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mardi, 27 février 2024

Transnistrie. Point de non-retour

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Transnistrie. Point de non-retour

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/transnistria-punto-di-non-ritorno/

Transnistrie. La rive gauche du Dniestr. Une république indépendante, mais reconnue uniquement par l'Ossétie et l'Abkhazie.

Pour la plupart des gens, elle ressemble à l'un de ces petits États balkaniques d'opérette, comme Pontevedro dans "La veuve joyeuse" de Franz Lehar.

Et que peut-on attendre d'un petit État de moins d'un demi-million d'habitants ? Que le prince Danilo sorte en chantant "È scabroso le donne studiar...".

Mais au lieu de cela...

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Au lieu de cela, la Transnistrie risque de devenir, à très court terme, le détonateur d'un nouveau conflit au cœur de l'Europe. Entraînant l'OTAN et la Fédération de Russie toujours plus près d'une confrontation directe.

Le cœur du problème remonte à l'effondrement de l'URSS. Celle-ci, dans sa géographie interne, considérait la Transnistrie comme faisant partie de la République socialiste de Moldavie. Bien que la majorité de la population de cette province soit russe.

Avec l'effondrement du système soviétique, ce que nous avons également vu en Ukraine s'est produit ici. Et dans de nombreuses républiques nées des cendres de l'empire soviétique.

La Transnistrie s'est déclarée indépendante, n'acceptant plus d'être considérée comme faisant partie de la Moldavie. Là où, en revanche, un "nationalisme roumain", qui aspire à l'unification avec Bucarest, s'est peu à peu affirmé.

C'est le sort de tous les empires supranationaux. Lorsqu'ils implosent, l'espace géopolitique est fragmenté et occupé par des nationalismes tribaux, ethniques et, presque toujours, brutalement xénophobes.

Dans le cas des anciennes républiques de l'URSS, ce phénomène a été accentué par le soutien apporté à ces nationalismes tribaux par des puissances extérieures. Et des potentats financiers.

Le cas de l'Estonie est exemplaire. Un véritable régime d'apartheid y est en vigueur à l'encontre des "non-Estoniens". Un régime qui marginalise une grande partie de ses citoyens, les privant de presque tous les droits. Un problème signalé et condamné par les Nations unies et diverses organisations internationales. Pourtant, l'Estonie est membre de l'OTAN et de l'UE.

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Posons quelques questions...

La Transnistrie vit actuellement dans une dimension suspendue. Indépendante de facto, mais, de jure, toujours province de la Moldavie. Et elle vit surtout dans une trêve, suite à la "guerre" civile avec la Moldavie dans les années 1990. Une trêve garantie par les troupes russes, massivement présentes sur le territoire.

Mais Moscou n'a jusqu'à présent jamais forcé la main. Elle n'a pas annexé la province, et a même préféré diplomatiquement prétendre qu'il ne s'agissait pas vraiment d'une sécession de la Moldavie.

Aujourd'hui, cependant, la situation a définitivement changé. Les nationalistes roumains sont au pouvoir à Chishinau. Ils veulent non seulement rompre avec la Russie, mais aussi faire entrer le pays dans l'OTAN. Et, en perspective, obtenir l'unification avec Bucarest.

La Transnistrie a, bien entendu, réagi en demandant son rattachement à la mère patrie, la Russie.

Poutine a officiellement déclaré qu'il donnerait une réponse sous peu.

Il est clair, cependant, que celle-ci ne peut être que positive.

Si la Moldavie entre dans l'OTAN, la Transnistrie entre en Russie.

Ce sont les règles de la domination géopolitique.

Après la question du Donbass, voici la question de la Transnistrie. La voracité de l'OTAN à vouloir s'étendre dans les anciennes républiques soviétiques - Ukraine, Moldavie - provoque une série de réactions en chaîne. Qui, tôt ou tard, déboucheront sur un conflit direct entre Washington et Moscou.

Reste à savoir quand et où le point de non-retour sera franchi. Il pourrait s'agir de cette petite république à l'Est des Balkans. La Transnistrie.

dimanche, 25 février 2024

CONFERENCE SUR LA SECURITE DE MUNICH 2024 - « Le renforcement de l'ordre international fondé sur des règles »

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CONFERENCE SUR LA SECURITE DE MUNICH 2024

« Le renforcement de l'ordre international fondé sur des règles »

Un revirement stratégique allemand ?

Irnerio Seminatore

TABLE DES MATIERES

- Le concept de sécurité et le pouvoir normateur

- Antinomies, ruptures et discontinuités

- Zbignew Brzezinski, l’Eurasie et la décentralisation de la Russie

- Les interventions du Chancelier allemand O.Scholz et de la Ministre des affaires étrangères Mme A.Baerbock

- Une défense pan-européenne commune face à la « menace » russe ?

- Lecture actualisée du « Forum de Munich 24 » et de la situation actuelle selon les concepts de « Guerre et Paix, hostilité, état intermédiaire et guerre totale » de Carl Schmitt

* * *

Le concept de sécurité et le pouvoir normateur

La Conférence sur la Sécurité de Munich (CSM), littéralement « conférence sur les savoirs de défense » à l’origine (Wehrkundetagung), qui se tient annuellement à Munich depuis 1963, a comporté la présence de Chefs d’Etat et de gouvernement, des Ministres de la défense, des Chefs d’Etat-major et d’experts et analystes des pays de l’Otan, de l’UE, d’Europe, de la Zone euro-atlantique et d’ailleurs. Son panel a pu compter sur des interventions de A. Blinken, O. Scholz, A. Baerbock, A. Gutierrez, J. Stoltenberg, V. Zelensky, K. Harris, etc. Même Poutine s’y est exprimé en 2007 pour dénoncer l’unilatéralisme américain. On définit ce Forum « le Davos de la politique » pour son caractère globaliste. Cette année (du 16 au 18 février), le thème central du débat a été le « renforcement de l'ordre international basé sur des règles » et ce sujet résonne particulièrement dans les esprits, car les règles et la sécurité ne font pas bon ménage, sauf contrainte.

En effet peut-on définir la sécurité comme endiguement juridique de la violence? Les juristes les plus prestigieux, Kelsen et Schmitt ne se sont pas accordés sur l’existence d’un pouvoir normateur central du système international, ni dans la définition des relations internationales, ni encore sur le lien souterrain entre géopolitique et géostratégie, autrement dit entre espace politique, acteurs étatiques ou exotiques et violence militaire. Par ailleurs les politistes hésitent dans la définition de la relation entre droit et politique et dans la conception de « l’ordre » comme valeur de référence. Bien convaincu d’enrayer les multiples conflits qui sévissent dans la conjoncture actuelle, le comité organisateur a assumé la définition établie de l’ordre existent, de telle sorte que la sécurité géopolitique hégémonisée par un acteur prépondérant du système (les Etats-Unis) doit être rétablie contre les atteintes d’un ou de plusieurs acteurs perturbateurs et hostiles venant de l’Ile centrale du monde ou Heartland (Russie et Chine). 

Ces derniers seraient des puissances révisionnistes remettant en cause l’organisation géopolitique du monde issu de l’effondrement de l’Union Soviétique et du droit international publique, antérieur à la première et à la deuxième guerre mondiale. En fait la paix, menacée dans plusieurs zones de conflit, à partir de l’Ukraine, constitue l’expression d’une inadéquation des rapports de forces mondiaux et du système juridique qui en garantit la stabilité. C’est bien la sécurité qui exige une refonte globale des rapports d’influence et de pouvoir en Europe, en Eurasie et en Extrême Orient.

Or si le « concept de sécurité » peut être défini comme une « absence de menaces sur les valeurs  centrales » ( A. Wolfers ), en réalité  le renforcement de l’ordre international fondé sur des règles considérées comme acquises est marqué par un ensemble  de « ruptures de la paix » qui ont porté atteinte à la légitimité hégémonique et ces atteintes se sont signalées  par un continuum d’antinomies et de conflits contre les conceptions unilatéralistes dominantes depuis la fin de la « guerre froide ». Bien qu’occultées et relativisées par rapport à d’autres problématiques (économiques, idéologiques, environnementales), ces ruptures, ont été présentées comme défis à l’ordre dominant du droit et des relations internationales et guère comme des antagonismes à la hiérarchie des pouvoirs et des rapports mondiaux de force.

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Antinomies, ruptures et discontinuités

Nous énumérons ci-après une succession de discontinuités événementielles, qui continuent de caractériser le processus historique contemporain, après la dislocation de l’Union Soviétique (26 décembre 1991).

1999 - fin du conflit du Kosovo opposant serbes et kosovars suite à l’intervention de l’Otan sans mandat onusien.

2001 - attentat terroriste aux Tours Jumelles du World Trade Center de New York.

2003 - conflit d’Irak par l’invasion américaine contre Saddam Hussein qui a comporté la polarisation de la population en deux communautés selon des lignes ethniques et religieuses.

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2005 - révolutions de couleur des années 2000, symbolisant une forme de combat politique dans l’espace est-européen et post-soviétique. Elles s’inscrivent dans une dynamique d’antagonismes appelée « révolutions rose en Géorgie, orange en Ukraine, des Tulipes au Kirghizstan, et du jasmin en Tunisie, soutenues depuis l’étranger (le tiers non engagé de Carl Schmitt).

2007 - Déclarations de Poutine à Munich dénonçant l’unilatéralisme américain.

2008 - La guerre russo-géorgienne de 2008 (également connue sous le nom de seconde guerre d'Ossétie du Sud) ou conflit opposant la Géorgie à sa province séparatiste d'Ossétie du Sud et à la Russie.

2014 - Maïdan, ou révolution « orange », née de révoltes promues en novembre 2013 contre le refus de V. Janoukovitch de signer des accords d’association à l’Union Européenne, ayant comporté sa destitution et la chute du gouvernement (ou un coup d’Etat fomenté par l’Occident). Début d’une crise violente et durable (2014-2024) entre la Russie et l’Ukraine, l’occupation de la Crimée et du Donbass et deux tentatives de compromis, non respectés de Minsk 1 et 2

2022 - Opération spéciale (préventive) d’occupation russe en Ukraine.

2023 - Elargissement de l’Otan à Suède et Finlande, conflit Hamas-Israël.

2024 - Elections aux USA, en Russie et au P. E.

Ces épisodes de rupture de la vie internationale ont eu un trait commun, la remise en cause de l’ordre mondial issu de l’effondrement de l’Union soviétique, devant mettre au ban, par un changement non violent, les régimes politiques en place. L’échec de ces tentatives a fait prendre conscience des conditions de légitimation du pouvoir, qui sont le recours à la force, en défense des valeurs ou des intérêts, ou des deux à la fois. Or les catégories conceptuelles auxquelles les pays vainqueurs de la confrontation bipolaire firent référence ont été de type « hégémonique et unilatéraliste » et relèvent des analyses conflictualistes des relations internationales.

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Pour mieux appréhender le sens des changements d’aujourd’hui, les comparant à ceux des années 1990, voici les recommandations de Zbignew Brzezinski, dans son livre « Le grand échiquier ». Il y expose les nouvelles « règles » du jeu géopolitique, les expliquant par des commentaires de « réalisme » inhabituel, qui nous permettent de comprendre aisément les axes d’évolution des conflits actuels. A propos de l’Ukraine, comme étape forcée de l’élargissement de l’Union européenne et de l’Otan, la partition du jeu qui se déploie en 2023/24 avait été déjà anticipée efficacement par Z. Brzezinski en 1997. Les « nouvelles règles » de sécurité liaient d’un fil étroit et cohérent l’Europe de l’Est, la Russie et l’Eurasie.

Zbignew Brzezinski, l’Eurasie et la décentralisation de la Russie

Voici, en peu de mots ce que Brzezinski recommandait à l’époque:

- « Pour l’Amérique l’enjeu géopolitique principal est l’Eurasie… Dans ce nouveau cadre, l’Ukraine occupe une position cruciale, du fait même qu’elle peut permettre ou empêcher, au cœur de l’Eurasie et autour de la Russie, l’émergence d’une puissance contestant la suprématie des Etats-Unis.  L’indépendance de l’Ukraine modifie la nature même de l’Etat russe. De ce seul fait, cette nouvelle case importante sur l’échiquier eurasien, devient un pivot géopolitique. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie. L’Asie centrale, le Caucase, les « Balkans eurasiens » et leurs ressources énergétiques sont au cœur de la stratégies états-unienne, mais l’Ukraine constitue cependant l’enjeu essentiel. Le processus d’expansion de l’Union européenne et de l’Otan est en cours (1997) « A terme, - poursuit-il - l’Ukraine devra déterminer si elle souhaite rejoindre l’une ou l’autre de ces deux organisations ».

- « L'Eurasie demeure le seul théâtre sur lequel un rival potentiel de l'Amérique pourrait éventuellement apparaître (Z. Brzezinski songe à la Russie et à la Chine). L'Ukraine, l'Azerbaïdjan, la Corée, la Turquie et l'Iran constituent des pivots géopolitiques cruciaux. La longévité et la stabilité de la suprématie américaine sur le monde dépendront entièrement de la façon dont ils manipuleront ou sauront satisfaire les principaux acteurs géostratégiques présents sur l'échiquier eurasien".

- En ce qui concerne la Russie, « une Russie plus décentralisée aurait moins de visées impérialistes. Une confédération russe plus ouverte, qui comprendrait une Russie Européenne, une République de Sibérie et une République extrême-orientale, aurait plus de facilités (avec l’Europe, les Etats-Unis, les Etats émergents, l’Extrême Orient) ».

L’hypothèse d’une « décentralisation (démembrement N.D.R ) » de la Russie pousse à l’époque le gouvernement des Etats-Unis à préférer des relations directes avec les différents Etats plutôt qu’avec Moscou. »

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La réaction de Poutine se manifesta fermement dans son allocution de 2007 à Munich et militairement en 2008 en Géorgie. A postériori et très récemment, la conscience sur le déroulement de la stratégie suggérée par Z. Brzezinski en Ukraine  transparaît très clairement de l’interview accordée par Poutine au journaliste conservateur américain Carlson Tucker ancien de Fox News le 9  février 2024, accusé d’ « idiot utile » par Hillary Clinton.

Les interventions du Chancelier allemand O. Scholz et de la Ministre des affaires étrangères Mme A. Baerbock

Abordant la période actuelle et intervenant indirectement à Munich et sournoisement dans la campagne électorale américaine de novembre prochain, Poutine fait appel à l’influence de plusieurs tendances, comme messages « soft » et « hard » adressés aux électeurs américains, le déclin hégémonique des États-Unis, la montée en puissance de la Chine, la « rupture » civilisationnelle de la Russie et la désoccidentalisation du monde. 

Le Forum de Munich prolonge la lecture, nécessairement « intéressée » du commerce politique Est-Ouest. Nous nous limiterons aux interventions de Scholz et d’Annalena Baerbock, la ministre allemande des Affaires étrangères. Annalena Baerbock, a estimé, à contre-courant de tout esprit d’apaisement, que l'Union européenne devrait s'élargir pour réduire sa vulnérabilité. Oubliant délibérément que tout élargissement politique est un élargissement du conflit, Mme Baerbock justifie ses déclarations par l’affirmation que la Russie "de Poutine continuera d'essayer de diviser non seulement l'Ukraine, mais aussi la Moldavie, la Géorgie et les Balkans occidentaux". "Si ces pays peuvent être déstabilisés en permanence par la Russie, cela nous rend tous vulnérables. Nous ne pouvons plus nous permettre d'avoir des zones d'ombre en Europe", ajoute-t-elle. Indépendante, insoumise et radicalement combative Mme Baerbock est en posture de concurrence vis-à-vis du Chancelier fédéral censé dicter la ligne de politique générale du gouvernement.

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Première femme à la tête du ministère des Affaires étrangères allemand, elle  semble « respecter la traditionnelle mainmise de la chancellerie, sans pour autant renoncer à ses propres idées », explique à l’AFP le politologue Gero Neugebauer, tandis que  M. Scholz n’entendrait  pas se « laisser dicter les principes fondamentaux de la diplomatie allemande ». Plus prudente et temporisatrice, la position du chancelier allemand a fermement mis en garde contre tout relâchement de la volonté de défense commune au sein de l’OTAN. « Toute relativisation de la garantie d’assistance de l’OTAN ne profite qu’à ceux qui, comme Poutine, veulent nous affaiblir », a-t-il déclaré dans son discours de samedi. Scholz a également appelé les partenaires de l’UE à accroître leur aide financière à l’Ukraine et il a ajouté que l’Allemagne avait presque doublé son aide militaire, qui s’élève désormais à plus de sept milliards d’euros, et qu’elle s’était engagée à verser six milliards supplémentaires.

Une défense pan-européenne commune face à la « menace » russe ?

A l’image des dirigeants de l’UE français et allemands, les leaders européens ont durci le ton face à Moscou, insistant non seulement sur la nécessité d’aider davantage l’Ukraine, mais aussi d’augmenter leurs propres capacités de défense. Tous les décideurs européens partagent le constat que l’Europe, dans son ensemble est impuissante, désunie et désarmée et qu’une série de défis cumulés imposent une politique de défense européenne et donc un autre modèle de la vieille culture de combat. Face à la convergence des intérêts russo-américains et à l’agenda convergente des priorités Trump- Poutine, l’Union Européenne - affirment-ils - doit être prête à faire la guerre et doit également développer des politiques industrielles de défense pan-européenne communes.

Cet objectif est lisible dans les déclarations du Chancelier Scholz en ce qui concerne le réarmement industriel de l’Allemagne et, par conséquent, la remise en cause du modèle économique de la République Fédérale et de ses relations de bon voisinage avec la Russie. La redécouverte de la réalité et celle du déni de guerre à l’Est, imposent un virage stratégique majeur et impliquent une réflexion approfondie sur l’indépendance politique et l’autonomie capacitaire  du continent face à l’Amérique et au sein de l’espace euro-atlantique, avec un remodelage des responsabilités en cas de crise, un élargissement de la couverture assurée par la dissuasion nucléaire  et un autre modèle d’armée, avec un retour de la relation armée-Nation et de la notion de citoyen-soldat. Ainsi, derrière l’exposé de Scholz, pourrait se cacher un virage stratégique majeur de la politique de défense allemande et européenne. Ce virage résulterait de la convergence de deux différentes perceptions de la menace, une géopolitique (Poutine) et l’autre géostratégique (Trump, par la remise en cause de l’art. 5 de l’Otan). 

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L’Europe n’aurait d’autres solutions que celle antique et toujours actuelle de Végèce, écrivain militaire romain de la fin du 4ème siècle ap. J. Ch., contenue dans son traité « Sur l’art de la guerre »: « Si vis pacem para bellum » (Si tu veux la paix prépare la guerre!). Ainsi, dans une réalité européenne et internationale menaçante, on est entrés dans l’ère des instabilités permanentes, annoncées par le flottement des « blocs instables » et par des revendications géopolitiques multipolaires.

Lecture actualisée du « Forum de Munich 24 » et de la situation actuelle selon les concepts de « Guerre et Paix, hostilité, état intermédiaire et guerre totale » de Carl Schmitt

Or, dans cette phase de préparation à la guerre (mondiale), ce qui est permanent, dans l’antagonisme séculaire entre Heartland et Rimland (première et deuxième guerres mondiales), est la figure de l’ennemi (la puissance montante), par rapport à celle de guerre. En effet comme nous l’explique Carl Schmitt, l’existence d’une hostilité subsistante, au-delà de la cessation des hostilités immédiates (dislocation de l’URSS, chute du mur de Berlin) est le sentiment d’hostilité, qui est manifestement le présupposé de l’état de guerre future (en préparation). En effet «Bellum manet, pugna restat» (le concept politique de guerre, l’antagonisme reste, le combat physique cesse). L’hostilité actuelle (vis-à-vis de la Russie et, en subordre de la Chine), tend à glisser progressivement vers son aboutissement inéluctable, une guerre totale, puisqu’elle ne résulte pas d’un traité, d’une norme, ni du droit international, mais du jugement du vainqueur (la puissance dominante puis hégémonique), condamnant le vaincu (dans les années 1900-1945 l’Allemagne montante, puis de 1945 à 1991, l’Union Soviétique). Ce glissement vers la guerre totale est par ailleurs repérable dans le bannissement, l’ostracisme, l’isolement, les proscriptions, les stigmatisations, les sanctions, les mises hors la loi, de celui qui a été désigné comme l’ennemi de la communauté internationale, bref comme l’agresseur. En effet l’agresseur et le fauteur de guerre selon le droit international est celui qui viole une frontière, ne respecte pas une procédure, un traité ou des accords légalement stipulés. Ainsi dans les catégories du droit pénal et criminel, l’auteur de ces actes délictueux est un criminel, indépendamment des provocations et des incitations pourtant très fortes à accomplir les recommandations de géopoliticiens reconnus (Brzezinski). Et le jugement que l’histoire portera sur les décisions de paix ou de guerre dans les relations diplomatiques et militaires ne pourrons pas être tranchées par un quelconque tribunal international, pour des crimes déjà antérieurement assignés au profit des puissances qui dictent le droit. Or, l’extension de l’idée de guerre à la mise en œuvre préalable et indiscriminée de l’hostilité dans des domaines non militaires (sanctions économiques, financières, de libre circulation des personne et des biens, information, informatisation, et intelligence, collaboration scientifique, contrôle des réseaux, du monde universitaire et des médias), crée un "état intermédiaire de non paix-non guerre", mais plus proche de la belligérance (envoi d’armes, de subsides, de faux volontaires, de bataillons sans drapeau, d’entrainement de forces d’élites, des appuis à des « tiers -non engagés », comme dans les révolutions de couleur, de saboteurs et de « rangers »), qui permet de cacher la vérité de la guerre directe.

Dans les conditions actuelles d’une guerre « hybride » les situations intermédiaires deviennent présomption de droit et fictions proliférantes. Dans les nouvelles conditions du monde où les religions se colorent de politique, l’état intermédiaire entre guerre et paix fausse tous les jugements, de telle sorte que la paix ou l’idée de paix deviennent des fictions juridiques et, dissociées de la volonté de vaincre et  de « l’animus belligerandi », comme il a été fait au « Forum de Munich », ce qui reste de ce cumul de défis, intellectuels et politiques, est le concept d’hostilité, comme fondement et prélude à la guerre mondiale et totale.

Bruxelles, le 23 février 2024.

mardi, 13 février 2024

Le piège américain à Taïwan

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Le piège américain à Taïwan

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2024/02/13/amerikkalainen-ansa-taiwanissa/

L'ancien ambassadeur de Chine aux États-Unis, Cui Tiankai, a participé à une table ronde sur les perspectives géopolitiques au sein du groupe de réflexion Asia Society Policy Institute à Washington à la fin du mois de janvier.

Il a soulevé la question du statut de Taïwan et du projet américain pour l'île, déclarant que "quelqu'un" essayait de déclencher une guerre dans le détroit de Taïwan. "Nous ne voulons vraiment pas d'une situation où les Chinois s'entretuent", a déclaré M. Cui.

Cui a été le plus ancien ambassadeur de Chine aux États-Unis depuis que les deux pays ont établi des relations diplomatiques en 1979. Il a occupé ce poste pendant huit ans avant de le quitter en 2021.

"M. Cui, qui est aujourd'hui conseiller auprès de l'Institut chinois de politique étrangère, a déclaré lors d'une table ronde que les pays de l'Asie-Pacifique devraient empêcher les tensions dans la région d'atteindre les niveaux de la guerre froide, faute de quoi la région serait confrontée à une "décennie dangereuse".

Il a conclu en mentionnant Taïwan qui, selon le fonctionnaire chinois, s'unira tôt ou tard à sa mère patrie d'une manière qui "servira au mieux les intérêts nationaux de la Chine dans son ensemble".

Taïwan est l'une des plus grandes sources de tension entre Pékin et Washington - la "question la plus sensible" dans les relations entre les deux pays, comme l'a dit le président Xi Jinping à son homologue Joe Biden lors de leur sommet en novembre.

Le 17 août 1982, Pékin et Washington ont annoncé dans un communiqué que les États-Unis chercheraient à réduire progressivement les ventes d'armes à Taïwan. Même cette déclaration formelle avec la Chine n'a pas été respectée et, depuis lors, le flux d'armes vers l'île n'a fait qu'augmenter de façon spectaculaire.

Les États-Unis cherchent à provoquer la Chine par tous les moyens possibles afin de causer des problèmes politiques à leur rivale. La dernière initiative en date est l'envoi par les États-Unis de leurs forces spéciales pour former l'armée taïwanaise à Kinmen et Matsu, deux groupes d'îles situées juste au large du continent chinois.

L'objectif final est probablement une guerre par procuration, similaire à celle qui ravage l'Ukraine : tenter d'amener la Chine à envahir la province rebelle de Taïwan, puis se battre avec le soutien de l'Occident "jusqu'au dernier Taïwanais".

Cette guerre serait un bon prétexte pour confisquer les réserves de dollars de la Chine, annuler la dette américaine envers la Chine et imposer des sanctions à la Chine afin d'en faire un État paria rejeté par le reste du monde (comme dans le cas de la Russie, une politique de sanctions ne réussirait probablement qu'à détruire les relations de la Chine avec l'Occident).

Le commentaire de Cui Tianka au think tank américain est important, car c'est probablement la première fois qu'un officiel chinois dit tout haut que le plan de guerre contre Taïwan est un piège américain destiné à faire tomber la Chine.

jeudi, 08 février 2024

Ankara défend l'accord de Montreux: "Nous ne voulons pas de l'OTAN en mer Noire"

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Ankara défend l'accord de Montreux : "Nous ne voulons pas de l'OTAN en mer Noire"

Source: https://zuerst.de/2024/02/05/ankara-verteidigt-das-abkommen-von-montreux-wir-wollen-die-nato-nicht-im-schwarzen-meer/

Ankara/Bruxelles. L'OTAN insiste depuis longtemps pour renforcer sa présence en mer Noire et faire ainsi pression sur la Russie. Mais la Turquie, qui contrôle le détroit des Dardanelles, s'y oppose obstinément, en s'appuyant sur un accord international en vigueur depuis des décennies, la Convention de Montreux de 1936.

Ankara vient de faire une déclaration à ce sujet. Le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, s'est exprimé sans ambiguïté lors d'une visite en Bulgarie : "La Turquie continuera à appliquer strictement la Convention de Montreux sur les détroits", a-t-il déclaré à l'issue d'une rencontre avec son homologue bulgare Marija Gabriel, avant d'ajouter : "Il n'y a aucune possibilité de ne serait-ce que réfléchir à ce sujet, et encore moins d'en débattre".

Ankara a récemment bloqué le passage en mer Noire de dragueurs de mines britanniques achetés par l'Ukraine.

Le chef de la marine turque, l'amiral Ercumed Tatlioglu, a également déclaré dans un discours : "Nous ne voulons pas de l'OTAN et de l'Amérique en mer Noire".

Dès le début de la guerre en Ukraine, Ankara avait invoqué l'article 19 de la Convention de Montreux pour interdire le Bosphore aux navires de guerre, qu'ils appartiennent aux parties impliquées ou à des pays non riverains de la mer Noire. Le traité de Lausanne a certes attribué les détroits à la Turquie après la Première Guerre mondiale, mais les a démilitarisés. Le traité de Montreux a révisé cette disposition en faveur de la Turquie en 1936. Depuis lors, la Turquie a le droit de "militariser" les détroits, mais elle a certains droits et obligations en ce qui concerne le passage. Ainsi, Ankara peut (mais ne doit pas) interdire le passage du détroit aux navires de guerre des puissances belligérantes, à moins qu'ils ne soient en route vers leur port d'attache (mü).

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mardi, 06 février 2024

Politique mondiale multipolaire

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Politique mondiale multipolaire

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2024/02/01/moninapaista-maailmanpolitiikkaa/

Dans les années 1990, le dirigeant chinois de l'époque, Deng Xiaoping, voyait l'avenir de l'espace politique international.

Comme s'il commentait le présent, il a déclaré que "dans l'avenir, lorsque le monde deviendra tricentrique, quadripolaire ou pentapolaire, l'Union soviétique [la Russie de Poutine] restera un pôle unique, quel que soit son degré d'affaiblissement et quelle que soit la manière dont certaines de ses républiques se sépareront d'elle".

Deng a poursuivi en affirmant que "dans le monde dit multipolaire, la Chine sera également un pôle", dont la politique étrangère consistera à "résister à l'hégémonisme et à la politique de puissance et à sauvegarder la paix mondiale", ainsi qu'à œuvrer "à la création d'un nouvel ordre politique et économique international".

Dans les années 2000, de tels points de vue sur la Russie et la Chine ont été avancés par l'excentrique politologue russe Alexandre Douguine, mais plus récemment, des positions conformes à la théorie d'un monde multipolaire ont été adoptées par un large éventail d'acteurs, des politiciens aux universitaires en passant par les banquiers, dans le monde entier.

Quelle que soit la forme finale du "nouvel ordre international" (que j'ai également évaluée de manière critique), la route qui y mène semble être pavée de diverses crises et de conflits militaires. Outre la guerre en cours en Ukraine, des points chauds potentiels peuvent être trouvés dans le golfe Persique et la mer de Chine méridionale.

Dans cet espace géopolitique liminaire, il est déjà évident que l'ordre mondial émergent, avec ses différents pôles, repose sur des principes plus conservateurs, que l'Occident égocentrique, plongé dans une décadence interne, a abandonnés.

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La Russie a renoncé à ses tentatives d'intégration en Europe et s'est également opposée à l'impérialisme arc-en-ciel du libéralisme de l'Occident collectif. Moscou se considère comme un État-civilisation à part entière, qui n'est ni découragé ni isolé derrière le nouveau rideau de fer dressé par l'Occident.

Le système chinois, quant à lui, est animé par la construction d'une nation pour la nouvelle ère spatiale, par la stabilité sociale et la prospérité apportées par le luxe du communisme confucéen, et par le respect des caractéristiques, des traditions et de la hiérarchie nationales.

Que fait une ploutocratie supranationale dans cette situation ? À l'instar des États qu'ils possèdent par le biais de leur politique de banque centrale et de leur pouvoir d'entreprise, les cercles capitalistes tentent de s'adapter à une nouvelle phase dans laquelle l'hégémonie américaine devient un détail de l'histoire, à l'instar d'autres empires déchus.

Le système international sous l'égide de l'ONU, avec sa base de règles, est également battu par les crises, et après le massacre de Gaza, par exemple, personne ne considère le "droit international" comme contraignant, mais remet en question son invocation en tant que rhétorique pour satisfaire les intérêts égoïstes de l'extrême droite israélienne et de l'Occident capitaliste.

Le dernier membre malchanceux de la forteresse euro-atlantique de l'OTAN, la Finlande, qui fait de la lèche au pouvoir en place à Washington, ne croyait manifestement pas à un tel bouleversement de l'ordre mondial, mais était persuadé que le leadership des États-Unis se poursuivrait à perpétuité.

C'est pourquoi l'élite politique, dirigée par Sauli Niinistö, invoquant le conflit ukrainien, a abandonné son déguisement de "neutralité", a envoyé les Finlandais en première ligne de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord et a proclamé haut et fort qu'elle faisait partie de l'Occident, même si cette île politique anglo-américaine est en train de sombrer rapidement.

Alors que l'influence occidentale et l'"américanisation" diminuent, les indices mesurant les tensions géopolitiques et l'incertitude des politiques économiques augmentent, selon les économistes. Le nouvel ordre mondial ne se construira pas pacifiquement, mais s'accumulera en une communauté de destin propre à travers des conflits de plus en plus nombreux.

À un moment donné, les gens se retrouveront à vivre dans différents centres de pouvoir locaux (ou à leur périphérie) qui, malgré leurs différences, sont unis, pour le meilleur ou pour le pire, par les développements induits par la haute technologie.

Bien que rien ne soit susceptible de s'améliorer de sitôt, il est à espérer que dans le monde futur de la vision de Deng Xiaoping, au lieu d'un monde de sanctions et de rideaux de fer, les services ferroviaires de la Finlande iront à nouveau vers l'est.

Médecine et géopolitique

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Médecine et géopolitique

par le groupe de réflexion géopolitique "Katehon" (Moscou)

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/medicina-e-geopolitica

Lors du forum de Davos, un sujet a été abordé qui a immédiatement attiré l'attention de tous les participants, indépendamment de leurs préférences politiques et de leurs régions. Il s'agissait d'une discussion sur une certaine épidémie X, qui pourrait s'avérer beaucoup plus grave que le coronavirus. Les défenseurs des valeurs traditionnelles y ont vu, à juste titre, une nouvelle phase du programme malthusien, à savoir la réduction artificielle de la population par une épidémie contrôlée à l'aide d'armes biologiques.

Dans le même temps, sous prétexte de prévenir de telles épidémies, on tente manifestement d'élaborer une sorte de norme internationale ("accord sur les pandémies"), ainsi que de réformer les règlements sanitaires internationaux. Tout cela sous prétexte de lutter efficacement contre les menaces sanitaires grâce à une communication rapide et transparente et à une coopération efficace entre les États. Dans le même temps, les mondialistes se rendent compte que, compte tenu des tensions géopolitiques croissantes, une telle coopération ouverte - en particulier en temps de crise - est de plus en plus improbable par rapport à 2021, date à laquelle les négociations sur un accord de lutte contre la pandémie ont commencé.

