoni et de Guy Talamoni à la suite du discours d’Emmanuel Macron, une réelle consternation. Même s’il s’agit d’une véritable coquille vide, soyons honnêtes et reconnaissons un point positif néanmoins : le mot autonomie a été prononcé, l’idée également et en Bretagne, par exemple, elle fait son chemin puisque selon un sondage 70 % des Bretons y sont favorables. Le vœu du président du Conseil régional de Bretagne, son rapport de 29 pages relativement insipide qui ne mentionne même pas l’existence d’un peuple breton, justifiant et légitimant par là même cette revendication d’autonomie, va cependant éveiller et susciter un réel intérêt chez les Bretonnes et les Bretons.

Pour nous, nationalistes bretons, l’autonomie a un sens bien défini, une étape qui doit nous permettre de retrouver la voie de la prospérité et du bien-être. Cette toute première étape devra permettre au peuple breton de se réapproprier sa conscience historique, de contrer et réfuter les mystifications inculquées pour anesthésier sa volonté d’émancipation… de recouvrer une partie de ses libertés arbitrairement confisquées et de connaître enfin un début de vie nationale propre. Un projet audacieux, sage, un projet moderne et contemporain prenant en considération l’évolution géopolitique de l’Europe et des peuples qui la composent.

L’autonomie, c’est aujourd’hui la Catalogne, l’Écosse, le Pays de Galles, le Pays Basque, le Québec… Demain ce sera la Bretagne avec une démarche de renouveau pour rendre l’espoir aux Bretons et permettre à la Bretagne de prendre un nouvel essor européen. 

Ce statut d’autonomie devra progressivement évoluer vers une co-souveraineté, c’est-à-dire une troisième voie entre simple autonomie de gestion (qui peut être remise en question à tout instant par l’État central) et une totale indépendance, négociée avec l’État français, une voie pacifique, raisonnée et réfléchie vers l’autodétermination et permettre au peuple breton de se retrouver. La Bretagne peut, avec un tel statut, devenir une grande région européenne entreprenante et riche.

Dès à présent, le peuple breton doit de nouveau entrer dans l’histoire avec la possibilité d’agir pour lui-même et être l’acteur de son avenir.

Padrig MONTAUZIER

0146c47582ba08e84ad90f40c39d8da1.jpg

Sommaire War Raok n° 68

Buhezegezh vreizh page 2

Editorial page 3

Buan ha Buan page 4

Environnement

Environnement / Écologie page 12

Écologie

Réchauffement climatique, éco-anxiété et restrictions page 14

db83e2c440c34d4408060ee3c4878aa4.jpg

Politique

Propositions pour un renouveau autonomiste page 16

Tribune libre

En sortir, c’est s’en sortir ! Page 18

Hent an Dazont

Votre cahier de 4 pages en breton page 19

Tribune libre

La consommation de viande attaquée par les élites mondiales page 23

Réflexions

Le fanatisme idéologique tue les luttes de libération nationale page 24

cfc78e8b-avatar-novlangue.jpg

Société

Novlangue… un dangereux flirt avec des tentations totalitaires page 26

Histoire de l’Emsav

Le marquis de l’Estourbeillon et l’URB page 29

Bretagne sacrée

Bannières de processions et de pardons,  page 32

MjAyMTA3ZTk1ODllMTFkZmVlMzQyMGU3MzE3MTQ5M2E3M2I4Njg.jpg

Nature

Libellules et demoiselles en Bretagne page 35

Lip-e-bav

Le ragoût dans les “mottes” d’Ouessant page 37

gwenn-ha-du.jpg

Keleier ar Vro

Les cent ans du Gwenn ha Du page 38

Bretagne sacrée

Le phare de l’île Vierge page 39

 

dimanche, 10 décembre 2023

L'Espagne atlantique face au nationalisme des riches

95ec52fc12cabda284e5d6f652607bce13603eeeabdbdb1285fc2087b1017a16.jpg

L'Espagne atlantique face au nationalisme des riches

Carlos X. Blanco

En cette période de crise aiguë en Espagne, après des siècles de décadence, il est temps de regarder en arrière et de prendre un nouvel élan. C'est l'impulsion que je demande et que j'envisage pour l'Espagne atlantique.

L'Espagne était un empire. En tant que nation politique "bourgeoise", elle ne s'est pas réalisée. Le modèle jacobin français lui a toujours été étranger. D'une manière ou d'une autre, les esprits les plus vifs du pays l'ont senti. Quand on parle de problème territorial en Espagne, il ne s'agit pas d'une lutte entre "nations opprimées" au sein de l'Etat espagnol. Quand les indépendantistes basques ou catalans parlent en ces termes, ils ne font que se ridiculiser. Ils parlent de "leur" problème comme si ce problème était tout à fait similaire à d'autres problèmes beaucoup plus sérieux et authentiques: le problème palestinien, le problème sahraoui, ou même le problème des Écossais et des Bretons.

Les nationalistes basques et catalans parlent souvent, et le font avec sérieux et sans honte, de "forces d'occupation" ou de "prison des peuples", alors que les revendications séparatistes de l'Espagne ne visent qu'à préserver des privilèges.

Dans la lutte des peuples pour leur souveraineté, légitime sous d'autres latitudes, la décision morale qui nous conduit à décider qui a raison, qui est juste, a généralement trait à l'oppression. Il y a une victime et un bourreau : un "centre" riche et exploiteur sépare, exploite, opprime et réduit les possibilités d'une "périphérie" pauvre et objectivement colonisée. C'est le cas de l'exploitation du centre "occidental" sur le Sud mondial (Amérique latine, Afrique, grandes parties de l'Asie...). En Europe même, la politique féroce du "centre", entendu comme État-nation, à savoir la France et l'Angleterre en particulier, a sali à jamais la prétendue mission "civilisatrice" de ces États, qui ne sont pas exactement couverts de gloire lorsqu'il s'agit de traiter avec les nations voisines ou les nations internes plus faibles. Ce sont des États centralisateurs qui ont historiquement agi sur le territoire européen lui-même, et dans les pays adjacents à leur propre métropole, avec une cruauté similaire à celle dont ils ont eux-mêmes fait preuve à l'égard des Africains et des indigènes d'autres terres d'outre-mer.

52118129770_779cae83f3_b.jpg

black_and_tans_sinn_fein_war_of_independence_nov_1920___gett.jpg

10030D.JPG

La souffrance des Irlandais, des Bretons, des Provençaux, des Corses, etc. résultant de l'État centraliste jacobin fait partie de l'Europe et de son histoire. Une histoire sinistre, qui permet de parler d'un colonialisme intra-européen. La conscience de ces abus nous rappellera toujours que l'Europe doit être une Europe des peuples, pas des rois ou des républiques artificielles. Une Europe des peuples (le peuple, la nation, l'ethnos) et non des bureaucraties et des oligarchies. L'idée de l'oppression centre-périphérie (Samir Amin) s'applique parfaitement ici, tout comme celle de la multipolarité (Douguine), c'est-à-dire des peuples libres solidaires autour de véritables blocs de pouvoir qui servent de rempart contre les puissances intrusives et dominatrices.

Le nationalisme basque et catalan tel qu'il s'articule actuellement n'a rien à voir avec les autres luttes des "nations sans Etat". Il s'agit, dans le cas basque et catalan, d'une "rébellion des riches", qui s'articule sous la forme d'un vulgaire chantage à l'égard de l'État espagnol ; il s'agit d'un nationalisme suprématiste qui semble s'écarter du scénario habituel de l'Europe occidentale. En ce sens, ils sont à l'opposé des nationalismes asturien et galicien, qui se fondent sur l'existence d'entités politiques ayant réellement existé depuis le Moyen Âge, et sur une marginalisation injuste dans le présent.

Les périphéries basques et catalanes ne sont pas des périphéries comme l'Irlande pauvre, la Bretagne marginalisée, etc. Les périphéries qui réclament l'indépendance en recourant au chantage parlementaire et à la violence de rue sont, au contraire, les régions traditionnellement les plus riches d'Espagne.  C'est précisément au moment où la délocalisation des entreprises capitalistes basées dans les provinces basques et en Catalogne met en péril le statut des oligarchies périphériques et le système clientéliste qui a favorisé ces régions que l'État est remis en question, profitant de la médiocrité de la maison politique de Madrid et du capharnaüm constitutionnel, de plus en plus détesté par tous, appelé le "régime de 78".

asturien-map-lng.gif

bio-santander-header.jpg

La véritable périphérie oubliée, appauvrie par la dynamique centre-périphérie décrite par S. Amin, se trouve à l'extrême nord-ouest de l'Espagne. Cet extrême est précisément celui qui correspond à l'Espagne atlantique, l'Espagne dite - dans le langage populaire - "celtique". Galice, Asturies et "Cantabrie" (c'est-à-dire l'ancienne province de Santander, à l'origine asturienne, qui comprend en réalité, à proprement parler, les Asturies de Santillana et une région traditionnellement et imprécisément appelée "La Montaña", ainsi que le pays de León et d'autres provinces adjacentes qui constituaient le Royaume de León au Moyen Âge, avec la Galice et les Asturies).

L'Espagne atlantique est celle qui comprend des couches de population aux racines indo-européennes anciennes et une série de caractéristiques ethniques, folkloriques, sociétales, juridiques, linguistiques, etc. qui ne correspondent en rien au modèle castillan ou méditerranéen. C'est l'ancien domaine linguistique de la langue galicienne (dont l'un des fils est le portugais et l'un des frères est la langue éonavienne), ainsi que de l'asturléonais (improprement appelé "bable", conservé dans les deux Asturies qui, historiquement, se souviennent encore de son nom, les Asturies d'Oviedo - la "Principauté" - et celles de Santillana. Ces pays perdent de la population, sont coincés dans les politiques européennes perverses des "Eurorégions" et tombent de plus en plus dans l'oubli. C'est peut-être le moment où, puisque le peuple espagnol dans son ensemble ne sait pas défendre ce qui lui appartient (unité nationale, souveraineté), les peuples ibéro-atlantiques apprendront à s'unir, quoi qu'il reste de cette ruine qu'est l'Espagne. Les peuples atlantiques d'Espagne et du Portugal se réunissent à nouveau, comme ils l'ont fait dans le passé, à l'époque de l'Ancien Empire, lorsque l'européanité et le christianisme, partis de Cangas de Onís au VIIIe siècle, ont atteint la frontière du fleuve Duero, et de là, plus au sud, jusqu'au Tage. Le basculement méditerranéen de l'histoire de l'Espagne a pu s'avérer fatal.

La déloyauté d'une bonne partie des Catalans témoigne peut-être d'une origine "phénicienne" et africanisée qui sera toujours fatale à une Espagne unie. De même, le suprémacisme des Basques nationalistes, et de tous ceux qui n'abjurent pas ou ne maudissent pas publiquement les méthodes de l'ETA "tirées à l'arrière de la tête", rappelle excessivement la mentalité sioniste. Elle nous est étrangère et nous la répudions. Les suprémacistes basques sont nos nazis-sionistes ibériques.

S'il faut sauver des essences, c'est vers cet Atlantique ibérique, oublié et dépeuplé, qu'il faut se tourner.

samedi, 16 septembre 2023

Parution du numéro 67 de War Raok

1330695-un-homme-tient-un-drapeau-breton-a-nantes-en-loire-atlantique.jpg

Parution du numéro 67 de War Raok

EDITORIAL 

Union dans l’action et dans les esprits   

La situation actuelle de la France nous autorise à esquisser quelques sourires moqueurs, et nous ne sommes pas, nous Bretons, les seuls à regarder notre plus proche voisin sombrer lentement, s’affaiblir et devenir de plus en plus effacé face aux nouveaux grands de ce monde ! Quand on est faible et que l’on veut se faire passer pour puissant on prend un air vaniteux, on se montre même prétentieux, on mène des opérations de prestige qui prennent malheureusement des proportions tout à fait pathologiques. L’État français en est coutumier depuis plusieurs années et, dépité, il souffre d’un besoin névrotique de grandeur. Conscient de l’artifice de son existence, il se croit dans la nécessité de provoquer un sentiment de supériorité autour de ses réalisations qu’il qualifie de grandioses… et, comme d’habitude, il sombre dans un ridicule assez douloureux !

Oui, le bateau France prend l’eau ! Nous, Bretons, pourrions nous réjouir de ce déclin, de cette déliquescence, nous ravir de voir le pays des « Droits de l’Homme », pays qui nie l’existence de notre peuple, de notre nation, ce pays qui nous prive de nos libertés et de nos droits nationaux, qui embastille les peuples basque, corse, catalan, flamand, alsacien, occitan… se perdre et s’abîmer. Eh bien non. Laissons notre voisin gérer son naufrage et les problèmes qu’il s’est créés, pensons à notre Bretagne, épargnons à notre peuple les cruels événements qui font entrevoir l’abîme et arrêtons une gangrène qui se profile inéluctablement.

Faut-il quitter le bateau ? La réponse est évidente ! La société française est malade, touchée et faussée dans ses assises… Alors sauvons la Bretagne. Mais pour cela, un minimum d’unité, d’union politique devient une question de vie ou de mort. Les Bretons, dans leur grande majorité, s’en rendent compte par moments, pour retomber tout de suite après dans leur individualisme, faute d’une certitude qui devrait les engager et déterminer leur conduite. Pourquoi leur « mauvaise conscience » n’est-elle pas devenue conscience et conscience opérante ? Pourquoi les appels à l’union sont-ils restés sans prise sur les partis bretons ?  Pourquoi l’impératif de l’union des forces politiques bretonnes n’a-t-il trouvé, sur peu de plan, les instruments aptes à faire valoir son exigence et à entraîner la Bretagne sur la voie de l’émancipation ?

Les raisons sont multiples. Tout d’abord, l’union n’a pas trouvé son instrument « intellectuel ». Union ne signifie pas juxtaposition, ni alignement comme le souhaiteraient certains, mais synthèse, analyse permettant de découvrir, pour chaque élément de la réalité bretonne ainsi dénombrée, le coefficient permettant de le situer suivant son poids spécifique et de reconstituer cette réalité dans ses articulations concrètes. Attention toutefois à ne pas s’épargner l’effort d’identifier le meilleur point d’application en vue des buts à atteindre.

L’union n’a pas trouvé non plus son instrument « moral ». Dans cette carence, l’intelligence a sa part de responsabilité. On se satisfait bien souvent d’une fausse analyse et l’on finit par se contenter de programme approximatif aux dépens non seulement de l’efficacité mais aussi du caractère. On accepte toute abdication d’une véritable pensée nationaliste devant les raccourcis dialectiques de l’action… La cohérence entre la pensée et l’action se trouve ainsi compromise ce qui désarme les consciences et les livre au désarroi. Il faut, une fois pour toute, mettre à l’écart, se débarrasser et dénoncer les sectaires, idéologues, imposteurs et autres arrivistes qui s’opposent constamment à toute initiative d’union ainsi que leurs travers pernicieux. Ces gens ne travaillent malheureusement pas pour la Bretagne !

Enfin, l’union n’a pas trouvé son instrument « politique », c’est-à-dire avoir une vue d’ensemble de tous les éléments de la vie nationale bretonne permettant de les articuler suivant leur importance et leur conformité aux intérêts du peuple breton.

Pour conclure, une véritable union nationale bretonne se doit de faire la part du présent et de l’avenir, assurer, à travers les nécessités, la sauvegarde des intérêts permanents de la Bretagne, tels qu’ils sont déterminés par son histoire, sa géographie et par les valeurs mûries dans sa civilisation.

Padrig MONTAUZIER.

War Raok n°67.jpg

SOMMAIRE WAR RAOK N° 67

Spécial été : 52 pages

Éditorial, page 3

Buan ha Buan, page 4

Géopolitique : Conflit en Serbie et au Kosovo ?, Page 13

Notre Europe :L’Europe, la mort ou la capitulation, page 15

Tribune libre : L’activisme écologiste et utopique..., page 17

Billet d’humeur : La “substitution ethnique" dans la société fluide, page 19

Société : Un enseignement enraciné, page 20

Religion : Christianisme orthodoxe et chrétienté celtique, page 22

Hent an Dazont

Votre cahier de 4 pages en breton, page 24

Histoire : Géopolitique de la Bretagne, page 29

Symbole sacré : La roue celtique, page 33

celtes.jpg

Tradition : La tradition indo-européenne chez les Celtes, page 35

Plantes et santé : Ti al louzoù … aujourd’hui, page 37

Terre de Celtie : Cornouailles : une identité celtique qui perdure, page 39

Civilisation celtique : Littératures écrites et orales des civilisations celtiques, page 44

Nature : Les sauterelles, Grillons, criquets, courtilières, page 47

Lip-e-bav : L’artichaut breton farci, page 49

Keleier ar Vro : La Bretagne défigurée, page 50

Bretagne sacrée : Les rochers sculptés de Rothéneuf, page 51

istockphoto-118847011-612x612.jpg

vendredi, 12 mai 2023

Aet eo Dominique Simonpierre Delorme d’an anaon

lesbelleshistoires.info_DSD2010.jpg

Aet eo Dominique Simonpierre Delorme d’an anaon

 

Voici un texte de Philippe Jouët en hommage à son ami Simonpierre Delorme décédé le 7 mai 2023

E koun DSD

Kile ker. Comme tu le sais, l’éloge funèbre est un genre passé de mode, et qui se ramène bien souvent à un tri entre ce qui peut être dit, et ce qui est moins recommandé, ou est censé ne pas l’être. Or, cinquante ans de fréquentation forment comme une ambiance où les menus événements ont autant de résonance que les grands. Ce lissage où l’on ne peut choisir, cela s’appelle l’amitié. Tu comprendras aussi que j’aurais du mal à évoquer ces moments de ma vie familiale auxquels tu as été associé, présence dont je te remercie. Tu m’excuseras de n’en pas parler.

Je retrouve ces lignes, que tu avais écrites pour la mort du militant breton Jean Kergren, et je les recopie délibérément : « Il y a dans la préface de la pièce Ar Baganiz « Les Païens », de l’écrivain brestois Tanguy Malmanche, une phrase qui dit : « Il y a en tout Breton du prêtre, du maître d’école et du gendarme ; du prêtre, parce qu’il croit volontiers à l’incompréhensible, du maître d’école, parce qu’il aime à faire partager aux autres sa croyance, et du gendarme, parce qu’il a dans sa façon de l’exprimer quelque chose de péremptoire. » Voilà qui aurait pu assez bien s’appliquer à ta personne, à condition de prendre ces figures pour des métaphores d’autrefois. Ta religion, ce fut d’être fidèle à la pensée quand elle est droite, à la parole quand on la croit juste, à l’action quand on la juge bonne, sans renier la part qui nous dépasse dans le mystère de la vie. Ton école, ce furent, entre autres activités, des cours de breton dispensés souvent à pas d’heure, et sans compter. Quant au péremptoire, il était de facture FLB, c’est tout dire, et la rigueur se faisait sentir, disons à point nommé, et avec passion, comme lorsque certains contradicteurs étalaient leurs préjugés fransquillons sur les sujets qui nous rassemblent : nos langues ethniques, l’Alsace-Moselle, que tu affectionnais, l’idéologie française que nous avons ensemble décortiquée au fil des discussions, et l’Europe comme grand-peuple et unité de civilisation, contre les États-nations, machines à broyer les identités. Tu étais capable de te fâcher tout rouge contre le mur de l’imbécillité hexagonale, de quelque côté qu’en soient les mauvais ouvriers. Je dis bien : de quelque côté.

DSD_Diksmuide.jpeg

Simonpierre Delorme était animé par l'idée d'une Europe aux cent drapeaux. Le voici, en ses plus jeunes années, à Dixmude lors du festival annuel du mouvement flamand, avec le drapeau Gwenn ha Du.

L’Europe ? Il n’était pas facile, sans doute, de se rattacher à une souche culturelle évidente dans ces années d’après-guerre qui voyaient partout se propager le grand reniement des patrimoines, la honte de soi inculquée par les maîtres de l’heure, le bouleversement des mœurs et des coutumes, qui s’est accru comme l’on sait par la suite. Double choix risqué : une patrie ethno-culturelle, conception établie par nos anciens, et une grande aire partagée : l’Europe aux cent drapeaux. Et l’idée de passer de la théorie à la pratique, culturelle, politique, activiste.

Cela se fit, dans ton cas, avec le secours providentiel de tes séjours brestois – Mil meuriad houl a goumoul du / a blav hevelep a bep tu… – , et par ta rencontre avec Jacqueline Duval, de Brasparts, ton épouse. Je me souviens de son attention constante, de l’expression réprobatrice qu’elle prenait lorque tu disais une bêtise, a c’hoarveze a wechoù ganez, sage rappel à la mesure. Il y a quelques années, l’occasion s’étant présentée d’une façon plaisante, cela me vint sur le coup : « J’entends la voix de Jacqueline qui te dit : « Oh, mais enfin… ». À cette évocation spontanée, nous fûmes bien d’accord que les morts sont là et vivent d’une certaine façon à nos côtés.

lesbelleshistoires.info_DSD2005_PointEphemere.jpg

Les "belles histoires de l'Oncle Simonpierre" qui communique sa passion des abeilles et de l'apiculture aux enfants des écoles.

Je n’évoquerai pas les nombreux amis, les vrais, les moins vrais, qui gravitaient autour d’activités bretonnes qui t’étaient tombées sur les épaules et que tu avais assumées. Ce fut l’occasion de nombreuses rencontres, certaines fructueuses. Par exemple nous n’oublierons pas que ce sont nos cours de breton qui ont aidé dans sa quête le lexicographe et éditeur Martial Ménard, et d’autres, ce qui confirme la sentence : « La raison dit non, la volonté dit oui. » Quand aux amitiés proprement françaises qui purent se tisser ici et là, elles n’effacèrent jamais les principes fondamentaux. « Nous refusons tout succursalisme », fut une de tes formules. Quand je te l’ai rappelée il y a peu, tu ne te souvenais pas qu’elle était de toi (« Moi, j’ai dit ça ? »), mais tu la trouvas très bien.

Contacts avec des amis flamands chaleureux et attentionnés, avec des Basques et des Corses ainsi qu’avec des Ukrainiens, qui dans leur exil combattaient alors le système soviétique, ces années soixante-dix et quatre-vingts furent une transition, entre les sociétés encore stables du début du XXe siècle et la grande confusion actuelle. Peu importe. Ce qui reste vrai, ce sont les paroles d’un ancien, que « la plus haute politique est de sauver et de servir la nature de son peuple ».

De cela, il est résulté aussi une famille bretonnante que nous avons vue croître, dont les rameaux raniment ou restaurent cet esprit du pays, Spered ar Vro, qui devrait animer tout Européen en chaque cercle d’appartenance, où qu’il se trouve. Comme tu te plaisais à le dire : « L’innovation d’aujourd’hui, c’est la tradition de demain ».

Kenavo, keneil, ra vo digor dit porzh inizi Kornôg, lec’h ma vod an Eneoù e Gwerelaouenn hon Gwenved.

P. J.

Une messe sera célébrée en l’église de Saint-Léger en Yvelines le Mercredi 17 Mai à 10 heures 30. L’inhumation aura lieu le Vendredi 19 Mai à 15 heures 30 au cimetière de Brasparts.

MjAyMjA3MDM3YzE3ZjY3Yjk3Y2ZkYmRlOTM2NTVmNmU2ZjZkOTY.jpg

pa00089843-eglise-notre-dame-saint-tugen.jpg

49107045103_63ee2c1f2f_b.jpg

Brasparts, la commune bretonne où Simonpierre Delorme trouvera sa dernière demeure. Elle est dominée par un "Mont Saint-Michel" particulièrement impressionnant.

mardi, 09 mai 2023

Helgoland - une île allemande aux temps forts et tragiques

imago72059761h.jpg

Helgoland - une île allemande aux temps forts et tragiques

Source: https://www.unzensuriert.at/177596-helgoland-eine-deutsche-insel-mit-grossen-und-tragischen-zeiten/?utm_source=Unzensuriert-Infobrief&utm_medium=E-Mail&utm_campaign=Infobrief&pk_campaign=Unzensuriert-Infobrief

Bien que l'île ne mesure qu'un peu plus de quatre kilomètres carrés, une grande fascination émane de Helgoland.

Poésie sur la mélodie de Joseph Haydn

Deux circonstances ont fait de cette minuscule île un mythe : Hoffmann von Fallersleben y a écrit en 1841 le "Chant des Allemands". Mis en musique par le quatuor impérial de Basse-Autriche Joseph Haydn, il établit depuis lors la relation émotionnelle de tous les Allemands "de la Meuse à la Memel, de l'Adige au Belt" et au-delà.

Une importance stratégique

L'histoire de l'île commence il y a 250 millions d'années, lorsque le fond de la mer a commencé à se soulever dans la région, faisant émerger des eaux une vaste plaine plate avec une petite montagne de grès bigarré.

Comme tout le nord de la Frise septentrionale, c'est-à-dire la partie nord-ouest de l'actuel Schleswig-Holstein, Helgoland était sous la couronne danoise à partir du 12ème siècle. Dans leur lutte contre Napoléon, les Britanniques ont compris l'importance stratégique de l'île et l'ont prise. Avec le "Traité sur les colonies et Helgoland", ils cédèrent l'île au Second Empire allemand en 1890.

L'île résiste aux explosions

Mais les Britanniques sont revenus : avec 7.000 bombes sur les 1,9 kilomètres carrés de terre habitable. La Grande-Bretagne occupa Helgoland pendant la Seconde Guerre mondiale et conçut le plan de détruire le "porte-avions insubmersible" en mer du Nord.

En 1947, 6.700 tonnes de munitions de la Seconde Guerre mondiale ont explosé lors de l'opération "Big Bang". Et les bombardements se sont poursuivis sans relâche par la suite. Mais l'île a résisté à la volonté de destruction des Britanniques - et est devenue un mythe.

stichtagaprilzwoelf140~_v-gseapremiumxl.jpg

Retour en Allemagne

Comme un château fort, l'île a résisté à la plus puissante explosion non nucléaire de l'histoire de l'humanité. Elle a beaucoup souffert, 70.000 mètres carrés ont été engloutis par la mer. Mais elle reste debout. Comme si elle avait dû défendre un bien précieux : en tant que berceau du chant qui unit tous les Allemands, c'est un trésor idéel que nous associons à Helgoland.

Lui aussi a beaucoup souffert, mais il est vivant. Et la petite île, qui n'est revenue à l'administration allemande qu'en 1952 grâce à l'audace admirable de quelques Allemands, a défendu ce bien comme un château fort, donnant ainsi à la postérité l'ordre de le préserver.

Nouvelle publication des Eckartschriften

C'est à cette belle métaphore que Fred Duswald rend hommage dans le dernier Eckartschrift. Avec rapidité et humour, il nous emmène sur l'île d'Helgoland. Amoureux de son propre pays, il peint une fresque colorée qui invite à la visite et à la détente.

Il parle du pays et de ses habitants, de l'histoire et des histoires, des hauts et des bas, sur la base d'un travail minutieux sur les sources - et toujours avec une confiance bienfaisante. Vous pouvez commander le livre ici: https://marktplatz.oelm.at/produkt/eckartschrift-252-helgoland-wiege-des-liedes-der-deutschen/

Eckartschrift-Helgoland.jpg

vendredi, 05 mai 2023

Balade folciste dans le Cantal

1300166-Cantal.HD.jpg

Balade folciste dans le Cantal

par Georges FELTIN-TRACOL

Plus étendue que la Slovénie, la région Auvergne – Rhône-Alpes (69.711 km²) comprend la Métropole de Lyon et douze départements qui couvrent un territoire des Alpes à une large part du Massif Central. Situé au Sud-Ouest de cette entité administrative, mais au sein d’un vieil ensemble montagneux complexe, le Cantal est son département le moins peuplé (environ 150.000 hab.).

Sans-titre.png

cantal.jpg

À l’écart des principaux axes de communication routière, ce territoire mériterait d’être mieux connu des Français et des Européens. Les flancs des Monts du Cantal, une imposante structure volcanique éteinte d’Auvergne d’une superficie de 2500 km², constituent des châteaux d’eau naturels. Au pied de ses principaux sommets – le Plomb du Cantal (1855 m d’altitude), le Puy Mary (1783 m) ou le Puy Griou (1690 m) – se présentent de vastes entailles géologiques creusées par les glaciers qu’occupent des vallées (Cère, Jordanne, Alagnon, Doire, etc.) d’accès difficile entrecoupées de plateaux, d’origine basaltique, plus ou moins élevés appelés « planèzes ».

xaintrie.jpg

La disposition centrale du volcan géant endormi organise au fil des ères géologiques divers bassins marneux et d’autres plateaux, cristallins ceux-là. Dans sa périphérie, on trouve au Nord-Ouest le commencement du plateau limousin des Millevaches, au Sud-Ouest la mystérieuse et attachante Xaintrie, au Nord-Est, le très âpre plateau basaltique du Cézallier aux paysages steppiques (que partage aussi le département du Puy-de-Dôme) et au Sud-Est, les débuts de l’Aubrac riche en monuments mégalithiques, et l’horst (soulèvement d’une partie de la croûte terrestre) faillé de la Margeride qui relève aussi des départements de la Haute-Loire et de la Lozère. Très faiblement peuplé pour cause de conditions de vie rudes, en particulier en hiver long de six à sept mois, la Margeride recèle une forte radio-activité naturelle, car riche en uranium.

4510582158_90c1e21f15_b.jpg

Tome et cantalès

Le département éponyme englobe ce massif volcanique. De 5741 km², il garde son caractère paysan. Distant à vol d’oiseau de 550 km de Paris et à 631 m d’altitude, son chef-lieu, Aurillac (25.700 hab.), bénéficie de la proximité d’une aire traditionnelle d’élevage et de la culture vitale de la châtaigne, la bien nommée Châtaigneraie. On pratique sur les pentes une polyculture céréalière vivrière quand les champs ne servent pas à la belle saison à l’estive du bétail.

