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Totalitarisme et féminisme : le point par George Orwell

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Totalitarisme et féminisme : le point par George Orwell

par Nicolas Bonnal

On ne va pas rappeler la brutalité du féminisme occidental dans l’épisode que nous vivons ; Todd en avait bien parlé dans Après l’Empire. Chesterton déjà en avait parlé (voyez mes textes) lors de son voyage en Amérique : le citoyen n’aurait pas plus de droits qu’un enfant dans une nursery. J’ai souligné dans un texte sur Gustave de Beaumont, compagnon de route de Tocqueville, le caractère ombrageux, intellectuel, triste et platonique de l’épouse américaine qui selon Beaumont ne peut réussir à s’entendre avec son mari. Par contre elle déclenchera toutes les guerres humanitaires qu’on voudra.

Nous vivons des temps apocalyptiques où le séculaire totalitarisme progressiste occidental jusque-là plus ou moins maintenu explose à la surface du monde et veut exterminer tout ce qui bouge. On relira l’étude de Rothbard sur le fanatisme judéo-protestant qui s’exprime aujourd’hui dans les pays anglo-saxons, protestants, scandinaves, germaniques et judéo-chrétiens comme on dit. La fin prévisible du catholicisme romain permet à cette folie millénariste et progressiste de s’exprimer comme elle le fit en Allemagne et ailleurs au seizième siècle. Le texte de Rothbard sur les anabaptistes de Munster est essentiel.

J’en reviens à Orwell : comme tous les lecteurs superficiels j’en étais resté au sex crime. Mais cela va beaucoup plus loin, et Orwell réglait des comptes avec la modernité, et Orwell est considéré aujourd’hui comme un suprématiste à interdire des bibliothèques british. Car rien ne les arrête.

On va voir pourquoi ; dès le début du livre ce maître martyr et étrange écrit :

« C’était une fille d’aspect hardi, d’environ vingt-sept ans, aux épais cheveux noirs, au visage couvert de taches de rousseur (NDLR : 1984 abonde en rouquines) à l’allure vive et sportive. Une étroite ceinture rouge, emblème de la Ligue Anti-Sexe des Juniors, plusieurs fois enroulée à sa taille, par-dessus sa combinaison, était juste assez serrée pour faire ressortir la forme agile et dure de ses hanches. Winston l’avait détestée dès le premier coup d’œil. Il savait pourquoi. »

C’est ce mot de détester qui me frappe. On n’en a pas fini :

« C’était à cause de l’atmosphère de terrain de hockey, de bains froids, de randonnées en commun, de rigoureuse propreté morale qu’elle s’arrangeait pour transporter avec elle. Il détestait presque toutes les femmes, surtout celles qui étaient jeunes et jolies. C’étaient toujours les femmes, et spécialement les jeunes, qui étaient les bigotes du Parti : avaleuses de slogans, espionnes amateurs, dépisteuses d’hérésies. »

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On retrouve cette idée dans plusieurs épisodes du Prisonnier (la série télé, voyez mes textes) : on a une fille jeune et jolie, crétine et fanatique, bornée et maléfique, cruelle quand il faut. Le modèle écolo-progressiste d’aujourd’hui qui veut zigouiller la planète après y avoir mis bon ordre (elle a du mal avec la Russie, mais on verra…) en vient. Tout montre que le Prisonnier est la seule série télé à garder chez soi ; le reste est divertissement.

La fille est un agent de la police de la pensée (mot remis à la mode par Annie Kriegel qui parla de police juive de la pensée un jour…) :

« Mais cette fille en particulier lui donnait l’impression qu’elle était plus dangereuse que les autres. Une fois, alors qu’ils se croisaient dans le corridor, elle lui avait lancé un rapide regard de côté qui semblait le transpercer et l’avait rempli un moment d’une atroce terreur. L’idée lui avait même traversé l’esprit qu’elle était peut-être un agent de la Police de la Pensée. C’était à vrai dire très improbable. Néanmoins, il continuait à ressentir un malaise particulier, fait de frayeur autant que d’hostilité, chaque fois qu’elle se trouvait près de lui quelque part. »

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Ces créatures (rousses comme on a dit) sont conditionnées. Intervient le fameux épisode Goldstein :

« Comme d’habitude, le visage d’Emmanuel Goldstein, l’Ennemi du Peuple, avait jailli sur l’écran. Il y eut des coups de sifflet çà et là dans l’assistance. La petite femme rousse jeta un cri de frayeur et de dégoût. Goldstein était le renégat et le traître. Il y avait longtemps (combien de temps, personne ne le savait exactement) il avait été l’un des meneurs du Parti presque au même titre que Big Brother lui-même. Il s’était engagé dans une activité contre-révolutionnaire, avait été condamné à mort, s’était mystérieusement échappé et avait disparu. »

Dans ce monde de fonctionnaires froides et sans enfants (futures commissaires de Bruxelles) il ne faut pas bouger le petit doigt :

« Deux doigts de sa main droite étaient tachés d’encre. C’était exactement le genre de détail qui pouvait vous trahir. Au ministère, quelque zélateur au flair subtil (une femme, probablement, la petite femme rousse ou la fille brune du Commissariat aux Romans) pourrait se demander pourquoi il avait écrit à l’heure du déjeuner, pourquoi il s’était servi d’une plume démodée, et surtout ce qu’il avait écrit, puis glisser une insinuation au service compétent. »

La chasse au sexe « hétérosexuel » est devenue une activité mainstream en Occident. Dans le monde d’Orwell on en est déjà là comme on sait :

« Le but du Parti n’était pas simplement d’empêcher les hommes et les femmes de se vouer une fidélité qu’il pourrait être difficile de contrôler. Son but inavoué, mais réel, était d’enlever tout plaisir à l’acte sexuel. Ce n’était pas tellement l’amour, mais l’érotisme qui était l’ennemi, que ce fût dans le mariage ou hors du mariage. »

Les naissances sont raréfiées et contrôlées (revoyez mon texte sur Platon et son livre VIII – de la République) :

« Tous les mariages entre membres du Parti devaient être approuvés par un comité appointé et, bien que le principe n’en eût jamais été clairement établi, la permission était toujours refusée quand les membres du couple en question donnaient l’impression d’être physiquement attirés l’un vers l’autre. La seule fin du mariage qui fût admise était de faire naître des enfants pour le service du Parti. »

Cible importante, l’érotisme supérieur (voyez l’hindouisme ou Daniélou, le culte de l’Amour au Moyen Age) et même le plaisir sexuel :

« La seule fin du mariage qui fût admise était de faire naître des enfants pour le service du Parti. Le commerce sexuel devait être considéré comme une opération sans importance, légèrement dégoûtante, comme de prendre un lavement. Cela non plus n’avait jamais été exprimé franchement mais, d’une manière indirecte, on le rabâchait dès l’enfance à tous les membres du Parti. »

L’on se rapproche d’une séparation totale (Philippe Muray me parlait en 2002 d’un projet de couvre-feu pour les hommes en Suède, c’est dommage, ils ne sont pas encore allés jusque-là). On évoque une insémination artificielle :

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« Il y avait même des organisations, comme celle de la ligue Anti-Sexe des Juniors, qui plaidaient en faveur du célibat pour les deux sexes. Tous les enfants devraient être procréés par insémination artificielle (artsem, en novlangue) et élevés dans des institutions publiques.

Winston savait que ce n’était pas avancé tout à fait sérieusement, mais ce genre de concept s’accordait avec l’idéologie générale du Parti. »

Ensuite on se rapproche de ce qui nous est arrivé. Le porno, la pseudo-libération, le web et l’abjection ont tué le « sexe » (le « faire l’Amour ») chez nous comme elles doivent le tuer dans le monde d’Orwell :

« Le Parti essayait de tuer l’instinct sexuel ou, s’il ne pouvait le tuer, de le dénaturer et de le salir. Winston ne savait pas pourquoi il en était ainsi, mais il semblait naturel qu’il en fût ainsi et, en ce qui concernait les femmes, les efforts du Parti étaient largement couronnés de succès. »

Le prix Nobel péruvien Vargas Llosa de passage dans une librairie universitaire US avait noté la disparition du sexe (il cherchait en amateur éclairé de la littérature érotique) et de toute culture d’ailleurs. La cancel culture a effacé presque tout (même l’orthographe) et elle effacera tout.

Le système orwellien tire ainsi parti des femmes :

« Winston apprit avec étonnement que, sauf le directeur du Commissariat, tous les travailleurs du Pornosec étaient des femmes. On prétendait que l’instinct sexuel des hommes étant moins facile à maîtriser que celui des femmes, ils risquaient beaucoup plus d’être corrompus par les obscénités qu’ils maniaient.

– Ils n’aiment pas avoir là des femmes mariées, ajouta-t-elle. On suppose toujours que les filles sont tellement pures ! En tout cas, il y en a une ici qui ne l’est pas.

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Elle avait eu son premier commerce amoureux à seize ans avec un membre du Parti âgé de soixante ans, qui se suicida plus tard pour éviter d’être arrêté. »

Revenons-en au projet orwellien occidental ; à la fin du livre tout est révélé lumineusement ; on a Macron, sa clique, le prince Charles (pour moi il ne sera jamais Roi), Bill Gates, Harari-Schwab et tout le reste (pour comprendre ces gens lisez les textes de Balazs sur les eunuques) :

« Dans notre monde, il n’y aura pas d’autres émotions que la crainte, la rage, le triomphe et l’humiliation. Nous détruirons tout le reste, tout. »

Cela c’est la France actuelle.

Mais continuons : on va briser le sexe, la famille, la culture, et même la science (j’allais dire surtout la science, car la natalité et la mortalité…) ! Orwell donc :

« Nous écrasons déjà les habitudes de pensée qui ont survécu à la Révolution. Nous avons coupé les liens entre l’enfant et les parents, entre l’homme et l’homme, entre l’homme et la femme. Personne n’ose plus se fier à une femme, un enfant ou un ami. Mais plus tard, il n’y aura ni femme ni ami. Les enfants seront à leur naissance enlevés aux mères, comme on enlève leurs œufs aux poules. L’instinct sexuel sera extirpé. La procréation sera une formalité annuelle, comme le renouvellement de la carte d’alimentation. Nous abolirons l’orgasme. Nos neurologistes y travaillent actuellement. Il n’y aura plus de loyauté qu’envers le Parti, il n’y aura plus d’amour que l’amour éprouvé pour Big Brother. Il n’y aura plus de rire que le rire de triomphe provoqué par la défaite d’un ennemi. Il n’y aura ni art, ni littérature, ni science. »

Dans un monde nu, un monde à poil, il ne restera que l’exercice du pouvoir (merci Jouvenel pour ton livre) : Breton, Leyen, Macron, Biden et leurs remplaçants vont se régaler jusqu’au bout :

« Quand nous serons tout-puissants, nous n’aurons plus besoin de science. Il n’y aura aucune distinction entre la beauté et la laideur. Il n’y aura ni curiosité, ni joie de vivre. Tous les plaisirs de l’émulation seront détruits. Mais il y aura toujours, n’oubliez pas cela, Winston, il y aura l’ivresse toujours croissante du pouvoir, qui s’affinera de plus en plus. Il y aura toujours, à chaque instant, le frisson de la victoire, la sensation de piétiner un ennemi impuissant. Si vous désirez une image de l’avenir, imaginez une botte piétinant un visage humain… éternellement. »

Le monde du vaccin, du Grand Reset et des guerres permanentes de l’Océanie est ainsi exposé (je ne donne pas les pages pour que vous les recherchiez et que vous le relisiez ce bouquin) :

« Commencez-vous à voir quelle sorte de monde nous créons ? C’est exactement l’opposé des stupides utopies hédonistes qu’avaient imaginées les anciens réformateurs. Un monde de crainte, de trahison, de tourment. Un monde d’écraseurs et d’écrasés, un monde qui, au fur et à mesure qu’il s’affinera, deviendra plus impitoyable. Le progrès dans notre monde sera le progrès vers plus de souffrance. L’ancienne civilisation prétendait être fondée sur l’amour et la justice. La nôtre est fondée sur la haine. Dans notre monde, il n’y aura pas d’autres émotions que la crainte, la rage, le triomphe et l’humiliation. Nous détruirons tout le reste, tout. »

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lundi, 16 octobre 2023 | Lien permanent

La Chandeleur ou la journée des crêpes

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La Chandeleur ou la journée des crêpes

Dirk Dox

Source: Nieuwsbrief nr 1 - Louwmaand 2022 - Traditie - nieuwsbrief@traditie.be

 
"Il n'y a pas de bonne petite femme si pauvre qu'elle ne réchauffe point sa poêle le jour de la Chandeleur".

Il existe de nombreuses hypothèses sur l'origine de la Chandeleur et la tradition de la cuisson des crêpes. Dans nos régions, le 2 février était autrefois l'un des deux jours où la population rurale pouvait changer d'emploi ou de ferme. On le célébrait le soir avec une sorte de gâteau de foyer, qui s'est ensuite transformé en crêpes. 

On dit aussi que les crêpes, de par leur forme ronde et leur couleur dorée, rappellent le disque du soleil, évoquant ainsi le retour du printemps, ce qui expliquerait pourquoi on fait des crêpes à la Chandeleur, période de l'année où les jours ne cessent de rallonger. C'est également à cette époque que les semailles d'hiver ont commencé. Les restes de farine de la récolte précédente étaient donc utilisés pour fabriquer ces crêpes, symbole de prospérité pour l'année à venir. Selon la tradition, quiconque mange des crêpes à la Chandeleur aura une année prospère. Il est certain que cette coutume trouve ses racines dans des traditions connues dans toute l'Europe. 

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L'Empire romain célébrait la fête des Lupercales, une fête de purification qui se tenait dans la Rome antique du 13 au 15 février, c'est-à-dire à la fin de l'année romaine, qui commençait le 1er mars. En 494, les "bougies" ont été associées à la Chandeleur par le pape Gélase Ier, qui a été le premier à organiser des processions aux flambeaux le 2 février. Dans les églises, les torches ont ensuite été remplacées par des bougies bénites dont la lueur devait éloigner le mal et rappeler que le Christ est "la lumière du monde". D'où le nom de "Messe de lumière", Lichtmis. La "Fête de la Chandeleur" française et le "Candlemas Day" anglais font référence aux bougies.

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Les Celtes célébraient Imbolc le 1er février. Ce rite en l'honneur de la déesse Brigit (dans l'église, Sainte Brigitta !) célébrait la purification et la fertilité de l'hiver à venir. Les agriculteurs portaient des torches et marchaient en procession dans les champs, suppliant la déesse de purifier la terre avant de semer. 

Dans de nombreux pays, la tradition veut que l'on conduise une charrue attelée dans les champs au printemps pour demander une bonne année ou une bonne récolte. Autrefois, il s'agissait d'une procession aux flambeaux, mais au Luxembourg, la tradition actuelle du Liichtmëssdag est une fête à laquelle les enfants peuvent participer. Par petits groupes, ils parcourent les rues l'après-midi ou le soir du 2 février, avec un bâton enflammé ou une lanterne artisanale à la main, pour chanter une chanson traditionnelle (de préférence "Léiwer Härgottsblieschen") dans chaque maison ou magasin. ... Ils espèrent recevoir en retour une récompense sous forme de bonbons ou de monnaie (auparavant bacon, petits pois, biscuits).

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La fête de la Lichtmis annonce également le printemps. La lumière du jour est déjà plus longue d'une heure et un dicton dit : "Le soleil à Lichtmis nous apporte le printemps plein de fleurs et de joie". Ce jour est également important pour les apiculteurs car, selon le calendrier populaire, un ciel clair à la Chandeleur prédit une année favorable pour les abeilles.

Célébrez-vous également cette fête de la lumière ? N'hésitez pas à partager vos expériences avec nous sur Facebook ou sur info@traditie.be, ou à nous tenter avec des photos de vos gâteaux au tournesol !


 
La fête de Lichtmis (= la Chandeleur)
 
Benny Vangelder

Le 2 février, les chrétiens célèbrent la Chandeleur. Cette fête tombe quarante jours après Noël et, selon la tradition juive, une femme devait se purifier et purifier son enfant dans le temple quarante jours après avoir accouché. Mais la fête des lumières a aussi des racines païennes. Après tout, la fête païenne des lumières était la célébration du retour de la lumière après la période hivernale, l'introduction du printemps, mais aussi la purification par le feu. Je me souviens qu'enfant, j'allais cueillir des brindilles de saule au printemps. Introduire les brindilles, c'est introduire la nature renaissante. Et, bien sûr, la crêpe...

La fête lupercalienne à Rome : Cupidon et les personnifications de la fertilité rencontrent les Luperci déguisés en chiens et en chèvres -(Christie's, LotFinder : entrée 5582111 (vente 5688, lot 47, Londres, 3 juillet 2012). Dans les textes latins, la Chandeleur est appelée Festa cereorum, c'est-à-dire "fête des chandelles". c'est-à-dire "fête des chandelles" (cereus est "bougie de cire" - notez la ressemblance avec cer, ker, c'est-à-dire "créer", mot racine que l'on retrouve dans le nom de la déesse Cérès), cf. l'anglais Candlemas.

La fête de la lumière était à l'origine célébrée au début du mois de février, mais comme d'autres fêtes païennes, il s'agit d'une période plutôt que d'un moment. Elle s'inspire très probablement des Lupercales, une fête romaine au cours de laquelle les gens marchaient dans les rues avec des torches et chantaient à tue-tête. De cette façon, les dernières forces obscures ont été chassées et la lumière a été ramenée. Il s'agissait d'une fête en l'honneur de Lupercus, un dieu loup vieux romain - égal à Faunus - qui était le dieu des troupeaux et de la fertilité.

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Lors de leur festin, les Luperci, jeunes hommes déguisés en loups (c'est-à-dire en loups-garous), accomplissaient un rituel de purification - selon d'autres, un rituel de mort et de renaissance - symbolisant le retour de la Lumière. Ils ont également frappé les passants avec des fouets, avec lesquels ils voulaient provoquer la fécondité. Ces fouets étaient faits de bandes de peau d'une chèvre abattue, que l'on appelait Februi, d'où le nom Februarius pour le mois au cours duquel la fête avait lieu. Une autre explication est que les chiens étaient poursuivis dans la ville avec des torches enflammées attachées à leur queue. Dans le nom Lupercalia, nous trouvons le mot lupus ("loup") - notez la ressemblance avec lux ("lumière"), qui est encore mieux perceptible en grec : lykos ("loup") et lykè ("lumière").

Dans la Rome antique, Februarius était, selon la plupart des sources, le mois de purification par excellence (februa signifie "purification" ou "expiation") et la période pendant laquelle les gens se purifiaient de leur culpabilité envers les dieux par des sacrifices lors de processions aux flambeaux (sacrifices expiatoires). Il s'agissait des "Ambularia", des processions solennelles auxquelles participaient des milliers de personnes. L'événement principal des festivités faisait référence au vol de Proserpina par Pluton, après quoi Cérès est partie à la recherche de sa fille kidnappée à la lueur des torches.