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Dans ce cas, les "tensions géopolitiques" font référence à l'augmentation des conflits interétatiques résultant de revendications de puissance et de zones d'influence concurrentes. L'action géopolitique se caractérise donc par l'utilisation de ressources économiques ou politiques pour promouvoir les intérêts nationaux et étendre l'influence politique. On le voit déjà dans les négociations de l'accord sur la pandémie, la Chine, la Russie et même les États-Unis ayant rejeté l'idée que l'accord devrait contenir des obligations de transparence et de responsabilité envers l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et les autres parties contractantes, tant en ce qui concerne les épidémies que les investissements publics dans les fournitures médicales nécessaires pour y faire face.

La géopolitique joue également un rôle dans le commerce des produits médicaux et la gestion des chaînes d'approvisionnement médical. Même pendant la période Covid-19, par exemple, la Chine a utilisé le commerce des produits médicaux pour réaliser ses intérêts nationaux dans d'autres domaines politiques et tenter d'étendre son influence sur les pays en développement.

Les actions dictées par des considérations géopolitiques dans le secteur de la santé peuvent avoir des conséquences considérables dans le monde entier. En Occident, elles sont considérées comme exceptionnellement négatives parce qu'elles limitent leurs propres monopoles. Dans d'autres pays, la médecine sert d'outil politique et idéologique, comme à Cuba, où des brigades médicales sont envoyées en mission en Amérique latine, en Afrique et en Asie depuis des décennies, bien que Cuba soit elle-même soumise à de sévères sanctions américaines et n'ait pas grand-chose à montrer pour ses réalisations économiques.

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Il est intéressant d'examiner la politique de santé mondiale des États-Unis à cet égard. À l'exception de la présidence Trump, au cours de laquelle les États-Unis ont tourné le dos à l'OMS, le pays a toujours cherché à jouer un rôle de premier plan dans la politique de santé mondiale. La stratégie de sécurité nationale de l'administration Biden le démontre également en faisant référence à la politique de santé mondiale. La stratégie de sécurité met l'accent sur la coopération avec des "partenaires partageant les mêmes idées" sur les questions de santé et critique le comportement de la Chine pendant la pandémie de grippe aviaire de 19 ans. En outre, elle souligne le rôle des États-Unis en tant que donateur à l'OMS et au Fonds de lutte contre les pandémies de la Banque mondiale et, en particulier, en tant que promoteur du Plan d'urgence du président américain pour la lutte contre le sida (PEPFAR), lancé en 2003. Tout cela peut être considéré comme une volonté marquée des États-Unis de façonner la santé mondiale. Façonner pour contrôler et imposer ses propres règles.

Cette stratégie a été renforcée lorsque plusieurs bureaux préexistants ont été fusionnés pour créer le Bureau de la sécurité sanitaire mondiale et de la diplomatie du département d'État en août 2023. Le chef du Bureau décrit la sécurité sanitaire mondiale comme un "élément clé" de la politique étrangère des États-Unis, et la diplomatie sanitaire est également au centre de deux nouvelles divisions au sein du Bureau : le Bureau de la diplomatie sanitaire et du renforcement des capacités et le Bureau de la diplomatie régionale et multilatérale. La diplomatie est donc considérée comme essentielle pour créer de nouvelles alliances dans le domaine de la gouvernance sanitaire. Une fois de plus, il s'agit d'alliances dirigées par les États-Unis qui répondent à la volonté de Washington.

Le PEPFAR, avec un budget de près de 7 milliards de dollars pour 2023, est le programme le plus important du Bureau. Lors du débat sur la prolongation du programme, ses partisans au Congrès ont souligné, entre autres, son "soft power" et sa capacité à jouer un rôle important sur le continent africain, d'autant plus que la Chine y étend son influence par le biais de la diplomatie de la santé.

On ne sait pas encore si le bureau recevra les ressources financières nécessaires dans les années à venir, d'autant plus que la politique américaine en matière de santé mondiale est elle-même appelée à changer après les élections de novembre. De nombreux républicains conservateurs sont favorables à l'imposition de conditions au financement du PEPFAR et cherchent à exclure les établissements qui fournissent des services de conseil ou d'avortement. Ainsi, la question de la santé mondiale n'est pas seulement politisée en raison des rivalités systémiques entre les pays, mais elle est également utilisée à des fins politiques au niveau national.

En conclusion, bien que les efforts américains en matière de santé mondiale soient de plus en plus caractérisés par des conflits politiques internes et des conditions connexes, une chose est claire : les États-Unis utilisent la politique de santé mondiale pour étendre leur sphère d'influence géopolitique, en particulier en concurrence avec la Chine, et cherchent à créer diplomatiquement de nouvelles alliances pour lutter ensemble contre les menaces sanitaires.

La Chine a une approche différente. Même avant Covid-19, la Chine coopérait avec les pays du Sud sur les questions de santé dans le cadre de l'initiative "Une ceinture, une route". Cette coopération s'est intensifiée pendant la pandémie dans le cadre de ce que l'on appelle la diplomatie chinoise des masques et des vaccins. L'approche du gouvernement chinois diffère de celle des États-Unis dans la mesure où la souveraineté nationale a été consacrée comme la pierre angulaire de l'initiative de sécurité mondiale de la Chine. En substance, les gouvernements étrangers qui reçoivent une aide de la Chine conservent le contrôle de leurs propres politiques de santé, ce qui signifie que l'initiative de sécurité globale de la Chine et sa diplomatie en matière de santé n'imposent pas de contraintes explicites aux pays bénéficiaires potentiels.

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En ce qui concerne la vaccination contre le virus Covid-19 en particulier, la Chine a comblé une lacune alors que d'autres pays du Nord sont revenus au "nationalisme vaccinal". En outre, la Chine est apparue comme un défenseur des intérêts des pays du Sud dans les négociations de l'accord sur la pandémie, notamment en ce qui concerne les droits de propriété intellectuelle, l'accès et le partage des bénéfices. On peut supposer que la Chine espère que ces pays soutiendront en retour ses aspirations géopolitiques.

En fin de compte, les ambitions géopolitiques de la Chine s'expriment également dans sa politique de santé mondiale. D'une part, la Chine étend sa sphère d'influence par le biais du commerce de produits médicaux ; d'autre part, elle forge de nouvelles alliances dans le Sud.

La Russie a également sa propre approche, similaire à la stratégie chinoise. En outre, en raison des sanctions, la Russie doit créer sa propre capacité de production de produits médicaux pour couvrir la demande intérieure nécessaire. En matière de politique étrangère, Moscou a également fourni une aide humanitaire à plusieurs pays sans imposer de conditions. Actuellement, les directions stratégiques sont les pays d'Afrique, où la Russie peut réaliser de nombreux projets dans le domaine de la médecine. En Bolivie, avec l'aide de la société Rosatom, un centre de recherche nucléaire a récemment été ouvert, qui fournira des produits radiologiques non seulement à la Bolivie, mais aussi à d'autres pays d'Amérique latine.

Globalement, la Russie dispose d'un bon potentiel, compte tenu de la montée des partisans de la multipolarité et de la critique des différents projets mondialistes. De plus, les enquêtes sur les activités des laboratoires biologiques du Pentagone contribuent à la lutte contre l'hégémonie américaine.

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dimanche, 04 février 2024

Les Philippines, instrument de l'impérialisme pour la déstabilisation de la mer de Chine méridionale

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Les Philippines, instrument de l'impérialisme pour la déstabilisation de la mer de Chine méridionale

Giulio Chinappi

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/le-filippine-strumento-dellimperialismo-la-destabilizzazione-del-mar-cinese-meridionale

Que veulent les Philippines : un environnement stable propice à un développement pacifique ou être piégées dans le jeu imprévisible de la géopolitique? Récemment, les actions et les déclarations du pays ont été empreintes de duplicité et de complexité, mais la tendance est claire: les Philippines se positionnent impulsivement comme une avant-garde, une tête de pont et même de la chair à canon pour les États-Unis.

La duplicité de Manille a été mise à nu récemment. Mercredi, la Chine et les Philippines ont tenu la huitième réunion du mécanisme de consultation bilatérale Chine-Philippines. Les deux parties ont convenu de renforcer le mécanisme de communication maritime, de gérer les conflits et les différends maritimes par des consultations amicales, de traiter les urgences maritimes, en particulier la situation à Ren'ai Jiao, et de promouvoir davantage la coopération maritime pratique.

Toutefois, le même jour, le ministre philippin de la défense, Gilberto Teodoro, a menacé les Philippines de planifier des activités militaires "plus robustes" avec les États-Unis et leurs alliés face à une Chine "plus agressive". Deux jours plus tôt, le chef d'état-major des forces armées philippines, le général Romeo Brawner, avait déclaré que les Philippines développeraient les îles de la mer de Chine méridionale afin de les rendre plus hospitalières pour les troupes.

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Sous cette rhétorique contradictoire, il est évident qu'il n'existe pas de politique unifiée sur la Chine au sein du gouvernement philippin, a déclaré au Global Times Chen Xiangmiao, directeur du World Marine Research Centre de l'Institut national d'études sur la mer de Chine méridionale. D'importants désaccords internes sur la question de la mer de Chine méridionale ont mis en évidence un modèle de comportement "les Philippines veulent tout": maintenir des relations avec la Chine pour des intérêts économiques tout en affirmant agressivement ses intérêts maritimes par des actions provocatrices.

La duplicité des Philippines est également évidente dans leur position sur la question de Taïwan. D'une part, elles soutiennent la politique d'une seule Chine; d'autre part, après les élections régionales à Taïwan, le président philippin Ferdinand Marcos a qualifié le nouveau dirigeant de Taïwan de "président élu" sur les médias sociaux. Ces déclarations contradictoires des Philippines créent la confusion, laissant planer l'incertitude sur les véritables intentions de Manille.

En fait, l'hostilité de Marcos Jr. à l'égard de la Chine, encouragée par les États-Unis, est évidente depuis un an, en particulier depuis le début de l'année dernière, lorsque les États-Unis ont obtenu l'accès à quatre nouvelles bases militaires aux Philippines. Les récents discours du ministre de la défense et du chef d'état-major ressemblent à une compétition pour savoir qui sera le plus agressif.

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Les capacités militaires et d'application du droit maritime des Philippines sont fondamentalement insuffisantes pour défier la Chine. La principale raison de cette rhétorique belliqueuse permanente est l'encouragement et le soutien de certains pays, tels que les États-Unis et le Japon, a déclaré l'expert militaire Song Zhongping au Global Times. Toutefois, sur la question de la mer de Chine méridionale, les États-Unis utilisent simplement les Philippines comme un pion pour tenter de rassembler des alliés afin de mettre en œuvre leur stratégie indo-pacifique visant à contenir la Chine. Si Manille pense que les États-Unis l'aideront à maintenir ses soi-disant intérêts nationaux et sa sécurité, c'est une pure illusion, comme le montre la réduction significative de l'ampleur des patrouilles conjointes américano-philippines, découragées par les patrouilles de routine organisées par le Southern Theater Command de l'Armée populaire de libération de la Chine.

Lorsque les Philippines prétendent renforcer leurs relations militaires avec les États-Unis afin de devenir "un contributeur plus efficace à la stabilité régionale", elles ne se rendent manifestement pas compte qu'elles interprètent à tort la préservation de l'hégémonie américaine comme un moyen de promouvoir la stabilité régionale.

Anna Rosario Malindog-Uy, vice-présidente chargée des affaires extérieures à l'Institut d'études stratégiques des Philippines du 21ème siècle, a déclaré lors d'une table ronde récemment organisée par le Global Times qu'elle ne pensait pas que les États-Unis soient prêts à un conflit militaire direct avec la Chine dans la mer de Chine méridionale, ou même dans le détroit de Taïwan. C'est pourquoi ils utilisent un intermédiaire, et les Philippines servent de pion ou d'intermédiaire.

"Les États-Unis ont déjà été vaincus par les talibans en Afghanistan, par la Russie en Ukraine et récemment par les Houthis en mer Rouge. Ils ne sont pas en mesure d'affronter la Chine en mer de Chine méridionale. Ils ne peuvent pas se permettre que quelque chose explose au cours d'une année électorale", a déclaré John Pang, ancien fonctionnaire du gouvernement malaisien et chercheur principal à l'Académie de Perak, en Malaisie, lors de la discussion.

Les Philippines doivent réévaluer leur position, éviter d'agir de manière imprudente et évaluer de manière réaliste leurs capacités militaires.

La Chine, en tant que grande puissance responsable, a toujours fait preuve d'une grande retenue sur la question de la mer de Chine méridionale. Toutefois, les Philippines ne doivent pas confondre la retenue de la Chine avec sa faiblesse. La Chine reste fidèle à ses intérêts fondamentaux et conserve l'initiative sur la question de la mer de Chine méridionale, ce qui lui confère une position privilégiée tant sur le plan du droit international que de l'histoire. Nous espérons que les Philippines reconnaîtront que le maintien de la paix et de la stabilité en mer de Chine méridionale nécessite une coopération avec la Chine et l'ANASE en signant conjointement le code de conduite en mer de Chine méridionale. C'est le seul moyen de transformer la mer de Chine méridionale en une mer de paix, de stabilité, d'amitié et de coopération.

Sur les Partisans de Dieu du Yémen

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Sur les Partisans de Dieu du Yémen

par Georges FELTIN-TRACOL

Dans une vidéo datant de 2006, Judith Butler affirmait que « le Hamas et le Hezbollah sont des mouvements sociaux progressistes et font partie de la gauche mondiale ». L’essayiste queer étatsunienne montrait une maîtrise des problématiques de l’« Orient compliqué » aussi brillante que ses connaissances de l’intimité masculine. Cette prise de position entérina l’existence universitaire de l’islamo-gauchisme. On attend cependant la manifestation des wokistes pour le djihad ou la mise en vente des abaya pour hommes déconstruits.

Dans sa déclaration, Judith Butler aurait pu y inclure les Partisans de Dieu au Yémen qui existaient depuis déjà deux ans. Le monde entier les a découverts, le 19 novembre 2023, quand, caméras GoPro sur la poitrine, des commandos s’emparent du navire de transport Galaxy Leader et le détournent vers le port de Hobeida. Cette action est un acte de propagande réussi. Le monde médiatique parle dorénavant des « milices Houthi ». C’est un abus et une facilité de langage pour une opinion qui ignore le contexte politique agité en « Arabie Heureuse », nom antique du Yémen.

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Ansar Allah, ou en arabe « Partisans de Dieu », sont fondés vers 2004 par Hussein Badreddine el-Houthi (1960 – 2004) (photo). Ce mouvement s’inscrit dans la complexité socio-culturelle du Yémen. La société traditionnelle yéménite se structure en effet autour des clans, des tribus et des fédérations tribales aux fortes traditions guerrières. À cette sociologie complexe s’ajoute la consommation généralisée et coutumière du khat, une « plante à mâcher » aux effets psychotropes majeurs. Il faut y ajouter les effets d’une histoire récente avec la division jusqu’en 1990 entre la République arabe du Yémen (ou Yémen du Nord) et la République démocratique populaire du Yémen (ou Yémen du Sud pro-soviétique). L’union de 1990 est rompue dès 1994 avec les velléités sécessionnistes du Sud contre la mainmise des « Nordistes ». Or le président Ali Saleh réprime avec violence ce séparatisme en moins de deux mois. Son autoritarisme irrite très vite de nombreuses tribus dont celle des Houthi du Haut-Yémen près de la frontière saoudienne.

Militant politique et prédicateur religieux, Hussein Badreddine el-Houthi conteste les autorités en place. Son assassinat déclenche la révolte de la région de Saada qui engendre ensuite une féroce guerre civile d’une rare intensité. Pour faire simple, les Partisans de Dieu affrontent non seulement les troupes gouvernementales, mais aussi les Frères musulmans,  les indépendantistes du Sud ainsi que les islamistes de Daech et d’Al-Qaïda (qui se détestent réciproquement) sans oublier l’intervention armée de l’Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis, du Soudan, de la Jordanie, du Qatar et de l’Égypte. Au cours de leur avancée vers la capitale Sanaa, Ansar Allah amalgame en leur sein des unités nassériennes et baasistes. N’oublions pas qu’en 1990 – 1991, le Yémen soutenait l’Irak de Saddam Hussein dans la formation du gouvernorat du Koweït.

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Les Partisans de Dieu du Yémen ne se limitent plus aux seuls Houthi et à leurs alliés. Ils ont su se coaliser avec d’autres clans, tribus et confédérations coutumières. Leur discipline interne, leur combativité et leur sens tactique attirent très tôt l’attention de la Jamahiriya arabe libyenne de Mouammar Kadhafi et, selon des sources journalistiques anglophones, une aide logistique militaire de Pyongyang leur parvient par l’intermédiaire d’un négociant syrien proche du président Al-Assad. Les missiles et les drones de guerre ne seraient donc pas iraniens, mais plutôt coréens du Nord !

L’Occident se focalise sur les liens supposés entre Ansar Allah et la République islamique d’Iran. Certains services de renseignement occidentaux insistent sur les années d’études de Hussein Badreddine à Qoms et oublient qu’il aurait aussi étudié au Soudan à l’époque où s’exerçait sur ce pays le magistère intellectuel de Hassan al-Tourabi (1932 - 2016), penseur soudanais des Frères musulmans, théoricien d’un nationalisme-révolutionnaire à la fois panarabe et panislamiste en synthétisant les thèses de l’islamiste radical égyptien, proche des Frères musulmans, Sayyid Qutb (1906 – 1966), et du philosophe chiite d’extrême gauche Ali Shariati (1933 - 1977). Pourquoi ce tropisme, plus ou moins exact, vers l’Iran ?

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Une partie non négligeable des Yéménites professe le zaïdisme, une branche méconnue de l’islam chiite. La rupture entre les zaïdites et les autres chiites se produit entre les fils du quatrième imam, Ali Zayn al-Abidin (659 – 713). La majorité des chiites juge que la succession revient à Muhammad al-Bakir (677 - 733), le cinquième imam, tandis qu’une minorité reconnaît son frère Zaïn al-Abidin (695 – 740). Ce dernier prétend que l'on ne peut être imam que si l'on se déclare publiquement, ce que refuse Muhammad al-Bakir. Par ailleurs, instruit dans le mutazilisme, Zaïn al-Abidin entend concilier la raison et la tradition.

Les zaïdites se sentent assez proches du sunnisme au point que certains érudits du Coran les considèrent comme la cinquième école juridique de l’islam sunnite. Les zaïdites n’adhèrent pas à l’occultation de l’iman cher aux ismaéliens et aux imamites. Ils n’insultent pas les trois premiers califes et réclament que la direction spirituelle de la Communauté des croyants revienne de droit à l’un des descendants de Fatima et d’Ali. Dans l’histoire, le zaïdisme se manifesta sous les Idrissides du Maroc (789 – 985) et les Alavides en Asie Centrale (864 – 928). Plus récemment, entre 1878 et 1962, un iman zaïdite régnait sur le Yémen du Nord avant que les républicains aidés par les nassériens égyptiens ne le renversassent.

Aujourd’hui, les Partisans de Dieu du Yémen s’affichent en fer de lance de l’« Axe de la Résistance » contre les États-Unis et l’État d’Israël. Leur modèle est le Hezbollah. Ce n’est pas un hasard si leur nouveau symbole reprend celui du mouvement chiite libanais avec une autre couleur. Leur défense active de la cause palestinienne n’est pas une surprise dans un État en guerre avec Tel-Aviv depuis des décennies.

L’ouverture d’un front naval au détroit de Bab-el-Mandeb pèse sur la « liberté des mers » défendue avec énergie par les puissances commerciales thalassocratiques. Afin de contrer des actions téméraires qui contrarient la fluidité du marché planétaire, Washington vient d’organiser une opération dont le nom « Gardiens de la Prospérité » ressemble à une mauvaise reprise d’une super-production sortie de Marvel. Il s’agit d’une opération internationale avec le Royaume Uni, Bahreïn, le Canada, le Danemark, la Norvège, la Grèce, les Pays-Bas et les Seychelles. Dans les faits, la puissance de feu effective repose sur la seule flotte étatsunienne, les trois destroyers britanniques et une frégate grecque. Les Seychelles se mobilisent sur la transmission des informations tandis que les Canadiens, les Norvégiens et les Néerlandais prennent part à la mission au niveau de l’état-major.

La mondialisation entraîne parfois des conséquences étranges. Le déclenchement de la guerre entre le Hamas et Israël, le 7 octobre dernier, peut faire passer un autre conflit de sa dimension strictement locale à une portée internationale. Les actions des Partisans de Dieu entravent le commerce planétaire. Elles prouvent la nocivité des traités de libre-échange et la faiblesse intrinsèque des échanges économiques intercontinentaux. L’autarcie du XXIe siècle est probablement née dans les faubourgs bombardés de Sanaa.         

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 100, mise en ligne le 30 janvier 2024 sur Radio Méridien Zéro.

vendredi, 02 février 2024

L'Union européenne, coordonnée par l'OTAN, est l'instrument américain dans le conflit stratégique lors de la phase multicentrique

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L'Union européenne, coordonnée par l'OTAN, est l'instrument américain dans le conflit stratégique lors de la phase multicentrique

par Luigi Longo

Source: https://www.sinistrainrete.info/geopolitica/27223-luigi-l...

L'Europe est devenue un Euroland sans souveraineté économique et surtout géopolitique et militaire. En son sein, un corps d'occupation étranger, connu sous le nom d'OTAN, est installé, envoyé depuis longtemps comme des soldats mercenaires en Asie centrale, prêt à menacer et à risquer une guerre mondiale en Géorgie et en Ukraine. Si cela est vrai, ne serait-ce qu'en partie, alors quel est l'intérêt d'énumérer notre grand profil européen, de la philosophie grecque au droit romain, des cathédrales romanes et gothiques à l'humanisme de la Renaissance, de la révolution scientifique aux Lumières, de l'héritage gréco-romain classique au christianisme, etc.

Pure hypocrisie.

Costanzo Preve*

1.

Je vais avancer quelques réflexions sur l'Europe, non pas à partir de l'histoire de l'Europe des Nations, qui s'est formée après la dissolution de l'empire de Charlemagne (1), mais à partir de la guerre Russie-Ukraine (c'est-à-dire l'agression américaine contre la Russie via l'OTAN-Europe), qui a en fait sanctionné la fin du projet de l'Union européenne (avancé et réalisé après la Seconde Guerre mondiale, même s'il a été conçu dans les années 1930 par les États-Unis d'Amérique) remplacé par le nouveau rôle de l'OTAN qui convient mieux aux nouvelles stratégies américaines dans la phase multicentrique [conflit entre une puissance hégémonique en déclin (États-Unis) et des puissances consolidées (Russie, Chine) et montantes (Inde)] (2). Une "[...] Europe occidentale (également Europe de l'Est, ma précision LL) soumise à une occupation militaire américaine acceptée par les gouvernements fantoches actuels, que je considère précisément pour cette raison comme totalement illégitimes, qu'ils soient ou non sanctionnés par des élections manipulées" (3).

2.

Raniero La Valle saisit le sens de la métamorphose, qui a commencé il y a des années (4), de l'OTAN lorsqu'il affirme: "De Washington à Vilnius, en fait, tout revient, tout va pour l'Amérique et sa Cour "incomparable" : les mêmes ennemis, la Russie, la Chine, l'Iran, la Corée du Nord, le "terrorisme", la même victime qui unit tout le monde autour de l'autel du sacrifice, l'Ukraine, la même détermination à utiliser même la première arme nucléaire parce que la dissuasion ne suffit plus, la même idée que le vieux concept de défense est dépassé, parce qu'aujourd'hui, ce ne sont pas seulement les guerres qui se décident avec des armes de guerre, mais aussi des alternatives de toutes sortes, la gestion des crises, les politiques industrielles, l'économie, le climat, les questions de "sécurité humaine", et même la question de l'égalité des sexes et de la participation des femmes: tout est lié à l'OTAN, le nouveau souverain, parce que son approche est "globale" et que ses trois tâches principales, "la dissuasion et la défense, la prévention et la gestion des crises, et la sécurité coopérative", doivent être accomplies dans la discrétion la plus absolue : "Nous répondrons à toute menace contre notre sécurité comme et quand nous le jugerons approprié, dans la zone de notre choix, en utilisant des moyens militaires et non militaires de manière proportionnée, cohérente et intégrée" ; et, semble-t-il, pour décider dans l'urgence (mais cela n'a pas été écrit), cela peut également être le commandant général de l'OTAN sans remettre en question "la structure" ; en bref, il y a une liberté d'exercice du nucléaire. L'Ukraine est pleinement intégrée à l'OTAN, mais il faut faire comme si elle ne l'était pas, pour ne pas obliger la Russie à utiliser l'arme nucléaire; Poutine accuse le coup, il doit jouer le jeu, et se dit "prêt à traiter séparément les garanties de sécurité de l'Ukraine, mais pas dans le cadre de son adhésion à l'OTAN". Et à Vilnius, il assure que cela n'arrivera pas, que l'Ukraine ne rejoindra l'OTAN que lorsque la guerre sera terminée, et c'est la raison pour laquelle, comme le voulait Biden depuis le début, elle ne doit pas avoir de fin; et Zelensky, après la première colère qui lui a valu d'être accusé d'"ingratitude" par le ministre britannique de la défense, s'est rendu à la collecte et a joyeusement exprimé son enthousiasme (Le Colonel de l'état-major ukrainien et analyste militaire Oleg Zhdanov dit: "Au cours des 16 derniers mois, nous nous sommes intégrés à la machine militaire atlantique d'une manière dont nous n'aurions jamais pu rêver avant le 24 février 2022. Les milliers d'hommes prêts à percer les lignes russes sont habillés, armés, transportés, entraînés par l'OTAN ; même leurs armes personnelles ont été fournies par les alliés", et ainsi de suite: "chars allemands Leopard 2, véhicules américains Humvee ou véhicules blindés de transport de troupes Bradley et Strykes, dizaines de types différents de transports blindés de troupes, canons français à longue portée Caesar ou canons américains M777, lance-roquettes américains Himars, obusiers automoteurs polonais Krab", le tout accompagné d'une assistance, de pièces détachées, de personnel spécialisé, avec une chaîne d'échange et de coopération à long terme, bien qu'"il soit difficile de dire quand l'Ukraine rejoindra l'OTAN, peut-être même jamais" (5).

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3.

L'OTAN est fondamentale pour les stratégies mondiales des États-Unis d'Amérique. Sa transformation d'un instrument de défense contre le soi-disant communisme soviétique en un instrument d'agression et de pénétration dans les zones d'influence de la Russie et de la Chine pour empêcher la consolidation du pôle asiatique (qui prend actuellement son essor avec ses structures de fonctionnement et de coordination comme, par exemple, les Brics) capable de défier l'hégémonie mondiale des États-Unis avec son modèle de lien social de la production et de la reproduction de la vie. Les États-Unis n'acceptent pas un monde multicentrique, leur histoire en tant que nation est emblématique et devrait servir de leçon; je cite, à cet égard, ce que j'ai déjà souligné dans d'autres écrits: il est difficile pour les États-Unis de renoncer à une domination mondiale absolue, sous couvert de démocratie, de droits et de divers mensonges, étant donné leur histoire qui, depuis le 4 juillet 1776 (année de la déclaration d'indépendance), ne les a vus en paix que pendant 18 des 246 années au cours desquelles ils ont progressivement évolué d'une néo-nation luttant pour son indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne (1775-1783), en passant par la monumentale guerre de Sécession (1861-1865) pour se transformer, après avoir collaboré au triomphe de la Seconde Guerre mondiale (1941-1945), en la plus grande puissance du monde de la fin du 20ème siècle à nos jours, bien que, heureusement pour nous, en net déclin relatif. Alain Badiou affirmait il n'y a pas longtemps que: "La puissance impériale américaine, dans la représentation formelle qu'elle se fait d'elle-même, a la guerre comme forme privilégiée, sinon unique, d'attestation de son existence" (6). Leur passion est de commander, d'usurper, de subjuguer tous les peuples; leur mission est la domination absolue. Les USA ont un poids spécifique plus important qui est celui du mandat divin qui les conduit à la domination absolue du monde (monocentrisme), par opposition aux autres puissances qui sont pour une domination partagée du monde (multicentrisme). Le facteur déterminant dans ce scénario misérable sont les relations de pouvoir et de domination, les relations les plus stupides que les êtres humains sexualisés se soient jamais données. L'autorité en est un autre ! (mais c'est un autre sujet de discussion).

Nous sommes, dans cette phase multicentrique, en pleine guerre "au sens large" (7). Voyez par exemple le rôle de pays tels la Norvège, la Finlande, la Suède, le Danemark, pays d'Europe du Nord qui font partie de l'UE (à l'exception de la Norvège) et de l'OTAN (à l'exception de la Suède) et qui ont signé des accords de défense bilatéraux avec les États-Unis d'Amérique en cas de conflit avec la Russie (8).

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Alberto Bradanini (photo - ancien ambassadeur à Pékin de 2013 à 2015) précise ainsi "[...] comme tout conflit même lointain génère des turbulences insidieuses, les dirigeants chinois partagent pour l'essentiel le jugement de Moscou: "que la genèse du conflit doit être attribuée à la stratégie américaine visant à déstructurer la Russie par une guerre par procuration (menée par les Ukrainiens avec des armes et des financements nato américains), à provoquer son changement de régime et si possible même à provoquer son éclatement, en en faisant une proie facile pour les vautours de Wall Street [...] Dans le jugement de Pékin [...] les États-Unis visent alors à empêcher la soudure Russie-Chine et à provoquer une guerre par procuration antichinoise similaire, menée cette fois-ci jusqu'au dernier Taïwanais". Selon lui, les Etats-Unis n'acceptent pas l'émergence d'un monde multipolaire qui s'épanouit autour de l'alliance russo-chinoise, à laquelle s'ajouteraient "l'Inde et d'autres nations dites émergentes qui, en fait, n'entendent pas suivre Washington dans sa politique de sanctions contre Moscou [...]. L'expansionnisme de l'OTAN/Washington vers l'Est a donc pour objectif stratégique d'empêcher cette voie de pacification/intégration eurasiatique qui était apparue comme une promesse de paix et de développement à la chute de l'Union soviétique". Un tournant qui a entraîné une nouvelle convergence entre la Chine et la Russie, qui ne sont plus unies par une idéologie anticapitaliste comme à l'époque de Mao et Staline, mais par des intérêts économiques et stratégiques communs et le même besoin de contenir l'expansionnisme américain [italiques de moi, LL]" (9).

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En résumé, selon les termes de l'économiste marxien Richard D. Wolff (photo), qui résume bien ce qui précède, on peut dire que: "[...] l'empire américain, compris comme la suprématie capitaliste et géopolitique, est terminé. Mais l'Amérique ne veut pas s'en rendre compte [...] la Chine, en revanche, a créé un écosystème productif gigantesque dont le monde ne peut se désintéresser et codétermine donc désormais le destin du capitalisme. Consensuellement d'abord et conflictuellement maintenant, mais jamais de manière subalterne [...] le capitalisme s'est "sinisé" (comme en Russie il s'est "russifié", ma spécification, LL) d'une manière que l'Amérique ne pensait pas possible, étant donné la crise persistante entre l'économie de marché et le parti communiste" (10). Les difficultés américaines, qui soulignent à la fois le déclin et l'incapacité stratégique à atteindre des objectifs dans le temps et l'espace, sont évidentes dans les deux conflits ouverts en Ukraine (via l'OTAN-Europe), principalement contre la Russie, et en Palestine (via l'OTAN-Europe-Israël), principalement contre la Chine. La faiblesse des USA se manifeste aussi dans leur jeu de renvoi (car ils n'ont aucune idée du nouveau monde qui se dessine, engagés qu'ils sont dans la quatrième révolution industrielle, celle du transhumanisme, c'est-à-dire la fin de la dimension humaine de l'humanité, une révolution nihiliste de l'humanité sexuée) en tentant de contrer les projets mondiaux de la Chine (les Routes de la Soie) et de la Russie (le Corridor international de transport nord-sud russo-indien, INSTC) en avançant son projet IMEC (Corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe):

1) favoriser l'hégémonie israélienne dans le Nouveau Moyen-Orient, en tant que puissance régionale, avec son projet de Canal de Gurion, concurrent du Canal de Suez, avec toutes les conséquences néfastes sur l'élimination de la population palestinienne de Gaza pour permettre un débouché sur la Méditerranée;

2) réduire la taille de l'Egypte;

3) porter un coup sévère à l'axe de transport énergétique et commercial Bassorah-Europe, centré sur la Turquie. Derrière les infrastructures et le contrôle des ressources énergétiques se joue un jeu fondamental dans l'affrontement entre les puissances mondiales (USA, Chine, Russie et indirectement l'Inde, puissance montante) avec leurs sous-puissances régionales (Israël, Iran, Turquie) (11).

4.