Dans le patois local d’origine occitane, le cantalès désigne le responsable des vachers qui travaillaient en altitude. La nuit venue, les vachers se réfugiaient dans des burons (maisons austères en pierre couvertes d’ardoise ou de lauzes). Souvent détruits ou disparus, certains d’entre eux sont toutefois restaurés et deviennent des auberges ou des chambres d’hôtes.

fourme-de-cantal-aop-cantal.com.jpg

Avec le lait de vache, les éleveurs fabriquent la fourme du Cantal, un fromage à pâte broyée et pressée. D’une hauteur cylindrique de 40 cm et d’un diamètre de 30 à 50 cm, ce produit rustique s’obtient par emprésurage. Le lait caillé est découpé, puis pressé, d’où on extrait le sérum qu’on émiette ensuite dans un moulin spécial. Pétri et salé, le cylindre moulé – la tome – se met dans une toile. Une fois démoulée, la tome passe à la cave où elle s’affine et est périodiquement frottée avant toute consommation.

Si dans l’histoire, le Cantal appartient à la Haute-Auvergne, les différences ne sont pas que géo-morphologiques avec sa voisine basse-auvergnate. Tandis que la Basse-Auvergne autour de Clermont-Ferrand pratique le droit coutumier d’origine germanique, la Haute-Auvergne suit le droit écrit d’origine romaine. Rome a d’ailleurs laissé des marques prédominantes. Avec Mauriac (3500 hab.), Saint-Flour (6500 hab.) est la seconde sous-préfecture du Cantal. Or Aurillac a longtemps dépendu du diocèse… sanflorain.

st-flour-1600x900.jpg

saint-flour-shutterstock-1819446473-62865a9a09a87241468093.jpg

Connu dès l’époque romaine en tant que Mons Indiciacum parce que la cité construite au sommet d’un promontoire rocher massif, permettait aux voyageurs de se repérer de loin, la ville doit son nom à Santi Flori, un ermite apôtre évangélisateur de l’Auvergne. Ce phare terrestre a été une place forte stratégique qui surveille la vallée du L’Ander. Érigée au cours du XVe siècle en pierre volcanique, sa cathédrale témoigne de l’attachement de sa population aux croyances populaires catholiques affirmées. Une anecdote historique veut que pendant les Guerres de Religion (1560 – 1598), un certain Brisson, consul du bourg aurait repoussé toute une troupe huguenote à grands coups de  hache ! Les archives signalent la présence dans la nef de la cathédrale aux XVIe et XVIIe siècles d’une Vierge noire. Les madones noires aux origines toujours énigmatiques sont nombreuses dans le Massif Central (Mauriac, Borée...).

Enracinement spirituel

Le fait religieux modèle le territoire. La ville d’Aurillac provient d’un site monastique près de la Jordanne bâti à la fin du IXe siècle par Saint Géraud. Mais Aurillac doit une certaine renommée à l’un des siens: Gerbert (vers 938 – 1003). Écolâtre formé à l’abbaye de Saint Géraud, puis en Catalogne et à Reims, le clerc Gerbert étudie diverses sciences dont les mathématiques. Conseiller écouté de l’archevêque reimois Adalbéron qui désire que la Francie occidentale intègre enfin le Saint-Empire romain germanique sans pour autant soutenir la candidature à la couronne des Francs du duc Charles de Basse-Lotharingie (ou de Lothier), l’oncle carolingien du défunt roi Louis V, Gerbert d’Aurillac contribue par ses conseils avisés auprès des Grands à l’élection en 987 du comte de Paris et duc des Francs, petit-fils d’un roi des Francs, Hugues Capet. Un bel exemple d’hétérotélie qui empêche la renovatio de la res publica, soit le renouvellement de l’État impérial ottonien!

gerbert-pape.jpg

Promu à son tour archevêque de Reims en 991, il réussit une réforme ecclésiastique qui le conduit à prendre en 998 la tête du diocèse de Ravenne. Le 2 avril 999, il devient souverain pontife sous le nom de Sylvestre II. Son court pontificat combat fortement la simonie.

Garabit.jpg

Non loin de Saint-Flour aux portes de la Lozère, le viaduc ferroviaire de Garabit franchit la vallée de la Truyère. Premier ouvrage métallique érigé en France, ce pont-rail indispensable pour la liaison Clermont-Ferrand – Béziers a été conçu par l’ingénieur Léon Boyer et construit entre 1882 et 1884 par Gustave Eiffel. Le viaduc montre l’excellence du savoir-faire français. À 122 m de hauteur du cours d’eau, un pont long de 564 m repose sur cinq piliers implantés sur les deux rives.

Par-delà son folklore qui s’efface peu à peu des mémoires, de son relief majestueux et d’un patrimoine en voie de disparition, le Cantal tend vers une indéniable transcendance matérialisée par les contours du département. On y devine le pendentif porté par les membres de l’Ordre de la Toison d’Or, cette confrérie chevaleresque à vocation européenne fondée à Lille en 1430 par le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, dans l’espoir de renouer avec l’esprit héroïque des Croisades. Ce n’est pas une coïncidence si la forme de ce département fait penser à cet honneur qui engageait à vie son détenteur.

Dans l’inextricable trame à venir de la méta-histoire, il est fort probable que le département du Cantal inscrit au cœur orographique du Massif Central joue un rôle non négligeable.

chai.jpg

C’est sur ces terroirs altiers, hauts lieux telluriques sanctifiés par de mystérieuses statues virginales que convergent le feu des volcans et l’eau des sources, parfois brûlantes (Chaudes-Aigues), la terre des forêts et l’air. Une éventuelle topogenèse (ou développement spirituel d’un lieu) peut y surgir à condition que surgisse un processus original de « passionarité » (Lev Goumilev), c’est-à-dire qu’une population, native ou non, choisisse d’y couler, d’y fondre, d’y tremper sa mentalité. Les divers paysages du Cantal reflètent en effet un aspect archaïque certain, mais la présence du chef-d’œuvre de Garabit représente aussi une nette incursion futuriste. L’isolement de ces contrées en fait finalement des havres propices à l’implantation pérenne de bases autonomes auto-suffisantes, de cantalès matériels pour des êtres différenciés, des bastions d’une survie personnelle et d’une reconquête collective.

GF-T

  • D’abord mis en ligne sur Les lansquenets d’Europe, le 25 avril 2023.

 

dimanche, 30 avril 2023

Gros plan politique sur l’Ariège

Carte-routiere-de-l-Ariege.jpg

Gros plan politique sur l’Ariège

par Georges FELTIN-TRACOL

Le fait politique aurait dû figurer en gros titre de la presse mondiale et reléguer au second plan toute l’actualité sociale et internationale du moment. Les 26 mars et 2 avril derniers se tenait une élection législative partielle dans la première circonscription de l’Ariège.

fb-ariege-2.1563073.jpg

Chateau_de_Pau_gaston_Phoebus__c_CG64-JM_Decompte380x527.jpg

Territoire pyrénéen frontalier de l’Espagne et d’Andorre, l’Ariège est un département de 4890 km² en région Occitanie. Foix (photo - plus de 9500 habitants) en est la préfecture. Au Moyen Âge, la ville fut au cœur du comté éponyme rendu célèbre par l’un de ses comtes, Gaston Fébus (1331 – 1391), seigneur du Béarn et poète franco-occitan renommé. Ses deux sous-préfectures sont Pamiers (près de 16.000 habitants), garnison du 1er régiment de chasseurs parachutistes, et Saint-Girons (plus de 6000  habitants), l’un des chefs-lieux d’arrondissement les moins peuplés de France. Vivant principalement de la poly-activité autour de l’agriculture et du tourisme avec quelques pôles industriels, le département de 154.000 habitants connaît un déclin démographique certain.

Le Conseil constitutionnel a invalidé les résultats de la législative de l’an passé. En 2022, Bénédicte Taurine de La France Insoumise (LFI) avait gagné sur Anne-Sophie Tribout de la majorité présidentielle. Le candidat RN réunissait alors 19,94 %. Au soir du 26 mars 2023, l’abstention s’élève à 60,40 %. La députée sortante mélanchoniste ne rassemble que 6778 voix (31,18 %) au lieu des 10.347 voix. Malgré une petite déperdition en nombre de bulletins, le candidat RN progresse de presque cinq points et atteint 24,78 %. La candidate macroniste subit un sévère échec et se retrouve quatrième. Avec 10,63 %, elle n’obtient que 2323 suffrages à la place des 6237 voix. Se retrouve au second tour Martine Froger, une militante socialiste chevronnée exclue de son parti pour son opposition farouche à la NUPES. Elle réunit 26,41 %, soit 5742 suffrages à la place des 6229 voix neuf mois plus tôt.

La logique instaurée sous la IIIe République pour permettre le succès des forces progressistes et de gauche aurait voulu que Martine Froger se désiste en faveur de Bénédicte Taurine. Or, Martine Froger préfère se maintenir. Elle bénéficie de l’appui d’Anne Hidalgo, de l’ancien président François Hollande, du maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, Premier secrétaire délégué du PS, et de Carole Delga, présidente PS du conseil régional Occitanie qui s’imagine déjà au second tour de la présidentielle de 2027 face à… Laurent Wauquiez !

822617.jpgToutes ces personnalités d’une soi-disant « gauche de gouvernement », comprendre « gauche de la compromission permanente avec les grands intérêts financiers privés », refusent que « leur » gauche soit aux ordres d’un Jean-Luc Mélenchon qu’ils méprisent depuis des décennies. Le 2 avril, Martine Froger (photo) gagne le siège avec 60,19 % des voix bien que l’abstention monte à 62,13 %, les votes blancs à 5,80 % et les votes nuls à 4,13 %. Les socialistes anti-NUPES exultent. L’Ariège aura deux députés de gauche anti-Mélanchon. Ils y voient un signe précurseur d’une future remontada contre LFI. Pour sa part, la NUPES dénonce une élection acquise grâce aux électeurs macroniens et de droite. Les deux parties oublient qu’il ne faut pas généraliser ce scrutin partiel hautement médiatisé.

L’Ariège est en effet une terre très ancrée à gauche depuis 1875. Le Parti socialiste et ses alliés divers-gauche remportent les législatives entre 1928 et 2017. En 2012, la 1re circonscription élit son député dès le premier tour ! La permanence et la vigueur du vote de gauche dans ce département rural se comprend sur la longue durée historique. Il y a à l’origine de ce tropisme électoral la « Guerre des Demoiselles ».

017493_1.jpg

Spécialiste de la survivance templière à travers les âges et de l’énigme de Rennes-le-Château qui allait plus tard donner un fameux plagiat romancé, Da Vinci Code, de Dan Brown, Gérard de Sède (1921 – 2004), naguère militant gauchiste, publie chez Plon en 1982 une belle fresque occitaniste intitulée 700 ans de révoltes occitanes. Il évoque dans ce livre une puissante jacquerie en Ariège qui commence en 1829 – 1830 et qui ne s’achève que vers 1873 – 1874.

En 1827, le Parlement de la Seconde Restauration (1815 – 1830) modifie le Code forestier. Il somme les populations des campagnes de ne plus exercer certains droits (cueillette, chasse, pâturage, prélèvement du bois pour la construction d’habitations) en forêts à partir de 1829. Les espaces forestiers cessent d’ailleurs d’être leurs biens communs et deviennent des ressources charbonnières nécessaires à l’industrie naissante. Ces contraintes légales perturbent un système rural agro-pastoral ancien et fragile basé sur la sylviculture.

9782846211178-475x500-1.jpg

03-revolte-paysan-2-copie_10478.jpg

Les paysans ariégeois réagissent violemment. Ils se griment en femmes et bastonnent volontiers gardes-champêtres et gendarmes quand ceux-ci veulent confisquer le bétail. Née dans l’Ouest du département, l’agitation à basse intensité se propage peu à peu dans toute l’Ariège sans trop s’exporter dans les départements pyrénéens voisins. Le relief montagnard et la difficulté de circulation à l’époque empêchent les autorités de sévir réellement ou de pratiquer une féroce répression. En outre, les campagnards nient toute exaction. Ils incriminent plutôt l’action surnaturelle des esprits des forêts, souvent représentés sous les traits de belles demoiselles sauvages, pour expliquer ces longues séries d’incidents…

L’exode rural et l’enclavement de l’Ariège apaisent finalement une population désormais préoccupée par d’autres enjeux et qui trouve dans le vote en faveur des candidats républicains un débouché meilleur que le maquillage de solides gaillards prêts à en découdre…

On peut donc voir dans la « Guerre des Demoiselles », peu connue en France, une très lointaine préfiguration des ZADistes de Notre-Dame-des-Landes en Loire-Atlantique et des éco-combattants à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres. On peut aussi dresser une « généalogie » politique activiste qui se perpétue avec les manifestations anti-militaristes du Larzac dans la décennie 1970, les « Bonnets rouges » bretons en 2013, voire les « Gilets jaunes ». Il est surprenant que l’extrême gauche rédactionnelle (style Comité invisible) n’aborde pas cette étonnante révolte populaire et paysanne pyrénéenne.

32c3bc7_28348-j5sell.jpg

La question de l’usage forestier en Ariège sur un demi-siècle a profondément marqué plusieurs générations. Cent cinquante ans plus tard, son passé agité et revendicatif façonne toujours un département réputé pour ses opinions rose – rouge.

GF-T

  • Vigie d’un monde en ébullition », n° 71, mise en ligne le 25 avril 2023 sur Radio Méridien Zéro.

vendredi, 24 mars 2023

Cornouailles: une identité celtique qui perdure

d5feab12b58e5a02fecc364c0d1c1cd6.jpg

Cornouailles: une identité celtique qui perdure

Enric Ravello Barber

Source: https://euro-sinergias.blogspot.com/2023/03/cornualles-una-identidad-celta-que.html

En janvier 1549, l'Acte d'uniformité est déclaré. La reine Élisabeth I parachève ainsi le processus de création d'une Église anglaise/anglicane séparée de Rome, qui avait été initié par son père, le célèbre Henri VIII. Cet Acte d'uniformité incluait le nouveau Livre de prières communes pour les membres de la nouvelle Église.  La Cornouailles, qui a toujours été un territoire favorable aux Tudors, dynastie d'origine galloise - et donc très proche des Cornouaillais - s'oppose à l'imposition de ce Livre. Deux raisons à cela : la première est l'attachement des Cornouaillais à la religion catholique ; la seconde - et la principale - est que le livre est écrit en anglais, une langue que - comme ils l'ont fait savoir au souverain - personne ne comprend dans la Cornouailles du 16ème siècle. La langue locale, le cornique aux racines celtiques, était très éloignée de l'anglo-saxon aux racines germaniques.

Celtic-Cross.jpg

Le Pays de Galles et les Cornouailles sont les dernières terres des Celtes britanniques

Au 1er millénaire avant notre ère, les Celtes colonisent toute la côte atlantique du continent, de la péninsule ibérique à la Belgique actuelle, en passant par la Gaule. Des peuples celtes se sont également installés dans les îles britanniques, s'ajoutant à une population antérieure qui aurait été assez semblable à celle qui venait d'arriver, formant ainsi la population britannique. Parmi ces Celtes insulaires, on distingue deux types: les Gaéliques, qui occupaient l'île d'Irlande, et les Brythoniques, qui s'étaient installés sur l'île de Grande-Bretagne.

Les traces d'un passé plus lointain dans la région sont la forte présence de complexes mégalithiques dans toute la Cornouailles, notamment ceux connus sous le nom de The Hurlers.

1200px-England_Celtic_tribes_-_South.svg.png

5a81a699-7a34-romconq4e54-8574-5bb4b39b2c93.jpg

Roman-Britain.jpg

En 43 avant J.-C., les aigles des légions romaines arrivent sur l'île de Grande-Bretagne, ne laissant que la partie sud de l'île sous contrôle romain, après avoir été repoussés au nord par les Pictes.  Avant l'arrivée des légions, l'historien romain Diodore décrivait la péninsule de Belerion (l'actuelle Cornouailles) comme une région extrêmement civilisée et sophistiquée, enrichie par ses échanges commerciaux avec d'autres lieux de l'île, mais aussi de l'Europe occidentale et même de la Méditerranée, dont elle est le principal fournisseur d'étain. Les Grecs les connaissaient peut-être sous le nom d'îles Kassiterides, et Diodore lui-même fait référence aux premières activités minières de la région. La domination romaine a duré jusqu'à la fin du 5ème siècle après J.-C., bien que leur pouvoir se soit progressivement affaibli. Dans leur division administrative de l'île, les Romains ont formé la province de Dummoni, qui occuperait les régions actuelles de Cornouailles, Somerset et Devon (une évolution du nom latin).  Pendant toute cette période, le latin n'était que la langue d'une petite élite administrative, la population indigène continuant à parler sa langue celtique brythonique dans ce qui est aujourd'hui le Pays de Galles et l'Angleterre.

Rome quitte la Grande-Bretagne en 410 après J.-C. et un nouveau cycle historique commence. Après le retrait des légions, la Dumnonie reste un petit royaume celto-romain et est le théâtre d'une fragilité et d'une fragmentation politiques généralisées.

19f532b785d8f15f842d7e087d4b9c8e.gif

Le changement définitif dans l'histoire de la Grande-Bretagne a lieu dans ces années-là, avec l'arrivée massive de peuples germaniques: Angles, Saxons et Jutes, venus des côtes continentales de l'Atlantique Nord, qui occupent progressivement l'île d'est en ouest. Ce mouvement repousse progressivement les autochtones britanniques vers l'ouest, et les Anglo-Saxons leur donnent les noms de Cornwalas et Westwalas, de l'anglo-saxon Wealas (étrangers), qui deviendront Wales-Welsh et Cornwall-Cornish (au Pays de Galles, le nom du pays est Cymru et celui de la Cornouailles Kerwon ou Curnow).  Les Latins appelleront le royaume de Cornouailles Cerniu, de l'ethnonyme celtique local latinisé en Cornovii, tandis que les Anglo-Saxons utiliseront le terme "west Welsh" pour souligner sa similitude avec le Pays de Galles. Le Pays de Galles et la Cornouaille sont les régions qui sont restées aux mains des populations celtiques - encore aujourd'hui - face à la pression anglo-saxonne.  C'est cette fragmentation qui a conduit à la dérivation de deux langues très similaires à partir du brythonique commun: le gallois et le cornique. Si l'on ajoute que la pression anglo-saxonne a poussé nombre de ces Celtes, aujourd'hui réduits au Pays de Galles et aux Cornouailles, à traverser la mer et à s'installer en Bretagne (d'où le nom), la langue bretonne est l'évolution du gallois et du cornique apportés par ces Celtes devenus bretons. Il existe des preuves d'une certaine implantation dans la région ibérique de la Galice.

Le dernier roi du royaume celtique de Cornouailles/Dumonie fut Huwai, fut celui qui accepta définitivement la domination du roi anglo-saxon Atheslan, après une période de lutte et d'affrontement constants avec les Anglo-Saxons et le royaume de Dumonia, qui luttait aux côtés des royaumes gallois voisins et frères contre l'avancée "anglaise", en comptant sur l'alliance des Vikings danois - qui occupaient le centre de l'île - lors de cet affrontement. En 936, Atheslan, qui avait unifié sous sa couronne tous les royaumes anglo-saxons de l'île et avait été reconnu par Huwai, fixa la frontière entre l'Angleterre et la Cornouailles à la rivière Tamar, lui enlevant l'Exester cornouaillais et une partie du Devon. Cette frontière tracée par Atheslan est exactement la même que celle qui sépare les comtés anglais actuels de la Cornouaille celtique et du Devon anglo-saxon.

Terre de légendes et de saints

Ce sont des années sombres de fragilité des pouvoirs et d'affrontement entre Celtes autochtones et Germains anglo-saxons, une époque de contes et de légendes, dont deux marqueront la mémoire collective européenne jusqu'à aujourd'hui : celle du roi Arthur et celle de Tristan et Iseult.

artusstatue.jpg

La figure du roi Arthur oscille entre mythe et réalité historique. La légende fait sans doute référence à un personnage historique, roi d'un royaume celte (d'autres évoquent un roi d'un royaume celto-romanisé) qui a unifié plusieurs Celto-Britons dans la lutte contre l'avancée anglo-saxonne.  Peut-être la légende ne fait-elle pas référence à un seul roi, mais à plusieurs qui joueront ce rôle à la fin du 5ème siècle et au début du 6ème siècle.  Mais la Cornouailles a certainement des raisons de revendiquer le roi mythique - ou du moins l'un de ses principaux inspirateurs - comme le sien. C'est là que le situe la légende de Tristan et Iseult, à Slaugther Bride, un lieu connu depuis l'Antiquité sous le nom de "tombe d'Arthur", où Richard Carew a décrit en 1602 la dernière bataille entre le roi Arthur et son neveu Mordred.  En Cornouailles, vous trouverez également le château de Tintagel, dont l'horizon archéologique remonte à l'époque celtique. En effet, c'est ici que le Normand Geoffrey et ses hommes ont écrit que dans cette région, les Cornouaillais affirmaient qu'Arthur n'était pas mort et qu'il reviendrait un jour pour régner.

tintagel-courtyard-gate.jpg

Pour continuer dans cette zone où l'histoire et le mythe se rencontrent, il faut mentionner le roi de Cornouailles Cynan ou Conan de Mariadoc, et ensuite se tourner vers une légende de référence constante dans l'imaginaire collectif européen, celle de Tristan et Iseult, qui est également liée à la Cornouailles. Tristan, le neveu du roi de Cornouailles Marc, est envoyé en Irlande pour demander la main d'Iseult, la fille de la reine de Marc. La reine accepte, et la princesse et sa servante Brangwayn se mettent en route pour la Cornouaille. La reine a donné à Brangwayn un philtre d'amour spécial, qu'Isolde/Iseult et Mark doivent boire lors de leur nuit de noces, mais par erreur (ou à dessein), c'est Tristan qui boit le liquide magique. Inévitablement, Tristan et Iseult tombent follement amoureux et, à la cour du roi Marc, ils recourent à diverses tromperies pour rester ensemble. Tristan finit par quitter la Cornouailles pour se mettre au service du roi Hywel de Bretagne, où il rencontre et épouse une seconde Iseut (Iseut des Mains Blanches). Cependant, la première Iseult supplie Tristan de revenir, ce qu'il fait, et il est tué par le roi Marc, en colère, qui a découvert la vérité sur leur liaison.

tristain-and-iseult.jpg

"Il y a plus de saints en Cornouailles qu'au paradis", dit un vieil adage cornouaillais. Certains affirment même - sans grand fondement - que la Cornouailles était le centre du celto-christianisme au début du Moyen-Âge et que c'est de là qu'a été influencé le christianisme de la Grande-Bretagne, du Pays de Galles, de l'Écosse et, surtout, de l'Irlande, le grand centre culturel chrétien du début de l'ère médiévale.  Cependant, l'histoire atteste que la Cornouailles est devenue chrétienne précisément avec l'arrivée de moines irlandais qui s'étaient installés dans le royaume gallois voisin de Demetia, et que ce sont des moines irlandais et gallois qui ont évangélisé la Cornouaille.  Saint Piran, le saint patron de la Cornouaille, était un moine breton - rappelons qu'il s'agit d'une terre peuplée de Gallois et de Corniques - qui est venu en Cornouailles depuis un monastère gallois.  Le drapeau de Cornouailles (croix blanche sur fond noir) était son emblème.

STMICHAELCAUSEWAY-39-of-43-689x517.jpg

Le monastère de St Michael's Mount (en cornique, Karrek Loes y'n Koes, littéralement "rocher gris dans la forêt") est un point de repère obligatoire de la chrétienté médiévale en Cornouailles. Il ressemble beaucoup à son homonyme marquant la frontière entre la Normandie et la Bretagne, dont il dépendait. Le nom cornique fait référence à une époque antérieure où le niveau de l'eau était plus bas et où il s'agissait d'une colline entourée de forêts et rattachée à l'île de Bretagne ; aujourd'hui, elle est séparée par un court espace de mer, que l'on peut parcourir à pied lorsque la marée le permet. À l'époque préchrétienne, il s'agissait d'un important comptoir commercial pour l'étain. Pour le visiter, il faut prendre le train jusqu'à Penzance (Pensans en cornique), à la pointe sud-ouest de la Grande-Bretagne, et emprunter la promenade qui mène directement à la colline. En face se trouve la petite ville de Marazion (Marhasyow en cornique).

icravemages.jpgToujours dans le domaine des signes identitaires, le crave à bec rouge est un symbole de la Cornouaille, appelé en cornique "palores", "chough", et parfois dans la littérature "the spirit of Cornwall" (l'esprit de la Cornouaille).  Pendant un certain temps, les Cornouaillais eux-mêmes ont été appelés chough en référence à cet oiseau typique de leurs côtes.

Du comté au duché de Cornouailles

En 1066, les Normands, des Vikings installés en France depuis le 10ème siècle, arrivent en Angleterre sous le commandement de Guillaume le Conquérant, qui sera victorieux dans sa conquête du trône d'Angleterre. La nouvelle aristocratie normande prend le pas sur l'aristocratie anglo-saxonne. Au Pays de Galles et en Cornouailles, la conquête par ces châtelains normands, la domination sur la population celte locale, donne le pouvoir à une couche superficielle de dirigeants, occupant les châteaux.

La Normandie - répétons-le - est née lorsque le roi franc Charles III a cédé un important territoire dans le nord-ouest de la France au chef viking danois Rollo, qui s'est établi comme duc, en échange de la protection du royaume franc contre les incursions d'autres Vikings, principalement norvégiens. Guillaume, duc de Normandie, est un descendant de Rollo et la Normandie sur laquelle il règne comprend la Bretagne. Guillaume aspire au trône d'Angleterre et lorsqu'il planifie l'invasion, de nombreux nobles bretons, descendants des Cornouaillais et des Gallois qui s'étaient installés dans cette région pour fuir la conquête anglo-saxonne, s'enrôlent dans les troupes de Guillaume dans le but de retrouver les terres dont ils ont été chassés par les Anglo-Saxons. La victoire des Normands à la bataille de Hastings sur les Anglo-Saxons et l'installation du roi normand Guillaume le Conquérant sur le trône d'Angleterre ont donné un nouvel élan aux relations entre la Cornouaille, le Pays de Galles et la Bretagne, et Guillaume le Conquérant a été considéré comme une sorte de roi Arthur retrouvé. À cette époque, la langue cornique connaît une nette avancée territoriale.

a80109-62.jpg-edit.jpg

En 1173, la dynastie Plantagenet - fondée par Guillaume le Conquérant - établit le comté de Cornaulles, dont une grande partie des barons et de la noblesse étaient celto-cornouaillais. En 1337, le roi anglais Édouard III a fait du comté un duché - un statut noble qu'il conserve encore aujourd'hui.  Les conquérants normands considéraient la Cornouailles et le Pays de Galles comme distincts de l'Angleterre et, même sous la souveraineté du monarque anglo-normand, comme des territoires autonomes et autogérés, virtuellement indépendants, à l'exception des liens logiques de soumission à la couronne.

Les Tudors

Les Cornouaillais ont ouvertement soutenu l'accession d'Henri VII Tudor au trône d'Angleterre. En effet, la dynastie des Tudor (Tudur en gallois) était d'origine celte et galloise et les Cornouaillais se sont toujours identifiés à elle. L'accession d'Henri au trône a suivi la guerre civile entre deux branches de l'aristocratie anglo-normande: la rose blanche des York et la rose rouge des Lancastre. De nombreux Cornouaillais et Gallois ont vu dans l'accession au trône d'Angleterre de "l'un des leurs" une renaissance du mythe arthurien, l'ancienne Britannia étant à nouveau placée sous la souveraineté d'une maison royale celtique. Ils y voyaient le premier acte du "projet britannique" - la résurrection politique de la Grande-Bretagne celtique qui avait été soumise par les envahisseurs anglo-saxons.

640px-Enrique_VII_de_Inglaterra,_por_un_artista_anónimo.jpg

Henri VII était un adepte convaincu de ce projet celtique britannique. Gallois d'origine, il revendique le droit de dominer toute l'île de Grande-Bretagne, dans un projet politique qui fait référence à la récupération de l'île entière des Celto-Britons (qui comprenaient les anciens Pictes écossais). Avant sa victoire suite à la guerre des Deux-Roses, Henri VII s'exile en Bretagne, où il approfondit sa conscience celtique. À son retour, lors de la bataille contre Richard III d'York, Henri VII brandit le dragon gallois comme bannière et bénéficie d'un soutien massif de la part des Gallois et des Cornouaillais. Henri VII rappelle son fils aîné Arthur et lui accorde le duché de Cornouailles, traite ses sujets gallois et cornouaillais (qu'il considère comme supérieurs aux Anglais anglo-saxons) de manière préférentielle, et envoie son ambassadeur Richard Edgcumbe en Irlande, en Écosse et en Bretagne pour renforcer les alliances et les pactes pan-celtiques.

D'autre part, Henri VII entame ce que l'on appelle la "révolution gouvernementale des Tudor", c'est-à-dire la mise en place progressive d'un système administratif, économique et fiscal dans l'ensemble de son royaume. Ces politiques fiscales centralisatrices se heurtent à l'opposition de nombreuses régions d'Angleterre, dont le duché de Cornouailles, et Henri VII et les Tudors successifs n'hésitent pas à sévir.