Plus tard, selon un décret du pape Gelagius/Gélase (492), cette fête païenne est devenue une fête chrétienne en l'honneur de la purification de Marie. Ainsi, la transition s'est faite de la déesse romaine Cérès à la mère chrétienne Marie. Les torches ont été remplacées par des bougies qui ont été brûlées en l'honneur de la Vierge Marie. Dans un sermon de Grégoire le Grand, nous lisons : "Depuis plusieurs années, nous avons adopté cette cérémonie des anciens, le 2 février, en l'honneur de la Bienheureuse Marie".

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Beda Venerabilis/Bède le Vénérable (725) se félicite alors du succès de cette transition: "Le jour de février consacré à Marie, tout le peuple se rend en procession aux églises en chantant des hymnes. Tous ont des bougies allumées à la main. Le cardinal Baronius (1538-1607) a écrit ce qui suit à ce sujet: "Comme nos saints ancêtres n'ont pas pu éradiquer complètement cette coutume, ils ont décrété qu'en l'honneur de la Vierge Marie on devait porter des bougies allumées. C'est ainsi que l'on fait maintenant en l'honneur de la Sainte Vierge ce qui se faisait autrefois en l'honneur de Cérès. Et ce qui a été fait avant pour Proserpina, est fait maintenant pour la louange de Marie".

Les Ambularia susmentionnés étaient des processions de feu typiques que l'on retrouve dans toute la zone indo-européenne, soit avec des torches, soit avec des récoltes illuminées, soit avec des rouets en feu. Sachant que les processions étaient populaires parmi les peuples romanisés et le chant parmi les peuples germaniques, la combinaison des deux était un mouvement tactique pour christianiser les coutumes païennes en les transformant en processions de louange.

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La recherche de Proserpine par Cérès est probablement plus connue dans sa version grecque, dans laquelle Hadès, le dieu des enfers, enlève Perséphone. Elle est recherchée par sa mère Déméter, la déesse de l'agriculture et des récoltes. Au cours de ses recherches, Déméter arrive à Éleusis, où elle se morfond pendant un an. Pendant ce temps, les cultures se fanent et les gens meurent. Zeus intervient et ordonne à Hadès de libérer Perséphone. De cette façon, Déméter peut être à nouveau réunie avec sa fille. Mais Perséphone a mangé une grenade sacrée dans le monde souterrain et est donc obligée de passer une partie de l'année avec Hadès. À Éleusis, un temple a été érigé en l'honneur de Déméter et le culte des mystères éleusiniens est né.

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L'anthropologue écossais J. G. Frazer (1854-1941) donne l'explication suivante: "Déméter est la récolte mûre de cette année, et Perséphone le grain qui en est extrait et semé en automne pour apparaître au printemps. La descente de Perséphone aux enfers serait donc une représentation mythique des semailles, sa réapparition au printemps représenterait la germination du jeune grain. Ainsi la Perséphone d'une année devient la Déméter de l'année suivante". On retrouve ici la même représentation cyclique de la Vierge et de la Mère que j'ai déjà explicitée dans un article précédent sur "Le Père, le Fils et la Vierge". Bien sûr, il ne faut pas faire des mythes une simple explication naturaliste des phénomènes. Le fluide divin qui émane et est présent de manière plus immanente lorsque la nature revit, et se retire, pour ainsi dire, lorsque la nature meurt, en est aussi une représentation et une métaphore. Cette interaction entre Dieu(x) et la nature, dans laquelle les deux se distinguent et coïncident également, peut servir de représentation concrète en ce qui concerne la renaissance et la mort, la création et la destruction, l'ordre et le chaos, comme la plupart des tournants rituels de l'année.

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Voilà pour le contexte chrétien et classique de la fête des lumières. Chez les Celtes irlandais, en l'honneur de la déesse Bridget, début février, avait lieu Imbolc, la fête de la purification par le feu. Le nom Imbolc apparaît pour la première fois dans le récit irlandais médiéval Tochmarc Emire, dans lequel le personnage principal Emer l'utilise pour indiquer le début du printemps. C'est l'époque où les premières brebis étaient traites et, dans un dictionnaire du Xe siècle, Imbolc est donc traduit par "lait de brebis". Un autre nom pour la fête est donc Oimelc. Imbolc s'étendait du coucher du soleil du 31 janvier au coucher du soleil du 2 février. Le feu sacré qui y était allumé n'était pas accessible aux hommes et à Killdare, même les prêtresses s'y consacraient. Cela rappelle beaucoup la déesse romaine Vesta et ses vierges vestales, qui gardaient également le feu sacré. Ces prêtresses celtiques étaient appelées Korrigan. Le sanctuaire païen de Killdare est ensuite devenu un couvent et les prêtresses païennes sont devenues des religieuses. 

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Les gens dansaient autour des feux de printemps d'Imbolc et les cendres de ces feux étaient dispersées dans les champs et les vergers d'arbres fruitiers. Ils fabriquaient également un lit à partir d'une gerbe de céréales en l'honneur de Bridget. Imbolc était également lié à la fête des semailles (voir ci-dessous), au cours de laquelle les derniers grains de la récolte précédente étaient transformés en une croix de Brigid. Cette croix pré-chrétienne contenait la force vitale du grain et symbolisait le champ de blé. De nos jours, Imbolc est principalement célébré par les sorcières Wicca ou modernes, qui allument leurs bougies artisanales en l'honneur de Bridget et tressent une croix de Brigid. Mais dans les îles britanniques, c'est encore aujourd'hui un véritable festival folklorique. Bridget était si importante qu'elle est devenue Sainte Brigitta, dont la fête tombe le 1er février et est célébrée en Irlande, au Pays de Galles et en Australie. 

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Dans la tradition germanique, nous trouvons un contraste frappant e

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mardi, 01 février 2022 | Lien permanent

Pour la définition d'une doctrine solidariste

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Pour la définition d’une doctrine solidariste [1]

 

Dans le contexte de crise et de décomposition du modèle capitaliste, Emmanuel Leroy, ancien conseiller régional, pose dans cet article, les bases d’une réflexion politique, économique et sociale pour notre famille politique. Altermédia qui est un lieu de débat et d’échanges, le publie en espérant que vos réflexions éclairées ou vos critiques justes permettront de faire progresser la réflexion collective.

Par Emmanuel Leroy

La crise dans laquelle nous venons d’entrer démontre à nouveau l’extraordinaire désarroi dans lequel se trouve plongé le camp national dès lors qu’il est question de problèmes économiques ou sociaux. A de rares exceptions près, c’est le silence ou la dénonciation stérile de comportements scandaleux qui prévalent, sans qu’une solution alternative ne soit jamais avancée.

La crise boursière de 2008 n’a pas donné lieu dans notre camp, sauf rares exceptions, à des analyses empreintes d’une réflexion de fond sur les causes de celle-ci et les remèdes à y apporter. Devant cette carence, une évidence s’impose : quel discours tenir face à un possible effondrement de la légitimité du Système ? Et quelle alternative proposer au peuple qui ne soit ni trotsko-marxiste ni libérale ? La réponse à ces deux questions a déjà été esquissée dans le passé. Nous proposons d’aller plus loin pour offrir une alternative radicale au Système, afin non seulement de tenter de l’abolir, mais surtout d’éviter tout retour possible du mercantilisme et de ses poisons.

A l’époque de la révolution industrielle au XIXème siècle, la République a cherché à concilier deux exigences fondamentales : la liberté individuelle et la justice sociale. L’idée de solidarité, notamment avec Léon Bourgeois, apparût alors comme le moyen d’esquisser une troisième voie entre l’individualisme libéral et le socialisme collectiviste. D’une certaine manière, la France jusqu’aux années 70 avait su trouver une espèce d’équilibre entre socialisme et libéralisme mais l’accélération de la mondialisation à partir des années 80 a fait voler en éclat ce subtil équilibre au profit des oligarchies financières transnationales.

La logique du Système est implacable : après avoir porté les coups de boutoir contre la nation (solidarité verticale), viennent maintenant les attaques contre le social (solidarité horizontale), derniers remparts contre la déferlante de l’indifférencié et du règne sans partage de l’argent.

Le solidarisme est la seule réponse possible à opposer au jeu dialectique des deux internationales, libérale et trotsko-libertaire, qui se livrent devant nous à un jeu de pseudo-opposition, afin de mieux faire disparaître les peuples et les remplacer par une humanité esclave aux ordres du Système.
L’intérêt de la notion de solidarisme est loin d’être purement historique: elle constitue une référence cardinale à tout débat sur la protection sociale et à la répartition des richesses dans la société post-industrielle du XXIème siècle. Or, une des raisons majeures pour lesquelles le camp national n’est pas audible en dehors des questions liées à l’immigration, c’est qu’il n’a pas été capable d’apporter aux Français des réponses claires sur ses conceptions économiques et sociales.

A l’heure où le Système semble entrer dans une crise d’une ampleur sans précédent, ceux qui sauront concilier les intérêts de la nation et la défense des travailleurs sans briser la liberté des individus seront les vainqueurs de demain.

Renaissance du solidarisme en 2008

L’économie et le social n’ont jamais été au sein de la « droite nationale » des domaines qui ont suscité engouement et passion. Les tenants de cette doctrine, en partie influencés par les idées de Maurras (politique d’abord), n’ont pour les questions économiques et sociales qu’une vision distanciée où l’empirisme et le réalisme l’emportent sur les aspects doctrinaux (l’intendance suivra). Cette situation découle probablement du fait que nous sommes les héritiers de différents courants idéologiques où libéralisme et socialisme étaient présents. A l’issue de la seconde guerre mondiale, les camps politiques en Europe occidentale se sont artificiellement scindés en deux grands courants opposant une « droite » libérale et conservatrice à une « gauche » socialiste ou marxiste censée représenter les forces du progrès. Cette division artificielle était censée reproduire l’opposition entre « pays occidentaux libres » et « pays communistes opprimés ». Le courant national était à cette époque complètement marginalisé, en partie du fait de la propagande « résistantialiste » qui a réussi à établir comme une vérité que ses principaux leaders s’étaient mis sans exclusive au service de la France de Vichy ou de la collaboration la plus étroite avec l’occupant (cela sans tenir compte des nombreux royalistes et autres nationaux qui s’étaient engagés dès 1940 dans la résistance). Cette stigmatisation a conduit à la marginalisation quasi-totale des idées nationales/nationalistes jusqu’au début des années 80 qui ont vu l’émergence du FN. La première moitié de cette décennie a été l’occasion véritablement historique de réunir sous l’autorité de JMLP l’ensemble des courants identitaires français. Chacune de ces chapelles idéologiques avait bien sa propre conception doctrinale ou philosophique mais les différences de points de vue ou les querelles étaient obérées par la primauté du leader du FN et par le primat qui était réservé à la question de l’immigration. L’analyse de l’ensemble des scrutins auxquels a participé le FN jusqu’aux années 95 montre à l’évidence que ses électeurs se déterminaient essentiellement sur le refus de l’immigration massive imposée par le Système. En effet, sur les questions économiques, le positionnement du FN n’apparaissait pas de manière claire et JMLP était à l’époque influencé par les idées libérales d’outre-atlantique. Sous l’influence de différents courants internes (solidarisme, christianisme social, anciens cadres du GRECE) le programme du FN entame dès la fin des années 80 une inflexion sociale très marquée et même si ce message est encore peu et mal relayé auprès de l’opinion, il constitue une rupture essentielle dans ce que l’on pourrait appeler « l’idéologie économique » du FN avec les idées libérales qu’il semblait auparavant professer. C’est cette mutation, qui intervient à un moment-clé de la vie politique française à un moment où la gauche, socialiste et communiste, s’est complètement ralliée à l’idéologie marchande du Système (dès 1983), qui devait permettre la progression significative des scores électoraux du FN jusqu’à la crise funeste de 1998. Malheureusement, les fruits de cette évolution, qui pouvaient conduire le camp national aux portes du pouvoir, ont été gâchés par la scission.

L’un des éléments-clés d’un possible retournement de l’opinion à l’occasion de la crise financière de 2008 est la perte de légitimité que le Système va inéluctablement subir lorsque les conséquences sociales vont se faire sentir plus crûment. Mais il sera nécessaire à ce moment d’offrir une alternative économique et sociale crédible, sans laquelle nous risquons d’être perçus comme des espèces de sous-Besancenot. Cela implique d’adopter résolument un positionnement anti-Système -qui sera en résonance avec le refus de la constitution européenne exprimé par les Français lors du référendum de 2005- et qui ne se borne pas seulement à une dénonciation des effets pervers de la mondialisation, mais qui énonce également une politique claire et limpide sur nos conceptions économiques et sociales. La meilleure illustration que l’on pourrait donner de notre vacuité en matière économique est l’absence de réponse cohérente sur les questions économiques et sociales, et plus particulièrement sur les causes de cette crise. Il est certes difficile de répondre de manière lapidaire à une crise dont la complexité s’apparente à celle du noeud gordien mais, de manière succincte, voilà l’énoncé d’une position solidariste sur cette question :

1. la classe politico-médiatique de Sarkozy à Besancenot) est collectivement responsable du désastre (conception matérialiste et économique du monde).

2. Nous punirons les responsables de cette escroquerie gigantesque, financiers ou hommes politiques, qui l’ont provoquée, encouragée ou servie.

3. Nous restaurerons une politique nationale où la notion de solidarité entre citoyens sera inscrite dans la Constitution et où seront proscrits les comportements anti-nationaux (délocalisations, privatisation des services publics…).

4. Nous instituerons une politique économique et sociale où sera rétablie la souveraineté monétaire, restauré l’usage du franc et respectés les principes de préférence nationale et européenne.

5. Seront dénoncés les traités qui subordonnent toute décision nationale à l’avis des autorités de Bruxelles.

L’objet de cette note n’est pas de formuler un programme économique et social complet, mais plutôt de lancer un débat sur ce que pourrait être un solidarisme moderne. L’idée de fond est que la gauche, du fait de son orientation internationaliste, a rallié l’idéologie du Système et qu’ayant ainsi renié ses convictions et ses engagements, elle a trahi non seulement la classe ouvrière mais aussi les classes moyennes qu’elle avait su séduire dans les années 80. En agissant ainsi, elle a laissé ouverte la voie du social que seul le camp national peut légitimement emprunter. Je partage l’analyse d’Alain Soral sur ce sujet et soutiens notamment ses positions sur la gauche du travail et la droite des valeurs, comme dialectique permettant de dépasser l’affrontement droite/gauche et susceptible de restaurer les solidarités nationales en dépassant le concept de luttes des classes.

C’est sur cette capacité à récupérer les électeurs séduits par les sirènes sarkozystes et à rallier les électeurs de gauche que se jouera l’avenir de la France.

Une des difficultés majeures qui peut se présenter est celle d’un discours « social » qui pourrait effrayer une partie de notre électorat traditionnel (artisans, commerçants, patrons de PME, indépendants). Pour éviter cet écueil, il convient à mon avis de sortir des sentiers battus et d’imposer de nouvelles définitions dans le vocabulaire politique français. En effet le champ sémantique utilisé par les politiques ou les médias d’aujourd’hui dans le domaine social reprend peu ou prou les termes utilisés par la gauche socialiste ou marxiste du XIXème siècle. Certes le terme de « prolétaire exploité » n’est plus guère usité mais celui de « patrons exploiteurs » l’est encore et parfois à juste titre et cette perception de « patron de droit divin » est encore bien ancrée à gauche et c’est sur cette perception, en partie erronée, qu’il convient d’intervenir. Il faudrait ici introduire une distinction fondamentale entre petits et grands patrons, qui ne participent pas du même monde, ne jouent pas dans la même cour et souvent ne poursuivent pas les mêmes objectifs. N’oublions pas que l’ensemble des artisans, commerçants, petits patrons et indépendants représente environ 3 millions de personnes en France, qui produisent l’équivalent d’environ 60% du PIB quand seulement 500 grandes entreprises produisent les 40% restant. Il est clair que le Système s’appuie principalement sur les 500 patrons de ces grandes entreprises -intrication des intérêts financiers, médiatiques et politiques- beaucoup plus que sur les 3 millions d’indépendants à qui on ne demande que l’approbation tacite et qui ne sont nullement représentés sur le plan syndical. Donc, le maintien des positions du camp national au sein de cet électorat est essentiel et il devrait même se trouver amélioré si l’on parvient à introduire cette césure dans l’esprit des Français entre ce que l’on pourrait appeler les patrons responsables et les patrons commis.

Le patron responsable c’est celui qui a investi ses propres fonds pour la création ou le rachat de son entreprise ; c’est celui qui travaille avec ses employés, souvent plus durement qu’eux ; c’est celui qui risque l’infamie et la perte de ses biens personnels en cas d’échec et non pas l’attribution de stocks options et de « golden parachutes » ; c’est aussi et surtout celui qui a une claire responsabilité de ses engagements vis-à-vis de ses employés et qui ne licencie que lorsqu’il y est acculé et jamais pour des questions de profits immédiats à la demande des actionnaires. Ce patron a un rôle social essentiel dès lors que la richesse qu’il produit bénéficie également à ses salariés et à la collectivité.

Le patron commis est un pur produit du Système. Patron d’une banque ou d’une grande entreprise, multinationale ou non, il est souvent formé par les grandes institutions de la république (ENA, Polytechnique, Grandes Ecoles) et il est ensuite coopté par ses pairs avant d’intégrer son futur champ d’action. Avant l’accélération de la mondialisation, il pouvait être commis par l’Etat dans une de ces grandes entreprises nationalisées à statut public ou mixte dont la France s’était fait une spécialité (Renault, EDF-GDF, Charbonnages de France, SNCF, etc.) aujourd’hui où la puissance régalienne recule devant les diktats de la finance internationale, il est commis par les actionnaires (banques, fonds de pensions, investisseurs institutionnels), mais dans tous les cas de figure, il ne s’agit pas d’un patron au sens traditionnel du terme dans la mesure où non seulement il n’a pas investi un sou dans l’entreprise mais il doit au surplus rendre des comptes à ceux qui l’ont fait roi, et ces derniers aujourd’hui ne poursuivent qu’un unique but : la rentabilité maximale et rapide de leurs investissements. De ce fait la fonction sociale de solidarité avec les salariés de ces pseudo chefs d’entreprises disparaît au profit exclusif de leurs mandants avec le cortège inéluctable de délocalisations, licenciements, fermetures d’usines, etc. qui en découle.C’est donc contre ces patrons commis que le camp national devrait engager une vigoureuse campagne de dénonciation et non pas laisser à l’extrême gauche le bénéfice de ces actions qui a permis à ses leaders d’atteindre en cumul environ 10% des voix lors de la dernière élection présidentielle. Cela implique des actions de terrains, de manifestations de solidarité avec les ouvriers licenciés et de dénonciations systématiques des abus constatés.

Le terme de solidarisme peut parfaitement s’intégrer à une nouvelle articulation du discours social du camp national. Le solidarisme peut se définir comme un système économique et social qui profite à tous dans la mesure où les sommes investies et redistribuées restent sur le territoire où elles sont produites, et bénéficient à l’ensemble de la collectivité sous la forme d’achats de biens ou de services, de salaires et d’impôts. On pourrait lui opposer le terme de capitalisme déraciné ou de capitalisme irresponsable où le capital investi a pour unique fonction d’être rentabilisé le plus rapidement possible au bénéfice exclusif des investisseurs. Le patron responsable fait du solidarisme dans la mesure où ses investissements et la création de richesses qui en découlent profitent à la collectivité. Le patron commis fait du capitalisme irresponsable dans la mesure où les profits qu’il réalise doivent toujours être réalisés au plus bas coût possible et visent prioritairement à payer toujours plus les actionnaires au détriment des salariés et de la collectivité.

