Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : Patrimoine

Le ”greenfare state” remplace l'Etat-Providence et affame les citoyens

JFU3UU6PY2BAHI7GM3FLH52CH4.jpg

Le "greenfare state" remplace l'Etat-Providence et affame les citoyens

par Claudio Conti & Guido Salerno Aletta

Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/25763-claudio-conti-guido-salerno-aletta-il-greenfare-state-sostituisce-il-welfare-e-affama-i-popoli.html

Quand on entend dire que "la dette publique est trop élevée" et qu'il faut donc "réduire les dépenses publiques", il est certain qu'un transfert massif de richesses en provenance des poches des plus pauvres (salariés, retraités, jeunes chômeurs) vers celles des plus riches est en train de se préparer.

Le gouvernement Meloni n'est pas différent de ses prédécesseurs en cela, il ajoute simplement une touche supplémentaire de connerie, accompagnée d'un bruit sourd de matraques.

Mais la stratégie économique est la même dans tout l'Occident néolibéral - autrement dit la zone euro-atlantique - depuis près de deux décennies. Les politiques budgétaires des États doivent être marquées par la plus grande austérité possible.

Ce qui signifie en fait : des dépenses inutiles, voire nuisibles, pour maintenir un certain niveau de bien-être, aidant ainsi à la fois la partie faible de la population et la production pour le marché intérieur.

Le "plus grand bien-être" de la population se manifeste en fait par une plus grande consommation au niveau du "caddie" et d'autres biens qui sont de toute façon nécessaires à la vie socialement établie (machines à laver, réfrigérateurs, voitures, meubles, etc.). Bref, une partie du monde de l'entreprise y gagne aussi...

Mais cette austérité est à sens unique. C'est Mario Draghi qui, il y a quelques années, a théorisé une différence radicale entre la "mauvaise dette" (celle qui est destinée aux dépenses sociales) et la "bonne dette" (plus indéterminée, selon lui).

Et en effet, si l'on regarde les conséquences des politiques d'austérité sur les budgets publics, même sous la férule de "commissaires" comme Monti et Draghi, on constate que la dette publique n'a cessé d'augmenter, malgré des coupes sombres dans les soins de santé, les écoles, les retraites et l'aide sociale en général.

1200x630c50.jpg

61FC5trsPJL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

Un éditorial fulminant du toujours acerbe Guido Salerno Aletta, paru cette fois sur TeleBorsa, capture avec une précision chirurgicale les deux politiques opposées qui ont caractérisé l'ensemble de la "zone euro-atlantique" depuis la "grande crise" de 2007-208: "alors que la politique budgétaire a été particulièrement sévère, avec le Fiscal Compact imposant un équilibre structurel, la politique monétaire a été particulièrement accommodante avec des taux zéro et des injections continues de liquidités.

Le mécanisme se répète lorsque l'objectif stratégique devient le financement et le développement de la soi-disant "transition écologique", pour laquelle les entreprises ne sont pas prêtes à investir un seul centime de leurs bénéfices. Et ne parlons pas de l'augmentation obligatoire des dépenses militaires, exigée par l'OTAN et gérée par l'Union européenne, qui pèse évidemment entièrement sur les dépenses publiques (et donc sur la dette).

Bien sûr, pour éviter que les comptes publics n'explosent, ces injections substantielles de "bonne dette" (n'est-ce pas, Draghi ?) devront être compensées par des coupes sombres dans la "mauvaise dette", selon l'équation bien connue.

"Il ne s'agit plus de financer par le déficit l'État-providence, les dépenses sociales en matière de santé, d'éducation, de logement, d'aide sociale : c'est autant d'argent retiré du marché. C'était autant de chiffre d'affaires en moins pour les particuliers, autant de bénéfices en moins pour l'État."

Aujourd'hui, au contraire, il s'agit de financer une soi-disant "quatrième révolution industrielle" : le risque est grand, et il est bon que les États y mettent aussi de l'argent, en s'endettant. De toute façon, si les choses tournent mal, ils pourront toujours augmenter les impôts ou mettre en place un beau patrimoine". Ce qui change, en somme, ce n'est pas le montant des dépenses publiques (qui, au contraire, augmente plutôt qu'il ne diminue), mais la raison et l'objectif pour lesquels l'État dépense.

C'est pour cela qu'il y a tant de silence malgré l'augmentation de la dette publique: cela arrange ceux qui veulent profiter de la transition énergétique et écologique pour entrer sur le marché et faire de l'argent".

Et quoi de plus prometteur, pour les capitaux privés, qu'une "révolution industrielle" financée par l'État, dans laquelle les "particuliers" se voient confier la "lourde tâche" d'engranger des profits tendanciellement infinis sans prendre le moindre risque ?

Bonne lecture.

P.s. Il est absolument certain qu'il faut agir dès hier pour changer radicalement le modèle de développement afin de le rendre "compatible" avec la survie de l'humanité sur cette planète. Et il est donc absolument certain qu'il faudra beaucoup d'investissements pour réaliser ce changement, révolutionnaire par son ampleur et sa logique.

Mais si le bâton de commandement reste entre les mains des "entrepreneurs", l'issue décrite ici est la seule possible : inutile pour l'humanité et la planète, dramatique pour les figures sociales les plus faibles, juteuse pour le profit privé.

* * * * *

1200grplx675.jpg

Mais l'État providence convient au marché

Guido Salerno Aletta - Agenzia Teleborsa

L'histoire, c'est faire et défaire.

En 2012, à peine la tempête sur la zone euro passée, deux stratégies de politique économique totalement opposées ont été adoptées: alors que la stratégie budgétaire était particulièrement sévère, avec le Fiscal Compact imposant un équilibre structurel, la stratégie monétaire était particulièrement accommodante, avec des taux zéro et des injections continues de liquidités.

La raison en est la suivante: la politique monétaire devait corriger les effets négatifs de la politique budgétaire, qui affectait également les prix, provoquant leur chute. Si les prix baissent, tout s'arrête: ceux qui produisent se retrouvent à vendre à des prix inférieurs à ceux auxquels ils ont acheté les matières premières.

La crise qui a frappé la zone euro a été provoquée par une série de faillites systémiques: l'Irlande, la Grèce, le Portugal et l'Espagne ont vu leurs comptes extérieurs s'effondrer en raison d'une exposition excessive aux dettes bancaires et publiques.

L'Italie, quant à elle, avait une dette publique élevée, une balance commerciale passive et une position financière extérieure nette très endettée.