Le membre le plus connu de la maison Tudor et l'un des monarques anglais les plus importants de l'histoire a succédé à Henri VII sur le trône: Henri VIII, connu pour avoir rompu avec l'Église catholique de Rome et instauré l'anglicanisme protestant en Angleterre. Henri VIII partage les conceptions celto-britanniques de son père; le jour de son couronnement (1509), les chevaux sont ornés des armoiries de ses possessions, l'Angleterre, (une partie de) la France, la Gascogne, la Guyenne, la Normandie, l'Anjou, l'Irlande, le Pays de Galles et la Cornouailles (ces deux dernières étant considérées comme distinctes de l'Angleterre). Tout changea lorsque Henri VIII prit la mesure la plus importante de ce processus de "révolution gouvernementale des Tudor", à savoir la création de l'Église d'Angleterre et son implantation dans tout le royaume. La Cornouailles étant une région à forte religiosité catholique traditionnelle, la réforme n'a pas été bien accueillie et - comme mentionné supra - après l'Acte d'uniformité, la fille d'Henri VIII, Elizabeth I Tudor, a voulu imposer un livre de prières unifié en langue anglaise, ce qui était étranger à la plupart des habitants de Cornouailles à l'époque. Les rébellions de Cornouailles et du Pays de Galles - où, comme toujours, la situation est similaire - sont écrasées par l'armée royaliste. Les pertes ont été lourdes, mais la Cornouailles a continué à bénéficier d'une forte présence catholique jusqu'au 17ème siècle. Bien que l'anglicanisme se soit imposé au fil du temps, la détérioration des relations commerciales entre la Cornouailles et l'Espagne et le rôle croissant de la Cornouailles en tant que point stratégique de commerce et d'expédition pour l'Angleterre ont été des facteurs déterminants. C'est ainsi qu'a débuté un processus d'anglicisation qui a affecté la Cornouailles sur les plans politique, économique, culturel et, surtout, linguistique.

Les Cornouailles pendant la guerre civile anglaise

Ce conservatisme traditionnel des Cornouailles - religieux et politique - signifie que lorsque le révolutionnaire puritain Oliver Cromwell et le Parlement anglais se sont révoltés et ont déclaré la guerre au monarque Charles Ier - de la dynastie des Stuart, qui a succédé à la dynastie des Tudor sur le trône d'Angleterre - les Cornouaillais se sont clairement rangés du côté du roi. Seule une petite minorité de Cornouaillais s'est rangée du côté du Parlement et a traversé la rivière Tamar - la frontière entre les Cornouailles et le Devon - pour s'installer dans la capitale du Devon, Plymouth, un important bastion puritain. C'est précisément de Plymouth qu'est parti le célèbre Mayflower, chargé de puritains anglais, qui allaient être les pères fondateurs des États-Unis, puissance idéologiquement née de l'arrivée de ces puritains. Il est curieux de constater que Plymouth est l'une des rares villes européennes où Jehovah figure dans la légende de ses armoiries municipales, "Turris Fortissima est nomen Jehovah".

file7UITBZ9I.jpg

bd553d496ad42530ac99801c5f827c24.jpg

Ci-dessus, un "Roundhead" puritain de la "New Model Army" de Cromwell; en-dessous, "Cavaliers" de l'armée royaliste.

Le mot "puritain" - qui n'a rien de moral - fait référence à l'idée de maintenir la religion protestante "pure", à la fois dans son essence biblique et dans son opposition absolue au catholicisme. L'armée fondée par Cromwell, la New Model Army, plus connue sous le nom de Roundheads, considérait les Gallois, les Cornouaillais et les Irlandais comme des "païens" et le degré de répression était brutal. Le génocide irlandais aux mains de Cromwell a atteint des proportions effrayantes.

Finalement, les royalistes gagnèrent la guerre et la monarchie fut restaurée en la personne de Charles II Stuart. À cette époque, l'économie des Cornouailles connaît une expansion majeure, combinant la pêche, l'exploitation minière et le transport maritime.

Encore une fois, le projet "britannique"

En 1707, les parlements d'Écosse et d'Angleterre - qui englobent le Pays de Galles et les Cornouailles - signent l'Acte d'Union, qui parachève l'union des deux couronnes sous la dynastie des Stuart, d'origine écossaise. Cette union donne naissance à une nouvelle entité politique qui englobe les deux signataires et qui prend le nom de Grande-Bretagne. D'une certaine manière, elle renoue avec le "projet britannique" des Tudors et d'Henri VIII, mais l'axe idéologique est désormais différent : il repose sur le protestantisme et sur l'expansion maritime et commerciale.

La Cornouailles jouera également un rôle de premier plan dans cette renaissance du "projet britannique", mais cette fois dans le cadre de nouveaux paramètres idéologiques et économiques éloignés de l'actualisation politique du passé celto-britannique.

FRh99H5WQAEsCAd.jpg

Exploitation minière, méthodisme et émigration

Aux XVIIIe et XIXe siècles, l'importance de la pêche dans l'économie cornouaillaise cède progressivement la place à l'exploitation minière.  L'exploitation minière et la Cornouailles sont devenues presque synonymes - la situation était également très similaire au Pays de Galles.  Le cuivre, utilisé principalement pour fabriquer du fer-blanc et dont la demande a connu une croissance exponentielle dans le monde entier, a joué un rôle particulièrement important dans l'exploitation minière.

L'exploitation minière a eu un impact considérable sur l'imaginaire collectif, l'identité et la vie quotidienne des Cornouaillais. Les Cornouaillais étaient très fiers de leur réputation de mineurs. Associé à l'exploitation minière, le méthodisme - une variante protestante - a connu une grande expansion en Cornouailles, en mettant l'accent sur la solidarité et le soutien mutuel, des valeurs étroitement liées à l'activité et à la culture minières.  Alors que le méthodisme est fort dans la sphère religieuse, le parti libéral gagne en importance dans la sphère politique.

Associés à ce sentiment politico-religieux et à leur expertise de mineurs, les Cornouaillais ont émigré en grand nombre au cours du 19ème siècle vers des territoires tels que l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Afrique du Sud riche en diamants et la Californie lors de la ruée vers l'or, où ils ont joué un rôle de premier plan dans l'activité minière. De nombreux mots cornouaillais liés à l'exploitation minière sont passés en anglais : costean, gunnies, vug.

9781108047029i.jpg

Une langue qui survit

Nous avons déjà évoqué l'impact négatif de l'incompréhensible livre de prières en langue anglaise en Cornouailles. Le cornique a été fortement soutenu par l'Église catholique pendant tout le Moyen-Âge. Ajoutons que la rébellion des Cornouaillais contre Élisabeth I et sa volonté d'imposer ce livre unifié de prières et de chants en anglais - et non de le traduire en cornouaillais - a eu un impact significatif et négatif sur la langue: non seulement les Cornouaillais ont été obligés d'apprendre et d'utiliser l'anglais - même si, au début, ce n'était qu'à l'église - mais, fait grave et décisif, le cornouaillais est resté une langue hostile à la réforme et au pouvoir de la reine, avec tous les problèmes que cela entraînait pour l'usage normal de la langue. Le déclin du cornique a été vertigineux et, en 1800, il avait pratiquement disparu en tant que langue résiduelle de quelques locuteurs dans l'extrême sud-ouest du pays. Cependant, à la fin du 20ème siècle, l'enthousiasme des Cornouaillais pour récupérer leur langue a eu des effets importants, et des niches ont été récupérées pour cette ancienne langue celtique, qui est maintenant enseignée dans les écoles primaires du pays en tant que matière facultative. C'est le seul moyen de la maintenir en vie. Elle est encore bien en deçà de la "normalité".

La Cornouailles a produit d'illustres écrivains de langue anglaise tels que Silas Hocking, les poètes John Betjeman et William Golding, lauréat du prix Nobel. C'est également en Cornouailles qu'ont été écrits L'auberge de la Jamaïque de Daphne du Maurier, filmé par Alfred Hitchcock, et Le siège de la ferme de Trencher de Gordon Williams, filmé par Sam Packinpah sous le titre Chiens de paille.

Vers un renouveau de la Cornouailles

Le déclin de l'industrie minière depuis le milieu du 20ème siècle, ainsi que le déclin de l'agriculture et de la pêche, ont entraîné un appauvrissement général de la région, qui a été inversé ces dernières décennies par la nouvelle "industrie nationale": le tourisme. Les Cornouailles sont devenues une destination estivale de luxe pour les classes aisées anglaises et une destination de plus en plus populaire dans toute l'Europe. Il ne fait aucun doute que les Cornouailles ont tous les atouts pour devenir une destination incontournable, quels que soient les critères retenus.

Le rétablissement et la renaissance modérée de la langue doivent être considérés dans le contexte d'une renaissance de la langue cornique, qui remonte à 1904, lorsque Henry Jenner a publié A Handbook of the Cornish Language (Manuel de la langue cornique). Ces efforts culturels ont été déployés simultanément dans la capitale, Turo, et dans les régions les plus occidentales du pays.

Cornish_Nationalist_Party_logo.png

Après la Seconde Guerre mondiale, l'identitarisme cornouaillais est passé de la sphère purement culturelle à la sphère politique, avec le rôle du parti Mebyon Kernow (Fils de Cornouailles), qui s'est scindé en 1969 pour devenir le Cornish National Party. À la fin des années 1990, la Cornouailles a obtenu le statut de région au sein de l'UE et, en 2002, le cornique a été officiellement reconnu par le gouvernement britannique. Nous espérons et souhaitons que tous les mouvements visant à préserver la langue et la culture de cette ancienne identité celtique et européenne s'intensifieront au cours des prochaines décennies et que la Cornouailles continuera d'être l'une des identités vivantes qui forment et enrichissent le patrimoine historique et culturel européen.

 

A lire également sur ce site:

Dr. Bernard Tomaschitz, "Les Corniques obtiennent le statut de minorité nationale", http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2014/07/25/les-corniques-obtiennent-le-statut-de-minorite-nationale.html - 25 juillet 2014.

Richard Lawson, "Destin et identité des Cornouailles", http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2009/02/05/destin-et-identite-des-cornouailles.html - 05 février 2009.

 

mercredi, 15 mars 2023

Parution du numéro 66 de la revue War Raok

thumwrmars23bnail.jpg

Parution du numéro 66 de la revue War Raok

EDITORIAL 

Il faut oser affronter l’État français et son ministère de l’Éducation coloniale

De plus en plus de voix s’élèvent pour que soit enseigné, de façon officielle, l’Histoire de la Bretagne aux jeunes élèves bretons. Un enseignement obligatoire et non pas une certaine « liberté pédagogique » des enseignants qui consiste à enseigner l’Histoire de France à travers des exemples locaux afin d’agrémenter et embellir le programme ! Voilà le subterfuge, l’échappatoire du ministère français de l’Éducation nationale pour ne pas intégrer officiellement l’Histoire de la Bretagne dans tous les programmes scolaires. Une fidélité aux règles intangibles imposées par les Grands Maîtres de l' Éducation nationale depuis le 19ème siècle.

La République française a choisi de laisser les enfants bretons dans l’ignorance de leur Histoire

Cette Histoire de la nation bretonne, véritable roman national au cœur de notre identité, serait-elle si sulfureuse pour que lʼÉtat français et sa belle République souhaitent la passer sous silence ? Une connaissance parfaite susciterait-elle une prise de conscience et éveillerait-elle soudain un désir d’émancipation au sein du peuple breton ?

Les motifs du refus d’enseigner cette grande Histoire du peuple breton se trouvent en fait dans ces deux interrogations ! Nos braves « Hussards noirs de la République française » ont bien flairé le danger et lorsqu’ils daignent évoquer notre Histoire, ils la falsifient et osent les pires contrefaçons. On va même user des pires arguments fallacieux et s’adjoindre la collaboration de piètres historiens nourris par des visions idéologiques peu recommandables.

Ainsi, on apprend que les Bretons tireraient leur origine des tribus gauloises qui occupaient l’Armorique avant notre ère. Que la langue bretonne serait un miraculeux échantillon conservé de la langue que l’on parlait dans toute la Gaule… et donc que les Bretons seraient ainsi deux fois Français, puisque descendants directs des grands guerriers blonds aux yeux bleus, que la mythologie officielle assigne pour aïeux lointains à l’ensemble des hommes qui habitent entre l’Atlantique, le Rhin et les Alpes.

La vérité est toute autre messieurs. Le berceau historique de notre ethnie est l’Île de Bretagne, où vivaient entre autres peuples, des hommes qui parlaient une langue apparentée à celle des Celtes continentaux et qui possédaient un type physique assez différent.

Peu à peu refoulés vers l’Ouest suite aux diverses invasions, ils ne parvinrent à se maintenir que dans les deux péninsules occidentales de l’Île : le Pays de Galles et la Cornouailles où leurs fils habitent encore. Étaient-ils trop nombreux pour ces territoires ? Toujours est-il qu’ils se mirent à émigrer vers l’Armorique toute proche. L’Armorique ainsi repeuplée devint la Bretagne.

On voit déjà combien, par cette brève première partie de notre Histoire, les débuts de la Bretagne la font différente de la France et l’erreur que l’on commettrait en l’assimilant à une quelconque et vulgaire province française.

La suite de son histoire ne fit que creuser le fossé qui séparait la Bretagne, dès l’origine, de ses voisins de l’Est ! A peine établis en Armorique, les Bretons durent lutter contre les assauts successifs des Francs et repousser les multiples tentatives d’invasion pour sauvegarder leur liberté. Du point de vue historique, une chose est certaine, et personne ne le niera, la Bretagne vécu indépendante pendant de très longs et heureux siècles. Je ne vous ferai pas l’histoire de cette glorieuse période où les souverains bretons donnèrent au pays une prospérité remarquable et où les autres nations regardaient avec envie ce petit peuple européen actif et entreprenant.

L’État français et sa République n’ont eu de cesse de répéter aux Bretons qu’ils n’avaient pas d’Histoire ! Il nous faut maintenant mettre un terme à cette politique bornée où se mêlent peur et méfiance, mais aussi totalitarisme et négationnisme culturel piliers jacobins de l’Éducation nationale française.

Il faut abattre cette féodalité.

 

Padrig MONTAUZIER.

 

62126fe1568ce_s-manif-nouveau-referendum-l-a-en-bgne-et-plus-grand-drapeau-breton-du-monde-00-00-06-19.jpg

Sommaire War Raok n°66

Buhezegezh vreizh  page 2

Editorial page 3 (Padrig Montauzier)

Buan ha Buan page 4 (Julien Dir, Yann Vallérie)

100Drapeaux.jpg

Europe

Réflexion sur l’identité européenne page 10 (Enric Ravello)

Tribune libre

L’Occident a tendu un piège perfide aux Russes ? Page 12 (Peter G. Feher)

Histoire

Deux peuples, deux destins page 14 (Fulup Perc’hirin)

Politique

Immigration : la prochaine étape du libéralisme page 17 (Enric Ravello Barber)

Hent an Dazont 

Votre cahier de 2 pages en breton page 18 (Tepod Mab Kerlevenez/Eostig Pont-Eon)

Solidairté Kosovo

Le convoi de Noël, contre vents et marées page 23 (Goulc’hen Danio de Rosquelfen)

herboristerie-les-bienfaits-des-plantes-sur-notre-organisme_c14e8ad2daee15bb.jpg

Plantes et santé

L’herboristerie… et le pouvoir des plantes page 25 (Jérôme Marchin)

Civilisation celtique

Littératures écrites et orales des civilisations celtiques page 27 (Fulup Perc’hirin)

Nature

Le ver de terre page 31 (Per Manac’h)

Lip-e-bav

Soupe de poisson à la bretonne page 33 (Youenn ar C’heginer)

Keleier ar Vro

Le Gwenn ha Du de l’Hôtel de ville de Saint-Nazaire page 34 (Meriadeg de Keranflec’h)

Bretagne sacrée

Le dolmen de la Roche-aux-fées  page 35 (Per Manac’h)

La-Roche-aux-Fées.jpg

 

 

samedi, 11 février 2023

Didier Patte est mort - La Normandie perd un grand Normand

FoT6-lmX0AAhr6y.jpg

Didier Patte est mort

La Normandie perd un grand Normand

par Georges FELTIN-TRACOL

Né le 1er janvier 1941, Didier Patte s’est éteint le 5 février dernier dans sa 82e année. Ses obsèques se dérouleront le lundi 13 février à Vatteville-la-Rue. Il est recommandé que pendant ce moment solennel se déploient maintes bannières des pays de France et d’Europe. Les drapeaux normands aux deux léopards ou à la croix scandinave jaune de saint Olaf accompagneront le défunt dans son ultime voyage. Il s’agit, par-delà la peine et le chagrin de ses proches (son épouse Michèle, leurs sept enfants – quatre filles et trois garçons – et leurs dix petits-enfants), de saluer une dernière fois un grand Normand.

267403-nrf-monument-dgilliaume-le-contchethant-falaise-calvados-basse-nouormandie-chutte-statue-valiethe-septchieme-duc-de-nouormandie-stchulptee-par-louis-rochet-fut-gree-sus-piedestal-d.jpg

Professeur d’histoire-géographie qui a enseigné à l’université, Didier Patte privilégiait le Moyen Âge et tout particulièrement la vie et l’œuvre du duc Guillaume, futur roi conquérant d’Angleterre. Jeune sympathisant du Cercle Patrie et Progrès de Philippe Rossillon qui développait une interprétation hétérodoxes des débuts de la présidence de Charles De Gaulle et qui prendra ensuite la forme d’un surprenant national-gaullisme de gauche, Didier Patte anime dans les années 1960 la Fédération des étudiants de Rouen (FER), partie prenante de la FNEF (Fédération nationale des étudiants de France), la rivale oubliée de la gauchiste UNEF (Union nationale des étudiants de France).

À la tête d’un groupe de pression tenace

À l’aube de sa vie professionnelle, il se détourne néanmoins du militantisme politique et choisit d’influencer les élus. Il considérait que « le MN […] entend agir en profondeur sur la mentalité normande (1) ». Il se préoccupe vite de la réalité normande à une époque où l’ancien duché se trouve divisé en cinq départements. Il faut y inclure les Îles anglo-normandes (Jersey, Guernesey, Sercq, Lihou, Herm et Jéthou) en dépendance directe de la Couronne britannique. Leurs lois sont toujours régies par le droit coutumier normand enseigné à Caen.

inormmages.jpg

Didier Patte rencontre très tôt d’ardents défenseurs de ce patrimoine: Jean Mabire et Pierre Godefroy, député gaulliste de la Manche. Le trio se lance d’abord dans une Union pour la région normande (URN). Puis c’est la fondation à Lisieux, le jour de la Saint-Michel, le 29 septembre 1969, le Mouvement de la Jeunesse normande (MJN) avec des éléments de la FER et de l’URN . Deux ans plus tard, il prend son nom définitif de Mouvement Normand (MN).

Mouvementdormant.jpg

Didier Patte aurait été un excellent ministre de la Décentralisation, des relations avec les collectivités territoriales et de l’Aménagement du territoire. S’il critiquait la nocivité de l’hypertrophie parisienne – francilienne et la toxicité d’un personnel politique plus prompt à se servir des Normands qu’à les servir, il avançait toujours des solutions de bon sens. Président du MN jusqu’en 2016, il laissa volontiers sa place à Emmanuel Mauger.

Homme de convictions et de plume, il participa à une myriade de publications (Haro ou Sleipnir) dont les deux fleurons demeurent L’Unité normande et Culture normande. Il animait l’ODIN (Office de documentation et d’information de Normandie) et les Éditions de l’Esnèque. Il s’investissait dans les Éditions d’Héligoland et dans une Web-télé, TVNC. Sa seule ambition était le bien commun de la Normandie envers et contre les prébendiers de la division et les administrations parisiennes qui se moquent des terroirs normands. De 1972 à 2015, le MN, Didier Patte en tête, ferraille avec ténacité contre la division artificielle de la Normandie. Si la Seine-Maritime et l’Eure forment la Haute-Normandie, le Calvados, la Manche et l’Orne constituent la Basse-Normandie. Les tenants des deux « demi-régions » justifient cette scission par l’existence de deux villes principales, Rouen et Caen (en oubliant Le Havre). Ne cessant d’œuvrer contre cette mutilation géo-administrative absurde, Didier Patte propose une répartition équitable et raisonnée des institutions régionales entre les trois villes (la préfecture régionale à Rouen, le conseil régional et son exécutif à Caen, l’union des ports du Havre, de Rouen et de Paris, la Chambre régionale de commerce et d’industrie, et la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement au Havre). Ami du centriste Hervé Morin, l’actuel président du conseil régional de Normandie, il a siégé à plusieurs reprises au Conseil économique, social et environnemental régional de Haute-Normandie, puis de la Normandie au titre de militant syndicaliste, puis en tant que personnalité qualifiée.

Emblèmes+et+symboles+Le+drapeau+rouge+à+deux+léopards+jaunes.jpg

Le régionalisme tranquille

La réforme administrative territoriale de 2015 qui réduit les vingt-deux régions métropolitaines en treize est, malgré de réelles imperfections telles le Grand Est ou la Nouvelle-Aquitaine, l’une des très rares réalisations positives du quinquennat de François Hollande. Didier Patte a eu la chance et le bonheur d’assister à la réunification de la Normandie même si sa dimension historique n’est pas atteinte en raison du caractère exceptionnel. Il se félicitait de cette réunion et dénonçait violemment certains responsables locaux favorables à l’intégration de la vallée de la Seine dans une Île-de-France élargie et à l’addition de la Basse-Normandie à la Bretagne. Il éprouvait néanmoins un scepticisme certain envers la viabilité des régions Bourgogne – Franche-Comté et Auvergne – Rhône-Alpes; l’un des rares points de divergence avec l’auteur de ces lignes. Il considérait en effet que la faisabilité d’une région reposait, à l’exception de la région-capitale, sur la coordination de cinq départements. Ainsi soutenait-il l’entrée de la Loire-Atlantique dans la région Bretagne et applaudissait-il l’union du Nord – Pas-de-Calais et de la Picardie, nonobstant sa nouvelle appellation « Hauts-de-France » qu’il aurait volontiers remplacées selon la longue durée historique par « Pays Bas français ». Son approche dépassait enfin la querelle stérile entre départementalistes et régionalistes. Pour lui, le département, subordonné à la région, avait une vocation sociale tandis que la région s’occuperait mieux de l’économie et des transports.

B9733422292Z.1_20230208124336_000+GCEM689DH.1-0.jpg

L’intérêt pour l’histoire médiévale n’empêchait donc pas « Guillaume               Lenoir », son pseudonyme, de suivre avec intention la vie politique normande. Il épluchait les différentes éditions locales de la presse régionale et en faisait des synthèses époustouflantes. Il regrettait que les services de l’État avec la complaisance (et/ou l’incompétence) de certains acteurs politico-économiques, insistent sur une soi-disant Normandie « utile » (l’axe séquan Paris – Rouen – Le Havre) et se détournent d’une Normandie « périphérique » reléguée dans la désertification et la marginalité. Ses mises au point régulières rappelaient aux élus leur devoir d’aménageurs réfléchis du territoire.

Fondateur et premier président des Amis de Jean Mabire de 2001 à 2007, Didier Patte exprimait un régionalisme serein. Il souhaitait amplifier la décentralisation et la tendre vers une véritable régionalisation. La région était à ses yeux la clef de voûte de la nouvelle architecture administrative nationale. Cette organisation impliquerait le transfert de certaines compétences (santé, éducation et culture) vers les régions qui bénéficieraient d’une redistribution équitable de la fiscalité. Estimant le fédéralisme en France hypothétique, il pourfendait autant les héritiers du centralisme parisien que les partisans du séparatisme régional. Il ne cessait d’affirmer que la Normandie est « terre de France ». Par son histoire, son peuple, ses parlers locaux de langue d’oïl et ses paysages, elle offre cependant aux horsains (aux non-Normands) la faculté d’acquérir l’état d’esprit normand. Le premier président du Sénégal (1960 – 1980), Léopold Sédar Senghor (1906 – 2001), n’a-t-il pas vécu ses derniers années en Normandie à Verson (Calvados) ? Lui aussi déplorait la séparation factice. Didier Patte avouait volontiers que l’identité normande est « plus spirituelle que populaire (2) ».

B9729957158Z.1_20220217113518_000+GBBJT0PQC.2-0.jpg

La Normandie, terroir français et européen

À l’encontre de bien des régionalistes, autonomistes et indépendantistes de l’Hexagone, Didier Patte n’approuvait pas la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Il contestait l’absence de distinction entre « langues enracinées » et « langues minoritaires (ou communautaires) ». Qu’elles soient d’origine romane, germanique, basque et celtique, les premières sont des langues de France. Les secondes (arabe, arménien, chinois, etc.) ne concernent que leurs locuteurs. Oui aux panneaux à Bayeux écrit en normand, mais pas en wolof ! 

Didier Patte récusait tous les sectarismes. Pour lui, sa chère Normandie se déploie par une riche présence dans l’histoire à travers le monde en y inscrivant ses facettes multiples: anglo-saxonne (il préférait plutôt le terme « anglo-normande »), scandinave, baltique, océanique (avec les familles normandes installées sur le Nouveau Monde en Nouvelle-France et à Saint-Pierre-et-Miquelon), est-européenne (avec l’aventure varègue sur le Dniepr, la Volga et le Dniestr) et méditerranéenne. Le médiéviste se souvenait encore de la Reconquista personnelle de Robert Guiscard et de son frère Roger de Hauteville qui s’emparèrent au milieu du XIe siècle de la Sicile où ils bâtiront un royaume tolérant envers les juifs et les musulmans, véritable contre-exemple à la supercherie multiculturaliste de l’Al-Andalus. Faut-il revenir sur le fait que le dernier descendant des Hauteville sera l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen ? Par ce lien inattendu mais pas anodin, l’esprit normand côtoie le principe impérial gibelin européen.

La Normandie vient de perdre un très grand serviteur. Souhaitons que les Normands les plus conscients de leur patrie charnelle poursuivent, développent et enrichissent son travail. Qu’ils s’en montrent dignes ! Quant à Didier Patte, il discute déjà avec Maît’Jean et Pierre Godefroy. Le trio normand s’est reformé !

Georges Feltin-Tracol  

Notes

1 : Mouvement Normand, Forum de discussion au sein de ses instances, Éditions d’Héligoland, 2007, p. 15, compte-rendu d’une réunion tenue à Bernay, le 3 février 2007.

2 : dans Le Courrier cauchois du 31 décembre 2015.

jeudi, 15 décembre 2022

Parution du numéro 65 de la revue War Raok

thumbWRnail.jpg

Parution du numéro 65 de la revue War Raok

EDITO

Transformer le crépuscule présent en une nouvelle aurore

En ces temps perturbés et dans un contexte particulièrement trouble, face à l’arrogance et à l’indécence de certains grands prêtres, grands guides ou nouveaux ayatollahs de la terre brûlée plaidant en faveur de cette funeste et aberrante religion révolutionnaire qui consiste à faire du « passé table rase », nous devons plus que jamais affirmer notre attachement aux traditions et aux valeurs, fondements de nos sociétés bretonnes et européennes.

Si la tradition est un ensemble de représentations et de pratiques considérées comme indiscutablement vraies par le peuple qui s’y réfère, elle est également un trait culturel spécifique particulièrement chargé de valeurs. La tradition est intemporelle, incarnée et réalisée puisque, comme l’indique son nom, elle est transmission de principes. Un autre nom de la tradition est mémoire, à condition de ne pas entendre par là une fabrication imposée : un peuple sans mémoire, et plus encore un peuple sans souvenir, est un peuple sans âme.

Sonnenaufgang_Stalis_Mai_2011.JPG

Elle ne s’oppose pas au « futur », au « progrès » ou au « moderne », elle les fonde. Les projets et les visées d’avenir sont des mises en perspective de traditions. La tradition touche aussi bien les attitudes mentales que les rites qui doivent demeurer immuables. Nos rites populaires sont un ensemble de coutumes dictées par notre tradition. Ils sont aujourd’hui soit réduits, par déculturation, soit neutralisés par muséification dans un ridicule folklore-spectacle pour touristes. Mais les traditions peuvent être régénérées ou réinventées même après une période d’apparente interruption. En fait, rien ne disparaît jamais, tout est soumis à la loi du changement et demeure susceptible de revenir. Une tradition peut être occultée, nous pouvons la manifester de nouveau. La tradition est un perpétuel recours.

Il nous faut donc refuser tout système de pensée que nous imposent les fanatiques idéologues nourris de la philosophie des « Lumières » : leur but est l’homogénéisation générale des peuples et par conséquent la destruction de tous référents communautaires. Nous refusons de voir l’âme du peuple breton remplacée par l’absence d’âme de ses plus mortels ennemis.

On ne peut pas évoquer la tradition sans y associer le concept de valeurs qui font qu’il n’y a pas de vie possible pour un peuple sans la reconnaissance et l’adoption d’un certain nombre de valeurs fondatrices. Elles ne s’appréhendent pas rationnellement mais dans le vécu d’une communauté ethnique. Des valeurs, qui ne se confondent pas avec des dogmes moraux imposés, mais sont essentiellement une attitude de vie. Il faut savoir lire, à travers la crise qui affecte notre Europe aujourd’hui, le déclin de cadres idéologiques déliquescents et la naissance de nouvelles valeurs, encore indistinctes, mais que nous devons formaliser selon les données immémoriales de nos héritages propres. Les peuples ont besoin d’un système de valeurs renouvelé, réinventé, qui puisse transformer le crépuscule présent en une nouvelle aurore.

Chaque peuple peut placer au-dessus de tout ses propres valeurs, tout en les considérant comme relatives, comme son bien propre et non comme celui de l’humanité tout entière.

Enfin, toute tentative de promouvoir des valeurs universelles est en fait un instrument du déracinement idéologique pour vider de leur substance les morales concrètes des peuples authentiques.

Nous pouvons être guidés dans ce choix de valeurs réelles par notre propre tradition culturelle.

Nous ne voulons pas être tenus pour responsables de la mort du peuple breton et de notre Bretagne. Aussi, nous devons avoir le courage de la résistance et de l’abnégation et convaincre autrui de la portée civilisationnelle de notre combat politique qui occupera obligatoirement l’ensemble des prochaines années à venir.

D’an holl ac’hanoc’h e hetan un Nedeleg laouen hag ur Bloavezh mat 2023.