La Russie et la Chine, qui sont les deux centres (pour l'instant) du pôle asiatique émergent, veulent construire un monde multicentrique et sont en mesure de contester l'hégémonie mondiale des États-Unis, qui prône un monde monocentrique. Un pôle asiatique que, dès 1956, l'historien Arnold Toynbee configurait ainsi: "Si, ayant ainsi perdu l'amitié du sous-continent chinois, notre monde occidental devait également perdre l'amitié du sous-continent indien, l'Occident aurait perdu au profit de la Russie la majeure partie du Vieux Continent, à l'exception de quelques têtes de pont en Europe de l'Ouest et en Afrique ; et cela pourrait être un événement décisif dans la lutte pour le pouvoir entre le "monde libre" et le communisme" (une réflexion actuelle en substance si nous spécifions les concepts de monde libre et de communisme et les mettons en relation avec l'histoire donnée) (12).

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Costanzo Preve a raison lorsqu'il affirme: "[...] Il s'agit d'une décision (la décision de résister à l'américanisme, ma précision LL) nourrie par la conscience de la principale caractéristique de l'américanisme lui-même, à savoir son arrogance. [...] Il ne s'agit pas seulement d'une question de pure puissance militaire "impériale" (Alexandre le Grand, Jules César, Gengis Khan, Napoléon). Il s'agit de quelque chose de plus profond et d'immensément plus abject, l'arrogance d'être porteur d'une civilisation supérieure garantie même par un mandat divin qui légitime cette prétention à la supériorité par son élection invérifiable. Aujourd'hui, le seul détenteur au monde de cette intolérable arrogance, ce sont les États-Unis d'Amérique. Peut-être [...] l'Europe, la Russie, les Mongols, les Arabes, la Chine, etc. l'ont-ils été dans le passé, mais il est certain que dans les conditions géopolitiques actuelles, ils ne le sont plus. C'est de cette donnée qu'il faut partir". Un mandat divin d'un Dieu un peu étrange, "[...] le Dieu de George Bush et du messianisme idéocratique américain des néo-cons [...,  le Dieu exclusif, lié de facto à un seul peuple élu (autrefois les Juifs, aujourd'hui les Américains de la Destinée Manifeste et de la Cité sur la Colline, le peuple que le blasphémateur éhonté Bill Clinton a appelé sans vergogne dans son discours d'investiture à la Maison Blanche "le seul peuple indispensable au monde"), le Dieu au nom duquel les bombes atomiques sont larguées sur Hiroshima et Nagasaki et l'Irak envahi en 2003, le Dieu au nom duquel les bases militaires sont multipliées dans tous les pays du monde, planifiant de manière obsessionnelle la prochaine guerre avec la coexistence d'une Europe asservie et terrorisée [...]" (13).

5.

La soumission volontaire totale des nations européennes (et de sa superstructure représentée par l'Union européenne) aux stratégies américaines est si forte que les guerres Russie-Ukraine et Israël-Palestine ont fait l'objet d'une homogénéité si compacte dans le camouflage de la réalité. Il faut remonter à l'histoire de Catilina dont nous n'avons qu'une seule vérité : rarement une tradition aussi abondante aura été aussi compacte dans l'obscurcissement de la réalité (14). L'Ukraine agressée est devenue une victime après avoir réprimé les Républiques populaires séparatistes de Donetsk et de Lougansk, une répression commencée en 2014 contre les régions russophones (Odessa, Dniepropetrovsk, Kharkov, Louhansk et Donetsk) qui a conduit à une militarisation du contexte et à quelques massacres (à Odessa et Marioupol, les plus importants) et après avoir été l'instrument américain, par l'entrée de facto dans l'OTAN, de la guerre contre la Russie ; tout comme l'Israël lésé par le Hamas est transformé en victime après avoir occupé la Palestine depuis 1948 (proclamation de la naissance de l'Etat d'Israël) en expulsant les Palestiniens (composés à l'origine d'Arabes musulmans, d'Arabes chrétiens, de Juifs et de minorités turques et arméniennes) avec une violence et des méthodes inqualifiables (15). Le mensonge systématique qui devient la vérité des dominants ! (16).

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La remarque de Luciano Canfora sur le modèle européen plein de démocratie, de liberté et de droits universels des peuples en référence à la soi-disant invasion russe de l'Ukraine (et au plan d'attaque du Hamas contre Israël) est efficace, rappelant la férocité des puissances européennes dans la poursuite de la domination mondiale: "Bien sûr, si l'on pense avec quelle détermination les Européens ont poursuivi la domination mondiale, il est plutôt amusant qu'ils se montrent maintenant comme un modèle de vertu et qu'ils fassent la leçon aux autres. Une certaine rhétorique pro-européenne ressemble à la prière contrite de quelqu'un qui a fait toutes sortes de choses et qui devient soudain pieux et vertueux" (17).

C'est-à-dire que nous passons d'une phase historique monocentrique, avec une coordination occidentale américaine jusqu'en 1990-1991 (implosion de l'ex-URSS) et mondiale jusqu'en 2011 (montée des puissances russe et chinoise), où l'Europe a joué un rôle subalterne et dirigeant dans le système américain (américanisation du territoire européen) et ses stratégies de domination du monde ; à une phase multicentrique où l'Europe, gouvernée et gérée par la nouvelle OTAN, devient une expression géographique de la mémoire metternichienne, ainsi qu'un champ de bataille de l'affrontement entre les puissances mondiales.

6.

L'Union européenne n'existe pas ! Ce qui apparaît, ce sont des institutions (lieux institutionnels) dirigées par des sous-décideurs des différentes nations qui utilisent les ressources des différentes sphères sociales et mettent en œuvre des stratégies de développement (en alliance ou en conflit les unes avec les autres) intégrées dans celles des États-Unis. Les sanctions contre la Russie, qui ont eu un effet négatif sur l'Europe (augmentation des prix des matières premières énergétiques, en particulier pour les entreprises du secteur de l'énergie et du gaz, réduction des relations économiques, récession et perte accentuée du pouvoir d'achat, sécurité dans les nouvelles infrastructures énergétiques, etc.) elles ont apporté des avantages aux États-Unis (limitation de la baisse de la demande de dollars pour le commerce international, vente de gaz à des prix russes multiples, attraction des entreprises européennes, etc : construire de nouvelles relations en Asie (Chine, Inde, Iran), promouvoir un développement autosuffisant (dans l'alimentation, l'industrie manufacturière, les biens de consommation, etc.) Un autre exemple est le désastre de l'économie européenne: "[...] 2024 sera un désastre pour l'économie réelle européenne. Les indicateurs économiques manufacturiers prévisionnels, les PMI, sont pratiquement tous négatifs pour les pays européens [...]. Les perspectives économiques sont donc mauvaises, mais il y a pire: les nouvelles règles budgétaires européennes, celles sur lesquelles un accord a été trouvé, prévoient des contraintes très fortes sur le déploiement de politiques budgétaires expansionnistes. Le fait que le déficit ne puisse dépasser 1% du PIB pour la quasi-totalité des pays européens rendra impossible toute politique de nature anticyclique; au contraire, il imposera des réductions et des augmentations d'impôts qui seront procycliques. Ainsi, non seulement la crise cyclique ne sera pas contrée par les politiques économiques de l'UE, mais elle sera même accentuée. La crise de 2011-2014 ne nous a rien appris du tout [...]" (18).

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L'Europe en tant que sujet politique unitaire n'a jamais existé. Je souligne, avec Luciano Canfora, que "l'Europe occidentale s'est divisée très tôt et est restée divisée: l'idée qu'il s'agit d'un continent unitaire est une invention. Au fil des siècles, nous la voyons se déchirer, déchirée par des luttes de pouvoir, aux prises avec une autorité spirituelle, celle du pontife romain, qui était également temporelle et interagissait avec les gouvernements des différents États. Cela a favorisé une dialectique plus vivante, mais aussi un éclatement structurel, annonciateur de problèmes" (19).

Les puissances européennes se sont toujours affrontées pour l'hégémonie sur le continent européen: considérez, par exemple, la tentative ratée de Napoléon Bonaparte qui a déclaré avec regret: "je n'avais pas terminé mon travail. L'Europe serait en effet devenue un seul peuple; en voyageant, chacun se serait senti dans une patrie commune... Cette union devra se faire un jour ou l'autre par la force des choses... Il faut un droit européen, une Cour de cassation européenne, un système monétaire unique, des poids et mesures égaux, il faut les mêmes lois pour l'ensemble de l'Europe. J'aurais voulu faire de tous les peuples d'Europe un seul peuple... C'est la seule solution" (20). On ne peut pas échanger l'Europe des différentes nations concurrentes (qui avaient aussi un rôle à jouer dans la religion, l'art, la culture, la nature, la science, etc. Pensez, par exemple, à la Renaissance italienne et européenne qui, selon Fernand Braudel, "[...] est cette lente transformation, qui n'en finit pas, par laquelle la civilisation occidentale passe des formes traditionnelles du Moyen Âge aux formes nouvelles, déjà actuelles, de la première modernité, encore vivace dans cette même civilisation occidentale dans laquelle nous vivons aujourd'hui, qui, à peine sortie de ses anciennes contradictions, en fabrique allègrement d'autres" (21).

L'hypocrisie de l'Europe comme sujet politique et unitaire. La réflexion de l'historien Paul Kennedy n'est pas à partager lorsqu'il affirme que "l'Europe ne disparaîtra certainement pas. Elle jouera également un rôle politique central à l'avenir. Si, en 2030, nous avons une Union européenne qui inclut également l'Ukraine, nous assisterons à une transformation historique de la dynamique politique internationale. Toute la région du Caucase sera également attirée vers l'UE. Avec pour conséquence un plus grand isolement de la Russie" (22). Pour avoir un rôle politique central, l'Europe doit être autonome, indépendante, souveraine, capable de penser et de réaliser une stratégie de projet pour un modèle de développement et de relations sociales dans une société européenne de peuples, avec un rôle central dans l'échange culturel, politique, économique et social entre l'Ouest et l'Est tout en respectant les différentes histoires territoriales. Mais l'Europe est au service des stratégies de pouvoir des États-Unis pour une domination mondiale monocentrique. Il faut donc la repenser en se tournant vers l'Est, où il y a des puissances établies, comme la Chine et la Russie, et des puissances montantes, comme l'Inde, qui sont pour un monde multicentrique (23) et qui peuvent être porteuses d'un autre modèle de développement social, bien que dans une logique systémique capitaliste (les différents capitalismes), encore capables de se situer dans les équilibres naturels et humains pour leurs histoires, leurs cultures, leurs traditions, leurs religions, etc., par opposition à l'Occident dirigé par les États-Unis, qui se projette dans le transhumain (dépassement de l'humain), ce qui signifie la fin de l'humanité telle que nous la connaissons: "Trasumanar significar per verba non si porìa [...] le passage à une condition, ou à un mode d'être, supérieur à celui normalement propre à l'homme qui ne peut être exprimé [...] au moyen de mots" (24).

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Le mode de production et de reproduction de la vie américain, expression d'un modèle de développement hégémonique, mais en déclin du fait de l'avancée du multicentrisme lequel propose d'autres modèles de développement suggérés par d'autres puissances mondiales (pensez au modèle chinois de la Route de la Soie), a pénétré et façonné le mode de développement européen. L'Europe est devenue un outil important (une sorte de tête de bélier) pour les projections stratégiques contre l'Est et ses puissances. En fait, l'Europe n'existe plus, ce qu'elle apparaît est l'expression de la servitude volontaire des sous-décideurs qui ne veulent pas perdre leur pouvoir dérivé des phases de gestion et d'exécution des stratégies des pré-dominants américains dans leurs territoires nationaux respectifs. Les sous-décideurs décident des lignes stratégiques du développement de leurs territoires nationaux respectifs incorporés dans le territoire hégémonique des États-Unis d'Amérique. L'américanisation du territoire européen (dont nous savons peu de choses) est emblématique des processus de pénétration du modèle de développement hégémonique des États-Unis. Ce modèle affecte profondément et intègre le développement des nations européennes dans les stratégies américaines d'hégémonie mondiale. Pensez aux transformations des villes et des territoires (inclus dans la zone OTAN) et à la fourniture d'infrastructures territoriales (tables, couloirs de mobilité, bases, logistique, ports, etc.). Dans la phase multicentrique, l'Union européenne ne sert pas de ciment et d'agrégat pour les stratégies américaines comme elle le faisait dans la phase monocentrique du monde occidental (et bipolaire), car elle a été remplacée par le projet de l'OTAN. Ce n'est pas un hasard si l'Europe, comme on l'a vu plus haut, n'a jamais été autonome et a toujours été subordonnée aux États-Unis d'Amérique depuis la Seconde Guerre mondiale.

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7.

Je cite un bon résumé de ce qui a été dit ci-dessus sur l'Europe non souveraine, par Giorgio Agamben: "[...] l'Union européenne conçue uniquement pour des raisons économiques qui ignorent non seulement les raisons spirituelles et culturelles, mais aussi les raisons politiques et juridiques [...]; l'Union européenne est techniquement un traité entre États qui se fait passer pour une constitution démocratique [...]; la soi-disant Constitution européenne est illégitime [...]. Le juriste allemand Dieter Grimm (photo) a souligné qu'il manque à la constitution européenne l'élément démocratique fondamental, car elle n'est en aucun cas le fruit de l'autodétermination des citoyens européens [...]. Le seul semblant d'unité est atteint lorsque l'Europe agit comme un vassal des États-Unis, participant à des guerres qui ne correspondent en rien aux intérêts communs et encore moins à la volonté des peuples. D'ailleurs, certains États signataires du traité, comme l'Italie, en raison du nombre de bases militaires qu'ils hébergent, sont techniquement des protectorats et non des États souverains. En matière de politique étrangère, il existe un Ouest atlantique, mais certainement pas une Europe. Tout comme elle n'existe pas sur le plan constitutionnel, l'Europe n'existe pas sur le plan politique et militaire [...]. Le Moyen Âge a compris qu'une unité formée par des sociétés politiques doit être quelque chose de plus ou de différent qu'une société politique. Le Moyen Âge a cherché son critère dans le christianisme. L'homme européen - à la différence des Asiatiques et des Américains, pour qui l'histoire et le passé ont un tout autre sens - ne peut accéder à sa vérité qu'en se confrontant à son passé, qu'en se confrontant à sa propre histoire. En d'autres termes, le passé est pour lui non seulement un patrimoine de biens et de traditions, mais aussi et surtout une composante anthropologique essentielle, qui fait qu'il ne peut accéder au présent que de manière archéologique, qu'en regardant ce qui a été. Cela signifie que pour l'Européen, le passé est avant tout une forme de vie. D'où le rapport particulier que l'Europe entretient avec ses villes, avec ses œuvres d'art, avec son passage: il ne s'agit pas de conserver des biens plus ou moins précieux, mais néanmoins extérieurs et disponibles; en détruisant hier les villes allemandes, les Américains savaient qu'ils démolissaient en quelque sorte l'identité même de l'Allemagne; c'est pourquoi, aujourd'hui, en détruisant le paysage italien avec du ciment, des autoroutes et des lignes ferroviaires à grande vitesse, les spéculateurs ne nous privent pas seulement d'un bien, mais détruisent aussi notre propre réalité historique [...]. Il fut un temps où l'idéal commun d'une Europe s'exprimait politiquement dans l'idée romaine d'un empire, puis dans l'idée germanique d'un saint-empire qui laissait intactes les spécificités des peuples [...]. Alors qu'il serait urgent de réfléchir à la difficile tâche de construire une unité tout en préservant la diversité, nous constatons au contraire que, dans tous les pays européens, on assiste à un véritable démantèlement des écoles et des universités, c'est-à-dire des institutions qui, en transmettant la culture, devraient veiller sur le rapport vivant entre le passé et le présent. À ce démantèlement correspond une muséification croissante du passé, à commencer par les villes elles-mêmes, transformées en centres historiques, dont les habitants sont en quelque sorte transformés en touristes de leur propre culture [...]. Un haut fonctionnaire de l'Europe naissante, Alexandre Kojéve, soutenait que l'Homo sapiens était arrivé au bout de son histoire et n'avait plus que deux possibilités devant lui: l'accès à une animalité post-historique (incarnée par l'American way of life) ou le snobisme (incarné par les Japonais, qui continuent à célébrer leurs cérémonies du thé, pourtant vidées de toute signification historique). Entre une Amérique complètement réanimée et un Japon qui ne reste humain qu'à condition de renoncer à tout contenu historique, l'Europe pourrait offrir l'alternative d'une culture qui reste humaine et vitale, parce qu'elle est capable d'affronter sa propre histoire dans sa totalité et de tirer une vie nouvelle de cette confrontation" (25).

8.

La centralisation du pouvoir dans la phase multicentrique est fonctionnelle pour réduire la chaîne de commandement qui devient essentielle dans les phases (multicentriques et polycentriques) de conflit ouvert entre les puissances mondiales. Par exemple, voyez la tentative de réforme, à partir de 2015, de l'Union européenne en ce qui concerne l'élargissement et l'approfondissement des domaines politiques vers la constitution des États-Unis d'Europe (26). L'objectif est de réformer l'Union européenne pour la rendre plus fiable et servile en éliminant les vassaux et les vavasseurs qui servaient de ciment et de coordination dans l'exécution et la gestion des stratégies américaines contre les puissances qui contestent leur ordre mondial monocentrique (Mario Draghi est l'un des protagonistes, au nom des pré-dominants américains, de cette réforme vers la construction des États-Unis d'Europe) (27). Il est emblématique que l'un des secteurs les plus touchés par la réforme soit le secteur militaire. Un secteur qui doit être absorbé et coordonné par les États-Unis et l'OTAN et qui doit jouer un rôle de menace, d'intimidation et de conflit potentiel avec la Russie et la Chine (et leurs zones d'influence) afin de les affaiblir et de les réduire (28).

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L'Europe doit être repensée et reconstruite, en commençant par un processus de libération de la servitude volontaire (29) envers les États-Unis, qui passe par la démilitarisation des bases des États-Unis et de l'US-OTAN sur son territoire (occupation militaire, par le biais de bases et d'accords), est la force qui a permis à la puissance américaine de coordonner le développement au niveau mondial jusqu'en 2011, fin de la phase monocentrique) et la sortie du système de l'euro articulé dans le système hégémonique du dollar (en voie d'être concurrencé par d'autres systèmes monétaires qui expriment d'autres modèles de développement et de relations sociales, à comprendre et à approfondir).

Il faut repartir de la césure que représente la désaméricanisation du territoire européen (tout comme, avec la doctrine Monroe (30), les États-Unis d'Amérique ont imposé la déseuropéanisation du continent américain) ; il faut, selon les termes de Costanzo Preve, "une réorientation gestaltiste radicale" qui fasse sortir l'Europe de la servitude volontaire des États-Unis et penser à une autre Europe de nations autodéterminées et libres. Une rupture forte et qualitative qui peut être obtenue en tournant notre regard vers l'est, vers le pôle asiatique en expansion qui englobe 70 % de la population mondiale, tout en sachant que "[...] Dans la réalité sociale, les expressions oui et non sont inséparablement liées dans une relation dialectique. Dans la réalité sociale, il n'y a pas de non qui ne contienne pas quelque chose d'essentiellement positif" (31).

Une refonte et une reconstruction qui jette les bases d'une Europe autodéterminée tournée vers l'Est, où les puissances mondiales montantes font des propositions pour un nouvel équilibre (un nouveau nomos) de la domination mondiale (32).

9.

Que faire ? Existe-t-il les conditions subjectives et objectives pour penser, concevoir et construire une autre Europe et ne pas continuer dans l'hypocrisie pure ?

La citation choisie comme épigraphe est tirée de : *Costanzo Preve et Luigi Tedeschi, Dialoghi sull’Europa e il nuovo ordine mondiale (= Dialogues sur l'Europe et le nouvel ordre mondial), Casa Editrice "il Prato", Saonara (Padoue), 2016, p.86.

NOTES

1 Alessandro Barbero, Charlemagne. Un padre dell'Europa, Editori Laterza, Roma-Bari, 2002, chapitre V, pp. 113-127 ; sur le parcours complexe de la construction des nations européennes, voir Andrea Zannini, Storia minima d'Europa. Dal neolitico a oggi, il Mulino, Bologna, 2019, pp. 223-237; sur l'importance de la reconquête de la souveraineté des nations pour construire une autre Europe libre et autodéterminée comme nouvel espace de connexion et d'échange politique, économique et culturel entre l'Ouest et l'Est voir Costanzo Preve et Luigi Tedeschi, Dialoghi sull'Europa e sul nuovo ordine mondiale, Casa Editrice "il Prato", Saonara (Padoue), 2016 ; Perry Anderson et autres, sous la direction de, Storia d'Europa, Einaudi, Turin, 1993, volume 1.

2 Sur le rôle de l'Europe dans les stratégies américaines, voir Henry Kissinger, World Order, Mondadori, Milan, 2015, pp.87-96 et pp. 234-326 ; Zbigniew Brzezinski, The Great Chessboard, Longanesi, Milan, 1998 ; sur le rôle des services secrets dans la construction du projet d'une Europe unie, à la fois pour saper l'influence communiste et pour incorporer l'Europe dans les stratégies américaines de domination, voir Richard J. Aldrich, OSS, CIA and European Unity : the American Committee for a United Europe, 1948-60 (first, second, third part), www.comedonchisciotte.org , 24/8/2020 ; sur la construction des institutions européennes et leur fonctionnement lire Perry Anderson, Towards an ever closer Union ? (first, second, third part), www.comedonchisciotte.org, 2/1/2021 ; sur la fin du projet européen des États-Unis je renvoie à mon article The European Union project is over, NATO is the US tool in the strategic conflict of the multicentric phase, www.italiaeilmondo.com , 26/11/2018.

3 Costanzo Preve, Ripensare Marx oltre la destra e la sinistra, interview éditée par Luigi Tedeschi, www.ariannaeditrice.it , 31/5/2007 ; Costanzo Preve, Filosofia e geopolitica, Edizione all'insegna del Veltro, Parma, 2005.

4 Sur la métamorphose de l'OTAN, je renvoie à Luigi Longo, L'americanizzazione del territorio (Appunti per una riflessione), www.conflittiestrategie, 29/3/2014 et www.italiaeilmondo.com, 27/5/2017 ; Idem, Il progetto dell'Unione europea, op. cit. ; Idem, La Nato è lo strumento degli USA nel conflitto strategico della fase multicentrica, www.italiaeilmondo.com, 7/7/2022.

5 Raniero La Valle, In Vilnius NATO took over the world, www.ilfattoquotidiano.it , 25/7/2023.

6 Editor, The military history of the United States looks like a game but it is not, www.infodata.ilsole24ore.com , 20/2/2020 ; Giovanni Viansino, Roman Empire, American Empire. Idéologies et pratiques, Edizioni Punto Rosso, Milan, 2005.

7 Sur la définition de la guerre au sens étroit (première (1914-1918) et deuxième guerre mondiale (1939-1945) et au sens large pour la troisième (1945-1989) et la quatrième encore en cours, voir Costanzo Preve, La quarta guerra mondiale, Edizioni all'insegna del Veltro, Parma, 2008.

8 Rédaction de l'Ansa, Nordic countries towards joint air defence from Russia, www.ansa.it, 25/3/2023 ; Filippo Jacopo Carpani, Troops on the border with Russia : what's behind the US move in Finland, www.ilgiornale.it , 15/12/2023 ; Maurizio Blondet, The German Defence Minister : "Europe must be ready for war by the end of the decade", www.maurizioblondet.it , 18/12/2023.

9 Alberto Bradanini, The US fears a Russia-China axis and a multipolar world, interview by Luciana Borsatti, www.sinistrainrete.info , 11/5/2022.

10 Fabrizio Maronta, édité par, conversation avec Richard D. Wolff, The American empire is over but America does not accept it, "Limes" no.4/2023, pp.104-106.

11 Maurizio Brignoli, Les causes économiques du massacre de Gaza, www.ariannaeditric.it 18/11/2023 ; Enrico Tomaselli, La catabasi imperiale, www.ariannaeditrice.it , 24/12/2023 ; Pepe Escobar, Le Yémen est prêt à affronter une nouvelle coalition impériale, www.comedonchisciotte.org , 23/12/2023 ; Jean Valyean, L'opération "prosperity guardian" voulue par le Pentagone s'effondre après même pas une semaine, www.scenarieconomici.it, 24/12/2023 ; Marco Dell'Aguzzo, Who (not) is part of the US anti-Houthi coalition in the Red Sea ? www.startmag.it  , 30/12/2023; Manlio Dinucci, Medioriente : gli incendiari cry "Al fuoco", www.voltairenet.org , 31/12/2023 ; Enrico Tomaselli, Chi vuole allargare la guerra in Medio Oriente (e perché), www.ariannaeditrice.it  , 4/1/2024.

12 Arnold Toynbee, Le monde et l'Occident, Aldo Martello editore, Milan, 1956, p. 54.

13 Costanzo Preve, Filosofia e geopolitica, Edizioni all'insegna del Veltro, Parma, 2005, pp. 38-39 et Costanzo Preve, Una nuova storia alternativa della filosofia. Il cammino ontologico-sociale della filosofia, éditeur Petite Plaisance, Pistoia, 2013, p. 53.

14 Voir Luciano Canfora, Catilina. Una rivoluzione mancata, Laterza, Bari-Roma, 2023.

15 Giancarlo Paciello, La conquista della Palestina, Editrice C.R.T., Pistoia, 2004 ; Domenico Moro, Il seme della violenza. Le origini del conflitto israelo-palestinese, www.sinistrainrete.info , 19/10/2023 et 9/11/2023, première et deuxième partie ; Salvatore Bravo, La cesoia corazzata, www.comunismoecomunità.org , 20/11/2023.

16 Costanzo Preve, Il bombardamento etico. Saggio sull'interventismo umanitario, sull'embargo terapeutico, e sulla menzogna evidente, Editrice C.R.T., Pistoia, 2000.

17 Luciano Canfora, Intervista sul potere, édité par Antonio Carioti, Editori Laterza, Roma-Bari, 2013, p. 92 ; au sujet des puissances européennes qui ont fait toutes sortes de choses, lire Attilio Brilli, Dove finiscono le mappe. Storie di esplorazioni e di conquista, il Mulino, Bologna, 2012.

18 Leoniero Dertona, Désastre de l'économie européenne : 2024 sera une récession avec des mesures fiscales et monétaires cycliques, www.scenarieconomici.it , 3/1/2024 ; Isabella Bufacchi, L'industrie allemande souffre, la demande ne redémarre pas, www.ilsole24ore.com  , 8/1/2024 ; pour une interprétation des sanctions contre la Russie qui ont eu des effets négatifs sur l'Europe et stimulé l'économie russe, voir Michael Hudson, The US economy : surprisingly robust or a Potemkin village ? www.comedonchisciotte.org  20/6/2023 ; Megas Alexandros (alias Fabio Bonciani), Sanctions on Russia : idiocy in the service of 'power', www.comedonchisciotte.org  , 12/9/2022 ; pour une lecture des sanctions contre la Russie qui ont bénéficié à l'économie américaine dans Marco Della Luna, The Price of Adam, www.marcodellaluna.info ,1/9/2023 ; Domenico Moro, The EU mountain and the mouse of the new stability pact, www.comedonchisciotte.org  , 9/1/2024.

19 Luciano Canfora, Intervista sul potere, édité par Antonio Carioti, op. cit. p.90-91.

20 Alessandra Necci, Au cœur de l'empire. Napoleone e le sue donne fra sentimento e potere, Universale Economica Feltrinelli (Marsilio Editori), Milan, 2023, p. 274 ; voir le docu-film écrit et raconté par Alessandro Barbero, Ei fu. Vie, conquêtes et défaites de Napoléon Bonaparte, https://www.raicultura.it/storia/articoli/2021/05/Ei-fu-V... .

21 Fernand Braudel, L'Italia fuori d'Italia. Due secoli e tre Italie in AaVvv, Storia d'Italia. Dalla caduta dell'impero romano al secolo XVIII, Einaudi, Torino, 1974, Tomo secondo, p. 2143. Lire aussi Jacques Le Goff, L'Italia fuori d'Italia. L'Italia nello specchio del Medioevo in AaVvv, Storia d'Italia. Dalla caduta dell'impero romano al secolo XVIII, Einaudi, Torino, 1974, Tomo secondo, parte III, pp. 2060-2088 ; Federico Chabod, Storia dell'idea d'Europa, édité par Ernesto Sestan et Armando Saitta, Editori Laterza, Bari-Roma, 1989.

22 Paul Kennedy, Here are the three poles of the new world (and Europe is not there), entretien édité par Massimo Gaggi, https://www.corriere.it/la-lettura/24_gennaio_01/paul-ken... ...

23 L'objectif du multicentrisme équilibré ne sera possible que si la puissance agressive, par son histoire, les USA, sait partager la domination mondiale avec les autres puissances que sont la Chine, l'Inde et la Russie, porteuses d'un équilibre dynamique entre les puissances, dans le respect de leurs propres particularités historiques et territoriales. Je fais une lecture différente du multicentrisme équilibré et de la multipolarité équilibrée de John J. Mearsheimer qui peut éviter la phase polycentrique qui signifierait la troisième guerre mondiale et la fin de l'humanité compte tenu de la force destructrice des armes nucléaires. Sur la multipolarité équilibrée, voir John J. Mearsheimer, The Tragedy of the Great Powers, Luiss Press, Rome, 2019, pp. 259-427.

24 Dante Alighieri, La Divine Comédie. Paradiso, édité par Daniele Mattalia, BUR, Milan, 1989 (quatrième édition), Canto I, vers 70-71, note 70, pp.22-23. Sur le transhumanisme comme progrès nihiliste de l'Occident, voir Roberto Pecchioli, L'uomo transumano. La fine dell'umanità, Arianna Editrice, Bologne, 2023.

25 Giorgio Agamben, La crisi perpetua come strumento di potere in "Lo Straniero", 3/11/2013 ; voir aussi Alessandra Ciattini, Verso un nuovo mondo: due punti di vista, www.ilcomunista23.blogspot.com , 15/7/2023.

26 Luca Lanzalaco, États-Unis d'Europe : si vous les connaissez, vous les évitez, si vous les évitez, vous vous sauvez, www.comedonchisciotte.org , 15/12/2023 ; Idem, La révision des traités de l'UE est l'attaque ultime contre la souveraineté et la démocratie, www.comedonchisciotte.org , 14/6/2022. Je souligne que l'auteur ne fait aucune référence au rôle de l'UE dans les stratégies hégémoniques américaines dans le conflit stratégique mondial.

27 Stefano Cingolani, United States of Europe : the real fiscal reform according to Draghi, www.ilfoglio.it , 7/9/2023 ; Megas Alexandros, (alias Fabio Bonciani), It's time for the eurozone's mass running experiment to end ! Mario Draghi, www.comedonchisciotte.org , 10/9/2023 ; Federico Fubini, Draghi: "L'Europe doit être une véritable union, à commencer par la politique étrangère et la défense. Les erreurs ? La Russie et l'Afghanistan", www.corriere.it , 8/11/2023 ; Ansa Editorial, Draghi est un moment critique pour l'Europe, www.ansa.it , 29/11/2023 ; Katia Migliore, L'Europe est-elle en crise ? Il nous faut plus d'Europe ! www.comedonchisciotte.org , 1/12/2023 ; Marina Lanza, ed, L'UE met fin à la fiction démocratique, www.maurizioblondet.it , 21/11/2023.

28 Nick Alipour, Le ministre allemand de la Défense : "L'Europe doit être prête à la guerre d'ici la fin de la décennie", www.maurizioblondet.it  18/12/2023 ; Stefano Porcai, Changing the laws to favour Europe's military-industrial complex, www.contropiano.org, 5/1/2024 ; sur le rôle de l'Union européenne en Asie centrale, voir Pepe Escobar, Central Asia is the first battlefield in the new great game, www.comedonchisciotte.org , 21/8/2023.

29 Sur la conversion de la sujétion extérieure en soumission intérieure, donnant lieu à cette psychologie du sujet que Friedrich Engels a qualifiée de "servante", voir Gyorgy Lukacs, La distruzione della ragione, Einaudi, Turin, 1959, pp. 3-90.

30 Nico Perrone, Progetto di un impero 1823.L'annuncio dell'egemonia americana infiamma le borse, La Città del Sole, 2013, Napoli.

31 Gyorgy Lukacs, La destruction de la raison, Einaudi, Turin, 1959, p. 804.

32 Voir, avec une lecture critique, Valery Korovin, The End of Europe. Avec la Russie sur la voie du multipolarisme, Anteo Edizioni, Cavriago (RE), 2023.

 

mercredi, 31 janvier 2024

Géoéconomie - Croissance record du transport ferroviaire Chine-Europe

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Géoéconomie - Croissance record du transport ferroviaire Chine-Europe

Source: https://www.destra.it/home/geoeconomia-crescita-record-del-trasporto-ferroviario-cina-europa/

De janvier à novembre, 16.145 trains de marchandises ont circulé entre la Chine et l'Europe, transportant 1,75 million d'EVP, soit une augmentation de 7% et 19% respectivement en glissement annuel. Le volume de fret a établi un record en dépassant le total de l'année précédente. Ces chiffres ont été publiés par le China State Railway Group, en attendant les chiffres définitifs pour 2023.