Ce discours doit être approfondi dans la dénonciation de la micro-classe oligarchique qui se partage aujourd’hui l’essentiel du pouvoir. Cette nouvelle classe de privilégiés est composée aujourd’hui, outre des hommes politiques nationaux du Système et des dirigeants des principaux médias, mais aussi des grands patrons banquiers ou présidents de multinationales. Le point commun négatif de ces stipendiés du Système est qu’ils travaillent unis contre les intérêts du peuple et au bénéfice exclusif de la finance internationale (cf. le sauvetage des banques à l’aide de nouveaux emprunts que les Français devront rembourser). La théorie de Marx sur la bourgeoisie exploitant le prolétariat pourrait être remise à l’ordre du jour, en intégrant l’idée que désormais une immense classe de néo-prolétaires, incluant les anciennes classes moyennes, est en train de voir le jour et qu’elle se trouve opposée à une oligarchie sans frontière appuyant son pouvoir sur la puissance financière et la religion des droits de l’homme.

L’articulation de ce discours vise à faire comprendre aux électeurs de gauche, qu’il existe une économie « sociale » et solidaire, incluant la notion de profit pour tous, avec laquelle on peut s’entendre et un capitalisme international qui est leur pire ennemi et qui engendre, entre autres maux, le phénomène de l’immigration, qui a pour principal objectif, dans l’esprit de ses promoteurs, de faire peser les salaires des Français à la baisse pour augmenter les profits de l’oligarchie financière internationale.

L’économie est une chose trop sérieuse pour être laissée aux banquiers. Il est clair que cette option s’inscrit en rupture totale avec l’idéologie libre-échangiste du Système. Maurice Allais, seul prix Nobel d’économie français, préfère employer le terme de laisser-fairisme dans la mesure où le libre-échangisme serait parfaitement applicable dans de grands ensembles régionaux bénéficiant d’un niveau de vie comparable et subissant des contraintes sociales de même nature. Mais si les critiques de Maurice Allais contre les excès du Système sont intéressantes, cet auteur n’en reste pas moins un libéral et n’accepte pas la notion d’économie orientée et régulée nécessaire dans une conception solidariste.

Comment définir une économie solidariste, organique et enracinée ?

C’est avant tout une économie au service du peuple et non pour le bénéfice exclusif d’une oligarchie. De ce fait, elle est automatiquement subordonnée au pouvoir politique qui l’oriente mais ne la dirige pas, sauf dans certains secteurs cruciaux. Elle suit les orientations (incitations fiscales, exemptions ou réductions d’impôts, zones franches, interdictions, limites, restrictions) que lui pose l’Etat. De ce fait, elle agit librement dans un cadre donné en fonction de deux impératifs :

1. assurer le bien-être de la population ;
2. assurer les exigences stratégiques de l’Etat.

Tant que l’économie n’est pas en crise et que ces deux impératifs sont satisfaits, l’Etat n’intervient pas. Dès lors qu’un dysfonctionnement intervient, extérieur ou intérieur (prix du baril de pétrole, pénuries alimentaires, hausse du prix des matières premières ou stratégiques etc.) l’Etat use de son pouvoir régalien pour imposer les mesures qu’il juge nécessaires (baisse ou hausse des prix ou des salaires, inflation ou déflation, augmentation des droits de douanes, contrôle des changes, etc.). En conséquence, et contrairement aux exigences du Système Global, il est vital pour un Etat qui désire conserver son indépendance et sa liberté d’agir, de se désendetter et de pouvoir disposer d’une banque centrale sous son contrôle direct afin de pouvoir jouer à sa guise sur la circulation monétaire dans le pays.

Une économie solidariste doit reposer sur le principe de la libre concurrence mais en respectant les valeurs et les traditions des peuples où elle est appliquée. Contrairement à ce que pense les libéraux, tout n’est pas à vendre ou à acheter. En conséquence l’Etat doit réglementer les secteurs où il souhaite détenir le monopole (transports publics, énergie, défense, télécommunications, médias). Il est même souhaitable que ces secteurs restent sous le contrôle étroit et exclusif de l’Etat, notamment les télécommunications et les médias, du fait de leur utilisation potentielle comme armes stratégiques de désinformation.

Afin d’éviter un assoupissement du système inhérent à toute fonction publique et à toute administration centralisée dépourvue de concurrence, il est souhaitable d’instaurer dans ces administrations un système de rémunération au mérite (comportant des limites), géré par une commission mixte de fonctionnaires de tous grades et d’experts indépendants extérieurs à l’administration.

Pour protéger cette économie de tout choc intérieur ou extérieur, il convient de fixer un certain nombre de principes simples :

1. tout ce que peut fabriquer ou produire le pays, sans coûts excessifs, et qui fournit de l’emploi à des salariés ou est considéré comme d’intérêt stratégique par l’Etat, doit être protégé par des droits de douane, variables selon la nature de la menace, ou être nationalisé.

2. La monnaie nationale n’est pas une marchandise et il faut restaurer le système qui la place hors du champ des spéculateurs internationaux.

3. L’Etat doit s’arroger le droit d’interdire toute société ou organisation étrangère dont l’activité peut être néfaste (sur les plans politique, économique ou culturel) pour le pays.

4. L’impôt doit être juste et équitable et toucher proportionnellement toute les classes sociales (sauf les plus démunies) en évitant de frapper trop fort les hauts revenus ce qui risquerait de faire fuir les élites.

5. L’Etat doit se donner les moyens, même à prix exorbitant et donc non compétitif, de fabriquer ce qu’il estime nécessaire pour son indépendance et dont la perte de savoir-faire lui serait extrêmement préjudiciable. (cf. industrie spatiale).

6. Une économie solidariste doit favoriser le principe de fonctionnement des cercles concentriques : il faut qu’une région consomme prioritairement ce qu’elle produit. Si un produit n’est pas disponible dans la région concernée, c’est à la région la plus voisine de l’approvisionner. Si aucune région du pays ne produit le bien recherché, il sera importé, de préférence d’un pays avec lequel existe des accords bilatéraux d’échanges.

7. Une économie continentale ouverte sur les deux océans doit mettre en place le principe de l’autarcie des grands espaces. Le continent Eurasien, de Brest à Vladivostok, possède largement en son sein de quoi satisfaire tous ses besoins essentiels. Pour les rares denrées (café, chocolat…) ou matières premières qu’elle ne posséderait pas, ou alors en quantité insuffisante, des accords de commerce internationaux avec les pays producteurs permettront de pallier la pénurie.

Ces principes d’économie organique ne sont que de simples mesures de bon sens et ils étaient pratiqués naturellement par tous les Etats du monde avant que la maladie libérale et sa dérive libérale-totalitaire ne se répandent sur la surface de la terre. Ils pourraient être remis en place dans un débat comme alternative positive au système marchand mis en place par ceux qui visent à travers lui à s’assurer le contrôle de la planète.

Notre particularité, c’est la logique de la troisième voie, celle qui réussit la synthèse entre le national et le social. Mais pour ce faire, il ne faut pas heurter de front ceux qui en sont restés à une logique dialectique simpliste de type gauche/droite, à savoir socialisme contre libéralisme. La meilleure définition possible pour un solidarisme moderne c’est : « Au travail, sa place, toute sa place ! Au capital, sa place, rien que sa place ! »

Emmanuel Leroy


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jeudi, 27 novembre 2008 | Lien permanent

La double monarchie, une solution pour la Belgique et l’Europe ?

La double monarchie, une solution pour la Belgique et l’Europe ?

par Georges FELTIN-TRACOL

En 1991, le germaniste et géopoliticien Pierre Béhar écrivait L’Autriche-Hongrie, une idée d’avenir. Vingt ans plus tard, le prince Sixte-Henri de Bourbon-Parme relance cette idée au sujet de la Belgique. D’une famille à la fois européenne (Espagne, Parme, Écosse, Autriche…) et française, l’auteur donne, avec cet essai rédigé après de nombreux mois d’enlisement politique, son avis sur la crise institutionnelle belge.

Le Prince se sent des affinités avec la Belgique. Il n’oublie pas qu’au cours de la Grande Guerre civile européenne de 1914 – 1918, son père et son oncle, les princes Xavier et Sixte, participèrent au conflit sous l’uniforme de ce pays. En 1917, quand ils tentèrent de négocier une paix séparée avec leur beau-frère, l’empereur Charles d’Autriche-Hongrie, le roi des Belges Albert Ier, soutint leur initiative sabotée par cette crapule de Clemenceau.

Le prince Sixte-Henri de Bourbon-Parme souffre du blocage politique outre-Quiévrain et déplore par anticipation tout risque éventuel d’éclatement ou d’« évaporation ». « La Belgique vaut certainement mieux que ce qui se prépare à la remplacer : une république provisoire de Wallonie travaillant pour le retour des sans-culottes et de la France; et une république flamande immédiatement confrontée à la difficulté de se faire reconnaître par la gendarmerie belge… (p. 12) » Certes, le  système politique en place est parvenu à ses limites et la paralysie est largement dépassée ! Que faire alors ? « Si tout le monde politique belge est donc d’accord pour envisager le divorce, aucune solution de séparation ne fait l’unanimité; tout projet de sortie de crise trouve au contraire un insatisfait, un opposant irrésistible. Une république flamande serait forcément amputée de Bruxelles et la Belgique maintenue entre francophones ne ressemblerait plus qu’à un trognon d’État. Cette double impossibilité semble exclure l’idée de deux États souverains séparés et ramener vers le confédéralisme actuel… qui, lui, ne fonctionne pas (p. 13). » Le Prince condamne par avance l’annexion possible de la Wallonie (avec ou sans Bruxelles) par la France, car c’est le « projet […] des jacobins français les plus débridés (p. 73) ». Ce n’est pas faux : Jean-Luc Mélanchon y est favorable.

S’inspirant du précédent austro-hongrois, mais aussi d’autres exemples historiques qu’on retrouve en annexe du livre (la Finlande et la Russie, les Îles anglo-normandes et la Couronne britannique, la Suède et la Norvège, la République des Deux-Nations de Pologne et de Lituanie…), l’auteur propose « une solution de compromis [qui] n’a jamais été réellement imaginée en Belgique : c’est celle d’une double monarchie construite, à partir de la souveraineté reconnue de deux États (p. 14) ». La Belgique pourrait devenir une « Union Belgique » composée d’un État flamand et d’un État wallon et dont le lien personnel s’incarnerait dans la dynastie régnante des Saxe – Cobourg – Gotha.

Actualité de la double monarchie

Ce « double État – Belgique » serait une union personnelle qui « établit une relation entre deux ou plusieurs États souverains considérés auparavant comme séparés, mais qui ont une même personne comme chef d’État (p. 17) ». Par cette suggestion originale que défendent le socialiste francophone José Happart et le démocrate-chrétien flamand Hendrick Bogaert avec une terminologie différente, il s’agit clairement de sauver la Belgique. En effet, le Prince considère que « la Belgique existe […] depuis dix siècles d’abord sous la forme d’un réseau cohérent et relativement solidaire de principautés et de républiques urbaines établies au Moyen Âge. Sous l’appellation de Pays-Bas du Sud, Pays-Bas espagnols ou Pays-Bas autrichiens, la “ Belgique ” forma un État dès 1581 après la scission des Pays-Bas entre la partie Sud catholique et la partie Nord calviniste (p. 46) ». Le Prince prend néanmoins acte du multilinguisme belge. Outre les États flamand et wallon, il envisage que les cantons germanophones puissent soit former un territoire autonome en union personnelle héréditaire avec le roi des Belges, soit devenir le district européen suggéré par le fédéraliste Maurice Allais. Pour Bruxelles, il penche pour un condominium flamand – wallon ou pour une entité autonome titulaire d’une « nationalité co-belge (p. 59) ». Bruxelles serait alors la capitale de l’Union européenne, de l’« Union Belgique » et des États wallon et flamand. En revanche, il balaie toute perspective de district européen bruxellois dissocié du reste du territoire belge.

Comment s’agenceraient les pouvoirs publics de cette double monarchie belge ? Même si l’auteur est prêt à entériner une forme de « suédisation » de la monarchie (à Stockholm, le roi n’a qu’un rôle protocolaire, honorifique sans aucune influence politique), il défend pourtant que « le pouvoir exécutif est directement assuré par le Roi. Sans aucune ambiguïté, ni réserve (p. 66) ». Son autorité s’exercerait en Flandre et en Wallonie par des lieutenants-représentants, membres de sa famille, qui n’auraient qu’une fonction honorifique. Le roi des Belges nommerait un « Chancelier de Belgique » et des ministres pour la défense et les affaires étrangères. Régulièrement, le souverain présiderait un « Conseil belge » constitué du Chancelier et des Premiers ministres flamand et wallon. Par ailleurs, le Prince juge que « la “ double monarchie ”, sur le modèle austro-hongrois, est également un outil institutionnel de décentralisation sans pareil (p. 14) ».

Sixte-Henri de Bourbon-Parme apporte une série d’arguments historiques en faveur de sa thèse. Il rappelle que le Commonwealth est une union personnelle pluricontinentale puisque la reine d’Angleterre, Elisabeth II, est aussi souveraine du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, etc., mais pas de l’Inde qui est une république ! Les Bourbons assumèrent une union personnelle tout théorique entre la France et la Navarre. Si le Prince signale l’occasion manquée au début des années 1990 d’une association entre la Roumanie et la Moldavie, il ne mentionne pas en revanche l’Union très virtuelle Russie – Bélarus… Il ne cache pas non plus que certaines unions personnelles n’ont guère duré : le royaume franco-anglaise issu du traité de Troyes de 1420 pendant la Guerre de Cent Ans, les quatre-vingt ans d’union ibérique entre l’Espagne et le Portugal ou l’Union de Kalmar de 1397 entre le Danemark, la Norvège et la Suède. Il aurait pu aussi évoquer le projet Monnet d’Union franco-britannique du 15 juin 1940 afin de maintenir la France dans le conflit. Il lui arrive aussi de se méprendre quand il déclare que la Communauté française voulue par le général de Gaulle en 1958 est morte-née. Cette Communauté accompagna les colonies africaines de l’Hexagone à l’indépendance dans les années 1960 et fonctionna deux – trois ans…

À partir de tous ces exemples, Sixte-Henri de Bourbon-Parme postule que la double monarchie doit être « une union entre deux ou plusieurs monarchies (p. 30) », « une union entre deux nations d’une importance sensiblement égale (p. 31) », ce qui suppose une association précise d’au moins deux souverainetés et non le phagocytage de l’une par l’autre ainsi qu’une vision géopolitique et des intérêts communs ou complémentaires. Il y ajoute en outre la nécessité d’une dynastie « sacralisée par l’histoire (p. 32) ».

L’héritage bourguignon des Habsbourg

Pour l’auteur, « la plus puissante union personnelle connue fut celle construite sous Charles Quint (p. 132) » pour qui la « Bourgogne [était] sa véritable patrie de cœur (p. 135) » si bien que l’Empereur-Roi « restera un prince bourguignon (p. 134) ». L’esprit bourguignon devenu habsbourgeois  s’adaptera ensuite à l’Europe danubienne au point que, malgré d’indéniables difficultés, l’Autriche-Hongrie paraît de nos jours comme d’une « parfaite modernité “ post-nationale ” (p. 152) ». « Le strict équilibre de puissance entre l’Autriche et la Hongrie et la parfaite parité de statut qui en découla naturellement sont une autre explication au succès métapolitique et sentimental de la double monarchie dans les nostalgies actuelles. Non seulement, la double monarchie préfigure l’Europe telle qu’elle devrait être, c’est-à-dire un ensemble construit au détriment d’aucune de ses nations constitutives, mais elle offre la quintessence de l’utilité de l’institution monarchique, puisqu’il paraît évident […] que la double monarchie est le plus sûr moyen de profiter aujourd’hui d’une dynastie réellement investie de poids et de responsabilités affectives sur les affaires politiques majeures (p. 30). » Oui, la double monarchie ne s’appliquerait pas qu’à la seule Belgique. D’autres pays européens pourraient en profiter. Le Prince en vient à évoquer l’Espagne et ses tensions nationalitaires au Pays basque et en Catalogne. Une union personnelle entre les royaumes d’Espagne, d’Euskadie et de Catalogne serait-elle souhaitable ? Héraut de l’idée carliste traditionnelle, Sixte-Henri de Bourbon-Parme juge que « le carlisme est le digne héritier de l’antique conception anti-centraliste d’un “ Royaume des Espagnes ”. […] À mi-chemin entre l’Espagne uniformisée et l’implosion, il y a donc la voie carliste préconisant une Espagne certes unie, mais sachant se faire suffisamment aimer afin de pouvoir décentraliser largement dans l’esprit des anciens fueros (p. 37) ».

Son approche originale peut même s’appliquer à l’Union européenne. Il constate que la désignation du président du Conseil européen par les chefs d’État et/ou de gouvernement des États-membres reproduit la procédure d’élection de l’empereur du Saint-Empire romain germanique. « L’idée prit subitement une nouvelle vigueur lorsque le 19 novembre 2009, suite au traité de Lisbonne, l’Union des 27 États européens se choisit un président en la personne du politicien belge Herman van Rompuy (p. 25). » Van Rompuy « est un chef d’État aux pouvoirs très limités, mais un chef d’État quand même (p. 42) ». Bref, « la nomination d’Herman van Rompuy à ce nouveau poste ouvre une nouvelle ère en Europe, en créant une fonction point encore optimisée, mais si franchement taillée pour un représentant d’une des grandes dynasties européennes ! (p. 26) » Le Prince insiste beaucoup sur le fait qu’« une union personnelle européenne – au moins pour l’Europe centrale – serait LA solution à la problématique jamais résolue des besoins contradictoires de souveraineté et d’union qui s’opposent en Europe, entre aspirations légitimes à l’État-nation et mouvement de raison vers une Confédération intégrée… (p. 43) » Et si l’Union européenne était couronnée ? Pendant longtemps, Otto de Habsbourg-Lorraine aurait pu prétendre à cette fonction. Qui depuis sa disparition ? Et pourquoi pas un Bourbon-Parme ? Hélas, les dirigeants du « Machin de Bruxelles » ne voudront jamais placer à leur tête un prince de sang de France…

Regrettons cependant que le Prince n’aborde pas une autre union personnelle éventuelle qui touche au premier chef sa famille : l’union dynastique entre la France et l’Espagne avec les Bourbons. Le traité d’Utrecht de 1713 interdit aux Bourbons d’Espagne et de leurs ramifications italiennes de prétendre au trône de France. Sous la pression militaire de l’Angleterre et du Régent, son aïeul, Philippe V d’Espagne, petit-fils de Louis XIV, renonça pour lui et ses descendants à ses droits sur la Couronne de France. Or cette renonciation est invalide pour les Lois fondamentales du Royaume des Lys comme l’a prouvé l’oncle du Prince, Sixte de Bourbon-Parme, dans sa thèse de droit en 1914.