Padrig MONTAUZIER.

e758db27f029b6440c335c994a551975.jpg

Sommaire War Raok n° 65

Buhezegezh vreizh page 2

Editorial page 3

Buan ha Buan page 4

Peuples d’Europe

Les Hellènes oubliés page 8

Billet d’humeur

Le nouvel opium du peuple page 9

Europe

La Suède détruit le cauchemar social-démocrate page 10

Environnement

De la mondialisation à la civilisation page 12

Tribune libre

Le destin français de l’Alsace, une tragédie page 14

Hent an Dazont

Votre cahier de 4 pages en breton page 19

Politique

Faut-il affirmer une dimension européenne ? Page 23

Histoire de Bretagne

Un point de vue politique (2ème partie) page 26

Basilique_Sainte_Anne_d'Auray.jpg

Religion

Le sanctuaire de Sainte-Anne-d'Auray page 30

Histoire de Celtie

Les Culdee, Lug et Merlin page 31

Tradition

La San Esteban, la Catalogne et l’axe carolingien page 32

Civilisation celtique

Littératures écrites et orales des civilisations celtiques page 33

Nature

La lamproie page 36

Lip-e-bav

Filet mignon de porc au cidre et son confit page 37

Keleier ar Vro

La statue de Louis XIV dévoilée page 38

Bretagne sacrée

La chapelle Sainte-Barbe page 39

Gwen ha du, le drapeau breton.JPG

 

vendredi, 26 août 2022

Parution du n°64 de War Raok

thumWR666666bnail.jpg

Parution du n°64 de War Raok

EDITORIAL

A quoi bon… combattre  !

De toutes les objections faites à l’action militante en faveur de l’émancipation du peuple breton, la plus affligeante est sans conteste celle qui se résume en cette expression, toute de faiblesse et de démobilisation : « A quoi bon »…

Certains Bretons semblent avoir perdu le sentiment de leur nationalité, or, en réalité, le sentiment national breton existe bien plus qu’on le croit généralement, seulement ce sentiment, dont personne ne leur ont appris à être fiers, est refoulé et caché au fond de leur cœur. Et pourtant, combien en avons-nous vu de ces femmes et ces hommes de Bretagne vibrer lors d’un fest-noz, s’émouvoir en écoutant les chants traditionnels, brandir le Gwenn ha Du avec orgueil et chanter notre Bro Gozh ma Zadoù, défendre la langue bretonne, protéger un illustre patrimoine profane et sacré, ou encore vanter une histoire de Bretagne prestigieuse…

C’est une réalité et nous avons cette chance que les Bretons, néanmoins, sont fiers d’être Bretons...  fiers de leur identité.

Mais la flamme qui, à un moment, a brillé dans les regards, s’éteint. Les visages un instant détendus se ferment voire se figent, on hausse les épaules, cependant que les mots lamentables tombent des lèvres désabusées : « A quoi bon !». Une attitude de vaincu qui peut s’expliquer mais qui n’a pas d’excuses car si l’on commence à s’abandonner soi-même de quel droit exiger d’autrui qu’il vous respect ?

G_pim_88_1581612611.jpg

A quoi bon lutter pour que la Bretagne vive, pour que la Bretagne, qui a été une nation prospère et organisée, ressurgisse des cendres du passé sous lesquelles on veut la maintenir pour mieux l’étouffer !

A quoi bon lutter pour que la Bretagne retrouve sa place au sein des autres nations européennes, pour que sa personnalité soit reconnue, pour que ses intérêts économiques soient protégés au lieu d’être sacrifiés, pour que, en un mot, les Bretons recouvrent leurs libertés et leur souveraineté !

Cela ne vaut-il pas la peine de sortir de l’attitude résignée de celui qui se complet dans sa médiocrité ? Que ceux qui, au fond d’eux-mêmes, se sentent Bretons mais qui n’ont que le triste courage de murmurer « A quoi bon » sachent qu’en agissant ainsi ils se dévalorisent eux-mêmes et se font les complices silencieux de ceux qui veulent détruire notre pays.

Alors, à quoi bon combattre ne serait-ce que pour se sentir un homme fier, libre, sûr de soi et non un vaincu qui traîne sa résignation comme une chaîne. Ce que ne pourrait faire une poignée de militants déterminés qui jettent le bon grain, l’effort du plus grand nombre le réalisera lors de la moisson qui se prépare. Il ne faut pas s’abandonner, se résigner, mais marcher la tête haute et au coude-à-coude avec ceux qui ne souhaitent que le salut de la Bretagne et le bonheur du peuple breton. L’essentiel est d’agir, ensemble si possible.

Aujourd’hui, des voix de plus en plus nombreuses et de plus en plus influentes s’élèvent pour que la Bretagne soit dotée d’un « statut » spécifique au sein de l’Europe. On ne peut que s’en réjouir. La revendication n’est pas nouvelle, mais qu’elle s’amplifie incontestablement est un signe des temps.

La Bretagne est notre pays, notre maison et cela doit rester ainsi parce que nous n’en avons pas d’autre.

Padrig MONTAUZIER, directeur de publication.

bretagne-titel.jpg

SOMMAIRE du numéro 64

Buhezegezh vreizh, page 2

Editorial, page 3

Buan ha Buan, page 4

Environnement

Le Green Deal européen et l’effondrement industriel de l’Europe, page 8

Société

La Bretagne défigurée ?, page 11

In Memoriam

Décès de l’abbé Marcel Blanchard, page 13

Politique

Éducation, les droits des parents, page 16

Hent an Dazont

Votre cahier de 4 pages en breton, page 19

history-of-ireland-life-in-celtic-ireland.jpg

Histoire de Celtie

Les femmes-champions dans la mythologie irlandaise, page 23

Histoire de Bretagne

Un point de vue politique (1ère partie), page 25

Géopolitique

La guerre en Ukraine

Un traumatisme vécu dans cette partie de l’Europe, page 28

Santé

Alimentation : un enjeu culturel majeur, page 31

Tradition

Les animaux sacrés et leur nom tabou, page 32

Civilisation celtique

Littératures écrites et orales des civilisations celtiques, page 33

atlantic-salmon-USFWS-large.jpg

Nature

La vie du saumon atlantique, page 36

Lip-e-bav

Tartare de Saint-Jacques, page 37

Keleier ar Vro

Une face cachée de la colonisation en Bretagne, page 38

Bretagne sacrée

Le château de Suscinio, page 39.

dimanche, 24 juillet 2022

Parution du n°63 de War Raok

iWR63ndex.jpg

Parution du n°63 de War Raok

EDITORIAL 

Nous n’avons jamais tant envie de sortir d’une maison que lorsque l’on y est enfermé de force  !

Le jacobinisme, fruit de la Révolution française, sévit impitoyablement sur ce pauvre Hexagone. D’autant plus dangereux qu’il se pare de toutes les qualités et vertus, et apparaît encore pour la grande majorité des hommes politiques français comme une nécessité ! Il est un des pires fléaux auquel il faut ajouter ce colonialisme exercé par l’État français, depuis l’avènement de sa belle Révolution, à l’encontre des peuples ethniques comme le peuple breton. Est-il utile de rappeler que cette Révolution française prétendant libérer le peuple du pouvoir absolu du Roi en rétablissait un autre encore plus absolu avec son système totalitaire.

La Bretagne qui, depuis la perte de son indépendance, jouissait d’une large autonomie, a vu, par un tour de passe-passe, ses libertés purement et simplement supprimées car assimilées à des privilèges. Dorénavant, il faut une Bretagne incolore, docile, soumise qui ne soit plus qu’une banale province française, que le reflet de cette France issue des Lumières.

On cherche ainsi à rendre les Bretons amnésiques et à effacer toute trace de souvenirs historiques ! Dans quelques temps plus tard on commettra sans vergogne, au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, les pires excès, les pires crimes. La France s’est faite par le fer, le feu et le sang reconnaissent volontiers les jacobins   et c’est pourquoi ils pensent qu’elle ne peut se maintenir que par la contrainte et la coercition. Ils n’ont pas compris que la contrainte engendre obligatoirement des réactions, légitimes et parfois violentes, et que l’on a jamais tant envie de sortir d’une maison que lorsque l’on y est enfermé de force. Ils ne se demandent jamais comment on peut être ou devenir autonomiste, souverainiste ou indépendantiste Breton, Corse, Flamand, Catalan, Basque...etc. Ils jugent et condamnent sans chercher à comprendre. Leurs actions néfastes n’ont que trop duré.

La France reste aujourd’hui le pays le moins évolué de toute l’Europe occidentale 

Depuis qu’ils sont au pouvoir, nos braves et indécrottables jacobins, épris de liberté, pratiquent en fait le centralisme démocratique. Sûrs d’eux, insensibles au temps qui passe, aux évolutions géopolitiques, ils demeurent immuables dans leurs convictions. Par leur aplomb, leur suffisance, ils donnent à leur République  une renommée usurpée. L’ « Une et Indivisible »  commence sérieusement à se fissurer, l’Europe des peuples sans État est en marche ! On entend des craquements dans la charpente vermoulue et fatiguée de l’édifice France aux fondations instables et mal assurées.

Jacobins, fanatiques « nationalistes » (les guillemets s’imposent car la France n’est pas une nation mais un État composé de nations) n’ont pas compris qu’en favorisant le nivellement, ils sont en train de creuser eux-mêmes leur propre tombe. Une véritable nation, un véritable peuple ne peuvent être qu’une communauté ethnique.

En fait les tenants de l’indivisibilité de la République française ne font-ils pas tout pour détruire leur République ? Ils se plaignent aujourd’hui ! Ils gémissent et pleurent même… Par leurs conceptions irréalistes et universalistes ils ont amené leur France à ce degré de dissolution et d’inconsistance que l’on connaît aujourd’hui.

Pour le peuple breton et les autres peuples embastillés dans la forteresse France, une émancipation s’impose et si l’ennemi reste encore aujourd’hui la République française, qui s’essouffle et qui n’engendre guère plus aucun enthousiasme, un nouvel ennemi menace et met en danger notre civilisation européenne et l’ensemble de nos peuples européens... Et contre cet ennemi-là nous devrons opposer un front résolu et sans faille.

Padrig MONTAUZIER

SOMMAIRE N° 63

Buhezegezh vreizh

Editorial

Buan ha Buan

Dossier Environnement

  • L’écologie pervertie au profit d’une idéologie politique
  • Les prédicateurs de la mondialisation
  • Génération Greta. Comment la peur de l’effondrement mobilise toute une société et ses médias
  • Éclairer la Bretagne. Sans indépendance énergétique pas d’autonomie économique !
  • En conclusion du dossier

Hent an Dazont

Votre cahier de 4 pages en breton

Politique

Quand les petits remplacements mènent au Grand Remplacement

Tribune libre

Nations et nationalismes : la grande confusion

Santé

De pauvres fruits et légumes

Capture d’écran 2021-05-27 à 16-38-53.png

Tradition

Le symbolisme du cerf

Civilisation celtique

Littératures écrites et orales des civilisations celtiques

Nature

Petit musicien de nos foyers : le grillon

acheter-andouille-guemene-778x778.jpg

Lip-e-bav

Andouille de Guéméné poêlée et lapin au cidre

Keleier ar Vro

La longue affaire du Bugaled Breizh

Bretagne sacrée

Les cimetières marins

 

samedi, 25 juin 2022

Ballades païennes en Velay

le-site-du-puy-en-velay-795x555.jpg

Ballades païennes en Velay

par Georges FELTIN-TRACOL

La fin de l’année scolaire approche, les élèves commenceront bientôt leurs grandes vacances estivales. Et s’ils visitaient en compagnie de leurs parents le Velay ? Cette province du Languedoc sous l’Ancien Régime correspond aux deux tiers de l’actuel département de la Haute-Loire. Au Nord, le Velay touche le Livradois. À l’Ouest, l’arrondissement de Brioude relève de l’Auvergne tandis qu’au Sud, à partir du gros bourg de Saugues où séjournait fréquemment le jeune Maurice Barrès, débute le Gévaudan, cette terre frappée à la fin du XVIIIe siècle par une terrible bête tueuse de femmes et d’enfants. En 2017 au terme d’une enquête remarquable, Pierric Guittaut a révélé dans La Dévoreuse. Le Gévaudan sous le signe de la Bête 1764-1767 (Éditions de Borée) l’identité certaine de l’animal.

ob_705dde_mezenc.jpg

Terrain volcanique avec la chaîne des Sucs, le massif du Meygal et le majestueux Mont Mézenc (photo), le Velay détient un riche patrimoine historique. Natif du Puy-en-Velay, épris de son terroir, Bruno Mestre, âgé de 25 ans, vient de publier aux Éditions de la flandonnière Le Velay païen. Histoire et mythologie (2021, 200 p., 28 €). Préfacé par Bernard Sergent et débutant par un prologue de l’ethnomusicologue Didier Pierre, par ailleurs directeur des Cahiers de Haute-Loire dont l’un des fondateurs fut l’universitaire Jean Merley, cet ouvrage magnifiquement illustré de photographies souvent prises par l’auteur explore l’héritage païen à travers des lieux superbes et leurs légendes.

thvelayumbnail.jpgBruno Mestre parcourt les chemins du Velay afin d’observer les pierres à bassins, les polissoirs néolithiques, les pierres à capules, les pierres à empreintes et autres signes en arceau ou « fer à cheval ». On y croise en outre des menhirs, des bornes militaires d’origine romaine ou une magnifique croix celtique médiévale. Il en existe une autre, tout aussi belle, sur le versant rhodanien du Pilat au-dessus de Condrieu. Mais est-elle d’époque ou plus récente ?

Le paganisme en terre vellave remonte aux tribus préhistoriques, aux Celtes, aux éventuels Ligures (hypothèse très contestée par les spécialistes), aux marchands grecs et aux Romains. Par des textes clairs et explicatifs qui allient la prospection en archives et l’enquête sur place, Bruno Mestre lève un large pan méconnu de l’histoire départementale pré-chrétienne. Par les indices qu’il recueille, il confirme le syncrétisme pagano-chrétien.

4548341-6812849.jpg

Le Puy-en-Velay demeure l’un des points de départ du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Sa cathédrale au style unique à la fois byzantin, roman et gothique abrite une Vierge noire dont l’allure se distingue des autres Vierges noires présentes dans le Massif Central. L’auteur y voit une permanence du culte de la déesse Isis, voire de la Déesse-Mère préhistorique.

Rocher_St_Michel_à_Aiguilhe.JPG

La cathédrale a été érigée sur le Mont Anis. Non loin se dressent le rocher Corneille (du dieu gaulois Cernunnos) et le dyke d’Aiguilhe surmonté d’une chapelle désaffectée dédiée à l’archange saint Michel. Si l’ami Arnaud Bordes y place dans les entrailles de cet amas d’origine volcanique le siège de la puissante société secrète plurimillénaire Murcie dans Pop Conspiration (Auda Isarn, 2013), Bruno Mestre rappelle que « le rocher d’Aiguilhe fait partie, avec les sites de Skellig Islande en Irlande, de Michael’s Mount au Royaume-Uni, du Mont-Saint-Michel en Normandie ou du Mont-Gargano en Italie, du réseau européen des sanctuaires mikhaëliques. Tous ces sites sont reliés par une “diagonale sacrée“ ».

la-forteresse-de-polignacc-photo-progres-remy-perrin-1628846088.jpg

À cinq – six kilomètres de la cathédrale se présente l’immense forteresse médiévale de Polignac située sur la commune éponyme. Construit au cours du Moyen Âge par la principale famille noble du Velay dont une branche règne aujourd’hui à Monaco, sur un éperon d’origine volcanique de 806 mètres « qui lui donne l’aspect quasi-irréel d’un paquebot rocheux flottant dans sa vallée », ce vaste complexe fortifié compte un « puit de l’oracle » et un masque d’Apollon. Le site de Polignac serait-il la « copie conforme du sanctuaire de Delphes ? » L’auteur estime que « les rapprochements que l’on peut faire entre Delphes et Polignac sont nombreux… et suspects ! » Il démythifie finalement la légende dorée du temple d’Apollon ou de Belenos...

Neuf itinéraires de découvertes pédestres parachèvent l’ouvrage. Bruno Mestre fait preuve d’une très grande honnêteté intellectuelle. Son Velay païen est un hymne d’affection pour sa patrie charnelle fière et sauvage malgré la péri-urbanisation. Son travail minutieux ravira tous les passionnés des mythes celtiques, les érudits folkloristes et autres amoureux d’histoire locale. Il célèbre en outre un département assez méconnu (ce qui n’est pas plus mal). C’est donc un livre enrichissant d’accès facile. Finissons par un jeu de mot très aisé : Le Velay païen est un Mestre-livre !

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 38, mise en ligne le 21 juin 2022 sur Radio Méridien Zéro.

dimanche, 03 avril 2022

Asturies, mythologie et identité

asturies-montagnes.jpg

Un pays ignoré, un livre inconnu

Asturies, mythologie et identité

Compte rendu du livre de Cristobo de Milio Carrín: La Creación del mundo y otros mitos asturianos.

La création du monde et autres mythes asturiens

par Carlos X. Blanco, Professeur de philosophie (Ciudad Real)

Source: https://decadenciadeeuropa.blogspot.com/2022/04/un-pays-ignore-un-livre-inconnu.html

cristobo.jpgRésumé :

Nous proposons une critique de ce livre sur la mythologie asturienne, La Creación del Mundo, y otros Mitos Asturianos, où sont exposés les mythes du folklore asturien recueillis à la lumière de comparaisons avec la mythologie celtique et d'autres domaines. Carrin expose les survivances d'une ancienne religion européenne, répandue dans la zone atlantique, mais occultée par l'obsession espagnole pour tout ce qui tourne autour du latin et de la Méditerranée. Ils fournissent également des indices sur les raisons pour lesquelles les asturiens ignorent largement ces questions cruciales.

We offer a review of this book on Asturian mythology, La Creación del Mundo, y otros Mitos Asturianos where myths are exposed in Asturian folklore collected in the light of comparisons with Celtic mythology and other fields. Carrin exposes the survivals of an ancient European religion, widespread in the Atlantic area, but obscured by the Spanish obsession for all things around Latin and Mediterranean. Also provide clues about why asturianists largely ignore these critical issues

Un excellent livre

Le manque de temps, une substance fugitive, nous impose la restriction de n'écrire des critiques que sur des livres excellents. Si, en plus de l'excellence, nous ajoutons la condition d'être inconnu, inaccessible, peu fréquenté, nous nous trouvons devant ce que l'on peut sans doute qualifier de "trésor" (ayalga est le mot asturien qui vient à l'esprit). La création du monde et autres mythes asturiens, de Cristobo de Milio Carrín, est, sans aucun doute, l'un de ces trésors cachés, peu connus, qui méritent une plus large audience (Carrín, 2008). Un trésor, une ayalga.

Cristobo de Milio a travaillé pendant de longues années de silence et sans aucun soutien officiel ou académique (pour autant que je sache), à la rédaction d'un volume épais mais lisible consacré à la mythologie asturienne. L'édition, réalisée par l'auteur lui-même, est soignée et comporte quelques photographies dans ses pages centrales. La structure du livre en différentes parties, avec un résumé à la fin de chacune d'elles, ainsi que des conclusions et une bibliographie étendue, font de ce travail un objet précieux pour l'étudiant érudit de la mythologie, non seulement asturienne et péninsulaire, mais européenne en général.

Centré sur la mythologie asturienne, le livre de Cristobo est l'une des rares tentatives, je ne sais pas si c'est la première, visant à son interprétation au-delà de la vulgarisation. La mythologie asturienne est une grande inconnue, et ce sont les folkloristes des XIXe et XXe siècles qui ont tenté d'extraire un catalogue d'êtres féeriques des légendes populaires, de la tradition orale du peuple paysan.

asturien-map-lng.gif

Dès l'époque du romantisme du XIXe siècle, le courant de la culture celtique a commencé à se répandre parmi les chercheurs les plus périphériques d'une Espagne qui se reconnaissait officiellement plus latine et méditerranéenne qu'atlantique. Comme on le sait, c'est en Galice que la culture celtique a attiré le plus grand nombre d'adeptes et que la production littéraire et savante celtique est encore assez abondante (Beramendi, 2007).

Celtisme et Covadonguismo.

Nous pouvons maintenant comparer la Galice à une Asturie qui est aveugle à elle-même, à ses propres sources ethnologiques et historiques, une Asturie victime du "Covadonguismo", c'est-à-dire victime d'une idéologie que ses propres élites propagent depuis de nombreuses années : que "les Asturies sont l'Espagne et le reste est une terre conquise", que les Asturies n'ont d'entité et d'importance historique et ethnologique que dans la mesure où elles ont dû être le "berceau" d'une nation espagnole pratiquement éternelle, préexistante dès la préhistoire et, bien sûr, en gestation dans cet étrange acte de Covadonga, au début du VIIIe siècle.

Parmi certains rochers féroces, on prétend que des Asturcantabriens non moins féroces, dirigés par un Goth et avec l'objectif de restaurer une monarchie gothique perdue au profit des Maures - une monarchie plutôt inamicale et éloignée des intérêts et des motivations des farouches montagnards asturiens - ont vaincu la plus grande puissance de l'époque, l'Islam. Ce n'est pas le moment de revenir sur la bataille de Covadonga, elle-même un mythe fondateur, bien que basé sur des événements réels. Mais il est important dans cette revue d'expliquer la raison du blocage du celtisme dans les Asturies et, par la suite, la raison de la méconnaissance du livre de Cristobo Carrín.

Covadonga, le Gesta ou mythe fondateur, est un mythe classique "des débuts", mais des débuts de quoi ? De la nation espagnole uniquement? Ce préjugé, cette idée non critique et neutralisante, l'idée d'une Espagne déjà préexistante au VIIIe siècle, et même renaissante à partir des précédents goths et romains, est ce qui a bloqué l'idée de Covadonga comme acte fondateur, comme "Mythe des commencements" d'une autre peuple, le peuple asturien sensu stricto. Le fait que les Asturiens aient en partie absorbé l'idée qu'"ils sont les Espagnols purs", a bloqué la recherche objective des racines celtiques des Asturiens qui, comme les Cantabres, les Galiciens et d'autres peuples du nord-ouest de la péninsule ibérique, sont partagés dans un continuum difficile à remettre en question du point de vue archéologique, ethnique, folklorique, etc.

Bien sûr, le celtisme du XXIe siècle est très différent de celui qui était défendu dans le passé. Aujourd'hui, il s'agit du sauvetage d'une civilisation, la civilisation celtique, qui était globale et large, et qui existait bien au-delà de la diversité des races et des ethnies que ce monde mental rassemblait. L'élément religieux et culturel est le plus remarquable de tous ceux qui l'ont caractérisé, bien que l'art, les armes, les sépultures et autres témoignages matériels ne fournissent guère de preuves complètes de l'univers mental des Celtes. Dans la péninsule ibérique, et plus encore dans le Nord-Ouest de celle-ci à l'époque préromaine et romaine (étant donné la latinisation superficielle de ces régions, même après l'arrivée des musulmans), nombreux sont ceux qui préfèrent parler de culture "atlantique", comme si le choix d'un terme géographique réduisait les connotations raciales indésirables - pour certains - qui sont généralement attachées au terme celte. Mais peu importe: plus personne n'accepte l'homogénéité raciale des peuples celtiques, et il n'existe pas de critère trop objectif pour indiquer le plus haut degré de "celtisme" d'un peuple.

Au siècle dernier, on a utilisé le critère de la survie linguistique: il n'y a pas de survie des langues celtiques dans la péninsule ibérique, a-t-on dit, comme dans les îles britanniques et en Bretagne, et par conséquent, l'astur, le cantabrique et le galicien seraient en dehors de cet univers mental. Il est aujourd'hui reconnu, au contraire, que le Nord-Ouest de la péninsule - dans son ensemble - était une région importante de la civilisation celtique. Les témoignages linguistiques, archéologiques, ethnologiques, etc. s'accumulent pour former une masse énorme que la romanité académique s'acharne inutilement à ignorer.

7893730956_7147ffbde9_b.jpg

Romanomanie

Nous appelons romanomanie (Carrín et Álvarez Peña, 2011) toutes les tentatives académiques, surtout archéologiques, visant à minimiser l'importance des cultures "indigènes" ou "préromaines" du Nord-Ouest de la Péninsule, et surtout des Asturies, mettant plutôt en évidence la mission civilisatrice de l'Empire romain dans une zone dont l'influence - incontestable, par ailleurs - était plutôt pauvre ou discrète par rapport aux autres régions de l'ancienne Hispanie (le Nord-Ouest était une véritable limite de la barbarie, c'est-à-dire de la non-romanité, par rapport aux régions levantines et méridionales de l'Espagne, par exemple). L'agrandissement d'un Gijón/Xixón romain, d'une supposée "Ruta de la Plata", la dissimulation et l'abandon délibéré des importantes fortifications défensives de La Carisa, et un long etc, ont dessiné le paysage d'une Archéologie d'un Gijón/Xixón romain et ont dessiné le paysage d'une archéologie asturienne fortement infiltrée par les débats idéologiques, dans laquelle Rome apparaît - curieusement et pittoresquement - pour certains politiciens et gestionnaires régionaux et municipaux - comme une transcription de l'"Espagne", tandis que les Asturiens, n'étant pas reconnus comme un peuple homogène et suffisamment fort pour constituer un contre-pouvoir résistant à l'Empire, contre toute évidence scientifique, apparaissent désormais comme les fantômes nationalistes ou séparatistes qui menacent le rêve centraliste jacobin d'une Espagne unitaire.

Il est pour le moins curieux que des événements qui se sont déroulés il y a deux mille ans suscitent autant de boursouflures parmi les forces centralistes représentées dans les Asturies (PSOE, PP, VOX, Podemos), et que les Asturiens, bien que par des moyens inconscients et à travers des complexes psychologiques difficiles à expliquer, continuent d'être un peuple inconfortable. Ces Asturiens qui ont résisté à Rome (et plus tard à l'Islam) semblent être l'archétype de ce que les Asturiens continuent d'être au fond d'eux-mêmes : un groupe ethnique qui ne semble colonisé et oublieux de lui-même qu'en apparence. Ceux qui souffrent de cette romanophilie ont tendance à se placer idéologiquement dans la sphère du nationalisme espagnol, un type de nationalisme qui exclut normalement les périphéries et qui s'identifie, de manière raisonnée ou non, à l'idée de l'Empire. L'Empire hispanique (aujourd'hui, simplement, le Royaume d'Espagne) serait le prolongement de cet Empire de Rome.

L'université tourne le dos

Dans les Asturies, l'introduction tendancieuse, voire le veto à l'introduction elle-même, de certaines sciences humaines et sociales (comme l'anthropologie culturelle ou l'ethnologie) à l'Université a dépendu de diverses circonstances curieuses, circonstances qui remontent à la fin de l'ère franquiste. Le rôle joué par des egos trop influents et très valorisés, comme celui de Gustavo Bueno, a empêché jusqu'à présent la création d'études académiques en Anthropologie (ou Ethnologie), qui pourraient mettre en valeur l'énorme patrimoine que le peuple asturien nous a laissé dans son histoire. La culture asturienne a été négligée par l'Université d'Oviedo, une institution absente de tant de réalités fondamentales de la Principauté, et surtout inattentive aux choses du pays où se trouve l'Université. Dernièrement, des manuels ou des ouvrages généraux consacrés à l'étude de la culture ou de l'anthropologie des Asturies sont apparus (par exemple, Adolfo García, 2008), mais dans ce domaine, il me semble que la fertilisation et la culture continuent de dépendre des efforts individuels plutôt que du soutien institutionnel.

1200px-Flag_of_Asturias.svg.png

Le travail des individus

Si l'on laisse de côté l'inaction des universitaires et des institutions en matière d'ethnologie, il convient de souligner le travail méritoire de certaines personnes qui mettent au jour l'immense patrimoine oral du peuple asturien, sans le moindre préjugé romanomaniaque ou espagnoliste. Je fais référence au collectif Belenos qui, depuis de nombreuses années, publie une excellente revue (Asturies, Memoria Encesa d'un País) et organise des rencontres scientifiques au cours desquelles, malgré le climat hostile qui règne dans les Asturies à l'égard de la culture celtique, il transmet à la société l'image correcte de ce pays : un vieux pays atlantique, fortement lié aux autres peuples du nord-ouest de la péninsule ibérique (Galice, Lleón, Cantabrie), mais avec des liens très anciens et plus étroits qu'on ne le pense avec les autres pays atlantiques.

En face de la Mare Nostrum, la Méditerranée, il y avait jusqu'à l'époque moderne une autre mer, plus au nord, qui devait aussi être un vecteur de communication et de jumelage des peuples. En fait, comme on le disait dans l'Antiquité, les Asturies étaient bordées au nord, avec la mer entre les deux, par les îles britanniques et les côtes d'Aquitaine et de Bretagne. Avant l'obsession de l'asphalte des autoroutes et la manie de l'AVE [train à grande vitesse], qui afflige tant d'Asturiens aujourd'hui, la mer était un moyen de communication culturelle plus rapide et plus efficace, bien plus que ces chemins de chèvres qui, presque jusqu'à aujourd'hui, faisaient communiquer la Principauté avec le plateau, c'est-à-dire avec l'Espagne. Ces routes, d'ailleurs, étaient fermées aux calèches pendant les chutes de neige de l'hiver. Les Asturies ont été liées pendant des milliers d'années à ces autres régions et pays d'Europe.

Alberto Álvarez Peña est membre de Belenos et auteur prolifique de livres sur la mythologie asturienne (Álvarez Peña, 2001). Nombre de ses textes peuvent être lus dans la maison d'édition Picu Urriellu, des livres dans lesquels apparaissent de magnifiques dessins du chercheur et diffuseur du folklore asturien lui-même. Contrairement à ses prédécesseurs, comme Aureliano del Llano ou Constantino Cabal, l'œuvre d'Alberto A. Peña n'est pas contaminée par des préjugés espagnolistes, castillanisants.