Le service de trains de marchandises Chine-Europe s'est étendu à 217 villes dans 25 pays. Des mesures ont été prises pour améliorer l'efficacité des services de transport et la qualité des wagons et de la traction a été améliorée pour augmenter la capacité de transport de 10%.

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Depuis la fin du mois de novembre, des trains Chine-Europe circulent sur cinq itinéraires avec un horaire fixe. Ce type de service a permis de réduire les temps de transport de 20%. La coordination entre le département des chemins de fer, les douanes et l'inspection des frontières a été renforcée afin d'améliorer l'efficacité du dédouanement.

Entre-temps, la situation d'urgence en mer Rouge, qui risque de perturber les routes méditerranéennes et d'entraîner des retards et des temps de transit plus longs, a déclenché une autre initiative "ferroviaire". Cette fois, c'est le grippo Codognotto, basé en Vénétie, qui introduit un nouveau service Chine-Milan afin d'assurer la continuité pour ses clients.

L'offre est toujours disponible, avec trois stations d'origine différentes en Chine vers Milan et trois départs hebdomadaires différents. Le temps de transit est de 22 jours, couvrant une distance de plus de 11.000 kilomètres.

Source : Adria Ports

Les relations transfrontalières et transnationales du Pakistan et le rôle de la Russie

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Les relations transfrontalières et transnationales du Pakistan et le rôle de la Russie

Marina Bakanova

Source: https://www.geopolitika.ru/article/transgranichnye-i-transnacionalnye-otnosheniya-pakistana-i-rol-rossii

Le Pakistan, l'un des grands pays nés de l'effondrement de l'Inde britannique, a hérité de relations complexes en matière de politique transfrontalière et transnationale. La situation géopolitique associée à l'ingérence anglo-saxonne dans la région n'a fait que compliquer ces relations. Par ailleurs, le Pakistan, en tant que région située à la jonction de l'Asie du Sud et de l'Asie centrale, est très important pour les intérêts politiques, économiques et culturels de la Russie.

Cette problématique n'est pratiquement pas prise en compte par la communauté scientifique russe, alors que l'actuel "demi-tour de la Russie vers l'Est" nécessite une étude approfondie. Tout d'abord, pour la mise en œuvre efficace des projets économiques pakistano-russes, l'amélioration des relations avec l'Iran et la Chine, et la résolution du problème afghan.

Bien que le Pakistan puisse actuellement se targuer d'être tout au plus un leader régional, sa position est stratégiquement importante d'un point de vue géopolitique. Dans le sens ouest-est, le Pakistan est au carrefour des routes terrestres et maritimes entre le Moyen-Orient, l'Asie du Sud et la Chine (potentiellement l'Extrême-Orient), et dans le sens nord-sud, il offre aux pays d'Asie centrale l'accès le plus proche à la mer d'Oman. Enfin, le Pakistan est un membre actif de l'OCS et de l'OCI, et un membre potentiel des BRICS.

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Ces dernières années, le Pakistan a fait preuve d'une certaine capacité à faire face et à s'adapter aux défis mondiaux et aux changements géopolitiques. Mais cela est dû en grande partie à l'ancien Premier ministre Imran Khan (photo), puis aux crises politiques et économiques qui ont empêché le gouvernement intérimaire de poursuivre une politique étrangère ambitieuse. Il convient de noter que les choses pourraient changer radicalement après les élections du 8 février 2024, notamment en cas de victoire du PLM-N du clan des Sharifs, qui bénéficie d'un soutien extrêmement faible à l'heure actuelle, mais qui devrait l'emporter en éliminant son principal rival, le PTI.

Le fait même de la création du Pakistan est une véritable bombe à retardement, mise en place dès la politique britannique et assidûment alimentée par la posture du mouvement national indien pendant la Seconde Guerre mondiale.

Bien que la division de l'Inde britannique ait été déclarée sur la base de la religion, de nombreux territoires "musulmans" ont été incorporés à l'Inde en raison de la proximité territoriale, du succès des pressions exercées par les dirigeants britanniques ou des guerres éclair de l'armée indienne. En fait, l'héritage résiduel du territoire pakistanais a d'abord posé des problèmes transfrontaliers et transnationaux. Et si la frontière officielle avec l'Inde était au moins documentée (sans compter la situation distincte du Cachemire), le reste n'était pas résolu. Ainsi, au nord-ouest, la ligne Durand n'est pas reconnue par le gouvernement afghan (et absolument aucune version d'un quelconque gouvernement installé à Kaboul) et par certains nationalistes pachtounes du territoire de Khyber Pakhtunwa. La frontière avec l'Iran est critiquée par les séparatistes du Baloutchistan qui réclament la création d'un pays séparé pour eux, assemblés à partir des territoires du Baloutchistan pakistanais et iranien. Inutile de parler du Cachemire, la frontière avec l'Inde et la frontière avec la Chine sont toujours en question, et le statut du Gilgit-Baltistan, ainsi que des populations qui y vivent, n'a pas encore été déterminé.

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La politique de partenariat stratégique global de l'URSS avec l'Inde a contribué à geler le conflit du Cachemire, qui est l'une des questions clés de la politique pakistanaise contemporaine, mais n'a pas pu contribuer à le résoudre définitivement. Cela s'explique principalement par la position exclusivement pro-indienne de Moscou, qui est restée inchangée depuis 1947. En même temps, sa solution pourrait non seulement contribuer à améliorer les relations entre l'Inde et le Pakistan, mais aussi à "diluer" la présence de la Chine dans la région. D'ailleurs, la position de la Chine, qui soutient sans ambiguïté le Pakistan dans l'affaire du Cachemire, se comprend ici aussi : tout transfert des territoires du Cachemire (et du Gilgit-Baltistan par la même occasion) entraînera un arrêt complet des projets chinois d'accès à la mer d'Oman, à l'Afghanistan et à l'Iran, ce qui est tout à fait dans les "mains" de l'Inde, qui cherche à évincer Pékin de "sa" région.

La guerre d'Afghanistan et la méthode du contingent soviétique consistant à "faire pression" sur les Afghans au Pakistan ont provoqué une crise humanitaire dans le pays, qui n'a pas été résolue à ce jour et qui intensifie la confrontation entre Islamabad et Kaboul, étant l'une des questions clés de la politique interethnique. La politique d'expulsion des Afghans, appliquée activement depuis novembre 2023, est une conséquence directe à la fois de la guerre afghane et de la réduction des programmes humanitaires de l'ONU sur fond de crise économique au Pakistan. Il convient de noter que dans le cadre des relations soviéto-afghanes amicales, la reconnaissance de la ligne Durand en tant que frontière officielle entre les deux pays pouvait être favorisée, mais qu'elle est aujourd'hui sérieusement entravée. La situation est vraiment compliquée. En effet, l'Afghanistan moderne se positionne comme un État pachtoune, et ce malgré le fait que la plupart des Pachtounes vivent sur le territoire du Pakistan (et d'ailleurs, à l'exception de quelques personnalités politiques, ne cherchent pas à vivre en Afghanistan), et que sur le territoire même de l'Afghanistan vivent de grands peuples d'Asie centrale, dont les représentants sont généralement plus nombreux que les Pachtounes.

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La question du Baloutchistan complique considérablement les relations avec l'Iran. En effet, les autorités d'Islamabad et de Téhéran partagent le même point de vue : le Baloutchistan indépendant n'a pas le droit d'exister et, dans une certaine mesure, c'est historiquement justifié, puisqu'il n'y a jamais eu d'État baloutche unifié, mais seulement plusieurs principautés disparates.

Cependant, l'opposition séparatiste du Baloutchistan a trouvé un bon soutien, à la fois moral et monétaire, auprès de l'Occident global, ce qui aboutit tôt ou tard à la création de groupes terroristes.

Cette situation, entre autres problèmes, ralentit considérablement le développement des relations entre le Pakistan et l'Iran, en particulier les relations commerciales. Il convient de noter que l'opposition du Baloutchistan, à son tour, entrave activement le développement du nationalisme au Baloutchistan, empêchant le développement de minorités nationales sur le territoire contrôlé, telles que les Brahui, les Pachtounes, les Harareis et les Siddis. Ce sont les actes terroristes au Baloutchistan qui créent des problèmes à la Chine dans son initiative "Belt and Road" avec l'accès à Gwadar.

Cela dit, il convient de noter que, d'une manière ou d'une autre, toutes les affaires transfrontalières pakistanaises fondées sur des questions transnationales sont des héritages de la colonisation britannique et de la politique du grand jeu de la fin du 19ème siècle. Compte tenu des relations actuelles entre le Sud global et la Russie, le Pakistan est en fait entouré d'États amis ou loyaux envers Moscou, et l'influence russe (non unilatérale bien sûr et pas uniquement en sa faveur) pourrait contribuer à leur résolution, ainsi qu'à la réduction du degré de tension dans la région. Toutefois, des difficultés se posent également à cet égard. Le fait est que la stratégie de sécurité nationale du Pakistan, adoptée en janvier 2022 (sous le régime du PTI et, par conséquent, considérablement déformée et violée par l'intérim), mentionne la Russie et le cadre de coopération avec elle: "Le Pakistan cherche à redéfinir son partenariat avec la Russie dans les domaines de l'énergie, de la coopération en matière de défense et de l'investissement. Les relations ont déjà pris un élan positif et le Pakistan continuera à s'efforcer de maximiser les avantages mutuels. La Russie, les pays d'Asie centrale et le Pakistan sont également des partenaires importants dans la réalisation de nos objectifs communs de paix et de stabilité en Afghanistan". Dans le même temps, le concept de politique étrangère russe de 2023 ne mentionne pas le Pakistan séparément en principe.

L'aide de la Russie au Pakistan pour résoudre les problèmes transfrontaliers et transnationaux pourrait faciliter considérablement les relations de Moscou avec les pays d'Asie du Sud dans leur ensemble, et contribuer à la construction d'un modèle efficace de monde multipolaire, mais pour l'instant, cela ne vaut probablement pas la peine d'espérer.

lundi, 29 janvier 2024

Les élections indonésiennes seront un tournant pour la géopolitique asiatique

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Les élections indonésiennes seront un tournant pour la géopolitique asiatique

Lucas Leiroz

Source: https://www.geopolitika.ru/pt-br/article/eleicoes-na-indonesia-serao-um-momento-decisivo-para-geopolitica-asiatica

Le mois prochain, les citoyens indonésiens voteront pour choisir leur nouveau président.

Étant donné que l'Indonésie est un État clé dans ce que l'on appelle le "Sud global", qu'elle est le plus grand pays islamique du monde et qu'elle espère devenir la sixième économie mondiale dans les années à venir, les élections seront sans aucun doute importantes pour l'avenir de la scène géopolitique mondiale.

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La course à la présidence se concentre sur deux candidats. D'une part, Prabowo Subianto (photo, haut), actuel ministre de la défense, qui prône une politique étrangère équilibrée, faisant de l'Indonésie une sorte de "pont" entre l'Occident et les puissances multipolaires. D'autre part, Anies Baswedan (photo, bas), ancien gouverneur de Jakarta, soutenu par les États-Unis, qui promet d'aligner son pays sur l'Occident.

Subianto est l'un des protagonistes de la stratégie actuelle de l'Indonésie, qui consiste à rechercher une ligne neutre au milieu des tensions mondiales. À titre d'exemple, l'Indonésie a récemment participé à des exercices militaires conjoints avec les États-Unis, tout en renforçant ses liens économiques avec la Chine, après avoir signé un important accord de coopération l'année dernière. En outre, une autre caractéristique intéressante de l'état d'esprit géopolitique de l'Indonésie est sa quête de prééminence régionale, comme en témoigne le fait que le pays a récemment dirigé les premiers exercices militaires de l'ANASE.

Baswedan, cependant, a une histoire personnelle de liens avec les États-Unis et semble vouloir aider le pays à devenir un proche allié de l'Occident. Le candidat affirme que son intention est de mettre en œuvre une "politique étrangère fondée sur les valeurs", alignant l'Indonésie sur le projet libéral-mondialiste occidental - ce qui ne manquera pas de créer un certain nombre de problèmes au niveau régional, notamment avec la Chine.

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L'Indonésie et la Chine ont des rivalités et des différends territoriaux. Dans sa dernière carte officielle, le gouvernement chinois a inclus des zones maritimes revendiquées par l'Indonésie, telles que les îles Natuna, qui se trouvent dans la mer de Chine méridionale. Malgré ces divergences, les deux pays entretiennent une coopération économique bénéfique, Pékin investissant des dizaines de milliards de dollars dans des entreprises indonésiennes. Cette situation est le résultat direct des orientations souveraines et non alignées du gouvernement actuel - que Subianto promet de préserver, tandis que Baswedan promet de les inverser.

Comme chacun sait, le monde connaît actuellement des tensions croissantes, les États-Unis perdant progressivement leur influence mondiale dans un processus accéléré de multipolarisation géopolitique. Dans ce contexte, Washington cherche à gagner autant d'alliés que possible pour compenser les pertes constantes résultant de la décision de plusieurs pays de quitter la sphère d'influence américaine. En ce qui concerne la région asiatique en particulier, l'intérêt des États-Unis à obtenir le soutien d'un plus grand nombre de pays est encore plus grand, car la Chine est considérée comme un ennemi, et c'est pourquoi les États-Unis ont besoin de partenaires locaux pour affronter Pékin.

Baswedan a l'intention d'exploiter les rivalités de son pays avec la Chine pour justifier un virage pro-américain en matière de politique étrangère et faire de l'Indonésie un représentant de l'Occident en Asie. Il est très probable que, s'il gagne, Baswedan rapprochera son pays des alliances militaires anti-chinoises dirigées par les États-Unis en Asie, telles que QUAD et AUKUS, renforçant ainsi les hostilités contre Pékin. En outre, compte tenu du rôle important de l'Indonésie au sein de l'ANASE et de sa grande influence économique régionale, ce virage pro-occidental pourrait également signifier une tendance générale dans cette région d'Asie, amenant d'autres pays du bloc à adopter une position anti-chinoise.

Cette volonté de faire de son pays un représentant des intérêts américains explique pourquoi Baswedan bénéficie actuellement d'un soutien massif de Washington, notamment dans le cadre de la guerre de l'information. La machine de propagande occidentale répand des rumeurs sur le candidat de l'opposition, utilisant des éléments de son passé, comme son implication dans la dictature de Suharto, comme arguments pour dire que son accession au pouvoir serait une "menace pour la démocratie indonésienne".

Ces récits sont diffusés par les États-Unis parce que la victoire de Subianto semble très plausible. Le candidat est clairement le préféré du peuple indonésien et le favori des sondages électoraux, ce qui explique pourquoi les États-Unis intensifient leur guerre de l'information. L'objectif est de convaincre le plus grand nombre possible de citoyens indonésiens de voter pour Baswedan, en essayant ainsi d'inverser les chiffres actuellement indiqués dans les sondages.

Il est peu probable que la victoire soit définitive le 14 février, et il est possible que les deux candidats s'affrontent lors d'un second tour en juin. Jusqu'à ce que les résultats soient connus, l'Indonésie devra faire l'objet d'une grande attention, car ce pays est extrêmement important pour l'Asie et le monde islamique.

Il est certain que les efforts américains pour élire Baswedan vont s'intensifier dans les semaines à venir. Compte tenu de l'importance géopolitique que revêt la question, il est même possible que la position occidentale à l'égard de l'Indonésie devienne plus agressive si le résultat escompté n'est pas atteint par la voie électorale - avec la possibilité de tentatives de changement de régime et de révolution de couleur en cas de victoire de Subianto.

Vous pouvez suivre Lucas Leiroz sur : https://t.me/lucasleiroz et https://twitter.com/leiroz_lucas

vendredi, 26 janvier 2024

Le joker taïwanais

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Le joker taïwanais

Konstantin Batanov

Source: https://www.geopolitika.ru/article/tayvanskiy-dzhoker

Le 13 janvier 2024, de 8h00 à 16h00, Taïwan a organisé l'élection du chef de l'exécutif taïwanais. Trois candidats étaient en lice : Lai Qingde (Parti démocrate progressiste), Hou Yu-ih (Kuomintang) et Ke Wenzhe (Parti populaire de Taïwan). Lai Qingde, dont le parti est favorable à l'indépendance de Taïwan, l'a emporté.

Certains experts estiment qu'en conséquence, Taïwan commencera à s'éloigner de la Chine et de la Russie et à se rapprocher des États-Unis et de leurs alliés, ce qui compliquera l'environnement international.

Toutefois, le Parti démocrate progressiste a déjà remporté de nombreuses élections et est actuellement le parti au pouvoir sur l'île, après avoir remporté les élections précédentes en 2020, ce qui n'a finalement pas eu de conséquences graves. Lai lui-même a déclaré au cours de la campagne électorale qu'il avait l'intention de poursuivre l'indépendance de Taïwan, il est plus radical que l'actuelle dirigeante Tsai Ing-wen.

En ce qui concerne les candidats perdants, on peut dire ce qui suit.

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Le candidat du Kuomintang Hou Yu-ih (photo) est contre l'indépendance de l'île et pour la normalisation des relations avec Pékin, mais selon les termes du Kuomintang, en réalité il s'avère qu'il est soi-disant contre l'indépendance de Taïwan, mais en réalité il ne peut pas aller vers l'unification, parce qu'il s'oppose au Parti communiste chinois. C'est la position traditionnelle de ce parti, qui se considère comme le parti national de la Chine avec des origines patriotiques. Hou Yu-ih a toujours souligné l'importance de soutenir la paix et la stabilité des deux côtés du détroit de Taiwan et a préconisé la promotion du dialogue et de la coopération avec la Chine, estimant que cela est nécessaire à la prospérité et au développement de Taiwan.

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Le candidat du Parti populaire de Taïwan, Ke Wen-jae (photo), soutient le maintien des relations actuelles avec la Chine pour préserver la paix, c'est-à-dire qu'il s'inscrit essentiellement dans la continuité de l'orientation actuelle des autorités taïwanaises : ne pas se rapprocher de la Chine, mais aussi ne pas obliger la Chine à recourir à la force.

Les experts chinois considèrent que les deux premiers hommes politiques sont pro-américains et Ke Wen-jea pro-japonais, et estiment qu'en fait, quel que soit l'élu, il n'y aura pas d'amélioration significative de la situation dans les relations de l'île avec la Chine.

L'élection attire l'attention du monde entier parce qu'elle n'est pas seulement une lutte entre les forces politiques intérieures de Taïwan, mais aussi un reflet des tensions entre la Chine et les États-Unis.

Les Taïwanais eux-mêmes sont divisés en plusieurs camps, certains pensent que Taïwan doit éviter les actions radicales afin de préserver la paix, d'autres sont en faveur de l'indépendance, comptant sur la protection et le soutien des pays occidentaux, et d'autres encore sont enclins, sinon à l'unification avec la Chine, du moins à l'intégration avec elle.

Les autorités chinoises entendent poursuivre la réunification en appliquant le système "un pays, deux systèmes" testé lors de la restitution de Hong Kong à la Chine en 1997 et de Macao en 1999. Taïwan devrait être intégrée à la Chine mais jouir d'un large degré d'autonomie. L'adhésion de Taïwan par la force serait désavantageuse pour la Chine, car les parties subiraient de graves dommages économiques.

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Taïwan est un leader sur le marché mondial de la fabrication de semi-conducteurs. Comme le souligne Bloomberg, une guerre dans le détroit de Taïwan pourrait entraîner une perte économique de 10.000 milliards de dollars pour le monde, soit l'équivalent de 10% du PIB mondial actuel.

La Chine est très intégrée dans l'économie mondiale, ce qui entraînerait des dommages considérables. C'est pourquoi les dirigeants chinois tentent de réaliser l'unification par des méthodes pacifiques.

L'accent est mis ici sur l'utilisation de la puissance douce et du pragmatisme traditionnel chinois. Cela se traduit par le fait que les Taïwanais peuvent visiter la Chine, y travailler et y faire des affaires, bénéficier de la politique sociale nationale (qui ne peut être utilisée par les étrangers qui n'ont pas la citoyenneté de la République populaire de Chine), et que les entreprises à capitaux taïwanais opérant sur le continent peuvent bénéficier d'avantages fiscaux et autres.

Dans le cadre du 13ème plan quinquennal, une ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Pékin à Taipei est incluse dans le programme de construction d'un réseau national de lignes ferroviaires à grande vitesse. Il devrait être mis en service en 2035.

Le 8 janvier, le ministère chinois du commerce, le bureau des affaires taïwanaises, le comité de réforme et de développement et le ministère de l'industrie et des technologies de l'information ont approuvé une série de mesures visant à renforcer la coopération commerciale et économique entre la province de Fujian et Taïwan afin d'approfondir l'intégration économique dans le détroit de Taïwan. Il s'agit manifestement de démontrer aux électeurs taïwanais les avantages d'établir des relations avec la "grande mère patrie".

En mars 2005, la Chine a adopté la loi anti-séparatisme, qui stipule que la déclaration d'indépendance de Taïwan pourrait bien devenir un prétexte à la guerre. Par conséquent, une action décisive de la part des nouveaux dirigeants taïwanais pourrait provoquer un conflit militaire: si Lai déclarait que Taïwan était désormais un État indépendant, il ne laisserait à Xi Jinping d'autre choix que de recourir à la force.

Les autorités chinoises se sont donc préparées non seulement auprès des Taïwanais, mais aussi sur la scène internationale.

Les 8 et 9 janvier s'est tenue la 17ème réunion de travail entre les départements de la défense américain et chinois, au cours de laquelle la partie chinoise a souligné qu'"il n'y aura jamais le moindre compromis ou concession sur la question de Taïwan". Les États-Unis sont tenus de respecter le principe d'une seule Chine, de remplir effectivement leurs obligations, de cesser d'armer Taïwan et de s'opposer à l'"indépendance" de Taïwan.

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Auparavant, le 7 janvier, le ministère chinois des affaires étrangères avait annoncé des sanctions à l'encontre de cinq entreprises du complexe militaro-industriel américain ayant fourni des armes à Taïwan. Le 9 janvier, un porte-parole américain a déclaré que les États-Unis "demandent instamment à Pékin de cesser d'exercer des pressions militaires, diplomatiques et économiques sur Taïwan".

La stratégie américaine consiste à maintenir le statu quo sur la question de Taïwan et à armer progressivement Taïwan afin d'envenimer périodiquement la situation dans le détroit de Taïwan, de causer des ennuis à la Chine en la "contenant" et d'effrayer ses voisins dans la région. À cette fin, les États-Unis ont récemment fourni une aide militaire de 500 millions de dollars à la partie taïwanaise.

Mais, d'un autre côté, dans la situation internationale actuelle, alors que leurs forces considérables sont attirées par Israël et l'Ukraine, les Américains ne tireront aucun profit d'un conflit militaire entre la Chine et Taïwan, car il nécessitera leur intervention directe, des dépenses financières considérables, et il n'est pas certain que les États-Unis sortent victorieux de ce conflit. Au contraire, il pourrait conduire à une résolution définitive de la question taïwanaise en faveur de la Chine.

Certains analystes politiques taïwanais établissent des liens entre Lai Qingde, Zelensky et Netanyahu, les qualifiant de "dangereux amis des États-Unis", ce qui implique que leur comportement pourrait créer des problèmes pour les Américains et mettre les États-Unis dans une position difficile.

C'est pourquoi les hauts fonctionnaires de la Maison Blanche soulignent régulièrement que les États-Unis s'opposent à l'"indépendance de Taïwan" et soutiennent le principe d'"une seule Chine", empêchant ainsi les dirigeants taïwanais de prendre confiance dans le soutien inconditionnel des États-Unis.

Dans le même temps, une unification pacifique de Taïwan et de la Chine serait également désavantageuse pour les États-Unis, car elle renforcerait la position géopolitique de la Chine, lui fournirait des avantages technologiques et réduirait la capacité des Américains à influencer les dirigeants chinois.

À cet égard, les États-Unis prennent des mesures pour "réchauffer" Taïwan. Ainsi, 73 sénateurs et représentants du Congrès américain ont récemment adopté une "résolution pro-Taïwan", promettant d'utiliser toutes les méthodes efficaces pour soutenir la "liberté" du peuple taïwanais. Et à la veille des élections taïwanaises, les États-Unis ont envoyé 148 millions de litres de carburant diesel aux bases militaires des Philippines afin d'utiliser les Philippines comme tremplin pour une intervention armée dans le détroit de Taïwan à tout moment.

Sur la base de ce qui précède, nous pouvons conclure que les États-Unis et la Chine sont confrontés à des tâches géopolitiques complexes : ils doivent éviter les conflits militaires pour atteindre leurs objectifs, qui non seulement ne coïncident pas, mais sont même opposés.

La situation est aggravée par l'imprévisibilité de Lai Qingde. Il est évident que les Américains devront le retenir périodiquement pour l'empêcher de faire des provocations trop graves à l'égard de la Chine.

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Le 20 mai, Lai Qingde (photo) sera intronisé, après quoi nous pouvons nous attendre à des actions concrètes de sa part, qui détermineront l'évolution future de la situation. Si Lai ne donne pas de prétexte pour lancer une action militaire, nous pouvons nous attendre à ce que les dirigeants chinois continuent à travailler pour gagner la confiance du peuple taïwanais et changer ses préférences politiques. Si Lai Qingde commet un acte irréfléchi, il existe un réel danger de conflit militaire qui affectera non seulement l'Asie du Sud-Est, mais aussi le monde dans son ensemble - l'économie mondiale sera confrontée à un certain nombre de changements fondamentaux qui affecteront presque toutes les sphères d'activité.

lundi, 22 janvier 2024

Port chinois au Pérou. La route de la soie maritime est une réalité

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Port chinois au Pérou. La route de la soie maritime est une réalité

Enrico Toselli

Source: https://electomagazine.it/porto-cinese-in-peru-la-via-della-seta-marittima-e-realta/

Il n'y a pas que la guerre. Le scénario international évolue également sous le radar, tandis que les médias atlantistes se contentent d'exulter devant chaque difficulté - y compris celles qu'ils ont inventées - dans le Sud global. Ainsi, entre l'annonce des défaites russes en Ukraine et l'abattage de coûteux avions moscovites par d'héroïques fantassins-chasseurs à Zelensky armés de lance-pierres, les hommes de Poutine arrivent officiellement au Niger sans que les médias italiens et/ou occidentaux ne perdent de temps à en faire état.

De même, aucun espace n'est consacré à l'accord entre le Pérou et la Chine pour le port sud-américain de Chancay. Une infrastructure colossale qui appartiendra à la compagnie chinoise Cosco Shipping et qui pourra accueillir les grands navires marchands qui assureront le trafic direct entre l'Amérique latine et l'Asie. Pas seulement entre le Pérou et la Chine, puisque le port de Chancay a vocation à devenir un hub du sous-continent. Donc non seulement pour le cuivre andin, mais aussi pour le soja brésilien.

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Le port, du moins en ce qui concerne la première phase, pourrait être inauguré à l'automne par Xi Jinping, notamment pour souligner l'importance stratégique de l'infrastructure. Entre autres, un pôle industriel est déjà prévu à proximité du port, qui devrait notamment servir à la transformation des produits agroalimentaires en provenance du Brésil. Et c'est justement le Brésil et le Pérou qui sont engagés dans des négociations pour résoudre les différents problèmes juridiques, sanitaires et logistiques.

Chancay et son arrière-pays représenteront une nouvelle étape fondamentale dans le développement de la route de la soie maritime. Ainsi, entre autres, les pays d'Amérique latine situés sur la côte atlantique pourront éviter de passer par le canal de Panama, ce qui leur fera gagner plusieurs jours de navigation. Bien entendu, pour Pékin, cela représentera également la possibilité d'exercer une plus grande influence dans toute la région.

dimanche, 21 janvier 2024

Gaza et l'affrontement Israël-Hamas - Un tournant dans la culture stratégique des conflits armés 

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Gaza et l'affrontement Israël-Hamas    

Un tournant dans la culture stratégique des conflits armés 

par Irnerio Seminatore 

TABLE DES MATIERES

- L’attaque du Hamas et l’accumulation des dangers

- Israël et l’échec de la « dissuasion conventionnelle »

- Israël, les Etats-Unis et le monde islamique. Opposition ou complémentarité entre la conceptualisation des théoriciens de la guerre inter-étatique, C. Clausewitz et Général L.Poirier et les approches sociologiques des nouveaux conflits armés, B. Badie 

- Bertrand Badie. Une autre lecture de l’histoire, de la guerre et de la stratégie. Les relations internationales comme sociologie et comme absence du politique. Une approche psycho-sociologique

- Sur le primat de la force et sur la politique de l’inimitié (Carl Schmitt)

Sources: 

https://www.enderi.fr/Gaza-et-l-affrontement-Israel-Hamas...

&

https://www.ieri.be/fr/publications/wp/2024/janvier/gaza-...

***

L’attaque du Hamas et l’accumulation des dangers

L’explosion de la violence au Proche-Orient s’inscrit dans deux cultures différentes, celle de la guerre inter-étatique et celle de la sociologie des nouveaux conflits, sub-étatiques, asymétriques et exotiques.

La plupart des observateurs, analystes et médias internationaux ont repéré dans l’attaque du Hamas l’adoption d’un modèle de conflit visant l’existence de l’État d’Israël, l’invincibilité de Tsahal et les failles de son appareil de renseignement militaire. Selon une lecture de la guerre classique le but du Hamas, comme organisation terroriste, a été politiquement de remettre à l’ordre du jour le récit d’une solution du problème palestinien à deux Etats par une attaque sanglante et brutale qui a rappelé la pratique de beaucoup de mouvements armés issus de la décolonisation, dont l’accession au pouvoir d’Etat est passée par un long processus de violence armée, et par une montée aux extrêmes, engendrant des situations favorables aux insurgés et aux mouvements nationalistes montants. Mouvements de combat sans scrupules par l’adoption du terrorisme et par l’indifférence morale entre les figures des combattants et celles des populations civiles (Vietnam, Afghanistan, Algérie). La réaction légitime de Netanyahou à l’adoption de ce modèle de combat a été de répondre par une volonté d’éradication radicale du Hamas.

Dans cette nouvelle situation les recommandations à réfléchir venant du Président des Etats-Unis J. Biden qui a connu l’attaque terroriste du 11 septembre et a fait l’expérience de l’anti-terrorisme par la guerre en Irak et par la longue et infructueuse intervention en Afghanistan, sont restées lettre morte et ont été submergées par les déclarations de deux membres du cabinet, Itamar Ben Gvir, Ministre de la Sécurité Nationale et Bezalel Smotrich, Ministre des Finances, évoquant l’hypothèse d’un transfert des  populations gazaouies et d’une colonisation conséquente du territoire par Israël. Cette conception de la guerre et du conflit emblématiserait une culture des relations internationales du 19ème siècle, fondée sur les conquêtes territoriales et les nettoyages ethniques de masse.

Concrètement et en tenant compte des représailles terrifiantes d’Israël et de la détermination inébranlable de son Premier Ministre, deux répercussions ultérieures doivent être évoquées, celle d’une extension calculée du conflit et celle d’une coordination opérationnelle avec les Américains, en soutien extérieur, et couvrant Israël par la Sixième flotte en cas d’entrée dans la dance du Hezbollah, du Liban, de la Syrie et de la République islamique d’Iran. Ce rééquilibrage asymétrique des forces, unifierait le front de combat de la Syrie au Yémen, liant la Méditerranée orientale au Golfe Persique et risquant de juguler le trafic maritime dans l’artère principale du commerce mondial, et par là, de l’Europe, de la Chine et du Japon.

La question qui se pose, en raisonnement stratégique, est de savoir si l’action coordonnée de deux puissances étatiques (Israël et les Etats-Unis), peut avoir le dessus sur des forces sub-étatiques et irrégulières, vis à vis desquelles, ni la dissuasion ni les rapports de force ont eu une valeur intimidante et dissuasive.

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Assistons-nous avec l’offensive du Hamas à un échec de la « dissuasion conventionnelle » qui a consisté, depuis l’opération « Plomb durci » de 2008, à dissuader le mouvement palestinien de lancer des roquettes depuis Gaza, dans le but d ‘atteindre les populations d’Israël au sud du pays ? Certainement les conséquences psycho-politiques de l’attaque du 7 octobre sur le territoire israélien ont été la remise en cause du pacte de sécurité entre les citoyens et l’Etat, qui fut à l’origine de la naissance d’Israël, ce dernier devant assurer aux rescapés de la Shoah la paix et la stabilité dans la terre de Sion, qui leur avait été refusée pendant deux millénaires de souffrances et de pogroms. A titre de rappel, la dislocation de l’empire ottoman lors de la première guerre mondiale, n’avait pas apporté l’indépendance d’un Etat national arabe et avait généré un partage du Proche Orient en zones d’influence entre puissances coloniales, France et Grand Bretagne, avec les accords Sykes-Piquot. De ce découpage colonial et des guerre israélo-arabes qui se poursuivent depuis 75 ans, sont nées les blessures et les revendications manquées, d’un Etat national palestinien, aujourd’hui hautement problématique. Au sein de ce cadre tourmenté, le fait de ne pouvoir être protégés de toute initiative irrationnelle venant d’actions terroristes ou exotiques a été un choc inattendu et brûlant qui a secoué la société israélienne. Ce choc a été la résultante d’un postulat illusoire, celui de la sécurité et de la culture étatique, vu que la société palestinienne perdure en sa revendication et que la dissuasion militaire est totalement inopérante contre des milices sub-étatiques, représentés par le Hamas, portant le projet d’une réislamisation de la société palestinienne. Or, selon la doctrine traditionnelle des relations internationales, toute dissuasion est fondée, en son pur concept, sur l’idée qu’une punition suivra à toute action militaire offensive porteuse de dangers, interdisant à l’adversaire d’atteindre son objectif et sur le postulat d’une garantie et d’un parapluie suffisants.