Censé arrêter la Guerre de Succession d’Espagne (1701 – 1715), le traité d’Utrecht marque en fait le début de la domination thalassocratique anglaise sur l’Europe. Soutenue par les Provinces-Unies, l’Angleterre tenait à éviter la formation à terme d’un royaume franco-espagnol qui aurait été un solide rempart continental aux menées subversives de la Mer, du Marché et du calvinisme puritain. Conscient de cette nouvelle donne géopolitique, Louis XV conduisit à la fin de son long règne une adroite politique tellurocratique. Il conclut en 1761 un « Pacte de Famille » entre les Bourbons de France, d’Espagne et de Parme, mais sans le roi Bourbon des Deux-Siciles soumis à une forte coterie anglomane, qui instaure une solidarité entre les trois États bourboniens. Complété par le relèvement de la marine de guerre et adossé à la puissance autrichienne grâce au renversement des alliances de 1756, cet accord politico-familial prépare une « alliance latine » et esquisse les contours d’un bloc continental et naval catholique tourné contre l’Angleterre, la Prusse et les Provinces-Unies. Malheureusement, la genèse de cet ensemble continental est avorté à Paris par les agissements incessants du « parti de l’étranger » anglophile, parlementaire et orléaniste. N’en déplaise aux ultimes dinosaures orléanistes partisans d’une famille connue pour sa duplicité héréditaire, il serait bien de déchirer le traité d’Utrecht et de sa mentalité anglomorphe préjudiciable aux intérêts français et européen.

Par cet essai intéressant, Sixte-Henri de Bourbon-Parme énonce une solution baroque et décalée. Une double monarchie au moins pour la Belgique, pourquoi pas finalement ? Ses réflexions témoignent pleinement que ce fils de France est un véritable Français d’Europe.

Georges Feltin-Tracol

Sixte-Henri de Bourbon-Parme, Une double monarchie sauverait la Belgique. Observations d’un ami du Royaume. Essai politique, Paris, Éditions Godefroy de Bouillon, 2011, 163 p., 17 €.


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lundi, 07 novembre 2011 | Lien permanent | Commentaires (1)

Montherlant - Céline: Match nul?

Montherlant - Céline: Match Nul?

par Alain JAMOT

Ex: http://lepetitcelinien.blogspot.com/

Vous avez vu Montherlant pour son élection (à l’Académie). Ça va bien pour lui, il doit être content. Lui c’est Chateaubriand qui le gêne.
Le drapé antique. Il n’y arrive pas, ça l’embête.”
(Céline, sur Montherlant)

C’est de la littérature, aussi artificielle et aussi désuète que celle de Paul Alexis ou de Paul Lombard, écrivain au style “artisse” de la fin du XIXème siècle, et qui ne sera plus lue dans cinquante ans.
(Montherlant, sur Céline) Dictionnaire Céline, Philippe Alméras.


Mettre en vis à vis, dans un article, Montherlant et Céline, c’est un peu fouiller l’arrière-boutique un tantinet poussiéreuse de la littérature de droite d’il y a bien longtemps, celle du siècle dernier. L’aristo et le prolo, le gars de Neuilly et celui de Courbevoie, l’attentiste et le collabo, le spécialiste de la posture et la brute incapable de masquer ses sentiments et ses haines… Ont-ils quelque chose de commun, ces deux-là, à part finalement le succès, les manuels de littérature et la couverture blanche de Gallimard ?

Quand j’ai découvert les deux coupables, il y a bien longtemps, alors que je sortais de l’enfance pour aborder les rivages un peu pénibles de l’adolescence, et que je ne connaissais de la littérature (en gros) que Bob Morane, Jules Vernes et Oui-Oui, je m’imaginais que j’allais tomber avec eux sur des types sulfureux, des serial-writers fascistoïdes, des nazillons graphomanes, des suppôts du Mal (c’est à peu près ainsi que mes profs de lettres seventies les présentaient, eux qui se délectaient de Barthes ou de Rouge, dans ma lointaine banlieue).

Eh ben non, c’était tout le contraire ! Montherlant et Céline, y faisaient rien qu’à raconter des histoires de losers, de célibataires, de grabataires, de nanas encore turlupinées par Jésus avant de prendre la position horizontale, des histoires de misère, de dispensaire, de tuberculeux crachant leurs derniers instants dans des taudis et des galetas insalubres ! Bonjour la douche froide ! C’était donc ça, les méchants écrivains fascistes ? Je me disais bien qu’ils avaient dû se calmer avec l’âge (pour rentrer dans la Pléiade, mieux vaut éviter de rewriter Mein Kampf ou Je suis partout), mais qu’en fouillant dans leur production des années d’avant-guerre, ce serait bien le diable si je ne trouvais pas des trucs croustillants… Rien, nada !

Avec eux (mais ça décrivait bien aussi Drieu La Rochelle), je découvrais que l’écrivain de droite était avant tout un triste sire, un scribe consciencieux du tragique de la déliquescence franchouille, de la décadence, du lent glissement de la patrie de Pagnol, du pastis et des charentaises vers le néant intergalactique de la fin de l’Histoire…

Point de militants nationalistes et mystiques dans leurs bouquins, oh non, pas de héros guerriers triomphants en route vers le Walhalla, non non, mais de pauvres hères au quintal, analysés, scrutés, quantifiés, dans leurs sinistres et pathétiques habitudes de cocus de l’Histoire… des types humains pas très loin des héros de polars qui déferleraient sur l’Hexagone deux ou trois décennies plus tard.

Mais comment tout cela avait-il pu commencer, et d’où leur venait alors cette réputation sulfureuse ? En fait, le truc à la base, qui les rapprochait, c’était quoi ? C’était la guerre, la vraie, la Grande Guerre, celle de 14.

La guerre, la vraie.
Quand elle arrive, nos deux pieds nickelés ne se dégonflent pas : Céline suit le 12e régiment de Cuirassiers où il s’est engagé en 1912, Montherlant arrive enfin à se faire incorporer en 17. Les deux sont blessés, et finissent comme auxiliaires, Céline à Londres, Montherlant en France, à l’État-Major.

Montherlant, complètement shooté à Barrès, voit des morts partout et commencera, avec La Relève du matin, à broder sur le thème du sacrifice qui ne sert à rien, du héros qui meurt pour sauver un monde qui n’en vaut pas la peine.

Céline hallucine pour sa part sur le massacre, la boucherie, tout ce qui ressemble à un képi lui file de l’urticaire et se découvre pacifiste.

La différence fondamentale entre eux deux se trouve déjà là, bien évidente : Montherlant suit la guerre par les journaux, assiste aux messes d’enterrement de ses potes de Sainte-Croix de Neuilly, intrigue pour enfin endosser un uniforme et se rendre utile. Et ne pas passer pour un lâche après… Céline, on ne lui demande pas son avis, allez hop le proldu, au front ! En première ligne ! Et il se bat, est blessé. Céline y va à fond, en prend plein la gueule, ne s’économise pas. Montherlant se balade en semi-touriste, malgré lui, s’engage du bout des lèvres. On retrouvera sans cesse cette opposition entre eux, dans leur vie, dans leurs livres, dans leur style.

Pour les deux hommes, c’est la douche écossaise, l’électrochoc qui les sort de la programmation sociale : et tous deux, après la guerre, vont aller découvrir le monde, car à quoi bon survivre au suicide de l’Europe si c’est pour rester enkystés dans la médiocrité ?

Voyages voyages…
Céline rame, se marie et décroche son doctorat de médecine, Montherlant compte les crânes à l’Ossuaire de Douaumont. Tout cela aura vite une fin : twenties encore remuantes, chacun va foutre le camp parce qu’il n’y a que ça à faire.

Montherlant racle les fonds de tiroirs de sa mamie et réussit à se faire publier à compte d’auteur, puis un éditeur le remarque : let’s go ! Le pognon semble arriver assez facilement, bref il se débrouille et en route : c’est le Sud, l’Espagne, l’Algérie. Loin, mais pas trop. Les colonies et les espingouins, on connaît, on prend pas trop de risque pour le rapatriement.

Pour l’illuminé de Courbevoie, c’est une autre chanson : dès 1916, l’Afrique, puis avec la SDN les États-Unis, Cuba, le Canada, l’Angleterre. Céline bosse, rencontre des gens, se tape des greluches, rumine, observe, commence à gueuler.

Mine de rien, les deux rigolos inventent à leur façon on the road again et Katmandou quarante ans avant les autres, et repèrent déjà que la France bat de l’aile, qu’elle ne se relèvera jamais plus du grand abattoir de 14, que les colonies sont un enfer pour les autochtones et les petits blancs.

En politique, y savent pas trop où ils en sont, mais ça commence déjà à mijoter tout autour d’eux : la peur du bolchevique mine la bourgeoisie européenne, le couteau entre les dents alimente les fantasmes des rentiers et des parlementaires.

Bref, c’est le générique d’Amicalement vôtre : Montherlant/Brett Sinclair se la coule douce, découvre le sport et l’ambiance mecs sur le stade, vit dans les quartiers bourgeois et publie déjà beaucoup ; Céline/Danny Wilde bourlingue, travaille, écrit une vague nouvelle et a définitivement cessé d’être un prolo. Tout les sépare, tout les éloigne l’un de l’autre. Et puis arrivent les années trente…

Les grandes manœuvres
Céline, toujours fauche-man, a repéré qu’Eugène Dabit cartonne avec Hôtel du Nord et s’imagine qu’on peut se faire des couilles en or en écrivant de la prose prolétaire : l’innocent ! Un vrai réflexe de midinette ! Résultat, il pond Voyage au bout de la nuit ! Et ne se rend même pas compte qu’il vient de violer la langue française et de créer une brèche dans le ronron académique.

Denoël chope l’ovni au vol juste devant Gallimard, et c’est l’entrée en fanfare : il rate le Goncourt de peu (mais reçoit le Renaudot), avec un premier roman qui deviendra l’un des plus célèbres livres français.

Il en prend déjà plein la gueule : quoi, pas de grandes périodes classiques, pas de beau style, mais des mots crados, de la misère et encore de la misère, du désespoir, des pauvres comme s’il en pleuvait, et pas de rédemption, pas de lendemains qui chantent ?

Céline s’en fout, touche du pognon, se balade, écrit beaucoup. Et, au fil des années, commence à déraper : il fréquente Léon Daudet, se grise de succès, se passionne pour la politique et l’hygiène sociale, se croit tout permis, prend un premier râteau avec Mort à crédit et publie en 1937 Bagatelles pour un massacre : quel con ! Il a déjà commis un premier pamphlet contre les cocos de retour d’une virée en URSS, sans grand retentissement. Mais là, il est servi : l’antisémitisme est à la mode, on en redemande, et ça va lui coûter sa crédibilité. Comment un type aussi intelligent, un écrivain aussi doué a-t-il pu se laisser embarquer dans ce délire quasi-psychiatrique, ces élucubrations racialistes à la mords-moi-le-nœud ? Gide le ridiculise dans la NRF. Il s’en moque, et l’année suivante, rebelote : L’Ecole des cadavres !

Fin des haricots : la malédiction Céline s’installe, Gringoire, Je suis partout, l’Action française applaudissent, la gauche rejette notre héros dans les ténèbres, et lui, of course, se radicalise. On ne parlera désormais plus que de cela pour l’éternité, de ces deux opuscules gueulards et maladroits même si le style atteint parfois des sommets, où la haine du Juif se mêle au pacifisme, la peur de la guerre à la haine du fric. Pour le beauf de base, l’affaire est entendue : Céline, c’est de la littérature antisémite, et qui se vend bien, en plus… En 1939, les deux pamphlets sont pourtant interdits.

Pendant ce temps-là, Montherlant arrête ses rêveries sur le sport et la morale antique, et décide de surfer sur la misère lui aussi, mais plutôt celle de sa classe avec Les Célibataires, où deux noblaillons dépensent des trésors d’imagination pour ne rien foutre et vivre leur vie de parasites sociaux. Carton ! Il décide alors d’explorer aussi la misère sexuelle, et pond quatre tomes des Jeunes filles, où un Casanova froussard et cultivé fait la leçon à une Solange encore travaillée par le catholicisme : re-carton. Pour l’époque, ça sent bon l’érotisme, la provoc, la petite culotte, le crucifix et les grandes envolées élitistes. Étrange mélange, mais blockbuster de l’édition, en un temps où les curés faisaient encore recette et ne jouaient pas devant des salles vides.

Montherlant s’en met plein les fouilles à son tour, publie de nombreux petits ouvrages à tirages limités (genre L’Eventail de fer) chez des éditeurs obscurs, et se fait encore plein de pognon dessus ! Il a tout compris du business littéraire, et ne prend pas de risques idiots comme Céline : il surfe sur les fantasmes de l’époque, s’invente un personnage de pacotille, mélange d’antique, de préfasciste et de conservateur mais s’arrête avant l’erreur fatale. Il sent son public, lui donne ce qu’il souhaite, et parfois écrit pour lui-même, dans de petits essais confidentiels.

Alors Montherlant poltron et Céline courageux ? Pas si simple… Montherlant avance masqué, ses journées sont souvent des journées composées exclusivement de drague et d’écriture, et il ne veut pas trop attirer l’attention sur le penchant qu’il partage avec André Gide. Il sait aussi que si la politique peut faire parler de vous et vous lancer, elle peut aussi vous griller à vie en cas de dérapage et vous tailler un costard dont vous ne parviendrez plus à vous défaire, ad vitam aeternam… Et puis, si Montherlant, comme tous les auteurs, est vaniteux et exhibitionniste, il connaît via sa famille les rouages du monde, il sait en jouer. Alors que Céline, gros balourd génial et emporté, s’étonne des retours de flammes et des cabales. Assoiffé de reconnaissance, artistique, sociale, Céline veut tout, les gonzesses, le pognon, les gros titres et les gros tirages tout en restant lui-même, et en se permettant de délirer si bon lui semble. Oh coco, ça marche pas comme ça, et les écrivains et la politique, ça colle rarement, ils se font avoir presque à chaque fois…

Montherlant, malgré ses airs de Grand d’Espagne, calcule tout, prévoit presque tout, et avouera même avoir préféré retourner à son écritoire le 6 février 1934 plutôt que d’aller voir où en était le match Camelots du Roy/Préfecture de Police !

L’apocalypse
À partir de 1940, leur différence fondamentale s’affirme encore davantage. Céline boit des coups avec Brasillach, sert la louche d’Otto Abetz (Montherlant… aussi), torche des articulets pronazis, s’inquiète des progrès de la Résistance et se fout de la gueule de Pétain.

Montherlant publie Le Solstice d’été, vision Collège Stanislas de la victoire d’Hitler, pontifie un max mais décline très astucieusement tout appel du pied trop pressant de la Révolution Nationale. Toujours la prudence…

À partir de la Libération, où Montherlant s’en sort après une bonne remontrance, il décide de se lancer dans le théâtre, l’opérette pied-noir revue façon Grand Siècle, et nous débite La Reine morte et Le Maître de Santiago ! Du beau boulot, du sublime au kilomètre, mais ça reste du toc, du chiqué, du bois peint, du faux marbre. Le militant de droite qui se pique de culture s’extasie, et s’en sert comme rempart contre Sartre et Ionesco. On a les émotions, et les références, qu’on peut…

Céline court sous les bombes avec le chat Bébert et sa dulcinée dans Berlin, claque du bec avec Le Vigan en Poméranie et finit dans une geôle au Danemark. Et à l’époque, le Danemark, c’est pas encore l’État providence, les blondes sublimes à la poitrine opulente et à la morale sexuelle élastique : point de porno, mais plutôt la grisaille, le froid, la faim, le protestantisme. L’horreur, quoi…

Céline dépérit, commence ses correspondances fleuves, et finit par rentrer en France sur une astuce légale. Le voilà parti pour la misère, encore et encore, la gueulante aigrie, la paranoïa comme raison d’être, les falzars tenus par des bouts de ficelle, la pleurnicherie incessante, le fantasme des Chinois déferlant sur l’Occident, l’Apocalypse à Meudon, le discours répétitif et saoulant d’un vieillard complètement largué et méchant comme une teigne, avec des grabataires comme clients de son cabinet médical et du bordel dans toute la maisonnée.

Il engueule Gaston Gallimard, pleure sans cesse pour un à-valoir ou une réédition pendant que ce dernier signe de confortables chèques à Montherlant, qui est quasiment sacré Trésor National Vivant et entre à l’Académie.

Alors ça finit comme un mélo : Céline meurt angoissé, aigri, cradingue sans jamais avoir triché. Et Montherlant se flingue douze ans après, ne supportant plus de devenir aveugle… et son masque se fendille définitivement.

Résultat des courses
Que reste-t-il aujourd’hui de tout cela ? Littérairement, Céline gagne haut la main. Avec Proust (et Joyce), il a propulsé l’écriture hors des remugles bourgeois et des ânonnements bécasses des profs de lettres. La littérature, avec lui, ça gueule, ça souffre, ça pète, ça picole, ça frôle les grands parcours Deleuze/Guattari : on se déterritorialise pour replanter sa casbah ailleurs, plus loin, toujours plus loin, on va de ligne de fuite en ligne de fuite, on s’immerge dans le devenir perpétuel, dans le devenir-animal, le devenir-Bébert, le devenir-totalitaire, on prend tous les risques, on explose la syntaxe, on déverse un proto-argot, on se ramasse, et on parvient même à faire sortir des écrasements historiques et sociaux des trésors de tendresse. Eh oui, comme tous les grands énervés, Céline sait aussi fondre de tendresse et d’amour pour sa meuf, son chat, ses amis, mais aussi ses pauvres, ses patients, ses prolos, ceux qui sentent la soupe, qui puent de la gueule, qui crèvent de la vérole, de la tuberculose ou du cancer, tous ceux pour qui le Front Populaire fut alors une miraculeuse épiphanie.

Céline écrivain de droite ? Oui, mais d’une droite métaphysique, ontologique, pour qui le surgissement de l’Être ne peut s’accompagner que d’un désespoir intégral et glaçant, d’une droite pour laquelle il n’y a pas de rédemption possible, et dont la parousie ne peut s’imaginer que comme une explosion vitaliste sans retour, un festival au lance-flammes…

Montherlant, lui, avec son beau style, ses gros tirages d’antan et ses postures agaçantes, était en fait un homme du passé. L’aboutissement plutôt que le commencement de quelque chose. Tout sonne un peu vieillot chez lui et surtout son style, un peu irréel, encore intéressant, parfois saisissant ou touchant, mais si loin, si loin… Montherlant héros d’une droite faussement moderne, qui se fait un film sur l’Ancien Régime, qui se prend le chou sur des arguties catholiques proprement inintelligibles aujourd’hui pour le Français moyen, ou qui ronchonne encore sur la perte de l’Algérie Française.

Montherlant qui a aussi sûrement agi pour la décrédibilisation de l’écrivain en tant qu’artiste et intellectuel utile et légitime à droite que Sartre et BHL à gauche, c’est dire !

Céline anticipe notre chaos quotidien, nous file une toolbox stylistique pour nous en sortir. Montherlant nous ouvre son musée, et nous explique que quand même, avant, c’était mieux…

Bukowski révérait Céline, et en fera un quasi-personnage dans son dernier roman.

