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”Invasion Los Angeles”/”They Live” - L'idéologie néolibérale et la façon dont nous pouvons voir la vérité à travers ces

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"Invasion Los Angeles"/"They Live" - L'idéologie néolibérale et la façon dont nous pouvons voir la vérité à travers ces lunettes

Alexander Markovics

Source: https://www.geopolitika.ru/de/article/sie-leben-die-neoliberale-ideologie-und-wie-wir-durch-die-brille-die-wahrheit-erkennen

" Travaillez ! Consommez ! Obéissez !"

Ce qui semble être une description de la réalité sociale de l'Occident du 21ème siècle sont les ordres donnés par les extraterrestres dans le film "Invasion Los Angeles" de John Carpenter, sorti en 1988. Ce fait n'est pas non plus un hasard, mais bien intentionnel. Comme Carpenter l'a expliqué dans une interview, le film a été réalisé à partir de la nouvelle de science-fiction 8 o'clock in the morning (en français: Les fascinateurs) de Ray Faraday Nelson de 1963, qui a été adaptée en bande dessinée par Bill Wray en 1986 [1] , non pas dans l'intention de créer un film d'action ou de science-fiction, mais comme un documentaire [2] sur les États-Unis dans les années 1980 et en particulier sur la révolution "(néo)conservatrice" de Ronald Reagan.

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La révolution de Reagan et le néolibéralisme comme thème principal de "They Live" ("Invasion Los Angeles")

C'est à cette époque que le néolibéralisme s'est pleinement imposé en Occident. Alors que les élites occidentales s'efforçaient auparavant de dompter le capitalisme, dans le cadre de la lutte inter-systèmes qu'était la guerre froide, afin de maintenir la loyauté de leurs propres travailleurs envers le libéralisme, l'expérience sociale des "Chicago Boys", qui avaient tenté une expérience sur le terrain au Chili sous la dictature de Pinochet, et donc un capitalisme désormais débridé, s'est imposée. Les prestations sociales ont été supprimées, les marchés dérégulés, les entreprises publiques privatisées et des millions de personnes transformées en working poor, des travailleurs qui vivaient au jour le jour.

5841632.jpgLes restes de la société ont été détruits par l'accélération de l'individualisme, "Bowling alone" devenant ainsi de plus en plus une réalité, ce qui signifiait également l'uniformisation progressive dans le sens du programme néolibéral. Cette révolution de Reagan, diffusée en Europe par Margret Thatcher ("There's no such thing as society [3]"), s'est également caractérisée par une émergence (à l'époque surtout dans les milieux universitaires) du politiquement correct, de la théorie du genre, de l'idée d'une société "verte", "climatiquement neutre" de la société (pensez à la chanson "California over all" des Dead Kennedys), d'une société de consommation qui consomme ses consommateurs et d'un antiracisme universaliste pathologique, toutes choses qui se poursuivent encore aujourd'hui. Ou pour reprendre les mots de Carpenter: la révolution Reagan n'a jamais pris fin. Tout cela s'est produit, à ses yeux, parce que la droite est "confuse et perdue", tandis que la gauche a laissé ses propres racines derrière elle.

Apparemment, il n'y a plus d'alternative à l'ordre existant, nous pouvons imaginer une fin du monde plutôt qu'une fin du capitalisme, comme l'a proclamé Slavoj Zizek, disciple de Lacan. Idéologiquement, elle est le résultat d'une transformation du capitalisme, depuis la théorie de la convergence [4] portée notamment par le think tank mondialiste "Club de Rome", jusqu'à sa version 2.0 décrite par Alexandre Douguine [5] , qui veut que les richesses du monde ne soient accessibles qu'à une petite élite, tandis que le reste de l'humanité "ne doit rien posséder et être heureux". (selon le World Economic Forum).

Comment "vous pouvez vivre" si vous êtes mort ? Sur la représentation visuelle de l'aliénation sous le capitalisme

Le film lui-même s'ouvre sur l'arrivée du travailleur migrant Nada à Los Angeles, en Californie, où il est lui-même le témoin direct de la pauvreté rampante dans un bidonville de sans-abri (qui constitue par ailleurs un décor authentique). Comme son nom et l'absence d'antécédents l'indiquent, il est une tabula rasa et une surface de projection, chacun d'entre nous pourrait être Nada. Avec l'aide d'un groupe de résistance chrétien, il obtient des lunettes de soleil qui lui permettent de voir au-delà de l'illusion de la réalité qui lui fait face et de découvrir la vérité: les humains sont dominés par des aliens qui ressemblent à la fois à des insectes extraterrestres et à des versions mortes-vivantes de nous-mêmes.

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La première contradiction du film apparaît alors clairement: comment peuvent-ils "vivre" s'ils sont morts? Il semble que le réalisateur Carpenter veuille ainsi attirer l'attention sur l'abandon de l'homme par son intégration dans le système néolibéral, en le transformant lui-même en objet. L'homme est aliéné de ses racines culturelles et finalement de son humanité, il devient une machine pour pouvoir fonctionner dans le système. La dialectique de la domination et de la servitude - la philosophie hégélienne dans le film.

Pourtant, les humains collaborent avec les extraterrestres, qui les rendent dociles grâce aux commodités des sociétés de consommation. Les extraterrestres de "Invasion Los Angeles" exercent un pouvoir sur les humains, tant sur le plan politique que socio-économique. En regardant à travers les lunettes qui lui permettent de voir au-delà de l'idéologie néolibérale des aliens, Nada se rend compte que les journaux contiennent en réalité des ordres codés, mais que les aliens lisent eux-mêmes - "Obéissez ! Travaille ! Consommez ! Marie-toi et procrée !" ne s'adresse pas seulement aux humains, mais aussi aux aliens eux-mêmes. Même l'appareil policier et médiatique qui maintient le système en place n'est pas seulement composé d'aliens, mais aussi d'humains.

On pense immédiatement à la dialectique de la domination et de la servitude de Georg Wilhelm Friedrich Hegel quand on remarque que les aliens sont les plus attachés à ce système [6], car ils ont les postes les plus prestigieux, un peu comme les maîtres d'esclaves. Les humains, en revanche, à l'instar des esclaves, ne peuvent que gagner puisqu'ils n'ont rien à perdre si ce n'est leurs chaînes [7]. Mais ce sont justement les collaborateurs humains qui ont beaucoup à perdre, comme on peut le lire dans cette citation révélatrice [8] vers la fin du film :

" En réalité, il n'y a plus de pays - de gens qui sont bons, encore moins ! Ils contrôlent tout, tout leur appartient, toute cette planète de merde, ils peuvent faire ce qu'ils veulent ! Qu'est-ce qu'il y a de mal à être bien de temps en temps?! Et ils font en sorte que nous soyons bien si nous les aidons! Ils nous laisseront tranquilles et nous pourrons gagner notre vie! Vous aurez aussi une part du gâteau, c'est ce que vous voulez, je le sais, honnêtement, c'est ce que tout le monde veut après tout"!

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Alors que le "système extraterrestre" du néolibéralisme dépasse les frontières des États-nations, que le libre marché abolit toutes les frontières, les personnes qui vivent dans ce système deviennent elles aussi des objets et ne peuvent plus décider elles-mêmes de leur destin. Ils sont eux-mêmes corrompus, déshumanisés et transformés en extraterrestres, étrangers les uns aux autres. Ils échangent leur humanité et leur intégrité contre une participation au système qui leur promet "une part" du gâteau, du confort matériel et du prestige en échange de leur âme. On peut donc voir dans cette citation non seulement un aspect critique du mondialisme et du libéralisme du film, mais aussi son message de lutte des classes, qui va bien au-delà du contenu des nouvelles/de la bande dessinée [9].

Ne pas penser ! Critique du politiquement correct

Tant eux que les aliens reçoivent l'ordre "No thought!/Ne pensez pas ! - on peut interpréter ce message comme une pique au "politiquement correct", qui veut également nous interdire de penser. Nous pouvons à nouveau voir ici une magnifique parabole de notre société, qui fonctionne si bien parce que les gens ne la remettent pas en question, ne sont plus capables de réfléchir et de philosopher sur leur propre existence.

L'effet diabolique du politiquement correct est de "mettre sur les rails" notre pensée, en nous interdisant non seulement de dire certaines choses, mais en les déclarant crime de lèse-pensée, et en nous programmant quasiment comme des robots selon les désirs de leurs utilisateurs. Le personnage de Holly, qui a l'air d'un hybride alien/humain à cause de ses yeux, incarne à cet égard la collaboration des humains avec ce système inhumain. La lutte entre Nada et Frank nous prouve qu'il est loin d'être facile d'accepter la vérité et de quitter le royaume du mensonge. Ce dernier refuse de mettre ses lunettes et de regarder la vérité en face.

Regarder derrière le voile de l'idéologie bourgeoise : une entreprise douloureuse

Mais pourquoi Frank résiste-t-il ? Il le fait parce qu'il est douloureux de regarder derrière l'illusion de l'idéologie bourgeoise et de voir la vérité [10]. Cette expérience douloureuse, qui consiste d'une part à réaliser que l'on a menti toute sa vie et d'autre part à s'avouer que l'on n'a que trop volontiers cru à ces mensonges, attend tous ceux qui ont percé à jour les mensonges vitaux du libéralisme. Qui veut admettre qu'il a été l'instrument de puissances inconscientes? Qui peut admettre qu'il a participé à un système inhumain et qu'il a peut-être même collaboré avec lui? Qui peut s'avouer qu'il s'y sent bien, même si c'est moralement mauvais? Et surtout, qui veut s'exposer volontairement aux rigueurs de la résistance, du "non-fonctionnement", alors qu'il peut simplement s'installer et "fonctionner" dans le mensonge?

"Invasion Los Angeles" et notre réalité : celui qui ne croit pas en Dieu est capable de croire en tout

Chacun d'entre nous y a été confronté ces dernières années: que ce soit les mensonges de notre État concernant le co ronavir us ou ceux concernant la guerre en Ukraine. Mais même si l'on a reconnu la vérité, on peut la rejeter et s'installer dans le mensonge. L'humanisme, le libéralisme et les Lumières ont en effet rendu cela possible: celui qui ne croit pas en Dieu ne croit pas en rien, mais est capable de croire n'importe quoi. Que ce soit l'agnosticisme, l'athéisme, le satanisme sans fard, le transhumanisme, la religion patchwork New Age ou les trois idéologies de la modernité, l'absence de relation avec Dieu et la métaphysique rend l'homme capable de tout dans son délire prométhéen.

Le christianisme comme réponse au nihilisme

A ce nihilisme de notre époque, que dénonçait également le moine orthodoxe Séraphin Rose, nous pouvons opposer le message chrétien de la Bible [11] :

Jésus dit donc aux Juifs qui croyaient en lui: "Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes mes vrais disciples, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres".

Ronald Reagan et Margaret Thatcher sont arrivés au pouvoir, entre autres, en dénonçant le gouvernement en tant que tel et en stigmatisant toute forme de domination comme quelque chose de mal. Mais comme John Carpenter l'a justement fait remarquer dans une interview, il y a de bons et de mauvais gouvernements. Alors que le mauvais gouvernement est effectivement mauvais (ce qui inclut l'absence de domination), le bon gouvernement est bon et vrai.

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Nouvelle Droite et Quatrième Théorie Politique : nos lunettes pour voir la vérité

Face à un système qui, dans le cadre du Great Reset, est devenu encore plus inhumain et brutal que les extraterrestres néolibéraux de "Invasion Los Angeles", nous avons aujourd'hui plus que jamais besoin de lunettes pour voir et comprendre l'illusion dans laquelle nous vivons. Les idées de la Nouvelle Droite française et l'ouvrage d'Alexandre Douguine "La quatrième théorie politique" sont précisément des lunettes qui nous permettent de voir derrière les masques des mondialistes et de reconnaître la vérité en tant que telle, selon les paroles de Jésus, comme quelque chose qui nous rend libres et nous libère de l'esclavage. Si nous comprenons la modernité et ses racines, si nous comprenons l'anthropologie humaine et la philosophie sur lesquelles elle se fonde, nous serons non seulement en mesure de la déconstruire, mais aussi de formuler une alternative à la postmodernité qui rendra possible la liberté politique et spirituelle des peuples dans un monde multipolaire.

Notes:

[1] Vgl. Sie leben. Über Ideologiekritik und Verschwörungstheorien in der Science Fiction | TOR Online (tor-online.de) consulté le 14.01.2023
[2] Vgl. (15) They Live in John Carpenter's Own Words – YouTube, consulté le 14.01.2023
[3] Vgl. Margaret Thatcher: There’s No Such Thing as Society - New Learning Online, consulté le 14.01.2023
[4] Vgl. Konvergenztheorie • Definition | Gabler Wirtschaftslexikon , consulté le 14.01.2023

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lundi, 16 janvier 2023 | Lien permanent

Entretien avec Luca Siniscalco: L'axe archéofuturiste d'Alexandre Douguine, de Platon à Heidegger

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Entretien avec Luca Siniscalco:

L'axe archéofuturiste d'Alexandre Douguine, de Platon à Heidegger

Propos recueillis par Gerardo Adami

Source: https://www.geopolitika.ru/pt-br/article/entrevista-com-luca-siniscalco-o-eixo-arqueofuturista-de-aleksandr-dugin-de-platao-heidegger

Expliquer la pensée politique et philosophique de l'un des intellectuels les plus originaux de la scène eurasienne, Alexandre Douguine, selon un possible axe "archéofuturiste": tel est l'objectif du dialogue avec Luca Siniscalco, l'un des impulseurs en Italie de l'œuvre du penseur moscovite.

Luca Siniscalco, De la quatrième théorie politique au platonisme politique. Douguine va au-delà des courants actuels de la pensée politico-philosophique. Dans quelle perspective ?

Toute la spéculation philosophico-politique de Douguine est une tentative courageuse de révéler des scénarios herméneutiques, symboliques et narratologiques sans précédent à travers lesquels comprendre - et orienter démiurgiquement - un nouvel horizon communautaire de sens et de destin.

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Si la Quatrième Théorie Politique représente une cour ouverte pour l'élaboration d'une doctrine et d'une praxis politiques capables de dépasser les trois grands récits idéologiques du 20ème siècle (libéralisme, communisme, nazi-fascisme), selon un axe archéofuturiste qui relie les instances traditionnelles aux scénarios postmodernes, le platonisme politique constitue une formule pour comprendre et orienter un nouvel horizon communautaire de sens et de destin, le platonisme politique constitue une formule pour thématiser à nouveau la structure du politique dans un sens axial, traditionnel et organiciste, par le biais d'un effort révolutionnaire-conservateur visant à repenser, sur la base d'une "topographie verticale" et d'une "politique transcendante", la structure générale de la vie agrégée de l'homme dans le nouveau millénaire.

Où peut-on trouver ces spéculations ?

Le lien entre les deux perspectives apparaît clairement dans l'essai "Théorie existentielle de la société" (publié dans Platonisme politique), où Douguine affirme le lien entre la Quatrième théorie politique et la redécouverte du lien vital qui existe entre la sphère du politique et celle du sacré, lien qui devient le cœur battant du platonisme: "Dans la Quatrième théorie politique, le peuple décide d'avoir Dieu, et c'est le Dasein lui-même qui prend cette décision, le Dasein en tant que peuple (Volk). Et si, dans les domaines métaphysique, philosophique et sociologique, la Quatrième théorie politique se révèle révolutionnaire (conservatrice-révolutionnaire), elle doit aussi se révéler dans le domaine de la religion. Ainsi, la foi du peuple éveillé à l'histoire est la foi de ceux qui osent croire au Dieu vivant, au Selbst de Dieu, à Dieu comme antithèse de son simulacre institutionnalisé, le Grand Inquisiteur".

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En quoi consiste la référence à une reformulation du platonisme ?

L'essai Platonisme politique englobe plusieurs écrits, qui abordent des questions très hétérogènes. Toutefois, le trait d'union qui permet d'unifier de manière cohérente les réflexions de Douguine est la reconnaissance, dans la philosophie platonicienne, d'un noyau archétypal: "l'unité fondamentale des structures de la connaissance, de la société et du cosmos". Contrairement à la compartimentation réductionniste et analytique de la réalité promue par la modernité rationaliste et libérale, l'horizon spéculatif platonicien sanctionne, avec la rigueur méthodologique de la philosophie dialectique, la vérité déjà hermétique de l'Unus Mundus: l'homme et la nature, l'âme et le monde, le microcosme et le macrocosme sont le reflet l'un de l'autre - de même que la théorie et la pratique, la psyché et la politique, l'individu et la communauté. Le platonisme politique identifie dans la structure hiérarchique, verticale, organiciste et métaphysique de la politique l'instrument par excellence - bien enraciné dans la tradition indo-européenne - pour réaliser la transcendance dans l'immanence, en inversant le ciel sur la terre, puisque "l'homme est un maillon de la chaîne des dieux. Il est tendu entre les deux origines (nachala) et réalise par lui-même, par son existence, le transfert de l'une à l'autre, comme un démiurge, un dieu (...). Il crée l'ordre du cosmos, organise les copies et dissout les phénomènes dans la contemplation des idées". De même, "la République - Politeia - est une coupe transversale du cosmos (la République des âmes, dans le platonisme de Crisippus) (...). La République (Platonopolis) est organisée de bas en haut et de haut en bas (poiesis/noesis). Elle établit la vérité en droit, révélée par les philosophes; l'impulsion est déléguée aux gardiens, tandis que les artisans intègrent l'orientation dans la production de choses empiriques.

Les philosophes créent la République de manière démiurgique. L'âme du monde se trouve précisément au centre de la République. C'est l'or de l'être. C'est la concentration noétique de l'échange dynamique entre le monde des idées et le monde des choses". Le platonisme politique - c'est cette intuition qui fait de l'essai douguinien non pas un simple exercice philologique, mais une proposition paradigmatique concrète, moulée dans la facticité du monde de la vie - est une forme originale du politique qui, mutatis mutandis, peut toujours être réactualisée. Cela est d'autant plus vrai qu'avec la notion de platonisme, comme le montre Noomakhia. La révolte contre le monde postmoderne ne doit pas être comprise simplement comme le corpus platonicien, mais plutôt comme une forme archétypale du Logos apollinien qui, dans la guerre millénaire des Logoi (la Noomachie), se manifeste également au sein de civilisations qui n'ont jamais eu de contact direct avec Platon. Selon Douguine, une grande partie des cultures grecque, romaine, iranienne, indienne et slave est apollinienne et, en ce sens, politiquement platonicienne. D'où la richesse d'un horizon mythico-symbolique vers lequel les futures études métapolitiques devraient se tourner avec grand intérêt".

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Dans quelle mesure la pensée de Douguine influence-t-elle le débat russe ?

Question insidieuse. Comme pour tout penseur de haut niveau, il n'est pas facile d'établir dans quelle mesure la vision de Douguine affecte ou non la conscience culturelle, politique et existentielle d'un peuple - le peuple russe, en l'occurrence. C'est à la postérité qu'il revient d'en juger.

Il est souvent décrit comme proche du président Poutine...

Certes, un examen lucide de la question doit faire abstraction de la sclérose à laquelle sont souvent réduites les informations - italiennes et internationales - sur le sujet. Douguine n'est pas un intellectuel "organique" de la classe dirigeante russe, ni le "Raspoutine du Kremlin" ou l'"éminence brune" de Poutine, comme on l'a facétieusement défini. Cependant, il serait tout aussi erroné de considérer que les pensées d'un auteur de renommée internationale, traduit dans des dizaines de langues, qui a eu une carrière importante en Russie en tant que professeur à l'Académie militaire dans les années 1990, a occupé le poste de professeur de sociologie à l'Université d'État Lomonossov de Moscou de 2008 à 2014 et est toujours le protagoniste d'importants débats publics sur des questions culturelles et d'actualité, n'ont que peu d'influence. Ce qui est certain, c'est que le débat sur la pensée de Douguine concerne principalement, en Russie et dans le reste du monde, ses réflexions sur l'actualité politique et les questions géopolitiques (multipolarisme, relations internationales) et politico-philosophiques (Quatrième théorie politique). Beaucoup plus restreint est le débat sur son œuvre métahistorique, métaphysique et ontologique - sur laquelle, peut-être selon le professeur lui-même, c'est en Italie qu'est lancée l'étude approfondie la plus intéressante, probablement dans le sillage d'un certain intérêt ancien et profondément enraciné pour les auteurs traditionnels (en premier lieu Julius Evola) et pour la pensée métapolitique d'orientation révolutionnaire-conservatrice

Quels sont les auteurs du panthéon des penseurs russes ?

Ils sont nombreux et très hétérogènes. C'est précisément de cette ouverture intelligente et sans préjugés à la pluralité des formes de la pensée humaine que découlent la grande force et l'originalité de l'œuvre de Douguine - ainsi que certaines contradictions (certaines apparentes, d'autres peut-être insolubles) dans son système. Je crois qu'il est possible d'identifier cinq grands courants culturels avec lesquels l'œuvre de Douguine entretient explicitement des relations critiques dans le domaine philosophico-spéculatif.

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Quels sont ces courants ?

La pensée de la tradition - ou le traditionalisme intégral (Guénon, Evola et, dans l'interprétation de Douguine, Eliade) ; l'ésotérisme occidental, médiatisé par l'expérience du Cercle Yuzhinsky (avec Mamleev, Golovin et Dzhemal) ; Nietzsche et la révolution conservatrice (Heidegger, Jünger, Niekisch, Schmitt) ; le postmodernisme français (Deleuze et Guattari, Lacan, Baudrillard, Foucault) ; la théologie orthodoxe et l'eurasisme anti-occidental qui lui est lié (Leontiev, Danilevski, Alexeiev, Gumilev).

A cela s'ajoutent, outre les classiques de la géopolitique, les auteurs des écoles russes d'ethnologie, de sociologie allemande, d'anthropologie culturelle américaine et de sociologie et d'anthropologie structurale françaises (surtout Širokogorov, Weber, Tönnies, Sombart, Boas, Durkheim, Lévi-Strauss, Durand), auxquels notre auteur emprunte de nombreux concepts qui sont à la base de son modèle "ethnosociologique" (qui fera prochainement l'objet d'un volume aux éditions Aga en Italie).

Douguine en Occident : à qui peut-on l'associer dans sa critique du mondialisme ? Quelles sont ses particularités ?

Le rejet révolutionnaire-conservateur de la "planétarisation" mondialiste (Heidegger) suit chez Douguine des logiques non dichotomiques et parfois avant-gardistes, étant donné l'intérêt de l'auteur pour le postmodernisme, les dernières tendances de la culture pop, les questions technologiques (cybernétique, virtualité, posthumain, réalisme spéculatif) et les "mythes modernes", que le monde conservateur a souvent traités de manière superficielle ou tout simplement ignorés par myopie intellectuelle. En ce sens, l'antimodernisme douguinien fait appel à une origine métaphysique qui ne se trouve pas dans le passé historique, mais dans le pouvoir transfigurant du regard que les individus et les civilisations posent sur le monde - et qui peut toujours, ici et maintenant, être métamorphiquement renouvelé et transfiguré.

Au niveau de la doctrine étatique, Douguine rejette la mondialisation libérale et capitaliste, ainsi que les options souverainistes au sens nationaliste et chauvin - qu'il considère comme les aboutissements de la politique moderne - et repropose l'idée traditionnelle d'Empire, en corrélation avec le concept de "civilisation" (Huntington). L'Empire, pour le philosophe russe, "se distingue de l'État-nation par trois caractéristiques principales: l'existence d'une mission historique ou métahistorique (sacrée) qui dépasse de loin le simple jeu des intérêts pragmatiques (...); la préservation d'enclaves ethniques avec leurs particularités linguistiques, religieuses et même juridiques (...); et, enfin, le contrôle d'un grand espace" (au sens schmittien du terme). D'une figure pré-moderne, donc, au protagoniste des développements multipolaires de la géopolitique post-moderne.

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Pour cette puissante charge synthétique de caractère métaphysique et traditionnel, qui a récemment trouvé un condensé théorique, également en Italie, dans l'ouvrage Noomachia déjà cité. Révoltée contre le monde postmoderne et soutenue par la position philosophique illibérale, antimatérialiste et antiréductionniste qui le caractérise, la pensée de Douguine trouve, à mon avis, une harmonie et une résonance en Occident, avec toutes les distinctions qui s'imposent, dans les œuvres uniques de son brillant, érudit et polygraphe ami français Alain de Benoist et du visionnaire - mais oublié par la plupart des gens - Jean Parvulesco, le chanteur de l'"Étoile de l'Empire invisible", pour reprendre une définition de Douguine lui-même.