L'assainissement des budgets publics, accompagné d'une politique monétaire accommodante, a été interrompu par la pandémie de 1920-21, lorsque les États ont assumé des dépenses très élevées pour contrer les effets récessifs du blocus économique.

Un autre facteur extrêmement perturbant est la poussée inflationniste qui débute au printemps 21: la reprise de l'économie, compte tenu de la fin des restrictions imposées par les gouvernements pour limiter la contagion, s'accompagne d'une hausse vertigineuse des prix.

Les producteurs de matières premières et les spéculateurs sur les marchés internationaux attendaient la bonne occasion pour revenir sur le devant de la scène.

Un autre facteur est encore plus important: le défi de la transition énergétique, qui s'impose comme la seule condition de survie de la vie sur la planète, impose des investissements colossaux aux entreprises et des dépenses tout aussi énormes et irrécupérables aux citoyens et aux familles.

C'est pour faire face à ce défi que le rôle des États est redevenu central: tout a commencé avec la "taxe carbone", avec l'institution de taxes spécifiques sur la production et la consommation considérées comme négatives du point de vue environnemental, visant à les dés-inciter et à financer des investissements et des achats de biens compatibles avec les objectifs environnementaux.

Il existe donc une corrélation directe entre les politiques environnementales et les budgets publics: dans tous les cas, lorsqu'il serait trop complexe et impopulaire d'imposer des taxes environnementales, par exemple en augmentant le prix de l'essence ou du diesel, des interdictions à terme sont créées: à partir de 2035, par exemple, l'Union européenne a déjà prévu que les voitures à moteur à combustion interne ne pourront plus être vendues. Cela permet de forcer la transition vers la voiture électrique en offrant immédiatement des incitations fiscales à leur achat.

Toute la transition repose sur des politiques publiques contraignantes d'une part et sur des budgets publics qui agissent comme une pompe: pour les marchés, mais uniquement à ces fins, les déficits et les dettes publiques ne font plus peur.

Il ne s'agit plus du financement du déficit de l'Etat-providence, des dépenses sociales en matière de santé, d'éducation, de logement, d'aide sociale: c'est autant d'argent soustrait au marché. C'était autant de chiffre d'affaires en moins pour les particuliers, autant de profits en moins pour l'Etat.

Aujourd'hui, au contraire, il s'agit de financer une soi-disant "quatrième révolution industrielle": le risque est grand, et il est bon que les États y mettent aussi de l'argent, en s'endettant. De toute façon, si les choses tournent mal, ils peuvent toujours augmenter les impôts ou mettre en place un beau patrimoine.

C'est pour cela qu'il y a tant de silence malgré l'augmentation de la dette publique : cela arrange ceux qui veulent profiter de la transition énergétique et écologique pour entrer sur le marché et faire de l'argent.

Mais les risques financiers, les vrais, doivent être supportés par les États : il faut sauver l'Humanité.

L'humanité doit être sauvée. Ou pas ?

Lire la suite

samedi, 24 juin 2023 | Lien permanent

Guillaume Faye vs Alexander Douguine (Français)

eurasia.png

Guillaume Faye vs Alexander Douguine

Constantin von Hoffmeister

Source: https://eurosiberia.substack.com/p/guillaume-faye-vs-alexander-dugin

Guillaume Faye était un philosophe politique et écrivain français qui a inventé le terme Archéofuturisme, qui désigne une synthèse d'idées anciennes et futuristes. Faye pensait que la mondialisation et l'immigration de masse menaçaient le patrimoine culturel et historique de l'Europe et qu'une nouvelle vision était nécessaire pour assurer la survie de la civilisation européenne.

L'attitude de Faye repose sur la préservation des traditions européennes tout en adoptant la technologie et l'innovation. Il a imaginé un monde dans lequel l'Europe perfectionnera sa propre espèce, colonisera l'univers et construira des vaisseaux spatiaux portant le nom de dieux païens. Cette vision est influencée par son concept d'Eurosibérie, un bloc de pouvoir allant de Dublin à Vladivostok, partiellement inspiré des idées du penseur belge Jean Thiriart. Thiriart pensait qu'une Europe unifiée en tant qu'entité géopolitique et culturelle, basée sur le concept d'un super-État européen unifié qui serait suffisamment fort pour rivaliser avec les États-Unis et l'Union soviétique à l'époque de la guerre froide, servirait non seulement de contrepoids aux puissances dominantes de l'époque, mais constituerait également un moyen plus efficace de préserver le patrimoine culturel et l'identité de l'Europe, qu'il percevait comme étant menacés.

La_grande_guerre_des_continents.jpg

Alexander Douguine est un philosophe politique et activiste russe controversé, connu pour son soutien à l'eurasisme, une idéologie géopolitique qui cherche à unir la Russie à d'autres pays de la région eurasienne afin d'établir une "civilisation eurasienne" contre l'Occident. L'archéofuturisme de Faye s'oppose à l'eurasianisme d'Alexandre Douguine dans le domaine de la philosophie politique. La vision de Faye souligne l'importance de préserver les valeurs traditionnelles et les traditions de l'Europe, qui remontent à la Grèce antique et à l'Empire romain. Il soutient que les idées des Lumières, telles que l'individualisme et la laïcité, ont érodé ces traditions et constituent une menace pour la pérennité de la culture européenne. Douguine, quant à lui, critique l'idée d'une suprématie culturelle européenne et privilégie plutôt un monde multipolaire dans lequel diverses civilisations, dont la Russie et la Chine, peuvent coexister et coopérer.

Les États-Unis étant essentiellement une entité du domaine civilisationnel européen, Faye les considère comme un adversaire plutôt qu'un ennemi. Il met en garde contre les dangers de négliger les idéaux et les traditions de l'Europe et considère la notion d'eurasisme de Douguine comme une menace pour la survie de la civilisation européenne. Douguine, quant à lui, considère l'Occident, qui comprend l'Europe et les États-Unis, comme le principal ennemi et affirme que ses valeurs libérales mettent en danger la survie des autres cultures. Il estime que les Etats-Unis incarnent tout ce qui ne va pas dans le monde moderne et rejette entièrement le concept de suprématie culturelle occidentale.