Montherlant, même Le Figaro n’en parle plus !

Restent les livres, au-delà des hommes et des parcours. Mais combien les lisent encore vraiment, ces deux-là ?

Alain JAMOT
surlering.fr, 27/10/2009.
Repris sur le site montherlant.be

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mercredi, 26 janvier 2011 | Lien permanent

Le déni des réalités, la clé du mystère de notre décadence...

 

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Le déni des réalités, la clé du mystère de notre décadence...

par Marc ROUSSET

Ex: http://synthesenationale.hautetfort.com/

Le déni des réalités par nos sociétés sous l’emprise des médias politiquement corrects et des politiciens pratiquant l’art de plaire et du mensonge avec pour seule fin d’être réélus, est l’explication principale de notre décadence.

Le libre échange mondialiste comme l’a très bien démontré Maurice Allais n’est rien d’autre que le suicide économique des pays occidentaux, l’Allemagne, au-delà des apparences, ne devant être que le dernier pays à connaitre à son tour ce sort peu enviable. Alors que le discours dominant du journalisme proclame depuis trois  décennies que le protectionnisme européen est le mal absolu, les travaux de Paul Bairoch à Genève et de nombreuses universités américaines (industrialisation de l’Asie, Tariff Growth factories...) aboutissent à un résultat inverse. Quant à la théorie de Ricardo, elle ne vaut que dans un monde stable et figé du XVIIIème siècle faisant abstraction des mouvements internationaux de capitaux de notre monde actuel, des taux de change qui peuvent varier de 50% et de la mise en œuvre  des technologies de pointe dans les pays à bas salaire. La désindustrialisation et  le chômage structurel tant aux Etats-Unis (17% au-delà du taux officiel de 9,1%°) qu’en Europe témoignent enfin du déni des conséquences catastrophiques pour les peuples du libre échangisme mondialiste qui ne fait que le bonheur des sociétés multinationales. Enfin le symbole même de la ligne Maginot qui a parfaitement joué son rôle est un déni historique des réalités ; par là même on instille dans nos esprits l’idée fausse qu’il est inutile de réagir et de  songer à se défendre ! La seule erreur en 39-40 a pourtant été de ne pas continuer la ligne Maginot jusqu’à Dunkerque et de ne pas avoir de divisions mécanisées blindées. Les Allemands avaient la ligne Siegfried qui  elle aussi a magnifiquement fonctionné et coûté de nombreuses vies aux Alliés fin 1944-début 1945 !

De même nos élites nient les réalités de la disparition programmée de la langue française qu’ils trahissent, comme Valérie Pécresse et tant d’autres, du matin jusqu’au soir, d’une façon éhontée. Selon Claude Hagège, du Collège de France, avant un demi-siècle, les langues autres que l’anglais auront disparu en Europe ou, alors, se seront provincialisées ». Les réalités, c’est le stupide accord de Londres signé sous la Présidence de Nicolas Sarkozy qui fait de l’anglo-américain la langue des Brevets de l’Europe. Les réalités, c’est qu’en 1945, 95% des jeunes Italiens étudiaient le français ; ils représentent moins de 30% aujourd’hui et le français n’est même plus enseigné comme première langue en Italie ! La réalité, c’est que la langue française est envahie par les armées du sabir anglo-américain qui la ravagent comme les armées anglaises ravageaient la France pendant la Guerre de Cent Ans et  que, si rien ne change, l’on se dirige à terme vers une nouvelle Louisiane !

Il m’a fallu attendre un grand nombre de printemps pour apprendre que, contrairement à tout ce que j’ai pu voir depuis que je suis sur cette Terre, selon la théorie du « gender », autre énormité qui nous arrive directement des Etats-Unis, la masculinité et la féminité ne seraient pas déterminées par le sexe de la personne, mais par la culture : bref, on ne naîtrait pas homme ou femme, mais on le deviendrait ! Cette folle théorie heurte le sens commun le plus élémentaire et son grand ennemi est la nature, la loi naturelle que l’on veut bizarrement nier tant il est facile de jongler et de dire n’importe quoi dans le monde virtuel  des  Idées...

Que l’on songe également aux cocoricos démographiques français, soi-disant  champions d’Europe de la natalité qui nient la réalité, à savoir la perte du caractère blanc et européen du peuple de France avec un taux de fécondité des femmes européennes de 1,7 enfants par femme, soit moins que le taux de reproduction d’une population à l’identique qui doit être de 2,1, tandis que l’invasion en cours continue avec un  taux de natalité des populations immigrées  d’origine extra-européenne de 3, 4. Les médias en ne publiant que des chiffres globaux, nient les catastrophiques réalités démographiques.

En matière d’immigration, les bien-pensants à l’humanisme exacerbé, comme le remarque Jean Raspail, déclinent à l’infini les valeurs républicaines oublieux que la France est une « patrie charnelle » qui existait déjà bien avant 1789, avec des frontières ; ils n’arpentent pas assez souvent les couloirs parisiens du métro ou du RER pour constater l’invasion en cours ! La réalité, c’est que les naissances d’origine extra-européennes représentent 17% des naissances aujourd’hui et qu’elles atteindront 30% en 2030 et 50% en 2050, si rien ne change ! La réalité, c’est que la France  compte plus de 550 000 immigrés en situation irrégulière dont le coût annuel est de 4,6 milliards d’euros tandis que le coût global des 7,8 millions immigrés légaux et illégaux est de 35 milliards d’euros par an ! Il y a là des premières économies bien réelles à faire, quitte à donner l’ordre de tirer pour défendre nos frontières ou rétablir l’ordre dans nos banlieues criminelles, comme l’auraient fait tout naturellement et sans états d’âmes  nos pères depuis la nuit des temps, après sommation !

La crise de l’endettement public et de l’euro fait penser à ce qu’a connu l’Argentine. Tout allait très bien dans ce pays jusqu’à ce que l’on reconnaisse subitement que c’est la faillite généralisée. L’ex-ministre des Finances d’Argentine Robert Lavagna, lors d’une rencontre début Juillet 2011 à Aix en Provence, qui était aux manettes peu après que son pays ait répudié sa dette souveraine en 2001-2002 a pu dire : « Il y a d’abord un refus de la réalité. Puis un retard à reconnaitre la crise au fur et à mesure que les déséquilibres s’accroissent : on continue de dire qu’il s’agit d’un problème de liquidités alors que le pays n’est plus solvable ni compétitif ». La réalité, c’est que l’Europe traverse une crise profonde car elle gère ses finances en s’inspirant des idées socialistes irresponsables de Madame Aubry (surnombre de fonctionnaires, 35 heures, âge de la retraite, endettement inconscient et sans fin  pour relancer la consommation au lieu de consacrer, comme l’Allemagne ces mêmes ressources pour muscler, créer et développer l’offre, c'est-à-dire investir dans  les entreprises !) La réalité, c’est que la France présente des comptes en déficit depuis trente ans quelle que soit la conjoncture économique, qu’elle croule sous 1600 milliards euros de dettes  et qu’avec des taux d’intérêts aujourd’hui très faibles, elle consacre déjà 50 milliards au paiement de ses seuls intérêts, soit davantage qu’au budget de fonctionnement de l’Education nationale ! Merci Monsieur Mitterrand, Merci Monsieur Chirac, sans oublier notre Président actuel légèrement moins irresponsable sur le seul  plan économique ! Quant à la Grèce, on a réussi à faire passer pour solvable un pays techniquement en faillite. L’UE, Messieurs Sarkozy, Trichet, Strauss-Kahn, toutes les banques françaises et allemandes, et la béni oui-oui  Madame Lagarde avec sa brillante carrière consistant à plaire  dans l’air du temps anglo-saxon, insistaient pour sauver un pays ruiné, avec un déficit budgétaire qui représente 10% du PIB et une dette de 350 milliards qui dépasse de 150% la richesse produite en un an ! Telle la Cigale de La Fontaine, après avoir chanté pendant plus de 30 ans, voilà venu le temps pour les Européens (tout comme pour les Américains) de rembourser les dettes abyssales bien réelles. Et lorsque les Agences de Notation font enfin leur travail, en décrivant les tristes réalités, les mêmes bien-pensants hypocrites qui leur avaient reproché de ne pas avoir dévoilé l’escroquerie des « subprime » crient au scandale en souhaitant casser ce thermomètre inflexible, froid et accusateur qui leur fait si peur ! L’Allemagne, elle est revenue aux 40 heures, va faire passer l’âge de la retraite à 67ans et a des charges salariales pour ses fonctionnaires qui représentent 7,2% du PIB contre plus de 13% du PIB pour la France ! Redresser  la France et les comptes français n’est donc pas compliqué ; il suffit d’avoir l’estomac et la volonté d’un De Gaulle : combattre effectivement l’immigration extra-européenne avec une immigration zéro, la politique du retour et une aide nataliste pour les seules familles européennes, passer aux 40 heures, revenir à l’âge de la retraite à 65 ans de l’avant catastrophe mitterrandiste, diminuer le nombre des fonctionnaires d’une façon drastique pour gagner 6% du PIB, augmenter le budget de la défense à 3%du PIB, faire preuve d’autorité et demander aux jeunes lycéens irresponsables, endoctrinés  qui manifestent pour la retraite à 60 ans de revenir à leurs chères études, ce dont ils ont bien besoin, vu le niveau  actuel du baccalauréat… et, sans même parler de l’Allemagne, voyons comment la Suède et le Canada ont réalisé leur spectaculaire redressement en s’attaquant en particulier à l’inefficacité de la fonction publique, exit donc les énarques carriéristes, technocrates prétentieux, ne songeant qu’à pantoufler dans le privé, avides de privilèges cachés par les nuages de fumées protectrices du service public, aux beaux discours lénifiants, mais irréalistes et incapables depuis la création de l’ENA en 1945 de mettre en place des structures administratives légères, compétitives et efficaces...

En matière de défense, au-delà  des rodomontades sarkoziennes, la réalité, c’est que la France, avec un effort insuffisant de 1.5% du PIB (5,1% sous le général De Gaulle), des régiments qui fondent comme neige au soleil, et des équipements militaires prototypes, devient une puissance militaire de second ordre, un  valet  de l’OTAN ! La réalité, suite à l’intervention en Libye, c’est que l’amiral Pierre Forissier, chef de la Marine, a insisté publiquement le 10 juin 2011 sur les contraintes de « régénération » des équipements et des hommes. Elles feront que si l’opération libyenne dure jusqu’à la fin de 2011, il faudra se passer de l’unique porte-avions français en 2012. Il est en effet du devoir d’un chef militaire de dire les choses telles qu’elles sont quand il y va du maintien des capacités opérationnelles dans la durée et de la vie des hommes et des femmes qui sont sous ses ordres. Quant à la défense européenne qui devait être la contrepartie de la réintégration de la France dans   l’OTAN, la réalité c’est que le Président  Nicolas Sarkozy, après son passage  en force devant le Parlement pour faire avaler la pilule, nous a illusionné une fois de plus, que le sujet est enterré, suite à l’éternelle opposition britannique, et que la cellule de planification opérationnelle du QG européen à Cotenbergh dans les environs de Bruxelles qui comprend en tout et pour tout 8 personnes, n’a jamais été utilisée , même pour l’intervention au Tchad !

En ce qui concerne la folie droit de l’hommiste propre à notre époque, en opposition totale avec l’histoire vécue depuis  qu’il y a des hommes sur terre, nous citerons seulement le très réaliste Joseph de Maistre : « J’ai vu dans ma vie des Français, des Italiens, des Russes. Je sais même grâce à Montesquieu qu’on peut être persan ; mais quant à l’homme, je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie ; s’il existe, c’est bien à mon insu » (1)

Nous vivons donc la folie de « l’IrrealPolitik » avec les pertes des valeurs de la  famille, de la  patrie, de l’effort, du dépassement de soi, du travail, de l’autorité, du devoir, bref tout ce qui a fait la Grandeur de la France depuis les débuts de son histoire jusqu’à la perte de son Empire ! A ce déni des réalités salvatrices des valeurs traditionnelles et des faits, ont succédé l’individualisme, l’hédonisme matérialiste, l’irresponsabilité, la repentance, le droit de l’hommisme, les envolées lyriques humanistes, style Bernard Henri Levy,  qui nous conduisent à la décadence. Les Européens occultent délibérément les réalités ethniques, géographiques, identitaires, démographiques, économiques, historiques, considérées comme des résidus du passé. De Gaulle parlait de « la lampe merveilleuse qu’il suffirait de frotter pour voler au-dessus du réel ». Cioran, lui, au-delà du déni des réalités, dans deux ouvrages écrits en 1956 et 1964, avec des sentiments prémonitoires,  nous aide à mieux réaliser le malaise existentiel de l’Européen : « Pauvre Occidental ! La civilisation, son œuvre, sa folie, lui apparaît comme un châtiment qu’il s’est infligé et qu’il voudrait à son tour faire subir à ceux qui y ont échappé jusqu’ici (2) (...) Les traces du barbare qu’il fut, on les chercherait en vain : tous ses instincts sont jugulés par sa décence. Au lieu de le fouetter, d’encourager ses folies, ses philosophes l’ont poussé vers l’impasse du bonheur (3) (...). Nous nous illusionnons à propos de l’idéal du bien vivre qui n’est que la manie des époques déclinantes » (4).

Notes

1 -Joseph de Maistre, Considérations sur la France, 1790

2 - Cioran, La Chute dans le temps-Paris-Gallimard, 1964, p. 36

3 - Cioran, La Tentation d’exister-Paris-Gallimard, 1956, p. 30

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lundi, 25 juillet 2011 | Lien permanent

L'axe paneuropéen Paris Berlin Moscou

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L’axe paneuropéen Paris – Berlin – Moscou

En 2002 sortait Paris – Berlin – Moscou par Henri de Grossouvre (1). Un an après, l’actualité semblait avaliser cette perspective avec le refus de la France, secondée par l’Allemagne et la Russie, de cautionner l’aventure étatsunienne en Irak. Cependant, l’invasion de ce pays, puis l’arrivée à la Chancellerie et à l’Élysée d’atlantistes patentés avortèrent cet axe embryonnaire et surtout de circonstance. Sept ans plus tard, Marc Rousset relance le concept qui présente l’avantage de dépasser à la fois le strict souverainisme national et l’utopie mondialiste.

Imposant, l’ouvrage est aussi stimulant. Nourri par les lectures d’Yves-Marie Laulan, Samuel Huntington, Julien Freund, Carl Schmitt, Alain de Benoist, Régis Debray, Emmanuel Todd, etc., Marc Rousset prend note de l’échec essentiel de la présente construction européenne et offre une alternative : l’axe paneuropéen Paris – Berlin – Moscou.

La Françallemagne ou le chaos multiculturel


Hostile à l’adhésion turque, l’auteur s’inquiète de la sous-natalité des Européens et de son terrible corollaire, l’immigration extra-européenne de peuplement. Pour lui, les petits égoïsmes nationaux devraient s’estomper au profit d’une réconciliation des « deux poumons » de l’Europe : l’ensemble occidental romano-protestant et son pendant oriental orthodoxe. L’auteur de La nouvelle Europe de Charlemagne (1995) conçoit l’Europe de l’Ouest comme un espace « néo-carolingien » organisé autour d’une unité politique étroite entre Paris et Berlin. Marc Rousset veut la Françallemagne. « Y aura-t-il un jour un État franco-allemand comme il en fut naguère de l’Autriche-Hongrie ? La France et l’Allemagne constituent une continuité spatiale de plus de cent quarante millions d’habitants. La restauration de l’espace communautaire franc est la tâche dévolue tant aux Français qu’aux Allemands. Elle est la condition préalable à toute unité européenne […]. La France et l’Allemagne sont liées par une Schicksalgemeinschaft, une “ communauté de destin ”, affirme-t-il » (p. 133) (2). Plus loin, il ajoute sans hésiter qu’« il n’y a que la Françallemagne augmentée éventuellement de l’Italie, de l’Espagne, des États de Bénélux et de l’Autriche pour présenter un bloc suffisamment homogène, puissant et crédible, capable de s’appuyer ou de s’allier avec la puissance russe » (p. 532).

Or l’homogénéité ethnique, gage et/ou facteur de la puissance selon l’auteur, est-elle encore possible quand on connaît la déliquescence multiraciale de nos sociétés ? « Une société multi-ethnique conduit tout droit inexorablement, au mieux à des troubles et des affrontements, au pire au chaos et à la guerre civile, car il lui manque la philia, la fraternité sincère, réelle et profonde entre les citoyens » (p. 523), observe-t-il avec lucidité. Une France européenne ne présuppose-t-elle pas au préalable le retour au pays massif et inconditionnel des allogènes ?

Marc Rousset dénonce avec raison l’islamisation du continent, mais il ne voit pas que ce phénomène n’est que la conséquence inévitable de l’immigration. Plus grave, l’auteur reproduit sur l’islam les lieux communs les plus banaux. Il apporte son soutien à Robert Redeker, grand contempteur naguère du mouvement national. Il assimile l’islamisme à un « nouveau totalitarisme » (p. 300) ou à un « fascisme vert » (p. 301), ce qui est erroné et préjudiciable. Le concept de totalitarisme fait l’objet de discussions animées au sein de la communauté historienne. Quant à assimiler l’islamisme au fascisme, n’est-ce pas s’incliner devant l’« antifascisme » obsessionnel et perdre  la bataille du vocabulaire ? Enfin, vouloir, à la suite de quelques musulmans « éclairés », un « islam des Lumières » (p. 290), n’est-ce pas une ingérence dans une matière qui n’intéresse pas au premier chef les Européens ? Est-il vraiment indispensable de promouvoir la modernisation et/ou l’occidentalisation de l’islam, c’est-à-dire la contamination de cette religion par le Mal moderne, matérialiste et individualiste ?

L’économie comme instrument de la puissance

La dépression démographique n’est pas le seul défi à une possible entente paneuropéenne. Suivant le prix Nobel d’économie Maurice Allais, l’auteur conteste le libre-échange et la mondialisation, la « fuite des cerveaux » et la désindustrialisation. Il rappelle qu’« avec la délocalisation de son tissu industriel et depuis peu de ses services informatiques et de gestion, l’Europe perd chaque année des centaines de milliers d’emplois. Ce furent d’abord les emplois les moins qualifiés. Ce sont aujourd’hui des métiers à haute technicité qui sont externalisés vers l’Asie » (p. 49). Il s’effraie par ailleurs de la généralisation des emplois précaires du fait de la concurrence exacerbée planétaire aussi bien là-bas où le pauvre hère travaille dix heures par jour pour un salaire misérable qu’ici avec la pression exercée sur les rémunérations par les étrangers clandestins délinquants réduits en esclavage par un patronat immonde. Il craint en outre que l’essor des services à la personne ne soit « favorisé [que] par le contexte d’inégalité sociale croissante » (p. 55). Bref, « il est vital pour l’Europe de ne pas rester à l’écart du monde industriel moderne, de concevoir un développement industriel fort, créateur d’emplois pour la prochaine génération, d’assurer un renouvellement de son tissu manufacturier » (p. 56), clame  cet ancien directeur général chez Aventis, Carrefour et Veolia.