Il est bien connu que les précédents chercheurs en folklore asturien avaient tendance à considérer la culture asturienne comme un sous-système de la supposée culture espagnole, parallèlement à leur conception de la langue: ils avaient tendance à considérer l'asturien (dont les informateurs s'exprimaient toujours dans certaines de ses variantes) comme un sous-système de l'espagnol ou du castillan. Le celtisme plus ou moins diffus, mais jamais aussi explicite que celui de la Galice, me semble avoir été subordonné à la théorie de l'"héritage commun" des Hispaniques, sans parler des liens atlantistes avec la Bretagne, l'Irlande, l'Écosse, le Pays de Galles... Alberto Peña rompt avec cette tendance, il fait aussi du travail de terrain, c'est-à-dire qu'il profite des derniers informateurs qui restent dans le pays, un pays tellement détruit par un industrialisme que les Asturiens n'ont ni recherché ni désiré, mais qui leur a été imposé de l'extérieur, transformant les Asturies en une colonie minière et sidérurgique. Cette colonie industrielle - et en cours de concentration urbaine - a tué la campagne asturienne et avec elle le véritable être du pays, c'est-à-dire ses traditions, son droit, sa langue, sa musique. Avant que ne survienne la catastrophe où 90% des Asturiens (encore des Asturiens ?) vivent dans le triangle Xixón-Uviéu-Avilés, il existe encore des dépositaires vivants de la tradition. Mais pour cela, il faut chausser ses bottes, marcher le long des sentiers (caleyes), explorer les villages et les vallées, parler aux habitants. Parler et écouter les habitants d'un pays beaucoup plus grand qu'il n'y paraît sur les cartes, cartes sur lesquelles les Asturies sont généralement dessinées comme une petite province coupée au nord-ouest de l'Espagne, dans une Espagne qui semble grande en comparaison. Si par Asturies anthropologiques et linguistiques nous entendons un Pays Asturien (selon la proposition de l'universitaire X.Ll. García Arias) qui déborde les limites administratives de l'actuelle Principauté et inclut León, entre autres, le pays asturien prend d'autres dimensions. De manière plus générale, si nous plaçons le point central dans le golfe de Gascogne et non dans le golfe de León : alors les Asturies peuvent être comparées à la Bretagne, au Pays de Galles, à l'Irlande et à d'autres nations, pour la plupart sans État, mais sans aucun doute des nations culturelles.

03692_Oviedo.jpg

La méthodologie

Le livre que nous analysons ici se situe dans un univers mental très proche de celui du groupe Belenos et de l'ethnographe Alberto A. Peña. Il n'y a pas beaucoup de matériel direct collecté de première main, "travail de terrain", bien qu'il ne manque pas de notes recueillies personnellement par l'auteur ou par d'autres informateurs directs. Non, en effet, il ne s'agit pas d'un ouvrage empirique, mais plutôt d'un livre de mythologie comparée au sens le plus classique du terme. Comme Cristobo Carrín le dit lui-même dès le début, le guide pour établir les comparaisons se veut être le plus simple "bon sens". Il semble que ce soit la volonté de l'auteur de ne pas s'égarer dans d'autres voies épistémologiques ou métathéoriques. Il y a le matériel recueilli par les ethnologues du monde entier, y compris ici une mention spéciale du matériel écrit déjà classique de la mythologie mondiale (du Mabinogion à l'Iliade). Avec ce matériel en main, Cristobo procède à de nombreuses triangulations : par exemple, les légendes irlandaises, grecques et asturiennes. La liste des éléments communs montre déjà la grande similitude des personnages et des récits asturiens avec ceux de la mythologie occidentale, notamment atlantique. Et de cette liste de similitudes, de clichés presque identiques, émergent aussi les différences notables développées sur la même structure commune: plus ou moins grande christianisation de la légende, plus ou moins grande évergétisation des personnages divins, plus ou moins grande dégradation sociale des personnages, etc.

Cette simplicité méthodologique peut agacer le corps académique, très enclin à suivre les modes étrangères et les disquisitions épistémologiques de plus en plus éloignées d'un matériel empirique souvent éloquent. Cela explique en partie pourquoi ce livre est tombé dans l'oubli. Pour moi, en particulier, cela semble être l'une de ses grandes vertus. On a l'impression que l'auteur a assemblé son hypothèse comme s'il rassemblait les pièces les plus diverses d'un puzzle, des pièces qui, au cours de l'histoire, étaient devenues des unités sans lien entre elles, des monades dépourvues de sens en elles-mêmes, des fossiles d'époques absurdes qui n'avaient rien à voir avec autre chose que la répétition même de phrases, d'histoires et de rites. Une répétition qui se justifierait d'elle-même. Mais en assemblant le puzzle, la situation change.

Par exemple, si dans un village asturien on répète sans cesse "cuando llueve y fai sol, anden les vieyes alredor" [quand il pleut et qu'il fait soleil, les vieilles femmes se promènent], il faut se demander qui sont ces "vieyes" -vieilles, en asturien ? Ce ne sont pas simplement les vieilles femmes de l'endroit, et d'ailleurs, quelle relation les grands-mères ont-elles avec les phénomènes atmosphériques ? De plus, dans les Asturies, l'arc-en-ciel (qui a tendance à apparaître précisément les jours où il pleut et où le soleil brille) s'appelle "Arcu la Vieya". Qui ou quoi est ce "vieya" ?

La simplicité de la méthode de comparaison permet de découvrir des indices et encore des indices. Comme dans d'autres pays européens et atlantiques, la Vieya est une manière anthropomorphique de désigner une divinité féminine qui contrôle les phénomènes atmosphériques, une femme d'un âge avancé peut-être pour mettre en valeur son caractère immortel, vénérable, "plus vieille que le monde", une Terre-Mère dont tout et tous, au fond, proviennent. Cette Vieya apparaît souvent en triade, accompagnée de deux autres divinités plus jeunes et plus belles. L'apparition de la Vieya ou de la Triade brandissant un fuseau, thème récurrent dans la mythologie et le folklore européens et asturiens, nous rappelle l'iconographie des Parques de la mythologie classique, ces terribles fileuses entre les mains desquelles repose le destin qui, littéralement, "ne tient qu'à un fil".

9788491218289.jpg

Fuyant le diffusionnisme romanophile

En revanche, le Cristobo de Milio Carrín est très austère en matière de spéculation sur l'origine et le sens profond de tous ces mythes. Les thèses générales du livre sont également très proches du bon sens, et devraient être plus largement diffusées auprès du public. Dans les Asturies, toute allusion à la celtisation des Asturiens et des Cantabres est déjà l'objet de la colère irrationnelle des "romanomanes". Tout comme il serait absurde de nier notre héritage latin (dans la langue asturienne, dans la religion chrétienne, dans les vestiges archéologiques, etc.), bien que beaucoup moins important que celui d'autres territoires de la Péninsule, notre héritage celtique ou atlantique est tout aussi indéniable. À partir du moment où le panthéon celtique est clairement et purement dérivé du panthéon indo-européen commun, de nombreuses similitudes entre la religion de l'Europe ancienne (et donc asturienne) et la religion grecque et romaine sont évidentes, et grâce à cet argument, l'argument (très souvent utilisé par G. Bueno et son école) a été avancé dans les Asturies, ad nauseam, comme un moyen de diffusionnisme diffusionniste. Bueno et son école) selon laquelle tout, absolument tout élément culturel ancien des Asturies, notamment préchrétien ou asturien, est d'origine gréco-romaine et méditerranéenne. Les résidus atlantiques ou celtes ne seraient que pure et simple sauvagerie. On a même dit que les castros étaient romains, que les cornemuses avaient été apportées par les légions, que le diañu ou busgosu [gobelins et lutins spécifiques au peuple asturien] moqueur était le satyre des classiques latins, etc. Les obsédés de la Méditerranée refusent toute civilité à l'Atlantique (ou au Cantabrique dans notre cas) et, maniant les homologies culturelles qui sont dues à un passé indo-européen commun issu de la lointaine préhistoire, ils penchent - au contraire - vers un diffusionnisme irrationnel. Ces jours lointains où l'on défendait la maxime ex oriente lux sont encore valables aux Asturies en raison de l'influence excessive que subit le pays de la part d'une petite clique d'universitaires et de journalistes plongés dans une sorte de complexe provincialiste. Les Asturies sont pro-vincia ("vaincus", au sens étymologique) de l'Espagne, dans leurs schémas idéologiques, de la même manière que le territoire des Asturiens (qui ne coïncide pas avec l'actuelle Principauté, comme on le sait) l'était aussi après la conquête romaine. Curieusement, à Gijón/Xixón, il y a un monument masochiste au Conquérant Auguste, la cause de tant de morts et d'esclavages, comme il sied à tout impérialiste.

Le fameux "syndrome de Stockholm", en vertu duquel les kidnappés, les victimes, en viennent à s'identifier moralement et affectivement à leurs ravisseurs ou bourreaux, est bien connu. Des processus similaires se produisent dans l'histoire des peuples. La "nomenclature" d'Oviedo, bien installée dans la bourgeoisie et la bureaucratie, fait la sourde oreille à toute histoire ou recherche qui défend le caractère national, ou même la spécificité régionale de sa "province", bien qu'elle soit devenue un Royaume médiéval, une Principauté quasi-indépendante à l'époque moderne, bien qu'elle ait sa propre langue et des caractéristiques claires. Cette nomenclature - largement représentée dans une université comme celle d'Oviedo, qui a toujours tourné le dos au pays - est sourde à toutes les preuves qui restent inexploitées intellectuellement.

51-f8Kzl1AL.jpg

Asturianisme, en Babia [en Espagne, "estar en Babia" signifie ne pas avoir conscience d'un problème urgent.]

Il est évident que la nomenclature romanomaniaque pro-méditerranéenne est devenue très forte dans la presse et dans l'enseignement depuis l'époque du franquisme, époque longue et centraliste, époque du nationalisme espagnol intransigeant qui a coupé les discrètes avancées régionalistes de l'époque précédente, initiées par l'indispensable Jovellanos. Mais, dialectiquement, il faut aussi tenir compte de l'absence d'une classe intellectuelle asturianiste solidement établie, aimée et reconnue par la société à laquelle elle appartient. Il y a, en effet, quelques personnes qui, à part Cristobo Carrín, comprennent les Asturies en termes de nationalité. Il convient de répéter la mention, dans le même domaine, d'Alberto A. Peña, et dans le domaine des essais, plus en termes de philoso-identité que d'ethnologie, de Xuan Xosé Sánchez-Vicente, Xaviel Vilareyo et, dans sa brève période d'asturianisme, José Carlos Loredo Narciandi.

L'intérêt de ces quelques auteurs pour les Asturies en tant que "fait national" réside également dans le fait qu'ils ont utilisé la langue asturienne comme vecteur de réflexion sur ce qu'est l'Asturie, sur la place qu'elle doit occuper en Espagne, en Europe et dans le monde et, bien sûr, sur les caractéristiques ethnologiques qui différencient la culture asturienne des autres cultures environnantes. Les essais de ces écrivains, généralement isolés et incompris dans leur propre environnement provincialiste et "acculturé", sont comme des oasis dans un désert. Ils sont comme des oasis dans un désert, un désert où prédomine l'ignorance par la population de sa propre langue, de sa culture, de ses traditions et de son histoire. Il est évident que la liste des écrivains en langue asturienne dans des genres tels que la poésie, les romans, les nouvelles, etc. est beaucoup plus longue, mais je n'ai pu voir l'analyse profonde et calme de la nationalité asturienne que chez ces trois personnes mentionnées, qui ont également écrit en langue asturienne.

Le plus grand problème du nationalisme et du régionalisme asturien ne réside peut-être pas, curieusement, dans cette "nomenclature" qui refuse de reconnaître la nationalité des Asturies, son caractère, sa langue, sa tradition, sa propre histoire politique... Le plus grand problème du nationalisme ou du régionalisme asturien réside dans les asturianistes et les nationalistes eux-mêmes, et nous allons voir brièvement pourquoi.

La "nomenklatura" nationaliste espagnole est en effet forte à gauche et à droite du spectre idéologique, et bénéficie de tribunes importantes telles que le professorat et la presse. Elle a également réussi pendant des décennies (et même des siècles) à instiller une sorte de "haine de soi" (selon les termes de Sánchez-Vicente) dans la masse du peuple qui, conscient de sa spécificité, a néanmoins été mentalement associé à une condition d'infériorité ou de subalternité vis-à-vis d'une culture officielle et unitaire, la culture espagnole. Mais le plus grand obstacle à cette situation, qui a été renversée (au moins en politique et en éducation, ce qui revient au même) en Euskadi, en Catalogne et, plus près de nous, en Galice, réside dans la myopie et l'aveuglement des quelques personnes qui se prétendent asturianistes (qu'elles soient nationalistes ou régionalistes, une distinction politique qui n'est pas pertinente ici). Parce que, pour en revenir au livre de Cristobo Carrín, ce même texte peut servir de symptôme: quelle a été la réaction de l'asturianisme face à un effort personnel de recherche et d'autoédition, consacré à retracer les racines religieuses de nos aînés ? J'ose dire aucun. Les écrivains en asturien, en général, ou les dirigeants (un mot trop grand pour eux) de minuscules partis qui revendiquent pompeusement la réalité nationale du pays des Asturies, sont peut-être des gens très méritants dans d'autres domaines, mais ils ne savent presque rien des Asturiens, de leurs mythes, de la survivance des rites et des mythes ancestraux encore vivants dans le folklore, et très peu de l'histoire du pays avant la Révolution de 1934. J'ai vu des livres et des articles en langue asturienne sur l'Afrique du Sud, Gaza, l'"Euskalherria", par exemple. Mais peu sur l'asturien. Les préoccupations "internationalistes" remplissent les pages web de ces petits médias qui tentent de sortir de la sphère unitariste de l'espagnolisme. Mais La Creación del Mundo y Otros Mitos Asturianos est écrit en espagnol et ce simple fait aliène déjà les lecteurs potentiels intéressés par les Asturies en tant que peuple ancestral. Des lecteurs qui, s'ils croient vraiment en une nationalité asturienne, devraient accorder l'importance qu'elle mérite à la mythologie et aux traditions du peuple pour lequel ils revendiquent des droits collectifs.

asturies,espagne,terres d'europe,celtisme,romanomanie,mythologie asturienne,mythologie,traditions,terroirs,racines

La bataille culturelle, qui est celle qui nous intéresse le plus ici, est perdue d'avance de la part de la minorité asturianiste, si ce secteur n'est pas en mesure d'étudier les racines d'une culture européenne comme l'Astur en elle-même, sans imposer les conditions de subalternité que les folkloristes précédents (le groupe "La Quintana", A. del Llano, C. Cabal) ont établies pour cette étude. Le nationalisme culturel est la seule condition de possibilité qui permette un nouvel épanouissement du nationalisme politique. L'accent excessif mis sur les revendications linguistiques a conduit de nombreux intellectuels et écrivains qui veulent ou ont voulu échapper à l'uniformisme espagnol dans les Asturies à tomber dans des attitudes réductionnistes, bien connues dans la Principauté sous le nom de "talibanismo" [fanatisme, comme le fanatisme religieux des musulmans d'Afghanistan]. Un phénomène caractérisé par l'intransigeance à l'égard des positions non-conformistes, l'obsession du langage et l'oubli de l'histoire, le jargon pseudo-révolutionnaire, etc.

Une œuvre comme celle-ci, qui fournit des indices - le temps nous dira s'ils sont erronés - sur le passé celtique ou, en général, indo-européen des Asturiens, est largement ignorée par le simple fait que le véhicule linguistique dans lequel elle a été écrite, le castillan. Une langue que, inutile de le dire, cent pour cent des Asturiens maîtrisent et comprennent mieux ou moins bien. Dans son important article sur le nationalisme et l'identité dans les Asturies, José Carlos Loredo (Loredo, 2009) met en évidence de nombreuses pathologies du soi-disant asturianisme, pathologies qui, si elles ne sont pas corrigées, conduiront à l'échec encore et encore. Car je crois, comme lui, qu'aussi justes que soient les revendications linguistiques et nationales, les méthodes et formes sectaires dans lesquelles elles sont parfois véhiculées parviennent à dénaturer complètement le problème. Si les Asturies sont une entité culturelle sur un pied d'égalité avec d'autres entités culturelles nationales : bretonne, galloise, basque ou galicienne, par exemple.

Dans son prologue, l'auteur de La Creación del Mundo fournit lui-même une série de clés qui permettent de répondre à cette énorme contradiction dans laquelle se trouvent les chercheurs et les défenseurs d'une culture nationale asturienne. D'une part, la grande masse de la société asturienne considère avec danger et suspicion toute recherche qui parle, non pas de nationalité, mais de la spécificité de l'asturianité. Comme le dit Cristobo, on reçoit même des épithètes peu amènes comme "plouc" ou "séparatiste" pour avoir agi ainsi. Nous avons déjà mentionné que la "nomenclature" au service d'un nationalisme espagnol intransigeant est très bien représentée à l'université, dans l'enseignement secondaire, dans le journalisme, dans l'élite politico-syndicale, etc. Et c'est le cas, plus ou moins, depuis des siècles. Mais la marginalisation de la langue asturienne, dénoncée devant les tribunaux d'État et les instances européennes compétentes, n'a pas suscité une réaction populaire suffisamment forte depuis les années 70 du siècle dernier, date de la fondation de Conceyu Bable. Il se passe quelque chose. Le fait suivant fait peut-être partie du problème: la revendication linguistique de l'asturien ne s'est pas accompagnée d'une réinterprétation profonde des traditions ancestrales, du système de mythes, de l'organisation paysanne naturelle, du droit traditionnel, etc. Tout cela est inconnu d'une minorité de "talibans" qui prennent des modèles étrangers (et malheureux) tels que basque, irlandais ou cubain pour leurs revendications au lieu de trouver un miroir dans lequel ils peuvent simplement se voir comme asturiens.

Des miroirs pour voir et déformer

Tout cet écheveau linguistique est analogue à l'écheveau ethnologique que l'auteur démêle pour nous. Il faut savoir qu'il existe des miroirs déformants qu'il est préférable de ne pas posséder. J'ai déjà mentionné le miroir déformant du "basquisme", et ses concomitants (minoritaires, heureusement) en termes de radicalisme verbal, de mauvaises manières, de séparatisme ridicule et déconnecté de la masse sociale qui, à la lumière de toutes les enquêtes sérieuses, s'identifie plus à l'asturien qu'à l'espagnol, mais sans établir une disjonction exclusive avec l'espagnol... Un autre miroir déformant serait aussi le celtisme s'il était lié (comme il l'a été en Galice dans le passé) à des attitudes racistes ou, au moins, racisantes. Mais il n'y a rien de tel dans des ouvrages tels que celui qui fait l'objet de la présente analyse, ou dans le groupe de recherche de Belenos. Au contraire, M. Carrín insiste sur le caractère universel de nombreux mythes bien attestés dans les Asturies, ainsi que sur l'indéniable continuum avec León et d'autres régions du nord et du plateau qui, ne l'oublions pas, étaient également des territoires asturiens, un territoire qui, à mon avis, était tout à fait celtique (la grande civilisation celtique était plurielle et consistait en une succession de couches ou de degrés de celtisation) et, en revanche, peu romanisé. Le miroir déformant du celtisme, contrairement au prisme grossier du basque, peut remplir d'importantes fonctions correctives. Je m'explique : dans la mesure où la vie de cette culture, qui était bien sûr la perdante de Rome, ne nous est pas directement accessible, il ne nous reste plus qu'à corriger tous les filtres longs, puissants et terriblement efficaces qui ont été accumulés sur un matériau primordial. La méthode qui nous reste pourrait être comparée à celles-ci : une "purification" d'une substance au sens chimique, un examen archéologique des couches les plus profondes, sans se laisser tromper par les plus superficielles ou les plus récentes, une suppression des ajouts modernes pour redonner à un bâtiment ancien sa splendeur d'antan, etc. Toutes ces analogies nous aident à comprendre l'engagement de Carrín.

8281239825_4cb8a7325f_b.jpg

Il convient donc de se poser la question : des miroirs déformants ? Oui, certains nous conduisent à la perdition et à l'erreur. D'autres, en revanche, contrebalancent la distorsion de leurs rivaux plus forts et plus efficaces. Il ne fait aucun doute que l'action du miroir "castillan-centrique" a presque succombé aux traits culturels de la nationalité asturienne, mais, d'autre part, le miroir celtique - étant nécessairement une déformation, puisque la civilisation des perdants de Rome est largement inconnue - sert à contrecarrer les tendances centralisatrices, obsédées par la Méditerranée et l'empreinte latine de toute histoire possible.

Il existe un autre miroir et filtre de la déformation (et l'histoire, dans une large mesure, n'est que cela, la déformation) que nous devons commenter. Je fais référence au christianisme. Il est fascinant de lire dans le livre de Cristobo de Milio Carrín comment la vie des saints (hagiographie) aux racines populaires, et l'emplacement des sanctuaires (marial, surtout, notamment celui de Covadonga) peuvent être compris à la lumière de l'ancienne religion celtique et, plus généralement, indo-européenne. Le revêtement chrétien n'était pas toujours un placage léger, mais il s'agissait en tout cas d'un renouvellement de l'ancien rituel et de l'ancienne mythologie. La dévotion populaire des Asturiens trouve ses racines dans des dates bien antérieures à la naissance du Christ et à l'expansion de son Église. C'est une chose que comprend tout Asturien qui n'est pas déconnecté de son pays et de son essence rurale, et qui est également perçue par tout visiteur étranger mais observateur.

Mon compte-rendu se conclut simplement en recommandant la lecture du livre. Si elle doit être critiquée depuis les domaines spécialisés de l'ethnologie, de la mythologie comparée, du folklore, etc. Mais elle ne mérite en aucun cas d'être ignorée.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

(Álvarez Peña, 2001) : Mitología Asturiana. Picu Urriellu, Xixón.

(Beramendi, 2007) : De Provincia a Nación. Xerais, Santiago.

(Carrín, 2008) : La Creación del Mundo y otros Mitos Asturianos, édition d'auteur, Uviéu.

(Carrín et Álvarez Peña, 2011) : "Romanómanos : delirios imperiales en el Xixón de hoy". Atlántica XXII, pps. 21-22.

(García, 2008) : Antropología de Asturias. I : La cultura tradicional, patrimonio de futuro. KRK, Uviéu.

(Loredo, 2009) : "Apuntes sobre nacionalismo, identidad y Asturias", Nómadas, nº 24, 149-157 : http://www.ucm.es/info/nomadas/24/jcloredo.pdf.

lundi, 27 décembre 2021

Parution du n°62 de War Raok

thuwr64mbnail.jpg

Parution du n°62 de War Raok

EDITORIAL

Les effets de l’acculturation en Bretagne

Le destin de la Bretagne est fondé sur son identité, sa culture, son histoire!

La culture est l’ensemble des valeurs, des traditions et coutumes d’un peuple. Elle reflète le mode de vie et la vision du monde d’une communauté donnée. C’est toute l’identité d’un peuple. La culture est aussi le reflet de l’histoire, c’est-à-dire le vécu d’un peuple dès son origine et à travers les âges. L’acculturation est le rejet de ses valeurs, ses coutumes et traditions pour s’approprier des valeurs culturelles d’un autre groupe humain, en cherchant à s’identifier à ces mœurs et coutumes. Cette domination culturelle est une nouvelle forme de colonisation dont les médias aux ordres constituent les véritables instruments d’acculturation et en sont les principaux organes de promotion. Nous ne sommes pas sans savoir que tout changement de comportement, des coutumes et traditions, reflets du passé d’un peuple, conduisent à la disparition de ce peuple, de son identité et de sa culture.

La culture est l’âme vivante d’une nation et c’est ce qui fait qu’une nation est différente d’une autre. Selon un principe anthropologique, toutes les cultures se valent, ce qui veut dire qu’il n’y a pas de culture qui soit supérieure à d’autre, puisque chaque culture a ses particularités et reflète un passé différent et unique d’un peuple. Et, c’est à travers les spécificités culturelles qu’on distingue les peuples, à savoir leur mode de vie, leur vision du monde, leur croyance.

Dans le cas de la Bretagne, si la politique de l’État français a été de tout temps de s’attaquer particulièrement à la langue bretonne, l’enseignement de l’histoire de la Bretagne n’a pas été épargné pour autant. Il est vrai que si les Bretons avaient eu une parfaite connaissance de leur histoire, nous ne serions très certainement pas dans cette situation actuelle de sujétion, dans cet état de dépendance et aurions recouvré depuis fort longtemps nos libertés perdues. La dimension celtique de l’histoire et de la culture bretonnes est en fait une manière de la singulariser par rapport au modèle culturel français, héritier de la tradition gréco-latine. Ainsi, on comprend mieux la méfiance, l’acharnement et l’opposition du « pays des droits de l’homme » à dispenser un enseignement généralisé de l’histoire millénaire du peuple breton à la jeunesse bretonne. Méfiance toutefois ! L’enseignement que nous voulons est celui d’une histoire de Bretagne authentique écrite par des historiens honnêtes et intègres et non par ce que pourrait proposer l’État français, par le biais de son Éducation nationale, un programme d’enseignement revu et corrigé, une histoire à sa convenance, une histoire falsifiée fleurant bon le négationnisme, une histoire convenable écrite par des idéologues manipulateurs !

Langue, histoire, coutumes, traditions… un rejet de ces valeurs peut inéluctablement conduire à une disparition de la culture bretonne en tant que telle si rien n’est fait. Dans ce constat de déperdition, quelle est donc la place d’une politique culturelle devant mettre en évidence les valeurs culturelles de la Bretagne au passé mémorable dans l’histoire de l’Europe ? Nous sommes à l’heure où la tendance fait croire que tout ce qui est étranger est bon et tout ce qui est local est mauvais. La Bretagne est reconnue comme un pays riche culturellement d’après son histoire, ses origines et l’ensemble des valeurs et traditions qui lui sont propres, cependant, elle n’est pas épargnée d’être un jour dans la liste des anciennes sociétés. En somme, le combat contre l’acculturation est avant tout une responsabilité de tous les Bretons, mais il incombe aux responsables politiques en Bretagne, en particulier au « croupion » Conseil Régional, de faire la promotion de la culture bretonne par tous les moyens. C’est une affaire politique qui nécessite l’apport de tous les secteurs concernés.

L’hostilité de la république française à l’égard de la Bretagne est toujours d’actualité. Avons-nous alors encore quelque chose à partager avec elle, qui bafoue notre identité et nous dénie toute autonomie, jusqu’à l’enseignement aux enfants de Bretagne de leur langue et de l’Histoire de leur pays ? Les Bretons doivent reprendre en mains l’enseignement de leur langue, mais également de leur histoire refusant ainsi les hérésies qui, par lavage des cerveaux, ont été introduites dans leurs esprits. Seul, un authentique pouvoir breton sera à même de défendre et de promouvoir cette culture bretonne à la fois héritière du passé de nos aïeux et tournée vers la créativité du futur.

Padrig MONTAUZIER

G_pim_0_1581612824.jpg

Sommaire War Raok n° 62

Buhezegezh vreizh  page 2

Editorial  page 3 (Padrig Montauzier)

Buan ha Buan page 4

Société

La cancel culture et la délégitimation de la mémoire page 9 (Giulio Battioni)

Politique

L’Alliance souverainiste bretonne,

un élan majeur pour la Bretagne page 11 (Meriadeg de Keranflec’h)

Tradition

Le symbolisme du cheval page 15 (Per Manac’h)

Hent an Dazont

Votre cahier de 4 pages en breton page 19 (Donwal Gwenvenez/Yann Mikael)

Histoire de Celtie

Importance du celtisme dans les Asturies page 23 (Carlos X. Blanco)

Tribune libre

Sur les prénoms non-français, objection M. Zemmour ! Page 25 (Youenn Caouissin)

Histoire de Bretagne

Le faux traité de 1532 page 26 (Docteur Louis Melennec)

Politique

La mosquée de Cologne, la charia en marche page 30 (Erwan Houardon)

Civilisation celtique

Littératures écrites et orales des civilisations celtiques page 32 (Fulup Perc’hirin)

Nature

L’écureuil, petit rouquin de nos forêts page 36 (Youenn Caouissin)

Lip-e-bav

Gratin du pêcheur aux herbes page 37 (Youenn ar C’heginer)

Keleier ar Vro

Un statut de résident pour la Bretagne page 38 (Meriadeg de Keranflec’h)

Bretagne sacrée

Les lavoirs page 39 (Per Manac’h)

vendredi, 08 octobre 2021

Nationalisme identitaire corse: entretien avec Thierry Biaggi

lg_3a6799c862cf54e6799c862cf12779v_.jpg

Enric Ravello Barber

Nationalisme identitaire corse: entretien avec Thierry Biaggi

Source: https://www.enricravellobarber.eu/2021/10/nationalisme-identitaire-corse.html#.YWBCBH06-Uk

Thierry Biaggi militant nationaliste corse et européen, né au sein de la diaspora corse du sud de la France, militant très jeune au Front National. Exclu suite a son désaccord avec la ligne du parti sur la question corse (1998). Engagé dans le mouvement national corse depuis les années 2000. Elu à la première Cunsulta Naziunale (Assemblée nationale provisoire corse) de 2008 à 2012. Animateur du groupe militant avant-gardiste LEIA NAZIUNALE (2016-2020) . Participe à la démarche souverainiste Forza Nova.

main-qimg-08fd56f7766fb56c5dec555339922680.png

corses-dialectes-map.gif

HISTOIRE ET IDENTITÉ

Grecs, Romains, Vandales, Couronne d'Aragon, République de Gênes. La Corse est une île profondément européenne qui a toujours été à la pointe de la lutte contre les ennemis de notre civilisation, des Carthaginois aux musulmans. Pouvez-vous nous résumer brièvement la genèse du peuple corse ?

La Corse est habitée dès avant le néolithique et notre peuple est "issu du fond des âges". Il n'y a pas, au sens strict, d'ethnie corse mais une identité particulière façonnée par l'histoire, la géographie. Globalement, le peuple corse se rattache à l'aire culturelle toscano-ligure même si sa composition ethnique originelle le rapproche en partie des Sardes. La Romanité et le Catholicisme constituent la dimension civilisationnelle de notre identité.

Nos ancêtres ont combattu les Maures, participé à la bataille de Lépante, subi les razzias barbaresques et turques, formé un temps une Garde Papale. Notre passé comme notre futur s'inscrivent dans le camp de l'Europe. Les Corses dignes de ce nom sont "Romains"...comme le fut Napoleon !