4100RM9CQYL.jpg

Faye et Douguine ont des points de vue opposés sur l'implication de la Russie en Europe. Faye pense que la Russie devrait être membre d'un bloc de pouvoir eurosibérien s'étendant de l'Atlantique au Pacifique, qui serait une entité politique et économique autosuffisante ayant une influence mondiale. Compte tenu de leurs liens culturels et historiques communs, Faye considère la Russie comme un allié naturel de l'Europe et estime que la coopération entre l'Europe et la Russie est essentielle pour l'avenir de la culture européenne. Douguine, en revanche, estime que dans un monde multipolaire, la Russie devrait en prendre la tête en tant qu'unificatrice du cœur de l'Eurasie. Il s'oppose au concept d'une Eurosibérie unifiée (ou "Euro-Russie") en faveur d'un ordre mondial plus fragmenté, dans lequel diverses civilisations coopèrent et se font concurrence. Douguine considère la Russie comme un contrepoids à l'hégémonie culturelle de l'Occident et estime qu'elle doit se battre pour faire avancer les intérêts du monde dit "non occidental".

2cf12bbf49add4e61fbc0f7200841f4a96f2f1df789be8fd555c2b3bde688730.jpg

Dans son livre Archéofuturisme, Faye discute du transhumanisme. Il examine le potentiel de la technologie à transformer l'humanité et la société tout en mettant en garde contre les dangers d'une foi aveugle dans le progrès technologique. Faye soutient que, si le transhumanisme a le potentiel de faire progresser la médecine et la longévité de manière significative, il comporte également le risque de déshumaniser et de chosifier les individus. Faye prévient également que le transhumanisme pourrait exacerber les inégalités sociales existantes, car seuls les riches peuvent s'offrir des technologies avancées. Douguine a mentionné le transhumanisme dans un certain nombre d'ouvrages, dont son livre La quatrième théorie politique. Douguine critique le transhumanisme comme une idéologie qui aspire à remplacer l'être humain traditionnel par une créature post-humaine technologiquement améliorée, menant finalement à l'abolition de l'humanité telle que nous la connaissons. Le transhumanisme, dit-il, est un symptôme de la fixation du monde moderne sur le progrès technique, qui a entraîné la déshumanisation de la société et l'érosion des valeurs conventionnelles. Douguine soutient que le transhumanisme est une vision du monde néfaste et nihiliste qui menace le destin de l'humanité.

Le conflit entre les visions de Faye et de Douguine illustre le désaccord plus important entre leurs perspectives sur la signification de la tradition et de l'héritage dans le monde moderne. Alors que Faye croit en la nécessité de préserver l'héritage culturel et historique de l'Europe et considère que les Etats-Unis se sont éloignés de leur matrice européenne, Douguine rejette entièrement l'idée de la supériorité culturelle de l'Europe et considère les Etats-Unis comme une menace pour les autres civilisations. Malgré leurs perspectives différentes sur la place de la Russie, Faye et Douguine s'accordent à dire que l'ordre mondial actuel est contrôlé par les valeurs libérales occidentales, qui doivent être remises en question. Faye pense qu'une Europe et une Russie unies sont nécessaires pour combattre cette suprématie, tandis que Douguine soutient un ordre mondial plus fragmenté dans lequel diverses civilisations coexistent pacifiquement. Enfin, leurs perspectives divergentes sur l'implication de la Russie reflètent un différend plus large sur la meilleure approche pour conserver et développer l'héritage culturel et historique de leurs régions.

douguine2.jpg

Une nouvelle vision de l'Europe peut être produite en combinant les concepts de Faye et de Douguine. Tout en acceptant le progrès technologique, cette vision met l'accent sur la préservation de l'héritage culturel et historique de l'Europe. Le concept de Großraum de Carl Schmitt est utilisé pour imaginer l'Europe comme un espace high-tech de grande taille. Dans cette vision, l'Europe serait membre d'un ordre multipolaire, interagissant poliment avec les autres civilisations. La combinaison de l'accent mis par Faye sur la continuité culturelle et du point de vue multipolaire de Douguine permet à l'Europe de conserver son caractère propre tout en favorisant un ordre mondial plus harmonieux et pacifique. La difficulté, cependant, est de concilier ces points de vue apparemment contradictoires. Il est essentiel de résoudre ce dilemme si l'Europe veut jouer un rôle clé dans le façonnement de l'avenir du monde. Au lieu d'être identifiée par son passé colonial ou sa suprématie culturelle, la vision proposée présente l'Europe comme un leader en matière de technologie et d'innovation.

Merci de lire Eurosiberia ! Abonnez-vous gratuitement pour recevoir les nouveaux articles et soutenir mon travail.

Constantin est sur Twitter, Telegram et Substack. Suivez-le et abonnez-vous !

Twitter: @constantinvonh

Telegramm: https://t.me/eurosiberia1

Substack: https://eurosiberia.substack.com
Eurosiberia

Lire la suite

samedi, 04 mars 2023 | Lien permanent | Commentaires (1)

Trois notes de lecture de Daniel Cologne: Jean Rogissart, Louis Quièvreux, Bernard Baritaud

5edf6e0648d98_nuit_de_la_lecture-4042071.jpg

Trois notes de lecture de Daniel Cologne

Jean Rogissart : une saga ardennaise

par Daniel COLOGNE

Il y a le cycle des Rougon-Macquart d’Émile Zola, celui des Salavins de Georges Duhamel, des Thibault de Roger Martin du Gard. La littérature française est traversée par un courant romanesque où l’objectif de l’écrivain est d’embrasser l’histoire d’une famille sur plusieurs générations. On en trouve une trace jusque dans les lettres françaises de Belgique, avec Les temps inquiets de Constant Burniaux (1892 – 1975), romancier et poète injustement oublié.

rogissart_jean_reduit.jpgJean Rogissart n’est pas totalement méconnu et l’étude universitaire qui lui a été consacrée, à Dijon, en 2014, pourrait être le point de départ d’une reconnaissance posthume bien méritée.

L’élection des premiers députés socialistes à Charleville et Sedan vers 1900 inspirent à l’auteur de pertinentes réflexions sur « certaines manœuvres politiciennes » et sur « les dérives bourgeoises survenant même parmi les forces de gauche ».

Tout au long des quatre générations dont Jean Rogissart déroule le parcours, revient le problème « de l’engagement face à ce qui pèse sur l’homme : injustices sociales, guerres », l’obsédante interrogation sur l’attitude qu’il faut opposer aux malheurs qui accablent l’humanité.