Le volume Platonisme politique contient un dialogue intéressant entre Douguine et Bernard Henri Lévy. Quelles sont les forces et les faiblesses des deux penseurs ?

Le 21 septembre 2019, l'Institut Nexus d'Amsterdam a célébré son 25ème anniversaire avec un symposium public intitulé The Magic Mountain Revisited : Cultivating the Human Spirit in Dispirited Times, dans le sillage du roman de Thomas Mann La Montagne magique. Le symposium s'est ouvert sur le duel intellectuel susmentionné, présenté comme une revisite du 21ème siècle des célèbres débats entre Settembrini et Naphta dans le roman de Mann.

Les thèmes philosophiques et géopolitiques abordés par les penseurs - devenus les emblèmes médiatiques de deux factions antithétiques : le libéral progressiste politiquement correct Bernard-Henri Lévy contre le traditionaliste antilibéral politiquement incorrect Douguine - sont nombreux et nous ne pouvons certainement pas les résumer ici. Cependant, au centre du désaccord entre les deux visions du monde, qui trouve peut-être son origine avant leurs positions respectives dans les sphères politiques et internationales (sur lesquelles une grande partie du débat a été menée), se trouve l'interprétation de la question du nihilisme, sur laquelle j'aimerais m'attarder brièvement. En effet, Douguine et Bernard-Henri Lévy s'accusent mutuellement de nihilisme, "hôte inquiétant" de l'Occident.

Le nihilisme est un thème récurrent de la spéculation philosophique du 20ème siècle et de la modernité ultérieure...

Douguine reprend explicitement la n

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samedi, 02 décembre 2023 | Lien permanent

La gauche fuchsia. Ou de la métamorphose kafkaïenne

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La gauche fuchsia. Ou de la métamorphose kafkaïenne

Diego Fusaro

Source: https://posmodernia.com/la-izquierda-fucsia-o-de-la-metamorfosis-kafkiana/

Les lys qui pourrissent sentent bien plus mauvais que les mauvaises herbes [1] . Ces vers, tirés des Sonnets de William Shakespeare, pourraient à juste titre être considérés comme la description la plus réaliste du sort qui a impitoyablement englouti la gauche dans le quadrant occidental du monde après la chute du mur de Berlin.

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Pour évoquer une autre figure littéraire, les néo-gauchistes ont subi une Verwandlung, une "métamorphose" semblable à celle décrite par Kafka. Une métamorphose qui les a fait plonger dans l'abîme où ils se trouvent depuis 1989 et, plus encore, depuis l'arrivée du nouveau millénaire. La situation peut sembler parfois tragicomique, si l'on considère qu'aujourd'hui les slogans du Capital et les desiderata des classes dominantes (moins d'État et plus de marché, moins de liens et plus de fluidité, moins d'appartenance communautaire et plus de libéralisation individualiste) trouvent dans les programmes et le lexique de la néo-gauche arc-en-ciel une réponse ponctuelle, une défense énergique et une célébration ininterrompue. Sans hyperbole, l'ordre des dominants, dans le cadre de la mondialisation capitaliste, présente, dans la néo-gauche décaféinée, une apologie et une sanctification non moins radicales que celles qu'elle trouve dans la droite, siège traditionnel de la reproduction culturelle et politique du nexus hégémonique du pouvoir.

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La régression et la barbarie, qui n'ont pas cessé d'accompagner le Capital, ne sont plus contestées par la gauche en faisant appel au désir de plus grandes libertés et d'avenirs anoblissants ; au contraire, elles sont obstinément défendues et présentées par la gauche elle-même comme la quintessence du mouvement de ce progrès de claritate in claritatem qui - pour le dire avec Marx - n'a pas cessé de ressembler à "cette horrible idole païenne qui ne voulait boire le nectar que dans le crâne des sacrifiés" [2]. Non plus "socialisme ou barbarie", mais "capitalisme ou barbarie", tel semble être le nouveau et magnétique mot d'ordre d'une gauche qui, en se reniant elle-même et en reniant sa propre histoire, est devenue la plus fidèle gardienne du pouvoir néolibéral.

Nous appelons la Nouvelle Gauche post-moderne et néo-libérale, ennemie de Marx, de Gramsci et des classes laborieuses et, en même temps, amie du Capital, de la ploutocratie néo-libérale et du Nouvel Ordre turbo-capitaliste mondial, la New Left comme on dit en "anglais des marchés", cet anglais-là qui lui est si cher. Nous utilisons cette terminologie pour distinguer soigneusement la néo-gauche fuchsia de la vétéro-gauche rouge qui, à différents degrés et avec différentes intensités (du réformisme au maximalisme révolutionnaire, du socialisme au communisme), a tenté de différentes manières, au 19ème siècle et plus tard au cours du "siècle court", de "prendre d'assaut les cieux", de modifier l'équilibre des pouvoirs, de réaliser le "rêve d'une seule chose" et de mettre en pratique la "simplicité insaisissable".

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Plus la vieille gauche traditionnelle, socialiste et communiste semble noble, avec ses succès et ses réalisations, mais aussi avec ses échecs et ses défaites, plus elle suscite l'effet désagréable des "lys flétris" dont parlait Shakespeare, la Nouvelle gauche fuchsia réduite au statut de gardien de la cage de fer du Capital (avec le polythéisme des valeurs de consommation qui y est incorporé) ; une garde sui generis cependant, qui, pour préserver sa propre identité - en réalité perdue depuis longtemps - et l'ancien consensus de force du côté des droits et des faibles, et donc pour pouvoir conduire les masses à l'acceptation silencieuse du pouvoir du néo-capitalisme, doit en permanence se ressusciter à nouveau. Elle doit sans cesse ressusciter des ennemis définitivement éteints (l'éternel fascisme) ou inventer de nouvelles luttes annexes (les micro-luttes identitaires pour le genre et l'économie verte), qui lui permettent d'apparaître comme partie prenante de l'offensive contre les maux d'un existant auquel il a prêté allégeance sans l'avouer.

C'est là que réside l'élément vraiment trash de la gauche néolibérale. En particulier, l'élément le plus abject de la Nouvelle Gauche post-moderne arc-en-ciel consiste à se considérer, avec une fausse conscience nécessaire, comme le front avancé du développement et du progrès universels, sans réaliser que le développement et le progrès qu'elle promeut coïncident avec ceux du Capital et de ses classes ; un développement et un progrès qui, par conséquent, s'accompagnent de la déresponsabilisation, de l'appauvrissement et de la régression des classes nationales-populaires, c'est-à-dire celles que la gauche néolibérale "anti-populiste" considère aujourd'hui ouvertement comme ses principaux ennemis. Et que la vieille gauche rouge a assumé comme son propre sujet de référence social et politique, dans l'empressement de provoquer l'émancipation de la prose de l'aliénation capitaliste. Il n'y a pas de doute : pour la Nouvelle Gauche libérale-progressiste, l'ennemi principal n'est pas la mondialisation capitaliste, mais tout ce qui ne s'est pas encore incliné devant elle et lui résiste encore.

L'antifascisme en l'absence de fascisme et les micro-luttes identitaires pour les droits arc-en-ciel ou, en tout cas, pour des questions sidéralement éloignées de la contradiction capitaliste, permettent à la Nouvelle Gauche de bénéficier d'un triple avantage: (a) disposer d'un alibi pour justifier son adhésion désormais intégrale au programme de la civilisation néolibérale postmoderne ; (b) maintenir sa propre identité et son propre consensus, à travers la fiction de la lutte contre des ennemis morts et enterrés (le fascisme) ou contre des instances qui, de toute façon, ne remettent pas en cause la reproduction globale de la société techno-capitaliste ; (c) conduire les masses de militants - qu'il conviendrait souvent d'appeler "militants" - tout droit vers l'adhésion à l'anarchie efficace du néo-cannibalisme libéral, présenté précisément comme progressiste et "de gauche".

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Le consensus inertiel dont bénéficie encore la néo-gauche fuchsia, grâce à un passé glorieux du côté du travail et de l'émancipation, sert ainsi à exploiter et donc à légitimer ce que la vieille gauche rouge avait combattu. A l'appui de la thèse de ce processus de métamorphose, qui a commencé avec les soixante-huitards et s'est manifesté sous sa forme la plus radicale après l'annus horribilis de 1989, il suffit de rappeler que, depuis les années 90 du "petit siècle", chaque succès de la gauche en Occident tend à coïncider avec une défaite retentissante des classes laborieuses.

Au nom du Progrès, la gauche s'est faite, avec encore plus de zèle que la droite, le promoteur de la libéralisation et de la privatisation consuméristes, de la précarisation du travail et de l'exportation impérialiste des droits de l'homme ; en d'autres termes, elle a réalisé, avec une méthode scientifique et une rigueur admirable, le tableau de bord du bloc oligarchique néolibéral. Et elle l'a fait en soutenant toujours - et en ennoblissant comme un Progrès - l'extension de l'impitoyable logique marchande à toutes les sphères du monde de la vie, à tous les coins de la planète, à tous les recoins de la conscience, en délégitimant symétriquement (comme "régression", "fascisme", "totalitarisme", "populisme" et "souverainisme") tout ce qui pourrait encore contribuer, selon les mots de Walter Benjamin, à tirer le frein d'urgence, à arrêter la "fuite éperdue" vers le néant de la barbarie et du nihilisme.

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Dans le lexique politique postmoderne de la Nouvelle Gauche arc-en-ciel, il n'y a aucune trace des droits des travailleurs, des peuples et des opprimés: au contraire, le "populisme" est l'étiquette péjorative, de plus en plus en vogue, qui - en maîtres de la néo-langue brevetée par Orwell [3] - délégitime a priori toute revendication nationale-populaire des classes laborieuses et du peuple souffrant, tout écart par rapport au "Progrès", c'est-à-dire au programme de développement de la civilisation néolibérale. Il ne fait aucun doute que le discours du capitaliste, comme l'appelait Lacan, et la "nouvelle raison du monde" néolibérale [4] ont également saturé l'imaginaire d'une gauche désormais philo-atlantiste et orientée vers le marché, qui est passée cyniquement et sans complexe de la lutte contre le Capital à la lutte pour le Capital.

Cette intégration dans le capitalisme mondial est rarement admise ouvertement pour ce qu'elle est réellement: un alignement conscient sur le monde en opposition auquel les politiques de la gauche socialiste et communiste ont été légitimées pendant la majeure partie du 20ème siècle. De manière diamétralement opposée, la nouvelle gauche est presque toujours justifiée par le recours à la formule hypocrite, libératrice et déresponsabilisante de "il n'y a pas d'alternative" ou à sa variante - sur laquelle se fonde la nouvelle théologie économique - selon laquelle "c'est ce que le marché exige". Il n'est pas rare que cette formule soit louée par la gauche comme une adhésion au rythme du progrès, en oubliant de souligner que le progrès en cours coïncide avec celui du capital et de sa marche triomphale vers l'affirmation de soi.

Cette obscène adhésion apologétique à la prose réifiante de l'inégalité capitaliste parmi les hommes et à son augmentation vertigineuse est prétextée dans le quadrant gauche par le recours au théorème de l'identification du statu quo intrinsèquement antidémocratique avec la "démocratie" parfaitement complète qui doit être protégée des dangereuses tentatives de "subversion fasciste", qui à leur tour sont faites pour coïncider idéologiquement avec toute prétention à mettre en marche l'exode de la cage de fer néolibérale.

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La rhétorique antitotalitaire, comme l'ont montré Losurdo [5] et Preve [6], joue un rôle décisif dans la consolidation du consensus vers la civilisation néolibérale : elle permet de glorifier le mode de production capitaliste comme le royaume de la liberté, en liquidant comme " totalitaire " le communisme historique des 19ème et 20ème siècles et, en perspective, tout mouvement qui pourrait proposer des voies alternatives d'émancipation par rapport au capitalisme lui-même. D'une part, le seul totalitarisme réellement existant aujourd'hui - celui de la société totalement administrée du techno-capital - est vénéré comme la société ouverte de la liberté parfaitement mise en œuvre ; et, d'autre part, l'idée de socialisme est condamnée sans appel, induisant l'adaptation, euphorique ou résignée, à la " cage de fer " néolibérale.

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Achille Occhetto et Giorgio Napolitano.

L'adoption du paradigme antitotalitaire a contribué de manière décisive à la métamorphose de la Nouvelle Gauche en une force libérale-atlantiste complétant le rapport de force hégémonique. Il ne faut pas oublier que dès mai 1989, c'est-à-dire quelques mois avant la chute du mur, Achille Occhetto et Giorgio Napolitano - figures de proue du Parti communiste italien - se trouvaient à Washington (c'était d'ailleurs la première fois dans l'histoire qu'un secrétaire du PCI se voyait accorder un "visa"). Occhetto avait mis le PCI sur la voie d'une métamorphose kafkaïenne ("svolta della Bolognina") en Nouvelle Gauche, c'est-à-dire en un parti radical de masse. Napolitano, quant à lui, occupera deux fois de suite la fonction de président de la République (de 2006 à 2015), sans s'opposer ni à l'intervention impérialiste en Libye (2011) ni à l'avènement du " gouvernement technique " ultralibéral de Mario Monti (2011).

Dans ce même sillage métamorphique, sous le signe de la rhétorique antitotalitaire, il faut lire la déclaration du secrétaire du Parti de la refondation communiste, Paolo Ferrero, dans le journal Liberazione du 9 novembre 2009, à propos du "jugement politique sur la chute du mur de Berlin": "ce fut un événement positif et nécessaire, à célébrer". Les propos de Ferrero auraient pu être ceux de n'importe quel homme politique d'obédience libérale-atlantiste.

La métamorphose kafkaïenne de la Nouvelle Gauche apparaît d'autant plus clairement si l'on considère que, pour sa part, le communisme a été la promesse la plus séduisante d'un bonheur autre que celui disponible, mais aussi la critique la plus glaçante de la civilisation de la marchandise: il a été, au moins en théorie, la plus grande tentative jamais faite dans l'histoire des opprimés pour briser les chaînes, sans rien à perdre et avec seulement un monde à gagner.

C'est aussi pour cette raison que la gauche post-marxiste et néolibérale figure parmi les réalités les moins nobles qui soient: elle a déterminé opérationnellement ou, en tout cas, favorisé docilement le silence du "rêve d'une chose", sa triste conversion en "rêve des choses" et la réconciliation avec le monde de l'exploitation et de l'inégalité, de la réification et de l'aliénation.

Pour reprendre la formule bien connue de Benedetto Croce à propos du christianisme [7], il fut un temps où il était impossible de ne pas se déclarer "de gauche", tout comme aujourd'hui, pour les mêmes raisons, il est impossible de se dire "de gauche". Essayer de réformer ou de refonder la gauche est une opération intrinsèquement impossible et inutilement énergisante, puisque - comme nous essaierons de le montrer - son paradigme est contaminé dès le début par cette contradiction, qui explose complètement en deux phases: la première avec les soixante-huitards, et la seconde avec 1989. A partir de Marx, de Gramsci et de l'anticapitalisme, le chemin à la recherche de la communauté émancipée pourrait être repris, sous la bannière des relations démocratiques entre individus également libres.

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Mais pour ce faire, il faudra en même temps dire adieu au paradigme de la gauche, animé - comme nous l'ont appris les études de Boltanski et Chiapello, celles de Michéa et Preve - par une adhésion irréfléchie au mythe du Progrès et à la croyance erronée que l'approbation du monde bourg

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dimanche, 23 juin 2024 | Lien permanent

Mei '68: de mythe, de realiteit, en de hormonen

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Mei ’68: de mythe, de realiteit, en de hormonen


 

  
Lezing gegeven in het Vlaams Parlement, 17 mei 2008

 


 Johan Sanctorum / http://www.visionair-belgie.be/

   

Van kostschoolopstand tot teletubbie-dictatuur

Ik dank de organisatoren van dit colloquium voor de uitnodiging. Een ook ter linkerzijde goed aangeschreven filosoof erbij halen, het blijft een risico, je weet nooit wat de man gaat vertellen, en het pleit alleszins voor de breeddenkendheid van de initiatiefnemers. En dat cordon sanitaire doorkruisen,- het blijft zoals U weet een geliefde hobby van me.

Ik zal het vandaag kort hebben over drie zaken die me nauw aan hart liggen,- en ik denk dat ik ook voor het grootste deel van deze achtbare vergadering mag spreken,- namelijk politiek, cultuur en sex.

Mei ’68, het betekent voor ieder van ons iets anders, in zoverre zelfs, dat ik me afvraag of het wel als algemeen begrip de geschiedenis zal halen.  Ik was toen veertien en herinner me vaag zwart-wit TV beelden van Franse studenten die met straatkasseien gooiden, Sovjettanks in Praag, gitaarspelende hippies in Berkeley, anti-Viëtnambetogingen zowat overal, kabouters in Amsterdam, en niet te vergeten: de tirades tegen het establishment vanwege studentenleider Paul Goossens in Leuven, naderhand topfiguur van datzelfde politiek-cultureel establishment, en onlangs door heel de pers uitgewuifd als gepensioneerd Belga-journalist.

Die metamorfose van rebel tot boegbeeld van een ‘links-progressieve’ elite, daar heb ik het straks nog over. Maar wat hebben al deze evenementen, van Praag tot Berkeley, eigenlijk gemeen? Vrijwel niets. Behalve dat ze zich allemaal in het jaar 1968 afspeelden en schone plaatjes opleverden. Het zijn eigenlijk vooral de media, met het nieuwe medium televisie op kop, die er een verzamelnaam aan gegeven hebben, als hing er toen wereldwijd iets in de lucht. En het zijn ook de media die vandaag hun archieven oprakelen om dit non-event met een nostalgisch parfum te besproeien. De ’68-gebeurtenissen leverden immers de beste TV-beelden van die decade op, naast de Vietnam-oorlog natuurlijk. De mediatieke hype die zo gecreëerd werd, vanuit een aantal onsamenhangende gebeurtenissen, leidde tot een historische mythe waar de protagonisten zelf in gingen geloven. Tot op vandaag.

Er stelt zich dan ook een dringende behoefte aan een kritische lezing van de feiten en een demystificatie van het begrippenkader. Een poging dus tot echte historische kritiek die ballonnen doorprikt, mechanismen ontrafelt en processen reconstrueert. Uit die reconstructie blijkt namelijk vooral de inhoudelijke leegte, de gewichtloosheid en het Narcistisch-puberaal karakter van heel dat Franse mei-68 gebeuren.  Het heeft een hypotheek heeft gelegd op het politiek bewustzijn van vandaag, ons taalgebruik, de beeldcultuur, de zogenaamde vrije sexuele moraal. Het dient overigens gezegd dat tenoren uit de Franse denkwereld, zoals de psychoanalyticus Jacques Lacan, ook al die ballon doorprikt hebben. In 1969 al sneerde hij zijn Maoistische studentenpubliek toe dat ze het woord 'revolutie' hebben uitgehold en dat ze binnenkort dat establishment, waartegen ze zo tekeer gingen, zouden overnemen. Profetische woorden...

Neem nu inderdaad het woord ‘revolutie’ zelf. Het is niet toevallig dat sinds die periode alles en iedereen zich ‘revolutionair’ is beginnen noemen,- de weergaloze inflatie van deze term weerspiegelt al het licht soortelijk gewicht van de politieke statements uit die tijd. Sinds het ultrafijn borsteltje dat Chanel bij de mascara ‘Chanel Inimitable’ meelevert, door de producent zelf als ‘revolutionair’ wordt bestempeld, is het misschien nuttig om dat woord eens tot zijn essentie te herleiden.

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Historisch gezien zijn er namelijk maar twee vormen van authentieke revoltes, namelijk de hongeropstand en de vrijheidsbeweging. Op straat komen omdat Uw kinderen van de honger creperen, dàt is een goede reden om met kasseien te gooien. Ik ben in dat opzicht een Marxist. De tirannenmoord anderzijds, een instinctief-liberaal vrijheidsgebaar tegen de verknechting, is een tweede archetype van de revolte. De Franse revolutie van 1789 verenigde die twee, dat gaf haar het historisch momentum. Wat men achteraf ook moge beweren: de intellectuelen liepen er maar achter, en zaten op café toen de hongerige meute de Bastille bestormde.

Honger en/of verknechting. De maag en het hart. De probleempjes van de Grote Revolutie ontstaan echter daar, waar er eigenlijk geen objectieve voorwaarden voor de revolte aanwezig zijn, maar waar de jeugdige hormonen toch beginnen op te spelen. Op dat moment ontstaat er een soort verkleutering, tot op een niveau van kinderachtige charades, collectieve verbrandingssessies van testosteron, Narcistische opflakkeringen van gelegenheidsredenaars, allerlei ludieke acties rond ‘emancipatie’-issues, kat-en-muisspelletjes met de politie om toch maar de schijn van een repressief klimaat te creëren in de hoop dat er eentje zijn matrak bovenhaalt en er een TV-camera in de buurt is, kortom: er wordt een virtuele realiteit gecreëerd die, in het geval van mei-68,  zichzelf opblies tot ‘een historisch moment’. En omdat er geen honger in het spel was, en eigenlijk ook geen echte repressie, althans niet in het 'revolutionaire' epicentrum Parijs, bedacht men ter plekke dan maar een derde soort revolte die hier van toepassing leek, nl. de 'culturele revolutie'.  Een lege doos, zo blijkt nu.

Want uit heel de reconstructie van het discours uit die dagen blijkt, hoe de jongens en meisjes wanhopig zochten naar een politiek-culturele legitimatie voor hun hormonenopstoot. We weten ondertussen allemaal hoe het is begonnen: in Nanterre wilden de mannelijke kotstudenten op de meisjesslaapkamers geraken. Een kostschoolopstand, als het ware. Pas toen dat niet lukte, werden de grote retoriek en het revolutionaire programma bovengehaald. Het staat inderdaad nogal idioot om het aftreden van een regering te eisen omwille van vlinders in de buik. Men afficheerde het dus als een ‘culturele revolutie’, een algemene Umwertung aller Werte, een zaak van vrouwenemancipatie, sexuele vrijheid, artistieke vrijheid, om tenslotte zelfs de arbeiders in de Renault-fabrieken wijs te maken dat dit hun strijd was

De ironie van de geschiedenis is dus, dat er rond 1968 een aantal min of meer authentieke verzetsbewegingen het nieuws haalden (de Praagse Lente, de anti-Vietnamdemonstraties, Leuven-Vlaams…), maar dat het meest gemediatiseerde feit, datgene waarvan de beelden heel de wereld rondgingen, nl. de Parijse studentenopstand, weinig meer was dan een hormonaal aangestuurd straattheater.

Los van bv. de gebeurtenissen in Praag en het protest tegen de Vietnamoorlog, vormden de Parijse studentenrellen van mei ’68 in essentie weinig meer dan een ludieke vadermoord, een uit de hand gelopen testosteron-opstoot vanwege een zorgeloze jeugd met tijd teveel. De zoektocht naar een politieke legitimatie voor deze quasi-revolutie eindigde in een volstrekt leeghoofdig ‘progressisime’, dat op zijn beurt de politiek-correcte ideeëndictatuur van de jaren ’90 zou voortbrengen. Het handhaven van deze bewustzijnsvernauwing was dé voorwaarde voor de ’68-generatie om haar politieke en culturele machtsgreep te bestendigen.

Ik denk dat de leugen, die toen al in het verhaal zat, zijn eigen leven is gaan leiden en zichzelf heeft versterkt, doorheen de tijd, tot diep in de jaren ’90-, met als apotheose bij ons het aantreden van 'paars'.

Want het tweede groot probleem dat zich stelde voor de protagonisten van die onnavolgbare Chanel-generatie, na de politieke legitimatie van de testosteronrevolte, is het moment waarop ze als veertigers en vijftigers zelf aan de macht kwamen. Toen moesten de Vandenbrouckes, de Van de Lanottes en de Van den Bossches, die in hun jonge tijd nog met het rode boekje van Mao hadden gezwaaid en nu hun ‘lange mars door de instellingen’ beloond zagen met een buikje, een ministerpost, en tenslotte een functie van gedelegeerd bestuurder bij BIAC, beletten dat hun lege doos werd opengedaan,- de doos van een tot jeugdsentiment verworden kostschoolopstand. Hoe konden de contestanten van weleer beletten dat ze zelf gecontesteerd werden?