Cependant, l’industrie et le tertiaire à haute valeur ajoutée ne doivent pas mésestimer la caractère stratégique de l’agriculture. À rebours des thèses sociologiques du cliquet ou d’un secteur agricole surproductiviste et sans presque de paysans, on a la faiblesse de croire qu’une économie humainement satisfaisante suppose un équilibre entre les secteurs primaire, secondaire et tertiaire. Les questions agricole et nutritionnelle sont en passe de devenir des enjeux majeurs du XXIe siècle. Avec la maîtrise de l’eau douce et le contrôle des ressources naturelles énergétiques, la quête de terres arables devient une priorité, car elles sont à l’origine, par l’auto-suffisance qu’elle induit, de la souveraineté alimentaire. Signalons que dans cette recherche bientôt éperdue, l’Europe détient un atout considérable avec les immenses Terres noires fertiles de Russie et, surtout, d’Ukraine (3). Ce simple fait inciterait l’Europe, la France et l’Allemagne, à régler en arbitres le contentieux entre Moscou et Kiyv afin de rendre effective une entente géopolitique respectueuse de tous les peuples.

Surmonter les querelles nationales !


Concernant les relations entre l’Ukraine et la Russie, notre désaccord est total avec Marc Rousset. S’appuyant sur l’historiographie conventionnelle française, il mentionne la « Russie de Kiev » alors que le terme « Russie » n’apparaît qu’en 1727. Il aurait été plus juste de parler de « Rous’ » ou de « Ruthénie ». Certes, « pour les Russes, l’Ukraine est une partie intégrante de la Russie, une simple annexe de Moscou » (p. 363). Cela implique-t-il de nier l’existence du peuple ukrainien ? Marc Rousset le pense puisqu’il affirme que « l’identité ukrainienne n’existe pas. Cette identité, exception faite de la Galicie, est une variante de l’identité russe et non une nationalité constituée qui s’interposerait durablement entre Russie, Pologne et Slaves du    Sud » (p. 367). Ignore-t-il que la langue ukrainienne s’est formalisée deux décennies avant la langue russe ? L’auteur se fourvoie quand il explique que « le russe et l’ukrainien sont si proches que deux locuteurs parlant chacun sa langue se comprennent sans interprète » (p. 367). Autant écrire qu’un Castillan et un Catalan se comprennent sans mal… relevons une autre erreur : « à Kiev, il est difficile de trouver un panneau autre qu’en russe » (p. 366). En réalité, l’ukrainien domine largement l’espace public de la capitale de l’Ukraine. Sait-il enfin que les dirigeants de la « Révolution orange », Viktor Iouchtchenko et Yulia Timochenko, viennent des confins orientaux, russophones, du pays et non de Galicie ?

L’axe paneuropéen ne pourra pas faire l’économie d’une résolution équitable et sereine des lancinantes questions nationalitaires inter-européennes. La nouvelle Europe Paris – Berlin – Moscou compenserait la complexe problématique impériale russe. Les Russes n’ont toujours pas fait le deuil de leur empire, tsariste puis soviétique, d’où cette politique agressive envers l’étranger proche (4) qui, par méfiance, se place sous la protection illusoire de l’O.T.A.N. Le projet paneuropéen de puissance transcenderait la frustration légitime de nos amis russes en un salutaire désir de renaissance géopolitique tant pour la Russie que pour les Allemands et les Français.

Comment alors acquérir cette puissance ? Force est de constater qu’à part les Russes, Français et Allemands ne se préoccupent guère de ce sujet. Le confort émollient de la Modernité les châtre psychologiquement. L’héroïsme est dévalorisé, remplacé par l’héroïne. En Afghanistan, les soldats allemands protestent contre leurs conditions de vie qu’ils jugent trop sommaires. Plus de soixante ans de rééducation mentale commencent à se payer et l’addition sera lourde. On aboutit au même constant en France. Le salut viendrait-il de la guerre économique mondiale ? En effet, le « nouveau continent » appliquerait la préférence communautaire, l’autarcie des grands espaces, le patriotisme économique et une coopération franco-germano-russe fort intense. « Il est temps que la France, l’Allemagne et la Russie coopèrent davantage pour de grands projets dans de nombreux d’une façon volontariste, que l’Eurosibérie se décide à enrayer son déclin, que les jeunes Européens désabusés, à l’égoïsme matérialiste hypertrophié, sortent de la torpeur passive et annihilante de la société de consommation futile et frustrante avec ses gadgets inutiles et loufoques, de l’idéologie américaine de la marchandise passion avec l’argent pour seul horizon, se guérissent d’une certaine forme de sida mental conduisant au renoncement à leur identité propre, à un idéal, au dépassement de soi » (p. 12). De ce fait, face à la montée des périls vitaux, « les Européens doivent […] se tourner vers les occidentalistes de la Russie, pousser les feux d’une réconciliation russo-ukrainienne et russo-géorgienne en lieu et place de la gifle inacceptable, du casus belli, que représenterait pour la Russie l’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’O.T.A.N. » (p. 527).

Quel avenir pour le continent paneuropéen ?


L’enjeu est considérable. « L’Europe doit-elle être simplement un sous-ensemble d’un empire transatlantique à direction américaine, ou est-elle, au contraire, un moyen pour les nations européennes de contrebalancer, avec l’aide de la Russie, les menaces […] ainsi que le poids de “ l’Amérique-monde ” ? L’Europe occidentale doit-elle, tel un paquet bien ficelé, continuer à être intégrée au One World dirigé depuis Manhattan ? » (p. 12). Anxieux, Marc Rousset se demande si l’idée européenne « serait un moyen de créer enfin cette “ Troisième Rome ” dont ont toujours rêvé séparément la France, l’Allemagne et la Russie » (p. 198). « Cette Eurosibérie, prévient-il, serait véritablement indépendante, ne menacerait personne, mais personne également, que ce soit la Chine, les États-Unis ou l’Islam ne pourrait non plus véritablement indépendante la menacer. C’est pourquoi la France et l’Allemagne devraient remodeler l’architecture européenne en concertation avec la Russie » (pp. 198 – 199).

Dans ce plaidoyer se retrouve l’impératif démographique. Marc Rousset rappelle que l’Extrême-Orient russe est un quasi-désert humain tandis que sur l’autre rive de l’Amour vivent des millions de Chinois. Une alliance avec la Françallemagne renforcerait la Russie face à Pékin. « Un droit à l’occupation doit donc être reconnu aux peuples européens sur l’espace allant du nord du Portugal au détroit de Behring, en incluant le Nord-Caucase et la totalité de l’espace sibérien. Sur cet espace, cinq cents millions d’Européens et cent cinquante millions de Russes devraient pouvoir prolonger jusqu’à Vladivostok les frontières humaines et culturelles de l’Europe » (p. 46).

Il importe néanmoins de ne pas confondre les thèses de Marc Rousset avec les visions de Guillaume Faye ou les ratiocinations d’Alexandre Del Valle. « Nous croyons en l’Eurosibérie comme un simple concept géographique, mais en aucun cas à un empire eurosibérien qui aurait pu être réalisé par l’U.R.S.S. si elle avait gagné la Guerre froide et occupé l’Europe de l’Ouest. L’Eurosibérie de facto et de jure avec une seule capitale ne peut être réalisée que par une nation dominante disposant des ressources militaires, humaines et naturelles nécessaires, ce qui n’est le cas aujourd’hui d’aucune nation européenne, Russie incluse » (p. 532).

Dans ce cadre grand-européen, quelle en serait la langue institutionnelle et véhiculaire ? Sur ce point, M. Rousset surprend ! Il dénie tout droit à l’anglais d’être la lingua franca de l’Europe-puissance. Il soutient le multilinguisme, mais se détourne des langues vernaculaires, ce qui est dommage. Est-il partisan du retour au latin ? A priori oui, mais, après un examen minutieux, il l’estime inadapté à notre époque. Le français aurait-il toute sa chance comme le suggéra naguère l’archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine ? Ce serait l’idéal parce que la langue de Stendhal est réputée pour sa richesse, sa clarté et son exactitude. Marc Rousset craint néanmoins qu’on accuse la France d’impérialisme linguistique. Il se déclare finalement favorable à l’espéranto. Envisagé comme une langue universelle, l’espéranto est surtout une marque du génie européen. Il serait une langue utilitaire européenne appropriée qui ne froisserait aucune susceptibilité linguistique tant nationale que régionale. On ne peut que partager ici son raisonnement.

La nouvelle Europe sur terre et… sur mer !


Le destin de la nouvelle Europe Paris – Berlin – Moscou serait-il uniquement continental, terrien ? Marc Rousset n’en doute pas et reprend à son compte la célèbre dichotomie géopolitique entre la Terre et la Mer. Or l’Union européenne dispose d’un domaine d’Outre-mer (dont de nombreux archipels non peuplés), ce qui en fait potentiellement la première puissance maritime au monde. Il est fâcheux que l’auteur accepte cette opposition désormais classique, mais fallacieuse. Non, la France n’est pas qu’une « nation terrienne » (p. 36) ! Au-delà des succès navals de Louis XVI et des échecs en mer de Napoléon Ier, rappelons  que l’amiral Darlan joua un rôle capital  dans la création d’une remarquable flotte de guerre à la fin de la IIIe République. Des remarques similaires s’appliquent à la Russie qui dispose d’une immense façade littorale arctique prise jusqu’à maintenant plusieurs mois par an par les glaces. Mais si le fameux « réchauffement climatique » se manifestait, la Russie ne deviendrait-elle pas de fait une puissance navale ? Songeons déjà qu’au temps de l’Union soviétique, les navires de l’Armée rouge patrouillaient sur toutes les mers du globe, preuve manifeste d’une indéniable volonté thalassocratique…

Il ne faut pas que ces quelques critiques gâchent le thème central de l’essai de Marc Rousset. Il a écrit, il y a neuf ans, Les Euroricains qui était un cri d’alarme contre la « yanquisation » du « Vieux Monde ». À cette colonisation globale, il apporte maintenant une solution envisageable à la condition que les hommes politiques saisissent le Kairos et que s’établisse sur tout notre continent une communion d’esprit bien aléatoire actuellement. Le dilemme est posé : nos contemporains accepteront-ils d’être des sujets transatlantiques ou bien des citoyens paneuropéens ? Accepteront-ils l’abêtissement ou le redressement ? Comprendront-ils enfin que la France et l’Europe, que nos nations et l’Europe ne s’opposent pas, mais se complètent ? Louis Pauwels concluait son « Adresse aux Européens sans Europe » par cette évidence : « Qui s’étonnerait, à y bien regarder, du peu de patriotisme de la jeunesse française ? Trop peu d’Europe éloigne de la patrie. Beaucoup d’Europe y ramène. Ils seront patriotes quand nous serons européens. » (5)

Georges Feltin-Tracol

Notes


1 : Henri de Grossouvre, Paris – Berlin – Moscou. La voie de l’indépendance et de la paix, L’Âge d’Homme, 2002.

2 : On peut dès lors très bien imaginer que Strasbourg devienne la capitale françallemande, ce qui faciliterait le transfert à Bruxelles de toutes les institutions européennes.

3 : L’Arabie saoudite vient ainsi d’acquérir en Ukraine des milliers d’hectares de terres fertiles.

4 : On appelle « l’étranger proche » les États issus de l’éclatement de l’U.R.S.S. et que le Kremlin considère comme son aire d’influence traditionnelle.

5 : Louis Pauwels, Le droit de parler, Albin Michel, 1981.

• Marc Rousset, La nouvelle Europe Paris – Berlin – Moscou. Le continent paneuropéen face au choc des civilisations, Godefroy de Bouillon, 2009, 538 p., préface de Youri Roubinski, 37 €.

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samedi, 26 septembre 2009 | Lien permanent

Drieu la Rochelle, la petite mort dans la Grande Guerre

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Drieu la Rochelle, la petite mort dans la Grande Guerre

La Première Guerre mondiale a détruit Drieu la Rochelle, comme elle a emporté avec elle toute la génération des « 20 ans en 14 ». Sauvagement touché par les épreuves du feu et inspiré par ses expériences de l’arrière, la Grande Guerre marquera pour toujours sa vie et son œuvre littéraire jusqu’à son suicide, il y a 70 ans, le 15 mars 1945.

charleroi-407790-250-400-e1404663208812.jpgPierre Drieu la Rochelle n’a éjaculé qu’une seule fois dans sa vie : c’était le 23 août 1914, lors d’une chaude journée de guerre dans la plaine de Charleroi. Ce jour-là, le caporal de 21 ans vit sa première épreuve du feu. Soudain, au milieu de l’affrontement, il se lève, comme s’il n’avait plus peur de la mort, charge son fusil et entraîne plusieurs camarades. L’enivrement que lui procure la sensation d’être devenu le chef qu’il a toujours rêvé d’incarner est comme un orgasme sexuel. « Alors, tout d’un coup, il s’est produit quelque chose d’extraordinaire. Je m’étais levé, levé entre les morts, entre les larves. […] Tout d’un coup, je me connaissais, je connaissais ma vie. C’était donc ma vie, cet ébat qui n’allait plus s’arrêter jamais »*, écrit-il dans La comédie de Charleroi (1934) qui rassemble, sous forme de nouvelles, ses expériences de la Grande Guerre.

L’espace de quelques instants, il pense être le surhomme de Nietzsche, lui qui a mis Ainsi parlait Zarathoustra dans sa besace de fantassin. Ce sera l’expérience la plus forte de sa vie, confessera-t-il. Drieu, dont le premier émoi littéraire fut les épopées napoléoniennes, rêve d’être un héros. Et pas n’importe lequel : un chef viril, dont l’héroïsme prend les traits d’une érection. « Qu’est-ce qui soudain jaillissait ? Un chef. […] Un chef, c’est un homme à son plein ; l’homme qui donne et qui prend dans une même éjaculation. […] J’ai senti à ce moment l’unité de ma vie. Même geste pour manger et pour aimer, pour agir et pour penser, pour vivre et pour mourir. La vie, c’est un seul jet. C’est un seul jet. Je voulais vivre et mourir en même temps », décrit-il cette journée du 23 août.

Vivre, éjaculer, mourir : voilà les trois temps du héros que Drieu croit expérimenter en ce jour de guerre. Sous l’élan de vitalité point l’attrait morbide, comme l’éjaculation conduit à une petite mort. Cette pulsion de vie dans laquelle couve la pulsion de mort est le nœud du psychisme de Drieu. L’enivrement dure peu car, ce 23 août, son régiment doit battre en retraite après une belle percée. Son ami André Jéramec, dont il épousera la sœur Colette, est tué. Drieu, lui, doit être évacué ; un shrapnel l’a blessé à la tête ; il est interné à l’hôpital de Deauville. Durant la Première Guerre mondiale, Drieu ne cessera les allers-retours entre le front et l’arrière, le combat et l’hôpital, les obus et les mondanités.

Syphilis, gale et dysenterie

Le front, il en a deux autres expériences. Quelques mois après sa blessure, il passe sergent et retourne à l’avant, en Champagne, à l’automne 1914. Puis, il est envoyé dans le stratégique détroit ottoman des Dardanelles, pour un combat voué à l’échec. La promesse de l’exotisme oriental se fracasse vite contre la réalité. « J’ai des morpions que ma crasse engraisse. J’ai pioché et j’ai des ampoules. Mes muscles me font mal. J’ai soif tout le temps. Tondu et barbu, je suis laid. Je ne reçois pas de lettres. Je mourrai totalement ignoré », s’écrie le narrateur du Voyage des Dardanelles (1934). L’année 1915 est un cauchemar. Lorsqu’il revient en France, son corps est déliquescent. En sus de la syphilis, probablement contractée dans un bordel de Marseille d’où il est parti dans les Dardanelles, il revient avec la gale et la dysenterie – maladie qui le fait rapatrier. Surtout, la blessure est psychologique : l’insupportable sensation du corps souillé, à rebours du héros nietzschéen qu’il rêve d’incarner, contribuera à son affinité avec le fascisme dans lequel il retrouve l’obsession du corps pur, viril et athlétique.

Ce corps décadent rend aussi plus compliqué son rapport avec les femmes. Drieu, dont les tendances homosexuelles ont rejailli à plusieurs moments de son existence, a connu sa première expérience sexuelle peu avant la guerre. À 18 ans, il suit une femme dans la rue à qui il fait l’amour contre de l’argent dans un hôtel miteux. En plus, elle lui refile la « chaude-pisse » : une blennorragie. Dans ses Notes pour un roman sur la sexualité jamais publiées de son vivant, il confesse n’avoir connu aucune « femme propre » avant la guerre. Ce dégoût du corps n’empêche pas l’auteur de L’homme couvert de femmes d’accumuler les conquêtes autant dans les bordels qu’ailleurs. Obsédé par ces souillures, il songera à écrire une histoire de son corps.

En attendant, le voilà reparti au front. Et pas n’importe où : à Verdun. Il est à la pointe d’une contre-attaque lancée le 26 février 1916 par des « chefs derrière […] chargés de déverser des trains de viande dans le néant » (Le lieutenant des tirailleurs, 1934). L’expérience est atroce. « Qui n’a vu le vide d’un champ de bataille moderne ne peut rien soupçonner du malheur perfide qui est tombé sur les hommes et qui anéantira l’Europe », prophétise Drieu. Le jeune homme de 23 ans est au milieu d’un « pays lunaire, où les volcans pressaient les gueules béantes les unes contre les autres » et où « toute la ligne était calomniée par la continuelle diatribe que vomissaient dix mille bouches noires ». L’artillerie fait pleuvoir une pluie de ferraille sur le champ de bataille peuplé par des fantassins aux pantalons souillés par la colique. Quand, soudain, « l’univers éclata. L’obus arriva et je sus qu’il arrivait. Énorme, gros comme l’univers. » Un obus qui lui arrache un hurlement. « J’allais mourir ; j’étais au fin fond du monde » (Le lieutenant des tirailleurs). Drieu est gravement touché au bras et il perd un tympan. Après un jour de combat, il est évacué comme à Charleroi. Mais, cette fois-ci, sa blessure est plus importante. On le reverse en décembre 1916 dans le service auxiliaire.

 

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« Des masses de ferraille dans la tête »

De cette journée d’enfer, qui clôt ses expériences du feu, Drieu garde deux marques indélébiles : l’impression de profonde absurdité de la Grande Guerre, dont le titre même de La comédie de Charleroi témoigne, et l’horreur moderne de ces combats de fer, qu’il oppose à la grandeur de l’affrontement chevaleresque. « On fabrique des masses de ferraille dans les usines, et puis on se les jette à la tête, de loin sans se regarder et en geignant. […] Nous sommes loin de la guerre décrite par Joinville ou même par Montluc », regrette-t-il dans Le lieutenant des tirailleurs ; comme dans La comédie de Charleroi : « Et cette guerre est mauvaise, qui a vaincu les hommes. Cette guerre moderne, cette guerre de fer et non de muscles. Cette guerre de science et non d’art. Cette guerre d’industrie et de commerce. […] Cette guerre de généraux et non de chefs. […] Cette guerre faite par tout le monde, sauf par ceux qui la faisaient. Cette guerre de civilisation avancée. […] Il faut que l’homme apprenne à maîtriser la machine, qui l’a outrepassé dans cette guerre – et maintenant l’outrepasse dans la paix. » Cette haine de la civilisation décadente des machines le conduira à voir dans le fascisme un renouveau souhaitable. Avec Socialisme fasciste, publié en 1934, Drieu est le premier intellectuel français à se revendiquer de cette idéologie. Trois ans plus tard, il adhère au Parti populaire français (PPF) du futur collaborationniste Jacques Doriot.