Israël et l’échec de la « dissuasion conventionnelle »

Dans le cas d’Israël la dissuasion, comme mode préventif d’action n’a pas détourné l’adversaire de son initiative et a prouvé, au contraire, qu’une entreprise planifiée bien à l’avance était payante, réaliste et parfaitement réalisable. Le mode d’action dissuasif a un sens politique mais aussi militaire. Selon cette formulation, la dissuasion d’Israël vis-à-vis du Hamas a été de considérer incertaine et problématique l’inhibition d’un comportement qui remette en cause l’existence d’Israël, ainsi que les moyens de défense de ses intérêts vitaux (tactique, logistique, armements et ressources humaines). Ainsi, face à la « surprise de l’attaque », la punition en représailles de la part d’Israël, a été de mettre la riposte en rapport, par son ampleur et par son intensité, avec l’enjeu existentiel de l’Etat et, dans le cas d’espèce, avec le type de sécurité recherchée. Or, la sanctuarisation du territoire d’Israël, a exigé l’élaboration de deux modèles de riposte, défensif et préventif. Le premier modèle (environnement immédiat) a été conçu sur la base de la défense active du territoire et sur la mise en œuvre rapide de moyens de violence classiques, conjugués avec la recherche d’une issue négociée du conflit éventuel, confiée à la diplomatie. Le deuxième modèle (environnement élargi), a été prévu pour le cas d’une gravité exceptionnelle de la crise et a été conçu sur l’exigence de prévenir une attaque, portant atteinte à la substance vive de la nation.  Selon une morphologie dyadique, il s’est conjugué d’abord comme une riposte du champ de bataille, imposé par le risque d’une percée du front de combat, suite à l’entrée en jeu des alliances régionales de l’adversaire, et ensuite, comme une sanctuarisation de son propre espace national, vis-à-vis de l’adversaire majeur, l’Iran (87,92 millions d’habitants), qui est au seuil de capacités balistico-nucléaires et d’une nouvelle liberté d’action des forces conventionnelles.

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Israël, les Etats-Unis et le monde islamique.  Opposition ou complémentarité entre la conceptualisation de la théorie stratégique, à l’aide du Général major C. Clausewitz et du Général L. Poirier et la sociologie des nouveaux conflits armés, suivant le Professeur B. Badie. Approche politico-stratégique

Suivant une lecture du conflit, qui adopte des éléments de conceptualisation du Vom Kriege de Carl Clausewitz, sans oublier la lecture de la « stratégie » comme « politique en acte » de L. Poirier dans Essais de stratégie théorique, nous essaierons de développer deux concepts de base: la définition de la guerre comme « domaine du danger, du hasard et de la chance » et celui « d’un duel à vaste échelle ».   

A l’aide de la théorie stratégique adoptée par Tsahal nous estimons que le plus grand danger pour Israël vient d’un élargissement du conflit et donc d’un changement d’échelle du risque, résultant de la corrélation entre les deux notions mentionnées. Ce changement lui feraient perdre l’autonomie stratégique, qui est la sienne et l’exposerait aux projets politiques des puissances multipolaires, autres et distantes, dont il deviendrait dépendant et vassal (voir le cas de l’Ukraine).

Par ailleurs, en ce qui concerne la stratégie d’anéantissement du Hamas, le choix de l’élimination physique de ses chefs et de ses acteurs de cohésion, condamnerait Israël à subir les contre-coups de l’adversaire, comme force vivante, par « la montée aux extrêmes de la violence, en tant qu’action réciproque » (C. Clausewitz). En effet la position régionale d’Israël dans le conflit global, l’opposerait au monde arabo-musulman mondialisé, et la « résistance » à la pérennisation du conflit passerait d’Israël à la diaspora du monde islamique, qui en serait ainsi éveillée par le facteur moral. Or, pour Napoléon, « Le moral est au physique ce que trois est à un en mathématique! ». De plus, ceci se traduirait militairement par un affaiblissement d’Israël, qui serait obligé à passer de la défensive à l’offensive, ou à une contre-offensive permanente, sans possibilité de contre-poids ou de contre-coups.

En poursuivant dans l’adoption des concepts clausewitziens fondamentaux pour l’intelligibilité du conflit asymétrique en cours entre Israël et le mouvement palestinien, il semble utile de rappeler la variabilité des notions empruntées, compte tenu du fait que nous sommes dans une situation de transition du système à hégémonie instable et que l’on ne peut s’appuyer que sur les invariants.

Un de ces invariants, fructueux pour le raisonnement stratégique, est constitué par la corrélation entre le « but de guerre » (Zweck) et le « but dans la guerre » (Ziel), qui, en cas de contradiction entre les deux, freine ou atténue la notion de « victoire ». Par cette dialectique contradictoire nous parvenons à comprendre plus clairement où se situe la réversibilité d’une action de combat et ses limites (sauvegarde des otages, ou ampleur et intensité d’une représailles).

Si nous entendons adopter de surcroit une deuxième corrélation entre le « but de guerre » (Zweck ou invariant) et « le point de gravité du conflit » (Schwerkpunkt où variable dynamique et géostratégique), nous parvenons à  saisir pourquoi, par la caractéristique intrinsèque du Zweck (guerre anti-terroriste), il est impossible pour Israël d’établir une position négociée avec le Hamas et de maintenir un refus de compromis et conjointement l’obligation de sauvegarder à tout prix les otages (variable conjoncturelle). Plus délicate de toutes, la notion de « centre de gravité du conflit » (ou Schwerkpunkt), qui est le fondement de la direction stratégique du conflit d’aujourd’hui et qui pourrait devenir demain son point de gravité politique, celui imprimé à la guerre par « l’étonnante trinité » de (C. Clausewitz): l’instinct aveugle ou la passionalité du peuple, la « soumission au politique » et l’« acte de raison » (ou la détermination rationnelle du but de guerre). Vue de plus près l’« étonnante trinité » est une synthèse aléatoire et conjoncturelle qui a son point faible dans l’unité et dans la cohésion de ces trois éléments; trinité éphémère, dont l’inextricable mélange fait de la guerre un « caméléon » perpétuellement changeant. C’est pourquoi l’incarnation de la trinité exige l’existence de la figure d’un Chef (lui-même variable selon les situations et les pays (César, Napoléon, de Gaulle et, dans ce conflit, « Ubi major minor cessat », Netanyahou). Un Roi-client de la Rome moderne d’Amérique, qui veut devenir Souverain unique de la Knesset turbulente de Jérusalem. Un Chef ambitieux, cruel et sans pitié, en charge du dilemme de toute stratégie autour de l’aléa suprême, l’usage modéré de la force ou l’emploi massif de la violence armée dans le but de briser toute velléité de résistance des insurgés du Hamas.

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Bertrand Badie (photo). Une autre lecture de l’histoire, de la guerre et de la stratégie. Les relations internationales comme sociologie et comme absence du politique. Une approche psycho-sociologique

La lecture du conflit Israël-Hamas qu’en donne Bertrand Badie, professeur émérite à Science Po de Paris et auteur du livre Pour une approche subjective des Relations Internationales, est celle d’une conception sociale de l’histoire, longue et indifférenciée ; une histoire guillotinée de ses souverains, les décideurs des dilemmes et des heures graves.

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Suivant son approche, Israël ne pourra pas parvenir à une victoire sur le mouvement palestinien, ni négocier un accord avec le Hamas, puisqu’il combat une guerre asymétrique contre une société sans Etat et sans unité décisionnelle.  Ce nouveau type de conflit ne pourrait pas se résoudre selon le vieux code du rapport de force, qui garantissait la victoire dans les relations internationales du passé, après avoir atteint le point culminant de la bataille (Ziel), ou de la guerre (Zweck), car les nouvelles formes de conflictualité ne sont plus caractérisées par des rapports d’Etat à Etat, depuis le début de la décolonisation et, au Moyen Orient, depuis la guerre Israélo-Arabe de 1973. Le mieux pour Israël aurait été de profiter du « statu quo », qui lui permette de grignoter des territoires en Cisjordanie, à l’aide d’une occupation illégitime et illégale. Ainsi les nouvelles formes de conflictualités dépendent, selon le Professeur Badie et les gauches européennes avec lui, des perceptions et représentations des opinions, très variables, qui structurent en permanence le champ social, influant sur les diverses formes de gouvernement. Ça serait l’interprétation gouvernementale du conflit qui fait l’Histoire. Ni les masses, selon la lecture althussérienne du devenir, ni les idéologies marxisantes et postmarxistes, ni la géopolitique ou la stratégie, mais les mythes de la décolonisation et leurs implications terroristes. Par conséquent l’action de représailles d’Israël pourrait se révéler un piège aux effets contre-productifs, puisque la conscience du risque renforcerait l’adversaire et conduirait à la défaite de l’État hébreu impérialiste.

La pertinence de l’analyse serait prouvée, selon le Professeur Badie, par la nature du conflit qui dure depuis 75 ans et qui, à l’image des conflits de décolonisation, est celle du « résistant » contre « l’occupant » et qui n’aurait qu’une seule issue, la défaite de la puissance occupante. Pas de synthèse, pas de négociation, pas de dissuasion, pas de victoire, pas de gain, pas d’espérance politico-stratégique, car la culture des stratégies étatiques ou des guerres symétriques est déphasée et dépassée (Vietnam, Somalie, Afghanistan, Irak). Il n’y aurait de place qu’à des conflits hybrides, asymétriques, sans autres solutions, que le gel des positions acquises, des conflits « d’usure » et des « status-quo » prolongés ? Quelle issue politique à ce conflit ? Défaite ou statu quo ? Le Professeur Badie n’indique pas une issue, mais constate le changement intervenu dans la structure du jeu international, dépourvu de règles et de logique connue. Il constate que les nouvelles formes de conflictualité ont une paternité commune, le processus de décolonisation anti-occidental. Situé dans cette perspective tiermondiste, le Professur B. Badie ne défigurerait pas d’avoir une place honorable au sein « d’un nouveau quarteron d’intellectuels à la retraite », qui demeure l’aréopage déclinant de certaines forces politiques et parlementaires du gauchisme franchouillard et du vide atonique et stratégique européen.

Sur le primat de la force et sur la politique de l’inimitié (Carl Schmitt)

Puisqu’il n’y a pas de solution évidente au problème de la conflictualité au Moyen-Orient, ni du côté de la paix, ni du côté de la guerre, ni encore du côté de la radicalité politique, religieuse ou ethnique, les analystes de la chose géopolitique, d’école réaliste, repèrent des fragments de réponse dans les auteurs du primat de la force, de la politique d’inimitié et de l’ordre existentiel, comme fondement de la stabilité de demain et de la pérennité historique des cités politiques. L’auteur qui a le mieux travaillé les deux concepts d’inimitié et d’État politique comme ordre existentiel d’une communauté est Carl Schmitt, qui met en exergue le fondement du concept de politique dans sa réalité existentielle, lorsque l’État est mis lui-même en question et qu'une lutte est à mener sans limites juridiques. Puisque la distinction entre l'ami et l'ennemi exprime le "degré d'intensité d'un lien, ou d'une séparation, d'une association ou d'une dissociation". Schmitt précise qu’il s'agit d'un ennemi public (hostis) et non privé (inimicus), contre lequel une guerre est toujours possible, car une guerre « ne tire pas son sens du fait qu’elle est menée pour des idéaux ou pour des normes du droit », mais bel et bien par les impératifs d’ordre existentiel. Dans ces cas, l’ennemi n’est pas seulement un adversaire (de droite ou de gauche) mais une différence éthique. Et l’ordre remis en cause est d’ordre « existentiel » et pas d’ordre normatif et il est défini par l’unité du peuple et de l’État, par le danger et le risque sécuritaires, et, in fine, par la figure de l’étranger, avec lequel des conflits ne sauraient être résolus ni par un ensemble de normes générales, établies à l’avance, ni par la sentence ou le jugement d’un tiers. Il n’est pas arbitraire d’identifier, dans une telle définition, les deux figures des Palestiniens et des Israéliens. C’est l’hostilité qui détermine l’ennemi et c’est l’inimitié qui fait perdurer le conflit. Cependant le point d’origine des hostilités porte sur une question première: « Qui, dans cette affaire est l’étranger et qui le premier occupant ? ». Le peuple juif ou le peuple arabe ? Et qui à titre de possession si non la force, l’épée et la capacité de se faire justice tout seul ? Le juste ou l’injuste en politique et dans le cours même de l’histoire appartiennent à ceux qui ont le pouvoir de commander, -comme nous le rappelle Thucydide dans les Guerres du Péloponnèse-  et pas à ceux qui ont le devoir d’obéir.

Clausewitz, maître en raisonnement stratégique », ouvre un horizon à la guerre et ajoutera, deux millénaires plus tard, « la finalité de la guerre (Zweck) est la paix, une meilleure paix », celle qui consacre notre conception du monde. Dans un Moyen Orient aux séismes politiques permanents, la meilleure paix pour Israël et pour l’Europe, peut-elle être la Charia, la paix de la Oumma ou celle de l’Islam, ou encore celle, lumineuse du Djihad global ?

Bruxelles le 11 janvier 2024

Irnerio Seminatore                                                                                                                

Stratégiste Prusso-Piémontais

La Colombie face aux défis économiques et stratégiques

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La Colombie face aux défis économiques et stratégiques

Ronald Lasecki

Source: https://ronald-lasecki.blogspot.com/2024/01/kolumbia-wobec-wyzwan-gospodarczych-i.html

Gustavo Petro, premier président colombien souverain et de gauche du siècle, en poste à partir d'août 2022, est confronté au défi de trouver les ressources nécessaires pour financer ses politiques sociales ambitieuses, notamment la réforme agraire et les transferts financiers en faveur des pauvres.

Un exemple de ce dernier point est l'augmentation du salaire minimum de 12,06% à 1,3 million de pesos colombiens annoncée par le président le mardi 2 janvier. Selon la ministre colombienne du Travail, Gloria Inés Ramírez (foto), qui s'est exprimée aux côtés du président, malgré dix cycles de négociations entre le gouvernement, les représentants du capital et les syndicats, le secteur privé n'a pas accepté la décision du gouvernement (1).

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Le ralentissement économique

La Colombie, quant à elle, se trouve dans une situation de récession économique, résultat du cycle naturel des périodes successives de croissance économique et de ralentissement du capitalisme. La situation actuelle est un ralentissement après l'épuisement de l'impact des stimuli destinés à relancer l'économie après l'austérité de l'épidémie COVID-19 et l'effet du resserrement de la politique monétaire pour lutter contre une inflation à deux chiffres.

La baisse des recettes publiques est le résultat d'un taux de croissance du PIB inférieur de 0,3 % en glissement annuel au troisième trimestre 2023, s'écartant sensiblement des prévisions de croissance de 0,5 %. Ce faisant, le recul de la croissance concerne principalement les secteurs de la construction et de l'industrie manufacturière, qui ont enregistré des baisses respectives de 8% et 6%. La banque centrale colombienne (Banco de la República, Banrep) prévoit une baisse de la croissance économique de 1,2% en 2023 à 0,8% en 2024.

Échec de la réforme fiscale

Des recettes estimées à 20.000 milliards de pesos colombiens par an pour financer les réformes étaient censées être apportées au budget colombien par la réforme fiscale de novembre 2022. Cependant, le 17 novembre 2023, la Cour constitutionnelle de Colombie (Corte Constitucional de Colombia) a annulé un élément clé de la réforme, laissant un trou financier de 3,2 billions de pesos colombiens, soit 15 % des recettes que la réforme était censée générer. La Cour constitutionnelle a jugé inconstitutionnelle l'interdiction faite aux compagnies pétrolières et charbonnières de déduire les redevances de l'impôt sur les sociétés, car elle violait le principe de l'égalité fiscale.

Politique monétaire restrictive

Un obstacle supplémentaire à la collecte d'argent pour le budget par les autorités colombiennes est la politique monétaire restrictive du conseil de politique monétaire de la Banco de la República, toujours nommé par les conservateurs, comme l'a souligné le président dans son discours lors de la cérémonie militaire du 15 novembre 2023. La banque centrale a maintenu les taux d'intérêt à 13,25% en novembre, ce qui a permis de contenir l'inflation, qui avait atteint un pic en mars : en août, elle était de 11,43%, en septembre de 10,99%, en octobre de 10,48 % et en novembre de 10,15%.

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En décembre, le Banco de la República a annoncé une baisse des taux d'intérêt à 13 %. Selon les prévisions de la banque centrale, la tendance à la baisse de l'inflation devrait se poursuivre en 2024, pour atteindre 5,7 % à la fin de l'année (ce qui reste toutefois supérieur à l'objectif de 3%). L'activité économique enregistrée par Banrep a quant à elle reculé de 0,4% en glissement annuel en octobre, ce qui a conduit la banque centrale à abaisser sa prévision de croissance pour 2023 de 1,2% à 1% (2).

Relever la limite du déficit budgétaire

La première des mesures prises par G. Petro (photo) pour faire face au déficit de financement est de s'éloigner de la "regla fiscale" - une loi introduite en 2011, sous le gouvernement de Juan Manuel Santos (2010-2018), imposant des restrictions sur les emprunts du gouvernement et fixant une limite supérieure au déficit budgétaire de 71% du PIB.

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Dans un discours prononcé le 15 novembre, le président colombien a qualifié la "regla fiscale" de produit du "fondamentalisme néolibéral", encourageant le débat sur son abandon. Il a souligné que la règle avait été contournée par ses auteurs mêmes, faisant une allusion apparente aux États-Unis d'Amérique et aux institutions financières de l'Union européenne. Selon le président, "lorsque le niveau d'investissement privé diminue, le niveau d'investissement public doit augmenter". Selon G. Petro, une réduction de l'un et de l'autre conduirait la Colombie à un désastre économique.

Le dirigeant colombien peut ici faire référence à la politique fiscale expansive menée par les plus fervents défenseurs de la discipline fiscale (les Etats-Unis, l'Allemagne et la Banque centrale européenne de facto sous leur contrôle) lors de la crise économique de 2008, mais surtout aux restrictions sanitaires sur fond d'hystérie autour du COVID-19. De telles politiques ont toujours eu plus de partisans à gauche qu'à droite, même si ce n'est pas la règle, comme en témoignent les gouvernements du PiS en Pologne.

Le premier problème de ce type de politique est que le relèvement de la limite de la dette de l'État entraînera probablement une hausse du prix des obligations d'État colombiennes, ce qui augmentera le coût de leur émission et de leur service, réduisant ainsi les ressources du budget de l'État - l'effet obtenu sera à l'opposé de ce que le président G. Petro souhaiterait obtenir. Après le discours de G. Petro, le peso colombien a vu sa valeur baisser par rapport au dollar américain.

Le deuxième problème est que l'augmentation des dépenses de l'Etat se fait dans l'hypothèse d'un remboursement ultérieur de la dette publique ainsi contractée dans le cadre d'une augmentation de l'activité du secteur privé. Or, cette croissance peut ne pas se produire du tout ou être plus faible que prévu, ce qui est d'autant plus probable que l'État complète d'autres segments du marché. Cela peut déclencher une avalanche incontrôlée de dépenses supplémentaires sur la dette publique toujours croissante, accompagnée d'une nouvelle augmentation du coût du service des titres de la dette publique et d'une baisse de la valeur de l'argent.

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Gel des salaires dans le secteur public

Une autre idée du président pour combler le trou de 3 200 milliards de pesos colombiens (le ministre des finances, Ricardo Bonilla (photo), affirme qu'il faudra jusqu'à 6500 milliards de pesos colombiens pour boucler le budget) est de geler les salaires du secteur public pour 2024. Le gouvernement veut atteindre un déficit budgétaire de 4,3% du PIB en 2023 et de 4,5% du PIB en 2024. Sur cette question, le président peut compter sur le soutien des députés de l'Alianza Verde (AV) de centre-gauche, tandis que la centrale syndicale Central Unitaria de Trabajadores do Colombia (CUT) est sceptique, ses représentants affirmant que le président ne peut pas modifier unilatéralement des accords salariaux négociés et signés antérieurement.

L'aide de la Chine

Confronté à des difficultés financières, G. Petro a également décidé de demander l'aide de la Chine. La Colombie est traditionnellement l'un des pays les plus dépendants des États-Unis, mais son président actuel souhaite équilibrer la politique étrangère de Bogota, en prenant ses distances avec Washington et en critiquant sa politique étrangère, en particulier au Moyen-Orient, et en équilibrant l'avantage yankee par une alliance élargie avec la Chine.

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Le président colombien s'est rendu à Pékin au cours du dernier trimestre d'octobre 2023 et y a rencontré Xi Jinping. La Colombie a adhéré à l'initiative chinoise "la Ceinture et la Route", offrant à ses partenaires chinois des investissements dans les énergies renouvelables et la construction d'une voie ferrée pour relier l'Atlantique au Pacifique et constituer une alternative au canal de Panama contrôlé par les États-Unis. Du côté chinois, les relations avec la Colombie sont passées à un "partenariat stratégique" (3).

Arrêt des enlèvements contre rançon

Par ailleurs, le gouvernement de G. Petro peut se targuer d'avoir réussi à pacifier la situation interne. La guerre civile de grande ampleur a pris fin définitivement grâce à un accord entre l'administration du président Juan Manuel Santos et les Forces armées révolutionnaires de Colombie - Armée du peuple (espagnol:  Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia - Ejército del Pueblo, FARC-EP) en novembre 2016. À l'époque, seuls un groupe dissident relativement restreint des FARC, l'Estado Mayor Central (EMC), et l'Armée de libération nationale (Ejército de Liberación Nacional, ELN), moins importante, restaient sur le champ de bataille, faisant toutefois l'objet d'une criminalisation progressive.

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Le mardi 12 décembre, à l'issue d'un deuxième cycle de négociations qui s'est déroulé du 2 au 11 décembre, Camilo Gonzáles, représentant le gouvernement, et Oscar Ojeda ("Leopoldo Durán"), représentant l'EMC, ont signé un accord dans lequel l'EMC renonçait aux enlèvements contre rançon, sans toutefois indiquer de calendrier pour cette décision. Un nouveau cycle de négociations est prévu du 9 au 18 janvier, au cours duquel les questions de la culture illégale de la coca et des préoccupations sociales et environnementales de l'Amazonie (4) seront notamment abordées.

En revanche, l'abandon des enlèvements contre rançon a été annoncé par l'ELN le dimanche 17 décembre. Cette décision a été annoncée à l'issue du cinquième cycle de négociations à Ciudad de México, mené dans le cadre de la trêve de six mois annoncée en septembre. Les parties ont également convenu de ne pas impliquer les forces paramilitaires dans la guérilla pendant la durée du cessez-le-feu, de créer six "zones critiques" pour mettre en œuvre l'aide humanitaire et de faire participer le secteur social aux pourparlers de paix. Le prochain cycle de négociations doit avoir lieu à Cuba en janvier et portera sur la prolongation de la trêve (5).

L'abandon négocié des enlèvements contre rançon est un succès majeur pour le gouvernement de G. Petro : sur 287 enlèvements contre rançon au cours des dix derniers mois, l'ELN a été responsable de 11% et l'EMC de 10%. Selon le ministre colombien de la défense Iván Velásquez, au 7 décembre 2023, trente-huit personnes étaient retenues par l'ELN contre rançon. Le nombre de personnes enlevées contre rançon l'année dernière est le plus élevé depuis la démobilisation des FARC en 2016.

Ronald Lasecki

Soutenez mon travail d'analyse: https://zrzutka.pl/xh3jz5

Notes:

1) En bref : La Colombie augmente le salaire minimum (latinnews.com) (02.01.2024).

2) En bref : La Colombie baisse ses taux d'intérêt (latinnews.com) (02.01.2024).

3) COLOMBIE : Petro et sa corde raide budgétaire (latinnews.com) (02.01.2024)

4) COLOMBIE : Grabe reprend les négociations de paix avec l'ELN (latinnews.com) (02.01.2024).

5) COLOMBIE : L'ELN renonce aux enlèvements (latinnews.com) (02.01.2024).

vendredi, 19 janvier 2024

Kissinger n'était pas un Américain

Le secrétaire d'État américain Henry Kissinger, le 25 mars 1974 à Tel Aviv. (AFP).jpg

Kissinger n'était pas un Américain

Ronald Lasecki

Source: https://ronald-lasecki.blogspot.com/2024/01/kissinger-nie-by-amerykaninem.html

Henry Kissinger n'était pas un Américain. Non seulement en raison de ses origines - il est né il y a un siècle dans une famille juive de Bavière - mais aussi en raison du somptueux accent allemand qu'il a conservé tout au long de sa vie. Ce n'est pas non plus parce qu'il n'était pas américain que le somptueux accent allemand qu'il a conservé jusqu'à la fin de sa vie en était la preuve. Kissinger appartenait à l'Amérique, mais il n'était pas l'Amérique.

S'il était la figure la plus caractéristique de la politique étrangère yankee, il n'en représentait pas le trait le plus distinctif: un missionnisme démolibéral, donnant naissance au désir de transformer révolutionnairement le monde plus ou moins à chaque génération lorsque l'état des choses existant ne correspond plus graduellement aux idées de plus en plus libérales des héritiers idéologiques du protestantisme radical et de la révolution des Lumières de 1776.

Kissinger a cependant su profiter des opportunités offertes par la Mecque américaine, celle des exilés et des immigrés. Persécuté dans son pays d'origine, l'Allemagne, où il n'avait pas accès à l'enseignement, il s'est servi des institutions académiques pour gravir les échelons du pouvoir. Bénéficiant du rôle central des universités dans la sélection et la formation de l'élite qui contrôlait la politique étrangère des États-Unis dans la seconde moitié du 20ème siècle, il a bâti sa position sur ses réalisations académiques et son expertise en tant qu'historien.

Après s'être officiellement retiré de la scène politique, il a utilisé son expertise pour gagner de l'argent: son cabinet de conseil Kissinger Associates a reçu des commissions élevées de la part de généreux donateurs, y compris étrangers, offrant en retour aux entreprises et aux gouvernements des informations approfondies sur le système. Le canal d'information créé par Kissinger a été utilisé par huit présidents américains - de Carter à Biden - pendant un demi-siècle.

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Un ordre stable et instable

Kissinger avait déjà consacré sa thèse de doctorat, The World Restored (1957), au Congrès de Vienne, en attirant l'attention sur les "problèmes de la paix", ce qui est révélé dans son sous-titre. La juxtaposition des mots "problèmes" et "paix" indique que l'auteur était fasciné non pas tant par la "paix" au sens de l'absence de guerres, mais par l'"ordre", l'"équilibre" - la "pax" à la romaine.

En effet, la paix peut être structurellement stable - convenue par les principaux centres de pouvoir, conjointement légitimée par eux, qu'ils s'engagent solidairement à préserver. Cette option reste en équilibre dynamique, car il s'agit d'un système de vases communicants et l'affaiblissement d'un de ses éléments est contrebalancé par la stabilisation du système par les autres. Tel était le système de Vienne construit par Metternich et négocié au Congrès de 1815 avec Castlereagh.

Mais il existe aussi une variante de la paix hégémonique: imposée par la puissance dominante du moment, unilatéralement favorable à celle-ci, donc contestée par les lésés, donc structurellement instable et, en bout de course, insoutenable. En effet, tout affaiblissement de l'hégémon ou la montée d'un centre de pouvoir concurrent désorganise le système hégémonique et conduit à son effondrement.

La stabilité d'un système hégémonique dépend d'un seul facteur, et non d'un système de facteurs multiples qui se complètent mutuellement, comme dans un système d'équilibre des pouvoirs. Par ailleurs, aucun facteur unique ne peut être permanent, car tout dans le monde est sujet à l'entropie et à la fluctuation ; un système hégémonique est donc structurellement défectueux et voué à l'effondrement. Contrairement aux systèmes pluralistes (équilibre des pouvoirs), les systèmes concentriques (hégémoniques) ont une capacité limitée d'homéostasie et sont moins flexibles, car moins adaptés à la nature dynamique et spontanée-créative de la réalité.

Kissinger a formulé son éloge du système d'équilibre des pouvoirs et sa critique du système hégémonique au milieu du 20ème siècle, mais ce n'est que le 1er janvier 1990 que Charles Krauthammer a annoncé l'avènement du "Moment unipolaire" dans les pages de Foreign Affairs, un forum semi-officiel de communication des opinions de l'élite politique américaine. Cela a activé le désir révolutionnaire, presque trotskiste, de la superpuissance victorieuse de la guerre froide de transformer le monde selon les critères de l'idéologie démolibérale.

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Sur la Russie

Kissinger s'est engagé dans une autre direction. Contrairement aux dictats de la tradition politique yankee et de l'idéologie d'État, le secrétaire d'État des administrations des présidents Richard Nixon et Gerald Ford a cherché à intégrer d'autres centres de pouvoir au sein du système mondialiste yankee, plutôt que de les vaincre ou de les détruire.

Il s'agit avant tout de l'assouplissement des relations avec l'Union soviétique dans les années 1970, alors que les États-Unis sont enlisés en Indochine et perturbés par l'effondrement de leurs sous-systèmes socio-culturels et économiques internes. Le rapport entre la taille des armements de l'URSS et des États-Unis commence à se rapprocher dangereusement de la parité pour ces derniers.

Washington perd la guerre froide et craint une défaite géopolitique en Europe. Son élite dirigeante en vint à la conclusion que le pays avait besoin d'un moment de répit, tandis qu'en matière de politique étrangère, il fallait apaiser les tensions et gagner du temps. L'architecte de cette politique fut Kissinger, qui fut plus tard critiqué par le récit "Cassandre" qui, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, donna naissance au mouvement néoconservateur (qui n'avait pas encore de nom à l'époque).

La position de Kissinger sur la guerre actuelle en Ukraine s'est également écartée du politiquement correct. Il s'est montré sceptique quant à la possibilité de reprendre la Crimée et les territoires perdus par l'Ukraine au printemps 2022, refroidissant ainsi l'enthousiasme des partisans d'une hégémonie unilatérale de la grande puissance au drapeau Stars and Stripes, pour laquelle il serait nécessaire d'infliger une défaite décisive à Moscou. Kissinger a proposé de faire de l'Ukraine un tampon dans les relations avec la Russie, plutôt que d'envisager un "changement de régime" au Kremlin. Il a mis en garde contre la tentation de pousser la Russie dans les bras de Pékin avec une rhétorique aussi belliqueuse.

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Sur la Chine

Le deuxième élément de la "grande stratégie" de Kissinger est l'ouverture des États-Unis à la Chine en 1972. Le secrétaire d'État de l'époque ne se contentait pas d'exploiter les fissures dans le bloc communiste et de retourner le plus faible des ennemis des États-Unis contre le plus fort - ce que Kissinger a pleinement réussi à faire et qui est encore considéré aujourd'hui comme un chef-d'œuvre de diplomatie, bien que les critiques reprochent à celui qui occupait alors le Harry S Truman Building à Foggy Bottom de ne pas avoir suffisamment exploité l'avantage de Washington et d'avoir fait des concessions trop importantes à Pékin sur la question de Taïwan.

Cependant, Kissinger voulait bien plus que monter le Zhönguó contre la Russie. Il voulait entraîner la République populaire de Chine dans la mondialisation yankee et faire de l'Empire du Milieu un partenaire junior de la bannière étoilée. Il ne croyait pas à la démocratisation et à l'occidentalisation de la Chine, estimant au contraire que - pour citer la déclaration de Xi Jinping lors de sa récente rencontre avec Joe Biden à San Francisco à la mi-novembre - "le monde est assez grand pour accueillir les États-Unis et la Chine". Il a cherché à construire un condominium mondial entre Pékin et Washington, convaincu de la nécessité de travailler ensemble pour maintenir l'ordre mondial (pax).

Ce qu'il ne croyait pas, c'est que les États-Unis seraient capables de maintenir cet ordre seuls. Il savait que l'effondrement de l'hégémonie américaine, structurellement instable, entraînerait également l'effondrement de l'importance mondiale des idéaux démocratiques libéraux yankees qui lui avaient permis, à la fin des années 1930, de trouver refuge en Amérique du Nord face aux national-socialistes allemands antisémites.