Daartoe moest het huidige regime van de oud-'68-ers bijna voorgesteld worden als een verwezenlijkte utopie, de beste der mogelijke werelden waar zij zogezegd voor op de barrikaden hadden gestaan, en die zij nu ook rechtmatig mochten besturen. Deze buikjesdans van oudstrijders heeft een specifiek en subtiel soort onverdraagzaamheid opgeleverd. Het is namelijk in deze teletubbie-sfeer van verplichte blijdschap en het eeuwigdurende carnaval dat het ‘politiek-correcte’ discours is ontstaan: een complex van retorische en semantische kunstgrepen, censuur en zelfcensuur, waardoor vrijheid en bevoogding elkaar perfect overlappen. Het resultaat was een soort mainstream-progressiviteit die vooral gericht was op het onderdrukken van tegenstromen, het afstoppen van externe vraagstelling (‘waar zij we eigenlijk mee bezig?’) en het ontmoedigen van historische kritiek.

De eerste leugen (de mythe van de 'culturele revolutie') werd dus toegedekt met een tweede leugen (de demonisering van elke fundamentele dissidentie). Om te beletten dat er fundamentele vragen zouden gesteld worden rond die speeltuinrevolutie en haar politieke travestie, moest de euforische logica van de bezette meisjesslaapzaal ook in alle geledingen van de maatschappij doorgetrokken worden. Alles wat daarbuiten viel, was fout, politiek-incorrect, ondemocratisch, rechts, extreemrechts, racistisch, sexistisch, fascistisch enz.

Mei '68 heeft ons niet bevrijd, het heeft alleen de vrijheid tot sloganeske sluier verheven, die breed gedrapeerd is over de repressiemechanismen van de postmoderne netwerkstaat, de fluwelen logedictatuur, de democratie van de kiesdrempels, de cordons sanitaires en de politieke processen.

Mei '68 riep zichzelf eerst uit tot het jaar nul, het begin van een nieuwe tijdrekening, maar stremde gaandeweg tot het einde van de geschiedenis, het jaar 1984 van Big Brother. Binnen dit postmodern paradigma wordt elke kritiek zinloos en zijn de machthebbers tegelijk de behoeders van de vrijemeningsuiting via hun ingenieuze newspeak. Paars heeft dat procédé van de taalmanipulatie en de bewustzijnsvernauwing tot een kunst verheven. Zo ontstond er rond deze machtsgeneratie van de 68-ers een aureool van immuniteit. In het zelfverklaarde paradijs is er geen ruimte voor dissidentie, vermits het per definitie perfect is. Chanel inimitable, weigert alle namaak. De enige gepaste regeringsvorm van Utopia is die van de fluwelen dictatuur. En daar zitten we middenin. Nog altijd. Al zijn er tekenen dat er sleet op begint te komen.

 

'De verbeelding aan de macht': apotheose van het cultureel establishment

Men zou nu verwachten dat de culturele elite,- kunstenaars, academici, media- die manipulatie doorziet en er zich tegen afzet. Niets is minder waar. Ze is zelf meegestapt in de euforische parade van de verwezenlijkte utopie, en heeft het motto 'de verbeelding aan de macht' op een bizarre wijze gerealiseerd, nl. als een feest van de perceptie, een stroom van simulacres,- zoals de Franse filosoof Baudrillard ze karakteriseert. Schaduwvoorstellingen die ons het zicht op de realiteit ontnemen en dus ook de externe kritiek onmogelijk maken, hetgeen hun systeembevestigend karakter verraadt. 

 medium_moutons.gifCultuur, althans de officiële, geaccrediteerde versie, verwerd tot het hilarische trompetgeschal rond de tribune van de poco-dictatuur. De opdracht was en is om te verwarren, mist te spuiten. De ontzettende logorrhee en beeldenstroom die elke dag op ons afkomt, oversatureert ons bevattingsvermogen compleet, maakt ons murw en mentaal weerloos. Ook dat is een erfenis van het ’68-theater en de machtsgreep van deze ludieke generatie. Alles is scherts, ironie, spel, franje. Het politiek bedrijf, de cultuurindustrie en de media convergeren rond deze mateloze cultus van de schijn, het beeld en de perceptie, in een spektakelmaatschappij waarin je alleen bestaat als je op TV komt. En ook dat heeft hoger vernoemde Jacques Lacan achteraf scherp ontmaskerd,- ik citeer: "Cultuur is verworden tot een machinerie van hysterische waarheden die elkaar opvolgen als modieuze gadgets zonder samenhang en zonder schaamte."  

De aan hysterie grenzende libertaire roes van na ‘68, die ons figuren als Jan Hoet en Hugo Claus opleverde, heeft de modale burger niet kritischer of mondiger gemaakt. Integendeel, de veelbezongen artistieke vrijheid beperkte zich vooral tot de zelfverheerlijking van een nieuwe, mediagestuurde elite van trendintellectuelen die zich klakkeloos associeerden met de paarse euforie en haar perceptielogica.
Daarbij hanteerden ze het ‘surrealistische’ Belgische model als een spiegelbeeld van hun eigen flou artistique. Omgekeerd blijft het neo-unitaire regime deze elegante cultuurclowns koesteren, als apologeten van een complexe, ondoorzichtige staatsbureaucratie.

 

In het zog van Coco Chanel definieert elke kunstenaar zich als een 'rebel', terwijl hij eigenlijk de intransparantie van de postmoderne macht reflecteert. Zo’n half jaar geleden sloeg de Amerikaanse installatiekunstenaar Paul McCarthy (geboren in 1945, afgestudeerd in 1969, de data spreken voor zich) letterlijk en figuurlijk een gat in het SMAK-museum. Met een ketchupfles van 18 meter hoog, reusachtige hopen stront, een vastgebonden varken, en nog wat toestanden waarvoor muren moesten gesloopt worden, kwam de SMAK-directie uit op een deficit van een half miljoen Euro gemeenschapsgeld. Het lijkt populistisch en laag-bij-de-gronds om dat deficit te koppelen aan een waardeoordeel over die mijnheer McCarthy, maar er schuilt wel degelijk een logica in: achter de ludieke absurditeit van dit soort happenings zit een enorme kunstmarkt die in een inhoudloze vernieuwingsspiraal zit en dus constant moet choqueren om de aandacht te trekken. Alles moet duur zijn, groot, opgeblazen, excentriek, en al het nieuwe wordt even snel weer vervangen door het nieuwste. Als toeschouwers en participanten worden wij constant meegelokt in dit opbod. Iedereen moet blij zijn, enthoesiast, vooruitkijkend, positief, en vooral niet ‘verzuurd’. Zo convergeerde het exces van de kunstmarkt en de beeldcultuur met de ambities van de oud-'68-generatie om elke politieke en sociale dissidentie preventief af te blokken.

 Er is binnen deze hype-industrie immers geen enkele ruimte voor bezinning, zelfbevraging of zelfs maar kritisch voorbehoud. De post-68-kunst, die ons zogezegd bevrijd heeft, produceert de ene fata morgana na de andere. Ze wordt gecreëerd door vedette-clowns die via een absurdistisch-ludieke beeldtaal ons oordeelsvermogen buitenspel zetten en ethische reflexen bij voorbaat ontzenuwen. Kunst zou volgens hen continu langs de kassa kunnen passeren zonder zich ergens voor te moeten verantwoorden. Ik ben niet de enige die wijst op die quasi-subversiviteit van de hedendaagse post-68-kunst en zijn ‘revolutionair’ marktlabel. Ook critici als Marc Holthof komen tot die analyse. Ik citeer even een essay van hem: “Sinds marketing de kunst in haar macht heeft moet ze constant revolteren. Maar niet tegen de maatschappelijke orde, wel tegen zichzelf, tegen de concurrerende kunststromingen. De kunst speelt een permanente thuiswedstrijd. Daar gaat alle energie naar, met als resultaat dat de maatschappelijke relevantie vaak nihil is.”

Nihil, dat is dus de balans van het Jan Hoet-tijdperk. Groteske grappen die ons moeten verzoenen met het ethisch deficit, de intellectuele verwarring en de politieke intransparantie. Macht is vandaag gebaseerd op vaagheid en gecodeerde informatie. De cultus van de artistieke vrijheid loopt zo op een bizarre wijze parallel met een publiek afstompingsproces, een gewenning aan het onredelijke en absurde. De gewone man haalt finaal zijn schouders op en leest Dag Allemaal. Hij heeft afgehaakt, zowel wat de politiek betreft als wat het kunstgebeuren aangaat. Opdracht vervuld, de narren mogen andermaal langs de kassa passeren.

Zo komt het dat vrijwel alle kunstenaars hier te lande uitbundig het paarse regime bejubeld hebben,- de meest ‘progressieve’ voorop: de symbiose tussen een politieke cultuur van de perceptie en de gebakken lucht, en een op deze thermieken zwevende, vrolijke cultuurindustrie, was hier volmaakt. Politiek en cultuur, als twee podia van een surrealistische totaalhappening. En zo komt het ook dat haast heel dat cultureel establishment het 'Belgische model' vreugdevol omarmde: Ik hou van U, je ‘taime tu sais. De post-68-culturo’s houden van België, zoals het gefederaliseerde Belgische kluwen van 1970 zelf baadt in een halfslachtig flou artistique.

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Het is tenslotte evenmin een toeval dat de diepbetreurde Vlaamse schrijver Hugo Claus en aanvoerder van de artistieke ’68-generatie,  een intimus was van Guy Verhofstadt, de man die de geschiedenis zal ingaan als diegene die realiteit met perceptie compleet kon verwisselen.

Vraag is hier: Wie houdt van wie? Wie houdt wie recht? 

 

Van ‘sexuele revolutie’ tot pornificatie: sex als drug en marketing-tool

In het waanidee van de ‘culturele revolutie’ speelt de zgn. ‘sexuele revolutie’ een centrale rol. En inderdaad, de borsten en billen zijn alomtegenwoordig, je kan geen TV meer aanzetten of een tijdschrift ter hand nemen, of het gaat over sex. Meisjes van elf lopen met een T-shirt rond, waarop te lezen staat ‘fuck me’. Jongens van twaalf die ‘het’ nog niet gedaan hebben, zijn achterlijke nerds. Maar achter deze zogenaamde emancipatie blijkt weer een verhaal te schuilen van maatschappelijk-politieke recuperatie en ook weer brutale marketingstrategie.

Want hoe kan men het plebs beter aan de leiband houden, dan zijn energie helemaal te laten omzetten in sex, voor, tijdens en na het eten? Naarmate het sperma van de muren druipt en de publieke sfeer doordrenkt wordt van erotische metaforen en verborgen of open verleiders, verengt zich weerom dat bewustzijn tot een zelfverslavend spel van prikkels en reflexen. Er ontstaat een sfeer van constante hitserigheid die perfect het hysterisch consumentisme imiteert, en die door Herbert Marcuse –nochtans weer een ‘68er…- werd omschreven als ‘repressieve desublimatie’. Simpel gezegd: ‘Laat ze neuken, dan denken ze niet na.’  In deze overprikkelde samenleving is het weerom heel moeilijk om afstand te bewaren,- het is een cultuur van de onvervulbare begeerte die alle menselijke energie afleidt naar een fixatie op lustbeleving. Niet dat U alles zomaar krijgt wat wordt geafficheerd, het gaat evenzeer om illusie en ersatz-bevrediging. De knappe, halfnaakte blondine op de motorkap zal de Uwe niet zijn, alleen haar simulacre, haar afdruk wordt meegeleverd als U de auto koopt. De mysterieuze Mister Dash die de vrouwen komt verrassen temidden van hun wasgoed is even reëel als Sinterklaas, maar als erotische passé-partout en universele verleider werkt hij perfect: droom zacht, dames, zet U op de wasmachine en laat U eens goed gaan.

Onvermijdelijk lopen ook hier de massamedia mee als animatoren van het pretpark. Tegenwoordig maakt het dagblad De Standaard reklame met soft-pornoboekjes die U voor vijf Euro plus een uitgeknipte bon kan gaan afhalen bij de krantenboer. Het is echt zielig om zien,- op de redactie van die kwaliteitskrant heerst de opgewonden sfeer van collegejongens die een bordeelvitrine passeren. De lezer wordt, in zijn zoektocht naar informatie, afgeleid naar een rossig amalgaam van erotiek, fictie, voyeuristische pretlectuur. Heel subtiel draait de journalistieke missie, via een verkeerd begrepen ‘progressiviteit’, om tot een verpulping in dienst van de verkoopcijfers, maar tegelijk ook met het oogmerk om het publiek te gewennen aan een gemakkelijke, lichtvoetige en in se onbenullige vorm van infotainment.

De puberale erotomanie van mei ’68 is mettertijd weggegleden in een universele pornificatie, die de eros banaliseert, die intellectueel afstompt, en die door de moderne marketing helemaal is geïnstrumenteerd. De alomtegenwoordigheid van sex, als drug en marketing-tool, is misschien wel het meest hallucinante teken van een emancipatie-idee die in haar tegendeel is omgeslagen. Ze belemmert een echte sexuele bevrijding, in het kader van een menselijke ontplooiing op fysisch, psychisch en sociaal vlak.

 

Zo zijn we weer bij de kern van de zaak: de zgn. ‘sexuele vrijheid’ is vandaag vooral een marketeerskwestie. De strategie om kinderen zo snel mogelijk tot pubers op te fokken, heeft uiteraard niets met emancipatie te maken, maar alles met de mogelijkheid om hen zo snel mogelijk beschikbaar te maken voor de commerciële tienercultuur, de markt van GSM’s, I-pods, tot en met, jawel, de revolutionaire mascara van Chanel. Komt daarbij dat pubers veel gemakkelijker om de tuin te leiden zijn dan kinderen, net vanwege hun labiele hormonale huishouding. Borstjes en puistjes doen de kassa's rinkelen!  De alomtegenwoordige opdringerigheid van sexuele signalen, wat men vandaag aanduidt als de ‘pornificatie van de publieke ruimte’, is misschien wel het meest hallucinante teken van een emancipatie-idee die in haar tegendeel is omgeslagen. Wat Marx ooit over godsdienst zei, als ‘opium van het volk’, geldt vandaag voor het universele erotisme. Het heeft de verveling, de afstomping en de totale deconcentratie van het onderbroekenuniversum voortgebracht. Ik citeer nog maar eens Baudrillard: "Alles kan en alles mag, alles is bevrijd en er zijn geen taboes meer, maar in de plaats van een opwindend feest levert dit een geweldig gevoel van leegte op. We leven in de hel van hetzelfde".

Terug dan maar naar het preutse Victorianisme? Neen, allerminst. Sexuele ontplooiing blijft voor mij als een rode draad lopen doorheen het menselijke rijpingsproces. Dat zit echter niet in het puberaal-erotomane register van mei ’68 en zijn depolitiserende, hektische, escapistische onderstroom.  Wel in een zoektocht naar zelfverwezenlijking op fysisch, psychisch en sociaal vlak. Dat is een verhaal van emotionele intelligentie, empathie, gevoel voor intimiteit, keuzebekwaamheid, maturiteit.

Om maar te zeggen, beste vrienden: de politicus die tepels laat overplakken, heeft een probleem. We hebben als zuigeling haast allemaal aan die tepels gehangen, en ik kan me echt geen kind of tiener voorstellen die een trauma overhoudt aan een afbeelding ervan. De krampachtige censuur van wat menselijk en normaal is, is zo aberant als de pornificatie zelf. Het zijn twee kanten van één medaille. Onlangs werd in de VS een kleuter van vier veroordeeld omdat het kind zijn juf knuffelde. Men vraagt zich af wat voor soort rechters tot dit soort uitspraken komt. En in wat voor een klimaat van sexuele overspannenheid de politici leven die deze perverte magistraten benoemen. Het was evenzeer onzin om de expositie van L.P. Boon's fameuze Feminatheek als een uiting van zedenverwildering af te schilderen en te verbieden. Het eigenlijke schandaal bestond erin dat heel het gedoe inhoudelijk naast de kwestie was, ons niets wijzer maakte over het werk van Boon, en vooral diende als publiekstrekker in een door de Vlaamse boekenindustrie gesponsorde reklamestunt. Kunst, sex en marketing dus, andermaal.

Ach, dat verhaal van normen en waarden. We mogen onze kritiek op de fluwelen dictatuur van de vrijheid-blijheid-generatie niet zelf laten scleroseren tot een verhaal van ouderwets conformisme en nieuwe preutsheid,- een gemopper van opa’s die beweren dat alles vroeger veel beter was. Ook het christendom, inclusief zijn lichaamsvijandig puritanisme, is ons als staatsgodsdienst opgedrongen, omstreeks het jaar 800 van onze tijdrekening. De ‘normen en waarden’ die daarbij tot een traditie gingen behoren, zijn bij ons vastgelopen in het Vlaamse parochialisme, de verstikkende pastoorsdictatuur en de betuttelende tsjevenmoraal. Inclusief zwarte plakband op tepels. Maar Mei '68 heeft ons van die benauwdheid niet verlost. Ze heeft nieuwe cirkulaire processen gecreëerd van de obsessie en de verslaving.

Ons radicaal perspectief is niet het tijdperk van vóór het IIde Vaticaans Concilie, maar een tijdperk achter de horizon, waarin zingeving en spiritualiteit –om eens die belegen term te gebruiken- een nieuwe invulling krijgen. Vrijheid en autonomie, gekoppeld aan bewustzijn en zin voor het Grote Geheel. Onvermijdelijk zal daarin bv. ook het ecologisch thema sterk op de voorgrond komen. Voor mij moet de normen-en-waarden-discussie gepaard gaan met een nieuwe vraagstelling rond de emotionele en instinctieve uitbouw van het individu en de groep. We zijn natuurwezens met een libido en een doodsangst, en tegelijk zijn we cultuurwezens, met een tijdsbesef, een geschiedenis, en een besef dat ons verstand eindig is, dat er wellicht altijd iets achter de horizon zal blijven. Dat spanningsveld tussen natuur en cultuur moet helemaal van vooraf aan geëxploreerd worden,- en, sorry vrienden, van de begrippen ‘staat’, ‘elite’, ‘politieke macht’, ‘geïnstitutionaliseerde godsdienst’, en dies meer zal, vrees ik, eens we daaraan toe gekomen zijn, niet veel meer overschieten.

Besluit: uitzicht op een contre-démocratie?

Welke conclusie moeten we nu trekken uit dit verhaal vol charades, gezichtsbedrog en bewustzijnsvernauwing,- het verhaal van een revolutie die er geen is, en een vrijheidsbeweging die meer onvrijheid heeft voortgebracht dan welke kerk of secte ook?

Ik denk dat de revolte, of als U wil de contra-revolte, meer dan ooit aan de orde is. Maar hoe contesteren in een universum waar alles mag en alles kan? De voetafdruk van de mei-68-generatie is, via haar lange mars door de instellingen, zo groot en desastreus geworden op die instellingen,- ze heeft m.a.w. het politiek-cultureel systeem zodanig naar haar hand gezet, dat men voorlopig binnen dat systeem nog maar bitter weinig aan politiek activisme kan doen. De uitgang en de diaspora wenken, naar het internet, de zgn. burgerjournalistiek, de civil society, de buitenparlementaire oppositie, de tegencultuur. Het is een moeilijk maar louterend proces.

Het zgn. apolitisme van de burger en heel de anti-establishment-onderstroom wijzen hier de weg. Het is de weg van de contre-démocratie, (Pierre Rosanvallon), de informele en onrecupereerbare waakzaamheidsattitude die men vooral buiten het parlementair halfrond bespeurt, buiten de praatbarak, buiten de instellingen, buiten de klassieke media.

De verzieking van het Belgische regime, waar de oudgedienden van Mei ’68 zich haast paniekerig aan vastklampen, versterkt nog deze maatschappelijke onderstroom van het grote ongenoegen. En het zal sommigen in deze zaal bizar in de oren klinken, maar misschien zijn de gedoodverfde protestpartijen zoals het Vlaams Belang, Lijst Dedecker, Pim Fortuyn, maar ook de nieuw-linkse S.P. van Marijnissen in Nederland, zelfs Obama in de VS, de laatste partijpolitieke verschijningsvormen van het anti-establishment-gevoel, alvorens dat gevoel opgaat in een globale toestand van burgerlijke ongehoorzaamheid, die kan leiden tot meer politiek bewustzijn, meer mondigheid, meer echte ‘vrijheid’. Verrassend genoeg ligt de échte, late erfenis van mei ’68 dan misschien wel eerder bij vernoemde protestpartijen, in de rand van de parlementair-democratische arena opererend, dan bij de huidige 'progressieve' elites die tot nader order het establishment uitmaken...

Ik dank U allen voor Uw aandacht.

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samedi, 07 novembre 2009 | Lien permanent

”La condition historique” de Marcel Gauchet

La condition historique (M. Gauchet)

Ex: http://www.scriptoblog.com/

« La condition historique » n’est pas un essai, mais un livre d’entretiens qui contient en filigrane un essai. On passera ici sur ce qui échappe à cette trame cachée, même si les confidences de Gauchet sur le fonctionnement des petits milieux intello-snobinards de gôche valent leur pesant d’or. Pour être tout à fait franc, ça ne donne pas envie de fréquenter le Café de Flore.

Allons donc directement à la thèse qui parcourt l’ouvrage, en arrière-plan d’un échange apparemment décousu. Nous sauterons les passages qui ne sont pas nécessaires à la compréhension de l’ensemble – et, par égard pour Gauchet, tairons délibérément ses errements de « démocrate » qui croit encore, le pauvre, en la « démocratie », ou encore ses élucubrations sur la puissance de l’Amérique impériale, dont il ne détecte absolument pas, en 2003, l’immense fragilité.

 

 


*

 

Marcel Gauchet veut bâtir un « pont » entre la théorie des sociétés et celle du psychisme, sans tomber dans un freudo-marxisme qu’il qualifie de « naïf », et en vue d’opérer une action sur la réalité politique. Dans cette optique, il entend avant tout faire une histoire des concepts.

Le concept même de « société » est, dit-il, d’usage récent (XIX° siècle). Il n’est pas neutre : il porte en lui-même l’espoir d’une libération – la pure « socialité » serait émancipatoire. Gauchet entend à la fois prendre ses distances avec ce prédicat, mais aussi lui accoler les fondements théoriques qui permettront de le déployer judicieusement. Dans cette optique, il faut, dit-il, replacer le politique en amont du social et de l’économique. Fondamentalement, sa démarche recouvre donc une tentative pour politiser réellement un paradigme structuraliste qui, jusqu’ici, est resté avant tout culturel.

Qu’est-ce que ce « paradigme structuraliste » dont parle Gauchet ? Il s'agit ici, avant tout, du structuralisme comme approche anthropologique, on est tout de même assez loin de la linguistique : c'est, en gros, une méthode de recherche postulant qu'il existe un fondement objectif inconscient à toute pensée. Pour faire court, et en reprenant les mots-clefs de Gauchet, il faut comprendre ici le structuralisme comme un « Heidegger accommodé à la française » (1), dont la philosophie (critique de la subjectivité au nom de l’être) devient une critique de la subjectivité au nom de l’objectivité des structures signifiantes.

Comment rendre politique cette pensée structuraliste ? Pour Gauchet, la voie définie par Althusser était largement une imposture. Sa proposition est ailleurs : fondamentalement, il s’agit d’abord de comprendre que nous vivons la substitution du regard positif à la magie du pouvoir, et que dans ce contexte, la question est de savoir si cette substitution débouchera sur la technocratie rationalisant le fait social jusqu’à en éliminer toute forme d’incertitude, ou si au contraire elle ouvrira la porte à une prise en main du savoir social par les acteurs eux-mêmes – créant ainsi une nouvelle condition historique, celle de l’humanité consciente d’elle-même et de son devenir. Prendre conscience de cet enjeu, l’expliciter, apprendre à le traiter : voilà le projet qui fédèrera le structuralisme pour le rendre authentiquement politique.

Sur le plan intellectuel, explique Gauchet, la démarche est rendue difficile par l’impossibilité d’une pluridisciplinarité authentique – chaque discipline tentant d’attirer les autres à elle, et finalement se transformant en sophistique pour inclure coûte que coûte (d’où la « gueule de bois théorique de la génération 68 », pour reprendre sa jolie formule). Sur le plan pratique, elle est perturbée par la nécessité, pour agir dans le champ politique, d’élaborer une programmatique – alors que, justement, une telle démarche suppose l’abandon de toute idée de programme.