Napoléon est né l'année où la Corse est devenue française. Que pensez-vous de cette incorporation à la France ? Aurait-il mieux valu que la Corse continue à faire partie de la République de Gênes puis de l'Italie ?

Cette incorporation à la France fut en définitive néfaste pour notre être collectif dès lors que s'est imposé un système républicain-jacobin qui ne tolère pas l'existence des "peuples-patries". De nombreux corses ont participé à la puissance française, mais en tant que peuple, nous sommes aujourd'hui menacés d'extinction.

On ne refait pas l'histoire mais constatons simplement que l'Italie respecte plus l'identité culturelle de ses différents peuples.

La Corse est la seule ile de Méditerranée occidentale à ne pas bénéficier d'un statut d'autonomie.

En réalité, la République française est aujourd'hui le "problème" de l'Europe, tout comme le fut la monarchie capétienne, qui s'opposa durant des siècles au Saint Empire Romain Germanique, c'est à dire à l'Europe.

Dans les rencontres que j'ai eues avec des camarades corses, dans les publications nationalistes corses, et dans la vie sociale corse en général, on constate une importance forte et actuelle du catholicisme. Comment valoriser la foi chrétienne catholique comme élément constitutif de l'identité corse?

Le catholicisme en Corse est surtout culturel, communautaire, populaire, et dans une certaine mesure "païen". Il s'appuie plus sur les nombreuses confréries que sur un clergé largement allogène. Pour être valorisé comme élément de l'identité corse, cette forme de catholicisme doit garder ses distances d'une hiérarchie ecclésiale contrôlée par Paris et surtout liée à la dérive mondialiste de l'Eglise actuelle. Le développement du courant traditionaliste est à encourager, de manière à donner une profondeur au catholicisme populaire-identitaire.

Le drapeau corse (A bandera Corsa) représente une victoire sur les musulmans. Sera-t-il ciblé par les Zélotes de la « repentance blanche » ?

Ces "zélotes"ouvertement déclarés n'existent heureusement pas en Corse. Il est vrai que nos symboles nationaux (hymne, armoiries, drapeaux) sont politiquement incorrects et constituent un rempart, une forme de protection spirituelle contre l'Ennemi.

Notre hymne national, le "Diu vi salve Regina" est un chant religieux d'origine toscane et nous fêtons la Nation le 8 décembre, jour de l'Immaculée Conception. C'est pour cela que certaines mouvances natio-mondialistes liées à la franc-maçonnerie tentent de subvertir ces symboles en les ré-interprétant: le bandeau sur le front du Maure comme symbole des "lumières" et de libération etc...

Une poignée de traitres gauchistes participent à des opérations de subversion téléguidées et financées par Paris, mais n'osent pas pour l'heure s'attaquer aux symboles nationaux.

NATIONALISME CORSE

Quelle est votre évaluation du FLNC. L'une des tendances est-elle plus proche des propositions identitaires ?

Le FLNC est une organisation politico-militaire clandestine fondée en 1976 pour accompagner la lutte nationale corse avec pour objectif final , l'indépendance. Au cours des années le FLNC s'est "diversifié" en différentes mouvances parfois antagonistes, avec des stratégies et des buts politiques distincts.

Les moyens techniques dont dispose aujourd'hui l'état français ne permettent plus une lutte armée permanente et performante. Mais la persistance d'un espace politique national corse hors des institutions et de la légalité française traduit "la volonté d'être" de notre peuple, en dehors des cadres importés et imposés.

Notons que la communication des organisations clandestines est généralement moins politiquement correcte que celle des formations publiques. Ces dernières sont aujourd'hui largement "sous influence"...

IMG_2287-1.jpg

Fondée récemment, Forza Nova est l'expression du nationalisme identitaire corse. Nous espérons que les vrais nationalistes s'identifieront à son message. Quel est votre avis sur le développement de Forza Nova en Corse ?

Qui vivra verra ! Comme ailleurs en Méditerrannée, la vie politique en Corse est largement tributaire de considérations claniques, clientélistes, affairistes voire mafieuses. L'aspiration populiste-identitaire existe cependant et s'est traduite par le score historique de Marine Le Pen obtenu chez nous lors des présidentielles de 2017 ( 48% au second tour ). Forza Nova s'adresse aux Corses qui refusent la dérive gauchiste et mondialiste du nationalisme institutionnel.

La Corse n'est pas épargnée par l'effondrement de la France, d'autant que les nationalistes classiques ne s'opposent pas doctrinalement au système en place.

860_eph_f94x4aag_5k.jpg

Nous voyons que Forza Nova se sent lié à des partis comme Fratelli d'Italia et LEGA de Matteo Salvini. Pourquoi ce rapprochement ?

Comme évoqué plus haut, les liens historiques et culturels avec la péninsule italique sont naturels. Mais au-delà de cela, nous considérons que la droite italienne, plus que son homologue française, se situe à la pointe du combat civilisationnel en Europe de l'ouest. L'Italie est le principal champ de bataille de la guerre opposant mondialistes et populistes. La France est finie.

L'EUROPE DES PEUPLES.

Poutine est aujourd'hui le leader européen avec la plus grande force militaire, politique et diplomatique pour s'opposer au mondialisme avec son siège aux États-Unis. Quelle est votre opinion sur le président russe, et sur son idée de l'Europe de Lisbonne à Vladivostok ?

L'ère Vladimir Poutine a provoqué la fin de la "Fin de l'Histoire" que proclamaient les libéraux occidentaux. La Troisième Rome accomplit son destin. L'Europe-puissance de Lisbonne à Vladivostock est le mythe mobilisateur de tous les européens dignes de ce nom. Mais elle est aussi le seul objectif politique réaliste pouvant assurer la survie de tous nos peuples.

71kYKvpKcorsecosaddL.jpg

Nous avons vu votre participation à des actes de solidarité avec le peuple arménien et avec les républiques russophones de Novorossia. Pouvez-vous nous donner brièvement votre avis sur ces deux conflits ?

Ces conflits sont liés .Dans les deux cas, "l'état profond" mondialiste cible la Russie via des acteurs régionaux (Turquie, UE) ou des proxys (islamistes, pseudos-nazis ). Qui attaque la Russie est un ennemi de l'Europe. Toutes les forces extra-européennes, américaines, turques ou autres, doivent être chassées d'Europe. De l'Arménie au Kosovo. 

Que pensez-vous de l'idée de « l'Europe des peuples » ? Quelle serait la manière de construire cette Europe des peuples libres ?

"L'Europe des peuples" ne peut exister que par l'Europe-puissance. C'est le principe impérial, romain. Une Europe riche de sa diversité mais unifiée en son sommet, selon le principe traditionnel de subsidiarité. Construire cette Europe passe par la lutte contre l'invasion migratoire, les idéologies subversives, les institutions, organisations et individus soumis ou liés à des intérêts extra-européens.

Concrètement cela implique le développement d'une élite européenne consciente, articulée autour d'un Front Civilisationnel, avec des bastions comme la Hongrie d'Orban ou la Russie de Poutine. Chacun d'entre nous, où qu'il soit, construit l'Europe des peuples libres...en combattant ses ennemis.

 

vendredi, 03 septembre 2021

La Corse en litige : une île incomprise au cœur de la Méditerranée

drapeau-Corse-emoji-1000x592.jpg

La Corse en litige : une île incomprise au cœur de la Méditerranée

Par Vincenzo D'Esposito

Ex: http://osservatorioglobalizzazione.it/progetto-italia/la-corsica-contesa/

Située entre la mer Ligure et la mer Tyrrhénienne, la Corse a été pendant des siècles le théâtre de conflits entre les républiques maritimes italiennes, d'abord, et entre la France et l'Italie, ensuite. Une position stratégique et une valeur symbolique trop importantes pour Paris mais trop risquées pour Rome. Au-delà de l'île, ce qui est en jeu, c'est l'avenir de la mer Tyrrhénienne, véritable cœur battant de l'Italie sur les mers.

La Corse, une terre oubliée

La Corse fait partie de la région géographique italienne. L'île est située au nord de la Sardaigne, à l'ouest de la Toscane et au sud de la Ligurie. Au fil des siècles, ces trois territoires ont fortement imprégné d'italianisme la culture et la langue corses, notamment la Toscane en raison de sa proximité géographique et la Ligurie en raison de sa domination séculaire sur l'île. Gérée par la Banco di San Giorgio, la Corse était destinée par le gouvernement génois principalement à l'approvisionnement en bois de châtaignier pour les chantiers navals, alors que les bénéfices pour l'île pendant cette domination étaient très limités. La conformation géographique et la répartition irrégulière de la population l'ont toujours rendue difficile à contrôler, ce qui, à la longue, s'est avéré être un avantage pour la population corse.

Les rébellions qui ont caractérisé l'histoire de la Corse ont bénéficié de la nature accidentée du territoire, qui a favorisé les petites villes et leur regroupement en clans. Cette prémisse est fondamentale pour comprendre pourquoi Gênes et Paris ont eu tant de mal à contrôler la Corse. La France, qui a succédé à Gênes après le bref intermède de l'indépendance, a rencontré une forte résistance à la normalisation de l'île, également en raison de la différence linguistique avec le reste du territoire métropolitain.

corse-patrimonio.jpg

parc-microregion-ville-pays-corsica.jpg

L'abandon auquel la Corse a été condamnée en a fait une terre d'émigration et de banditisme, qui depuis des siècles infeste les régions intérieures et empêche une normalisation de la vie politique. Dans la seconde moitié du XXe siècle, la criminalité de l'île, avec sa branche marseillaise, s'est étendue jusqu'aux États-Unis, où elle a entretenu des liens avec les représentants de la criminalité italo-américaine, bien qu'elle ait été sévèrement combattue au cours des dernières décennies. Cependant, la France, contrairement à l'Italie, n'a pas une solide tradition de répression du crime organisé et a eu plus de mal à endiguer le phénomène. L'attitude française a également été influencée par le fait que, dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les services de sécurité français ont profité de la criminalité pour mettre un terme à la propagation de l'indépendance corse. Néanmoins, d'une part, la France devait lutter contre le banditisme corse en raison du nombre élevé de meurtres qui se produisaient chaque année et des conséquences négatives qui étaient créées par le renforcement de l'organisation, tandis que d'autre part, la cause de l'indépendance n'était jamais vraiment mise de côté par la population corse. La stratégie française de diviser pour régner s'est avèrée moins efficace que prévu à Paris.

5edef8b1d9e0c_noel_andreani_58_ans_avait_ete_tue_le_matin_du_26_juin_2009_a_ajaccio_alain_pistoresi.jpg

L'importance géopolitique de l'Île de la Beauté pour Paris et Rome

L'instabilité endémique de la Corse en fait un point critique du bassin méditerranéen, les puissances actives dans la zone profitant périodiquement de la situation difficile des gouvernements centraux dans la gestion de l'île pour tenter de tirer profit de sa position géographique favorable.

La France a profité de la faiblesse de Gênes, qui était arrivée au XVIIIe siècle fortement sclérosée, pour entrer de plain-pied dans la Méditerranée centrale, violant ce qui était jusqu'alors un lac italien: la mer Tyrrhénienne. Avec ses bases à quelques kilomètres de la Toscane et avec Rome à quelques jours de navigation, Paris avait capitalisé sur son statut de force de la fin du XVIIIe siècle pour étendre encore son influence en Europe. D'un seul coup, elle était devenue capable de surveiller le commerce de Florence, Rome, Gênes et Naples, cette dernière étant présente jusqu'en 1801 dans la haute mer Tyrrhénienne avec le Stato dei Presidi.

Pasquale_Paoli.jpgBien que l'Île de la Beauté ait été le lieu de naissance de l'empereur Napoléon Bonaparte, elle s'est rebellée contre la domination française au cours de la dernière décennie du XVIIIe siècle et a donné naissance à l'éphémère Royaume anglo-corse. Protégé par la marine anglaise, Pasquale Paoli tente de donner forme à un État détaché de la France et projeté vers l'Italie et l'Angleterre: la première en raison des forts liens linguistiques et culturels qui la lient à la Corse, il suffit de dire que la constitution corse est écrite en italien, la seconde comme seule nation capable d'offrir une protection contre la France. Les tentatives britanniques de s'immiscer de plus en plus dans la politique corse pour faire de l'île une véritable colonie ont toutefois aliéné les sympathies du peuple corse envers Londres et, à la fin du siècle, l'île a été réoccupée par les troupes françaises.

Bien que la France ait apprécié la possession de la Corse sur le plan militaire et stratégique, garantissant le contrôle des liaisons entre la métropole et l'Afrique du Nord, elle a dû faire face, entre le XIXe et le XXe siècle, à l'émergence du phénomène de l'irrédentisme, qui s'est propagé de l'Italie unie à la dernière grande île de la mer Tyrrhénienne encore hors de l'orbite de Rome. Sous le fascisme, en particulier, l'Italie a tenté d'arracher l'île à la France en l'envahissant en 1942. L'occupation ne dure cependant qu'un an en raison de la chute du régime fasciste et du nettoyage des territoires occupés pour laisser la place aux forces de la France libre, qui, avec quelques troupes italiennes, combattent les Allemands en 1943 en Corse, devenant ainsi le premier territoire français d'Europe à être libéré.

71kujl76jCL.jpg

3_octobre_1943_le_sacrifice_des_goumiers_marocains_pour_liberer_la_corse_jsonld_43.jpg

En haut, ouvrage récent sur la réintégration de la Corse dans l'orbite italienne. En bas, des goumiers marocains de l'armée américano-gaulliste défilent après avoir ré-annexé la Corse à la France.

L'Italie s'inquiète de la présence française en Corse pour deux raisons: stratégique et idéologique.

Sur le plan stratégique, la Corse représente un poignard pointé sur le cœur de l'Italie, permettant à Paris de garnir l'arc tyrrhénien qui va des villes industrielles de la Ligurie aux centres sidérurgiques de la Toscane et jusqu'à la capitale de l'État, pouvant également mener des actions pour perturber les liens entre la Sardaigne et le continent. Dans le cas d'une France hostile, la Corse s'élèverait presque naturellement au rôle de base logistique de premier ordre pour frapper le cœur de notre pays et mettre hors d'état de nuire les grands nœuds industriels et politiques de l'Italie centrale et de la Sardaigne.

Sur le plan idéologique, le moteur du Risorgimento reposait sur deux grandes lignes géopolitiques: la réalisation des frontières jusqu'aux Alpes et l'union de tous les peuples parlant des dialectes considérés comme apparentés à l'italien en un seul État. Parce qu'elle a toujours été au cœur des principaux enjeux de la botte, et qu'elle est pleinement intégrée à l'espace géographique et linguistique italien, la Corse est considérée depuis l'Unification de l'Italie comme l'une des terres irrédentes à reconquérir.

L'occupation italienne de l'île pendant la Seconde Guerre mondiale et la propagande française de l'immédiat après-guerre visant à discréditer les Italiens en tant qu'oppresseurs et ennemis des Corses, ont toutefois aliéné les sympathies de la majorité de la population corse envers l'Italie. Aujourd'hui, en effet, très peu de Corses croient qu'un transfert de l'île à Rome est possible, la majorité ayant choisi la voie de l'indépendance.

La force de l'identité

Île montagneuse habitée par des populations fortement attachées à leurs traditions, la Corse a su à la fois repousser et attirer les principales puissances de la Méditerranée. Sa capacité à résister aux influences extérieures a fait qu'après plus de deux cents ans de domination française, la langue corse est encore largement comprise et parlée aujourd'hui. Néanmoins, on observe une tendance à la diminution du nombre de locuteurs en raison de la diffusion des médias français et de l'immigration dans la plaine d'Aléria de nombreux colons français revenant de leurs anciennes possessions africaines.

L'omniprésence de l'État français s'est manifestée non seulement par une tendance répressive à l'égard de l'usage de la langue corse jusqu'à il y a quelques années, mais aussi par le soutien à une grammaire standardisée et éloignée des règles de la langue italienne pour tenter de créer un diaphragme d'incommunicabilité progressive entre Rome et Ajaccio. La population corse elle-même, comme une forme de rejet de l'Italie, considérée comme agressive et impérialiste après l'invasion de 1942, a remis en question ses liens linguistiques avec l'italien, en mettant l'accent sur le corse en tant que langue indigène et en le privant de toute volonté de lien privilégié avec l'Italie.

corses-dialectes-map.gif

Si les tentatives de résistance aux influences extérieures ont souvent été brutales, la population corse n'en a pas moins été contaminée au cours des siècles par les puissances avec lesquelles elle est entrée en contact. La présence de nombreuses résidences secondaires de ressortissants français du continent, par exemple, bien qu'elle soit un sujet de controverse politique en Corse, a contribué à la diffusion de la langue française sur l'île. Même les mouvements indépendantistes de l'île, dans l'exercice de leurs fonctions, utilisent principalement une communication bilingue car toute la population de l'île ne comprend pas le corse, alors qu'en France continentale la langue corse n'est ni parlée ni comprise. Le français est donc un moyen de véhiculer des messages à portée supra-insulaire, tandis que le corse semble relégué au rôle de langue étroitement liée à la dimension locale.

La Corse s'est révélée être une île qui refuse l'idée d'être absorbée par des réalités plus larges, car, ainsi, elle risque de perdre sa spécificité. Bien que la contamination culturelle ait été inévitable grâce au contact avec des cultures extérieures telles que Gênes, la Toscane et la France, en termes politiques et identitaires, la Corse s'est toujours perçue comme quelque chose de différent de tout ce qui l'entourait. Une île, en fait. Ce concept a toutefois été compris peu et tardivement en Italie, un pays qui a senti, tout au long de la première phase de son existence, qu'il devait être le héraut de l'italianité et, par conséquent, récupérer les terres dites irrédentes. Souvent, elle ne tenait pas suffisamment compte de la volonté des personnes qu'elle approchait. La France, en revanche, a annexé une île qu'elle savait dès le départ éloignée d'elle par sa langue et ses traditions. Or, le rôle de puissance que joue Paris en Méditerranée dépend en partie de la possession de ce territoire, qui projette la puissance française directement dans la mer Tyrrhénienne et lui permet de réduire la prééminence italienne dans le secteur central du bassin ouest-méditerranéen.

La culture corse est une culture italienne, tout comme la langue corse. Mais la Corse, sans vouloir être française, ne veut pas nécessairement être italienne. L'histoire lui a appris que les dominations extérieures ne sont que cela, des dominations, et que les avantages pour l'île sont limités. Il est temps que Paris et Rome apprennent à coexister avec cette terre indomptable, dans ce qu'il faut bien appeler l'anomalie corse.

A propos de l'auteur / Vincenzo D'Esposito

Diplômé en études internationales à l'université "L'Orientale" de Naples avec une thèse sur l'hydrohégémonie dans le bassin du Syr Darya. Il est actuellement inscrit au programme de maîtrise en développement durable, géopolitique des ressources et études arctiques au SIOI. Il a étudié et travaillé en Allemagne après avoir obtenu deux bourses Erasmus, qui l'ont conduit d'abord à étudier à Fribourg-en-Brisgau, puis à effectuer un stage à la Chambre de commerce italienne pour l'Allemagne. Passionné par l'Asie centrale et les questions énergétiques, il collabore avec plusieurs groupes de réflexion en tant qu'analyste géopolitique.

samedi, 07 août 2021

Parution du n°61 de la revue bretonne War Raok

WRrevue56.jpg

Parution du n°61 de la revue bretonne War Raok

EDITORIAL

Peut-on parler de souverainisme breton afin d’assurer l’épanouissement de l’identité bretonne?

par Padrig Montauzier

En Bretagne nous sommes, depuis longtemps, familiarisés avec les termes autonomistes, indépendantistes, voire séparatistes. Une nouvelle dénomination semble voir le jour depuis quelque temps, celle de souverainisme breton ! Comment peut-on définir succinctement ce nouveau concept ?

Toute nation qui ne s’administre pas elle-même connaît une rapide décadence. La Bretagne depuis la perte de son indépendance, de l’union de 1532 et plus depuis son annexion totale de 1790, en donne un exemple frappant. La Bretagne, enserrée dans l’un des États les plus centralisé d’Europe, n’a pas la possibilité de  « s’auto-déterminer ». Elle n’a pas non plus la possibilité de « s’auto-organiser » ni de « s’auto-gérer ».

a5d7cb9b81b69195b90f1dc029dbe6f0.jpg

L'idée de la souveraineté de la Bretagne est fondée sur une vision et une interprétation nationalistes des faits historiques et des réalités sociologiques de la Bretagne. L’argument clé consiste à soutenir que la population bretonne forme un peuple distinct qui, dans le cadre du système politique français, ne peut exister qu’à titre de minorité ethnique, ce qui implique que le peuple breton ne peut se diriger lui-même et que son destin dépend totalement de l’État français et de ses gouvernements. Accepter un tel statut de minorité signifierait que les Bretons donnent leur accord à une totale subordination impliquant qu’ils renoncent à leur identité propre.

Cette souveraineté ne se fera pas contre la France, mais pour la Bretagne  !

On peut imaginer que, dans un premier temps, dans une première étape, la Bretagne dispose d’un statut de large autonomie administrative et politique comme cela est mis en pratique aujourd’hui tout près de nous en Europe: en Catalogne, en Écosse, au Pays Basque, en Flandre… etc.

Ce positionnement est une rupture totale avec le centralisme et le jacobinisme français qui tuent les peuples et avec le dogme de « l’une et indivisible » contre nos libertés. On peut alors parler de souveraineté-association, combinaison de deux concepts : l'obtention de la souveraineté de l'État breton et la création d'une association politique et économique entre le nouvel État souverain et la France. On peut définir ce statut de souveraineté partagée ou co-souveraineté comme étant les pouvoirs d'une Bretagne de faire ses lois, de prélever ses impôts et d'établir ses relations extérieures. Une démarche loin d’être utopique, elle est même au contraire parfaitement rationnelle et le peuple breton a toutes les aptitudes nécessaires pour l’assumer. Cette souveraineté souhaitée rendra donc aux représentants du peuple breton le droit de gérer les affaires bretonnes et permettra ainsi à la Bretagne de protéger ses intérêts matériels, d’assurer son développement économique, de défendre ses libertés culturelles spécifiques et ses intérêts spirituels.

a32d28172533b395b08b3529d874a2f8.jpg

Ainsi, les Bretons pourront bâtir une Bretagne authentiquement bretonne tout en s’intégrant au monde moderne par l’enrichissement de ses propres valeurs et le refus d’un repli ou d’une autarcie mortelle. La Bretagne sera une terre de libertés, non pas formelles mais réelles sur tous les plans.

La situation actuelle de peuple colonisé n’a rien de stimulant, rien qui invite au dépassement de soi ou qui pousse à l’audace créatrice. À ce destin, courbé sous les vents de l’histoire, le souverainiste préfère les risques de vie qu’offre l’indépendance. C’est le sens de l’appartenance, la définition de l’identité, qui est l’enjeu majeur de la souveraineté. Les Bretons ont à choisir entre le statut de minorité et le statut de peuple à part entière.

Cette émancipation politique, économique, sociale et culturelle du peuple breton, ainsi que l’édification d’une Bretagne enfin maîtresse de ses destinées personnelles dans le respect d’une interdépendance qui l’unira à ses voisins européens… peut parfaitement convenir à une définition du souverainisme breton.

Les Bretons doivent être en première ligne pour revendiquer cette souveraineté de la Bretagne avec la tranquille assurance de disposer des atouts économiques suffisants pour afficher cette ambition.

Mais les Bretons sauront-ils se doter d’un tel projet de société ?

Padrig MONTAUZIER

Sommaire War Raok n° 61

Buhezegezh vreizh page 2

Editorial page 3. Padrig Montauzier

Buan ha Buan page 4

Société

Le tatouage traditionnel celtique page 9. Ronan Danic

Politique

Kofi Yamgnane, ses mémoires d’outre-haine page 10. Erwan Houardon

Culture bretonne

La destruction de la langue bretonne page 14. Louis Melennec

Tradition

Le symbolisme de la sirène page 16. Riec Cado

Hent an Dazont

Votre cahier de 4 pages en breton page 19. Donwal Gwenvenez

Histoire de Celtie

Highland titles page 23. Jérôme Le Bouter

Tribune libre

Les origines de la culpabilité blanche page 24. Tomislav Sunic

Histoire de Bretagne

Enfants de la Chouannerie, sublimes cœurs de héros page 28. Youenn Caouissin

Environnement

L’éolienne, nouveau symbole de la Bretagne ? Page 30. Erwan Houardon

Civilisations celtiques

Littératures écrites et orales des civilisations celtiques page 32. Fulup Perc’hirin

Nature

Les petits réverbères de la nature page 36. Youenn Caouissin

Lip-e-bav

Un repas breton page 37. Youenn ar C’heginer

Keleier ar Vro

L’État français contre les langues “régionales”  page 38. Meriadeg de Keranflec’h

Bretagne sacrée

Bretagne, terre de châteaux page 39. Per Manac’h

 

gwenn-ha-du3.jpeg

jeudi, 24 juin 2021

Au milieu, le Massif

France_Massif_central.jpg

Au milieu, le Massif

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

En étudiant la topographie de la France, les géographes remarquent que son relief s’ordonne autour d’une diagonale inclinée du Nord-Ouest vers le Sud-Est. Au-delà de cette ligne s’étend un ensemble de régions basses marquées par les Bassins aquitain et parisien ainsi que par la plaine du Nord qui se prolonge à travers toute l’Europe septentrionale jusqu’à l’Oural. En-deçà se dressent des montagnes plus ou moins élevées. Au milieu de cette diagonale géophysique s’impose le Massif Central.

D’une superficie de 80.000 km², ce vaste donjon hydrographique complexe au relief compact et contrasté est, avec le Puy de Sancy à 1885 m d’altitude, le plus élevé et le plus étendu des massifs anciens d’Europe occidentale. Vaste plan incliné vers le Couchant, fortement redressé à l’Est, anciennement marqué par un volcanisme désormais en sommeil, le Massif Central domine de plus de mille mètres le Sillon rhodanien et la plaine du Languedoc et s’abaisse vers le Nord-Ouest vers les plateaux du Limousin dont le plus célèbre reste en Corrèze celui des Millevaches, c’est-à-dire des mille sources d’eau. Son centre correspond à plusieurs systèmes volcaniques enchevêtrés. Le plus étendu correspond au département du Cantal. Son contour administratif évoque l’insigne de l’Ordre de la Toison d’Or. Par les effets du volcanisme, certains paysages frappent par leurs similitudes avec les hautes-terres de Mongolie : le Cézallier, la Margeride et l’Aubrac (où on trouve un nombre considérable de menhirs ou de pierres levées, preuves indéniables d’un habitat préhistorique).

Terres d’enracinement

Dans ces espaces de moyennes montagnes courent bien des récits ancestraux à la fois folkloriques et symboliques. Ce n’est pas un hasard si Alexandre Vialatte (1901 – 1971), chroniqueur au quotidien La Montagne et traducteur de Nietzsche, de Thomas Mann ou de Gottfried Benn, vante L’Auvergne absolue. François Mitterrand aimait à chaque Pentecôte gravir avec ses fidèles la roche de Solutré, un autre site à l’habitat fort ancien. Le président ex-Cagoulard de la République de 1981 à 1995 tenait le massif septentrional du Morvan, en particulier le Mont Beuvray, pour un haut-lieu de l’imaginaire gaulois. Le « pape des escargots » d’Henri Vincenot (1912 – 1985) rapporte bien des souvenirs celtiques tandis qu’un autre Bourguignon, Johannès Thomasset (1895 – 1973) exalte l’héritage burgonde, revient sur le « Grand Duché d’Occident » à la fin du Moyen Âge et prône l’alliance franco-allemande pour sauver l’Europe. Ce n’est pas un hasard si au début des années 1970, Jean-Claude Valla et Pierre Vial ont animé un éphémère bulletin intitulé Grande Bourgogne

huA2W26dCo_0IOZ6J924fZOahcA.jpg

Auteur de Gaspard des Montagnes, Henri Pourrat (1887 – 1957) rédige ses récits à partir de sa récolte des fables locales du Livradois, cette forêt montagneuse autour d’Ambert qui servait de frontière médiévale entre l’Auvergne vassale du roi de France et le comté de Forez, terre d’Empire. Mitoyens aux Monts du Livradois, les Monts du Forez forment le décor somptueux et sauvage de l’œuvre majeure d’Honoré d’Urfé au XVIIe siècle, L’Astrée. Près de la limite départementale entre la Loire et le Puy-de-Dôme au col de l’Homme mort, se trouve au bord de la route une auberge nommée « Au Roi perdu ». S’agit-il d’une discrète allusion à l’évasion de la prison parisienne du Temple en 1794 du jeune roi Louis XVII grâce à la fameuse filière de Thiers ? Le fils de Louis XVI y aurait-il trouvé refuge dans cette région réputée être sous la période révolutionnaire, mais un terrain fertile pour la chouannerie locale ? L’histoire officielle l’ignore, mais pas les érudits locaux…

massif-central.jpg

Bien plus au Sud, en Bas-Vivarais, a vécu à Saint-Marcel-d’Ardèche le philosophe paysan Gustave Thibon (1903 – 2001). Aujourd’hui, dans ce même département, mais dans sa partie montagneuse et cévenole, on peut encore rencontrer l’agronome et penseur rural Pierre Rabhi. Tous ont noté dans leurs écrits la prégnance mystique des paysages. Même s’il pense dans La Colline inspirée (1913) à la bosse lorraine de Sion – Vaudémont, Maurice Barrès se souvient très bien du bourg de Saugues dans le Gévaudan d’où provenait une partie de sa famille et où il séjournait enfant pendant la saison estivale. Le Gévaudan, aujourd’hui partagé entre la Lozère et la Haute-Loire, acquiert une réputation effroyable dans toute l’Europe à la fin du XVIIIe siècle avec les méfaits d’une bête tueuse de femmes et d’enfants. Bien des hypothèses ont circulé autour de cet animal mystérieux et sanguinaire. L’auteur de polar, Pierric Guittaut a, au terme d’une enquête passionnante dans La Dévoreuse. Le Gévaudan sous le signe de la Bête 1764 – 1767 (Éditions de Borée, 2017), montre que la bête en question n’est qu’un loup-cervier de forte taille.