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Kissinger a travaillé toute sa vie sur l'idée d'intégrer la Chine dans le système mondial yankee. Il voulait utiliser la préférence confucéenne du peuple chinois pour l'ordre et l'harmonie sociale, ce qui rappelle sa vision "européenne" du monde, dans laquelle il voyait le moyen d'harmoniser le globe comme un "concert de puissances" et la coordination des politiques des principaux acteurs au sein d'un système unique. Un autre facteur liant la Chine au sein d'un système mondial dirigé par les États-Unis était, dans sa conception, les avantages du commerce mondial, dont la sécurité des "goulets d'étranglement", sous la forme de détroits maritimes, devait être garantie par la thalassocratie nord-américaine.

En juillet 2023, Kissinger a été reçu à Pékin, ce qui témoigne de la recherche par Xi Jinping de canaux de communication pour atténuer les relations tendues avec Washington. Kissinger estime que les puissances nord-américaine et chinoise ont une responsabilité l'une envers l'autre et envers le monde ; "l'une a besoin de l'autre", tandis qu'"un conflit impliquant la technologie moderne [...] serait un désastre pour l'humanité". En mai, il a déclaré que "les dirigeants des deux pays ont le devoir d'empêcher cela" et de renouveler les canaux de communication. En conséquence, la "ligne directe" présidentielle a été relancée lors du sommet de San Francisco, le 15 novembre, et les communications entre l'armée américaine et l'Armée populaire de libération de la Chine ont repris.

La façon dont Kissinger a géré le Zhönguó s'explique par sa profonde compréhension des déterminants civilisationnels de la politique étrangère du pays, qu'il a démontrée dans son ouvrage On China (2011). Grâce à sa compréhension de la logique culturelle qui sous-tend les ambitions géopolitiques de la Chine et des déterminants de ses modes politiques, il a été plusieurs fois l'envoyé de Washington dans le pays, même après sa retraite - la dernière fois le 20 juillet 2023.

Kissinger a su parler aux Chinois - à partir de son expérience du renseignement et donc d'un négociateur extrêmement difficile, Zhou Enlai - grâce à sa compréhension des principes fondamentaux de la civilisation chinoise : les relations mutuellement bénéfiques (guanxi) et le respect de la contrepartie (mianzi). Il a compris que pour briser l'hostilité et établir des relations avec Pékin, il fallait créer un climat de confiance et de respect mutuel. Il a utilisé ces connaissances lors de ses visites dans l'Empire du Milieu en 1971, préparant ainsi le terrain pour l'établissement de relations diplomatiques entre les États-Unis et la RPC.

L'herméneutique et les menaces qui pèsent sur elle

En tant que conseiller à la sécurité nationale (1969-1975) et secrétaire d'État américain (1973-1977), Kissinger a introduit une nouvelle habitude, à savoir l'étude minutieuse des documents de renseignement éclairant la vie, l'éducation et la carrière des dirigeants mondiaux avec lesquels il entrait en contact. Kissinger cherchait à les comprendre, à pénétrer leur vision du monde et leurs intentions. En ce sens, il était un "Européen", un homme "du monde", si différent des "provinciaux" yankees qui cherchent à interpréter et à évaluer le comportement des autres à travers le prisme de leur propre axiologie et de leurs codes culturels.

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Cette méthode de Kissinger est parfaitement évidente dans son récent ouvrage Leadership: Six Studies in World Strategy (2023), sous-apprécié au niveau international et passé totalement inaperçu en Pologne, consacré à une analyse des motivations de Konrad Adenauer, Charles de Gaulle, Richard Nixon, Anwar as-Sadat, Lee Kuan Yew et Margaret Thatcher. Kissinger formule sa vision de la politique extérieure américaine en tenant compte des codes géopolitiques et culturels des autres nations, tels qu'incarnés par leurs dirigeants politiques.

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Kissinger a également mis en garde contre l'intelligence artificielle et les tendances civilisationnelles plus générales dont elle est une manifestation. Dans un article coécrit avec Eric Schmidt et Daniel Huttenlocher et publié dans le Wall Street Journal le 24 février 2023, il compare l'intelligence artificielle à l'invention de l'imprimerie en 1450. Or, si celle-ci a permis d'accélérer la communication du savoir humain abstrait et d'en étendre la portée, les nouvelles technologies d'aujourd'hui créent un fossé entre le savoir humain et sa compréhension.

Au niveau politique, on assiste à une compression temporelle des processus de décision à une échelle qui les empêche d'être menés de manière rationnelle, ce qui menace l'équilibre du système international. Selon Kissinger, à l'ère de l'intelligence artificielle, de nouvelles conceptions de la connaissance humaine et de la relation entre l'homme et la machine devront être développées. L'intelligence artificielle est, selon les auteurs de l'essai, une manifestation de l'ère de la "distraction", où il n'est plus difficile d'assimiler des concepts profonds. Étudier un livre aujourd'hui est devenu un geste non conventionnel", nous dit Kissinger. La connaissance herméneutique que l'auteur de Leadership et de On China a développée à propos de la psyché des nations et des dirigeants est en train de perdre du terrain.

Kissinger arrive à une conclusion non moins pessimiste que dans l'essai du WSJ dont il est question dans le chapitre final de son ouvrage Leadership; il y souligne l'importance de l'éducation humaniste et civique et du substrat religieux pour la formation des dirigeants politiques modernes dans les conditions de la méritocratie qui a aujourd'hui remplacé l'ancienne aristocratie.

Selon Kissinger, cependant, l'idéal de l'éducation humaniste est en train de mourir dans les universités, ce qui, à son avis, menace la formation de fonctionnaires compétents. Les universités, selon lui, forment des technocrates étroitement spécialisés et des activistes idéologisés. L'étude, selon Kissinger, perd sa perspective philosophique et historique plus large.

La disparition de la culture civique, à son tour, selon l'auteur de Leadership, provoque un fossé croissant entre la multitude du peuple et les élites. Les élites et le peuple se font de moins en moins confiance et sympathisent, ce qui fait que le système devient de plus en plus oligarchique et que les tendances populistes anti-oligarchiques se développent dans la société.

Le passage d'une culture écrite à une culture visuelle s'opère, comme le note Kissinger, par le biais d'Internet et des nouveaux médias, ce qui déforme considérablement la conscience collective de la société. Le raccourcissement de la perspective et l'émotionnalisation qui caractérisent l'ère de l'Internet menacent, selon lui, une compréhension plus profonde et holistique des faits.

L'analyse rationnelle cède le pas, selon Kissinger, à des images émotionnellement suggestives dans la nouvelle ère de l'Internet. Les moyens de communication de masse exercent également des pressions conformistes croissantes dont les décideurs ne peuvent se protéger. Cependant, la marge d'erreur acceptable dans la prise de décision, comme le souligne Kissinger, se réduit face à l'émergence de nouveaux défis tels que l'intelligence artificielle, la cyberguerre et les nouvelles tensions internationales.

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À propos de l'Amérique

Ce n'est pas un hasard si Richard Nixon figure parmi les dirigeants mondiaux analysés dans les pages de Leadership. Kissinger, sans jamais être devenu mentalement américain, comprenait les États-Unis comme personne d'autre. Il est impossible de comprendre l'idée que les Yankees se font d'eux-mêmes et de leur pays sans lire Kissinger. Sa caractérisation du caractère national yankee peut être placée avec succès aux côtés de De la démocratie en Amérique (1835-1840) d'Alexis de Tocqueville, de L'Amérique (1986) de Jean Baudrillard ou de Qui sommes-nous ? (2004) de Samuel Huntington.

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La phrase lapidaire tirée de Diplomatie de Kissinger, "Les États-Unis ne peuvent ni se retirer du monde ni le dominer", résume le mieux la "tragédie" du rôle international de cette superpuissance. Comme dans le cas de la Chine (dans l'ouvrage On China), Kissinger approfondit les déterminants psycho-politiques des projets internationaux des États-Unis et met en évidence les déterminants mentaux et culturels de leur politique étrangère. Alliant l'expérience de l'homme d'État à la sensibilité de l'historien, il identifie les composantes de l'attitude nationale des Américains à l'égard du monde extérieur et de leurs perceptions politiques. A titre d'exemple, citons trois de ces traits du caractère national yankee relevés et décrits par Kissinger :

Premièrement, les Américains rejettent la conception européenne (associée à Richelieu) de la raison d'État comme la poursuite par des moyens rationnels d'objectifs de politique étrangère rationnellement mesurés et donc d'intérêts rationnellement définis. Le moralisme est ancré dans les hypothèses de la république nord-américaine qui, du point de vue des autres centres de pouvoir et du système international dans son ensemble, est un facteur de désorganisation et une menace pour la durabilité de l'équilibre dynamique.

Nous devons ajouter que des représentants de sectes chrétiennes fondamentalistes se sont installés dans les colonies anglaises d'Amérique du Nord, traitant les préceptes moraux de cette religion au pied de la lettre et avec le plus grand sérieux. Alors que dans les pays orthodoxes et catholiques, des "soupapes de sécurité" ont été développées pour réconcilier la morale et l'anthropologie chrétiennes avec les exigences du fonctionnement du monde, aux États-Unis, la philosophie du "pragmatisme", supposant la possibilité d'"écraser" la réalité matérielle conformément aux exigences morales, est devenue populaire au début du 20ème siècle. Sous sa forme sécularisée des Lumières, dérivée d'un christianisme fondamentaliste, le moralisme a été inscrit dans les documents fondateurs des États-Unis et a trouvé son expression dans la jurisprudence judiciaire.

La leçon de Kissinger sur la "vision païenne du monde" est également pertinente sur ce point pour la Pologne, qui est liée à la république nord-américaine en déduisant sa politique extérieure de prémisses morales et idéologiques. En Pologne, cela n'est pas conditionné par le fondamentalisme chrétien, mais par un messianisme "latin" de liberté-république, et conduit à des échecs successifs du centre de pouvoir polonais dans ses relations avec les centres de pouvoir allemand et russe guidés par la "Realpolitik".

Deuxièmement, les Américains rejettent la conception européenne de la politique, qui consiste à gérer les problèmes plutôt qu'à les résoudre. Comme Lucius Cincinnatus, les Américains aimeraient, après avoir "gagné la guerre", "abandonner la politique" et retourner tranquillement "travailler la terre". Après avoir accompli sa mission, qui consiste à "résoudre le problème une fois pour toutes", le Yankee "rentre chez lui". Pour le yankee, la politique étrangère est une tâche qui a un début et une fin. En Europe, en revanche, la politique est comprise comme un processus qui n'a jamais de fin.

Ajoutons que le code culturel susmentionné du yankee trouve également ses racines dans le christianisme: dans la conception linéaire du temps qui atteint sa fin, après quoi le bonheur éternel est censé régner. Sous une forme sécularisée de l'idée des Lumières de la "paix éternelle", ce christianisme des fondamentalistes protestants a inspiré les visions yankees ultérieures de la "fin de toutes les guerres" et de la "justice" mondiale - du concept de la Société des Nations à celui du "Grand Moyen-Orient".

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Kissinger, probablement inconsciemment, s'écarte ici de l'historicisme judéo-chrétien pour adopter une vision païenne du monde: le monde est un "devenir" continu sans "but" ni "logique" ; au-delà de ses frontières, aucun "monde meilleur" ne nous attend, car c'est celui dans lequel nous vivons qui est bon - parce qu'il est celui dans lequel nous vivons (le principe anthropique éthique). Le monde ne peut donc pas être "amélioré", mais seulement mal géré ou bien géré en fonction des intérêts de chacun et des interrelations de ses éléments ; une bonne gestion est telle que ces relations sont structurellement stables, et donc rationnellement prévisibles.

Troisièmement, le code politique yankee est un code libéral. Les Américains considèrent comme bon et juste un monde dans lequel le commerce remplace la guerre et le droit remplace la force. Les États-Unis se présentent comme les champions d'un ordre mondial régi par le droit. Ce courant traverse toute l'histoire intellectuelle des États-Unis et remonte bien plus loin que l'émergence de la Cour pénale internationale, l'idée d'"intervention humanitaire" après la fin de la guerre froide pour masquer les guerres d'agression, ou la fondation de l'ONU et avant elle de la Société des Nations. Kissinger, quant à lui, conçoit la politique à travers le prisme des rapports de force, ce en quoi il est extrêmement "anti-américain".

Le code yankee de compréhension de la politique, comme nous l'avons mentionné, est un code libéral. Le libéralisme expose au grand jour des idées chrétiennes sécularisées telles que la liberté, l'individu, l'égalité, le rationalisme, qui, dans la doctrine des églises chrétiennes d'Europe continentale, ont été "couvertes" par des formules philosophiques et culturelles qui atténuent leur contenu subversif. Chez les fondamentalistes protestants des colonies anglaises d'Amérique du Nord, déracinés du milieu civilisationnel européen, ces idées ont été mises au premier plan et ont ensuite trouvé leur expression dans la pensée séculière des Lumières nord-américaines et, enfin, dans le libéralisme yankee.

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Kissinger l'Européen

Kissinger a écrit pour l'élite politique yankee, mais ses idées ne sont pas populaires parmi elle. Les États-Unis parient désormais sur l'encerclement et l'isolement de la Chine, plutôt que sur son intégration dans le système mondial qu'ils dirigent toujours. Washington traite la Russie et d'autres acteurs mondiaux non pas comme des piliers régionaux de l'ordre mondial, mais comme des rivaux à abattre ou à détruire. Les idées de Kissinger ne sont pas et ne seront pas mises en œuvre dans la politique étrangère américaine dans un avenir prévisible.

Car dans sa construction intellectuelle, sa mentalité et sa conscience, Kissinger n'était pas un Américain, mais un Européen. Malgré son départ d'Allemagne lorsqu'il était encore enfant et ses origines juives, Kissinger est toujours resté mentalement "allemand". C'est pourquoi ses analyses sont plus populaires en Europe continentale et en Chine qu'aux États-Unis, son pays d'origine. Le tempérament et la mentalité de Kissinger étaient purement "tellurocratiques".

En Pologne, qui se nourrit du ressentiment anti-européen (et surtout anti-russe), Kissinger est perçu de manière plutôt critique - comme insuffisamment anti-russe. La supériorité de Brzezinski sur Kissinger a été récemment démontrée par le conservateur polonais Marek A. Cichocki, qui a souligné l'idéologisation démolibérale de sa conception de la politique à l'égard de la Russie comme facteur de cette prétendue supériorité de Brzezinski.

Une telle évaluation de la part d'un conservateur serait bien sûr absurde, à moins de reconnaître le fait que les Polonais partagent l'idéologisation démolibérale avec les Américains - sauf que les conservateurs polonais, au lieu d'utiliser le terme libéral-démocrate, préfèrent "liberté-républicain". La différence n'est toutefois que cosmétique, car dans les deux cas, il s'agit de lier la raison à une sinistre superstition idéologique démolibérale.

Ronald Lasecki

Publié à l'origine dans Myśl Polska, numéro 51-52 (17-24.12.2023).

mercredi, 17 janvier 2024

Jeux de Risk et dangers réels

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Jeux de Risk et dangers réels

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/risiko-e-rischi/

C'est un jeu de Risk très complexe qui s'est ouvert avec la crise de Gaza. Et qui s'étend maintenant à la mer Rouge et au golfe Persique. Tendant, je dirais inévitablement, à impliquer l'ensemble de notre Méditerranée.

Un risque qui voit converger dans cette région spécifique des tensions et des ambitions qui dépassent ses frontières. Et qui impliquent, en premier lieu, les trois plus grandes puissances mondiales.

Les États-Unis, la Russie et la Chine sont en effet plus ou moins directement impliqués dans les conflits qui éclatent en chaîne dans toute la région du Moyen-Orient. Une implication plus profonde que jamais. Plus profonde qu'à l'époque où, par exemple, Moscou et Washington jouaient une partie d'échecs dans laquelle les pays du Moyen-Orient n'étaient que de simples pions. Et le scénario, même s'il n'est pas sans importance, est resté périphérique par rapport au centre de l'"échiquier". Représenté par l'Europe, d'une part, et l'Asie du Sud-Est, d'autre part.

Aujourd'hui, la situation est très différente. Le Moyen-Orient représente le pivot du Grand Jeu. Son contrôle, ou son instabilité, est déterminant pour tous les équilibres mondiaux. La preuve en est qu'au fur et à mesure de l'évolution de la crise de Gaza, le conflit en Ukraine est passé au second plan. Et, de fait, Zelensky est de plus en plus abandonné à son sort. L'Ukraine, rappelons-le, est le territoire frontalier entre la Russie et l'Europe centrale et occidentale.

Pour la Chine, la stabilité du Moyen-Orient est essentielle. Elle garantit son commerce le long de cette Route de la soie maritime, ou de ce "Noble collier de perles", qui constitue le cœur de sa stratégie. C'est aussi l'épine dans le pied de Washington, qui voit en Pékin son plus grand adversaire dans un avenir proche.

Les Chinois sont présents dans toute la région de la Corne de l'Afrique. Une présence économique, non sans insertion militaire. La crise de Gaza était déjà une menace pour eux. Le raid américain au Yémen est perçu, dans la Cité interdite, comme une véritable déclaration de guerre déguisée en opération anti-terroriste.

En fait, il est clair que les attaques américaines contre les Houthis n'amélioreront pas la situation du trafic en direction de Suez. Au contraire, elles créeront une situation d'instabilité qui pourrait gravement affecter les intérêts chinois. En fermant l'accès à la Méditerranée.

En revanche, l'inévitable hausse des prix du gaz et du pétrole, déjà amorcée en ces heures, ne nuira pas aux Etats. Au contraire, ils seront plus à l'aise pour transporter leurs produits via les routes atlantiques. Sans la concurrence de la mer Rouge.

Moscou, bien qu'occupée sur le front ukrainien, semble extrêmement préoccupée par le risque d'implication de l'Iran dans le conflit. Lequel est son meilleur allié dans la région. Une implication de plus en plus étroite, compte tenu de l'intensification de l'action de l'OTAN en Syrie, et de l'escalade des affrontements entre Israël et le Hezbollah à la frontière libanaise.

Il est donc probable que le Kremlin décide d'accélérer les opérations en Ukraine. De manière à clore rapidement le jeu et à avoir les mains libres pour une éventuelle implication au Moyen-Orient.

Le jeu de Washington est différent. La Maison Blanche, pour le moment, semble apprécier l'instabilité de la région. Une instabilité qui n'affecte que très peu ses intérêts, tout en portant gravement atteinte à ceux de ses rivaux.

En outre, il s'agit d'une stratégie de pouvoir thalassocratique classique. Elle ne cherche pas à contrôler directement une région clé, mais les mers et les voies d'accès. Elle empêche les autres, ses rivaux, d'en prendre le contrôle.

Cependant, cette stratégie risque de nuire gravement aux puissances moyennes alliées aux Etats. L'Égypte d'abord, qui tire une part importante de son PIB du commerce via Suez. Ensuite, la Turquie, qui a des intérêts considérables dans la Corne de l'Afrique. Et ce n'est pas un hasard si la réaction d'Erdogan a été pour le moins courroucée.

Il y a aussi les intérêts commerciaux des Émirats arabes, qui ont exprimé leur vive inquiétude face au nouveau front qui s'est ouvert au Yémen.

Mais le silence de Riyad est encore plus révélateur.

Le prince Mohammed bin Salman, héritier du trône et homme fort de la famille Saoud, a été l'architecte d'une stratégie d'apaisement tant avec l'Iran, prônée par Pékin, qu'avec Israël. Et, dans le même temps, il cherchait un rapprochement progressif avec les BRICS.

La guerre de Gaza d'abord, puis, plus encore, celle du Yémen (c'est-à-dire à sa porte) le mettent en très grande difficulté. Il risque d'être entraîné dans un affrontement direct avec Téhéran. C'est ce qui ressort d'une nouvelle édition de la Fitba, la guerre entre sunnites et chiites. Ce qui pourrait s'avérer exacerbant pour l'avenir de la dynastie saoudienne.

Et puis, il y a l'Europe. Ou plutôt l'absence d'Europe. Dépourvue de stratégie commune, et même de conscience d'intérêts communs. Et dont, bien sûr, Londres ne fait pas partie, et n'a jamais vraiment fait partie.

Une Europe sans leadership, avec l'absence totale de l'Allemagne, la France jouant comme d'habitude le rôle du poisson dans le tonneau, et l'Italie... obtusément aplatie par les décisions de Washington. Sans conscience de ses propres intérêts.

 

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dimanche, 14 janvier 2024

Le Yémen: un pays stratégique sur l'échiquier géopolitique

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Le Yémen: un pays stratégique sur l'échiquier géopolitique

par Paolo Arigotti

Source: https://www.sinistrainrete.info/geopolitica/27195-paolo-a...

Le discours dominant présente souvent les Houthis - également connus sous le nom d'Ansar Allah ("partisans de Dieu") - comme un groupe rebelle, presque comme pour souligner le caractère non officiel de ce qui, qu'on le veuille ou non, représente le gouvernement du Yémen, du moins d'une bonne partie de cette nation tourmentée, y compris la capitale Sanaa [1]. Son potentiel militaire ne doit pas non plus être sous-estimé, puisqu'il s'agit d'un mouvement de résistance chiite qui a réussi à s'imposer face à la coalition dirigée par l'Arabie saoudite depuis 2015 dans le cadre d'une longue et sanglante guerre civile qui a frappé le pays le plus pauvre de la péninsule arabique.

Les Houthis ont refait les gros titres en défiant ouvertement la quintessence de la puissance thalassocratique, les États-Unis, dans le contexte de l'un des "goulets d'étranglement" stratégiques les plus importants au monde: le détroit de Bab al-Mandeb sur la mer Rouge, qui fait la jonction avec l'océan Indien. Les motivations des Houthis ne font aucun doute et se lisent dans les déclarations officielles du gouvernement yéménite, où transparaît le caractère de représailles de la stratégie mise en œuvre depuis le 14 novembre, bien que la première attaque ait eu lieu le 19 octobre, lorsque le destroyer américain USS Carney a intercepté trois missiles tirés depuis les côtes du Yémen. Le groupe chiite, en réponse aux violences perpétrées par les forces armées israéliennes dans la bande de Gaza, qui ont déjà coûté la vie à plus de vingt mille personnes (principalement des femmes et des enfants), a annoncé son intention de cibler, à l'aide de drones et de missiles, tout navire lié à Israël qui transiterait par Bab al-Mandeb, qui sert également de porte d'entrée au canal de Suez, par lequel transitent - rappelons-le - environ 10% du commerce mondial et quelque 8,8 millions de barils de pétrole, ce qui correspond plus ou moins à un dixième de l'approvisionnement mondial, sans compter environ 8% de gaz liquide.

À cela s'ajoute le fait que les câbles de fibre optique, ceux qui assurent la circulation des données et la connexion entre l'Europe, l'Afrique, les pays arabes, l'Inde et l'Extrême-Orient, sont situés dans cette même partie du monde, et que ces connexions pourraient être mises en péril par le déclenchement d'un conflit, avec des effets imprévisibles sur les télécommunications mondiales et le trafic Internet [2].

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En outre, le 9 décembre, Ansar Allah a annoncé une extension de ses opérations, ne ciblant plus seulement les navires battant pavillon de l'État juif, mais tout navire à destination d'Israël, quelle que soit sa nationalité, dans le but ultime de couper tout approvisionnement en nourriture et en médicaments, tout comme Israël l'a fait à Gaza.

Pour éviter toute ambiguïté, il ne s'agit pas d'actions indiscriminées, car seuls les navires liés à et/ou à destination d'Israël sont touchés, tandis que les pétroliers russes, chinois, iraniens et autres en provenance du sud de la planète transitent sans encombre par le Bab al-Mandeb et la mer Rouge: une piste de réflexion intéressante sur l'évolution des équilibres mondiaux, sans compter que les Russes et les Chinois disposeraient également de la route de l'Arctique.

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Un autre point qu'il convient de préciser d'emblée est que les Houthis ne veulent pas la destruction d'Israël et de son peuple, mais seulement la fin des massacres à Gaza et l'afflux d'aide humanitaire, en utilisant le blocus naval comme moyen de pression. Et à ce stade, on peut se demander si la réponse à ces demandes, qui ne sont pas vraiment déraisonnables ou infondées, ne pourrait pas être une action militaire, qui compte déjà les premières victimes [3]. Nous laissons au lecteur le soin de répondre à cette question.

A la fin de l'année, neuf navires avaient déjà été pris pour cible, ainsi que la saisie en mer Rouge d'un autre navire dont l'origine est israélienne, obligeant plusieurs grandes compagnies maritimes (et pétrolières) internationales à modifier leurs itinéraires, en contournant l'Afrique et en passant par le Cap de Bonne Espérance, augmentant ainsi la durée du voyage et, bien sûr, les coûts du carburant, de l'assurance et autres frais connexes.

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Les actions d'Ansar Allah ne se sont pas limitées aux eaux maritimes, puisque les Yéménites ont lancé plusieurs attaques de missiles et de drones sur la ville portuaire d'Eilat, dans le sud d'Israël, interrompant presque complètement son trafic maritime commercial.

L'ensemble de ces actions est un camouflet pour la Maison Blanche, qui avait garanti dans sa stratégie de sécurité qu'elle ne permettrait aucune entrave à la liberté de navigation, qui a toujours été l'un des éléments clés de la thalassocratie américaine, basée précisément sur le contrôle des fameux "goulets d'étranglement" [4].

Face à la détermination des Yéménites, les Etats-Unis ont réagi, le secrétaire d'Etat Lloyd Austin annonçant le 18 décembre le lancement d'une opération navale, baptisée Prosperity Guardian, avec la participation de vingt pays, dont l'Italie, dans le but de contrer les attaques en cours et de garantir la sécurité du transit en mer Rouge. Pour mémoire, le seul pays arabe à avoir adhéré est le petit Bahreïn, tandis que l'Egypte, l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes, sur le papier alliés de Washington, ont décliné l'invitation, peut-être conscients pour ces deux derniers que les missiles du Yémen seraient parfaitement capables de frapper leurs champs pétroliers et de les mettre hors d'état de fonctionner pour un bon moment.

L'annonce de l'initiative n'a pas du tout intimidé Ansar Allah, qui a réaffirmé la continuité de ses opérations, et a en même temps fait apparaître les premières fractures au sein de la coalition des "volontaires". Si certaines nations européennes abstraitement impliquées, comme le Danemark, les Pays-Bas et la Norvège, ont annoncé un soutien minimal, même le gouvernement atlantiste de Meloni a réduit l'ampleur de sa contribution [5]: comme l'a indiqué le ministre de la Défense Guido Crosetto, la frégate italienne "Virginio Fasan", opérationnelle en mer Rouge, sera sous commandement national et ne s'occupera que de la protection du trafic marchand, à la demande des armateurs italiens, en dehors de l'opération "Prosperity Guardian" [6]. Une décision similaire a été prise par la France, qui a déclaré ne pas avoir l'intention d'envoyer de nouveaux navires dans la région, ce qui pourrait être le prélude à une rétractation rapide de l'administration américaine, du moins à une moindre détermination, Washington ayant été pratiquement laissé en plan par la plupart de ses "satellites".

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Comme l'écrit Michael Whitney, analyste géopolitique et social américain, "les Etats-Unis ne peuvent pas former une coalition maritime de grande envergure parce que les alliés américains ne font plus confiance au jugement de Washington et ne croient plus en son autorité morale. La marine ne dispose pas non plus d'une flottille suffisamment grande ou agile pour protéger les voies navigables et les couloirs de transit qui soutiennent les économies occidentales. Il ne s'agit pas d'un problème anodin. Zoran Kusovac, sur Al Jazeera, ajoute que "si la marine américaine finit par attaquer le Yémen, les Européens pourront prétendre qu'ils n'ont pas contribué à l'escalade de la guerre, rejetant toute la responsabilité sur les États-Unis" [8].

Il faut considérer que les porte-avions et les missiles de Washington ne pourraient guère, à eux seuls, contrer les attaques yéménites, surtout à long terme, et c'est là un nouveau et grave camouflet pour les Etats-Unis, qui pourraient se révéler incapables de tenir tête au plus pauvre des pays de la région, qui s'appuie sur des armements bon marché - drones et missiles - (environ un dixième de ceux des Etats-Unis).

Le journal Politico [9] rapporte que certains responsables du Département de la Défense ont admis que les coûts de la lutte contre les actions de Sanaa augmentaient de manière inquiétante: selon les premières projections, les Yéménites ont lancé jusqu'à présent plus d'une centaine d'attaques, touchant une douzaine de navires d'origines diverses, pour un coût relativement faible, alors que les Etats-Unis ont déjà été appelés à soutenir un coût estimé à plus de 200 millions de dollars, sans compter que les stocks de missiles aux mains des Américains ne sont pas infinis, pas plus que les capacités de production de leur industrie de guerre. Et la perspective de rester sans protection ne serait pas seulement un danger pour l'échiquier de la mer Rouge, mais aussi pour d'autres contextes stratégiques, comme la Méditerranée ou l'Indo-Pacifique.

On aboutirait ainsi à une situation paradoxale dans laquelle la plus grande puissance militaire du monde subirait une raclée de la part de ce qu'elle considère comme de simples rebelles, équipés d'armements bien inférieurs, mais qui ont l'avantage de coûter peu et d'être plus facilement disponibles. Un scénario qui n'est pas sans rappeler celui de l'Ukraine, où la capacité de production d'obus des Russes - estimée à environ deux millions de pièces par an, à un coût très faible - est le pendant des moins de trois cent mille obus actuellement produits par le complexe industriel de Washington, qui plus est à des coûts beaucoup plus élevés.

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Une autre inconnue est le risque d'extension du conflit. Les Houthis, on le sait, sont chiites, donc si l'Iran venait à leur secours, l'équilibre changerait à nouveau. Téhéran, pour l'instant, a renvoyé à l'expéditeur les accusations américaines d'implication et/ou d'actions de force contre des navires commerciaux (comme la nouvelle diffusée par des sources des forces armées américaines à propos d'un chimiquier qui aurait été touché dans l'océan Indien par un drone lancé par l'Iran), ce qui n'exclut pas la possibilité que la République islamique - qui possède un arsenal de missiles respectable - en décide autrement à l'avenir, comme pourraient le suggérer certaines déclarations diffusées dans les derniers jours de décembre, sous le coup de l'émotion suscitée par la montée de la violence à Gaza.

La République islamique a déjà appelé à l'application de sanctions économiques et d'un embargo sur les fournitures d'énergie à l'encontre de l'État juif qui, contrairement à la Russie qui dispose de bien plus de ressources, s'en sortirait très probablement avec les os brisés. Et n'oublions pas que si les Houthis peuvent entraver la navigation sur Bab al-Mandeb, les Iraniens pourraient faire de même avec Ormuz, avec des effets encore plus dévastateurs sur l'approvisionnement énergétique mondial. C'est aussi pour cette raison que l'hypothèse, également diffusée, d'une attaque directe contre le Yémen, déchiré par un conflit civil qui a fait des centaines de milliers de victimes et dans lequel la complicité américaine, saoudienne et émiratie est bien connue, pourrait au mieux être considérée comme une provocation, étant donné qu'une telle sortie provoquerait, si l'on est optimiste, un conflit régional aux résultats imprévisibles.

Certains voient dans tout cela, et même dans les événements de Gaza, une stratégie américaine, soutenue par Israël, pour se débarrasser de l'Iran, mais même si un tel plan existait, il pourrait s'avérer être un boomerang pour certains des dirigeants politiques et stratégiques les plus diligents, souffrant d'un bellicisme agressif, qui vivent pour la plupart de l'autre côté de l'océan et qui, pour l'instant, sont éloignés des théâtres de conflit.

Si, comme nous le disions, la nation la plus pauvre et la plus dévastée de la péninsule arabique a été et/ou s'avère capable, malgré son histoire troublée et le peu de moyens dont elle dispose, de faire jouer autant d'équilibres, démontrant que lorsqu'on le veut - un message qui s'applique aussi à plusieurs dirigeants du monde arabe - les outils pour faire valoir ses propres raisons existent même contre les Américains, il y a lieu de se poser quelques questions et de douter.

A ce stade, face à tous les faits - y compris les défections, le danger d'escalade et la spirale de la guerre - tout en étant conscient du poids israélien dans la politique étrangère et intérieure américaine [10], d'autant plus dans la perspective de l'élection de novembre 2024 [11], on se demande combien de temps encore il sera possible (et concevable) de poursuivre certaines politiques en feignant d'ignorer l'ampleur des crimes perpétrés à Gaza au nom de prétendues raisons défensives ou sécuritaires auxquelles, en toute honnêteté, plus personne ou presque ne croit.

Et combien de temps encore le monde devra-t-il subir des conflits orchestrés au nom d'une prétendue supériorité et/ou volonté hégémonique, de plus en plus démenties par les faits, et qui ne trouvent d'autre justification que les intérêts des cercles étroits de pouvoir derrière des décisions insensées qui n'apportent que la mort, la faim et le désespoir ?