Dans le sixième tome intitulé L’orage de la Saint-Jean, Rogissart évoque l’offensive allemande de mai 1940. « Vers minuit on frappe à notre porte; on frappait à toutes les portes. C’était lugubre ces chocs sourds dans le silence. Accompagné du secrétaire de mairie, le garde-champêtre avertissait les habitants. Par ordre supérieur nous devions quitter le village avant cinq heures du matin. Tous les ponts de la Meuse sauteraient alors que les retardataires seraient bloqués sur la rive droite. »

orage-zx1200.jpg

Du point de vue idéologique, le point culminant de cette saga familiale ardennaise se situe dans le deuxième volume, dont le titre Le temps des cerises se réfère à la chanson que Jean-Baptiste Clément aurait composé sur les barricades de la Commune de Paris. Ce dernier est de passage dans la région ardennaise. Mythe ou réalité ? Peu importe, car le socialisme qu’il y propage ne considère pas la religion comme un « opium du peuple ». La croyance en Dieu y est présentée comme l’aboutissement du processus par lequel « l’homme rompt ses chaînes millénaires » et abolit l’esclavage…

C’est à cette condition que la Providence divine devient crédible et le message philosophique de Jean Rogissart couronne une œuvre s’inscrivant dans une des plus riches veines du roman français.

Les trois patries de Louis Quièvreux

par Daniel COLOGNE

Originaire du Hainaut, le militaire de carrière et capitaine – commandant d’infanterie Joseph Quièvreux épouse Marie-Josèphe Vandenotelaar, une corsetière de la banlieue Ouest de Bruxelles. De leur union naît un fils prénommé Louis, le 15 mai 1902. Louis Quièvreux obtient son diplôme d’instituteur à l’école normale Charles-Buis, un établissement bruxellois réputé pour la formation des enseignants de niveau primaire.

Dictionnaire_anecdotique_de_Bruxelles.jpg

Dès 1924, Louis Quièvreux abandonne l’enseignement et se dirige vers le journalisme où l’attend une fructueuse carrière sous son patronyme et sous le nom d’emprunt de Pierre Novelier. À la faveur d’une place obtenue dans un concours organisé par La Dernière Heure, Louis Quièvreux est enrôlé par le quotidien bruxellois. Il y signe ses premiers billets, où il touche les sujets les plus divers, d’une campagne contre la vivisection à des comptes-rendus de procès retentissants en passant par des notes sur la vie bruxelloise. À partir de 1925, il devient un collectionneur acharné de tout ce qui se rapporte à l’histoire et au folklore de la capitale.

En 1946, Louis Quièvreux est embauché par La Lanterne (aujourd’hui La Capitale), autre quotidien bruxellois pour lequel il recense le procès de Nuremberg. Durant de nombreuses années, les lecteurs de La Lanterne se régalent de la chronique journalière que Louis Quièvreux intitule « Ce jour qui passe » et où il évoque, dans un style mêlant harmonieusement l’humour, la nostalgie et le pittoresque, les multiples facettes du patrimoine populaire bruxellois.

Germaniste polyglotte maîtrisant le néerlandais et l’anglais, Louis Quièvreux donne des conférences sur les ondes de Radio Munich, devient le correspondant européen de plusieurs journaux britanniques et travaille en qualité d’« European reporter », pour la National Broadcasting Corporation de New York (1937 – 1940).

51tH6fYyZLL.jpgSa connaissance de la langue de Shakespeare, dont il compile un certain nombre d’extraits, s’accompagne d’une spécialisation, dans l’univers institutionnel britannique, auquel il consacre un de ses premiers ouvrages. Son inlassable curiosité intellectuelle le plonge dans les traditions artistiques d’Espagne. Il se taille une réputation d’érudit en matière de guitare et de flamenco.

Louis Quièvreux passe les vingt dernières années de sa trop brève existence à Uccle, rue Henry-van-Zuylen, dans un chalet suisse du XIXe siècle. Il cherche son inspiration au pied de l’impressionnant tilleul qui se dresse au milieu du jardin. Mais une autre maison est aussi chère à son cœur que le Mont des Arts au cœur de Bruxelles, pour reprendre le titre d’un de ses meilleurs livres. C’est la fermette ancestrale de Frasnes-les-Buissenal, le village hennuyer de sa famille. Rongé par la maladie, Louis Quièvreux lui rend une ultime visite vers la mi-octobre 1969. Ce dernier pèlerinage lui inspire un « billet poignant » dans Le Peuple du 22 octobre 1969. « Au revoir, petite maison » paraît sous la plume de Pierre Novelier, dans Le Soir, au lendemain de son décès.

Louis Quièvreux s’en est allé le 19 octobre 1969, avec sa coutumière discrétion, par un beau dimanche ensoleillé où l’inexorable déclin de la nature n’était perceptible qu’au travers d’un léger vent d’automne.

Louis Quièvreux symbolise une quête identitaire citadine (certains quartiers spécifiques de Bruxelles) et revendique en même temps une appartenance à une Europe inscrite dans un triangle géographique pointé sur les Îles britanniques, la Bavière et l’Andalousie. Il illustre l’opulence méconnue du patrimoine littéraire de l’Ouest bruxellois. Bruxelles, la Belgique et l’Europe : telles sont les trois patries (charnelle, historique et idéale) de Louis Quièvreux.

Après s’être illustré dans la résistance durant la Seconde Guerre mondiale, Louis Quièvreux entame un quart de siècle d’intense production littéraire, dont voici un aperçu: Flandricismes et wallonismes dans la langue française, L’île anglaise et ses institutions, The Best Extracts from Shakespeare, Guide de Bruxelles, Recueil d’histoires sur le folklore bruxellois, Dictionnaire des dialectes bruxellois, Histoire des enseignes bruxelloises, La belle commune d’Uccle, Les impasses de Bruxelles (en collaboration avec Robert Desart), Anthologie de Couroble, Marolles, cœur de Bruxelles, Le Mont des Arts cher à nos cœurs, Des mille et un Bruxelles, Bruxelles notre capitale.

Bernard Baritaud : le gaullisme en héritage

par Daniel COLOGNE

Né en 1938 à Angoulême, Bernard Baritaud fréquente l’université de Poitiers, la ville où résident ses parents. Il y étudie les lettres classiques, notamment avec le professeur Bardon, dont j’ai moi-même entendu parler en 1966 par un de ses collègues latinistes bruxellois.

bernard_baritaud.jpg

Bernard Baritaud vit d’ailleurs actuellement dans la capitale flamande, belge et européenne. Il a toujours entretenu des relations avec la Belgique. Il a publié ses premiers poèmes dans la revue bruxelloise Le Taureau. Il a enseigné à l’école européenne de Mol (Limbourg), un établissement réservé aux enfants des fonctionnaires de la CEE (Communauté économique européenne), selon la dénomination de l’époque. Cette année 1964 marque le début de nombreuses pérégrinations professionnelles qui le conduiront en Grèce et au Sri Lanka.