En quittant Verdun, Drieu renoue avec l’autre Grande Guerre. La douce, celle des bourgeois de derrière, dans un contraste vertigineux qu’il évoque au début de son roman phare, Gilles (1939). Le personnage empruntant des traits de l’auteur arrive à Paris pour une permission, un soir d’hiver 1917. Gilles se rend au Maxim’s pour boire un verre de champagne. Et revit : « Il but, et tout le délice de ce premier soir coula dans ses veines. Il était au chaud, au milieu de corps vivants, bien habillés, propres, rieurs ; il était dans la paix. » Une paix où les femmes « ignoraient absolument cet autre royaume aux portes de Paris, ce royaume de troglodytes sanguinaires ». Gilles, comme Drieu, « avait faim des femmes, […] de paix, de jouissance, de facilité, de luxe ». Durant cette année 1917, Drieu se perd dans des soirées de débauche au Maxim’s et au bordel pour oublier, exorciser l’enfer du front. Son ami, l’écrivain Maurice Martin du Gard, raconte qu’au Maxim’s Drieu se rappelle avec nostalgie ses années d’avant-guerre, les souvenirs peuplés de camarades tombés. Sa débauche est une fuite en avant qui préfigure celle que vivra, avec lui, la France des « années folles » pour conjurer le douloureux souvenir. Une France qu’Aragon décrit dans Aurélien (1944), double romanesque de Drieu, son ami surréaliste devenu adversaire fasciste. Colette Jéramec a affirmé que son ancien époux lisait Aurélien le jour de son suicide, le 15 mars 1945.

 

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Un cadavre qui s’appelle Drieu

1917 n’est pas seulement une nouvelle expérience de l’arrière faite de soirées et de femmes ; c’est une année rendue majeure par deux événements. Le premier est le mariage avec Colette Jéramec. Cette union est à l’image du rapport torturé de Drieu aux femmes. Elle représente ce qu’il abhorre car elle est une juive issue de la grande bourgeoisie d’affaires. Colette a été sa confidente depuis leur rencontre à l’été 1913, mais le mariage – non consommé – n’est pas heureux. Myriam, que Gilles épouse, est une représentation à peine voilée de Colette contre laquelle Drieu excite par la plume son antisémitisme et son dégoût d’une femme honnie. Mais il sait en profiter. Colette, qu’il trompe dès le début, lui donne 500 000 francs avec lesquels il mène une vie de luxe : tailleurs prisés, cabarets chics, restaurants à la mode… Ce mariage, lui permettant une vie bourgeoise qu’il exècre en idéologie, place Drieu face à ses contradictions et lui fournit un thème littéraire qu’il ne cessera d’exploiter : outre Myriam (Gilles), Lydia (Le Feu follet) et Béatrice (Drôle de voyage) captent son goût refoulé des femmes fortunées.

1917 marque aussi son entrée en littérature. Interrogation, un recueil de poèmes sur la guerre, paraît à l’automne chez Gallimard. Trois ans plus tôt, il avait écrit un premier texte, à l’hôpital de Deauville. Mais il ne fut jamais publié : il l’avait oublié dans un train. En 1920, Drieu reprend, avec un nouveau recueil de poèmes, Fond de cantine, le thème de la Grande Guerre. A-t-il vraiment le choix ? « Du jour au lendemain, la guerre me remplit du besoin impérieux de crier, de chanter », confesse-t-il dans l’inédit Débuts littéraires, en 1943. La guerre le hante et devient le moteur de son œuvre, car il en est mort comme tous ceux de la génération des « 20 ans en 14 ». De la pulsion de vie mystique du 23 août 1914 à Charleroi, il ne reste qu’un cadavre. Et ce cadavre, qui s’appelle Drieu, voudra croire au surréalisme dans les années 20, au fascisme dans les années 30, un temps au stalinisme à la fin de la guerre, puis, faisant le constat de ses fuites en avant, se suicidera. L’avant-veille de ce 23 août déjà, enfermé dans un cabanon, harassé par des jours de marche sous le soleil de plomb, Drieu ôte sa chaussure pour placer son orteil sur la gâchette de son fusil chargé et regarde le trou du canon. « Je tâtai ce fusil, cet étrange compagnon à l’œil crevé, dont l’amitié n’attendait qu’une caresse pour me brûler jusqu’à l’âme » (La comédie de Charleroi). L’arrivée d’un camarade fit cesser la contemplation.

Toute sa vie, Drieu est resté dans la tranchée. « Nous y sommes encore dans ce trou, nous n’en sommes jamais repartis », jure-t-il dans La comédie de Charleroi, pourtant écrit vingt ans après la guerre. De ce nihilisme profond, qui rejaillit sur toute son œuvre, Le feu follet (1931), narrant la marche d’Alain vers le suicide, prospère sur son attraction de la mort. Pour trouver une issue à son obsession de la décadence, cette mort de la société, il fut prêt à verser dans des croyances qui, de Breton à Staline en passant par Hitler, lui ont donné l’espoir d’un renouveau. Toutes furent des impasses. Et c’est ainsi que se dénoue — peut-être — avec la Grande Guerre l’énigme des engagements paradoxaux de Drieu. Dans quelques mots, écrits en 1934 sur ses souvenirs de Verdun : « Je sentais cela. Je sentais l’Homme mourir en moi. »

* Drieu la Rochelle évoque ses expériences de la Grande Guerre dans de nombreux romans. Les extraits qui en sont insérés, s’ils référent à des expériences vécues par l’auteur, impliquent une nécessaire distance.

Photo d’en-tête : Pierre Drieu la Rochelle par Jacques-Émile Blanche, 1924 (© Jean-Louis Mazieres, avec modification).

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vendredi, 20 mars 2015 | Lien permanent

Entretien avec Juan Asensio

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Entretien avec Juan Asensio

Propos recueillis par Romain Bouvier, Président du Club Roger Nimier

Juan Asensio, pouvez-vous, s’il vous plaît, vous présenter à nos lecteurs en quelques mots?

Je suis né en 1971 à Lyon, où j’ai passé les 30 premières années de ma vie. J’y ai suivi une formation, très classique, de lettres modernes et de philosophie, d’abord à l’externat Sainte-Marie jusqu’en classe de khâgne que j’ai cubée, ensuite à l’université Jean Moulin Lyon 3, y poursuivant ma formation jusqu’en thèse que j’ai abandonnée très vite. Mon directeur de l’époque, Monique Gosselin-Noat, ponte des études bernanosiennes ayant participé à la nouvelle édition des romans de Bernanos dans la collection de la Pléiade, m’avait en effet donné à traiter un sujet dont je ne voulais absolument pas (la figuration du diable dans les romans de Julien Green, François Mauriac et Georges Bernanos) et qui… avait déjà fait l’objet d’une thèse vieille d’à peine deux ou trois ans au moment où j’entamais mes propres recherches ! C’était, au mot près, le sujet qu’elle m’avait d’office demandé de traiter qui avait été disséqué en quelque deux énormes volumes. J’ai piqué une sacrée colère contre tant d’incompétence crasse, et ai écrit puis téléphoné à notre mandarine. Lorsque je lui ai fait part de ma découverte, elle m’a tout stupidement répondu que je n’avais qu’à prendre le contrepied exact de ladite thèse ! J’ai donc gardé, comme vous vous en doutez, une très piètre opinion des universitaires, censément des universitaires bernanosiens qui d’ailleurs me le rendent bien, puisqu’ils ne citent pas mes travaux dans cette nouvelle édition des romans de Bernanos. Que voulez-vous, la petitesse se venge toujours petitement… J’ai aussi passé une année, fort oubliable, au Celsa, afin de voir de l’intérieur si je puis dire à quoi ressemblait l’enseignement délivré en matière de journalisme et, ma foi, je n’ai pas été déçu quant à la médiocrité abyssale, forcément partisane (de gauche bien sûr) de cet enseignement. J’ai créé en mars 2004 Stalker, alors que je travaillais dans une salle des marchés et que Maurice G. Dantec se faisait traîner dans la boue par les journaux à prétentions humanistes habituels. Il s’agissait de trouver une façon de répondre aux invectives à moraline lui reprochant d’avoir osé échanger quelques messages avec le Bloc identitaire d’une poignée de journalistes aussi prestigieux qu’un certain Philippe Nassif (de Technikart je crois), et un de mes collègues de bureau, informaticien, me suggéra ainsi de créer un blog. Très vite, Stalker a fait des émules dans ce qui ne s’appelait pas encore la blogosphère, mais aucun de ces blogs nés en deux minutes n’a survécu plus de quelques mois, voire années pour les meilleurs. Depuis cette époque presque préhistorique à l’échelle de la Toile, mon blog est devenu riche de quelque 1 500 notes, pas toutes écrites par moi d’ailleurs, et est très lu, puisqu’il engrange entre 30 et 40 000 visiteurs uniques par mois, pour 100 à 200 000 pages vues par mois. J’ai donné la possibilité à mes lecteurs de me verser des dons via Paypal, ce qui me permet d’acheter la plupart des ouvrages que j’évoque sur mon blog, même si j’en reçois quelques-uns en service de presse, à condition que je les demande toutefois. Il s’apparente désormais à un véritable labyrinthe et c’est ainsi très vite que je l’ai surnommé la Zone, référence évidente à l’un des chefs-d’œuvre de Tarkovski. J’ai aussi réussi à publier quelques ouvrages de critique littéraire et un bouquin étrange sur Judas Iscariote, en 2010, aux éditions du Cerf. J’emploie à dessein le terme « réussi », car désormais tout le monde se fiche de la critique littéraire, à commencer par les éditeurs, puis par les journalistes, les libraires et, en bout de chaîne, le public. Il m’arrive de collaborer à quelques revues, dont Études, alors que j’ai publié des articles dans La Revue des Deux Mondes ou bien encore L’Atelier du roman. Je ne supporte plus toutefois le principe, très lourd et donc si peu rapide et agile, de ces revues, qui ne vous paient que fort rarement, et des sommes ridicules, alors qu’il faut bien souvent essuyer un refus par quelque couillon illettré appartenant, Sésame, ouvre-toi !, au sacro-saint comité de lecture.


danteccig.pngA la création de votre blog, Stalker, vous avez donc pris la défense de Maurice G. Dantec ? Serait-il un des rares auteurs contemporains qui puisse trouver grâce à vos yeux de critique acerbe ?

J’ai pris sa défense, oui, car les imbéciles qui l’attaquaient, et qui n’avaient probablement pas lu une seule ligne d’un seul de ses romans, ont pour habitude de chasser en meute, comme tous les lâches. J’ai beaucoup lu Dantec, quoique tardivement, n’y étant venu qu’avec réticence car alors (nous étions en 2003), il était un auteur polémique qui faisait beaucoup parler de lui. C’est après avoir fait paraître dans La Revue des Deux Mondes un long article sur Villa Vortex, un roman monstrueux ridiculisé en deux lignes stupides (dans la rubrique Sifflets, je crois, du Nouvel Observateur) par Jean-Louis Ezine qui n’avait à l’évidence pas lu ce livre, que Dantec et moi avons commencé à échanger. L’avait en effet frappé, dans l’article en question pour lequel il me félicita très chaleureusement, le fait que j’y annonçais sa conversion au catholicisme, qui avait eu lieu quelques mois après la parution de ce texte. J’ai continué à lire Dantec, mais mon intérêt pour ses textes (les excès divers et variés du personnage m’ayant toujours laissé de marbre) a décru assez vite. Je l’ai même défendu contre la poignée de crétins mononeuronaux qui, alors, l’entouraient, et derrière le ridicule rempart de laquelle il vitupérait, assez grossièrement, contre le monde tel qu’il ne va pas. Maurice G. Dantec n’est pas un styliste de la langue française, c’est le moins que l’on puisse dire, mais il y avait toujours, même dans le plus mauvais de ses romans, des traits de fulgurance, des intuitions métaphysiques mélangées à des facilités indignes d’une rédaction d’écolier de 13 ans. M’avait alors surtout frappé son aptitude, dans les deux premiers tomes de son Journal, à évoquer des auteurs (Dominique De Roux, Ernest Hello, Léon Bloy, etc.) dont plus personne ou presque n’osait parler, et cela me frappa. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts comme on dit, et je n’ai plus de nouvelles, ni d’ailleurs ne cherche à en prendre, pour être tout à fait honnête, de Dantec, qui est du reste à ce que j’en sais assez mal en point, même si sa santé a toujours été vacillante. La dernière fois que je l’ai vu, à Paris, il était méconnaissable, et m’a serré la main en pleurant, peut-être parce qu’il avait fini par comprendre que je l’avais défendu contre vents et marée, y compris contre son propre comportement destructeur et paranoïaque. C’est du passé. Je ne suis même pas parvenu à lire plus de quelques pages de son dernier roman, Les Résidents, resté totalement inaperçu, alors que la moindre de ses déclarations, bien souvent infantiles, déclenchait des spasmes le plus souvent ridicules sur beaucoup de sites, de forums et sur les blogs au début des années 2000. En tout cas, nul ne pourra jamais me reprocher de ne pas avoir pris Maurice G. Dantec, en tant qu’écrivain, au sérieux.

Je réponds à la seconde de vos questions : beaucoup d’auteurs vivants trouvent grâce à mes yeux, qu’ils soient Français (Marien Defalvard, Pierre Mari, Christian Guillet, Guy Dupré, Jean Védrines, Serge Rivron) ou bien étrangers et là, force est de constater que la liste est tout de même plus conséquente : Roberto Calasso, Claudio Magris, Jaume Cabré ou Javier Cercas même si m’enquiquine leur côté « habiles techniciens du roman », Cormac McCarthy dont la lecture a été un choc, le très singulier László Krasznahorkai ou, disparu il y a quelques années, le génial Roberto Bolaño.


En tant que critique littéraire (et lyonnais d’origine de surcroît), que pensez-vous de cette formule que l’on prête à François Mitterrand à propos de l’œuvre romanesque de Rebatet : « Il y a deux sortes d’hommes : ceux qui ont lu Les Deux Étendards, et les autres » ?

scheveningen-35754.jpgAbsolument tous les reproches, et les plus durs, peuvent être faits à François Mitterrand, mais enfin, c’était un assez bon lettré, aimant comme vous le savez passionnément l’œuvre d’Ernst Jünger, qu’il connaissait personnellement. Je me souviens d’avoir lu qu’il reprocha un jour à un certain Alain Juppé qui joue aujourd’hui les revenants arrogants, de ne pas connaître Paul Gadenne. S’il n’y avait qu’Alain Juppé qui ignorât l’auteur de La plage de Scheveningen, l’un des plus beaux et grands romans du siècle passé ! Qui connaît encore, hélas, le profond et tourmenté Paul Gadenne ? Certainement pas le crétin hollandais, dont on se demande même s’il a jamais entendu parler d’un mot aussi bizarre et incongru que celui de « littérature » ! Quoi qu’il en soit, j’ai lu Rebatet jeune, trop jeune peut-être et, comme tant d’autres auteurs, il me faut à présent le relire, alors qu’il semble jouir d’une certaine actualité, du moins éditoriale, qui ne s’est pas encore vraiment étendue à des auteurs comme Brasillach (évoqué par Gadenne, qui fut son condisciple en khâgne, dans le roman que j’ai indiqué, sous les traits d’un personnage du nom d’Hersent), Brasillach dont il faut lire Notre avant-guerre, ou bien le pestiféré Abel Bonnard, dont Les Modérés sont une radiographie de la France politique encore pertinente. Je me souviens en tout cas d’avoir estimé, du haut de mes 14 ou 15 ans, que Les Deux Étendards, roman au titre génial, disséquait la France de l’entre-deux guerres avec une profondeur spirituelle absente des romans de Céline, et ce seul souvenir me donne envie de relire ce roman qui avait la réputation, il n’y a pas si longtemps que cela, d’être maudit. Par ailleurs, j’allais, quelques années plus tard, retrouver le nom de Rebatet sous la plume de George Steiner, qui n’a jamais cessé de clamer son admiration pour ce roman, tout en traitant son auteur de salopard. J’ai d’ailleurs commencé ma relecture des Décombres qui vient d’être réédité, après avoir aussi relu le Rebatet de Pol Vandromme et en faisant un crochet par Les Réprouvés d’Ernst von Salomon, décrivant la nécessité d’une refondation de l’Allemagne humiliée par les sanctions des alliés et rongée par la gangrène communiste que les corps francs tentent de contenir, voire d’éradiquer. Il n’est donc pas étonnant que Lucien Rebatet, de même que d’autres qui ont décrit la complexité d’une époque où la France cherchait une forme de renaissance politique tout autant que sociale, voire spirituelle, intéresse et même fascine de nouveau, y compris les jeunes si on leur apprend encore à lire, maintenant que notre pays traverse une crise qui sera mortelle si aucun sursaut, de réelle profondeur et pas cosmétique, ne le sauve. Et puis, à tout prendre, je préfère un jeune gars un peu borné nourri au petit lait de Charles Maurras, mais qui aura au moins lu, et avec passion, Bloy, Bernanos, Jünger, Von Salomon, Rebatet, Brasillach, Hansum ou Pasolini et quelques autres encore sur lesquels planent de vilains soupçons, plutôt qu’un crétin ripoliné fraîchement hypokhâgneux qui n’aura sucé que les mamelles desséchées de Gérard Genette et de Roland Barthes, l’esprit tout farci des fadaises naturalistes sans style de Maupassant et de Zola, et qui finira sous-pigiste à Télérama ou aux Inrockuptibles, à saluer le gras loukoum à orientalisme germanopratin goncourisé d’un Mathias Enard. La passion, l’excès, le courage, plutôt que ces sépulcres déjà blanchis rêvant carrière et petite épouse sage rencontrée à l’école et qui finira comme eux professeur dans le meilleur des cas, à l’âge où Jean-René Huguenin savait qu’il n’égalerait jamais Rimbaud et Carlo Michelstaedter se tirait une balle dans la tête après avoir écrit le dernier mot de sa Persuasion et la rhétorique !

Il n’en reste pas moins que François Mitterrand exagère quelque peu car enfin, il est tout autant possible d’affirmer qu’il y a deux sortes d’hommes : ceux qui ont lu La persuasion et la rhétorique justement, mais aussi ceux qui ont lu Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry, Nostromo de Joseph Conrad, Absalon, Absalon ! de William Faulkner, ou encore Monsieur Ouine de Georges Bernanos ! Et je suis absolument certain que d’autres pourraient vous dire qu’ils ne sont plus les mêmes depuis qu’ils ont lu Shakespeare, Dostoïevski, Stevenson ou bien encore Melville, ce qui est par exemple mon cas ! Et, pour finir sur une méchanceté, je n’en suis pas moins sûr que de pauvres âmes seraient prêtes à jurer qu’elles ont été appelées à une nouvelle vie après avoir découvert les textes d’Amélie Nothomb, de Yannick Haenel ou de Virginie Despentes !