Pour ceux qui n'auraient pas compris, dans ce dernier passage, nous ne faisions pas seulement référence à Gaza, mais aux nombreux, trop nombreux, peuples sacrifiés au nom du "néant cosmique": la soif de pouvoir d'une toute petite élite, qui ne représente rien ni personne d'autre qu'elle-même.

SOURCES

new.thecradle.co/articles/how-yemen-is-blocking-us-hegemony-in-west-asia

www.limesonline.com/huthi-attacchi-governo-yemen-iran-gue...

fr.insideover.com/war/alert-for-the-cradles/how-yemen-is-blocking-us-hegemony-in-west-asia.html

fr.insideover.com/guerre/le-reveil-de-la-guerre-des-houthis-entre-israel-et-hamas-a-reactivé-la-milice-scientifique.html

www.aljazeera.com/news/2023/12/25/analysis-has-the-us-led...

new.thecradle.co/articles/how-yemen-changed-everything

www.globalresearch.ca/will-biden-forced-send-ground-troop...

www.analisidifesa.it/2024/01/nuove-tensioni-tra-mar-rosso...

www.agi.it/estero/news/2023-12-31/usa-colpiscono-houthi-i...

www.analisidifesa.it/2023/12/missione-navale-nel-mar-ross...

www.lindipendente.online/2023/11/19/yemen-houthi-sequestr...

www.globaltimes.cn/page/202401/1304591.shtml

www.lantidiplomatico.it/dettnews-un_piccolo_consuntivo_ge...

www.aljazeera.com/news/2024/1/1/us-sinks-houthi-boats-in-...

www.aljazeera.com/news/2023/12/27/analysis-in-the-red-sea...

www.limesonline.com/rubrica/crisi-stati-uniti-bilancio-fi...

www.limesonline.com/cartaceo/la-vera-posta-in-gioco-della...

www.lantidiplomatico.it/dettnews-yemen_la_straordinaria_l...

Notes

[1] www.ansa.it/sito/notizie/mondo/2023/12/19/chi-sono-gli-ho...

[2] www.limesonline.com/cartaceo/la-vera-posta-in-gioco-della...

[3] www.globaltimes.cn/page/202401/1304591.shtml

[4] podcasts.apple.com/fr/podcast/geopolitics-of-the-sea-interests-of-italy-china-states/id1537596607?i=1000550065085  (Géopolitique de la mer)

[5] www.lidentita.it/g7-a-presidenza-italiana-tajani-sente-bl...

[6] www.analisidifesa.it/2023/12/missione-navale-nel-mar-ross...

[7] www.globalresearch.ca/will-biden-forced-send-ground-troop...

[8] www.aljazeera.com/news/2023/12/27/analysis-in-the-red-sea...

[9] english.almayadeen.net/news/politics/us-concern-over-cost-of-intercepting-yemen-s-red-sea-attacks

[10] www.lantidiplomatico.it/dettnews-la_lobby_israeliana_e_gl...

[11] www.limesonline.com/rubrica/crisi-stati-uniti-bilancio-fi...

mardi, 09 janvier 2024

Un petit tour d'horizon géopolitique de l'année 2023

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Un petit tour d'horizon géopolitique de l'année 2023

Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/27144-reda...

Petite mise au point : tous ceux qui pensent que les guerres au Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Soudan), en Ukraine, dans le Caucase (Azerbaïdjan, Arménie et Géorgie) et au Moyen-Orient (Yémen, détroit de Bab al-Mandab, Syrie et Gaza) et que les fortes tensions en Moldavie, à la frontière biélorusse et polonaise, dans la Baltique et dans la péninsule scandinave sont des événements distincts, et que pour en parler il faut être un expert de chaque théâtre, connaître les coutumes, l'histoire, l'anthropologie des lieux, etc. D'autre part, ceux qui pensent que tous ces pays sont "victimes" d'une guerre par procuration titanesque menée par les grandes puissances (à savoir la Russie et la Chine d'un côté et les États-Unis de l'autre), où les peuples et les territoires sont sacrifiés à l'affaiblissement du front adverse, peuvent également poursuivre leur lecture. En d'autres termes, il s'agit d'un article écrit pour ceux qui croient que nous sommes confrontés à une "guerre mondiale en morceaux" (cit. J. M. Bergoglio), une concaténation de conflits qui cache comme dans un théâtre d'ombres (Tournement of Shadow) ce qui est le Grand Jeu des Puissances Mondiales... eh bien, ceux qui n'y croient pas devraient éviter de lire ce qui suit, merci.

* * * *

La guerre en Ukraine est sur le point de doubler sa deuxième année, et quoi qu'en disent certains, il n'y a pas de fin au conflit en vue.

Ne vous laissez pas abuser par la controverse au parlement américain sur les nouveaux financements: la guerre continuera parce que la défaite de l'Occident signifie la fin de l'empire et de l'hégémonie américains, d'une part, et le changement complet des élites en Europe puisque celles que nous avons sont complètement compromises, d'autre part. Elles se battront jusqu'au bout et tenteront par tous les moyens d'élargir le conflit en engageant la Russie sur d'autres fronts jusqu'à ce qu'elles l'affaiblissent et la déstabilisent (dans leurs intentions). Des événements comme ceux survenus hier à Belgorod (bombardement de civils avec des bombes à fragmentation) doivent être interprétés comme une provocation visant à pousser la Russie à s'engager plus avant dans le conflit. De même, le projet de réquisition des avoirs russes actuellement gelés en Occident doit être lu comme une provocation définitive par laquelle, de fait, l'Occident se déclare hostile à Moscou.

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Au Sahel (Burkina Faso, Mali, Niger, Soudan), nous assistons à des conflits de basse intensité (non moins sanglants et féroces pour autant) dans lesquels les Etats-Unis et leurs alliés se battent contre des factions pro-russes dirigées, de surcroît, par la société paramilitaire russe Wagner. Il est à noter que la Françafrique est désormais morte et que les Etats-Unis jouent directement et seuls contre les Russes et les Chinois. Le conflit en cours au Soudan est particulièrement violent: des loyalistes pro-russes (le gouvernement légitime avait promis un port militaire aux Russes dans la mer Rouge) se heurtent à des putschistes pro-occidentaux.

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À Gaza, une invasion israélienne féroce du territoire palestinien est mise en scène. En quelques mois, on dénombre plus de 25.000 morts civils palestiniens. Une guerre qui n'a aucune logique et aucun sens pour Israël puisqu'elle gèle pour des décennies l'hypothèse d'une réconciliation avec les pays arabes qui s'était ouverte grâce aux "Accords d'Abraham". Qui a donc intérêt à mettre le feu au Moyen-Orient ? Certainement les Etats-Unis, qui voient d'un très mauvais oeil l'entrée imminente de l'Iran et de son vieil allié saoudien dans les BRICS et donc dans l'orbite sino-russe. Les Israéliens agissent sur ordre américain, non seulement en commettant un carnage à Gaza, mais aussi avec perpétrant les bombardements continus qui frappent la Syrie et le Liban: l'objectif est de provoquer la réaction du Hezbollah et de l'Iran en mettant le feu au Moyen-Orient tout entier. C'est ma vision et je ne me trompe pas.

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La guerre qui a éclaté dans le détroit de Bab el-Mandab, qui relie l'océan Indien à la mer Rouge, est liée à la guerre de Gaza. Les rebelles chiites houthis du Yémen, alliés des Iraniens, bloquent le détroit en frappant les navires de commerce occidentaux. Les États-Unis préparent une coalition pour mener la guerre contre ce peuple vaillant.

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Cette année malheureuse a également été marquée par des combats dans le Caucase, avec un nouvel épisode de la guerre entre Azéris et Arméniens au sujet du Haut-Karabakh, qui dure depuis l'effondrement de l'Union soviétique. Une guerre qui est un véritable théâtre d'ombres avec mille puissances occultes impliquées: l'Iran, qui soutient les chrétiens arméniens contre les chiites azerbaïdjanais (oui c'est comme ça, les raisons de la politique n'ont pas de religion à suivre), les Russes, qui ont toujours soutenu l'Arménie mais se sont récemment rapprochés de l'Azerbaïdjan, les Turcs et les Israéliens qui prennent directement le parti de l'Azerbaïdjan, et enfin la France (qui compte une très forte communauté d'origine arménienne) et les Etats-Unis qui prennent le parti de l'Arménie (mais uniquement dans le but de détacher le pays de la CEI russe et du pacte de défense mutuelle). L'Inde, qui vend des armes à l'Arménie, fait désormais partie des acteurs en piste. Bref, une mosaïque très complexe où il est clair que les Etats-Unis ont intérêt à faire exploser tout le Caucase dans le but d'affaiblir/d'engager la Russie au Nord et l'Iran au Sud.

Comme vous le voyez, l'arc de crise part de l'Ukraine, traverse la mer Noire, touche le Caucase, descend dans l'EastMed et le Moyen-Orient, et atteint enfin le détroit de Bab el-Mandab, impliquant en outre l'ensemble du Sahel. C'est un énorme arc de crise, une véritable guerre mondiale, et le fait que cet arc soit "en morceaux" n'est qu'une illusion d'optique: les marionnettistes sont toujours les mêmes.

D'autres foyers de crise sont à noter dans cette guerre mondiale en morceaux :

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L'Occident arme puissamment la Moldavie dans le but non dissimulé de provoquer une nouvelle guerre contre la Russie en Transnistrie (où se trouve un contingent militaire russe mandaté par l'ONU).

Dans l'extrême nord de l'Europe, la Scandinavie assiste à l'entrée de la Finlande dans l'OTAN, et bientôt à celle de la Suède. Mais ce qui est peut-être encore plus important, ce sont les pactes militaires bilatéraux récemment signés entre les États-Unis, la Suède et la Finlande, en vertu desquels les États-Unis ont le droit, s'ils le souhaitent, d'utiliser des dizaines de bases militaires dans les deux pays, au point de pouvoir y installer des armes atomiques. Dans le cas de la Finlande, il s'agit de bases situées dans un rayon de 150 km autour de Saint-Pétersbourg, de Mourmansk et même du sanctuaire nucléaire russe de la mer Blanche (très proche de la base finlandaise de Rovaniemi, qui fait partie de celles mises à la disposition des États-Unis).

Enfin, le front nord de la Baltique avec la Pologne qui réarme et renforce de plus en plus son front à la frontière avec la Biélorussie et avec l'enclave russe de Prusse orientale (l'oblast de Kaliningrad). La situation n'est pas meilleure au Belarus, où les Russes ont installé des bases et apporté des ogives nucléaires, des missiles balistiques Iskander et des bombardiers Tu-22M.

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Petite note économique: en 2024, le corridor du gazoduc acheminant le gaz russe vers l'Europe via l'Ukraine sera fermé. L'une des sources d'énergie les plus importantes pour une Europe, de plus en plus pauvre et isolée, sera donc épuisée.

Nous vous souhaitons malgré tout une bonne année, une année de prise de conscience.

jeudi, 04 janvier 2024

Prosperity Guardian: une nouvelle guerre américaine

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Prosperity Guardian: une nouvelle guerre américaine

Source: https://www.piccolenote.it/mondo/prosperity-guardian-ennesima-guerra-usa

Prosperity Guardian ou comment recommencer à bombarder le Yémen. Bibi et l'obsession néoconservatrice de la guerre contre l'Iran.

Présentée comme une mission de vigilance, Prosperity Guardian est en fait le nom de la énième guerre ouverte par les Etats-Unis, la "nation la plus belliqueuse de l'histoire du monde", selon l'expression de l'ancien président Jimmy Carter. Oui, parce que penser défendre les navires transitant en mer Rouge des attaques des Houthis était et reste tout simplement irréaliste.

D'abord parce qu'il s'agirait d'organiser des convois au large de la mer Rouge, afin d'éviter la tâche impossible de défendre chacun des cargos qui se faufilent par le détroit de Bab el-Mandeb. Une tâche ardue car, comme le note le site de Transport Europe, elle nécessite "une formation spécifique des commandants" des navires civils, formation qu'ils n'ont pas.

Ce convoi, poursuit le site, devrait alors être protégé sur "250 milles nautiques (soit 463 kilomètres), ce qui correspond à la longueur de la côte yéménite contrôlée par les Houthis". En estimant une vitesse moyenne de 15 nœuds (environ 28 km/h) pour maintenir même les navires les plus lents en convoi, cela signifie que le convoi pourrait être exposé aux attaques yéménites pendant au moins seize heures".

Enfin, il convient de rappeler que les navires de guerre disposent de stocks limités de missiles d'interception et s'exposent au risque de saturation de leurs défenses par de multiples attaques simultanées, d'où la possibilité pour les assaillants de percer leur écran défensif.

De plus, une fois les stocks épuisés, il faut les réapprovisionner, une opération qui comporte des éléments critiques évidents: acheminer un cargo sur le site, c'est prendre le risque qu'il soit attaqué; le navire militaire en rupture de stock reste exposé aux attaques; ramener le navire au port pour le réarmer, c'est rendre moins efficace le bouclier de défense collective de la flotte, etc.

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Prosperity Guardian, bombardement du Yémen

En résumé, lorsque les États-Unis ont annoncé leur mission, ils n'avaient aucune idée de ce qu'il fallait faire ou ils savaient parfaitement que le seul moyen de la mettre en œuvre était de chasser les transporteurs houthis en bombardant le Yémen. Nous penchons pour la seconde hypothèse, plutôt un mélange des deux.

En effet, l'idée de bombarder le Yémen, outre les risques d'extension du conflit à l'Iran, dont les Houthis sont les alliés, signifie que la mer Rouge deviendra une zone de guerre qu'aucun navire marchand n'osera traverser.

Ainsi, une mission mise en place pour permettre aux cargos de naviguer librement dans cette partie de la mer la fermerait pendant des mois, voire des années. En effet, imaginer que les Houthis seraient facilement vaincus appartient au monde des rêves: ils résistent avec acharnement à la guerre que leur a déclenchée une coalition dirigée par l'Arabie saoudite avec le soutien indéfectible des Etats-Unis depuis sept ans (une guerre que Riyad veut terminer, à l'opposé de la folie belliqueuse de Washington).

De plus, le détroit serait fermé non seulement aux navires à destination du port israélien d'Eilat, cible des contre-opérations des Houthis, mais aussi aux navires à destination d'autres pays. Comme il s'agit d'un carrefour stratégique pour le commerce mondial, cela entraînera une hausse des prix de diverses marchandises, en premier lieu du pétrole (qui a déjà commencé à augmenter en raison des tensions actuelles, qui ont contraint les cargos à rallonger leurs itinéraires).

Inutile d'insister sur l'aspect moral de la mission de Prosperity Guardian. Les Houthis ont déclaré que leurs opérations visant à empêcher le transit des navires à destination des ports israéliens prendraient fin lorsque l'opération militaire de Tel-Aviv à Gaza prendrait fin elle aussi. La mission lancée par les États-Unis a donc pour conséquence directe de poursuivre le massacre dans la bande de Gaza, où l'on dénombre à ce jour plus de 22.000 morts, dont 70% de femmes et d'enfants.

Aux morts et à la dévastation de Gaza s'ajouteront donc les morts et la dévastation renouvelée du Yémen, déjà décimé par sept années d'une guerre qui a fait plus de 370.000 victimes, dont de nombreux enfants...

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La guerre contre l'Iran

Reste bien sûr le risque d'une extension du conflit à l'Iran - une véritable obsession pour Netanyahou et les néoconservateurs - qui a envoyé hier un de ses destroyers dans le détroit de Bab el-Mandeb. Une telle évolution aurait des conséquences catastrophiques, pour Téhéran bien sûr, mais aussi pour ceux qui la déclencheraient.

Israël serait dévasté et la machine de guerre américaine serait également mise à l'épreuve, au risque de perdre le conflit. L'Iran n'a pas l'armée de papier de Saddam et les Etats-Unis se retrouveraient à combattre sur un front aussi large que diversifié, de l'Irak au Liban. De plus, un tel conflit fermerait également le détroit d'Ormuz, avec des conséquences encore plus catastrophiques pour le commerce mondial.

Bien sûr, il reste toujours l'hypothèse où, acculé, Washington utiliserait la bombe atomique, mais même cette option comporte des risques: l'image des États-Unis serait brisée et le nuage radioactif hanterait tout le Moyen-Orient pendant des années. De plus, Téhéran a déjà envoyé des signaux d'une possible riposte contre la centrale atomique israélienne de Dimona...

Le risque qu'un tel élargissement se produise est très élevé. Il suffirait d'un redémarrage de l'incident du Tonkin (qui a déclenché l'intervention américaine au Viêt Nam) pour qu'il se produise. L'Iran étant si proche, il est très facile d'attribuer à Téhéran une attaque contre la flotte alliée. Ils l'ont déjà fait (Piccolenote), ils recommenceront.

Bref, cette mission comporte tellement d'inconnues tragiques que les pays qui l'ont rejointe sont bien moins nombreux que Washington ne l'espérait. Aucun pays arabe, à l'exception de l'obscur régime bahreïni. Et ceux qui l'ont rejointe l'ont fait avec tant de réticence (les Britanniques mis à part, car ils sont en train de succomber à leurs rêves de gloire fondés sur la renaissance de la mythique anglosphère).

En effet, les navires envoyés par la France et l'Italie rempliront leur mission en dehors du commandement central de la mission, tandis que le Canada, les Pays-Bas et la Norvège n'ont envoyé que des officiers et des militaires dans le centre en question.

Reste que si la bombe à retardement déclenchée par la mission explose, personne n'échappera aux conséquences. Si guerre il y a, elle aura un impact mondial. Prosperity Guardian, un nom vraiment surréaliste pour la troisième guerre mondiale.

Note complémentaire. Aujourd'hui, un attentat a été perpétré en Iran contre un rassemblement commémorant le quatrième anniversaire de l'assassinat du général Qassem Soleimani. À l'heure où nous écrivons ces lignes, plus d'une centaine de personnes sont mortes. On assiste également à un crescendo d'attaques contre des cibles civiles en Russie. Ils veulent une guerre globale. Il est urgent d'endiguer cette folie.

vendredi, 29 décembre 2023

Le décalogue britannique de la stratégie impériale

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Le décalogue britannique de la stratégie impériale

Par Horacio Ricciardelli (1944-2023), officier militaire de l'armée de l'air argentine

Source: https://jornalpurosangue.net/2023/12/25/o-decalogo-britanico-da-estrategia-imperial/

"Connaissez votre ennemi, connaissez-vous vous-même et vous serez invincible".

-Sun Tzu.

Avons-nous envoyé des anthropologues en Grande-Bretagne pour y étudier les indigènes comme ils le font pour nous ? Soyons humbles, ne tombons pas dans l'arrogance qui renforce l'ennemi. Reconnaissons combien nous avons à apprendre d'eux, de l'avantage qu'ils ont sur nous.

Nous avons dit que l'empire britannique était l'héritier de la puissance navale de Venise. L'oligarchie vénitienne ne s'est pas contentée de la Méditerranée et a réalisé le plus grand mouvement de capitaux de l'histoire, qui a permis la création de la plus grande flotte et, par conséquent, le plus grand investissement en capital à ce jour.

L'Intelligence Service vénitien (Conseil des Dix ou Consiglio dei X) fut le modèle sur lequel Sir James Walsingham fonda le Secret Service, l'actuel MI6, en 1580, tant dans son concept géopolitique que dans sa subversion interne, développée dans les guerres de religion d'Allemagne et en réponse à la Ligue de Cambrai de 1509; à cela s'ajoutent l'utilisation de l'Université de Padoue comme ressource de renseignement, la finance comme finalité économique, la doctrine vénitienne du libre-échange et le malthusianisme comme doctrine anticipée par Gianmaria Ortes.

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Même la capacité de charge de la planète est restée inchangée à ce jour, ni par le groupe de réflexion du Club de Rome, ni par sa conséquence, le plan de génocide planétaire: le National Security Study Memorandum 200, signé par le secrétaire d'État "Sir" Henry Kissinger, le Parlement sur le modèle du Grand Consiglio ou le rôle symbolique de la monarchie en tant que Doge non élu, tout cela et bien d'autres choses encore.

L'Empire britannique est l'héritier de Venise, à commencer par ses banquiers et son système de renseignement.

Nous sommes ignorants et devons faire face à une oligarchie impériale qui a des siècles d'expérience.

L'Empire britannique a hérité de Venise un "Décalogue d'action" qui est devenu la base et les principes de la stratégie impériale :

1) Diviser pour régner. Ne jamais attaquer sans provoquer au préalable une division interne chez l'ennemi. Régner en encourageant les faux choix et en dirigeant les deux parties du conflit. Créez et dirigez autant de camps que possible dans le conflit: "droite" et "gauche", militaires et "guérilleros" et, s'il y a beaucoup de Juifs, créez des organisations "nazies". Utilisez toutes sortes de cinquièmes colonnes pour toutes les tâches possibles.

2) Les marchés, pas les pays. Ce qui est important, c'est le pouvoir économique et financier. Tout pouvoir économique et financier finit par se transformer en pouvoir politique, culturel et militaire. Il ne faut pas qu'il y ait de nationalisme sur le marché, car sinon celui-ci pourrait être perdu.

3) Incitez à la victoire. Désinformez l'ennemi et, par l'intermédiaire de vos propres agents, incitez-le à attaquer lorsqu'il se trouve dans une situation stratégiquement désavantageuse.

4) La puissance ne se montre pas. A l'intérieur, il agit par l'intermédiaire des "indigènes" qui font le "sale boulot". A l'extérieur, elle agit par l'intermédiaire de "pays tiers" ou de natifs de ces pays. En cas d'échec, c'est l'"agent extérieur" qui est tenu pour responsable.

5) Soutenir l'ennemi faible contre l'ennemi fort. Maintenir une position isolée pendant que les deux s'anéantissent l'un l'autre. Si possible, faire la guerre par l'intermédiaire de tiers.

6) La guerre est la politique ultime. La meilleure politique consiste à affaiblir et à corrompre l'ennemi de l'intérieur. C'est la technique de la "tunique de Nessus". La guerre militaire doit être précédée d'une guerre politique.

7) Il n'y a pas d'amis ou d'ennemis permanents, seulement des intérêts permanents. Les loyautés religieuses ou idéologiques sont laissées au hasard. Le soutien est accordé à celui qui offre le plus de bénéfices. Si l'autre offre quelque chose de mieux, l'alliance est modifiée.

8) Celui qui contrôle la mer contrôle le commerce et celui qui contrôle le commerce contrôle le monde. Le centre du pouvoir ne doit pas rester sur la terre ferme, à l'intérieur du continent. Le pouvoir s'exerce depuis le port jusqu'à l'intérieur du continent.

9) L'important n'est pas de perdre des batailles, mais de gagner des guerres. Dans une stratégie totale, la puissance commerciale, financière, politique, religieuse, raciale et culturelle de l'empire tout entier est impliquée. Une bataille militaire n'est pas une guerre impériale totale.

10) Stratégie sans temps. Il n'y a pas de délais, seulement des objectifs. N'agissez pas tant que vous n'êtes pas certain de la victoire. Le but n'est pas de porter à l'ennemi un coup léger dont il se remettra rapidement, mais un coup sévère dont il ne se remettra jamais, à moins qu'il ne convienne à l'empire qu'il se relève pour l'utiliser contre un autre ennemi qui surgit.

"La guerre est la politique ultime".

- Général von Schlieffen.

Il s'agit d'un autre corollaire de Clausewitz, mais peut-être celui qui se rapproche le plus de Sun Tzu et de la tradition britannique. En fait, il faut le lire comme suit:

"La guerre (militaire) est la dernière des politiques (guerres)".

La guerre ne se réduit plus à un acte de force. Elle est précédée d'une série de politiques perfides qui permettent de connaître l'ennemi, de le désorienter, de le manipuler, de le diviser, de l'affaiblir, de l'isoler de ses amis, de le laisser entouré d'ennemis et, le cas échéant, d'employer le poison de l'agent ou le poignard de l'assassin. Ne voyons pas la "Perfide Albion" comme un noble guerrier du Moyen-Âge, mais comme un courtisan de la Renaissance qui n'hésite pas à utiliser le mensonge, l'intrigue, le poison ou les talons aiguilles. Des éléments qui ont été élevés au rang d'art et qui ont causé la ruine de nombreux royaumes.

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La géopolitique de la guerre entre les Yéménites et Israël

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La géopolitique de la guerre entre les Yéménites et Israël

Par Raphael Machado

Source: https://jornalpurosangue.net/2023/11/26/a-geopolitica-da-guerra-entre-os-iemenitas-e-israel/

Alors que la Résistance palestinienne mène une guérilla urbaine classique contre Tsahal et que le Hezbollah mène des actions de diversion dans le nord d'Israël dans le but de coincer les forces israéliennes et de les épuiser, l'Ansarullah yéménite (populairement connu sous le nom de "Houthis") devrait être considéré comme la force de l'Axe de la Résistance qui a porté les coups les plus mortels à l'État sioniste.

Et ce n'est pas à cause des missiles sporadiques tirés par les Yéménites en direction d'Israël, mais à cause de la capture de trois cargos et de l'attaque par drone d'un autre cargo, toutes ces opérations ayant été menées en profitant de Bab-el-Mandeb, la Porte des Larmes, l'un des points les plus importants pour le commerce mondial.

En ce sens, on peut dire qu'Ansarullah comprend la géopolitique classique.

Alfred Mahan, officier de marine américain considéré comme le père de la géopolitique thalassocratique [1], considérait que pour qu'une nation accède au statut d'hégémonie, elle devait contrôler les voies maritimes et les flux qui les empruntent.

À l'instar de tout thalassocrate typique, qui considère le commerce comme le centre de la politique, Mahan estime que la fonction des forces armées est de servir la projection économique et commerciale de l'État dans sa quête pour gravir les échelons de la puissance mondiale.

Considérant les mers comme des "biens communs", il affirme le caractère stratégique du contrôle des points d'étranglement par le biais de bases navales et d'une grande marine en activité constante afin de "privatiser" les mers en contrôlant les routes commerciales et les lignes de communication.

Ces "points d'étranglement" en question seraient les détroits, les canaux et les câbles sous-marins partout dans le monde.

La liste varie, mais la plupart considèrent qu'il existe huit points d'étranglement primaires (Panama, Suez, Gibraltar, Ormuz, Malacca, Bosphore/Dardanelles, Bonne Espérance et Bab-el-Mandeb) et sept secondaires (Tartarie, Bering, Douvres/Pas-de-Calais, Horn/Magellan, Corée, Skagerrak, Torres).

Bab-el-Mandeb, juridiquement sous le contrôle du Yémen et de Djibouti, est le détroit qui relie la mer Rouge à l'océan Indien et représente le principal lien maritime entre la Méditerranée (et donc l'Europe) et l'Asie. Le détroit n'a acquis ce statut qu'après l'ouverture du canal de Suez au 19ème siècle, il est donc impossible de dissocier Suez de Bab-el-Mandeb. Les problèmes qui se posent à une extrémité de la mer Rouge affectent considérablement les flux à l'autre extrémité.

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Cinquante millions de tonnes de produits agricoles et près de deux milliards de barils de pétrole passent chaque année par la Porte des Larmes, ce qui représente environ 10% de l'ensemble du commerce maritime de pétrole et de produits pétroliers. La région est également importante pour le commerce du gaz naturel liquéfié (GNL), puisque 10% du commerce mondial de ce produit y transite. L'importance du détroit pour le GNL aurait d'ailleurs tendance à s'accroître en raison de la guerre d'Ukraine.

Mais si Bab-el-Mandeb est important pour la Chine, il l'est encore plus pour Israël.

98% du commerce international israélien, qu'il s'agisse d'exportations ou d'importations, se fait par voie maritime. Bien qu'Israël dispose d'un port directement sur la mer Rouge, à Eilat, celui-ci est peu utilisé car il est éloigné du centre du pays et n'est pas relié au reste d'Israël par le rail. La majeure partie du commerce asiatique d'Israël passe encore et toujours par le canal de Suez.

Et ce n'est pas anodin, puisqu'environ 30% du commerce international d'Israël concerne les pays asiatiques et que la totalité de ce commerce passe par Bab-el-Mandeb.

Israël était déjà conscient de ces risques. C'est pourquoi les accords d'Abraham prévoyaient une coopération militaire entre Israël et les Émirats arabes unis (EAU) afin de garantir à Israël la possibilité de construire des bases militaires en mer Rouge ou d'utiliser la base navale d'Assab, utilisée par le pays arabe lors de l'intervention militaire contre le Yémen. Les EAU, rappelons-le, sont un ennemi de l'Iran, plus encore que l'Arabie saoudite, et sont également le pays arabe qui s'est le moins bien exprimé en faveur de la Palestine dans le conflit actuel.

Le cargo attaqué le 19 novembre, le Galaxy Leader, appartenait à Ray Shipping, spécialisé dans le transport de voitures. Ray Shipping appartient à Abraham Ungar, 22ème homme le plus riche d'Israël.

Le navire attaqué par drone le 24 novembre et celui capturé tout récemment appartenaient à des membres de la famille Ofer. Le premier appartient à Eastern Pacific Shipping d'Eyal Ofer et le second à Zodiac Maritime d'Idan Ofer. Eyal Ofer est le troisième homme le plus riche d'Israël ; Idan est le neuvième.

L'attaque du 25 novembre a consisté en la capture d'un navire de l'entreprise Zim, qui appartient également à la famille Ofer.

En d'autres termes, les cibles d'Ansarullah sont le commerce israélien et les moyens de subsistance des milliardaires israéliens. Avec la capture de trois navires, les prix des assurances vont monter en flèche, en particulier pour les navires israéliens.

Israël, pour sa part, devra contourner l'Afrique pour atteindre les marchés asiatiques et en recevoir ses importations.

Ajouté aux autres coûts et pertes de la guerre, combien de temps l'économie israélienne pourra-t-elle supporter ces pertes ?

Note :

[1] puissance basée sur le contrôle des mers et des routes commerciales navigables.

mercredi, 27 décembre 2023

La doctrine Brzezinski et les (vraies) origines de la guerre russo-ukrainienne

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La doctrine Brzezinski et les (vraies) origines de la guerre russo-ukrainienne

Francesco Santoianni interviewe Salvatore Minolfi

Source: https://www.sinistrainrete.info/geopolitica/27012-salvatore-minolfi-la-dottrina-brzezinski-e-le-vere-origini-della-guerra-russo-ucraina.html

Publié par l'Institut italien d'études philosophiques, le livre de Salvatore Minolfi intitulé "Les origines de la guerre russo-ukrainienne" a été présenté au cours d'une soirée très animée qui s'est transformée en une assemblée passionnée (avec les interventions de de Magistris, Santoro, Basile...).

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Un livre également basé sur des documents diplomatiques, rendus publics cette année par Wikileaks, qui montrent comment la guerre, loin d'être née des "visées impériales de Poutine" (comme l'affichent les grands médias et certaines "belles âmes" de la "gauche") est la conséquence inévitable, tout d'abord, d'un encerclement de la Russie, visant à s'emparer de ses ressources, et ensuite, de la nécessité de soumettre une Union européenne "coupable" de commercer avec des partenaires hostiles aux États-Unis.

Nous avons discuté de tout cela et de bien d'autres choses encore avec l'auteur du livre.

* * * *

Peu avant ce fatidique 24 février 2022, face à la prolongation (elle était censée se terminer le 20 février) de l'exercice militaire conjoint Russie-Belarus à la frontière avec l'Ukraine, d'une part la CIA et certains organes de presse donnaient l'impression qu'une invasion russe était imminente, tandis que d'autre part le gouvernement de Kiev et une partie du gouvernement américain démentaient cette hypothèse. Pourquoi cette situation étrange ?

Les reconstructions les plus diverses et les plus contradictoires circulent sur les circonstances dans lesquelles l'invasion russe de l'Ukraine prend forme. À celles-ci s'ajoutent toujours de nouvelles révélations sur la présence et l'importance des groupes militaires étrangers en Ukraine depuis le début de la guerre, voire avant. En réalité, dans l'état actuel des connaissances, les éléments manquent pour reconstituer de manière documentée et fiable le contexte dans lequel le conflit a officiellement éclaté.

En outre, aucun des protagonistes en présence ne peut être caractérisé de manière claire et univoque, tant les différences de perception et d'approche ont traversé les différents acteurs impliqués: pensez notamment au président Zelensky qui, entre mai 2019 (année de son élection) et février 2022, a complètement inversé ses positions et ses orientations sur la question des relations avec la Russie et sur l'avenir de la région du Donbass.

Néanmoins, il est tout à fait clair que le chemin de la guerre commence en février 2021 (donc un an plus tôt), avec l'arrestation de représentants de l'opposition à Kiev, la fermeture de chaînes de télévision antigouvernementales et un rétrécissement général des marges de manoeuvre politique en Ukraine. Pendant ce temps, l'administration Biden nouvellement élue ne cache pas sa volonté d'accorder une place centrale à son orientation anti-russe: de manière irritante et sans précédent dans l'histoire diplomatique, Biden, au cours d'une interview, qualifie Poutine de "tueur". Cela ne s'était jamais produit, même dans les phases les plus aiguës de la guerre froide. Quelques jours plus tard, toujours en mars 2021, cinq mois avant le retrait chaotique d'Afghanistan, le président américain installe à la tête de la CIA William Burns, ancien diplomate de carrière, ancien ambassadeur en Russie et profond connaisseur de la langue et de la politique russes: un choix plutôt curieux pour une superpuissance qui a décidé de se libérer de son engagement de vingt ans dans la "Global War on Terror" au Moyen-Orient, pour se concentrer sur la priorité stratégique assignée à la confrontation avec la Chine dans le Pacifique occidental.