Pour surmonter ces difficultés, il faut, explique Gauchet, que le structuralisme se délivre de lui-même. Il s’agit de sortir de l’allégeance formelle au marxisme, de l’emprise exercée par l’histoire structurale de Foucault, de la phénoménologie comme méthode obligée, bref de toutes les formes qui, tout en se démarquant de la critique classique, continuent à fonctionner comme des spécialités. Bien entendu, il faut, aussi, capitaliser sur les acquis de ces mouvements ; mais il serait mortifère de ne pas les prolonger jusqu’au-delà d’eux-mêmes, pour aller vers une unité active de la pensée structuraliste, renvoyée à son élément crucial : l’Histoire, plutôt que le sujet, plutôt que la critique. Pour simplifier à outrance : il s’agit donc de situer le structuralisme dans un cadre fondamentalement hégélien (la raison dans l'histoire), en le sortant de son cadre préexistant, fondamentalement cartésien et kantien.

Ce retour à l’hégélianisme exige évidemment une réinterprétation radicale. Etre structuraliste dans le cadre hégélien, a priori, paraît impossible. Le structuralisme interdit le déterminisme ; donc on ne voit pas comment il pourrait être hégélien.

La réponse réside pour Gauchet dans l’élaboration d’une critique de la raison historique, autour du concept de « Décision ». Il s’agit de poser la question décisive en politique : comment sont prises les décisions ? Si cette question est résolue, la réponse fournira, toujours selon Gauchet, une base pour conjuguer hégélianisme et structuralisme. Parce qu’alors, l’histoire hégélienne sera ramenée dans un cadre structuraliste : on connaît les structures qui produisent son sens, et sa fin devient l’accomplissement de ces structures.

 

*

 

Voilà la question posée. Reste à y répondre – du moins en ce qui concerne l’Occident.

Gauchet a très vite orienté ses recherches vers la religion. Elle lui semblait, instinctivement pourrait-on dire, la clef du mystère. La décision politique est prise parce qu’on pense d’une certaine manière ; certes, cette manière de pensée pense à la place du sujet (structuralisme, influence de Lacan) ; mais le sujet la pense tout de même : l’articulation entre le penser et le pensé, c’est le religieux.

Le moment décisif de l’Histoire est pour Gauchet le « tournant axial » qui se produit lorsque l’Etat transforme la religion, soudainement, au début de l’Antiquité classique. C’est ce qui fait entrer l’humanité dans la condition historique. Désormais, l’engendrement du présent par le passé est pensé comme le résultat d’une action planifiée. L’humanité passe dans un ordre intentionnel. Individualisme et collectivisme, liberté et tyrannie, égalité et inégalité deviennent pensables : la décision doit être prise, parce qu’il y a quelque chose à décider.

Ce quelque chose fait, pour Gauchet, l’objet d’une décision cruciale avec le christianisme : c’est « la sortie du monde où il y a des dominations ». A partir de ce moment, la marche de l’Histoire est définie comme l’extraction du monde hors de lui-même, sa transformation en ce qu’il n’est pas. L’Eglise chrétienne, en revendiquant un pouvoir spirituel détaché du temporel, n’est d’ailleurs pensable que dans le cadre de cette histoire-là. C’est son émergence qui donne, pour Gauchet, un tour particulier à l’Occident : là, à l’ouest de l’Europe, il n’y a plus d’empire pour l’encadrer, si bien que le conducteur spirituel est libre d’orienter la décision matérielle vers des fins autonomisées à l’égard du pouvoir politique.

Au onzième siècle, avec la réforme grégorienne, cette évolution débouche sur une réinvention du christianisme, ou si l’on veut sur la révélation de son essence : l’Eglise devient médiatrice entre un au-delà vers lequel il faut aller, à partir d’un ici-bas qu’on peut transformer. L’idée de Progrès est née, et, avec elle, celle d’une société qui se projette vers l’avenir à partir du passé. Le critère de la décision est défini : ce sera le progressisme. Toute l’histoire de l’Occident n’est pour Gauchet que le déroulé de ce critère, de la Réforme à l’industrialisation, en passant par la Révolution.

Penser Hegel en termes structuralistes, c’est d’abord connaître cette histoire, et donc mettre en perspective l’hégélianisme.

 

*

 

Mais cette approche structuraliste permet, surtout, de penser la crise actuelle comme étant d’abord celle de ce critère de la décision : le progressisme.

Au XIX° siècle, avec la psychiatrie s’ouvre une ère nouvelle, où l’interprétation de la subjectivité humaine échappe radicalement à l’historicité. Soudain, la folie cesse d’être une ruse de la raison, elle devient l’instrument d’une révélation sur le psychisme en amont de la raison (avec en particulier la psychanalyse et la découverte de l’inconscient). Ce surgissement de la psychiatrie n’a rien d’un hasard : c’est, estime Gauchet, un signe parmi d’autres dans une évolution générale qui fait muter la perception que l’humanité a d’elle-même.

Ici, donc, la religion du Progrès explose, parce que la question devient énonçable, qui la prend à revers : et si le sens était à l’intérieur du sujet, donc hors de sa condition historique ?

L’objectivité n’existe plus dans l’univers de la psychiatrie, dans l’univers créé par la psychiatrie. Dès lors, la pensée hégélienne, la pensée de l’historicité, donc, ne peut plus être formulée : il n’est plus possible de pointer dans le sujet le caractère historique de la raison. Les sociétés  modernes avaient entamé la mue, ouvert la porte à la crise, en constituant l’individu en individu de droit. L’individu biologique, devenu individu social, devient, à la fin de l’époque moderne, le producteur du social – à côté de l’Histoire, donc, et potentiellement contre elle. Tant que la religion tenait, l’historicité restait possible pour le sujet, qui ramenait son intériorité à l’historicité ; dès lors que la religion cède, plus rien ne garantit cette historicité du sujet, il devient producteur du social en toute ignorance de l’Histoire. L’humanité entre dans l’ère de l’autonomie individuelle. L’altérité n’est plus nécessaire à l’anthropogenèse, la « culture du narcissisme » (Lash) devient potentiellement la culture dominante.

Contrairement aux attentes des promoteurs de la démarche, il en résulte une dissociation progressive d’abord de la société et de l’Etat, ensuite de la société d’avec elle-même. Elle éclate littéralement. Les idéologies seront, fondamentalement, une tentative pour interdire cet éclatement, pour reconstituer une unité devenue impossible en l’absence du religieux.

Peine perdue : la subjectivité, le rapport de soi à soi, devient le mode de pensée de l’Occident. La condition historique n’existe plus, l’envie même de l’incarner a cessé d’animer les peuples. Hegel avait élevé l’immanence jusqu’à la transcendance, par l’auto-extériorité. Quand il n’y a plus ni extériorité, ni transcendance, il n’y a plus d’élévation de l’immanence.

Gauchet fait remarquer ici que cette évolution est d’ailleurs tout à fait logique, produite par les structures mêmes du projet occidental : le christianisme, en ouvrant la porte à l’idée de Progrès, a aussi préparé le terrain pour l’avènement du sujet autonome. Dès lors que le Verbe s’incarne, dès lors que le Davar hébraïque fusionne avec le Logos grec, ce n’est pas seulement l’humanité en marche vers le Progrès qui devient pensable (le Logos comme instrument du Davar au niveau collectif), c’est aussi celle du sujet autonome en marche vers lui-même (le Logos vers le Davar, au niveau individuel). Telle est l’autre révolution introduite par le christianisme, révolution qui chemine souterrainement, sous l’idée de Progrès, et finit par la submerger.

Pour Gauchet, la crise actuelle de l’Occident est là : c’est l’instant où l’idée du sujet autonome prend le pas sur celle du Progrès. L’organisation du monde reste possible, mais elle ne tend plus vers la Cité idéale : elle est faite en fonction des désirs du sujet. La condition historique est devenue un problème qu’on ne cherche même plus à résoudre, qu’on reconnaît insoluble, et que d’ailleurs on finit par juger sans intérêt.

L’actuel culte du Marché (le  Divin Marché) est l’aboutissement de ce processus : c’est l’idéologie terminale, à ce stade, produite par la sortie de la religion. Et c’est, en fait, une idéologie de la non-idéologie : puisque la condition historique est insoluble, produisons la société à partir du sujet, à partir de l’interaction des sujets (« La société des individus »).

Ce monde des individus, sortis de la condition historique, est-il autre chose qu’un pis-aller, un théâtre d’ombres ? Il n’est que cela, répond Marcel Gauchet. Pour lui, le « Divin Marché » est tout au plus un faux nez de l’Etat, lequel continue à réguler la société (sans lui, pas de marché possible). Simplement, à présent, l’Etat s’efforce de dissimuler son intervention, afin que les sujets réputés autonomes échappent au poids de l’historicité. C’est tout, et c’est la porte ouverte à la captation du regard positif par la technocratie.

Pour autant, Gauchet reste optimiste. Ce pis-aller désastreux n’aura qu’un temps, estime-t-il. La condition historique finira tôt ou tard par faire à nouveau sentir son poids. Et c’est à ce moment-là que le travail de construction d’un hégélianisme structuraliste deviendra utile, indispensable même : il s’agira de réinsérer le sujet, désormais autonome, dans sa condition historique. Cette insertion se fera autour du concept d’apprentissage : le sujet autonome, à un certain moment et si les bases de la démarche ont été créées, voudra apprendre son historicité, pour en faire une composante de son autonomie (on pense ici à Charles Taylor, et à ses réflexions sur le multiculturalisme).

Le structuralisme, comme gage de l’autonomie, et l’hégélianisme, comme vecteur de l’historicité : le projet de Gauchet est intéressant, mais la question reste posée de savoir s’il est faisable. La contemplation médusée du désastre contemporain ne nous pousse pas à l'optimisme, sur ce point. Ou encore, pour le dire avec humour : Gauchet, c'est la pensée élevée... de quelqu'un qui plane.

( 1 ) Il n'est pas interdit d'y voir une trahison de Heidegger, puisque d'une part l'idée même de fondement objectif par les structures nous situe assez loin du concept de dévoilement, et d'autre part cela revient à réintégrer artificiellement la pensée de Heidegger dans le cadre progressiste, cadre où, a priori, il est impossible de la situer (réflexion sur la technique). Au reste, on relèvera que la suite de la réflexion de Gauchet ne fait guère de place à Heidegger... Par commodité, nous n'entrerons pas ici dans ce débat, à chacun de se faire son opinion.

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lundi, 22 novembre 2010 | Lien permanent | Commentaires (1)

Habermas sur la défensive: politique, philosophie et polémique

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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES / CRITICON (Munich) - ORIENTATIONS (Bruxelles) - Février 1988

Habermas sur la défensive:

Politique, philosophie et polémique

par Hans-Christof Kraus

N.B.: Ce texte est en même temps une recension critique de deux ouvrages récents de Jürgen Habermas:  Die Neue Unübersichtlichkeit (Francfort, Suhrkamp Verlag, 1985, 269 p., 14 DM) et  Der philosophische Diskurs der Moderne (Francfort, Suhrkamp Verlag, 1985, 450 p., 36 DM), recueil de douze cours. Dans le texte ci-dessous, ces deux livres sont indiqués par les abréviations NU et PhD.

Incroyable mais vrai: Jürgen Habermas, la tête pensante la plus en vue et la plus féconde de la gauche ouest-al-le-mande, est sur la défensive. Lui qui proclamait encore en 1979: "Je tiens à passer pour un mar-xiste" (1), se plaint aujourd'hui avec cette faconde dont il a le secret, de ce que "les efforts de la praxis philosophique pour re-for-muler le projet de la modernité dans une optique marxiste ont perdu de leur crédibilité" (PhD, 380). Le socia-lisme, il ne peut, au mieux, que le définir a contrario: "Le socialisme consiste avant tout à savoir ce dont on ne veut pas" (NU, 73). Quant au capitalisme, il n'est peut-être pas si condamnable que cela! "Faisons donc vio-lence à nos sentiments: le capitalisme a été un franc succès, au moins sur le plan de la reproduction maté-rielle, et il l'est toujours" (NU, 194). Faussement perspicace, Habermas pérore sur la "singulière évanescence d'un certain type de progrès" (NU, 67) qui serait (quelle découverte!) "le propre des peuples qui n'ont pas eu leur révolution" (NU, 68).

Habermas manie la litote avec bonheur. Et donne dans la modestie: "Je ne suis pas un producteur de Weltan-schauung;  je voudrais en fait laisser quelques petites vérités. Pas une seule et grande Vérité". Il faut dire qu'il a dé-jà mis au rancart la "conception élitaire de la Vérité chez les Anciens", qu'il considère comme un "mythe creux". Pour finir, il se drape avec une feinte irritation dans le rôle de "l'auteur inactuel" auquel le temps pré-sent n'est pas particulièrement propice et ne manifeste qu'un goût mitigé pour sa théorie de la "rationalité com-municative" (NU, 179).

Contre les rénégats de la gauche et les conservateurs impénitents!

A partir de cette position défensive, et se rappelant que "l'attaque est la meilleure défense", Habermas prend pour cible deux catégories d'adversaires dont il tente de minimiser les différences: d'une part, les renégats de la gauche, espèce particulièrement prolifique en France (Foucault, Glücksmann, Lévy, Lyotard), chez lesquels il croit déceler "les thèmes bien connus de la contre-Aufklärung": les "théories sur la puissance" propres au "pessimisme bourgeois" de Hobbes à Nietzsche; celles-ci ne seraient plus que des "positions de repli pour trans-fuges désabusés" (PhD, 302, note 26). Bien entendu, Habermas ne se pose à aucun moment la seule ques-tion intéressante qui puisse être posée: pourquoi ce sont précisément d'anciens gauchistes que l'on trouve au-jour-d'hui prêts à "sacrifier leur intelligence à seule fin de mettre un terme à leur déboussolement" et à "s'a-ban-donner au jeu grotesque de l'extase esthético-religieuse" (PhD, 361)! Sa polémique contre les "renégats de la gau-che" trahit plutôt sa propre perplexité et ne peut faire oublier qu'à l'évidence, une certaine forme d'Auf-klä-rung rationaliste, à laquelle adhère encore Habermas, est devenu inacceptable, y compris pour ces intellectuels de gauche qui, naguère, ne juraient que par la raison.

L'autre cible de Habermas, ce sont les conservateurs de tout poil. Cependant, une espèce particulière retient son attention. Habermas sait reconnaître l'adversaire; il aura au moins retenu cela de Carl Schmitt: ce sont les "vieux nietzschéens" qui "sortent de leurs trous pour clamer publiquement les fantasmes élitistes qui ont tou-jours meublé leurs cervelles" (NU, 61). A la bonne heure. D'autant que le compliment peut être retourné à l'en-vo-yeur: souhaitons à monsieur le professeur Habermas (et à nous-mêmes!) l'avènement d'une époque où lui et ses épigones marxiens auront l'occasion de réintégrer leurs trous de souris sans oublier d'emporter leurs fan-tas-mes égalitaires!

I. La critique de la pensée conservatrice

Habermas est connu pour affectionner l'abstraction, la classification, la schématisation. Les conservateurs, il les range d'emblée dans quatre tiroirs: les "vieux conservateurs", les "néo-conservateurs", les "nouveaux con-servateurs allemands" et le courant "jungkonservativ".  Les premiers sont expédiés en un tour de main; le dé-bat est en effet stérile: "le recours des paléoconservateurs à des vérités religieuses ou métaphysiques ne pèse plus d'aucun poids dans le discours philosophique de la modernité" (PhD, 74).

Le libéralisme fondamental des "néo-conservateurs" américains

Les "néo-conservateurs" sont déjà un adversaire plus sérieux. L'expression désigne chez Habermas un groupe de publicistes américains, ci-devant de gauche voire gauchistes, reconvertis dans le libéral-conservatisme (Pod-ho-retz, Kristol) ou dans la sociologie (Bell, Berger et Lipset). L'une de leurs préoccupations est par exemple de savoir comment transposer sur le marché les problèmes du budget de l'Etat et pallier la crise culturelle ac-tuelle "en modérant des principes démocratiques qui ont placé trop haut leur niveau de légitimation" (NU, 34). Mais la critique finale de Habermas parle d'elle-même: il n'a pas affaire à des conservateurs. Irving Kristol s'est lui-même défini, à juste titre, comme un "libéral malmené par les réalités"… Quant à Daniel Bell, qui juge né-ces-saire "une égalité ouverte au compromis", il n'est pour Habermas, qu'un "libéral logique avec lui-même" (NU, 39). La première joute avec les conservateurs est donc un coup d'épée dans l'eau: sous l'étiquette de "néo-con-servateurs", Habermas critique non des conservateurs mais… des libéraux (2).

Les "nouveaux conservateurs" de la tradition allemande

Le troisième tiroir s'ouvre sur les "nouveaux conservateurs" en République fédérale (3). Héritiers de l'hégélia-nisme de droite, ils se laissent docilement porter par "la dynamique de la modernité sociale en banalisant la cons-cience moderne du temps et en ramenant la raison à l'intellect (Verstand).  Leur conception de la rationa-lité est de type utilitariste" (PhD, 57). Habermas tente ensuite d'illustrer leur "réconciliation timide" (selon lui) avec la modernité (NU, 40) en évoquant Joachim Ritter, Ernst Forsthoff et Arnold Gehlen (NU, 41 ss.). Mais ses arguments ne sont, pour la plupart, que des combats d'arrière-garde à peine déguisés: lorsqu'il repro-che à Gehlen et à Schelsky d'avoir profité du chaos culturel orchestré (mais non voulu paraît-il…) par les idéo-logues de gauche pour en tirer prétexte à une "chasse aux intellectuels" et "mobiliser les ressentiments de la classe moyenne" (NU, 46), sa critique fait sourire. Aux thèses conservatrices, comme celle de l'épuisement de la modernité culturelle ou de la nécessité d'une nouvelle conscience de la tradition, Habermas ne trouve rien d'au-tre à opposer que la sempiternelle phraséologie creuse de la gauche: il faut-moraliser-la-politique, "démo-cra-tiser les procesus de décision pour placer l'action politique sous le signe de la justice sociale, trouver des formes de vie souhaitables" (NU, 51), etc… Il garde pour la fin sa grosse artillerie: les nouveaux conser-va-teurs veulent "tourner le dos à l'Occident et aux Lumières", ils se réclament (horribile dictu!)  de traditions spé-cifiquement allemandes, comme celle du "luthérianisme d'Etat" qui repose sur une "anthropologie pessi-mis-te" (NU, 54), l'objectif final étant "l'abandon de la modernité" et "l'hommage à la modernisation capitaliste" (id.). Sur le plan philosophique, l'argumentaire n'est guère plus rigoureux: le "traditionalisme" néo-conser-va-teur d'un Freyer et surtout d'un Ritter délégitime les "positions critiques de l'universalisme moral et des forces créatrices et subversives de l'art d'avant-garde" (PhD, 93) au nom de "conceptions esthétiques rétrogrades" (bien entendu). Ici encore, les concepts s'affolent: subitement, il n'est plus question de "nouveaux conser-va-teurs" mais de "l'émergence de libéraux tardifs militants (!) qui, chez nous, sont allés à l'école de Gehlen et de Carl Schmitt" (NU, 181), récusent "l'héritage du rationalisme occidental" et mobilisent la Gegenaufklärung  (NU, 182). Ce seraient donc, à nouveau, des libéraux? Si les catégories sémantiques qu'Habermas élabore lui-mê-me sont aussi exigües, et leurs cloisons aussi perméables, rien d'étonnant à ce que Habermas soit aujour-d'hui acculé à la défensive…

Les "jeunes conservateurs" qui veulent faire éclater le cadre du rationalisme occidental

Mais les choses se compliquent encore: dans le dernier tiroir qu'ouvre Habermas s'entassent les "jeunes con-ser-va-teurs" dont la généalogie lui pose les mêmes problèmes que leurs (soi-disant) représentants actuels: en effet, nous avons, d'un côté, les "nouveaux conservateurs" (c'est-à-dire, nous venons de le voir, les "libéraux tar-difs" formés chez Carl Schmitt!) qui seraient les héritiers des Jungkonservativen  de la République de Weimar sous l'influence desquels ils auraient opéré une "réconciliation timide avec la modernité" (NU, 40). Mais, d'au-tre part, ces mêmes "nouveaux conservateurs" seraient essentiellement les héritiers des hégéliens de droite (NU, 41; PhD, 57, 71, 86 ss.) dont l'erreur, au rebours des hégéliens de gauche, serait une interprétation fausse des rapports entre l'Etat et la société. D'un côté, donc, Carl Schmitt et ses élèves, Huber et Forsthoff ("jeunes con-servateurs" s'il en fut!) sont considérés comme des "hégéliens de droite" (PhD, 89); de l'autre, les "jeunes con-servateurs" ne seraient que des disciples de Nietzsche (PhD, 57) dont "l'antihumanisme" consistait à vou-loir "faire éclater le cadre du rationalisme occidental, à l'intérieur duquel évoluaient encore les tenants de l'hé-gé-lianisme, de gauche comme de droite" (PhD, 93).

Mais là où la démonstration devient vraiment curieuse, c'est lorsque Habermas avance les noms de quelques "re-présentants" de la tendance jungkonservativ:  à l'exception d'Ernst Jünger, sur lequel il passe rapidement (NU, 40 et PhD, 161), on ne trouve dans son énumération aucun "conservateur révolutionnaire" ni personne per-pétuant cette tradition; après Heidegger et Bataille, on trouve surtout, pour la période actuelle, Derrida, La-can, Foucault et Lyotard (PhD, 120, 7). Baptiser "jeunes conservateurs" ces auteurs, uniquement parce que cer-tains d'entre eux ont repris des thèmes déjà présents chez Nietzsche, est proprement absurde (Heidegger mis à part).

Bataille, Lacan, Lyotard, Derrida et Foucault: pour Habermas, ils seraient les "Jungkonservativen" d'aujourd'hui!

Bataille, par exemple, doit être écarté d'entrée de jeu: il fut un communiste convaincu qui vit dans le stalinisme ins-titué la condition première de la réalisation de ses idées. Quant à savoir ce que fait Lacan, psychanalyste struc-turaliste, dans les rangs des "Jeunes conservateurs", la  question demeure sans réponse sérieuse possible. Son nom, heureusement, n'est que rarement cité par Habermas. Lyotard, que Habermas se faisait fort de "démasquer", voici cinq ans, comme "néo-conservateur", a, depuis, opposé un démenti formel à cette appelation (4). Mê-me chose pour Derrida.

Quant à Foucault, mort en 1984, s'il s'est justement moqué de l'étroitesse d'esprit de la vieille gauche (à la-quel-le il a lui-même appartenu, puisqu'il militait au PC), cela ne signifie nullement qu'il se soit transformé en "conservateur": l'anarchisme bizarre, à prétentions esthético-hédonistes, qu'il a incarné vers la fin de sa vie (5) ne relève pas plus de l'idéologie jungkonservativ  que son étrange enthousiasme pour la révolution ira-nien-ne (6). Et s'il fallait une preuve de la distance qui sépare Foucault d'un Arnold Gehlen, par exemple, (avec le-quel Habermas tient sans cesse à le mettre en parallèle), il n'est que de relire sa critique des "institutions to-ta-les" des temps modernes, dont les conclusions sont diamétralement opposées aux thèses centrales de la théo-rie des institutions chez Gehlen. Là encore, la critique des "conservateurs" est boîteuse: les "jeunes conser-va-teurs" ne sont finalement, pour la plupart, qu'un mélange insolite de paléo-marxistes et de néo-anarchistes qui, d'ailleurs (dans la mesure où ils sont encore en vie et peuvent donc se défendre), ont vivement protesté contre les classifications pour le moins arbitraires de Habermas.