9782867144882_1_75.jpgCo-auteur de trois romans policiers, Bernard Baritaud peut s’enorgueillir d’une opulente bibliographie où figurent cinq recueils poétiques, des journaux intimes, des livres de souvenirs et un ouvrage de critique littéraire consacré à Pierre Mac Orlan aux éditions Pardès dans la collection « Qui suis-je ? » dont il est un incontestable spécialiste. Balzac, Drieu la Rochelle et Paul Morand garnissent sa riche galerie d’écrivains préférés, sans oublier Stendhal dont Lucien Leuwen est selon lui le chef-d’œuvre.

Bernard Baritaud laisse un testament politique paru en 2018 aux éditions du Bretteur. Je me souviens du Général évoque l’exercice du pouvoir de Charles De Gaulle, dont le solde lui paraît « grandement positif », à l’exception du printemps 1962, de la fin tragique de la guerre d’Algérie, du « train fou s’emballant jusqu’à la catastrophe finale pour les Pieds-Noirs ».

Il salue aussi en De Gaulle un « mémorialiste de haute tenue » et il se souvient que lorsqu’il était étudiant à Poitiers, il avait fait encadrer et placer la photo du Général au-dessus de son bureau. Il garde enfin « le souvenir ébloui de la mer des Antilles » et de Pointe-à-Pitre, où il fit son « service militaire adapté », une alternance d’enseignement en civil et de prestation en uniforme, le tout étalé sur une période de vingt-deux mois.

Le style de Bernard Baritaud se colore de lyrisme exotique lorsque revient à sa mémoire le « jaillissement des poissons volants, traits de lumière rasant les vagues aussitôt aspirés par l’écume ».

 

 

Lire la suite

mardi, 11 janvier 2022 | Lien permanent

La crise du symbolique et la nouvelle économie psychique

fatherfig.jpg

La crise du symbolique et la nouvelle économie psychique

par Anne Bussière

Ex: http://fortune.fdesouche.com

En passant de l’économie industrielle du XIXè siècle à l’économie financière du néolibéralisme, nous sommes passés d’une économie de la névrose, bâtie sur le refoulement, à une économie de la perversion fondée sur la jouissance.

L’économie industrielle s’achève en août 1971 avec la fin de l’étalon or et l’auto-régulation du Marché. Simultanément, on constate au niveau sociétal un effacement de l’étalon phallus – cette instance symbolique qui régule le manque et permet la subjectivation de l’individu – dont le déclin, il convient de le dire, s’est amorcé au siècle des Lumières ; l’individu doit désormais s’auto-réguler en dehors de toute référence symbolique, ce qui génère une nouvelles économie psychique donnant libre cours à la jouissance aux dépens du désir. On constate que les mêmes mécanismes sont à l’œuvre dans l’économie financière et dans la nouvelle économie psychique, soit le déni du réel au profit du virtuel et de l’imaginaire.

Cependant, cette thèse concernant la nouvelle économie psychique, partagée par la majorité des freudo-lacaniens, est remise en question par un certain nombre de psychanalystes. Ces derniers contestent la prééminence de l’étalon phallus dans la construction de la subjectivité et pointent l’instrumentalisation de ce concept en vue de préserver la domination masculine. Dans cette perspective, les détracteurs de l’étalon phallus dénoncent une stratégie qui consiste à transformer un fait historique et culturel en donnée anthropologique universelle ; ils annoncent la fin du dogme paternel et plaident pour de nouvelles formes de paternalité.

On remarquera la contradiction dans laquelle se trouvent les détracteurs du néolibéralisme économique qui, par ailleurs, plaident pour la suppression de l’étalon phallus et pour une économie psychique émancipée de toute référence symbolique au manque. Soutenir une telle posture c’est ignorer le rapport entre l’infra structure et la super structure

La question du patrimoine et de la transmission qui nous occupe aujourd’hui engage celle du père. Chacun sait que dans la société traditionnelle patriarcale le patrimoine est transmis par le Père. Or, il se trouve que la figure paternelle est sérieusement mise à mal dans notre société dite postmoderne. Il est donc légitime de se poser les deux questions suivantes : le père est-il encore en capacité de remplir sa fonction de transmission ? Dans le cas contraire, quelles sont les conséquences de ce déficit sur l’économie psychique du sujet ?

Le discours sur le déclin du Père, ses causes et ses conséquences, fait l’objet depuis un certain nombre d’années d’un débat animé opposant les psychanalystes freudo-lacaniens de stricte obédience et les psychanalystes dissidents, les philosophes, historiens, sociologues et bien évidemment les mouvements féministes ; pour les uns : « il y aurait péril en la demeure », car ce déclin signerait la fin du monde, pour les autres, ce discours ne serait en fait qu’une stratégie de défense destinée à voler au secours d’un patriarcat chancelant sur le point de perdre le trône qu’il occupe depuis plusieurs siècles.

Avant d’aborder ces deux thèses adverses, je voudrais mettre l’accent sur le lien de cause à effet existant entre la dérégulation financière qui caractérise l’économie de ces cinquante dernières années et la dérégulation de l’économie psychique. On observera en effet que le néolibéralisme économique, dans sa phase ultime d’économie financière, comme le montre Edmond Cros (Voir, dans les mêmes Actes : « Du capitalisme financier aux structures symboliques – Á propos de deux idéologèles [ Temps réel, Réalité virtuelle] ») se fonde sur la disparition de l’étalon-or ; cette dernière entraîne la dérégulation des monnaies, la soi-disant auto-régulation des marchés et la mutation profonde de l’économie que l’on peut désormais qualifier de financière et virtuelle.

Simultanément, on constate les effets produits sur la super-structure et notamment sur l’économie psychique de l’individu par cette mutation de l’infra-structure. De fait, la disparition de l’étalon-or entraîne celle de son équivalent psychique que je nommerai « l’étalon-phallus », soit l’instance phallique ou encore la fonction paternelle ; on observe, en l’absence de ces repères, une dérégulation des normes sociales et culturelles et, à la suite, ce que les uns qualifieront de dysfonctionnement de l’économie psychique du sujet, tandis que d’autres n’y verront que de simples mutations historiques.