C'est en lien avec ces signaux sans équivoque que l'initiative russe de "diplomatie coercitive" se déploie, avec le début des exercices militaires et le regroupement des troupes aux frontières de l'Ukraine. Une décision qui ne mène nulle part: Moscou accumule une longue série de refus et de réticences ostentatoires au dialogue et à la négociation. Face à la proposition de traité, Antony Blinken répond publiquement et sèchement: "Il n'y a pas de changement, il n'y aura pas de changement". C'est comme si on claquait la porte au nez de Poutine.

 Enfin, c'est précisément dans ce contexte qu'entre le 18 et le 20 février 2022 - c'est-à-dire quelques jours avant le début de la soi-disant "opération militaire spéciale" - les violations du cessez-le-feu sur la ligne frontalière délimitant le territoire des séparatistes passent d'environ 60 à environ 2000 incidents par jour.

À cet égard, les rapports de la "mission spéciale de surveillance en Ukraine" de l'OSCE sont clairs et sans équivoque : les violations du cessez-le-feu commencent du côté ukrainien de la ligne de démarcation. Nous ne savons pas si Zelensky en était conscient ou non, mais ses commandants sur le terrain étaient à l'origine de l'escalade.

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Depuis quand l'Ukraine a-t-elle été choisie par les États-Unis comme bélier contre la Russie ?

L'idée d'inclure l'Ukraine dans le projet d'élargissement de l'OTAN a fait surface à plusieurs reprises au cours de la seconde moitié des années 1990, mais n'a jamais été explicitement formulée. Dans l'étude la plus importante et la mieux documentée sur le sujet (le livre de Mary Elise Sarotte Not One Inch), il est indiqué qu'à l'époque, la simple idée d'accorder des garanties au titre de l'article 5 à la plus grande ancienne république soviétique faisait pâlir même les plus fervents partisans de la politique d'élargissement. Par conséquent, pendant toute la décennie, rien n'a été fait (à l'exception de la "Charte de partenariat spécifique entre l'OTAN et l'Ukraine" de 1997).

C'est entre 2003 et 2004 que deux événements importants se produisent. Le premier est que l'Ukraine décide de rejoindre la "Nouvelle Europe", ce groupe de pays d'Europe centrale et orientale qui participent à l'invasion américaine de l'Irak par le biais de la "Coalition des volontaires", alors que la France et l'Allemagne expriment publiquement leur opposition, ce qui entraîne une fracture politique sans précédent dans l'histoire de l'Alliance atlantique.   

L'année suivante, alors qu'un nouveau cycle d'élargissement de l'OTAN a lieu (avec l'entrée de quatre autres pays de l'ancien Pacte de Varsovie et des trois anciennes républiques soviétiques d'Estonie, de Lettonie et de Lituanie), la "révolution orange" commence en Ukraine, qui amène au gouvernement de Kiev des forces politiques désireuses d'abandonner la neutralité du pays et de le pousser vers une relation organique avec l'Occident (Union européenne et OTAN). La France et l'Allemagne y restent fortement hostiles, si bien que lorsqu'en avril 2008, lors du sommet atlantique de Bucarest, les États-Unis forcent le trait et demandent officiellement le lancement d'un "plan d'action pour l'adhésion" de l'Ukraine et de la Géorgie, ce sont précisément ces deux pays de la "Vieille Europe" qui opposent leur veto. Mais l'omelette est maintenant faite. La nouvelle Russie de Poutine, alarmée, réagit sur le ton et, à la première crise, quelques mois plus tard, utilise la force militaire dans une brève guerre contre la Géorgie.

Alors que la perspective atlantique entre dans une longue phase d'impasse, c'est l'Europe qui prend l'initiative en élaborant un "accord d'association" avec l'Ukraine, conçu toutefois comme une alternative à l'entrée effective du pays dans l'Union européenne (pour laquelle, comme dans le cas de l'OTAN, il n'y a pas le consensus nécessaire). Le problème est que - bien que ne laissant pas entrevoir la perspective d'une adhésion - le projet d'accord est conçu (par le Polonais Radek Sikorski et le Suédois Carl Bildt) dans des termes si précis, détaillés et contraignants sur le plan juridique qu'il constitue un obstacle efficace à toute poursuite des relations économiques et politiques normales que l'Ukraine entretient avec la Russie, qui, à son tour, aspire à impliquer Kiev dans son projet naissant d'Union économique eurasienne. L'Ukraine - un pays notoirement composite sur le plan démographique, ethnoculturel et sociopolitique - est déraisonnablement placée devant un carrefour, un aut aut aut, destiné à générer des lézardes sociales prévisibles. Les négociations se poursuivent pendant des années, mais lorsque, à l'échéance convenue, Ianoukovitch refuse de signer, des manifestations de rue déclenchent une période de troubles qui dure environ trois mois et culmine d'abord dans un massacre obscur, puis dans un coup d'État qui destitue le président.

La Russie réagit en annexant la Crimée, tandis que des mouvements sécessionnistes mobilisent les régions orientales du pays. En quelques semaines, l'Ukraine bascule dans une guerre civile que les nouveaux dirigeants de Kiev ne veulent même pas reconnaître comme telle, préférant traiter les insurgés de "terroristes". Entre hauts et bas, la guerre civile dure huit ans et fait des milliers de victimes. C'est au cours de ces années que Washington, pour contourner les réserves et les mises en garde de ses principaux partenaires européens et atlantiques, construit une relation directe avec Kiev et s'engage dans une restructuration radicale des forces armées ukrainiennes.

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Selon certains commentateurs, Poutine, jusqu'au 17 décembre 2021 (date à laquelle il a remis aux Etats-Unis et à l'OTAN le projet d'"Accord sur les mesures visant à assurer la sécurité de la Fédération de Russie et des Etats membres de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord") a très peu défendu les accords de Minsk et l'autonomie des populations du Donbass qui en découle, comme s'il attendait le moment opportun pour une guerre. Quel est votre avis ?

Le fait qu'au cours de huit années de guerre civile, Poutine n'ait jamais reconnu officiellement l'indépendance des républiques autoproclamées du Donbass, et encore moins proposé de les annexer (à un stade où l'opération aurait été relativement facile), est un élément qui nuit à la thèse de l'existence d'un projet impérialiste et annexionniste russe dès le début de la crise. Le problème est que la solution préfigurée par les accords de Minsk nécessitait le consentement actif du gouvernement de Kiev, sur lequel reposait la charge de la mise en œuvre effective des engagements signés: une réforme constitutionnelle qui reconnaîtrait des marges d'autonomie à la région du Donbass ne pouvait certainement pas se faire à Moscou. Cette tâche incombait au gouvernement ukrainien. Aujourd'hui, nous savons - grâce aux "aveux" publics tardifs de Porochenko, Merkel et Hollande - que les accords de Minsk n'ont été signés que dans l'intention de gagner du temps et de donner à l'Ukraine la possibilité de se renforcer militairement. En bref, l'activité de médiation des Européens a été parallèle et complémentaire à celle menée par les États-Unis dans la restructuration de l'armée ukrainienne.

Le rôle de l'Allemagne dans le conflit entre l'Ukraine et la Russie a-t-il changé ces dernières années ?

Indépendamment de l'issue finale de la guerre - qu'aucun d'entre nous ne peut anticiper - nous pouvons déjà dire avec certitude que l'Allemagne est la grande perdante. La manière dont la réunification allemande a été réalisée après la fin de la guerre froide a impliqué une nouvelle confirmation de la subalternité de l'Allemagne face au leadership américain et le renoncement à tout rôle autonome pour l'Union européenne. Dans ce cadre, l'élaboration de l'intérêt national allemand s'est poursuivie sur le seul plan de la suprématie économique, avec la conviction que le succès industriel et commercial serait toujours perçu comme stratégiquement "neutre" et donc toléré.

Les choses se sont passées différemment. La construction d'une industrie puissante, accumulant depuis vingt ans d'énormes excédents commerciaux, s'est d'abord faite au détriment de ses partenaires européens, auxquels a été imposée une politique d'austérité et de déflation salariale, indispensable au maintien des avantages comparatifs d'une puissance exportatrice, mais désastreuse pour le développement interne des pays de l'Union. En outre, dans la construction du modèle allemand, la relation avec Moscou devient essentielle, car l'énorme dotation énergétique de la Russie lui permet d'alimenter le développement de l'Allemagne à un coût extrêmement bas. Jusqu'à un certain moment, le gaz russe arrivait en Allemagne par les gazoducs polonais et ukrainiens. Puis la relation russo-allemande est devenue si essentielle qu'elle a incité le gouvernement de Berlin à planifier la construction de Nord Stream. Il ne s'agissait pas seulement d'augmenter la quantité de gaz importé: en contournant la Pologne et l'Ukraine, l'Allemagne a tenté de préserver la relation russo-allemande de l'influence que des juridictions politiques à tendance anti-russe (mais aussi anti-allemande) auraient pu exercer sur le transit des ressources énergétiques. Le projet "Nord Stream" a été présenté comme un modèle de "désintermédiation", capable de préserver la relation bilatérale entre Berlin et Moscou, en la mettant à l'abri des dynamiques et des tensions géopolitiques au sein de l'espace atlantique. Et de manière symptomatique, lorsqu'il est lancé, le ministre polonais des affaires étrangères, Radek Sikorski, le qualifie de nouveau "pacte Molotov-Ribbentrop".

Faisons une pause et essayons de réfléchir à l'énormité de cette accusation: nous sommes en avril 2006, la Pologne est entrée dans l'Union européenne deux ans plus tôt (alors qu'elle fait partie de l'OTAN depuis 1999) avec un PIB sensiblement similaire à celui de la Grèce; et que fait-elle? Elle prend de front la puissance dominante de l'Europe qui vient de l'accueillir, tournant en dérision la rhétorique dominante de l'Union, celle qui la présente comme un jardin kantien ayant laissé derrière lui des siècles de "politique de puissance". Il n'y a qu'une seule façon d'expliquer cette énigme: la voix de Sikorski est la voix de Washington. A tel point qu'à ceux qui lui reprochent d'être le cheval de Troie des Etats-Unis dans l'Union européenne, il rétorque que l'Allemagne est celui de la Russie. L'absence de réponses institutionnelles adéquates - ou même allemandes - face à l'énormité des accusations est la preuve qu'en 2006 déjà, l'UE est un champ de bataille dans lequel les Américains entrent et sortent à leur guise. L'UE en tant que sujet stratégique s'avère tout simplement inexistante.

Malgré l'avertissement, l'Allemagne ferme les yeux. Elle se tait, encaisse et poursuit ses activités, toujours convaincue que la commercialisation de la politique étrangère l'immunise contre la concurrence stratégique naissante. La tempête se prépare, mais les Allemands ne la remarquent même pas. En effet, que fait l'Allemagne après l'éclatement de l'Euromaïdan? Après le coup d'État à Kiev? Après l'annexion de la Crimée par la Russie? Après le lancement des sanctions occidentales contre la Russie? Elle double la mise! Elle conçoit et lance le "Nord Stream II". L'aveu supposé de Mme Merkel à la fin de 2022 n'est qu'une fiction douloureuse et insoutenable.

Pourquoi les États-Unis décident-ils de punir l'Allemagne? Parce qu'en plus de faire des affaires avec la Russie de Poutine - un pays qui, en pleine ère unipolaire, entend préserver son indépendance stratégique - l'Allemagne entame une relation industrielle et commerciale lucrative et prometteuse avec la Chine: sous les yeux des stratèges de Washington se déroule le cauchemar mackinderien d'une Eurasie puissante, riche, interconnectée et essentiellement autonome, qui, à terme, pourrait également s'émanciper du pouvoir thalassocratique des États-Unis.

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Que se passerait-il en effet si, à long terme, les nouveaux investissements dans les infrastructures et les nouveaux systèmes de transport ferroviaire le long de trois axes de développement différents à travers l'Eurasie marginalisaient les routes maritimes empruntées historiquement par les flottes océaniques de Washington? Mais si les choses prennent vraiment cette tournure, les États-Unis pourront-ils jamais rester les bras croisés et contempler l'affaiblissement progressif de leur puissance? C'est tout simplement impensable. Mais pour réagir, il leur faut construire un récit capable de légitimer le retour d'une guerre en Europe, capable de rompre à nouveau la continuité du supercontinent. Et que font-ils? Ils rétablissent l'image historiographiquement forte d'une Europe de l'Est victime géopolitique de la relation privilégiée entre les deux géants (russe et allemand), avec tout ce que les souvenirs du 20ème siècle ont signifié. Bref, pour simplifier : la " Nouvelle Europe " (inventée par Rumsfeld) peut compter sur les Etats-Unis pour vaincre le nouveau " Pacte Molotov-Ribbentrop ".

Dans quelle mesure la doctrine Brzezinski a-t-elle orienté la politique américaine à l'égard de l'Ukraine ?

Il y a deux voies parallèles. Brzezinski est le penseur géopolitique le plus conscient et le plus continu de l'histoire américaine après l'expérience du Vietnam. Son chemin croise, sans jamais s'estomper, le développement d'une nouvelle génération qui - après la fin de la guerre froide - est réellement convaincue du fait qu'une discontinuité d'époque est en train de se produire dans l'histoire du monde, de nature à permettre une redéfinition du rôle américain dans le monde dans une clé pacifiste-impériale. La distance entre les Etats-Unis et les autres puissances est désormais telle que beaucoup sont convaincus de la possibilité de l'avènement d'un véritable empire mondial, dans lequel, en échange de la paix, tous les pays, même les plus puissants, renonceront à la compétition stratégique, confiant aux Etats-Unis la protection de l'ordre mondial. Brzezinski ne se laisse jamais contaminer par de tels fantasmes millénaristes. Il veut la même chose, mais sait que cela ne peut être que le résultat d'un patient tissage stratégique.

Puisque la Chine est encore un inoffensif pays en développement dans les années 1990, la seule tâche des Américains est d'effacer à jamais l'indépendance stratégique de la Russie post-soviétique: une tâche tout à fait à leur portée, étant donné la quasi-désintégration du pays au cours des années Eltsine. A cette désintégration virtuelle (un "trou noir", selon ses termes), Brzezinski sait qu'il a apporté une contribution mémorable, avec la construction du piège afghan. Mais le personnage est d'origine polonaise et l'hostilité anti-russe est tellement inextinguible qu'elle est teintée d'aventures métaphysiques. L'obsession de Brzezinsky pour l'Ukraine (dans "Le grand échiquier", il la mentionne 112 fois) est liée à cette tâche : sans l'Ukraine, l'empire russe n'existe plus, pas même à un niveau potentiel.

Un chapitre de votre livre s'intitule "Fission : logique de l'État et logique du capital". Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

La guerre russo-ukrainienne a, comme on pouvait s'y attendre, suscité un débat très amer, même dans de larges pans des cultures politiques anti-impérialistes. Par souci de concision - et au risque de simplifier à l'extrême - nous pouvons dire que la Russie de Poutine a cherché et obtenu, au cours de ses premières années de gouvernement, une forte intégration dans la structure internationale du système capitaliste et, en particulier, dans les réseaux de la finance mondiale. D'autre part, c'est précisément ce nouvel élément qui rend intenable la simple reproduction du schéma analytique de la guerre froide. À partir de cette nouvelle réalité, beaucoup ont été amenés à interpréter l'invasion russe de l'Ukraine comme une agression impérialiste, marquée par les caractéristiques particulières du capitalisme politique de la Russie de Poutine. Le cycle d'accumulation capitaliste qui s'est déroulé, en gros, au cours de la première décennie du système Poutine, aurait généré un surplus de capital dont la valorisation nécessitait son exportation vers des zones d'investissement, telles que l'Ukraine, inaccessibles sans le concours du pouvoir d'État, puisqu'elles étaient simultanément exposées à la concurrence d'un puissant capitalisme libéral transnational et à la résistance des classes moyennes professionnelles qui tendaient à être libérales et vouées à l'intégration avec l'Occident.

Dans ce cadre, l'Ukraine - en plus d'être l'otage d'une oligarchie interne de rentiers - deviendrait une victime de la concurrence entre deux capitalismes extérieurs, le libéral transnational et le politique de la Russie de Poutine.

Malgré ses mérites incontestables, ce débat s'est empêtré dans les contradictions non résolues générées par la confrontation avec la réalité et ses développements: tout d'abord, sur la nature du bonapartisme russe, sur les caractères et les marges réelles de son autonomie relative par rapport à la structure sociale qui l'a généré. Qui est Poutine? D'où vient son pouvoir? De quelle logique est-il le garant? Le début de la crise - c'est-à-dire l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 - a entraîné une perte importante de capitaux et de marchés d'exportation, ainsi que d'investissements à l'étranger, une réduction de la coopération avec les sociétés transnationales et des sanctions personnelles à l'encontre de nombreux représentants de premier plan du capital russe. Huit ans plus tard, la guerre de 2022 a aggravé cette situation à un degré inimaginable. Bref, dans la "lecture anti-impérialiste", nous sommes censés mettre en œuvre un système de pouvoir qui, pour s'affirmer, doit briser le bloc social sur lequel il repose et scier la branche sur laquelle il est assis. Je pense que c'est un peu exagéré. Nous avons des faits, mais pas encore de théorie qui puisse les expliquer. Sinon (et raisonnablement), que pouvons-nous en déduire, du moins pour l'instant? Le défi géopolitique lancé en Ukraine indique que, lorsqu'il est confronté à un carrefour, le Kremlin fait passer la logique de l'État et sa rationalité stratégique avant celle du grand capital, du moins pour le moment: une réalité qui ne cadre pas bien avec la thèse selon laquelle la puissance de l'État russe n'est pas une fin en soi, mais un moyen de gérer le capitalisme russe post-soviétique et de l'intégrer dans le système capitaliste mondial.

Aujourd'hui, nous ne savons toujours pas comment résoudre l'énigme de la séparation entre la logique de l'État et la logique du capital. En fait, nous ne savons même pas si l'unité du système capitaliste mondial sortira intacte de la crise que nous traversons actuellement. Si elle venait à s'effondrer, nombre de nos catégories d'analyse deviendraient soudain inutilisables. Quel sens aurait, par exemple, la distinction entre capitalisme politique et capitalisme libéral, si le marché mondial était fracturé selon des lignes géopolitiques et stratégiques?

Aujourd'hui, les États-Unis, considérant l'impossibilité de gagner la guerre contre la Russie, disent qu'ils s'orientent vers un "conflit gelé", à utiliser comme carte de négociation. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Je ne suis tout simplement pas en mesure d'anticiper quoi que ce soit. En principe, une solution de type coréen ne serait pas exclue. Cependant, je ne pense pas qu'elle soit probable. La guerre de Corée s'est achevée sur le 38ème parallèle alors que le "nouveau" système international s'était consolidé dans les caractères et la structure qu'il allait conserver pendant une quarantaine d'années. En ce sens, la guerre froide était une structure d'ordre, plutôt qu'un conflit permanent (dans l'oxymore, "froid" pèse plus lourd que "guerre"). Mais aujourd'hui, nous sommes dans les premières étapes de la décomposition d'un ordre. Nous sommes dans une phase de "mouvement", même si la "guerre d'usure" prévaut sur le champ de bataille. Et l'Occident a trop investi de son argent, de son capital symbolique et de sa crédibilité pour accepter ce qui s'annonce - sans parler de l'impasse ! - comme une défaite humiliante. J'espère sincèrement me tromper. Mais ce sont ces considérations qui me rendent sombrement pessimiste.

mardi, 26 décembre 2023

A propos du livre Plus ultra: Géopolitique atlantique espagnole

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A propos du livre Plus ultra: Géopolitique atlantique espagnole

(Ediciones Ratzel, 2023).

Entretien avec l'auteur Carlos X. Blanco

Pourquoi un livre sur la géopolitique nationale dans un pays comme l'Espagne d'aujourd'hui, qui n'a pas de géopolitique propre ?

L'Espagne est une nation en faillite depuis que son empire s'est effondré et que des puissances étrangères ont imposé une dynastie tout aussi étrangère au début du XVIIIe siècle. Avec les Bourbons, au cours de ce même XVIIIe siècle, il y a eu une récupération de l'Empire et nous avons même atteint un maximum territorial, mais sous la nécessaire subordination à la France. Depuis la guerre de succession, nous étions, pour ainsi dire, la franchise d'un Empire et non un Imperium proprement dit. Le reste de notre histoire a été un désastre. L'invasion napoléonienne aurait pu être un vrai début "nationaliste": le peuple de toute l'Espagne a pris conscience de lui-même et pour lui-même en 1808, et s'est battu pour la souveraineté contre ses propres élites, toujours traîtresses. Mais l'indépendance acquise a coûté très cher. Les oligarchies, qu'elles aient été francisées ou anglophiles, par le biais de la franc-maçonnerie, ont bien compris que les dépouilles de l'Empire devaient être vendues à l'étranger, comme des reliques que l'on solde au marché aux puces. Le peuple espagnol n'a pas réussi à former une nation espagnole. La nation historique n'a pas fonctionné comme nation politique, et le modèle libéral ou francisé ne pouvait que supprimer la nation historique elle-même, en éliminant même sa base, le peuple. Le même peuple s'est soulevé dans les Asturies en 1808, comme l'avait fait auparavant Pelayo en 718, un soulèvement qui a conduit les Madrilènes à se soulever immédiatement en suivant l'exemple de la Junte souveraine de la Principauté; ce peuple est mort dans les guerres dites "carlistes", véritables tentatives de résistance populaire. Depuis longtemps, nous n'avons plus de souveraineté. Les oligarchies nous ont vendus à bas prix aux Français, aux Anglais et aux Yankees. Et ce, pour toutes les étapes de notre histoire: la guerre illégale de 1898 et la trahison du Tribunal de Madrid, les manœuvres des puissances en 1936, l'attentat contre Carrero Blanco, l'invasion du Sahara "arrangée" par Juan Carlos, 23-F, les bombes d'Atocha, le coup d'Etat de Puigdemont... tous ces épisodes révèlent la désactivation progressive de la souveraineté nationale de l'Espagne. Face à ce "vol" de la Nation et du Peuple lui-même (le Peuple espagnol cesse d'exister), j'ai voulu écrire un livre qui rappelle les possibilités objectives de l'Espagne en tant que puissance géopolitique, potentiel donné par sa propre histoire et sa propre géographie. Mais ce potentiel ne peut être réalisé que s'il y a un changement énergique de mentalité, de régime et d'économie.

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L'élite politique et dirigeante, ainsi que les milieux intellectuels, sont-ils conscients de l'importance de la géopolitique ?

Comme je l'ai déjà dit, notre élite politique et dirigeante est, depuis des temps immémoriaux, et pour faire une généralisation qui peut être injuste dans certains cas, elle est une bande de voleurs et d'indolents. Ils ont gagné leur propre statut en collaborant avec nos "partenaires et amis". Lorsque vous entendez un politicien, un économiste, un diplomate, un homme d'affaires, etc. parler de "partenaires et alliés", vous pensez tout de suite au Maroc, à la France, à l'Angleterre, aux États-Unis, à l'"Europe" (U.E.), etc. Nous devons alors faire une traduction immédiate: ce sont là les ennemis objectifs de l'Espagne. Cela s'est déjà traduit, au moment du changement dynastique, par une déformation de l'image de l'Espagne: l'Espagne maure, l'Espagne du flamenco, de la tauromachie, l'Espagne agitée, "méditerranéenne", qui est au goût des Français, la puissance dominante de l'époque, à laquelle nous étions subordonnés. Ils ont donné un visage et des vêtements à une nouvelle Espagne inventée, et l'Espagne plus authentique (celto-germanique) a été refoulée. Par la suite, l'aliénation (y compris l'aliénation culturelle et ethnique) a été gérée par les Anglos et les Yankees. Les puissances dominantes ont imposé leurs élites locales collaborationnistes et même les conceptions nationales qui leur plaisaient et leur convenaient. 

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L'Espagne atlantique, l'Espagne des Caravelles et des "Plus Ultra" ne convient pas aux Anglos, aux Français, aux Yankees... C'est une Espagne aux fortes racines celtiques et indo-européennes, pas celle "où cent peuples se sont déversés en toi d'Algésiras à Istanbul", comme le dit la chanson de Serrat. Une Espagne maritime née pour être un empire: un empire territorial d'abord, chassant les Maures de l'autre côté du détroit de Gibraltar, puis un empire océanique et universel.

Plus ultra : la géopolitique atlantique de l'Espagne, pourquoi ce livre, et que proposez-vous dans ses pages ?

Je dirai d'abord ce qui est entre les lignes, ou à peine formulé en passant. Je propose un changement de régime, à court et moyen terme, quelque peu utopique à l'heure actuelle, dans lequel les peuples d'Espagne enterrent les différences idéologiques importées de la sphère "occidentale" (libéralisme, essentiellement, qu'il soit de gauche ou de droite) et constituent une Autorité populaire et énergique qui permette une "insubordination fondatrice", au sens de Marcelo Gullo (réindustrialisation, revitalisation des campagnes, programmes natalistes et protectionnisme graduel et prudent). Renaître démographiquement et productivement, consolider une armée au service de la défense des frontières et de la souveraineté nationale, et non une armée conçue pour des parades ou des "Erasmus" de l'OTAN, comme c'est le cas aujourd'hui. Mais surtout, relancer la projection maritime (civile et militaire) qui a fait notre grandeur à l'âge d'or, et ainsi embrasser à nouveau toute l'Ibéro-Amérique. Je propose de créer les bases d'un pôle hispanique atlantique. Ce pôle ne s'appelle pas "Amérique latine" comme le dit Douguine, mais Hispanidad, et il est appelé à dominer l'Atlantique quand l'OTAN et l'engeance yankee déclineront. 

Pourquoi, alors que l'Espagne a développé sa géopolitique, nous sommes-nous concentrés sur le bassin méditerranéen et l'Afrique du Nord comme axes principaux ?

À la mort d'Isabelle la Catholique, ce dilemme s'est posé. La continuité de la Reconquête après la prise de Grenade, comment allait-elle se faire: se projeter vers l'Atlantique ou vers la Méditerranée? Hériter des intérêts de la couronne d'Aragon fut un fardeau pour l'Espagne. Le nid de frelons italien, les Berbères et les Ottomans ? Plus tard, dans cette même Couronne, la Catalogne a été (et continue d'être) un véritable fardeau parasitaire qu'il fallait supporter. 

Le Maghreb aurait pu être une "Nouvelle Andalousie", mais l'entreprise était démesurée sans l'alliance effective (une "Croisade") des royaumes chrétiens. L'action des Français et des Anglais est déjà désastreuse : ils complotent avec les Berbères et les Ottomans, et profitent du commerce de la chair humaine, des esclaves blancs capturés dans tout le Levant. L'Espagne a plutôt poursuivi sa reconquête dans les Amériques. La Méditerranée était, et est toujours, un foyer d'invasion. L'Espagne ne fait pas encore partie de l'Afrique grâce à un effort héroïque qui a commencé avec Pelayo. Au sud, nous ne pouvons que faire un travail vigoureux d'endiguement. Il n'en sortira rien de bon.

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Quels seraient les avantages de la géopolitique atlantique que vous proposez ?

Une construction navale intense, un chantier naval florissant, génèrent de nombreux emplois. Une marine prestigieuse peut être une école de discipline et de talent. Une organisation internationale hispanique qui permet aux forces armées ibéro-américaines de collaborer entre elles, une "OTAN" hispanique en dehors de l'OTAN proprement dite, qui s'efforcerait de se défaire du joug anglo-américain... n'aurait que des avantages: échanges éducatifs, technologiques, géostratégiques... La marine civile, quant à elle, serait un élément clé pour un véritable marché commun ibéro-américain, non soumis aux intérêts anglo-américains. Un grand marché et un grand pôle qui collabore sans entrave avec les Chinois, les Russes, les Arabes (distinguons bien sûr Arabes et Maghrébins)... Si l'Espagne se renforce sur sa côte atlantique, elle pourra aussi exercer son rôle de barrage, d'endiguement, en Méditerranée. Il s'agirait de se renforcer là où l'histoire et la géopolitique nous disent que nous l'avons toujours fait, soit dans l'Atlantique et dans le Golfe de Gascogne, pour résister là où nous ne pouvons que "tenir", sans jamais rien gagner de bon ni de nouveau (c'est-à-dire le Sud méditerranéen et le Levant).

C'est un fait que, géopolitiquement (et dans d'autres domaines), l'Espagne n'est pas une nation souveraine. Quelles mesures devrions-nous commencer à prendre pour récupérer notre souveraineté ?

Eh bien, l'ordre que je propose est le suivant : 1) Souveraineté économique dirigée par une force de "concentration nationale" (non partisane), et sans litiges démo-libéraux, 2) Insubordination fondatrice au sens de Gullo (protectionnisme graduel et sélectif, toujours croissant, réindustrialisation, recolonisation de l'agriculture), 3) Insubordination consolidée, politique atlantique (Iberosphère, marine puissante et marine civile, dominant l'Atlantique et se connectant avec la mer Boréale et les mers de Chine), 4) Consolidation du pôle ibérique, en bonnes relations avec les pôles eurasien, chinois, arabe, indien et africain. Surtout avec les trois premiers. 5) L'abandon progressif de l'"Occident collectif".

Ces derniers temps, le discours hispaniste récupéré et renouvelé est devenu un courant politique de plus en plus important. Est-il possible de récupérer l'idée d'hispanité, avec l'Espagne comme axe central ?

Il faut faire preuve de beaucoup de pédagogie. Tout d'abord, il ne faut pas y voir un projet "néo-impérial", nostalgique et phalangiste. L'Hispanidad n'est ni de gauche ni de droite, bien au contraire... C'est un pôle géopolitique nécessaire pour que les Eurasiens, les Chinois, les Arabes, etc. se libèrent du joug anglo-américain, et c'est un pôle qui garantit la survie non aliénée des peuples de langue portugaise et espagnole. C'est un pôle qui peut favoriser le développement autocentré d'une vaste région (au moins) bicontinentale. L'Espagne ne doit pas être considérée comme une "mère", mais comme un partenaire confédéré petit et/ou moyen: le potentiel démographique et naturel se trouve principalement en Argentine et au Brésil.

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Dans votre livre, vous proposez l'union de l'Espagne et du Portugal: cette idée est-elle réalisable et quels en seraient les avantages pour les deux nations ?

Le Portugal est une nation sœur, fille directe de la reconquête espagnole, un exploit unique qui s'est déroulé dans les montagnes des Asturies au VIIIe siècle et qui a récupéré pour l'Europe les régions ou pays de Galice, de León, des Montagnes et aussi du Portugal. Le Portugal en tant que nation a les mêmes origines historico-politiques, culturelles et ethniques que le reste de l'Espagne et, bien entendu, le même ethnos y est préservé que dans tout le nord-ouest de l'Espagne.

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Comme je l'ai montré dans un livre récent, Francisco Suárez, le grand philosophe, juriste et théologien de Philippe II et Philippe III, a porté un jugement rigoureux sur la nécessité d'une politique atlantique (Portugal, Angleterre) et d'une annexion du royaume portugais avant qu'il ne tombe sous l'emprise de la Perfide Albion. Peut-être aurait-on pu faire mieux, et les puissances étrangères ont toujours conspiré pour empêcher cette unité ibérique qui, avec celle des nations américaines, produit une panique chez l'hégémon anglo-américain. Les Portugais ont été, en réalité, une colonie anglaise pendant des siècles. Un empire "franchisé" bien plus inféodé que celui des Espagnols. Le Nord-Ouest espagnol a besoin d'être repeuplé par une population autochtone : à bien des égards, c'est la partie la plus originale de l'Europe, moins torturée par le soi-disant "melting-pot" méditerranéen, "où l'on a déversé sur vous cent villages d'Algésiras à Istanbul". La chanson de Serrat, d'où je tire ces paroles, est très belle, mais je reconnais que je ne suis pas né en Méditerranée et que je vois cette mer (berceau de la culture classique, bien sûr) comme un cimetière aquatique et une honte pour l'humanité. Les forces hispaniques doivent se retrouver ailleurs. L'élément "phénicien" et afro-sémite (je parle ici du mythe légitimant le séparatisme, et non pas d'une réalité anthropologique) des Catalans ou des Andalous nostalgiques d'Al-Andalus, est totalement étranger, honteux et est à rejeter. Rejoindre le Portugal, c'est gagner en puissance démographique et maritime, et le substrat ethnique atlantico-celtique, très affaibli par le dépeuplement de l'ancien royaume de León, y gagnerait en poids.

Informations sur le livre :
Plus ultra : la géopolitica atlantica espanola (Carlos X. Blanco): https://edicionesratzel.com/plus-ultra-la-geopolitica-atlantica-espanola-de-carlos-x-blanco/