Signalons pour terminer une autre contradiction flagrante dans sa critique du "néo-" ou du "nouveau" conser-va-tis-me: d'un côté, Habermas critique le refoulement de l'Etat hors de la sphère économique au nom d'une éco-no-mie politique orientée sur l'offre, qu'il juge, évidemment, "anti-sociale" (NU, 34, 153 ss.); de l'autre, il vitu-pè-re rageusement le "hobbisme", l'"étatisme", le "légalisme autoritaire" et autres horribles méfaits des conser-vateurs (NU, 65, 91, 97, 102, 104, 107 ss.), coupables à ses yeux de réclamer "trop d'Etat". Ici encore, Ha-bermas devrait accorder ses violons… Les attaques véhémentes de Habermas contre tout ce qu'il estime "con-servateur" (que ce soit "paléo", "néo", "nouveau" ou jungkonservativ)  ne sont, tout compte fait, que du vent, soit parce qu'Habermas se trompe de cible, soit parce qu'il oppose la polémique aux arguments.

II. Habermas et l'actualité politique

"Je suis moi-même un produit de la reeducation;  un produit pas trop raté, j'espère", disait de lui-même Ha-ber-mas en 1979. Sur ce point, qu'il se rassure: ses craintes en la matière sont totalement injustifiées, il n'est que de lire, pour s'en convaincre, ses déclarations et confidences politiques. Habermas se félicite de ce que "la Ré-pu-blique fédérale se soit, pour la première fois, ouverte sans retenue à l'Occident", de ce que "nous ayons fait nô-tre la théorie politique de l'Aufklärung", "… compris que le pluralisme était un grand formateur de men-ta-li-tés" et "appris à connaître l'esprit radical-démocratique du pragmatisme américain" (NU, 54). Mais cela ne lui suffit pas: apparemment, nous ne sommes pas encore suffisamment rééduqués: comment expliquer autrement que "nous ayions en Allemagne une culture politique aussi dévoyée" dont le responsable n'est autre, bien en-ten-du, que le "fil de la tradition" (Traditionsstränge):  "le Reich impérial, le wilhelminisme, les nazis, la ré-vo-lution bourgeoise, restée partiellement inopérante, etc…" (NU, 192). Mais, quelques pages plus loin, on lit: "La République fédérale est à ce point devenue le 52ème Etat des USA qu'il ne nous manque plus que le droit de vote" (NU, 217 ss.) - on l'a bien vu dans la question du réarmement. Il faudrait savoir! D'abord, nous som-mes américanisés, et c'est très bien. Ensuite, nous ne le sommes pas, et c'est très mal. Et voilà que pour fi--nir, nous le sommes tout de même un peu, et c'est… encore très mal! Décidément, la défensive ne doit pas être une position très confortable lorsqu'elle en arrive à déboussoler un penseur d'une telle sagacité.

Ses autres propos politiques sont moins équivoques. La nation, par exemple, est selon lui devenue inapte à fon-der des valeurs (PhD, 424). Interrogé sur la question allemande et sur certains signes avant-coureurs d'un na-tionalisme de gauche, Habermas se réfugie sous l'aile de Willy Brandt et proclame sur un ton apodictique: "La question allemande n'est plus ouverte. Parler d'un nouveau nationalisme allemand est pour moi une absurdité… La nostalgie d'une identité allemande perdue, chez plusieurs intellectuels, sent le kitsch et rappelle les discours sur la 'réunification' de nos orateurs du dimanche de la CSU" (NU, 251).

En revanche, Habermas ne trouve rien à redire à la "rééducation", ce qui s'explique puisque, en bon "produit" de la rééducation, selon ses propres dires, il y participe activement: certes, "personne (?), aujourd'hui, ne soutient plus la thèse de la faute collective", mais quiconque "persiste à nier la responsabilité collective des Alle-mands", ne vise en fait qu'à occulter le problème du regard sur l'histoire, problème "inextricablement lié à no-tre propre identité, et à celle de nos enfants et petits-enfants" (NU, 264). Le propos est clair, comme d'ailleurs son hommage au discours "digne d'un Heinemann" (!) du président de la République du 8 mai 1985 (NU, 268)…

La "désobéissance civile" et la "théorie de la justice"

Habermas se révèle également comme un pur produit de la rééducation dans son plaidoyer en faveur de la "dé-so-béissance civile". Pour lui, cette forme de "résistance non violente" fait partie des "formes non con-ven-tion-nelles de la formation de la volonté politique" (NU, 79). Il faut "faire comprendre à l'Allemagne que la dé-so-béissance civile est le signe d'une culture politique parvenue à maturité" (NU, 81). Pour cela, Habermas mo-bi-lise la "théorie de la justice" du moraliste américain John Rawls, dont il retient la définition de la déso-béis-sance civile comme "action publique, non violente, dictée par la conscience mais politiquement illégale, et or-dinairement destinée à provoquer une modification de la loi ou de la politique gouvernementale" (8). Fort de l'au-torité (?) de ce professeur de Harvard largement imperméable à la politique et qui annonce tout de go que les ac-tes politiques dans un Etat de droit peuvent être illégaux (9), Habermas tente de démontrer que le degré de "dé-sobéissance civile" est un baromètre de la "maturité" de la République fédérale (NU, 84). Point de vue aussi aventureux qu'exhorbitant: par quels arguments un citoyen agissant dans l'illégalité peut-il exiger de l'Etat et de ses institutions le respect du droit existant? Et même si l'on admet, avec Rawls, que la désobéissance civile ne doit pas "troubler l'ordre constitutionnel", la question surgit aussitôt: où, exactement, tracer les limites? Et surtout: qui veillera au respect de ces limites? Les manifestants? Dans ce domaine, les limites sont très vite fran-chies lorsque le droit en vigueur a été enfreint et que les institutions sont bafouées.

Or, ce problème de la dynamique propre à l'action politique ne semble manifestement pas exister pour Rawls et Ha-bermas (10): fidèle aux principes universalistes du droit naturel, Habermas se fait l'avocat d'un fossé béant entre légalité et légitimité qui a déjà conduit, au cours de ce siècle, à la suppression de l'Etat (et à la dictature de Béhémoth) (NU, 85 ss., 97). Pour lui, les véritables "gardiens de la légitimité" d'un Etat sont "les labo-rieux et les besogneux qui ressentent plus que d'autres l'injustice dans leur chair" (NU, 88). Mieux: appelant à la rescousse un autre théoricien anglo-saxon du droit, R. Dworkin, il va jusqu'à affirmer que les "violations ci-vi-les de la loi" sont des "expériences moralement justifiées dans lesquelles une République vivante ne peut con-server ni sa capacité d'innovation ni sa légitimité aux yeux de ses citoyens" (ibidem). Ces vues surréalis-tes, et même dangereuses si elles étaient mises en pratique, ne sont possibles que parce que Habermas, pur pro-duit de la "rééducation", ignore totalement la tradition réaliste de la pensée politique, celle qui va de Machia-vel à Hobbes jusqu'à Carl Schmitt en passant par Hegel et Nietzsche. A cette tradition, Habermas préfère ma-ni-fes-tement quelques théories moralisantes anglo-saxonnes sur le droit naturel.

"Pour un usage réflexif de la règle majoritaire"

Son argumentaire est également très révélateur lorsqu'il émet des réserves à l'encontre du principe démocratique de la majorité (bien que lui et ses semblables aiment s'appeler des "démocrates radicaux"), notamment lorsque l'ap-plication de ce principe aboutit à des décisions déplaisantes pour lui et ses compagnons de route (voir l'af-fai-re de l'implantation des fusées Pershing). Mais il ajoute ensuite: "Le principe majoritaire n'est vraiment con-vaincant que dans certaines situations" (NU, 96); il est inopérant "lorsque le Non de la minorité exprime le refus d'une forme d'existence… taillée en fonction des besoins de la modernisation capitaliste" (NU, 95), bref lorsqu'il y a "face à face entre deux formes opposées de l'existence". Que faire alors? Habermas a bien sûr trou-vé la solution. L'un de ses disciples, le sociologue de Bielefeld Claus Offe, la définit ainsi: "C'est un usage ré-flexif de la règle majoritaire… de telle façon que les objets, modalités et limites de l'application du principe ma-joritaire lui-même soient mis à la disposition de la majorité" (NU, 96). La solution, n'en doutons pas, fera mer-veille, à condition que la population ne soit composée que de sociologues venus de Bielefeld ou de Franc-fort!

III. Le problème philosophique de la modernité

En 1954 parut à Berlin-Est un volumineux ouvrage qu'il faut considérer comme la contribution communiste la plus importante à la rééducation intellectuelle des Allemands de RDA (et pas seulement de RDA…). Son titre: Die Zerstörung der Vernunft  de Georg Lukàcs. Ce livre, rédigé à Moscou pendant la guerre, développe, sous la for-me d'une pérégrination à travers l'histoire récente des idées en Allemagne, la thèse de la "destuction de la rai-son" par les philosophes et écrivains "irrationalistes". Auxquels Lukàcs oppose la "bonne" tradition, la tra-dition rationaliste qui va, comme il se doit, de Hegel à Marx et à ses épigones.

Sauver la raison de ses "falsifications"

Si Habermas, dans ses lectures sur le discours philosophique de la modernité, ne procède pas de façon aussi su-per-ficielle ni aussi tapageuse, il semble bien par moments se prendre pour un nouveau Lukàcs (comme le sug-gè-re une allusion dans NU, 179) qui suivrait les traces de son prédécesseur, mais avec des ambitions intellec-tuel-les plus élevées. Déjà, dans ses écrits politiques, Habermas tentait d'expliquer tous les aspects négatifs de la modernité, critiqués par les "post-modernes" (et par lui-même) par des "effets secondaires" (NU, 63), des "fal-sifications" du véritable esprit de la modernité (NU, 15), des "exagérations", dans l'architecture moderne par exemple, (NU, 23), afin de "sauver le projet inachevé de la modernité qui s'emballe" (NU, 15). Son point de départ philosophique est donc à nouveau la défensive: la reconstruction du discours philosophique de la mo-der-nité est une réaction au "défi de la critique néostructuraliste de la raison" (PhD, 7).

Voici, brossée à grands traits, la démarche intellectuelle de cet ouvrage (Der philosophische Diskurs der Mo-der-ne)  sans doute ambitieux dont l'argumentaire se meut  -et se perd-  dans les hautes sphères de la réflexion: l'"é-mancipation de la modernité" (PhD, 26) commence avec Hegel dont la philosophie érige la subjectivité en prin-cipe des temps nouveaux. En même temps, la subjectivité reconnaît la supériorité du monde moderne (com-me monde de progrès) mais aussi sa crise (comme monde de l'esprit aliéné), et c'est pourquoi "la première ten-ta-tive de conceptualiser la modernité est originellement inséparable d'une critique de la modernité" (PhD, 27). A la rupture du principe de subjectivité en trois formes de raison depuis Kant (raison pure, raison pratique et ju-gement esthétique), qui sera suivie d'autres dissociations (entre science et foi, par exemple), Hegel oppose la "notion d'absolu" (PhD, 32) grâce à laquelle la philosophie peut révéler "la raison comme force de synthèse afin de répondre à la crise née de la dissociation (Ent-zweiung)  de l'existence" (ibidem) (11). Grâce à cet "ab-solu", posé en principe central et conçu par Hegel comme "le processus conciliatoire de la relation incon-di-tion-nelle à soi-même" (PhD, 46), Habermas peut certes "convaincre la modernité de ses errements sans re-cou-rir à un principe autre que celui, inhérent à la modernité, de subjectivité", mais il n'aboutit qu'à une "ré-con-ci-liation partielle" (PhD, 49) puisque sa solution revient à privilégier la généralité concrète (das konkrete Allgemeine)  par rapport au sujet concret, c'est-à-dire à "donner la préférence à une subjectivité supérieure, cel-le de l'Etat, plutôt qu'à la liberté subjective de l'individu" (PhD, 53). L'alternative possible (mais que rejette He--gel) eût été une "intersubjectivité supérieure de la volonté libre … dans une communauté de commu-ni-ca-tion" (PhD, 54). Ce point sera ultérieurement repris par Habermas lorsqu'il développera le concept dialectique de rai-son chez Hegel.

Les trois perspectives posthégéliennes

Après avoir développé ces prolégomènes dans ses 1ère et 2ème lectures, Habermas ébauche dans la troisième les trois perspectives posthégéliennes:

1) les hégéliens de gauche, qui veulent faire la révolution au nom de la raison totale (umfassend)  contre une rai-son étiolée et mutilée par l'esprit bourgeois;

2) les hégéliens de droite, qui font confiance à l'Etat et à la religion pour faire contrepoids à l'inquiétude de la so-ciété bourgeoise;

3) Nietzsche qui veut démasquer la raison, toute raison, comme une volonté de puissance déguisée et pervertie (PhD, 71).

La quatrième lecture traite d'ailleurs du seul Nietzsche qu'Habermas considère comme la plaque tournante de l'ir-rup-tion de la post-modernité. Dans une interprétation largement abrégée de la pensée nietzschéenne (et dans la-quelle il ne fait de surcroît aucune différence entre le jeune Nietzsche et le Nietzsche de l'âge mûr), Habermas ex-pose le projet nietzschéen de rénovation du mythe (PhD, 107 ss.) destiné à surmonter les déficits du ratio-na-lisme des Lumières. Il s'agit pour Nietzsche de "rompre radicalement (totaler Abkehr!) avec une modernité ex-ca-vée par le nihilisme" (PhD, 117). La délivrance dyonisiaque de l'homme moderne par l'expérience esthétique, que propose Nietzsche, supprime tous les intermédiaires de la raison hégélienne (PhD, 116 ss.) et la volonté de puissance se révèle comme fondamentalement esthétique (PhD, 118).

Le problème de Nietzsche

Mais le problème de Nietzsche est qu'il ne peut légitimer rationnellement sa critique de la raison, critique "qui se place d'emblée hors de l'horizon rationnel" (PhD, 119), pas plus d'ailleurs que ses critères du jugement esthé-tique (c'est un reproche fondamental que Habermas fera plus tard également à Heidegger, à Bataille, à Derrida et à Foucault). Pour résoudre ce problème, Nietzsche oscille entre deux stratégies:

1) la possibilité d'un regard artistique, en même temps sceptique et antimétaphysique, sur le monde, mobilisant des méthodes scientifiques  et sur ce point, Bataille, Lacan et Foucault n'ont pas dit autre chose;

2) la possibilité d'une critique de la métaphysique, critique qui ne serait pas une philosophie au sens tra-di-tion-nel du terme mais le fait d'un initié participant d'un mystère dyonisiaque: ici, Nietzsche rejoint Heidegger et Derrida (PhD, 120).

Cependant, avant d'écorcher ces deux derniers auteurs, Habermas essaie, dans sa cinquième lecture, de "sauver la dialectique de l'Aufklärung", jadis théorisée par Horkheimer et Adorno, afin d'empêcher les auteurs post-mo-dernes d'en abuser. Ce qui ne l'empêche pas lui-même, dans un premier temps, de critiquer la part trop belle fai-te par Horkheimer et Adorno à la raison instrumentale: certes, l'éclatement des sphères qui englobaient les va-leurs culturelles est à l'origine de la "régression sociale de la raison" mais il a provoqué également une "diffé-ren-ciation progressive d'une raison qui en acquiert une forme procédurale" (PhD, 137), en sorte que la "dia-lec-ti-que de l'Aufklärung" appréhende mal "le contenu rationnel de la modernité culturelle" (PhD, 137 ss.). Pour-tant, Habermas décèle en filigrane, chez ces deux auteurs, une "fidélité fondamentale à la démarche de l'Aufklä-rung" (PhD, 143) puisqu'ils s'offrent le paradoxe d'une critique radicale de la raison… avec les intruments de la rai-son (PhD, 145).

Habermas contre Heidegger

Habermas n'a pas la même indulgence à l'égard de Heidegger et de Derrida, qu'il aborde dans ses 6ème et 7ème lec-tures. Heidegger, qui se range comme Bataille, "sous la bannière de Nietzsche pour la lutte finale" (PhD, 158), en arrive lui aussi, à force de critiquer en bloc la philosophie moderniste du sujet, à évacuer la raison, de sor-te que, comme l'indique Habermas (on croirait lire du Lukàcs), "il ne fait plus la différence entre, d'une part, le contenu universaliste de l'humanisme, des Lumières … et, d'autre part, les idées d'auto-affirmation du parti-cu-lier, propres au racisme, au nationalisme et aux typologies rétrogrades du style Spengler ou Jünger" (PhD, 160 ss.). Le "décisionisme volontariste" qui s'exprime dans Sein und Zeit  débouche, pour Habermas, sur …  le na-tio--nal-socialisme. Aux prises avec celui-ci, Heidegger développe alors sa philosophie tardive, à savoir le Den-ken der Kehre,  l'idée de retournement (12). Cette pensée nouvelle se dévoile alors comme une "tempora-li-sa-tion de la philosohie originelle" (PhD, 158, 182): l'Etre comme "principe primordial selon la philosophie ini-tiale" est temporalisé et se révèle comme événement vrai, actuel en permanence, mais caché et qui, en tant que tel, ne peut se donner à voir que par le biais d'une critique radicale et destructrice de l'histoire de la méta-phy-sique. Or, dans une telle démarche, le "déracinement de la vérité propositionnelle" va de pair avec une "dé-va-lorisation de la pensée discursive" (PhD, 182), en sorte que Heidegger ne parvient qu'à "renverser les sché-mas de la philosophie du sujet" tout en restant "prisonnier de la Problématique de cette philosophie" (PhD, 190).

Le cheminement intellectuel de Derrida est très proche de celui de son maître Heidegger. Chez ce penseur fran-çais, l'absolu primordial est non l'Etre mais l'Ecrit "comme signe originel, … soustrait à tous les contextes prag-matiques de la communication" (PhD, 210). L'"Ecrit primordial" (Ur-schrift),  "force originelle diffuse dans le temps" (PhD, 211), rend possibles, en excluant tout sujet transcendental, "les distinctions, sources d'in-formation sur le monde, entre l'intelligible des significations et l'empirique qui se donne à voir dans l'ho-ri-zon de ce dernier" (PhD, 210). Pour réfuter ces conceptions, Habermas mobilise les arguments déjà utilisés con-tre Heidegger: Derrida lui aussi ne fait qu'ériger en mythe des "pathologies sociales manifestes" (PhD, 214).

Derrida: un irrationaliste proche de la mystique juive; Heidegger: un néo-païen "hölderlinien"

Détail intéressant: Habermas relève une différence notoire entre ces deux auteurs, même s'il les confond dans sa cri-tique: à l'actif de Derrida, il note que cet auteur "reste proche de la mystique juive" et ne souhaite pas "reve-nir, comme les néo-païens, à une période antérieure aux prémisses du monothéisme" (PhD, 214), ce qui le met à l'abri "tant de l'imperméabilité politico-morale que du mauvais goût esthétique d'un nouveau paganisme enri-chi d'Hölderlin" (PhD, 197). Heureusement, Derrida "reste en-deçà de Heidegger" car "l'expérience mystique… des traditions juive et chrétienne ne peut déployer toute sa puissance explosive, capable de liquider insti-tu-tions et dogmes" (!) (NU, 216) que par référence à un dieu caché, alors que "la mystique néo-païenne de Hei-deg-ger… a, au mieux, les charmes de la charlatanerie" (PhD, 217). Remarquable confession monothéiste, qui con-firme, s'il en était besoin, ce que la Nouvelle Droite, en France, a dévoilé au grand jour: une parenté idéo-lo-gique directe entre la pensée marxiste et les religions monothéistes du salut (13).

Dans la huitième lecture, Habermas présente la continuité qui court de Nietzsche à Bataille: pour ce penseur fran-çais, il s'agit de réhabiliter un sacré séculier qui s'exprime dans les expériences fondamentales (refoulées par la modernité) que sont l'ivresse, le rêve, la vie des instincts et que Bataille appelle la souveraineté (PhD, 248 ss.). Sa vision utopique d'un tel "retour de l'homme à lui-même" (PhD, 268), auquel tend son Economie gé-nérale,  se réalise dans le sillage du soviétisme marxiste de type stalinien (PhD, 266 ss.). Comme Nietzsche avant lui, Bataille se trouve confronté au problème (irrésolu) de la maîtrise théorique de la souveraineté comme "au-tre que la raison" puisque toute théorie est tributaire de ses présupposés rationnels (PhD, 277).

                                                       

Au centre de la pensée de Foucault: la puissance

La pensée de Foucault, auquel Habermas consacre de longs développements dans ses 9ème et 10ème lectures, se rat-tache à celle de Bataille et de Nietzsche. Historien des sciences, ce philosophe parisien décédé en 1984 met la notion de puissance au centre de son analyse. Pour lui, la modernité se caractérise avant tout par "un pro-ces-sus inquiétant de montée en puissance d'interactions concrètes" (PhD, 285), qu'il aperçoit aussi bien dans l'histoire des sciences humaines (PhD, 279 ss.) que dans l'apparition et le développement des "institutions to-ta-les": prison, asile, établissement psychiatrique, école, etc… (PhD, 286 ss.). Chez Foucault, la puissance devient donc "la notion de base historico-transcendentale d'une historiographie critique à l'égard de la raison" (PhD, 298 ss.). En même temps, sa démarche est "nominaliste, matérialiste et empirique puisqu'elle envisage les pratiques transcendentales de la puissance comme relevant du particulier, mais aussi de l'inférieur, du corpo-rel, du sensuel, de ce qui escamote l'intelligible, enfin du contingent qui pourrait être autre car il n'obéit à au-cun ordre directeur" (PhD, 301) -passages soulignés par l'auteur. Or, dans la mesure où Foucault utilise, dans sa gé-néalogie des sciences humaines, un concept de puissance posé en absolu et qui se manifeste de surcroît dans un rôle empirique et transcendental (PhD, 322), il ne parvient qu'à inverser le signe des apories de la philo-so-phie du sujet traditionnelle, et ne résoud le paradoxe qu'en substituant la vérité à la puissance (PhD, 323): son "historiographie généalogique" se révèle exactement comme "… la pseudo-science présentiste, relativiste et cryp-to-normative que précisément elle se défend d'être". Bref, elle se résorbe dans un "subjectivisme sans is-sue" (PhD, 324).

L'alternative habermasienne: la notion de "rationalité communicative"

Comme alternative aux apories des critiques de la raison depuis Nietzsche, Habermas propose, dans les 11ème et 12ème lectures, la notion de "rationalité communicative" qu'il avait déjà présentée en 1981 dans un pavé de 1200 pages intitulé Theorie des kommunikativen Handelns.  Cette conception reprend, du moins à en croire Ha-bermas, des éléments déjà présents chez Hegel, Marx ou même Heidegger (PhD, 94, 177 ss. et 345). Elle per-met de surmonter à la fois le paradigme désuet de la connaissance (= Erkenntnis  dans la philosophie du su-jet) (PhD, 345) et le paradigme de la production dans la philosophie de la praxis (PhD, 95 ss.). Cette nouvelle no-tion de "raison communicative" peut contribuer à "réhabiliter le concept de raison" (PhD, 395) en réac-ti-vant le vieil objectif de "révision de l'Aufklärung, mais avec les instruments de l'Aufklärung" (PhD, 353) et en renouant avec le "contre-discours inhérent à la modernité qui est critique du logocentrisme occidental, mais une critique qui diagnostique non un excès mais un déficit de la raison" (PhD, 361). La raison communicative "est intégrée directement au processus de la vie sociale" (PhD, 367) et la "praxis rationnelle doit être en-ten-due comme raison concrétisée dans l'histoire, la société, le corps et le langage" (PhD, 368 ss.): ce n'est que lors-qu'on a admis ces deux postulats que le "contenu normatif de la modernité" peut se manifester (PhD, 390). Ce contenu s'exprime notamment à travers le progrès social, méconnu par Nietzsche et ses successeurs (PhD, 392 et 342) et dont Habermas ne doute à aucun moment même s'il admet quelques "phénomènes de pathologie so-ciale" (PhD, 403)… qu'il s'empresse d'ailleurs de banaliser en les baptisant "pathologies de la commu-ni-ca-tion".