CVT_La-Devoreuse-Le-Gevaudan-sous-le-signe-de-la-bet_116.jpgEn Auvergne – Bourbonnais

Née de la fusion au XVIIe siècle des cités rivales de Montferrand et de Clermont d’où partit en 1095 l’appel du pape Urbain II à la Première Croisade, la ville de Clermont-Ferrand doit sa prospérité économique à partir de la seconde moitié du XIXe siècle à l’essor des machines agricoles et de la fabrication du caoutchouc avec l’entreprise Michelin. Inspirée par la doctrine sociale de l’Église catholique, la famille éponyme pratique le paternalisme social et finance la construction de nombreux logements sociaux. Les syndicalistes parisiens ou lyonnais prennent alors l’habitude de se moquer les Clermontois qui « vivent, grandissent, travaillent et meurent chez Michelin ». Au-dessus de l’ancienne Augustonemetum (« le sanctuaire d’Auguste »), premier nom de la ville auvergnate, s’élève le Puy de Dôme, ses installations de radio-diffusion et son centre de communication militaire. À leur proximité se visitent toujours les ruines d’un temple dédié au dieu Mercure. Depuis son sommet, on y contemple un large panorama dont les Combrailles à l’Ouest et le Bourbonnais au Nord. Se conformant à peu près au département de l’Allier, le deuxième département de France qui compte le plus grand nombre de châteaux, le Bourbonnais est le berceau de la dynastie française, puis européenne, des Bourbons. Si sa deuxième ville, Vichy, devient la capitale de l’État français entre 1940 et 1944, son chef-lieu, Moulins, est déjà le cœur politique du pays sous Charles VIII (1470 – 1483 – 1498). Sa sœur aînée, Anne de Beaujeu (ou de Bourbon) qui hérita de l’intelligence politique de leur père Louis XI, exerce plusieurs fois la régence et s’impose face aux grands féodaux.

Au XVIe siècle, le principal seigneur du Massif Central est son gendre, le connétable Charles III de Bourbon (1490 – 1527). L’historiographie officielle française le fait passer pour un traître. Le Connétable de Bourbon voit ses intérêts patrimoniaux de grand féodal contestés par la mère de François Premier, Louise de Savoie. Malgré sa prestance physique et sa grande taille, le roi de France reste un petit garçon devant sa mère. Il lui cède et fomente des procès truqués contre le Connétable. Furieux, celui-ci en tant que prince de Dombes va servir son autre suzerain Charles Quint. Charles de Bourbon meurt à la tête des lansquenets protestants de l’Empereur au moment de la prise de Rome. Dominique Venner appréciait cette figure altière et incomprise.

vues-ruelles-20-1200x800.jpg

Territoire favorable aux sourcières, l’ancien Bourbonnais voit s’installer différentes communautés proches de l’anthroposophie. Ces terres centrales facilitent une implantation communautaire tenace. Dans le Morvan, en Sologne bourbonnaise, en Auvergne autour de la ville coutelière de Thiers et non loin de là dans les Bois noirs des Monts du Forez s’implantèrent les parsonniers (ou les pariers ou encore les parciers) aussi qualifiés de « communautés taisibles ». Ces communautés rurales d’origine familiale élargie ignoraient la propriété privée individuelle. À la suite des recherches du sociologue conservateur Frédéric Le Play (1806 – 1882), historiens, micro-économistes et anthropologues étudient ces groupes coutumiers qui ont perduré jusqu’au début du XXe siècle. Détentrices d’alleux, ces communautés taisibles n’hésitaient pas à tenir tête au seigneur du coin au point que le voisinage paysan les considérait comme une forme de « noblesse populaire ». Équivalents aux bourgades nobiliaires d’Espagne du Nord et des communautés villageoises aristocratiques d’origine militaire des confins polonais, ces structures collectives originales formaient de véritables « monastères de laboureurs mariés » respectant l’obéissance aux aïeux, la pauvreté individuelle et la chasteté conjugale.

À la source du plus long fleuve de France

À cheval entre la Haute-Loire et l’Ardèche, le Vivarais – Lignon est surnommé par ses habitants le « plateau de la Burle », du nom de ce vent du Nord hivernal qui érige en quelques minutes des congères de quatre à cinq mètres de haut. Sur ce plateau d’origine volcanique existent dans des coins isolés des fermes tenues par une autre communauté spirituelle, les darbystes (ou des Frères de Plymouth, un courant protestant). Deux points saillants marquent le plateau aride de la Burle : le Mont Gerbier-de-Jonc au pied duquel surgissent les sources « véritable » et « authentique » de la Loire, le plus grand fleuve français, et le Mont Mézenc qui se caractérise par deux sommets jumeaux. Les pilotes d’avions redoutent cette zone, théâtre de divers accidents aériens mortels. Les journalistes locaux parlent d’un « triangle des Bermudes terrestre », car les pierres volcaniques perturberaient les instruments de navigation aérienne. D’autres y recherchent le trésor caché de Vercingétorix avant sa défaite à Alésia. Le plateau connaît en 1833 le scandale de l’« Auberge de Peyrebeille » sise sur la route entre Montélimar et Le Puy-en-Velay. Le réalisateur Claude Autant-Lara en fait en 1951 un film, L’Auberge rouge, avec Fernandel. La justice et le voisinage accusèrent le couple d’aubergistes et leur serviteur d’avoir tué des voyageurs. Condamnés à mort, les trois furent guillotinés sur place, ce qui est exceptionnel. Pourquoi ? Des historiens du dimanche y ont vu une forme de sacrifice et insistent sur la proximité du Meygal, le massif montagneux au centre du Velay (ou de la Haute-Loire) dont bien des villages abritaient des forgerons quelque peu alchimistes…

la-source-de-la-loire.jpg

Point de départ pour le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, la cathédrale Notre-Dame du Puy-en-Velay se distingue, d’une part, des autres bâtiments de France romane et gothique par son style byzantin et, d’autre part, par la présence ancienne d’une vierge noire, émanation chrétienne d’antiques cultes telluriques féminins. La cathédrale massive se trouve encadrée de deux promontoires rocheux. Se tient sur le rocher Corneille une statue de la Vierge Marie érigée en 1860 avec la fonte du fer de deux cent treize canons venant de la prise de Sébastopol en 1855 pendant la Guerre de Crimée (1853 – 1856). En face de la cathédrale à dix minutes de marche est édifiée sur un neck, le rocher d’Aiguilhe, de 82 mètres de hauteur, une église de style roman dédiée à Saint-Michel accessible par un escalier de 268 marches. Le folklore qualifie ce promontoire de « fiente de Gargantua ». L’église paraît répondre au rayonnement mystique de l’abbaye normande du Mont Saint-Michel. Dans son court roman Pop Conspiration (Auda Isarn, 2013), Arnaud Bordes y place le siège d’une très vieille société secrète. À cinq kilomètres du Puy surplombe depuis un large éperon rocheux l’immense forteresse médiévale de Polignac, longtemps propriété de la maison du même nom dont une branche cadette a perpétué par mariage avec la dernière héritière la dynastie princière des Grimaldi de Monaco.

crdta-joel_damase_le_puy_en_velay-auvergne.jpg-3000pxa.jpg

Dans la France en crise des années 1930, la Haute-Loire rejette les compagnies de l’électricité qui profitent d’un monopole de fait. Élu en 1929 maire de Vorey-sur-Arzon, Philibert Besson (1898 – 1941) mène la rébellion. Élu député en 1932, il s’associe avec l’ingénieur – agriculteur Joseph Archer, maire de Cizely (Nièvre). Inspirés des analyses d’économistes proches des non-conformistes de la décennie 1930, Philibert Besson et Joseph Archer défendent les États fédérés d’Europe dotés d’une monnaie continentale, l’europa, dont la valeur représente trente centigrammes d’or, cent grammes de cuivre, deux kilogrammes d’acier, deux kilogrammes de blé, deux cents grammes de viande, cinquante centilitres de vin à dix degrés, deux cents grammes de coton, dix kilowatt-heure, une tonne kilométrique et trente minutes de travail. Déchu de son mandat parlementaire et poursuivi par une justice aux ordres, Philibert Besson vit une année en clandestinité protégé et hébergé par les paysans vellaves. En 1936, il se présente à la députation comme le président du Parti capitaliste-travailliste et se déclare partisan du fascisme. Battu, il prévoit la Débâcle de 1940. Interné dans un asile psychiatrique, il décède de mauvais traitements à Riom.

On pourrait continuer à arpenter ces territoires riches en symbolisme populaire et en forts caractères. Oui, Maurice Barrès a raison d’écrire dans La Colline inspirée qu’« il est des lieux où souffle l’esprit. Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l’émotion religieuse ». Le Massif Central ou la clé de voûte de la France spirituelle, héroïque et paysanne au sein de notre civilisation albo-européenne.

Georges Feltin-Tracol

• D’abord mis en ligne sur Vox NR – Les Lansquenets, le 29 avril 2021.

lundi, 14 juin 2021

Un sabir nomade contre les langues nationale et vernaculaires

Ministere_1.jpg

Un sabir nomade contre les langues nationale et vernaculaires

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Saisi à l’instigation du cabinet du ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, par une soixantaine de députés de la majorité présidentielle parmi lesquels Aurore Bergé et le très manuel Benjamin Griveaux dont ce fut l’ultime râle politicien avant de démissionner du Palais-Bourbon, le Conseil constitutionnel a annulé divers points de la loi portant sur la protection patrimoniale des langues régionales et leur promotion, le 21 mai dernier.

Le Parlement avait auparavant approuvé la proposition de loi du député du Morbihan Paul Molac, affilié au groupe transpartisan « Libertés et Territoires ». Les neuf « vigies » du Régime proscrivent les signes diacritiques dont le tilde, et déclarent inconstitutionnelle une pratique pédagogique innovante : l’enseignement immersif. Les écoles primaires en alsacien, en basque, en breton, en catalan, en corse, en néerlandais, en occitan et en créoles deviennent de fait hors-la-loi.

1650417_2012032811805000-1.jpg

Le samedi 29 mai, des milliers de manifestants ont défilé de Guingamp à Bastia, de Pau à Perpignan, de Bayonne à Strasbourg, pour défendre l’existence de ces écoles privés sous contrat. Ces établissements scolaires connaissent un indéniable succès auprès de parents souvent bo-bo qui, en bonne conscience, y inscrivent leurs enfants afin de ne pas les envoyer à l’école publique de secteur multiculturalisée déclinante…

Le choix du Conseil constitutionnel relance le sujet de la ratification française de la Convention européenne des langues régionales et minoritaires déjà envisagée sous la cohabitation Chirac – Jospin. Par « langues minoritaires », il faut entendre les langues de l’immigration extra-européenne. Si les panneaux de signalisation routière peuvent être rédigés en breton ou en occitan, pourquoi pas en wolof ou en hindi ? Ainsi faut-il bien différencier les langues régionales (ou parlers vernaculaires) des langues minoritaires. Autant les premières sont légitimes, autant les secondes, issues de l’immigration de peuplement, ne doivent bénéficier d’aucun avantage. Certes, certains voient dans le soutien aux langues régionales une manœuvre subtile de briser le cadre politique national. Ce n’est pas faux. Maints mouvements régionalistes, autonomistes et indépendantistes témoignent de leurs opinions progressistes et cosmopolites. On retrouve néanmoins cette perception commune chez les souverainistes républicains et chez les tenants de l’euro-mondialisme.

Le Conseil constitutionnel motive sa position en spécifiant que « les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage ». Dont acte ! Mais comment réagir alors à la propagande en faveur de l’écriture inclusive ? Cette fumisterie est-elle constitutionnelle ? Et puis, pourquoi la nouvelle carte nationale d’identité supposée infalsifiable est-elle co-écrite en français et en anglais ?

Par la grâce du Brexit, depuis le 1er janvier dernier, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord n’appartient plus à l’Union dite européenne. Cette plaisante nouvelle aurait dû s’accompagner de la fin de l’hégémonie de la langue anglaise dans les institutions communautaires puisque aucun des Vingt-Sept États membres ne l’utilisent de manière officielle. L’Irlande, Malte et Chypre la pratiquent comme simple langue d’usage. Or, non seulement la Commission de Bruxelles continue à travailler dans la langue de Shakespeare et le Parlement européen adopte des documents uniquement rédigés dans cette langue, mais le récent Parquet européen anti-corruption l’emploie aussi.

Cette préférence linguistique inouïe favorise la conception anglo-saxonne du droit aux dépens du corpus juridique continental d’origine romaine. La nouvelle carte d’identité plastifiée porte par ailleurs dans un coin en haut le F de France au centre du drapeau de l’Union non-européenne comme s’il s’agissait d’une simple province de l’Eurocratie atlantiste. Faut-il en comprendre l’inefficacité flagrante de la loi Toubon de 1994 qui insiste sur la traduction systématique des termes, titres et noms étrangers en français, et la généralisation d’un déplorable franglais ? Le ministère de l’Intérieur n’hésite plus à violer l’article 2 de la Constitution de 1958 qui fait de la langue de Baudelaire la langue officielle.

690.jpg

Pour quelles raisons le ministère de l’Intérieur a-t-il choisi l’anglais et non pas l’allemand, l’espagnol, l’italien ou le coréen de Pyongyang ? Il est même inacceptable qu’à l’instar du passeport, un papier officiel utilisé par l’ensemble de la population française en France soit rédigé dans une langue étrangère. Ce détail guère anecdotique confirme l’extrême servilité de l’exécutif et de la haute-administration envers les intérêts anglo-saxons de la City, de Wall Street, du Capitole et de Hollywood. La place Beauvau abolit l’ordonnance royale de Villers-Cotterêts de 1539 prise par François Premier.

Outre que l’actuel gouvernement hexagonal se met à dos tous les défenseurs des langues vernaculaires, il provoque en même temps les partisans de la langue française et n’hésite même plus à cracher au visage des peuples de la Francité d’Amérique. Hors du Québec, bureaucrates obtus et politicards anglophones aigris, souvent chantres zélés du multiculturalisme, bafouent, contestent et nient les droits culturels fondamentaux des Acadiens et des autres minorités francophones de l’Ouest canadien.

L’avenir d’une langue française, nettoyée des métastases de l’inclusivité scripturale, dépend aussi du sort des gosiers vernaculaires de l’ethnie française outre-Atlantique, et de l’engouement pour les langues régionales, fussent-elles codifiées et normalisées. Les institutions de l’Hexagone se doivent de reconnaître officiellement la pluralité linguistique autochtone. Et exigeons du ministère de l’Intérieur que la prochaine carte nationale d’identité soit entièrement en français !

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 218, mise en ligne sur TVLibertés, le 8 juin 2021.

lundi, 31 mai 2021

Importance du celtisme dans les Asturies

asturias.jpg

Importance du celtisme dans les Asturies

Carlos X. Blanco

Quelle est l'importance du celtisme, au-delà de la curiosité scientifique ? Son importance en termes de préoccupations identitaires ne fait aucun doute. Le passé celtique des Asturies, partagé avec celui de nombreuses régions de la péninsule ibérique, est très remarquable. En fait, si nous nous débarrassons du préjugé linguistique de certains étrangers (seules les nations qui conservent un parler celtique seraient celtiques), il existe en Espagne et au Portugal des témoignages accablants de la présence celtique, ainsi que de la celtisation profonde de nombreux peuples autochtones dont nous sommes issus. Ces super-vies vont au-delà des archives archéologiques ou de quelques traces dans la toponymie, par exemple. Ce sont des "expériences" qui s'actualisent dans une myriade de rituels, de festivals, d'habitudes collectives. Le fait que dans le Pays Asturien (qui dépasse largement l'actuelle Principauté et s'étend à ce qui, au début du Moyen Âge, était un Royaume dans le nord-ouest de la péninsule), tant de rituels, de fêtes, d'habitudes et de physionomies celtiques aient été préservés ne peut s'expliquer uniquement par un isolement séculaire. L'isolement des Asturies et du nord-ouest de l'Espagne par rapport aux territoires qui, plus tard, ont été le théâtre de l'histoire de la grande politique, du grand destin, n'explique pas tout. Il s'agit d'une considération purement négative d'un fait : le fait qu'il existe une celticité très marquée dans notre pays. Outre ce factum, pris dans un sens positif, il faut tenir compte d'une chose qui passe généralement inaperçue : des racines solides, une volonté collective et persistante de rester ce que nous sommes.

Du celtisme asturien, de nombreux points doivent être clarifiés, et mis au milieu de tous, aussi bien du côté des détracteurs que devant les yeux des partisans. Le premier de ces points est qu'il n'est pas possible d'être ni détracteur ni partisan. C'est un fait, un substrat factuel qui est là, attendant d'être de plus en plus exploré. Ce substrat ne contredit en rien la profonde romanisation de nombreuses zones de la Principauté actuelle. Rome nous a légué la langue et de nombreuses institutions. L'étude historique d'un pays implique l'analyse des différentes couches de sa constitution, ainsi que la dialectique et la synthèse de ces substrats. La romanisation du Nord-Ouest lui-même a été très différente de celle des régions du sud et de l'est de l'Espagne : le substrat est informé par les structures de colonisation d'une manière différente. Ici, les Romains sont venus avec le feu et l'épée, pas comme alliés. C'est là que se déroulent les guerres asturiennes, bien plus féroces que les guerres de Gaule et de Germanie de l'époque. On ne colonise pas ou on ne gouverne pas de la même manière un peuple soumis manu militari, et avec une grande distance ethnique d'eux, comme un peuple ami, préalablement soumis à l'influence des civilisations méditerranéennes. Rome y a trouvé de véritables peuples "barbares", c'est-à-dire des altérités inassimilables sauf par la guerre et l'asservissement.

Et c'est là qu'intervient le principal facteur identitaire du celtisme, qui a pu jouer un rôle politique et culturel majeur. Mais, comme ce fut le cas pour la langue asturienne, elle n'a finalement joué aucun rôle. Je pense que cela n'a pas été le cas en raison du lavage de cerveau des "impérialistes hispaniques" dans une large mesure. Les Asturiens, comme d'autres peuples voisins et ethniquement très proches (Galice, Cantabrie, León), ont une conscience assez diffuse de l'existence de deux "Espagnes". Plus d'Espagne "rouge" et "bleue", car la bipolarité de la guerre civile est déjà loin derrière nous, et le clivage purement idéologique, en plus d'être désastreux, n'est plus opérant au XXIe siècle. Je me réfère plutôt au clivage entre l'Espagne atlantique et l'Espagne méditerranéenne, qui a servi à de nombreux Asturiens ayant une conscience identitaire - à droite ou à gauche du spectre idéologique - à trouver un miroir dans lequel revoir leurs propres racines, leurs entrailles, leurs particularités face à un moule "castellaniste" et jacobin fondamentalement méditerranéen.

6eaece99bd7d43689087a0cac77f88a0602c0066640a16bb148d7bf2782756c9.jpg

L'Espagne castillaniste sent déjà le cadavre. Le schéma que les hispanistes castillanocentriques d'aujourd'hui utilisent n'est rien d'autre qu'une transposition du schéma de l'impérialisme romain. Ce que Gustavo Bueno, père et fils, ce dernier avec ses acolytes et ses pseudonymes, ont fait au cours des dernières décennies n'est rien d'autre que de défendre des idées extrêmement usées et discréditées, les idées d'un impérialisme que j'appelle absorbant, dont le paradigme est Rome et que l'Espagne des Habsbourg a à peine essayé d'imiter. VOX même, et les régénérateurs qui ont précédé ce mouvement, se sont fait une idée absolument déformée de l'Empire hispanique, une idée jacobine, qui ne correspond pas du tout à la nature agglutinante de la couronne espagnole des Habsbourg, plus proche de l'impérialisme également agglutinant de ses parents autrichiens. J'appelle Empire agglutinant celui qui centralise au sommet -dans une Couronne et dans la même idée spirituelle de -Communauté de destin- une hétérogénéité de territoires, de juridictions, de principautés, de villes, de royaumes. L'Empire à la manière du Saint Empire romain germanique, ainsi que de l'Empire austro-hongrois, mais surtout de celui-ci, était plutôt une idée : l'idée d'une fédération efficace d'égaux dans la diversité. L'extrême droite espagnole, ainsi que l'extrême gauche espagnole, se sont donné la main sur ce point. L'intérêt de vouloir nous imposer à tous une vision uniforme, unitaire, homogène, jacobine. Certains, en revitalisant l'idée d'un Empire hispanique qui n'était en rien une transcription de l'Empire romain en pleine modernité. Ce n'est pas parce que la Couronne des Habsbourg d'Espagne était encore totalement imprégnée de droit et de philosophie politique germaniques. Une union par le haut, par la Couronne et par les grandes maisons nobles, une union de la diversité. Gustavo Bueno et ses proches (dans les différents sens du mot "proches") veulent nous confondre tous, en faisant de l'Empire espagnol (XVIe-XVIIe siècles) un Empire absorbant, alors qu'il s'agissait, en réalité, d'un Empire agglutinant, bien que l'hégémonie castillane ait certainement été excessive et même préjudiciable à cette même nationalité.

 

mercredi, 19 mai 2021

La Normandie à la rencontre de son héritage patrimonial par la reconnaissance de ses parlers traditionnels

drapeaux-normands-sur-le-pont-de-normandie-10-mai-2014_4896143.jpg

La Normandie à la rencontre de son héritage patrimonial par la reconnaissance de ses parlers traditionnels

par le RÉSEAU CITOYEN DU CERCLE NORMAND DE L’OPINION

Les parlers traditionnels en Normandie que l’on désigne couramment sous le nom de langue normande sont pratiqués encore par quelques dizaines de milliers de locuteurs actifs ou occasionnels.

L’UNESCO considère que cette langue est sérieusement en danger. La récente loi votée par le Parlement – qui marque un progrès notable en faveur des langues régionales – ne lui reconnaît pas une réalité suffisante pour qu’elle puisse être admise par l’État dans le Code de l’Éducation, lui permettant la possibilité d’un enseignement immersif dans les écoles publiques.

normandie-etretat.jpg

C’est une occasion manquée et c’est une faute. La Fédération des associations pour la langue normande (FALE) s’en émeut et a reçu l’appui d’Hervé Morin, président de la région Normandie : ils interpellent le président de la République à ce sujet, réclamant à tout le moins un traitement identique à celui accordé à toutes les autres langues d’oïl.

Ces dernières étant constitutives du Français officiel qu’elles ont fécondé, il serait certainement possible que, dans le cadre du grand projet de promotion de la francophonie en gestation au château de Villers-Cotterêts en cours de restauration, il fût fait une place de choix à la langue normande.

Pourquoi ?

Parce que, par deux fois au moins (XIIIe et XVIIe siècles), la Normandie donna le ton et la prééminence de son vocabulaire et de sa syntaxe à la littérature française et que – particularité insigne – elle fut aussi à l’origine de près de la moitié du vocabulaire de la langue anglaise. Ce que l’on appelle curieusement « l’anglo-normand » n’a d’anglais que l’origine insulaire du normand utilisé par l’élite de la société britannique depuis la conquête de notre Duc Guillaume.

En ces temps de Brexit, où des deux côtés du Norman Channel, on cherche de nouvelles affinités et de nouvelles accointances, il serait peut-être raisonnable que l’on se référât aux parentés linguistiques et historiques : la Normandie a, en ce domaine, plus que son mot à dire.

Drapeau-Normand.pngQuoi qu’il en soit – malgré le mépris affiché par certains milieux au jacobinisme dépassé (Nous pensons, on l’aura compris, au maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, qui s’insurgea contre la volonté régionale de promouvoir les panneaux et autres signalétiques en langue normande) – il convient de soutenir les efforts de la Région en faveur d’une redécouverte et d’une utilisation de la langue normande. Soutien aussi à la diffusion des dictionnaires bilingues franco-normands. Soutien encore à la création d’un Conseil scientifique pour la langue normande et la mise en perspective d’une bibliographie aussi complète que possible des œuvres littéraires en normand.

Quant à l’enseignement… Il suffirait déjà que les autorités académiques encourageassent l’enseignement toujours possible de la culture régionale, tel que prévu par la circulaire Savary de 1982…

Mais ceci est une autre histoire…

Réseau citoyen du Cercle normand de l’Opinion

• D’abord mis en ligne sur TVNC, le 16 avril 2021.

vendredi, 07 mai 2021

Histoire et perspective du nationalisme breton - Entretien avec Padrig Montauzier

couv-n°50.jpg

Histoire et perspective du nationalisme breton

Entretien avec Padrig Montauzier

Propos recueillis par Enric Ravello Barber

Ex: https://www.enricravellobarber.eu/2021/05/

Breizhiz, preizh oc'h deut da vezañ da lezennoù didruez ur reizhiad bedelour ha bedvroelour ha da veañs ar re zo ouzh e ren. Bazhyevet oc'h dindan lezennoù estren Bro-C'hall hag a zo bet a-viskoazh o klask hoc'h enteuziñ hag a zistruj kement tra a c'hallfe ho tieubiñ. Ar falsprofeded-se o deus troet ac'hanoc'h en atomoù denel, e Frañsizien vat reizh ha sentus. Ar pezh a anvont demokratelezh hiziv n'eo nemet maskl ar servelezh ekonomikel hag an displedoni vezhus.

Hiziv, pobl Vreizh, n'ac'h eus ket a vammvro anavezet ez-ofisiel ken. Arc'hoazh n'az-po mui na familh, na hevelebiezh : n'az po nemet mistri. Klaoustre, siwazh, en em laki da garout ar sujidigezh-se en ur grediñ e waranto dit bevañ ez aes.

Traduction française :

Bretons, vous êtes livrés aux lois impitoyables d’un système mondialiste et cosmopolite et à l'égoïsme de ceux qui le dirigent. Vous êtes soumis aux lois étrangères de la France qui se livre depuis toujours à une politique d’assimilation forcée, et détruit tout ce qui peut vous libérer. Ces mauvais prophètes vous ont transformé en atomes humains, en bons Français dociles et disciplinés. Ce qu'ils nomment aujourd'hui démocratie n'est que le masque de l'esclavage politique, du servage économique et de l'abjection morale.

Aujourd’hui, peuple breton tu n’as plus de patrie reconnue officiellement. Demain tu n’auras ni famille, ni identité : tu n’auras que des maîtres. Mais malheureusement tu risqueras d’aimer encore cette servitude croyant qu'elle te garantira l'aisance matérielle.

19934869lpw-19934874-article-drapeau-breton-twitter-jpg_6831408_600x314.jpg

IDENTITÉ 

La Bretagne est une nation avec une personnalité forte et profondément enracinée, pour commencer l'interview, j'aimerais que vous nous expliquiez la genèse de la nation bretonne.Beaucoup de gens pensent que les Bretons sont les restes des Celtes gaulois qui ont survécu à la romanisation, mais en réalité c'était l'Armorique et c'était totalement romanisé, vous, les Bretons, vous vous appelez ainsi précisément parce que vous venez de Grande-Bretagne et êtes les descendants deles Celtes ont émigré en Armorique à la suite de l'invasion anglo-saxonne de l'île.Pouvez-vous expliquer brièvement cela? L'arrivée des Bretons était-elle dans une certaine mesure une « re-celtisation » de l'Armorique?

Padrig Montauzier : La presqu’île habitée aujourd’hui par les Bretons et située à l’extrémité de l’Europe occidentale était connue dans le passé sous le nom d’Armorique, « le pays du bord de la mer ». Les premières manifestations de la vie humaine en Armorique datent de l’époque paléolithique avec notamment les fouilles du Mont Dol en Ille et Vilaine. Les hommes qui ont dressé les mégalithes vivaient aux environs de l’an 2000 avant Jésus-Christ, possédaient des armes de bronze et imposèrent alors leur domination sur tout l’Occident, jusqu’au jour où les Celtes qui occupaient l’Europe centrale partirent à la conquête des terres avoisinant la Baltique, la mer du Nord, la Grande Bretagne et l’Irlande.

Au premier siècle avant Jésus-Christ, plusieurs tribus celtes occupent le massif Armoricain. Elles appartiennent au rameau « celto-belge » qui peuple une partie des îles Britanniques. Cinq peuples se partagent le territoire appelé actuellement la Bretagne : Les Redones, les Namnètes, les Vénètes, les Ossismes et les Curiosolites.

7107d1f7c01df7714255821599b1424f.jpg

L’île de Bretagne, c’est-à-dire la Grande Bretagne actuelle, était habitée par des populations de race ligure puis ensuite envahie par les Celtes, les Goidels dans un premier temps puis par les Bretons. L’invasion saxonne commence vers 449 et se poursuit jusqu’à la fin du VIème siècle. Les succès des troupes saxonnes forcent   les Bretons à se réfugier dans l’Ouest du pays en formant ainsi trois groupes : au Sud, les Bretons de Cornouailles (Cornwall), au Nord, les Bretons de Cumbrie et entre les deux, les Bretons de Cambrie ou Pays de Galles. D’autres Bretons, pour échapper à la fureur des Saxons, traversent l’océan et abordent par exemple les côtes de Galice… les autres, beaucoup plus nombreux arrivent en Armorique et fondent la nation bretonne qui occupe aujourd’hui notre péninsule.