On observe que les deux thèses s’accordent quant au constat sur le déclin du Père, mais qu’elles en tirent des conclusions opposées. Je m’attacherai donc à développer successivement les deux argumentaires en mettant l’accent sur l’essentiel du débat, à savoir : quelle part, dans ces bouleversements ou simples évolutions, selon le point de vue, revient à la dimension anthropologique de l’être humain ou à sa dimension historique et culturelle ? Quel est l’objet de la transmission dans la société patriarcale ? Le Père assure-t-il cette fonction dans la société actuelle dite post-moderne et si non, quelles sont les conséquences et les effets produits sur l’économie psychique de l’individu ?

Le_cigare_de_Lacan.gifRappelons que pour les psychanalystes freudo-lacaniens l’instance phallique ou encore le langage instituent, régulent et transmettent le manque. En effet, la théorie de Jacques Lacan, et c’est là l’essentiel de son apport à la théorie freudienne, développe la thèse du rôle fondateur du langage dans la subjectivation du sujet. Dans cette perspective, le langage médiatise le rapport du sujet au monde et à soi-même ; il est mis en place non par l’objet mais par le manque de l’objet, le premier objet qui vient à manquer étant la mère. Le renoncement à l’objet aimé est donc la condition pour que l’être parlant puisse s’accomplir, il institue une limite qui entretient le désir. Il s’en suit que tout être humain doit s’accomoder d’une soustraction de jouissance, ce renoncement servant de fondement au désir et à la Loi. Dans l’expérience de la castration, en effet, l’enfant doit renoncer à la « Toute- jouissance » de la mère et donc à sa propre « Toute –puissance ».

Dans ces conditions, ce qui assure la transmission chez l’être humain c’est non seulement les gènes mais les signifiants dont le réseau instaure une distance irréductible par rapport à l’objet, un vide qui constitue le sujet (Lebrun :2007 p.55). Pour Lacan, le langage n’est pas un simple outil, il est ce qui subvertit la nature biologique de l’humain et fait dépendre notre désir de la langue. L’aptitude à la parole se paye d’un prix : parce qu’il doit passer par le défilé des signifiants, le désir humain est condamné à la seule représentation. Le langage donc inscrit la perte, il met fin au rapport fusionnel avec la mère et au régime de la jouissance ; il fonde l’économie du désir et ouvre à l’altérité. « L’étalon phallus », soit encore le langage, ou la métaphore paternelle, a pour mission de transmettre du manque, d’imposer une soustraction de jouissance.

La postmodernité et l’absence de transmission :

Or, les freudo-lacaniens observent un décrochage entre ce statut anthropologique du langage et les pratiques et discours de notre société postmoderne ; selon eux, ce décrochage affecte l’équilibre psychique de l’individu. Tout se passe comme si notre société ne transmettait plus la nécessité du vide, de sorte que l’objet se substitue à sa représentation et la jouissance au désir.

En effet, nous avons intériorisé le modèle du Marché qui ne connaît pas de limites à l’expansion exponentielle et globalisée du cumul des richesses. De nos jours, pas plus l’économie financière que l’économie psychique collective et individuelle ne font sa place au vide. La société de consommation issue du néo-libéralisme économique cherche avant tout à créer des consommateurs et, dans ce but, elle reproduit le lien fusionnel à la mère en situant le sujet, si tant est que l’on puisse parler de sujet, sous le régime de la dévoration dont le tableau de Goya : « Saturne dévorant ses enfants » est la métaphore parfaite.

L’urgence consommatrice nourrit et remplit sans sevrage, générant le processus de l’addiction, c’est-à-dire la jouissance indéfinie et absolue de l’objet sans médiatisation symbolique. L’objet est possédé et détruit dans l’instant, sans aucun différé, la jouissance s’est substituée au désir et c’est toute la dimension temporelle qui s’en trouve bouleversée. De fait, ce régime suppose l’effacement du futur mais aussi du passé, de l’historicité et donc de la transmission symbolique d’une génération à l’autre : « L’oralité dévorante qui s’est emparée de notre société évoque la rage de se remplir, la crainte du vide. » (Barbier : 2013 p. 169).

Charles Melman à son tour souligne le lien entre l’économie néo-libérale et la nouvelle économie psychique en ces termes : « l’expansion économique a besoin de lever les interdits pour créer des populations de consommateurs avides de jouissance parfaite. On est désormais en état d’addiction par rapport aux objets » (Melman, 2005 p. 71).

Dominique Barbier souligne que le lien social se délite ; ce n’est pas pour autant le triomphe de l’individualisme qui marque notre époque, mais bien plutôt celui de l’égoïsme grégaire. L’égoïste ne cherche que la satisfaction de ses pulsions, alors que l’individu doit être capable de les assumer et de les réfréner en les convertissant en une forme symbolique viable. De nos jours, au sein de la famille, la métaphore paternelle ne fonctionne plus, de sorte que le passage à l’âge adulte est repoussé indéfiniment et la subjectivation compromise ; l’enfant, plus tard l’adolescent, est incapable de renoncer à la Toute-jouissance et à la Toute-puissance. Dominique Barbier parle à ce propos d’une attitude familiale fusionnelle où les places ne sont pas définies par la triangulation oedipienne.

mendelgéreard.jpgGérard Mendel, promoteur de la sociopsychanalyse, observe dans la famille postmoderne le même type de dysfontionnement concernant la traditionnelle triangulation oedipienne. Il analyse le déclin de l’image du père mise en évidence par le mouvement de mai 68 et l’attribue au développement incontrôlé de la technologie dans notre société néo-libérale.

Selon lui, la puissance technologique est ressentie par l’adolescent comme Toute-puissance, ce qui le renvoie aux expériences vécues avec la mère dans la première phase archaïque ; il se trouve que l’image paternelle, traditionnellement associée aux institutions qui fondent la société, est elle aussi indissociable de la puissance technologique ; or, de nos jours, cette dernière est plus forte que les institutions, lesquelles ne défendent plus les valeurs traditionnelles (droit, justice,vérité, liberté). L’adolescent ne dispose donc pas de deux images parentales bien différenciées, l’image du père étant infiltrée par les éléments archaïques de la mère (le chaos, l’inconnu, l’arbitraire) ; en l’absence d’une médiation paternelle, l’adolescent se retrouve dans l’impossibilité d’affronter le conflit oedipien et de renoncer à la Toute-jouissance (Mendel : 1974).