Habermas s'envisage donc, même s'il ne le dit pas ouvertement, comme le véritable héritier tant de la phi-lo-so-phie du sujet de l'idéalisme allemand que des velléités praxisphilosophisch  des hégéliens de gauche dans la me-sure où il dépasse par le haut les apories de ces deux lignages, à savoir par une redéfinition sociologique de la rationalité, et écarte en même temps d'un revers de main toutes les objections et points de vue de l'adver-sai-re postmoderne. Pour lui, le seul protagoniste vraiment sérieux est Niklas Luhmann, héritier bon teint de l'hé-gé-lianisme de droite (PhD, 408 ss.), qui porte aux extrêmes, dans sa théorie des systèmes sociaux, "l'affir-ma-tion néo-conservatrice de la modernité sociale" (PhD, 441). Sa thèse, "actuellement inégalée par sa puissance de conceptualisation, son imagination théorique et sa capacité à brasser les concepts" (ibidem, 444), atteint "une hauteur de réflexion où tout ce que les avocats de la postmodernité ont pu avancer… a déjà été pensé par lui mais de façon plus subtile" (PhD, 411). Son "sens des réalités" trahirait un "héritage très allemand, qu'il par-tage avec les hégéliens de droite sceptiques, jusqu'à Gehlen" (PhD, 432)! Néanmoins, face à Luhmann, Ha-ber-mas maintient qu'il n'y a pas seulement des systèmes sociaux parcellaires (Teilsysteme)   —il traite les con-ceptions de Luhmann d'"antihumanisme méthodique"!— et que l'ensemble social peut, grâce à ses opinions pu--bliques plurielles (Öffentlichkeiten)  exprimant, même de façon diffuse, une "conscience commune", "pren-dre normativement ses distances vis-à-vis de lui-même et réagir aux phénomènes de crise" (PhD, 435).

IV. Penser Habermas contre Habermas

Habermas a déclaré un jour qu'il fallait "penser avec Heidegger contre Heidegger" (14). Le précepte peut, à bien des égards, lui être retourné. Les éléments de critique sont nombreux; nous en retiendrons cinq:

1. Habermas applique le principe "deux poids, deux mesures": "Ce qui m'horripile, ce qui me heurte", a-t-il avoué un jour, "ce sont les agressions de ceux qui refusent de faire chez moi la différence entre le publiciste politique et le philosophe… et qui mélangent tout" (NU, 205). Or, n'est-ce pas ce que fait Habermas lui-même? Quand, dans sa 6ème lecture, il évoque un cours de Heidegger sur Nietzsche, il observe immédiatement (si ce n'est pas là de la basse polémique!) que pour Heidegger, "le surhomme a le visage du SA type" (PhD, 159). On se demande qui mélange ici la politique et la philosophie, et de manière diffamatoire de surcroît (15). A un au-tre endroit, Habermas proclame: "la chaire du professeur et l'amphithéatre de la faculté ne sont pas le lieu où l'on vide les querelles politiques; ce sont des lieux de débat scientifique" (NU, 212). On peut se demander, en li-sant un passage de sa 12ème lecture, s'il prend au sérieux son propre avertissement: "la communauté de va-leurs atlantique, focalisée autour de l'OTAN, n'est guère qu'un slogan de propagande pour ministres de la dé-fen-se" (PhD, 424), ou encore: "Cette science-fiction de la guerre des étoiles est tout juste bonne pour les planifi-ca-teurs idéologiques qui pourront ainsi agiter le spectre macabre d'un espace militarisé de façon à déclencher l'impulsion innovatrice qui mobilisera le colosse du capitalisme mondial pour le prochain round techno-lo-gi-que" (PhD, 425). Sans doute Habermas ne voit-il là aucune polémique. Seulement un "débat scientifique"…

2. L'un des reproches fondamentaux de Habermas à l'encontre des critiques de la raison dans le sillage de Nietz-sche est que leur discours ne fait "aucune place à la praxis quotidienne" (PhD, 393). Le responsable, encore et toujours, est Nietzsche: il aurait "tellement fixé ses disciples sur les phénomènes de l'extra- et du supra-quo-ti-dien" que la praxis quotidienne en est venue à être méprisée comme "du dérivé, de l'inauthentique" (un-eigentlich).  Outre qu'un tel reproche, rapporté à Nietzsche et formulé de cette façon, est inexact, l'objection n'est fon-dée que si l'on est convaincu, avec Habermas, que les modalités et les formes de la communication quoti-dien-ne dans le monde vivant recèlent effectivement ce que l'on peut appeler les structures fondamentales de la ra-tionalité. Mais il y a autre chose: Habermas ne fait pas la distinction, pourtant évidente chez Nietzsche et les nietzschéens, entre la petite élite de ceux qui sont vraiment capables d'une pensée philosophique et la mas-se qui demeure nécessairement impénétrable à ces dimensions supérieures de l'esprit humain. Bien évidemment, c'est à cette élite que s'adresse Nietzsche (comme ses prédécesseurs et successeurs), à une élite pour qui l'exis-ten-ce quotidienne devient inessentielle (un-wesentlich)  comparée au monde supérieur de la pensée dont elle par-ticipe. Cela ne signifie nullement que pour ces penseurs le quotidien ne soit absolument pas digne de ré-fle-xion! Dans ses brillantes analyses de critique culturelle, notamment dans Sein und Zeit,  Heidegger montre clai-rement qu'un étude rigoureuse du quotidien et la reconnaissance de son importance pour l'existence humaine, peut très bien s'accompagner d'une critique de ce monde de la quotidienneté qui, entrevu sur un plan plus élevé, s'a-vère précisément comme uneigentlich  (16).

Habermas demuere crispé sur l'utopisme

3. Habermas se crispe sur les positions classiques de la gauche: celle de l'utopisme. Il s'agit certes, dès l'a-bord, d'un utopisme très atténué, abstrait dans sa formulation. Rappelons-nous le jeune Marx qui pensait que, dans la société communiste, il serait possible de "faire aujourd'hui une chose, demain une autre, de chasser le ma-tin, pêcher l'après-midi, pratiquer l'élevage le soir, critiquer le repas sans jamais être chasseur, pêcheur, éleveur ou critique", exactement selon son humeur (17), ou les prophéties absurdes de Labriola ou de Trotsky qui pen--saient que les Platons, les Brunos et les Galilées courraient un jour les rues et que la "moyenne humaine" s'élèverait au niveau d'un Aristote, d'un Goethe et d'un Marx (18). Bien sûr, il ne reste plus grand chose, chez Ha-bermas, de ces élucubrations: l'expérience du "socialisme bureaucratique" (NU, 266; c'est ainsi qu'Habermas dé-signe le régime politique d'au-delà de l'Elbe!) est un bagage assez encombrant… Les "accents utopistes", af-fir-me-t-il, se déplacent aujourd'hui "de la notion de travail à celle de communication" (NU, 160); "le contenu uto-pique de la société de communication se réduit aux aspects formels d'une intersubjectivité laissée intacte" (NU, 161). Mais Habermas va au delà de cette formule passablement creuse: son "intuition fondamentale", qu'il avoue puisée aux archétypes de la mystique protestante et juive, serait "la réconciliation de la modernité a-vec elle-même" grâce à des "formes d'interaction réussie" (NU, 202 et 223) et à "la perspective d'une praxis par-venue à la conscience d'elle-même et où l'auto-détermination solidaire de tous devrait être compatible avec l'au-to-épanouissement authentique de chaque individu" (PhD, 391). Habermas en aperçoit d'ailleurs les prémices (c'est, dit-il, une "parcelle de raison existante") "dans le féminisme, les révoltes culturelles, les résistances éco-logiques et pacifistes" (NU, 252). Autrement dit, les symptômes de décadence sont à ses yeux des signes évi-dents de progrès. On croirait voir gesticuler sous nos yeux les "derniers hommes" de Nietzsche qui clignent de l'œil en disant qu'ils ont "inventé le bonheur". Les professions de foi utopistes à la Habermas n'inter-pel-lent pas le contradicteur; leur propre ridicule les tue plus sûrement.

Une lacune chez Habermas: un jugement sur l'éthologie d'un Konrad Lorenz

4. Cet utopisme s'explique largement, chez Habermas, par le rejet de toute anhropologie réaliste. Habermas de-vrait tout de même savoir que Kant, dès 1793, ajoutait aux trois interrogations fondamentales de la philoso-phie (la métaphysique, la morale et la religion) un quatrième questionnement: "Qu'est-ce que l'homme?" (Was ist der Mensch)  (19). Or, ce questionnement-là, Habermas, somme toute logique avec lui-même, s'y dérobe. On le voit bien dans sa critique du conservatisme: il dénombre quatre types d'argumentaires conservateurs, mais, de façon significative, esquive le quatrième, le "discours éthologique de Konral Lorenz… parce qu'il dé-bou-che plutôt sur la Nouvelle Droite française que sur le néoconservatisme allemand" (NU, 41). L'argument n'est guère solide: Habermas ne comprend-il rien à l'éthologie? Rien n'est moins sûr: quiconque, outre ses dis-ci-plines de travail, se sent à son aise aussi bien dans la psychanalyse que dans la mystique juive, aussi bien en économie classique que dans les prolégomènes du post-structuralisme le plus récent, doit bien avoir éga-le-ment quelques notions d'éthologie. Pourquoi, dans ces conditions, escamote-t-il le problème et refuse-t-il (y com-pris dans d'autres écrits) d'accepter les acquis de la science moderne du comportement? Parce qu'à l'évi-den-ce, ses utopies se dégonfleraient, même et surtout ses utopies politiques, puisque nous savons désormais, au moins depuis Carl Schmitt, que "la conception de l'homme comme être problématique/non problématique est la condition première de toute réflexion politique" (20). Et ce n'est pas avec des coups de bec agressifs contre ce qu'il appelle "l'anthropologie pessimiste" (NU, 54) des conservateurs qu'Habermas pourra combler un déficit idéo-logique flagrant: sa propre anthropologie, implicitement optimiste.

Il n'y a plus de raison universelle...

5. Le concept de raison chez Habermas reste prisonnier des illusions de l'Aufklärung. En fait, ce concept de rai-son est au centre de son argumentaire philosophique et politique. Au premier abord, Habermas semble en fai-re un usage modéré: il ne peut plus exister de raison qui serait au service d'une "motivation philosophique en dernier ressort". L'erreur de Nietzsche, de Heidegger et même d'Adorno et de Derrida aura été d'avoir "con-fon-du les questionnements universalistes, toujours présents en philosophie, avec leur prétention   —aban-don-née, elle, depuis longtemps—   à avoir rang de statut, prétention que la philosophie exprimait naguère pour les réponses qu'elle apportait". Certes, "la conscience de la faillibilité des sciences… a depuis longtemps rat-tra-pé la philosophie", mais celle-ci "se conçoit, aujourd'hui comme hier, comme la gardienne de la rationalité au sens d'une prétention rationnelle inhérente à notre forme d'existence" (PhD, 247, rem. 74). Mais cette as-ser-tion fait elle-même problème: comment conserver les "questionnements traditionnels et universalistes" si l'on jette par dessus bord le statut traditionnel de la philosophie où s'enracinent  —et se justifient—  ces ques-tion-nements, et si les réponses de portée universelle deviennent impossibles? (La réserve de Habermas selon la-quelle les "propositions universelles" doivent nécessairement se couler dans un "moule grammatical" de-vient très vite relative). Comment la philosphie peut-elle encore de nos jours se comprendre comme "la gar-dienne de la rationalité" (comme dans l'Aufklärung) lorsqu'on sait que l'universalité de la raison (prétention qu'elle soutenait encore naguère) n'est plus crédible aujourd'hui? Sur ce point, Nietzsche et Dilthey voyaient plus loin qu'un Jürgen Habermas, auquel le XVIIIème siècle colle encore à la peau…

Un panrationalisme qui ne tient pas à l'analyse...

Habermas précise que sa conception de la raison est en rupture avec la raison archaïque de l'idéalisme allemand: "Il n'existe aucune raison pure qui se serait ensuite glissée dans l'habit du langage. La raison est raison incar-née d'entrée de jeu dans l'acte de communication comme dans les structures du  monde vivant" (PhD, 374). Il se-rait plus juste de parler ici de panrationalisme (comme il y a un "panthéisme"): la raison communicative de Habermas est omniprésente puisqu'elle "décrit… l'universel d'une forme de vie commune" (PhD, 377). L'uni-versum (das Ganze)  est traversé par le fil de la raison: même l'erreur, le crime et l'illusion ne sont pas a-ra-tion-nels: ce ne sont que les manifestations d'une raison "à contre-sens" (verkehrt).  A l'évidence, c'est cela qui jus-tifie aux yeux d'Habermas la possibilité de croire encore à l'utopisme au nom du "progrès", puisque tous les phé-nomènes indésirables du monde moderne ne sont pour lui que des manifestations d'une "raison à contre-sens", qu'il appelle "pathologies de la communication" et qui peuvent être corrigées par le retour à des formes ra-tionnelles de communication. Ici, c'est l'élève de Hegel qui parle: on critique certes la modernité mais sur le ter-rain et avec les instruments de la modernité, afin de perpétuer le projet culturel de la modernité.

La conception de Habermas repose entièrement sur une absolutisation du concept de la raison dialectique hégé-lienne, concept qu'il avance comme fondement intellectuel incontournable d'une modernité conçue sur le mode mo-nolithique. Or, une telle démarche n'est possible que si l'on occulte purement et simplement un héritage phi-losophique d'une importance et d'une richesse capitales.

Habermas ignore tout un continent de la philosophie, vieux de deux siècles

Habermas occulte le fait que depuis le XVIIIème siècle, parallèlement au surgissement kantien, s'articule une ré-sis-tance à l'idée d'une modernité hypostasiant la rationalié et que cette résistance n'a pas commencé avec Hamann, Möser et Herder: elle a atteint, chez ces auteurs, une première apogée mais s'est prolongée ensuite avec des penseurs comme Jacobi et les Romantiques (parmi lesquels Habermas ne cite que Schelling et F. Schlegel, et brièvement de surcroît; PhD, 111 ss.). Schopenhauer et Kierkegaard perpétuent, sous des approches diffé-ren-tes, cette lignée philosophique qui produira Nietzsche et le vitalisme et se développera jusqu'à Spengler, Kla-ges et les intellectuels de la "Révolution conservatrice". Dès les origines de la modernité (qui n'a jamais été cet-te entité fermée et monolithique que suggèrent les textes de Habermas), il a donc existé une tradition de l'es-prit qui a identifié et conceptualisé les dangers inhérents à la césure, introduite par la modernité, entre horizon de l'expérience et horizon de l'espérance, selon l'expression de Koselleck, et dont la Révolution française fut un exemple. Comme l'a montré sans ambiguité Bernard Willms, "la pensée allemande, de Herder à Gehlen, se con-çoit effectivement comme un face-à-face permanent avec l'Aufklärung de l'Occident et l'on peut démontrer que, dans ce débat, la pensée allemande se percevait et se perçoit toujours comme une riposte aux Lumières" (21). Cela ne signifie nullement que cette pensée ait dégénéré en "irrationalisme" et en borborygmes mys-ti-ques: "La contre-Aufklärung, c'est le dépassement critique de l'Aufklärung par une relation plus réaliste à l'his-toi-re et au réel… La contre-Aufklärung, ce n'est donc pas l'érection d'une ligne de défense face à l'Aufklärung, c'est une réflexion plus profonde sur les notions générales et abstraites auxquelles la Révolution française avait réduit l'histoire et l'humanité" (22).

La contre-Aufklärung fait contrefeu à l'optimisme panrationaliste du "progrès", caractéristique d'une praxis phi-lo-sophique indigente dont les héritiers se parent aujourd'hui des oripeaux des "théories de la communication" et essaient de revendre sous un emballage nouveau les vieilles lunes de l'utopisme des XVIIIème et XIXème siècles.

Habermas a la conviction apparemment inébranlable que seule la raison émet un accès privilégié au réel. Plus le monde vivant est appréhendé de façon abstraite, mieux cela vaut. Plus la réflexion est brumeuse, plus l'em-pri--se sur le réel est précise. Ce qui permet accessoirement (au grand plaisir de Habermas) de disqualifier le dis-cours adverse comme unterkomplex:  trop simple!! (PhD, 394). Il juge évidemment dangereuse l'idée que le réel puis-se se manifester plutôt dans le concret que dans l'abstrait. On le voit bien lorsqu'il déclare que les mou-ve-ments sociaux doivent intégrer en eux le "contenu normatif de la modernité", c'est-à-dire ce "droit à l'erreur" (Fallibilismus),  "cet universalisme et ce subjectivisme qui sapent la force et la forme concrète de tout ce qui est particulier" (PhD, 424, souligné par l'auteur). On ne peut être plus clair: l'ennemi, c'est tout ce qui est par-ticulier, spécifique, concret! En effet: l'"analyse structurelle des mondes vivants", fondée sur la théorie de la com-munication, n'est viable que si on fait l'impasse du concret; faute de quoi, on nage, selon Habermas, "dans la mer des contingences historiques" (NU, 191). Que le réel consiste justem

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mercredi, 21 janvier 2009 | Lien permanent | Commentaires (1)

De onverwachtse voordelen van Zero-tolerance

Tussen verbod en genot

De onverwachtse voordelen van Zero-tolerance

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Johan SANCTORUM

Ex: http://visionairbelgie.wordpress.com/

Zopas liep ik nog eens tegen de lamp met een parkeerovertreding: schijf vergeten te plaatsen. Vergeten, nu ja, ik moet bekennen dat ik er ook geen zin in had. Of als ik nog eerlijker moet zijn: misschien vond ik het zelfs opwindend om die parkeerschijf niet te plaatsen, en het vervolg van het verhaal af te wachten.

Meteen een ideaal aanknopingspunt om eens door te bomen over het doolhof van regels, reglementen en wetten waarin wij leven en sterven,- en over de psychologie van macht en (on)gehoorzaamheid. Duwen we op het gaspedaal om sneller ter bestemming te zijn, of is het de libertijn in ons die wakker wordt? Plassen we wild omdat de nood zo hoog is, of ook wel net omdat het niet mag? Ontduiken we belastingen om rijker (of minder arm) te worden, of uit rebellie tegen het systeem? Of… gewoon voor de fun? Hebben wij regels nodig, om ze te kunnen negeren? En waar komt dat plezier in de ongehoorzaamheid vandaan?

Jantje en de pruimen

Zeer tegen de zin van de postmoderne inquisitie die gaandeweg de universiteiten controleert, en het vooral op Freud, Lacan en de psychoanalyse heeft gemunt, – maar eigenlijk op elke vorm van speculatief denken-, zal ik nog eens een neo-Freudiaanse piste bewandelen over de intense samenhang tussen verbod en genot, gevaar en lust. Het ene roept namelijk het andere op.

Stel u een universum voor waar alles toegelaten zou zijn, zonder enige controle, straf of consequentie: we zouden vergaan van verveling. Dus worden er grenzen afgetast. Eerst is er de zindelijkheidstraining die maar niet wil lukken. Daarna het stiekem snoepen. Boeren aan tafel, de verkeerde hand geven, foute boekjes lezen. Spookrijden, verboden websites bezoeken. Hoe meer flitspalen, des te sterker proberen we ze te ontwijken. Het zebrapad is veilig, maar de ruimte ernaast veel aantrekkelijker. Het rood licht zegt stop, maar iets in ons zegt: “doorgaan”. De moraal en het fatsoen wijzen de weg naar de overkant. Stoute jongens en nieuwsgierige meisjes worden, net langsheen het pad van de deugdzaamheid, geprikkeld om zijwegen in te slaan en no-go-zones te exploreren.

Ik vermoed dat zo’n 80% van ons bewustzijn zich, dag-in-dag-uit, met die grijze zone bezig houdt: wat zijn de regels, hoe groot is de verleiding om ze ontwijken, wat zijn de voordelen ervan, wat is het betrappingsrisico, hoe ziet de sanctie eruit. De criminologie is de moeder van alle menswetenschappen. De moraal de schoonmoeder.

In onze taal is het inzicht, dat er een pad loopt van het verbod naar het verlangen, gemeengoed geworden dankzij het overbekende vers van Hiëronymus van Alphen, een 19de eeuwse advocaat uit Gouda:

Jantje zag eens pruimen hangen,
O! als eieren zo groot.
 ’t Scheen, dat Jantje ze wou gaan plukken,
 Schoon zijn vader ‘t hem verbood.
 Hier is, zei hij, noch mijn vader,
 Noch de tuinman, die het ziet:
 Aan een boom, zo vol geladen,
 Mist men vijf, zes pruimen niet.
 Maar ik wil gehoorzaam wezen,
 En niet plukken; ik loop heen.
 Zou ik om een hand vol pruimen
 Ongehoorzaam wezen? Neen !

Een Tantalus-ervaring die met een nadrukkelijk “Neen!” wordt beteugeld. Maar net daar wordt het vers ongeloofwaardig en schieten we haast in een lach. Het is voor elke goede lezer immers duidelijk dat Hiëronymus met dit gerijmel zelf een scheve schaats rijdt. Want onder de zedenles omtrent het achtste gebod (“Gij zult niet stelen”) wordt een pornografische fantasie geschoven, met de sappige pruim als hoofdpersonage. Hoewel de vrucht verderop in zijn gedicht niét geconsumeerd wordt, voel je zo de begeerte opstijgen vanuit het taboe, met de vader als obstakel. Moet er nog Freudiaans zand zijn?

Meteen is de libidineuze onderstroom van het vergrijp zonneklaar: het verbod wekt de begeerte op, die aanleiding geeft tot het delict. Een begeerte die ook bij van Alphen zelf, als zedenmeester én pornograaf, actief blijken te zijn. De ketting tussen verbod, gevaar, dreigende sanctie, verlangen en verleiding is in alle grote liefdesdrama’s, van Tristan en Isolde tot Romeo en Julia, de sleutel tot de fatal attraction. Het is de twee-eenheid van eros en thanatos: hoe groter het obstakel, des te brandender de passie.

Onder de zedenles omtrent het achtste gebod (“Gij zult niet stelen”) wordt een pornografische fantasie geschoven, met de sappige pruim als hoofdpersonage.

zero1-5.jpgHet is ondenkbaar dat Tristan en Isolde iets zouden begonnen zijn, zonder de sociale belemmeringen die hen uit elkaar dreven. Hun relatie zou saai, conventioneel en kleurloos zijn geweest. De Wagneriaanse platonisering van deze Love Story is evenwel een grote vergissing: de verleiding om de conventies te negeren is wel degelijk seksueel geconditioneerd. De quasi-slechte afloop, de extatische Liefdesdood na de betrapping van het stel, toont ons bovendien een nieuw aspect van de misdaadpsychologie: ook de straf zelf kan een genotsfactor zijn.

Ooit spiekte ik op een examen Latijn met een vertaling op mijn schoot, hoewel ik die helemaal niet nodig had. Uiteraard werd ik betrapt, een enorme buis was mijn deel. Niemand begreep het waarom van die stommiteit, ik al evenmin. Pas veel later besefte ik waar het toen écht om ging: via het delict creëerde ik een band met de lerares Latijn waarop ik smoor was. De betrapping was het hoogtepunt  van een verbeelde paringsdans, en de straf het naspel,- een kleine liefdesdood die ze exclusief voor mij als prille Cupido in petto had.

Zo blijkt de subversieve strategie van de ongehoorzaamheid zich op drie dimensies van het genot te richten: er zit plezier in de overtreding zelf, er zit genot in de consumptie, en er zit een lustfactor in de straf. Pas als die drie dimensies aanwezig zijn, kan men van de perfecte misdaad spreken. Tijd om onze blik te verruimen, en van Alphen in te ruilen voor het betere literaire werk.

Wetboek en blasfemie: van Mozes tot Sade

Zoals in de meeste vitale processen is er ook in dit verhaal van verbod en verleiding een verwisselbaarheid tussen oorzaak en gevolg. Wat was er eerst: de wet of de foute neiging?  De regel of het plezier om hem te overtreden? De verbiedende vader of de lokkende pruim?

We laten die vraag van de kip en het ei verder over aan antropologen, criminologen, rechtsfilosofen en ander academisch personeel. Interessanter is de vaststelling dat deze as tussen verbod en genot een literair vervolg kent, met bizarre uitlopers.

Regels worden namelijk geconsolideerd in een tekst,– het reglement of wetboek, eventueel een Heilig Boek. Het is wellicht dé reden waarom het schrift ooit is ontstaan: uit de noodzaak voor de heersende macht om “objectieve” gedragscodes voor de groep vast te leggen. Maar daarmee haalt men een paard van Troje binnen, want vanaf dan kunnen sinistere individuen of groupuscules ook tegenteksten schrijven, recepten voor de ondeugd, blasfemieën, waar alle registers van het verboden genot worden opengetrokken, tot op het parodische of karikaturale af.