Quel regard portez-vous sur l’œuvre de Roger Nimier et plus généralement sur le courant dit des « Hussards », sur lesquels, pour reprendre vos mots, planent encore de vilains soupçons dans le petit monde germanopratin ? 

grandd'espa.jpgLes Hussards sont des auteurs que je connais finalement assez peu, n’ayant lu que quelques ouvrages de Chardonne, Laurent ou Nimier, bien sûr Les Épées mais aussi Le Grand d’Espagne, qui évoque Georges Bernanos. Comme bien d’autres (je songe ainsi à Péguy, transformé, par l’opération du Saint-Esprit sans doute, en auteur et même penseur de droite), ils ont été d’une certaine façon abâtardis, journalisés par tout un tas de leurs épigones plus ou moins inspirés, revendiqués ou pas. D’ici peu, Causeur leur consacrera un dossier, si ce n’est déjà fait, et c’est ainsi qu’ils seront happés et hachés menu, puis accrochés au plafond, au milieu d’autres andouilles d’appellation et d’origine contrôlées comme Philippe Muray, devenu le saint patron de la Réaction puérile à laquelle nous assistons. Très peu pour moi que cet eczéma purement journalistique, que quelques petits Mohicans attendant les Cosaques et une paire de jolies fesses, y compris celles du Saint-Esprit, gratteront en croyant découvrir des cavernes d’originalité. Il me semble, au cas où vous me poseriez cette question, que l’esprit des Hussards a survécu plus qu’il ne survit, car il semble désormais bien mort, le temps où une seule phrase, aiguisée comme le morfil d’une dague, pouvait d’un trait précis clouer une vieille chouette radoteuse. Le dernier rétiaire de ce genre, altier et redoutable, même s’il a parfois trop donné dans un hermétisme littéraire de pacotille, était Dominique de Roux, et un livre tel qu’Immédiatement, publié aujourd’hui, vaudrait à son auteur une bonne quinzaine de procès, et une chasse à l’homme en règle, qu’il eut d’ailleurs à subir de son vivant. Je songe aussi à l’exemple tragique et lumineux de Jean-René Huguenin, mort en 1962 comme Nimier, également dans un accident de voiture. Je songe encore à Guy Dupré, hélas si profondément méconnu voire ignoré par nos élites littéraires ou ce qui en tient lieu, lequel d’ailleurs a écrit un de ses textes si subtils et profondément littéraires sur Sunsiaré de Larcône (recueilli dans Les Manœuvres d’automne), une belle femme que tout Hussard a dû tour à tour envier et maudire au moins une fois !


Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la figuration du démoniaque dans la littérature ?
Sous le soleil de Satan a-t-il été l’ouvrage amorçant votre intérêt pour ce thème et plus spécifiquement, pour l’œuvre complète de Georges Bernanos ?

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lundi, 31 octobre 2016 | Lien permanent

Au revoir, Guillaume Faye, après 44 ans de combat commun !

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Robert Steuckers :

Au revoir, Guillaume Faye, après 44 ans de combat commun !

J’ai appris le décès de Guillaume Faye, peu avant midi, à la Gare de Lyon, au moment de partir en mission à Genève, où se tenait une réunion patronnée par Maître Pascal Junod et un colloque de « Résistance Helvétique », sous la direction de David Rouiller et où j’allais rejoindre Pierre Krebs et Tomislav Sunic. Je n’ai pu m’empêcher de penser à un détail qui m’est revenu soudainement à l’esprit : j’ai appris sa mort à l’endroit même où il fut photographié pour le Figaro Magazine en compagnie de Roger Lemoine, alors Président du G.R.E.C.E. : l’hebdomadaire de Louis Pauwels le présentait comme celui qui allait faire un Tour de France pour vendre la « nouvelle droite », alors en plein envol.

az-sc.jpgPersonnellement, j’ai vu Guillaume Faye pour la première fois à Lille, en 1975, alors qu’il prononçait une conférence sur la dangereuse dépendance énergétique de l’Europe. Ses arguments étaient factuels, concrets, et me rappelaient un auteur célèbre que j’avais déjà intensément pratiqué au sortir de l’adolescence : Anton Zischka (1904-1997). J’avais lu plusieurs de ses ouvrages, trouvés chez des bouquinistes ou lus dans la bibliothèque du patron de mon père, le Comte Guillaume de Hemricourt de Grunne (1888-1978). Pour un mémoire de fin d’études secondaires (en 1974), j’avais compulsé un ouvrage de cet auteur prolixe sur l’Europe centrale et orientale. Zischka parlait avec précision des faits de monde, sans fioritures idéologiques, et je viens de lire, quarante-cinq ans plus tard, qu’Ernst Jünger avait un jour vanté son style, avait écrit qu’il savait saisir l’essentiel et le communiquer à ses lecteurs, qu’il était un grand « synopticien » (ein grosser Synoptiker). Tel était aussi le Guillaume Faye des années 1970, qui avait un autre point commun avec Zischka : celui-ci pensait que les sciences et les techniques pratiques étaient capables de résoudre les problèmes politiques, géopolitiques et agro-alimentaires des peuples, à condition que l’on jette les « nuisances idéologiques » aux orties. Guillaume Faye en était persuadé même si, personnellement, dans la vie quotidienne, il ne savait pas utiliser des objets électriques, mécaniques ou techniques un tant soit peu sophistiqués. Je ne suis pas beaucoup plus fortiche que lui en ces domaines.

element-carré.jpgQuelques mois plus tard, je revois Faye dans une salle de l’hôtel Ramada, Chaussée de Charleroi à Saint-Gilles, en compagnie de Georges Hupin, Alain Derriks, Frédéric Beerens, Piet Tommissen, etc. Légèrement éméché, Guillaume brosse un résumé succinct de l’impérialisme américain et présente le nouvel axe de combat du G.R.E.C.E ., celui de l’anti-occidentalisme, annoncé dans le copieux numéro de Nouvelle école sur l’Amérique, dû essentiellement aux vues de Giorgio Locchi, qu’il considérait comme son maître. Allait suivre dans la foulée le numéro d’Eléments, titré « Non à la civilisation occidentale » et dont la couverture était rehaussée par la reproduction d’une belle et étonnante peinture d’Olivier Carré, représentant une statue de la Liberté en phase de décrépitude. L’anti-occidentalisme de notre vision du monde était lancé. Mes camarades et moi trouvions enfin des alliés pour ce combat que nous entendions bien entamer mais sans encore avoir mis de l’ordre dans nos intuitions. Faye arrachait ainsi la future « nouvelle droite » à toutes les ambigüités plus ou moins occidentalistes qui semblaient encore coller à son discours au début des années 1970. Ce ton déplaisait à une bande de snobinards libéraux qui venaient nous piler les agasses dans les réunions bruxelloises du premier G.R.E.C.E. belge et la légère ébriété de Faye, quand il avait parlé dans les salons du Ramada, les avait scandalisés, comme des rombières, laïcardes cette fois, qui entendent des propos graveleux. Fallait voir leurs bobines !

Pour nous, il était évident que la « nouvelle droite », qui ne portait pas encore ce nom, c’était cela : un môle de résistance à l’occidentalisme, à l’atlantisme, aux politiques de démission et de soumission que ces forces négatives induisaient partout en Europe et en Belgique en particulier. Nous exprimions ce rejet parce que nous n’avions pas digéré, à l’époque, l’affaire du « marché du siècle », où les pays du Bénélux et de la Scandinavie avaient opté pour le F16 américain au détriment des appareils Bloch-Dassault et Saab. Ce môle de résistance était repérable chez Jean Thiriart, qui avait abandonné le terrain politique et dont les bureaux étaient à un jet de pierre de la salle du Ramada, où Faye avait tonné son discours ; il était repérable aussi dans les écrits et les discours de Locchi et de Faye. Thiriart et son disciple Garcet nous avaient déjà avertis de la pusillanimité du gourou du G.R.E.C.E., dont les idées politiques avaient la « consistance d’un plat de macaronis cuits ». Les années suivantes nous confirmeront qu’ils avaient eu bien raison de s’en méfier… Toutefois, cette pusillanimité n’existait manifestement pas chez Faye et chez Locchi et c’est eux que nous entendions suivre et soutenir.

Giorgio_Locchi.jpgNous suivions donc essentiellement Faye, parce qu’il était clair dans ses discours et ses écrits, et nous apprîmes assez vite qu’il était devenu l’animateur principal du pôle « Etudes et Recherches » du G.R.E.C.E., pôle qui, en théorie, devait être le moteur principal de l’association dont les buts étaient officiellement de nature « métapolitique ». Nous entendons un premier discours de Faye (« Contre l’économisme ») au colloque du G.R.E.C.E. de 1978, le dernier où Giorgio Locchi a pris la parole. Faye me convie à participer au « Secrétariat Etudes et Recherches » (S.E.R.) début 1979, avant même que je ne sois devenu membre de l’association. Je me rends à Paris en juin 1979 pour assister à ma première réunion de ce  Secrétariat, où j’apprends, à ma grande déception, que Giorgio Locchi avait quitté le G.R.E.C.E., ne souhaitant plus collaborer avec lui, au motif (exact) que la stratégie d’entrisme dans les clubs feutrés et huppés des droites régimistes était prématurée donc vouée à l’échec. Son fils était venu l’annoncer et ses déclarations, ce jour-là, ont éveillé en moi une certaine méfiance, diffuse, à l’égard de l’association car, de fait, elle couvait en son sein des éléments hostiles au penseur italien, des éléments prêts à toutes les compromissions avec un régime détestable, des éléments qui ne pouvaient qu’être nuisibles ; l’avenir le confirmera. C’est ce jour-là que je fis la connaissance de Stefano Vaj, venu tout exprès de Milan.

En décembre 1979, le G.R.E.C.E. organise son colloque annuel avec pour titre « Contre tous les totalitarismes ». Quand vient le tour de Faye de prendre la parole, un ramassis de nervis fait irruption dans le Palais des Congrès de la Porte Maillot et ravage la salle des stands, blessant sérieusement Jean-Louis Pesteil, un collègue traducteur et germaniste, que je ne connaissais pas encore personnellement, ainsi que Grégory Pons, qui gardait un sourire moqueur tout en étant ensanglanté de la tête aux pieds et quelques autres participants. En entendant le bruit de la bagarre, Faye met le son de son micro au maximum et hurle son texte, pour que l’on ne perde rien de sa fougueuse rhétorique, tandis qu’une bonne part des auditeurs descendent des gradins pour courir sus aux énergumènes en fureur qui venaient troubler le colloque. Je descends aussi et je trouve une salle totalement détruite avec, au milieu, Alain de Benoist, cigarette mentholée à la bouche, hochant de la tête et marmonnant « c’est fou ! c’est fou !», sans se soucier des projectiles qui volaient en tous sens. Un ami anonyme arrache les pieds métalliques de quelques chaises et les distribue aux arrivants pour qu’ils s’en servent dans la bataille qui s’engage. J’en reçois un et je cours vers la mêlée, avec mon costume du dimanche, mais sans y parvenir : les assaillants sont repoussés grâce à Patrice de Plunkett qui a actionné la lance à incendie et arrosé de maîtres-jets les perturbateurs qui prirent la fuite en désordre, poursuivi par les plus pugnaces de nos amis, dont un camarade arménien, Jacques Karakachian, surnommé le « sanglier du Caucase », Gérald le Pied-Noir et Jean-Pierre Van Geyt, récemment décédé et longtemps correspondant de Nouvelle école en Belgique romane, ainsi que Michel R., de Namur, et un jeune ouvrier flamand, travaillant, me déclara-t-il, dans une « usine de boîte aux lettres métalliques ».

Le 6 juin 1980, Faye débarque chez Georges Hupin à Uccle, flanqué de Philippe Millau, pour participer d’abord à une brève présentation de mon travail de fin d’études sur la géopolitique selon Jordis von Lohausen puis, dans la foulée, pour prononcer une nouvelle conférence de teneur anti-occidentaliste dans la grande salle de la « Tour du Midi », à côté de la gare. Sa conférence sera chahutée de manière puérile et ostentatoire par celui qui deviendra l’obséquieux vicaire d’Alain de Benoist en Flandre mais qui changera évidemment d’avis quand son gourou lui en intimera l’ordre : d’occidentaliste américanophile caricatural, favorable à l’OTAN, il deviendra, en surface, un européiste anti-américain, critique de l’OTAN ; si le pontife lui avait demandé d’être tout à la fois pro-chinois, panafricaniste ou adventiste du septième ciel, il le serait devenu aussi... Faye et Millau me demandent, ce jour-là, de participer, en juillet, à l’école des cadres du G.R.E.C.E., qui reçut pour nom « Promotion Themistoklès Savas », en souvenir d’un ami grec qui venait de se tuer en moto dans les montagnes de l’Epire. Un ancien doyen de l’Université du Pirée, qui sera un grand ami et un grand soutien de Faye, était présent, Jason Hadjidinas, qui lui restera fidèle jusqu’à sa mort en 1986, en ayant toujours espéré le dégager de la précarité et de la dangereuse dépendance pécuniaire qui le liait au gourou capricieux qui lui imposait de vivre avec le SMIC. La disparition de Jason fut une épreuve cruelle pour Faye, qui explique peut-être sa décision de quitter le G.R.E.C.E. fin 1986 puis de s’engager dans le showbiz via Radio Skyrock. L’école des cadres de 1980 fut décisive pour moi. Je m’y étais rendu depuis Paris avec Faye, dans la voiture de Pierre Bérard : nous avions pris Guillaume en charge à son domicile, petit appartement charmant, où venait de naître sa fille. Nous visitâmes en chemin Vaison-la-Romaine et l’Abbaye de Sénanque, où je ne retournai qu’en 2017. Je découvre avec eux la Provence, je vois mes premiers champs de lavande, j’entends pour la première fois la musique des cigales, je vois passer sur nos tables de longs lézards gris. Je deviens membre du G.R.E.C.E. en septembre 1980 et Pierre Vial me remet ma carte à Bruxelles. Je lui promets de rester fidèle à notre combat métapolitique jusqu’à la mort : je suis dès lors très heureux de le servir encore aujourd’hui, même si j’ai quitté l’association en décembre 1981.

En 1981, Faye et moi sommes collègues dans les locaux de la rue Charles-Lecocq à Paris à partir du 15 mars. Nous le resterons jusqu’au 15 décembre. Avec Michel Dejus, il fut pratiquement mon seul interlocuteur au cours de cette période de neuf mois : je l’ai connu comme quelqu’un d’affable, d’une gentillesse naturelle en dépit de rodomontades nietzschéo-surhumanistes qui faisaient évidemment partie de notre folklore. J’y découvre aussi un Guillaume tintinophile et lecteur de Franquin, manie que nous partagions avec Grégory Pons et Pascal Junod. Pour Faye, le personnage du gros Demesmaeker dans les albums de Gaston Lagaffe est l’incarnation du monde vénal et psychorigide, vaniteux, stupide et pharisaïque qu’une véritable anthropologie néo-droitiste se devait de moquer et de combattre (notamment par le biais de canulars téléphoniques, polissonneries dans lesquelles Faye excellait). Le surhumanisme, terme forgé par Locchi, devait faire advenir une (sur)humanité où il n’y aurait plus de Demesmaeker ou bien où ceux-ci seraient houspillés dans les marges de la société. J’ajoute bien entendu une évidence à ce petit panorama bédéphile : les machines volantes de Zorglub, dans les aventures de Spirou et Fantasio, titillaient déjà la fibre archéofuturiste de Faye qui, dans un recoin de son imagination, devait déjà concevoir les fameux « squalines » de sa bande dessinée Avant-guerre.

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Deux missions nous ont été données à l’époque : fabriquer un numéro de Nouvelle école sur Pareto et un autre sur Heidegger. Les deux thèmes avaient bien entendu été suggérés par Faye qui tenait absolument à ce que la revue restât sérieuse et fût lue dans les universités sans susciter de sarcasmes. La hantise de Faye était de voir imprimés dans la revue quelques délires en provenance d’un paganisme de pacotille, des « paganouilleries » ou des « nazisteries » comme aimait en commettre le directeur de la publication, avec une étourderie qui nous laissait pantois. Faye avait horreur des ritournelles et des tics langagiers répétés ad infinitum, surtout quand ils n’avaient aucune pertinence dans la vie réelle. Pour Faye, un paganisme articulable devait renouer avec l’antiquité grecque et sa philosophie bien charpentée, indépassable dans son questionnement, avec la fougue dynamique d’Héraclite, avec l’élitisme de Platon, avec la logique et la rigueur d’Aristote, exprimée dans Les politiques.

ne-pareto.jpgGrâce à l’intervention bienveillante du Professeur Piet Tommissen et au concours de Bernard Marchand, nous pûmes sortir en juin un numéro potable, dans lequel Faye produisit d’ailleurs un maître-article sur un ouvrage hélas oublié aujourd’hui et que la génération des anciens devrait retrouver dans les rayons de ses bibliothèques : L’intelligence du politique, en deux volumes, de Jules Monnerot, plus spécifiquement le tome deuxième de cette œuvre magistrale, consacré, pour l’essentiel, à la « doxanalyse », c’est-à-dire l’analyse des opinions qui animent toute sphère politique. Monnerot, ancien du surréalisme français et proche des poètes de la négritude vu ses origines martiniquaises, me déclarera plus tard que ce fut la meilleure analyse de son œuvre, largement ignorée par l’université française au nom, déjà, d’une forme ante litteram de « political correctness ». Faye aimait, à l’époque, parler d’aléa : le monde est soumis aux aléas, répétait-il ; les philosophies consolatrices et les nuisances idéologiques (Raymond Ruyer) n’y changeront jamais rien car elles ne figeront jamais le monde. Suite à ma lecture d’un texte issu d’un colloque de la Siemens Stiftung de Munich, que présidait en ces temps-là Armin Mohler, je parlais d’Ernstfall. Chez Monnerot, nous découvrions la notion d’hétérotélie, terme désignant une situation survenue en dépit des objectifs fixés par la volonté politique initiale (trop rationnelle) du décideur. La volonté politique peut donc générer des états de choses contraires à tout projet initial, à tout programme bien charpenté, taillé selon une logique parfaite. Dans nos conversations de l’époque, nous mêlions quantité de réflexions sur les notions d’aléa, de tragique, de logique du pire (Clément Rosset), d’Ernstfall et d’hétérotélie.

Dans Nouvelle école, n°36, Faye écrit : « L’intérêt de la doxanalyse parétienne (que Monnerot décryptait) n’est donc pas uniquement la critique des idéologies qui se croient logiques et négligent leurs propres résidus (ce que fait le macronisme aujourd’hui de manière emblématique), …. Il est de reconnaître l’invalidité fondamentale de toute interprétation rationaliste du monde. Derrière les résidus et les actions non logiques, il y a ce que Jules Monnerot appelle ‘les pulsions de l’humain’ ». Faye démontre, citations de Monnerot à l’appui, que « si les pulsions de l’humain étaient totalement réprimées par le social (ou le politiquement correct, dirait-on aujourd’hui), il y aurait déjà eu faillite de l’espèce, disparition du type d’homo sapiens que nous sommes ». Il faut donc un équilibre ent

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