Dans cette perspective, la société de consommation, issue de l’économie néo-libérale et de la dérégulation produit des effets désastreux sur l’équilibre mental des individus. Selon Charles Melman : « nous passons d’une culture fondée sur le refoulement des désirs, et donc de la névrose, à une autre qui recommande leur libre expression et promeut la perversion » (Melman, 2003, p.17).

On a pu constater que le discours sur la perversion fait désormais florès dans les medias : en témoignent les titres de la littérature psychanalytique, psychologique et sociologique : La perversion ordinaire, La fabrique de l’homme pervers et les articles consacrés au pervers narcissique qui envahissent les pages des revues. C’est pourquoi il convient de définir le concept de perversion qui tend à se diluer dans un usage indiscriminé et de revenir à Freud. Ce dernier, en ce qui concerne la perversion fétichiste, arrime le concept au déni de la réalité de la différence des sexes et donc de la castration.

Alors qu’elle perçoit la réalité, la personne qui la dénie se comporte comme si la réalité n’existait pas. A partir de là, on voit bien comment s’articule la perversion sur la non- transmission du manque. Lebrun observe que les nouveaux sujets postmodernes et le pervers stricto sensu ont en commun le même fonctionnement, à savoir le déni du manque : « Ils veulent récuser la modalité de jouissance prescrite par le langage pour pouvoir en prôner une autre non soumise à tous ces avatars qui limitent ladite jouissance […] un mode de jouir où le lien à l’objet n’est plus médiatisé par le signifiant » (Lebrun : 2007, 339). Il souligne encore au sein de la famille une forme de complicité entre les parents et les enfants dans le but de dénier le manque, de l’éviter. Les parents cherchent à éviter le conflit et les enfants en profitent, ils refusent la soustraction de jouissance, revendiquent la Toute-puissance et transgressent la Loi.

mel41JOeYYpanL.jpgSelon Charles Melman, la nouvelle économie psychique consiste dans un rapport spécifique du sujet à l’objet : chez le névrosé, tous les objets se détachent sur fond d’absence, le pervers, quant à lui, se trouve pris dans un mécanisme où ce qui organise la jouissance est la saisie de ce qui normalement échappe. Le comportement addictif en est un symptôme : pousser le plaisir tiré de la possession de l’objet jusqu’à l’extrême de la jouissance (Melman, 2003, 64). En outre, le pervers

Lire la suite

mardi, 31 mars 2015 | Lien permanent

Le connétable des lansquenets

4631f6f69d.jpg

Le connétable des lansquenets

par Georges FELTIN-TRACOL

Dans Le roman vrai d’un fasciste français, une biographie romancée de René Resciniti de Says, vieux militant royaliste maurrassien, Christian Rol rapporte une anecdote révélatrice. « Néné l’Élégant » passe un jour à « La Mère Agitée », un restaurant parisien bien connu de la mouvance. Il dîne non loin de la table de Dominique Venner qu’il n’apprécie guère et avec qui il engage pourtant une vive discussion historique. « Ce soir-là, la conversation dévie sur le Connétable de Bourbon qui avait levé les armes contre la papauté et  François Ier. Ce à quoi Venner était très favorable (1) ».

Toute l’historiographie française officielle fait du Connétable de France l’un de ses principaux traîtres. En 2000, compagnon de route de la « Nouvelle Droite » et professeur d’histoire spécialisé dans les Temps modernes (1492 – 1815), Jean-Joël Brégeon publie une belle biographie de ce mal-aimé (2). Il estime « qu’il y avait nécessité impérieuse de réhabiliter sa mémoire, entreprise qui, jusqu’alors, n’avait pas tenté grand monde. Le réhabiliter ou tout au moins le comprendre, l’analyser sans préjugé et, pour cela, le replonger dans son temps ».

Connétable.jpg

Une puissante lignée féodale

Né en 1490, Charles de Montpensier appartient à une branche cadette des Bourbons. «La maison ducale de Bourbon est l’une des plus anciennes, des plus prolifiques et donc des plus ramifiées de la noblesse française. » Sixième fils de Louis IX dit bientôt « Saint Louis », le comte Robert de Clermont-en-Beauvaisis (dans l’actuel département de l’Oise) épouse Béatrix de Bourbon, l’ultime héritière d’une famille qui prétend descendre des Troyens et des Carolingiens. Par ce mariage, Robert devient le seigneur du Bourbonnais alors que ce « fief [...] était reconnu fief féminin, et ne suivait pas la loi salique excluant les filles de la succession de leur père ». Si leur deuxième fils, Jacques, est « à l’origine de la branche Bourbon – Vendôme qui finit par monter sur le trône de France avec Henri IV » en 1589, leur aîné, Louis Ier de Bourbon, unit son propre fils, Louis II, à « l’héritière du dauphin d’Auvergne [qui] lui permit d’arrondir son patrimoine avec le Forez et le Dauphiné d’Auvergne ». Sous son impulsion, la ville de Moulins devient la « capitale » d’un vaste domaine.

img-1-small517.jpg

Princes de sang aptes à porter éventuellement la Couronne des Lys, les Bourbons dont la devise est « Espérance », participent à la vie du royaume sous les derniers Capétiens directs et sous les Valois. Au XVe siècle, Jean II de Bourbon se montre d’une parfaite loyauté envers Louis XI. Deux de ses frères sont des clercs. Louis est prince-évêque de Liège qui aurait épousé sans aucune autorisation Catherine van Egmond, d’où la branche actuelle non dynaste des Bourbon-Busset. Charles de Bourbon est, pour sa part, l’archevêque de Lyon. Leur sœur, Isabelle, est la femme du «Grand Duc d’Occident», Charles le Hardi, duc de Bourgogne. Elle est donc l’arrière-grand-mère de Charles Quint. Leur plus jeune frère, Pierre de Beaujeu, se voit marié à Anne de France, la fille aînée de Louis XI dont elle a hérité le terrible sens politique.