Het is de voedingsbodem van het Satanisme. Waar God beveelt, fluistert de duivel. Waar regels op schrift worden gesteld, duikt een literatuur van de overtreding op. Een literatuur die zelf in overtreding is. De theologische inconvenientie, dat de goede God ook het kwaad en de zonde heeft geschapen, leidt tot de conclusie dat de wet zelf tot wetteloosheid aanzet: door het goede tekstueel af te lijnen, wordt het kwaad zichtbaar als anti-tekst. Wat misschien wel de bedoeling was. Is God zelf een Satanist?

Waar God beveelt, fluistert de duivel. Waar regels op schrift worden gesteld, duikt een literatuur van de overtreding op.

De lust en de begeerte, die we al rond de pruimenboom en zijn dichter ontwaarden, blijken nu ook als een virus verstopt in de heilige teksten zelf.  De tien geboden waarmee Mozes de berg Horeb afdaalde, verlenen letterlijk een context aan de overtreding, en vormen een soort pornografie in spiegelschrift. Dat Mozes een seksmaniak was, wisten we al sinds “Der Mann Moses und die monotheistische Religion”, een sleutelwerk van Siegmund Freud uit 1937. Maar nu blijkt ook dat zijn stenen tafelen een gecodeerde aansporing tot ontucht bevatten: de wet geeft altijd de sleutel tot haar eigen negatie mee. Ze is dus in se corrupt.

De revolutionair en pornografische fantast  Marquis de Sade (1740-1814) zou daarvan ten volle de consequentie inzien: pas bij hem wordt het morele schoonschrift helemaal in spiegelbeeld gedecodeerd, en wordt elke wet herkend en herschreven als een expliciete uitnodiging tot de perversiteit. Het verbod op sodomie heeft het tot een haast verplicht nummer in de scientia sexualis gemaakt: ook het gat waar de duivel door loert, is uiteindelijk een goddelijke schepping.  Dura lex, sed lex: terecht heeft het bekendste condoommerk de drie eerste en de twee laatste letters van deze spreuk gebruikt om het gadget van de zonde een naam te geven.

Andere grappige coïncidentie, maar even veelbetekenend: in het jaar dat het pruimengedicht van Van Alphen het levenslicht zag, startte ook de literaire carrière van de Sade, als gevangene in Vincennes,- een carrière die zou culmineren in “Les Cent Vingt Journées de Sodome” (1784), een complete handleiding voor de ontucht, stiekem op een lange rol geschreven en in de celmuur verstopt.

De vervolging en internering van Marquis de Sade gebeurt des te drastischer, omdat hij de geschilderde orgieën bij voorkeur bevolkt met hoogwaardigheidsbekleders, magistraten, prelaten, en tutti quanti. Maar meer dan om een banale kritiek op de macht en zijn perverse excessen, gaat het bij de Sade om een brutale recuperatie van die macht en de bijbehorende onderdrukking, tot een instrument van de lust.

De politieke rebel en pamfletschrijver zoekt de arrestatie en zo de onderwerping aan een meester(es). Elke vorm van subversiviteit, ze weze politiek of crimineel, is gericht op een subdominante lustbeleving die in de straf haar beslag krijgt.

De hel in de hemel, de hemel in de hel. De gevangenis zelf wordt getransformeerd tot lustoord, de folterkamer tot een S.M.-ruimte. Eventueel vallen ze finaal samen, zoals bij de Sade, in nog een derde ruimte: die van het gekkenhuis. Revolutionair, literair genie, crimineel en seksueel pervert: de Sade was het allemaal. Door de wet te pornificeren, te verbreken, én zo tegen de lamp te lopen, wordt een extatisch kortsluitingspunt met de macht bereikt,- denk aan de lerares Latijn van daareven. En jawel: de meest fanatieke vijand en vervolger van de Sade was niet eens de zedenpolitie of de Franse staat, maar een vrouw, namelijk zijn invloedrijke schoonmoeder, Mme de Montreuil die achter de koninklijke arrestatiebevelen zat. Het idee dat zij hem opjoeg, moet voor de markies een enorme prikkel geweest zijn om dat masochistisch traject tekstueel naar zijn toppunt te voeren.

Het ware interessant om politieke dissidentie ook eens op die manier te analyseren. Denk bv. aan de rebel en internetactivist Julian Assange, opgejaagd als intellectueel crimineel, maar ook –en dat is opmerkelijk- als seksueel delinquent.

Leve de censuur?

Natuurlijk valt er in het universum van de Sade niet te leven, de doorsnee persoonlijkheid heeft daar gewoonweg de constitutie niet voor. Wie heeft de onheilige viervuldigheid van de rebel, het literair genie, de crimineel en de pervert in zich? Toch stuurt het literaire optreden van de Sade al onze moralistische, politiek-correcte opvattingen over democratie, journalistiek, mensenrechten en free speech en in de war. Hier is het duidelijk de abnorm en de zogenaamde pathologie die het normale/gezonde in vraag stellen.

Het schrijven op zich, als articulatie van het individu tegenover het systeem, lijkt namelijk niet mogelijk zonder vervolging en/of repressie vanwege dat systeem. Als de tekst, als signatuur van het individu, in se een tegentekst is, dan is de absolute tolerantie dodelijk.

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jeudi, 25 avril 2013 | Lien permanent | Commentaires (1)

Sept films à voir ou à revoir sur la Psychologie

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Sept films à voir ou à revoir sur la Psychologie

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

La psychologie... Voilà une science qui provoque de furieuses crises d'acné à bon nombre d'entre nous qui auraient tendance à tout rejeter en bloc et ne voir dans les sciences cognitives qu'un inutile bavardage de divan soumis aux désirs de psychologues et autres psychiatres qui "prêtrisent" leur profession en exigeant du patient qu'il se confie intégralement. Tel un abbé, le psy reçoit toute information sans broncher et absout l'Homme de ses déviances et psychopathologies. Il est vrai que le legs quasi-monopolistique de Siegmund Freud dans ces domaines laisse perplexe. De même que la situation de maître-à-penser de son disciple français en la personne du théoricien néo-marxiste Jacques Lacan. N'évoquons même pas les ravages des ouvrages de Laurence Pernoud, à qui on préfèrera les écrits de sa belle-sœur Régine Pernoud. "Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste", ne manquait pas d'indiquer Freud, "pape" imposteur de la psychologie, sur le navire qui l'emmenait aux Etats-Unis. L'intérêt de l'étude des profondeurs de l'âme ne naît pourtant pas des élucubrations freudiennes au 19ème siècle et est attesté depuis l'antiquité gréco-romaine avant d'être développé, un siècle avant Freud, par Franz-Anton Mesmer et le marquis de Puységur. Alors ? Au feu la psychologie ? La redécouverte dans nos milieux de Carl-Gustav Jung a considérablement modifié cet état de choses. Jung qui demandait à son mentor Freud d'avoir la bonté de le considérer comme son fils spirituel, prend progressivement ses distances avant de "tuer le père" en rompant définitivement l'année 1914 ; la théorie de l'interprétation des rêves consommant la genèse de cette césure. Jung réfute bientôt la rigidité des axiomes freudiens concernant son schéma d'interprétation qui accorde une place prépondérante au refoulement aliénant des conflits affectifs hérités de la petite enfance et à la sexualité. L'Homme sera excusé d'être incapable d'affirmer complètement son Moi. Ainsi, pour ne citer qu'un seul exemple, le tabou de l'inceste par la seule décision du père de voir en son fils un concurrent sexuel, soumis à un complexe œdipien, et manifestant un désir sexuel réel pour sa mère. Selon Jung, la psyché est moins déterminée par le désir sexuel que par des réminiscences conscientes ou non des symboles et des mythes. Ainsi, Jung refuse-t-il l'individualisation de l'individu en le rattachant dans un inconscient qui contient la mémoire de l'Humanité. Et Mircea Eliade, avec lequel il entretenait une relation épistolaire, ne manqua pas de louer grâce à Jung d'avoir dépassé l'inconscient personnel freudien pour l'inscrire dans un inconscient collectif. Si, dans la pensée jungienne, la sexualité acquiert une importance non négligeable dans la psyché de l'être humain, elle ne représente pas toute sa psyché. Grâce à Jung et d'autres, l'apport des sciences cognitives est aujourd'hui parfaitement reconnu dans notre doxa et il est admis qu'elles contribuent à une meilleur connaissance de l'Homme par le biais de l'ethnologie, l'anthropologie et l'éthologie humaine dans sa double dualité entre identités innée et acquise d'un côté et identités individuelle et collective de l'autre. Mais passons au cinéma ! Le thriller, par sa représentation des comportements humains devant l'angoisse de l'existence, peut être considéré comme la typologie-maître des films psychologiques, mais celui-ci accorde une place trop prépondérante à l'action. Et puisqu'il se trouve que quelques réalisateurs ont eu le bonheur de sonder la profondeur des âmes... Vous pensez que ces films constituent d'ennuyeuses jacasseries ? Et bien, détrompez-vous !

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A DANGEROUS METHOD

Film canado-anglo-germano-suisse de David Cronenberg (2011)

Zurich en 1904. A 18 ans, Sabina Spielrein est une jolie jeune femme russe et cultivée souffrant de crises d'hystérie et de troubles sadomasochistes. Elle intègre la patientèle du psychiatre Jung, alors âgé de 29 ans, et qui n'en est qu'au début de sa brillante carrière. S'inspirant des travaux de son auguste prédécesseur Freud, Jung tente sur la jeune femme un traitement expérimental alors peu connu et qualifié de psychanalytique. Bien que marié à Emma, Jung oublie bientôt toute éthique et entame une relation adultère avec la jeune femme. Afin d'être aidé dans ses recherches, Jung entame une correspondance épistolaire avec le mentor Freud que Spielrein rencontre bientôt. Les conséquences de sa rencontre avec Freud se font ressentir sur la relation entre les deux psychanalystes ; relation qui oscille de la collaboration scientifique à la rupture irréconciliable...

Cronenberg, passé maître dans le film fantastique ou de science-fiction, prend un risque énorme, dans ce film à costumes, en retraçant cette libre évocation de l'aube de la psychologie analytique par le truchement des relations tumultueuses entre Jung, autour duquel le film est autocentré, Freud et Spielrein. Et le pari est plus que réussi ! Le spectateur est captivé dès les premières scènes qui montrent la déformation des traits et du corps de la jeune femme qui deviendra elle-même une future grande psychanalyste assassinée prématurément en 1941 par les troupes allemandes. Les dangers de cette nouvelle discipline sont remarquablement exprimés par un réalisateur pourtant profane en montrant à quel point elle affecte aussi bien le praticien que le malade. L'évolution de la brouille entre Jung et Freud est parfaitement rendue. Viggo Mortensen, Keira Knightley et Michael Fassbender rivalisent de talent. La mise en scène et les décors retranscrivent merveilleusement la Confédération helvétique du début du 20ème siècle. La critique de ce film mériterait encore de très nombreuses lignes. Il est supérieur à L'Âme en jeu, réalisé par Robert Faenza et adaptant la même histoire. A voir absolument !

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AUGUSTINE

Film français d'Alice Winocour (2012)

Paris à la fin du 19ème siècle, Augustine travaille comme domestique dans une famille bourgeoise de la capitale. Alors qu'elle sert le dîner, la jeune fille est prises de violentes convulsions incontrôlables. Internée à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière, elle rencontre le professeur Jean-Martin Charcot qui entend soutenir devant l'Académie de médecine que l'hypnose facilite le déclenchement de tous les symptômes de l'hystérie, maladie alors mal connue et encore taxée de signe de possession diabolique. La pratique de l'hypnose permet de constater que les traumatismes émotionnels sont responsables de l'installation des maladies psychiques, au moins partiellement. Le professeur démontre également que les symptômes nerveux dont Augustine est victime ont une valeur psychodynamique qui ne peut se ramener à des lésions anatomiques précises. Augustine devient bientôt le sujet d'étude favori de Charcot. Et de désir...

Une peinture est à l'origine du film. Dans sa toile Une leçon clinique à la Salpêtrière, André Brouillet peint, en 1887, des hommes habillés en costume fixant une femme comme un animal de foire. Le film, inspiré d'une histoire réelle, est parfaitement maîtrisé de bout en bout. Chaque plan-séquence est méticuleusement étudié, au point de paraître trop académique, ce qui est peu surprenant s'agissant du premier long-métrage de la jeune réalisatrice. La reconstitution de l'univers hospitalier du début du 20ème siècle est, en tout cas, merveilleusement rendu. Un univers cruel au sein duquel le scientifique espère la pérennité de la pathologie de sa patiente pour mieux l'étudier et satisfaire sa gloire. Sans trop en montrer, Winocour distille une pointe d'érotisme lors de séances qui, sous couvert médical, constituaient des séances de voyeurisme sexuel. Car c'est en effet grâce à la découverte de sa sexualité qu'Augustine va maîtriser son corps convulsif. Intéressant !

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CASANOVA 70

Film franco-italien de Mario Monicelli (1965)

Andrea Rossi-Colombotti occupe une haute fonction d'attaché militaire au sein de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. Il a un talon d'Achille : les femmes, dont il tombe éperdument amoureux très rapidement. Ce curieux mal frappe l'officier. Il ne résiste à aucune femme et aucune ne résiste non plus au Don Juan de l'O.T.A.N. En revanche, s'il entreprend de toutes les séduire, las de conquêtes trop aisées, sa libido ne s'éveille que lorsqu'il se trouve dans des situations rocambolesques. Par exemple, lui faut-il pénétrer par effraction dans la chambre de sa petite amie afin que le désir s'éveille en lui, mais encore provoquer lui-même la découverte de sa relation extraconjugale par le mari cocu en lui faisant parvenir un télégramme. Andrea ne voit bientôt plus que la psychanalyse pour l'aider à s'extirper de ses curieuses relations. Le psychanalyste conseille à l'officier de ne plus entretenir que des relations platoniques et de se marier...

Chacun aura compris que la psychanalyse est utilisée à des fins de divertissement dans cette évocation contemporaine du célèbre libertin vénitien. La réalisation de Monicelli est caractéristique du cinéma transalpin des années 1960 et 1970. A cet égard, on pourrait presque le qualifier d'un film à sketches dont Casanova-Andrea serait le fil rouge. Marcello Mastroianni qui campe le héros est très à l'aise en séducteur invétéré de femmes bourgeoises, épouses modèles ou jeunes ingénues facilement corrompues. Le film manque néanmoins d'un peu d'âme, surtout de profondeur dans sa critique sociale, et donne un air de déjà vu pour qui est familier du cinéma italien. Mais il s'avère finalement assez drôle et pétillant. Une comédie de mœurs antiromantique par excellence !

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ELEMENT OF CRIME

Titre original : Forbrydelsens element

Film danois de Lars von Trier (1984)

Fisher est un détective anglais et vit désormais au Caire. Avec l'aide d'un psychanalyste ventripotent, il est maintenu sous hypnose afin de soigner de terribles maux de tête issus des traumatismes de son expérience passée. Dans son souvenir, alors qu'il officiait en Europe, le Vieux continent constituait une dystopie, dont les sociétés étaient en pleine décomposition. L'utopie avait viré au cauchemar. Ses réminiscences se précisent lorsqu'il se remémore avoir inlassablement poursuivi un assassin insaisissable, coupable de crimes effroyables, et surnommé le Meurtrier Loto. A son tableau de chasse, de nombreuses jeunes femmes étranglées et sauvagement mutilées et dont le seul tort était de vendre des billets de loterie. Afin d'arrêter le serial-killer, Fisher s'inspire des méthodes controversées contenues dans le livre Element of crime, écrit par Osborne, le mentor de Fisher tombé en disgrâce. Selon la méthode Osborne, Fisher doit s'identifier au criminel pour mieux le confondre. Mais le comportement de Fisher s'amalgame de plus en plus avec celui du criminel. Et Osborne qui mène son enquête parallèle, s'est si bien identifié à celui-ci, qu'il est devenu lui-même un assassin...

Premier long-métrage de ce réalisateur inclassable qu'est von Trier et qui constitue le premier volet de la trilogie européenne du cinéaste. Qu'en penser ? Tout d'abord que l'intrigue, constituée en un long flash-back psychanalytique et hypnotique, est encore plus difficile à suivre qu'à résumer en quelques lignes. Ensuite, que visuellement, c'est sublime ! Tout en tons feu et ocre. Une diarrhée ! Tant il s'agit bien d'une plongée dans un cloaque labyrinthique puant jonché de canalisations suintantes. Enfin, que l'intrigue, qui vise une allégorie de la décadence européenne, est délirante et déroutante. On s'y perd. A plus forte raison au regard de l'avarice des dialogues. Voilà une œuvre post-expressionniste qui ne fera pas l'unanimité et ne manquera pas de refiler la migraine à quelques-uns. C'est esthétiquement aussi glauque qu'Irréversible de Gaspard Noé ! Element of crime est néanmoins à voir, ne serait-ce que pour apprécier ce qu'est une descente aux enfers.

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ET NIETZSCHE A PLEURE

Titre original : When Nietzsche wept

Film américain de Pinchas Perry (2007)

Vienne à la fin du 19ème siècle. Le docteur Josef Breuer compte parmi les pères de la psychanalyse. L'écrivain Lou Andreas-Salomé lui demande d'accepter de rencontrer un certain Friedrich Nietzsche. Alors totalement méconnu du grand public, le futur Philosophe au marteau traverse une grave crise identitaire et existentielle. Breuer accepte d'aider Nietzsche à lutter contre ses angoisses doublées d'une profonde mélancolie. Nietzsche s'avère être un cas d'une complexité extrême. Aussi, le docteur applique-t-il une curieuse méthode en se laissant analyser par le philosophe qu'il croit guérir ainsi. Les rôles s'inversent bientôt. Le médecin est confronté à ses propres fractures et se mue progressivement en patient...

Issu du livre éponyme du psychothérapeute Irvin Yalom, Perry livre ici une très libre évocation de la relation entre Salomé et un Nietzsche amoureux transi et faible. De cette œuvre, l'apôtre du surhomme ne sort pas grandi. Dénué de tout charisme, indécis, craintif, nu de toute volonté, encore moins de puissance. Voilà de quelle manière le philosophe est-il perçu par le réalisateur et l'écrivain qui exigent le crépuscule de l'idole. Il est certain qu'on ne peut nier l'esprit torturé du philosophe mais il y a un fossé que l'écrivain et le cinéaste franchissent allégrement. On devine que Nietzsche n'est pas leur penseur de référence. C'est dommage tant l'intrigue semblait passionnante. Notons quand même la performance du jeu des acteurs. Yalom et Perry, humains, trop humains ?

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HOMME REGARDANT AU SUD-EST

Titre original : Hombre mirando al sudeste

Film argentin d'Eliseo Subiela (1987)

Le docteur Julio Denis est psychiatre et chef de service dans un hôpital neuropsychiatrique. Séparé de sa femme, il ne voit ses deux enfants qu'à de trop r

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lundi, 29 février 2016 | Lien permanent

La curieuse famille Freud et les débuts de la psychanalyse

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La curieuse famille Freud et les débuts de la psychanalyse

Dr Bernard Plouvier, auteur, essayiste

Ex: https://metamag.fr


La psychanalyse n’est pas aussi originale qu’on l’a prétendu.

Durant l’Antiquité gréco-romaine, l’interprétation des rêves, guère plus fantaisiste ni moins mercantile que celle des psychanalystes, était une spécialité des prêtres et de certains médicastres. Aelius Aristide, au IIe siècle de notre ère, semble avoir collationné tous ses rêves en des dizaines de milliers de lignes sur papyrus (Schiavone, 2003), comme son contemporain Artémidore, auteur de l’Onironcriticon (l’interprétation des rêves).

De même, dans de nombreuses peuplades primitives, une plante ou un organe animal, pouvant passer pour un symbole phallique, paraissent un gage de fertilité ou un espoir de guérir de l’impuissance : la corne de rhinocéros est depuis longtemps un composant essentiel de la pharmacopée chinoise, dans le traitement (parfaitement illusoire) de l’anérection. De ce fait, le très corruptible gouvernement d’Afrique du Sud a ré-autorisé la chasse au rhinocéros en 2014, officiellement, pour « réduire le trafic » des cornes ornant son museau. La sexologie de type fumisterie n’est pas une invention de Freud et associés.

Au XVIe siècle, le génie médical suisse Theophrast Bombast v. Hohenheim, plus connu sous le pseudonyme universitaire de Paracelse, rapportait les maladies mentales à une influence magnétique pernicieuse sur le cerveau (de nos jours, l’on parlerait de perturbations de l’électricité cérébrale) et avait entrevu le rôle des frustrations et conflits sexuels dans la genèse de certaines de ces maladies mentales.

Diderot, époux et amant très volage, aborda le problème de la sexualité dans une lettre de juillet 1767 adressée au sculpteur Étienne Falconet : « Il y a un peu de testicule au fond de nos sentiments les plus sublimes et de notre tendresse la plus épurée » (Guyot, 1963). Dans ses livres non publiés de son vivant, il se fait le propagandiste de la liberté sexuelle, prônant la masturbation comme remède à la névrose hystérique et considérant la chasteté comme « un crime contre nature » (in Suite de l’entretien de d’Alembert, de 1769).

Peu après, l’excellent médecin Franz-Anton Mesmer traite les névrosées par le « magnétisme humain » (ayant mal interprété les petites décharges électriques liées à l’hyperexcitabilité neuromusculaire), par une ébauche d’électrothérapie et surtout par des conseils sexologiques aux maris inexperts. Mesmer a le tort de se comporter en histrion et d’aimer l’argent… travers assez répandus dans sa profession.

En 1846, le neurologue Moritz Romberg (de Berlin) et, en 1868, Moritz Benedikt (un Goy de Vienne, à ne pas confondre avec son homonyme , directeur de journal) envisagent un ou des traumatismes mentaux infantiles comme causes de l’hystérie (Hirschmüller, 1991). Dans les années 1880 sq., de façon séparée, Benedikt et Pierre Janet (du Havre) traitent les névrosé(e)s en leur faisant évoquer des souvenirs d’enfance et d’adolescence (Corraze, 1976 ; Hirschmüller, 1991), soit bien avant les premiers essais de Josef Breuer, puis de Freud, à Vienne.

En 1869 avec Philosophie de l’inconscient et en 1879 avec Phénoménologie de la conscience morale, Eduard von Hartmann décrit tout ce que Freud reprendra à propos de l’inconscient individuel que l’on ferait beaucoup mieux de nommer subconscient (cf. infra). Hartmann est aussi un précurseur de Pierre Teilhard de Chardin : l’évolution darwinienne ne peut, selon lui, qu’être orientée vers la « rédemption universelle ».

Le Dr. Arthur Schnitzler, une Diva  de Vienne qui haïssait Freud autre Diva  médicale, avait, dans sa pièce de 1899 consacrée à Paracelse, insisté lourdement sur l’interprétation des rêves et le rôle des amours inassouvies dans la genèse de quelques névroses (Flem, 1986). Au début du XXe siècle, Otto Weininger, qui fréquente les deux Divas précitées, qui est lui-même un schizophrène en révolte contre ses parents, sa judéité, ses penchants homosexuels, devient l’un des concepteurs de la théorie du genre librement choisi par l’individu dont les émois sexuels contredisent sa conformation.

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Arrivent deux individus très perturbés, Wilhelm Fliess et Sigismond-‘’Sigmund’’ Freud, inventeurs de la psychanalyse qui, selon la définition assez juste de Karl Kraus, un Juif viennois qui haïssait Freud, est « une maladie mentale qui se prend pour une thérapie » (Field, 1967). Freud et Fliess sont deux Juifs racistes, convaincus de l’extraordinaire supériorité des Juifs sur les Goyim (Masson, 1984 ; Cohen, 2012). Leurs motivations sont beaucoup moins innocentes et « scientifiques » qu’on l’a trop souvent écrit.

La très curieuse tribu des Freud

Depuis son enfance, le paranoïaque Freud « aspirait à apporter un nouveau message à l’humanité… Il a réalisé son vieux rêve, d’être le nouveau Moïse montrant une nouvelle Terre promise : la conquête du Ça par le Moi » (Fromm, 1959). À dire vrai, le grand neurophysiologiste  de Vienne Thomas Meynert enseignait depuis de nombreuses années l’importance du « moi intérieur » ou subconscient, mais comment Freud pourrait-il citer celui dont il fut l’assistant et qui l’avait chassé ignominieusement en raison de sa toxicomanie à la cocaïne, dont il se faisait généreusement le propagandiste auprès des malades du service de Meynert ? Freud use (et abuse) de la cocaïne de 1884 à 1904 (Cohen, 2012), soit durant la période de naissance de sa conception de la psychiatrie, une spécialité qu’il avait fort peu étudiée, quoi qu’on en ait dit (Bénesteau, 2002, l’a démontré).