A la suite des persécutions exercées par les Anglo-Saxons contre les Bretons, l’émigration en Armorique prend des proportions considérables. Cette émigration de Grande Bretagne en Armorique se fait sans doute par tribus, une flottille part sous la direction d’un tiern (chef) ou encore d’un moine et débarque dans la péninsule. Les exilés se groupent autour d’un chef puissant et c’est ainsi l’origine des principautés créées par les Bretons sur le sol de leur nouvelle patrie. Ces principautés sont au nombre de trois : la Domnonée, la Cornouaille, et le Bro-Warroch ou Bro-Erec. La re-celtisation de l’Armorique se fait sur deux zones distinctes. A l’Ouest l’élément celtique domine complètement car cette région est en partie très dépeuplée. A l’Est par contre où la population armoricaine est plus dense, il se forme ce que l’on appelle aujourd’hui la Haute Bretagne ou pays gallo, une zone mixte à la fois bretonne et armoricaine. Sans l’émigration bretonne, la péninsule armoricaine aurait été un pays de langue latine, simple province du royaume des Francks, languissante et inculte… Cette émigration bretonne lui a donné un peuple nouveau de race et de langue celtiques, un peuple fier, indépendant… en un mot qui en a fait la Bretagne. Voilà ce que les émigrés ont apporté en ce pays, voilà ce que ce pays leur doit. Lorsque les Bretons quittèrent la Cambrie ou le Cornwall pour l’Armorique, ils ne partaient pas pour une terre totalement inconnue. Ils avaient le souvenir des nombreuses relations commerciales entretenues jadis au temps de la Celtique indépendante avec les tribus armoricaines et les paysages de cette nouvelle Bretagne leur rappelaient ceux de la patrie perdue.        

be8d8ac5b0b1d9928b4fd6bc1d39f921.jpg

Vous êtes donc frères des Gallois - et des Cornouaillais - certains nationalistes bretons pensent que Galles et la Grande-Bretagne sont la même nation divisée en deux, "deux tranchants de la même épée" m'a dit un jour un bon nationaliste breton;en fait l'hymne de Galles et celui de la Bretagne, qu'en pensez-vous ?

Padrig Montauzier : Effectivement nous sommes frères, frères celtes et unis par une même culture. Il est vrai que le Pays de Galles et la Bretagne ont toujours été, sur le plan culturel, très proches principalement au niveau de la langue, Comme vous le mentionnez, nous avons un hymne identique ce qui démontre bien une très grande proximité culturelle. Une différence toutefois, nos frères gallois, comme pour les autres nations celtes, bénéficient de pouvoirs réels et d’une reconnaissance par la couronne anglaise, ce qui n’est pas le cas du peuple breton sous tutelle coloniale française et privé de ses droits nationaux.

A la fin du 19e siècle, au début du 20e siècle, on assiste à un renouveau du celtisme, proposant même une unité pan-celtique, dont chacune des nations celtiques serait une province (Écosse, Irlande, Pays de Galles, Cornouailles, Ile de Man, Grande-Bretagne).Êtes-vous favorable à cette idée ?

Padrig Montauzier : Cette idée évidemment j’y suis favorable et l’on voit bien qu’elle est profondément ancrée chez les Bretons. Regardez par exemple le succès du festival inter-celtique de Lorient qui rassemble depuis de nombreuses années des milliers de spectateurs venant du monde entier. Toutefois, si après la seconde guerre mondiale nos frères irlandais et gallois se sont mobilisés pour aider les militants nationalistes bretons persécutés par le gouvernement gaulliste/communiste français, il ne faudrait pas oublier que dans l’ensemble tous nos frères celtes restent relativement très francophiles. Personnellement, sur le plan politique, je regarde plus vers l’Est pour un soutien à notre cause de libération nationale. C’est là que l’on voit qu’il existe parfois un « fossé » entre le culturel et le politique, alors que les deux sont étroitement liés !

Le Gwenn ha Du (blanc et noir) est le nom donné au drapeau breton que nous connaissons tous, mais la Bretagne a eu de plus en plus de drapeaux plus anciens, comme celui avec la croix noire sur fond blanc, lequel d'entre eux représente le mieux l'histoire et l'identité bretonne, quelle est la différence entre eux ?

Padrig Montauzier : Faisons abstraction des drapeaux représentant les pays (Broioù) de Bretagne et intéressons-nous aux trois drapeaux symbolisant la Nation bretonne. Les drapeaux basés sur une croix de couleurs découlent en fait de l’époque des croisades. Lors des deux premières croisades, les différentes nations y participant arboraient toutes la croix rouge sur fond blanc. C'est seulement lors de la troisième croisade, en 1188, que chaque nation put avec l'accord du pape disposer de sa propre couleur de croix afin de se distinguer des autres nations. Avec l'approbation du pape Gregoire IX, les Bretons auraient reçu la couleur noire pour leur croix. Les différentes traces historiques ont le plus souvent montré la croix noire sous forme d'écu, de bannière, ou encore associée à des hermines. Le Kroaz Du (croix noire en breton) devient l'emblème de l’État breton jusqu'à l'annexion par la France. Le Kroaz Du évoluera à cette date et sera utilisé par la marine bretonne qui lui rajoute des mouchetures d'hermine. Lors de l'annexion définitive en 1532, il disparaîtra alors au profit de l'hermine plain, les différents rois de France successifs estimant que la croix noire rappelait trop la monarchie et l’indépendance bretonne, et risquait de remettre en cause la légitimité du rattachement du duché de Bretagne à la France. Le Kroaz Du a été remis en lumière à partir de l’année 2000 sous l’impulsion du parti de droite nationaliste ADSAV.

anna-vreizh-drapeau-ok.jpg

Appelé Bannière d'hermine ou drapeau hermine plain, ce drapeau historique de Bretagne voit le jour en 1316 sous le règne du duc de Bretagne Jean III qui décide de changer d'armoiries et opte pour le semé de mouchetures d'hermine, que l'on appelle en héraldique « hermine plain ». Aujourd'hui encore, le drapeau d'hermine est utilisé lors certaines manifestations historiques, politiques et fêtes religieuses, par certains bagadoù et mairies de Bretagne et flotte sur des bateaux de plaisance, châteaux et églises de Bretagne.

Enfin le Gwenn ha Du (blanc et noir en breton). Au XIXème siècle, un réveil celtique, partie prenante du romantisme et du principe des nationalités, gagne toute l’Europe, d’Ouest en Est, et les hermines du Gwenn-ha-Du en frémirent dans le vent. C’est en 1925 que Morvan Marchal, militant nationaliste breton et co-fondateur de Breiz Atao, ce laboratoire expérimental des partis bretons de l’avenir, créé le drapeau breton à bandes. Il fallait inventer un drapeau breton d’esprit moderne tout en conservant au maximum les couleurs et les hermines primitives. Au point gauche du drapeau neuf bandes égales alternativement noires et blanches, couleur traditionnelle, lesquelles bandes représentent, les blanches les pays bretonnants : Léon, Trégor, Cornouaille, Vannetais, les noires, les pays gallos : Rennais, Nantais, Dolois, Malouin, Penthièvre.

Ce drapeau n’a jamais voulu être un drapeau politique mais un emblème moderne de la Bretagne et il constitue une synthèse parfaitement acceptable de la tradition du drapeau d’hermine et d’une figuration de la diversité bretonne. Dès 1937, il est reconnu par le gouvernement français à l’Exposition Internationale où il flotte sur l’Esplanade des Invalides à égalité avec les autres drapeaux du monde entier.

Ainsi, arboré à ses débuts par le seul Parti National Breton, il fut rapidement adopté par d’autres fractions militantes aussi différentes qu’Ar Falz et le Bleun-Brug. Il guidera les militants sur les lieux historiques et flottera au cours de leurs manifestations et congrès. Avant, pendant et après la seconde guerre mondiale des centaines de Bretons iront en prison, se battront et mourront pour ce drapeau parce qu’il symbolise leur personnalité d’homme libre dans la réalité toujours enchaînée.

Le Gwenn ha Du est donc aujourd’hui le drapeau national officiel de la nation bretonne.

a.jpg

On parle de la possibilité de réintégrer la capitale historique de la Bretagne, Nantes, en Bretagne, dont elle a été retirée en 1941 pour créer le département artificiel de la Loire-Atlantique.Cette réunification de la Grande-Bretagne est un jalon pour le nationalisme breton ?

Padrig Montauzier : Le décret signé sous le régime français du Maréchal Pétain retirant la Loire Atlantique du reste de la nation bretonne est en fait un vieux projet décidé par les radicaux socialistes français afin d’affaiblir la Bretagne de la réduire sur le plan européen car l’État français n’a jamais perdu en mémoire le fait séparatiste breton. Tous les gouvernements français ont fidèlement suivi et appliqué ce décret et cette horrible amputation de notre nation. Cette partition de notre Bretagne ne repose que sur des volontés politiques françaises dont les conséquences continuent de peser lourdement sur notre nation : économiquement, nous sommes affaiblis ; et outre le déni évident de démocratie, le temps poursuit l’érosion de notre identité et amenuise cette force qu’elle constitue, ce levier dont tous devrions tirer profit. La question de la réunification de la Bretagne est plus que jamais d’actualité, mais, nous nationalistes et indépendantistes bretons, restons opposés à la tenue d’un référendum pour de multiples raisons. La première est d’une évidence toute simple : l’État français, en organisant la partition, en amputant la nation bretonne d’une partie de son territoire national, a-t-il demandé son avis au peuple breton ? Non bien évidemment ! Alors pourquoi tant de gymnastique ? Pourquoi demander, je dirais quémander, un référendum ?

La voie du référendum est un véritable piège sur cette question fondamentale qu’est le retour de la Loire Atlantique en Bretagne. Un leurre, un appeau comme disent les chasseurs, un référendum bien pensé, cadenassé, ambigu quant à la définition, au périmètre ou encore à la formulation et aux libellés des questions posées… Un référendum sujet à toutes les manipulations de la part des ennemis jurés de la réunification et ils sont nombreux à être aux aguets, sans oublier des politiques en bout de course qui aujourd’hui reviennent sur le devant de la scène et qui dans le passé ont trahi.

indexnantes.jpgIl existe pourtant un mode législatif tout simple pour régler le problème: le décret. Il suffirait en effet d’un simple décret, répondant à celui du gouvernement français en 1941, pour réintégrer la Loire Atlantique en Bretagne, clore ainsi définitivement cette abomination et rendre enfin justice au peuple breton. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ! Alors faut-il que la réunification de la Bretagne pose problème et inquiète à ce point pour devoir choisir la voie la plus tortueuse pour résoudre une fois pour toute l’éternelle revendication du peuple breton qui, dans son immense majorité et principalement les habitants de la Loire Atlantique, demande la fin de cette partition ? Il est vrai qu’une Bretagne, son intégrité territoriale retrouvée, deviendrait une nation européenne conséquente, d’où l’origine de son amputation, sans sous-estimer les craintes toujours actuelles d’un État français, enfermé dans un colonialisme d’un autre âge, redoutant quelques velléités séparatistes de la part d’une Bretagne toujours réputée rebelle.

Refusons catégoriquement cette solution référendaire qui pourrait se retourner contre nous et signifier la fin de notre rêve d’unité.

NATIONALISME  

Vous avez été condamné à 15 ans de prison pour votre participation à l'attentat du Château de Versailles (une attaque sans victimes qui ne cherchait que des dommages matériels et symboliques) en tant que membre du FLB / ARB, vous êtes donc l'une des plus grandes références du nationalisme Breton, pouvez-vous nous résumer brièvement votre vie de militant ?

Padrig Montauzier : Mon parcours politique pourrait être assez classique s’il n’y avait pas eu la période « clandestine », les condamnations puis les prisons françaises.

Comme je l’ai maintes fois mentionné, j’ai très jeune été baigné dans un environnement politique, un environnement familial puisque mon père était militant et dirigeant syndicaliste ouvrier. C’est ainsi que tout gamin j’ai participé à certaines grandes manifestations organisées par le parti communiste français et mes souvenirs restent encore, à ce jour, intacts, comme ces « premier mai » au parc du Thabor à Rennes.

Padrig-4-2-2012.jpg

La suite est logique, la route est toute tracée. Adhésion aux Jeunesses communistes quelques années avant les fameux évènements de mai 68 et c’est à partir de cette date que tout va basculer. Un mouvement clandestin FLB (Front de Libération de la Bretagne) se manifeste bruyamment en Bretagne en faisant exploser des bâtiments administratifs symboles de la présence française en Bretagne. Une revendication claire : l’indépendance de la Bretagne… Évidemment ce n’était pas du goût d’un PCF jacobin et ennemi juré de tout ce qui pouvait être assimilé au mouvement breton. Vient également s’ajouter à cette première dissension, le mouvement de révolte de mai 68 et le regard d’un jeune lycéen de 18 ans, un regard en totale opposition avec les positions communistes (PCF) et celles de la centrale ouvrière affiliée à ce parti.

C’est la rupture totale et mon intérêt soudain pour tout ce qui concerne la Bretagne et le mouvement breton, tant culturel que politique. Un premier déclic : apparition à la télévision régionale d’un homme s’exprimant en langue bretonne ! Cet homme, vous l’avez reconnu, c’était Charlez ar Gall. Seconde chose qui déclenche mon intérêt pour la cause bretonne c’est une lecture de l’Histoire de la Bretagne de l’abbé Poisson et là l’affaire était conclue. S’ensuivent les lectures de nombreux journaux politiques de l’époque dont l’Avenir de la Bretagne dirigée par Yann Fouéré, et le Peuple breton l’organe de l’UDB. Le choix a été rapide, et l’homme de gauche que j’étais encore resté, opte pour les idées exprimées dans un journal classé « à droite », le journal de Yann Fouéré et à cette époque organe de SAV (Strollad Ar Vro, parti de la patrie en français.

unnamedbret.pngDébut des années 70, adhésion au parti SAV et quelques temps plus tard je prends la fonction de secrétaire fédéral pour le pays de Rennes.

Entre temps les attentats du FLB (Front de libération de la Bretagne) s’intensifient, ainsi que les arrestations, les condamnations… L’État français, fidèle à lui-même, reste totalement sourd malgré la multiplication des « nuits bleues » et les scores très honorables du mouvement politique breton légal aux diverses élections.

Alors encore une suite logique… Pourquoi poursuivre dans la voie légale qui semble être une impasse ? Quelques mois plus tard le pas est franchi. C’est mon engagement dans le mouvement clandestin. Responsable de Kevrennoù sur plusieurs départements, membre du Kuzul Meur (Grand conseil), attentats en série... puis arrestation et jugement devant une juridiction spéciale française : la Cour de Sûreté de l’État. Une première condamnation à 15 années de réclusion criminelle, puis quelques mois plus tard, seconde condamnation (pour une trentaine d’attentats) à 15 autres années d’emprisonnement dans les geôles françaises. A noter que lors du premier procès, j’ai refusé d’y participer au motif que je ne reconnaissais pas cette juridiction française et demandais à être jugé en Bretagne par un juridiction bretonne. Dans le box des accusés, je me suis limité à lire une longue déclaration de plusieurs heures après 20 jours de grève de la faim, et demandé à mes avocats de se retirer afin de laisser, entre elle, la justice française délibérée en son âme et conscience ! (Petit rappel, la peine de mort avait été envisagée).

flb.jpg1981, élection de Mitterrand, amnistie… et 3 ans et demi passés dans les cachots du pays qui nous occupe toujours. A peine libéré, création avec Yann Fouéré et une poignée de militants nationalistes du POBL (Parti pour l’Organisation de la Bretagne Libre). A l’issue d’une première assemblée générale je suis nommé secrétaire national, puis quelques années plus tard je deviens un des présidents jusqu’à la création d’ADSAV (la relève ou la renaissance) en français, parti de la droite nationaliste bretonne. A l’initiative de ce nouveau parti, j’en prends la direction pendant de nombreuses avant de laisser la place à une équipe plus jeune et me consacrer uniquement à la revue War Raok/La voix de la nation bretonne qu’il faut impérativement moderniser et développer… un outil indispensable pour faire avancer, voire triompher, la cause indépendantiste bretonne.

La Première Guerre mondiale du fait de son impact démographique et de son acculturation française, après la Seconde on fut considérée « tout le breton » comme un soupçon de «collaborationnisme», comment ces deux conflits affectèrent-ils réellement la Bretagne ?

Padrig Montauzier: La première guerre mondiale a été une véritable catastrophe pour la Bretagne. 240.000 Bretons sont morts dans une guerre où la Bretagne n’était en rien concernée, mais cette guerre correspond surtout à la fin d’un mode de vie traditionnelle, à la régression de la langue bretonne… et à la montée d’un fanatisme républicain français culpabilisant les Bretons d’appartenir à un peuple fier et distinct.

La seconde guerre mondiale a été également un conflit qui a affecté durement notre patrie. Toutefois il faut noter que si durant le premier conflit le mouvement breton était peu existant sur le plan politique, il n’en est pas de même lors de cette seconde guerre mondiale. L’EMSAV est organisé, relativement influent avec plusieurs partis politiques mais également bien représenté dans le domaine culturel. On conteste ouvertement la présence française en Bretagne, le journal Breiz Atao, le Parti National Breton ouvrent la voie et parlent d’indépendance… le groupe clandestin Gwenn ha Du fait parler la poudre, le journal La Bretagne, plus modéré, demande un statut d’autonomie… Il y a donc une véritable « contestation » nationaliste bretonne et l’État français en alerte met en route son appareil répressif. Premières arrestations de leaders politiques, premiers emprisonnements.    

51KCT7U+AdL._SX348_BO1,204,203,200_.jpgJe vous donne deux citations de chefs et militants nationalistes bretons à cette période :

« Quelques centaines de Bretons résolus peuvent, à l’occasion du prochain confit, faire de la Bretagne une seconde Irlande ». Frañsez Debauvais.

Ou encore :

« Dans un délai prévisible il n’y aura plus de France, nous devons être sur les rangs pour prendre notre part des dépouilles de la bête ». Célestin Lainé.

Pendant ces années du conflit, deux camps s’affrontent : les Bretons qui se rangent du côté de la France en résistance contre l’occupation allemande, et les nationalistes bretons qui ne veulent pas entrer dans ce jeu guerrier où la Bretagne n’est nullement en conflit avec l’Allemagne. On retrouve cette même situation en Irlande avec le mouvement républicain et notamment avec l’attitude de l’IRA. Profitant de cette situation particulière en Bretagne et sous l’influence de plusieurs responsables allemands très celtisants, le IIIème Reich accorde quelques largeurs aux milieux nationalistes sur le plan culturel, notamment la diffusion de la langue bretonne sur les ondes. Quant à son engagement, en cas de victoire, d’accorder à la Bretagne une réelle indépendance, cela reste assez floue et pour ce qui me concerne reste au stade d’une vague promesse.

Ce qu’il faut surtout retenir de ce second conflit et de son incidence en Bretagne, c’est le comportement de ceux, qui au nom d’une résistance à l’occupant allemand, commettent les pires crimes, les plus odieux assassinats de militants bretons. C’est ainsi, après le lâche assassinat de l’abbé Yann-Vari Perrot par les communistes, que des militants nationalistes créent la formation Perrot (Bezen Perrot) et s’engagent, en tant que Bretons, au côté des forces allemandes et traquent alors les réseaux de résistants afin de préserver la vie des militants bretons. Ces hommes, ne se reconnaissant pas français, n’ont donc pas collaboré, c’est une différence avec les millions de Français qui, eux, ont joué la carte allemande contre leur propre pays.

Enfin, après la guerre, la France gaulliste et communiste a traduit et fait condamner un nombre considérable de militants bretons tant politiques que culturels, et malheureusement certains ont été passés par les armes. Rappelons, que lorsqu’ils étaient condamnés à mort face au peloton d’exécution, ils ne criaient pas «Heil Hitler» mais «Breizh Atao». Et si l’histoire avait été autre ? Nos militants seraient aujourd’hui des héros, des rues, des places porteraient leurs noms…

En tant que nationaliste breton et indépendantiste, je me suis toujours refusé à condamner ces camarades. J’ai le plus grand mépris pour ceux qui le font et qui sont tous, vous devez vous en douter marxistes et communistes, éternels ennemis d’une Bretagne libre.

La France n’est pas à une honte près... Cette période a laissé des traces, et malgré les tombereaux de mensonges déversés constamment par la bonne presse régionale, entretenant cet esprit de vengeance, le mouvement breton a néanmoins su relever la tête et reprendre le combat contre cet État français englué dans un colonialisme et un impérialisme d’un autre âge.  

AVT_Olier-Mordrel_1724.jpgOlier Mordrel est-il la référence maximale de la pensée nationaliste bretonne ?

Padrig Montauzier : Même si nous ne partageons pas toutes les positions d’Olier Mordrel, il nous faut reconnaître qu’il compte parmi le grand penseur et acteur du nationalisme breton. Ce grand homme a eu cette chance d’être présent et de militer pendant le second conflit mondial, puis après un exil forcé, de continuer à militer et à promouvoir les idées nationalistes bretonnes. Un autre grand homme, que j’ai bien connu et milité avec lui de très nombreuses années, c’est Yann Fouéré. Autre personnage, bien différent d’Olier Mordrel, pas tant sur les idées, mais sur l’approche et sur la façon de les présenter et de les promouvoir. N’oublions pas que Yann Fouéré fut un ancien haut fonctionnaire, ancien sous-Préfet de Morlaix dans le Finistère et donc habitué à une certaine diplomatie… ce que fait de lui un redoutable homme politique. En fait, ces deux hommes se complètent admirablement. Maintenant, d’autres ont écrit, peu il est vrai, mais de grande valeur également. Un grand regret, suite à la mort prématurée, du fait d’une longue maladie, pendant la seconde guerre mondiale de celui que je considère comme le grand artisan du mouvement nationaliste breton et fidèle équipier d’Olier Mordrel, je veux parler de Frañsez Debauvais. Très peu d’écrits malheureusement de sa part et je pense que s’il avait survécu nous aurions eu très certainement une autre version, ou plutôt, une approche différente du nationalisme breton qui aurait été un véritable outil, une véritable arme, pour notre combat de libération nationale.

Malheureusement, dans les années 60-70, le nationalisme breton a été pénétré par le gauchisme, des magazines comme War Raok, que vous dirigez, ou des partis comme ADSAV, dont vous êtes co-fondateur, sont-ils la possibilité de retrouver le véritable sens identitaire du nationalisme breton ?

Padrig Montauzier : Les années 60-70 sont en fait les années du fameux Mai 68 avec ses dérives qui ont gangrené non seulement les milieux politiques mais également toute la société en Bretagne. Le mouvement breton n’a pas échappé au virus gauchiste et a encore, aujourd’hui, bien du mal à en guérir. Cette véritable maladie mentale nous a fait perdre un nombre considérable d’années dans notre combat pour l’émancipation de notre peuple. Notre objectif de militant breton nationaliste est de permettre à la Bretagne de renaître et ce simple objectif dépasse le clivage gauche/droite, clivage que nous revivrons lorsque nous aurons recouvré notre liberté ! Aujourd’hui notre peuple breton est menacé dans son existence même. L’Europe est en proie à une grave crise d’identité, l’image même des peuples est brouillée, le mot nation ne dit plus rien et son sens premier s’efface. Le sentiment d’appartenance n’existe plus que dans la réalité des nations charnelles et dans les aires de vieille culture… Aujourd’hui, la nation s’appelle Bretagne, Flandre, Écosse, Catalogne, Corse, Pays de Galles, Euskadi…

20285090.jpg

C’est l’orientation choisie par la revue War Raok, orientation qui refuse tout sectarisme idéologique véritable frein dans notre lutte de libération. Le peuple breton a besoin de propositions qui s’inscrivent dans une démarche de renouveau, de propositions porteuses d’idées fortes mais simples qui permettront demain à notre nation de prendre un nouvel essor dans une Europe nouvelle. Comme dit précédemment, on doit s’écarter et se dégager de tout dogme idéologique, de tout impératif de conformisme et de bienséance politiques qui l’emportent sur les intérêts du peuple breton. Notre démarche résulte d’une prise de conscience nationaliste, de décisions qui nous sont propres car nous ne laisserons jamais à d’autres le soin de nous définir. Nous voulons tout simplement faire entrer notre peuple dans l’histoire en lui rendant la possibilité d’agir pour lui-même et d’être l’acteur de son devenir. Ce qui caractérise notre nationalisme, ce qui nous caractérise c’est que nous envisageons notre lutte pour l’indépendance de la Bretagne comme un appel à certaines attitudes morales, sociales et politiques en rupture totale avec le système colonial qui nous opprime.  

IMMIGRATION

La Bretagne est en train de devenir un lieu d'arrivée massive d'immigrants ces dernières années, avec l'augmentation conséquente de l'insécurité, pensez-vous que le gouvernement parisien utilise consciemment l'immigration pour « dé-bretoniser » la Bretagne ? Que pensez-vous de ces psycho-nationalistes bretons en faveur du «papal pour tous» ?

Padrig Montauzier : Excellente question qui ne s’applique malheureusement pas uniquement à la Bretagne. L’État français utilise bien sûr ce phénomène migratoire, avec le déplacement de ces populations étrangères et extra-européennes, et déstabilise ainsi l’homogénéité ethnique des peuples. Il le fait régulièrement en Bretagne et dans certaines grandes villes bretonnes aujourd’hui on ne sait plus très bien dans quelle partie du monde nous nous trouvons ! Autrefois on déplaçait les populations (régimes communistes), aujourd’hui la façon de faire est différente, plus anodine, mais toute aussi efficace. Mais comme vous le dites dans votre question, certains militants « bretons » acceptent ce procédé mortifère qui menace l’existence même du peuple breton, peuple dont ils se réfèrent et prétendent défendre l’identité !

maxresbretimm.jpg

De tout temps les déplacements de population ont marqué l’histoire, mais accomplis à l’intérieur d’un vaste ensemble ethno-culturel relativement homogène, ils n’ont jamais affecté la cohésion, ni mis en péril les caractères communs des peuples. La présence de plus en plus massive, en Europe, de populations immigrées extra-européennes est en fait le produit d’un certain système idéologique négateur des spécificités. Il faut également remarquer qu’une immigration massive, comme nous le constatons actuellement, devient obligatoirement une colonisation !

Il nous appartient donc, nous défenseurs des peuples, de refuser ce qui devient une invasion démographique. Les problèmes liés à cette immigration extra-européenne en Europe appellent une solution idéologique favorable à la cause des peuples. Les irresponsables qui prônent la fusion des peuples par idéologie mondialiste font le jeu des puissances d’argent et de la haute finance cosmopolite. Leur ardeur humanitaire masque en fait leurs véritables motivations.

Au même titre que nous, nationalistes et indépendantistes bretons, refusons l’exode des Bretons, nous refusons l’exode immigrationniste dans le reste du monde.

EUROPE DES PEUPLES

Yann Fouéré, un nationaliste breton, a écrit le célèbre livre Pour l'Europe des cent drapeaux qui proposait une Europe fédérale basée sur les patries charnelles.Quelle est votre proposition pour la construction de cette "Europe aux cent drapeaux" ?

Padrig Montauzier : Tout d’abord je voudrais préciser que l’on peut difficilement séparer le combat qui se mène aujourd’hui en Bretagne (ou en Catalogne, en Flandre, en Corse, au Pays Basque, en Écosse...) et le destin de l’Europe. L’Europe que nous voulons bâtir est l’Europe des peuples, l’Europe aux cent drapeaux, aux cent nations... l’Europe ethnique. Dois-je rappeler que la Bretagne est une des plus anciennes nations européennes. L’Europe fait donc partie de notre combat et d’un bout à l’autre de cette Europe des peuples luttent pour leur émancipation et leur libération nationale. De l’un à l’autre, les buts et les moyens varient, mais l’impulsion initiale est la même.

imaempl.jpgCette lutte des peuples, concerne ou concernera tous les peuples européens. Mais comme je le précisais précédemment, cette Europe devra se construire sur des bases ethniques, des peuples-patries… Une Europe européenne. Dois-je vous énumérer les dangers actuels qui risquent de conduire l’Europe à sa perte : l’immigration extra-européenne, l’islam religion guerrière, la menace de certains pays émergents… etc. La situation est aujourd’hui critique car nous sommes plus qu’hier devant un grave danger d’assimilation. Je suis un défenseur et du côté des peuples de culture contre les systèmes massifiants, les complices et les agents du déracinement. A nous d’organiser la résistance, peuples européens. A nous Bretons de participer activement à la construction de cette Europe des peuples qui est en marche. Ce qu’il faut à cette Europe c’est d’abord une vision, un idéal, un souffle nouveau. Cette Europe nouvelle doit bien sûr échapper à toutes tentations impérialistes, centralistes, à tout système unitaire. Elle sera une fédération dont chaque nation sera membre. Ces membres, eux-mêmes États, se gouvernant, s’administrant en toute souveraineté selon leurs propres lois. La Bretagne adhérera librement à ce pacte fédéral et ne déléguera uniquement que ce qu’elle ne pourra gérer seule. A tout moment cependant, elle sera libre de suspendre telle compétence à l’Europe, voire, si la situation l’exige, de se retirer totalement du pacte.

couv-War-Raok-n°51.jpg

Enfin, quels sont vos projets culturels et politiques actuels ?

Padrig Montauzier : Actuellement je projet qui me tient à cœur c’est de faire en sorte qu’une revue comme War Raok perdure et devienne un véritable outil pour la cause qui m’anime et qui anime tous les défenseurs des libertés bretonnes. La revue que je dirige doit devenir une référence dans cette résistance de notre peuple face à un État français colonialiste et impérialiste. War Raok, avec plus de 20 années d’existence, œuvre concrètement pour une réelle renaissance bretonne, refuse par les articles traités que le peuple breton se laisse contaminer par des émotions étrangères, émotions préfabriquées, afin de mieux se réapproprier ses propres émotions… celles liées à sa terre, à sa culture, à son histoire, à sa langue, à sa religion et à ses traditions.

wr.jpgIl faut que War Raok continue à diffuser les idées généreuses de liberté, sans complaisance mais avec objectivité et rigueur. Si certains ont peur de leur ombre, se passent eux-mêmes la camisole intellectuelle, nous préférons à War Raok agir pour une véritable renaissance bretonne en évitant surtout de ne pas tomber dans le piège d’une revue contestataire, irresponsable ou extrémiste.

Voilà mon cher Enric.

A galon vat Enric, Bennozh Doue deoc’h kamaladed, ha bevet dieubidigezh Vreizh ha Bro Gatalonia.