On peut négliger le verbiage final d’Erich Fromm, marxiste et psychanalyste, et ne retenir que la mégalomanie de Sigismond Freud, fils de Jakob, pédophile incestueux, et développant lui-même des sentiments incestueux pour sa mère (et l’une de ses filles). Ainsi naissent, par l’exploitation habile d’écrits de prédécesseurs et de sa triste expérience familiale, le complexe d’Œdipe et le meurtre rituel du père par le fils. Toute sa vie, Freud lutta contre sa bisexualité, tandis que sa fille Anna, devenue en 1927 membre du Comité de l’Association Internationale de Psychanalyse, se vautra dans le lesbianisme.

Maman Freud, née Amalia Nathanson, plus jeune de 19 ans que son pédophile de mari, Jakob, qui eut trois épouses, a entretenu une liaison sexuelle torride avec Philipp Freud, fils du premier mariage de Jakob (Krüll, 1983). Sigismond épouse en 1886 la fille d’un commerçant qu’il croit riche et qui s’avère n’être qu’un escroc (Cohen, 2012). Comble de malheur, ce paranoïaque bisexuel, à l’homosexualité refoulée, développe des sentiments incestueux envers sa fille Mathilde, lorsqu’elle est âgée de 9 ans, apparemment sans être passé à l’acte (s’il faut en croire une lettre adressée à Fliess, en 1896, in Cohen, 2012). On comprend que Freud, accablé par tant d’ignominies et de perversions familiales sans oublier ses propres tares, ait présenté le sentiment de culpabilité – singulièrement pour ce qui est de la sexualité – comme l’un des fondements de la vie morale (Freud, 1905, 1915, 1920).

Que le jeune Freud, élevé dans un milieu sexuellement dépravé, ait vécu un martyre intérieur, n’importe qui peut le comprendre et compatir aux malheurs de cet homme torturé. Hélas, il a fallu qu’il fasse don à l’ensemble de l’humanité de ses turpitudes personnelles et familiales et qu’il en généralise l’application, après avoir reçu les confidences de son ami  de Berlin Wilhelm Fliess, un otorhinolaryngologiste bisexuel, également paranoïaque, massacrant littéralement certains de ses patients et ne tirant aucune leçon de leur mort, qui nourrissait une passion incestueuse pour son propre fils Robert, alors âgé de 5 ans (Masson, 1984 ; Correspondance non-expurgée Freud-Fliess, 2006, notamment les lettres de Freud, en date des 2 et 11 février 1897). La correspondance de Freud témoigne de son égocentrisme, de son avidité de gloire et d’argent ; elle est farcie de termes scatologiques et orduriers (Freud-Fliess, 2006 ; Cohen, 2012).

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Fliess et Freud ont rompu lorsqu’en 1906, le premier a reproché au second de plagier les travaux d’un authentique psychiatre, Albert Moll, les déformant de façon grotesque (Bénesteau, 2002). Freud a violé l’anonymat de ses patients, dans sa correspondance avec des confrères, mais aussi en discutant avec des amis non médecins, ce qui est un délit grave. Enfin, il a très souvent menti sur ses résultats thérapeutiques (Bénesteau, 2002).
Freud et ses disciples, haineusement anticatholiques (ce que leur reprochait leur ennemi juif Karl Kraus, converti au catholicisme par conviction intime, comme c’était le cas des grands anxieux Alfred Adler et Gustav Mahler), taxaient « d’antisémitisme » tous ceux qui contestaient le bien fondé de leurs thèses. Le  très talentueux Carl-Gustav Jung sera accusé de cette façon pour avoir, bien avant la Grande Guerre, affirmé que la psychanalyse n’était d’aucun secours dans le traitement des psychoses ; il avait pleinement raison.

Pourtant, la carrière de Freud ne souffrit nullement de son anticatholicisme ni de son implication dans la secte maçonnique des B’naï B’rith (à compter de 1897, in Flem, 1986, qui, très curieusement, en fait une loge maçonnique « très libérale »). Docteur en médecine en 1881, il est agréé Privatdozent (maître de conférences agrégé) à la Faculté de médecine de Vienne en 1885, professeur extraordinaire (sans chaire) en 1902 et titulaire de chaire en 1919 (Ellenberger, 1970), mais la rengaine de « Freud, victime de l’antisémitisme viennois » fait toujours la gloire et la fortune de romanciers et de scénaristes (Mahler est également bien placé dans ce registre totalement erroné).

En retour, Freud, le pistonné de la faculté de médecine de Vienne, voue à sa ville « une haine personnelle » (in lettre à Fliess, du 11 mars 1900).  Freud ne souffre nullement d’un soi-disant antijudaïsme institutionnel (pas plus que n’en souffre Mahler, qui pourtant le dénonce lui aussi) : c’est un perpétuel insatisfait, une Diva assoiffée de gloriole et d’argent, qui explique ses échecs par la malignité publique. On sait que, depuis deux millénaires et demi, divers Juifs ont pris l’habitude de dénoncer le racisme des Goyim, sans se soucier le moins du monde de leur propre racisme matrimonial.
Psychanalyste ou pas, Freud poursuit aveuglément la tradition paranoïaque de certains Juifs, du style : « Tout le monde nous en veut, parce que nous sommes les plus beaux, les plus intelligents, les plus…, les moins… ».

Les curieux débuts de la religion psychanalytique

Est-il véritablement nécessaire de faire intervenir les passages érotiques, la symbolique sexuelle ou les associations d’idées plus ou moins délirantes de la Kabbale (Eysenck, 1965 ; Bailey, 1972), pour expliquer les ahurissantes explications que Freud et consorts ont tirées des confidences de leurs malades, immédiatement répercutées dans des livres et les exposés publics des géniaux découvreurs des « secrets de l’inconscient » ?

On peut d’ailleurs faire une objection sémantique à la prétention de ces génies : s’il existe un « inconscient » dans l’esprit humain, il est aussi impénétrable à l’intelligence humaine que les célébrissimes voies de la providence divine. L’on peut négliger les doctes âneries de Jacques Lacan sur « l’inconscient structuré comme le langage ». Seul le subconscient est accessible, soit les souvenirs enfouis au plus profond de la conscience, sous d’épaisses couches de mensonges et grâce aux oublis volontaires.

La religion psychanalytique est née de la réunion, à Vienne, d’un nombre ahurissant de dérangés mentaux, presque tous juifs ; le seul Goy des origines du nouveau culte viennois qui lui soit demeuré fidèle (Jung a très vite déserté la chapelle freudienne), le Britannique Ernest Jones, était lui-même pédophile (Bénesteau, 2002). Comme l’a dit Freud au médecin britannique Stanley Blanton, à propos des étudiants en médecine qui orientent leur carrière vers la psychiatrie : « C’est parce qu’ils ne se sentent pas normaux et qu’ils veulent se convaincre qu’ils le sont » (Blanton, 1973)… on peut même penser qu’ils espèrent se guérir eux-mêmes.

On est ébahi du nombre de pionniers de la psychanalyse morts suicidés ou déments (Zwang, 1985 ; Bénesteau, 2002). Parmi les suicidés, l’on trouve Wilhelm Stekel (qui, en 1910, s’était fait connaître par une publication où il faisait du suicide le désir d’expier une faute sexuelle, soit une reductio a sexis, parfois vérifiée, mais souvent absente des motivations du suicidaire), Victor Tausk, Otto Gros, et quatre autres fidèles des premières années : messieurs Federn, Kahane, Schrötter et Silberer. Sont réputés morts déments Otto Rank (fils d’ivrogne et longtemps l’élève préféré de Freud) et Sandor Ferenczi, tous deux obsédés sexuels et exceptionnellement laids (Ferenczi a dirigé la psychanalyse à Budapest durant les tueries communistes de 1919, in Roheim, 1967, qui fut lui-même un autre Juif, riche et marxiste, de la bande de Bela Kohn dit Kun, de triste mémoire). George Groddeck, un Goy élevé en fille jusqu’à l’âge de 6 ans et obsédé par le mythe platonicien de l’androgyne (cf. Groddeck, 1920), est également mort dément.


À cette liste de noms, dont certains furent célèbres, on peut ajouter ceux de Mélanie Klein (une déséquilibrée, selon Bruno Bettelheim, 1991), qui fut à l’origine de la fable des « enfants traumatisés par le pot de chambre », et de la schizophrène Sabina Spielrein. Alfred Adler, l’homme du complexe d’infériorité, et Wilhelm Reich, le chantre de l’amour libre et le théoricien de l’orgone auquel nul n’a jamais rien compris (peut-être parce que c’était un absurdité intégrale), éta

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mercredi, 06 septembre 2017 | Lien permanent

Foucault, el neoliberal

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Foucault, el neoliberal

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Uno de los temas que está entrando a debate en los ambientes izquierdistas franceses es la cada vez más manifiesta afinidad existente entre el pensamiento de la denominada Nueva Izquierda, nacida en Mayo del 68, y el neoliberalismo económico. Hoy, este debate está empezando a caldear los ánimos y se puede decir que gira alrededor de la figura de uno de los gurús más importantes de la Nueva Izquierda: Michel Foucault. Gracias al trabajo de investigación publicado por varios de sus discípulos y críticos, hoy surge una nueva imagen de un Foucault menos izquierdista, o de extrema izquierda, y más bien apuntando en un sentido contrario: el de un apologista de la sociedad neoliberal y del capitalismo tardío. Realizando un examen de la obra de Michel Foucault, los sociólogos franceses Daniel Zamora y Michael C. Behrent, han mostrado una nueva imagen del famoso filósofo postmoderno, después de compilar una serie de estudios acerca de la influencia del neoliberalismo en el pensamiento de Foucault: su estudio titulado Foucault y el neoliberalismo, publicado por la editorial Amorrortu, resulta muy revelador. En una entrevista hecha por la revista Ballast, Daniel Zamora señala como al final de su vida Foucault mostró un gran interés por el neoliberalismo. “Foucault”, dice Zamora, “se sentía muy atraído por el liberalismo económico: el cual veía como una posible forma de gobierno menos normativa y autoritaria que la izquierda socialista y comunista que encontraba totalmente obsoleta. Veía al neoliberalismo como una opción “mucho menos burocrática” y “mucho menos disciplinaria” que la propuesta por el Estado social de postguerra. Imaginaba un neoliberalismo que no proyectaría un modelo antropológico sobre los individuos y que les ofrecería mayor autonomía frente al Estado” (1).

Este tema no deja de tener una profunda repercusión en el ámbito académico, pues la Nueva Izquierda francesa – convertida en el núcleo duro de la postmodernidad occidental – había sido cubierta con un halo de invulnerabilidad y reconocimiento acrítico de todos sus postulados. Muchos de sus autores han sido consagrados en las universidades y las academias como clásicos del pensamiento que son ineludibles, y los estudios hechos sobre ellos se hacen ya innumerables. Recordemos que bajo el rotulo de la Nueva Izquierda se agrupaban una serie de pensadores modernos, sobre todo franceses, que habían optado por una revisión sistemática de la herencia del pensamiento de la Modernidad Occidental y en la cual convergían autores como Félix Guattari, Gilles Deleuze, Michel Foucault, Jacques Lacan, Jacques Derrida, entre otros. Muchos de ellos optaron por una “deconstrucción” de la cultura occidental, la cual clamaban estaba llena de prejuicios, autoritarismo, exclusiones y disciplinas que habían producido un totalitarismo velado en las sociedades democráticas y liberales. A través de la revisión del aparato teórico de la modernidad, sus autores esperaban demoler ideológicamente semejante legado y preparar la llegada de una nueva libertad: la de un “cuerpo sin órganos”, una lengua sin contenidos, un mundo menos estructurado que podría finalmente ser considerado afín a una sociedad libre. Muchos de los autores de esta Nueva Izquierda habían sido disidentes de la Guerra Fría, identificándose como izquierdistas, pero detestando los regímenes del socialismo real, a los cuales consideraban demasiado autoritarios, y desligándose de cualquier herencia de la filosofía ilustrada, que resultaba para ellos demasiado dogmática. El ataque sistemático a las instituciones sociales, a las formas veladas de gobierno y poder, sin hablar de su provocadora actitud hacia el orden general de la Europa de la postguerra, convirtió a los representantes de la Nueva Izquierda en el objeto de un culto fetichista de las nuevas generaciones universitarias, sobre todo en las facultades de humanidades y filosofía, como los grandes exponentes de una izquierda anárquica e individualista. Hoy día es imposible no oír los nombres de alguno de ellos en los pasillos universitarios o siendo citados en revistas científicas de investigación como autoridades consagradas. Lo que no deja de ser un giro irónico para una serie de autores que se rebelaban contra la autoridad establecida. De hecho, las posiciones de muchos de los representantes de la Nueva Izquierda no pasaron desapercibidas, e incluso lograron llamar la atención de la CIA, que vio con buenos ojos la deserción de los autores de izquierda franceses, porque “ya no hay más Sartres, ya no hay más Gides”, sino que en su lugar se mostraban hostiles a la Unión Soviética y atacaban los presupuestos básicos del marxismo. Esto último despertó la simpatía de los organismos de inteligencia norteamericanos, quienes comentaban que «en el campo de la antropología», dice un documento de la CIA, «la influencia de la escuela estructuralista vinculada con Claude Lévi Strauss, Foucault y otros, ha cumplido esencialmente la misma función. […] creemos sea probable que su demolición de la influencia marxista en las ciencias sociales perdure como una contribución profunda tanto en Francia como en Europa Occidental» (2).

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Como recuerda el sociólogo Daniel Zamora, Foucault llamó a abandonar las luchas políticas y sociales, que habían perdido sentido en el Estado de Bienestar de la postguerra, y más bien proponía dedicarse a una “resistencia molecular”, donde fueran cuestionadas las grandes construcciones modernas y se disolvieran las masas homogéneas de la sociedad industrial. «En realidad», dice Daniel Zamora, «la idea de una revolución “molecular” descentralizada que pudiera conducir a grandes cambios se mostró poco realista, especialmente cuando se trataba de las relaciones económicas. Si se quiere entrar en una polémica, uno podría preguntarse por la relación entre esta visión con el neoliberalismo. “No olvides inventar tu vida”, concluía Foucault a comienzos de 1980. ¿Acaso no se asemeja mucho esto al mantra de Gary Becker de que nosotros debemos convertirnos en “empresarios de nuestro yo”?» (3). Y no deja de llamar la atención que precisamente esta convergencia entre el postmodernismo y el neoliberalismo alcanzara su mayor auge en las universidades norteamericanas, donde surgió precisamente el epíteto “postmoderno” y donde todos sus representas (Foucault, Deleuze, Derrida) alcanzaron un gran reconocimiento en vida. Zamora una vez más pone el dedo en la llaga y dice que resulta una empresa inútil «reconciliar a Marx con Foucault en alguna síntesis mayor, cuando de hecho al final de su vida Foucault “decidió deshacerse del marxismo”». Tampoco  puede alegarse que Foucault desconociera los primeros experimentos neoliberales en la política y la sociedad, pues él conoció muy bien la California gobernada por Ronald Reagan – quien por cierto destruyó el sistema de hospitales psiquiátricos del Estado federal, lo cual siempre fue uno de los grandes sueños de la anti-psiquiatría foucaultiana – y donde impartió varios cursos en sus universidades. En lugar de eso, Zamora recuerda la «profunda conexión entre el neoliberalismo como forma de gobernabilidad y la promoción, por parte de Foucault, de la invención de nuevas subjetividades. Lejos de oponerse, son dos ojos pares. Más abierto al pluralismo, el neoliberalismo parecía ofrecer un marco menos estrecho para la proliferación de experimentos de minorías» (4). Aquí cobra todo su sentido las palabras del filósofo francés Jean-Claude Michéa, para quien “Foucault es el complemento cultural del economicismo de Hayek, Friedman y Gary Becker”.

Todo lo anterior nos ayuda a explicar porqué algunos de los seguidores y discípulos de Foucault han terminado por convertirse en grandes defensores del capitalismo de mercado, mientras atacan de un modo inmisericorde los sistemas de pensiones, los servicios sociales y el Estado de Bienestar de la postguerra. Basta con citar a Beatriz Preciado, una de las representantes más radicales de la izquierda feminista, quien escribía en el periódico digital Libération que «no debemos llorar por el fin del estado de bienestar, porque el Estado de Bienestar es el hospital psiquiátrico, la oficina de discapacitados, la prisión, la escuela patriarcal-colonial-heteronormativa» (5). Por supuesto, este desmonte de las instituciones estatales está completamente de acuerdo con las políticas neoliberales promocionadas por grandes figuras del mundo de los negocios como Bill Gates o Georges Soros, quienes también se han convertido en grandes defensores de las políticas a favor de las minorías sexuales, el feminismo, amigos de la inmigración masiva y promotores del anti-racismo, mientras promueven la demolición del aparato estatal y su suplantación por un sector privado y una sociedad civil organizada que reemplazaría cualquier forma de poder público. Como ya había observado Marx, el capitalismo no es un sistema social conservador ni mucho menos: “La burguesía sólo puede existir si no es revolucionando incesantemente los instrumentos de producción, y con él todo el régimen social… La época de la burguesía se caracteriza y distingue de todas las demás, por la conmoción ininterrumpida de todas las relaciones sociales, por una inquietud y una dinámica incesantes. Las relaciones inconmovibles y mohosas del pasado, con todo su séquito de ideas y creencias viejas y venerables, se derrumban… Todo lo que se creía permanente y perenne se esfuma, todo lo santo es profanado” (6). Por lo que no resulta extraño que el gran capital financiero asumiera hoy el patrocinio de la nueva revolución de las relaciones sociales que se está gestando, siendo esta revolución íntimamente unida a las transformaciones del capitalismo y su concepción del individuo, que hoy pasa de estar basada en el naturalismo filosófico del siglo XIX al trans-humanismo que es promocionado por empresas como Google o filósofos postmarxistas como Toni Negri, para quienes la naturaleza eterna no existe sino que puede ser alterada por la biotecnología o la nanotecnología que hoy se está desarrollando.

No deja de ser interesante observar, como este nuevo capitalismo y neoliberalismo han impregnado la cultura de la izquierda. Una vez demolidos los últimos restos del socialismo real y conquistado el mundo por la globalización, la izquierda por fin se ha separado del comunismo y ha decidido conscientemente convertirse en el buldócer del capitalismo. Algunos intelectuales de izquierda como Nancy Fraser o Daniel Zamora han señalado esta contradicción. Nancy Fraser, por ejemplo, en su libro Las fortunas del feminismo ha mostrado como, poco a poco, el movimiento feminista ha abandonado todas sus reivindicaciones de izquierda, unidas al comunismo y al igualitarismo radical, para en su lugar adoptar el discurso del “empoderamiento femenino” planteado por el capitalismo neoliberal, cuyo modelo sería la mujer exitosa en la política y la economía, estilo Hillary Clinton o Margaret Thatcher (7). Otros, como Daniel Zamora han señalado que la postmodernidad foucaultina terminó por ser un antecesor directo de la Tercera Vía de Tony Blair y Anthony Giddens, convirtiéndose de este modo en un defensor de la globalización. Quizás esta impregnación cada vez mayor del socialismo por elementos liberales sea la causa del hundimiento de los partidos comunistas y la razón por la cual hoy día las clases trabajadoras votan cada vez más por los partidos identitarios de derecha, tanto en América Septentrional como en Europa. Una vez que la izquierda se unió al gran capital financiero y abrazó el liberalismo cultural, era inevitable que las clases trabajadoras, consideradas demasiado autoritarias y totalitarias, fueran atacadas y sustituidas por objetos de rebelión que chocaban con su sentido común. Resulta interesante anotar que ya en 1947, el comisario soviético y responsable del control ideológico de la cultura en Rusia Andrei Zhdánov denunciara en su momento este giró en la cultura occidental y de la izquierda francesa. Al comentar la obra de Jean-Paul Sarte en su curso Sobre la historia de la filosofía, Zhdánov señalaba como esta figura izquierdista de primera línea en Europa alababa el Diario de un ladrón del criminal homosexual Jean Genet: un libro que comenzaba declarando que su tema seria “la traición, el robo y la homosexualidad”, para finalmente acabar en la depravación y el nihilismo. Zhdánov vería en ello el desplome de la filosofía occidental, última consecuencia del cosmopolitismo burgués: la destrucción de toda moral y de relación social en defensa de las pasiones individuales y la estética. “Hoy”, escribía Zhdánov, “esas filosofías se presentan bajo una forma nueva, particularmente repugnante, reflejando toda la profundidad, toda la bajeza, toda la villanía de la decadencia burguesa. Los «souteneurs» y los criminales de derecho común en filosofía significan, evidentemente, el límite de la ruina y de la descomposición” (8).

Frente a este panorama, resulta bastante significativo que hoy esté apareciendo una nueva generación de autores izquierdistas que, distanciados de los medios de comunicación y exiliados de las academias, han comenzado a denunciar este devenir de la Nueva Izquierda, convertida para muchos de ellos en uno de los pilares centrales del sistema capitalista globalizado y defendida por un grupo de gurús intelectuales enemigos de las causas populares. Mientras Daniel Cohn-Bendit y Bernard-Henry Lévy – protagonistas de Mayo del 68 y grandes héroes de la izquierda libertaria – se dedican ahora a denunciar como fascistas todos los movimientos contestatarios – caso de los chalecos amarillos en Francia y el crecimiento de las olas populistas en el Primer Mundo –, otros han decidido regresar a las causas originales del comunismo y abrazar los movimientos populistas dirigidos contra el sistema. Este viejo estandarte ha sido alzado una vez más por autores como Jean-Claude Michéa, Constazo Preve, Diego Fusaro, Adriano Errigel y Kevin Boucaud-Victoire, quienes han decidido dejar de lado cualquier cooperación con la izquierda fucsia y multicolor para más bien plantearse la pregunta contraria y necesaria: ¿cuáles serán los presupuestos de la actual lucha contra el cosmopolitismo burgués como último elemento de la alienación sistemática de lo social y la cultura? Para esta izquierda populista, la lucha contra el capitalismo ya no puede pasar por el deseo deconstruccionista de la anarquía individual y el abandono de todo contenido social, antes bien se trata de una nueva contestación que pretende rescatar del olvido todo aquello desechado por la Nueva Izquierda en el transcurso del siglo XX.  Si la Nueva Izquierda abandonó el socialismo y afirmó, por el contrario, el libre mercado y la libertad individual a favor de proyectos individuales de “experimentación del yo”, la izquierda populista propone más bien “la síntesis entre las ideas de izquierda y los valores de la derecha en nombre del interés nacional”. Es decir, el rescate del “trabajo, la solidaridad, la defensa de los débiles, la comunidad” junto con “la familia, la patria, el Estado, el honor”, tal y como afirma actualmente el filósofo italiano Diego Fusaro (9).

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Esta nueva brecha, que pareciera estarse formando en la izquierda europea, nos pone frente a una disyuntiva: una defensa a ultranza de la globalización y el neoliberalismo, amparada en la postmodernidad como la ideología global de una multitud imperial sin rostro o contenido, o por el contrario la defensa de un nacional-populismo que se enfrenta al cosmopolitismo y reclama una defensa del trabajo frente al capitalismo financiero y de los valores nacionales frente al universalismo. Semejante división, sin embargo, recuerda a otra que ya había sucedido en el pasado, cuando la socialdemocracia y el socialismo moderado europeo había adoptado el programa del reformismo, dejando la bandera de la revolución y la lucha violenta al socialismo nacionalista, que se encarnó en el sindicalismo y los movimientos nacionales. Ante estos nuevos devenires políticos, la izquierda europea tendrá que enfrentar una disyuntiva que parece estarse transformando en una guerra civil en su interior.

Notas:

1. Entrevista a Daniel Zamora, “Peut-on critiquer Foucault?”, en la revista electrónica Bastiat, https://www.revue-ballast.fr/peut-on-critiquer-foucault/

2. France: Defection of the Leftist Intellectual

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mercredi, 04 décembre 2019 | Lien permanent | Commentaires (2)

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