Jean II de Bourbon n’a pas d’enfant. Or, son domaine forme, « pour reprendre la formule d’un chroniqueur “ un pays nouvellement composé, comme en marqueterie ou mosaïque, de plusieurs pièces rapportées, acquises des seigneurs voisins ”. Au duché de Bourbon étaient venus s’ajouter le Forez, le Beaujolais, l’Auvergne, les Haute et Basse Marches, le Carladès, Murat, Gien, les Dombes... ». Le patrimoine des Bourbons s’accroît encore. En 1476, Louis XI offre à son gendre « les comtés de la Marche et de                 Montaigut-en-Combrailles  ». En 1481, Anne de France reçoit le comté de Gien. La même année, Jean II de Bourbon doit remettre sur injonction royale à son frère Pierre de Beaujeu «le comté de Clermont-en-Beauvaisis, la baronnie de Beaujolais et les Dombes». Henry Montaigu explique que « la Marche, les comtés de Clermont et de Beaujolais, diverses autres seigneuries prises ici et là, devaient en attendant permettre aux époux Beaujeu de tenir rang parmi les princes (3) ».

Au décès de Jean II en 1488, son frère l’archevêque de Lyon se proclame chef de la Maison. Mais cruellement endetté, il renonce finalement à tous ses droits au profit de Pierre en échange d’une forte pension. Ainsi, « le 30 août 1488, Pierre de Beaujeu devenait duc de Bourbon et d’Auvergne, comte de Clermont, de Forez, de la Marche, de l’Isle-Jourdain et de Villars, seigneur de Beaujolais “ à la part de l’Empire ”, de Château-Chinon et d’Annonay... ». En 1491, Anne et Pierre de Bourbon – Beaujeu ont une fille d’aspect chétif, Suzanne.

Très tôt, forte de son influence à la Cour et régente de facto quand son frère Charles VIII part guerroyer en Italie, Anne de Beaujeu assure à sa fille les moyens légaux de conserver l’intégralité de leurs possessions territoriales. Elle s’attache aussi à régler la querelle vieille d’un demi-siècle avec les Bourbons – Montpensier dont les « terres [étaient] enclavées dans celles de la branche aînée des Bourbons, surtout à Aigueperse».

L’unité des Bourbons

Le père du futur Connétable se nomme Gilbert de Bourbon, comte de Montpensier et dauphin d’Auvergne. Au cours des premières Guerres d’Italie, il trouve sa femme en la personne d’une Italienne, Claire de Gonzague, la « fille aînée du marquis de Mantoue ». Le couple a six enfants (trois garçons et trois filles). L’arrivée de Claire dans le centre de la France introduit la Renaissance italienne dans le Massif Central ! La tragédie frappe rapidement cette famille heureuse. Charles devient à onze ans chef de famille en 1496 quand meurt son père de la malaria dans le Sud de l’Italie. En 1503 disparaît sa mère. Son éducation dépend de sa marraine, Anne de Beaujeu.

L’adolescent apprend le service de la chevalerie et se passionne pour les récits arthuriens. Son caractère le pousse vers le métier des armes. Pierre de Bourbon et sa redoutable épouse décident de lui donner leur fille unique Suzanne. Pour eux, « l’union des deux branches avait pour principal mérite d’éteindre le contentieux qui les séparait depuis trois générations tout en achevant l’unité territoriale du duché, faisant de lui le fief le plus étendu et le plus peuplé du royaume ». Quel est donc ce si grand domaine ? « Au Bourbonnais et à l’Auvergne s’ajoutaient les comtés de Clermont-en-Beauvaisis, de Forez, de la Marche, de Gien et de Clermont en Auvergne; les vicomtés de Carlat et de Murat, les seigneuries de La Roche-en-Rénier, de Bourbon – Lançay, d’Annonay, sans oublier, en pièces rapportées, les Dombes, le Beaujolais et les fiefs propres aux Montpensier, le comté de Montpensier, le dauphiné d’Auvergne, la baronnie de Mercœur, la seigneurie de Combrailles. À cet immense domaine – qui couvrait plus de 26.000 km² – s’ajoutaient les titres et les charges qui faisaient du nouveau duc de Bourbon le Grand le plus titré du royaume, pair de France, grand chambrier, en attendant le gouvernement du Languedoc et, bien sûr, la connétablie ». Jean-Joël Brégeon précise que « pour mieux considérer les domaines de Charles et de Suzanne, on peut les faire tenir dans les actuels départements, à savoir l’Allier, le Puy-de-Dôme, le Cantal, la Loire, une partie du Rhône, de l’Ain et à l’autre extrémité, de la Haute-Vienne et de la Creuse ». Par son mariage, Charles de Montpensier qu’on désigne comme « Charles-Monsieur », devient le plus puissant féodal de France depuis la Maison de Bourgogne…

cd8eb507a618f192f8a355c97f8e7e98.jpg

La Dame de Beaujeu gouverne remarquablement ses terres. Elle dispose de « la châtellenie qui était la réalité administrative la plus tangible de l’« État » bourbonien. Leur nombre et leur taille étaient variables. Le Beaujolais n’en comptait que dix-huit mais le Forez en avait quarante. Beaucoup étaient minuscules, d’autres immenses, comme celle de Moulins avec ses soixante-seize paroisses réparties sur environ 1800 km² ». Elle entend surtout les conserver pour ses futurs petits-enfants. La mort en 1498 de Charles VIII et l’avènement de leur cousin le duc d’Orléans, Louis XII, la détachent de l’intérêt royal pour privilégier les intérêts familiaux et terriens de sa fille et de son gendre. Par chance, « attaché à la seigneurie, écrit Henry Montaigu, [le futur connétable] en possède la mystique (4) ».

Au service de deux rois de France

Le « Roi du peuple » Louis XII apprécie Charles-Monsieur. Quand il ne se bat pas en Italie avec les armées françaises, il sert d’« otage princier » dans la suite de l’archiduc Philippe de Habsbourg qui traverse la France pour se rendre dans les Espagnes qu’il va bientôt régner aux côtés de son épouse Jeanne, la fille des Rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. Jeanne et Philippe sont les parents du futur Charles Quint. Une autre fois, « à Valenciennes, Charles de Bourbon fit la connaissance de ses cousins, les Croy, une puissante famille attachée au service et à la fortune des                             Habsbourg ».

En 1513, Louis XII le charge de « restaurer l’autorité royale et la paix publique » en Bourgogne. Charles-Monsieur « fit procéder à des travaux de fortification à Dijon, Châlons, Beaune et Auxonne. Sa sévérité à l’égard des gens de guerre coupables d’abus et d’exactions sur la population, sa rigueur et sa détermination, l’attention qu’il porta à cette mission sans gloire mais si impérieuse amenèrent Louis XII à manifester sa gratitude ». Charles de Bourbon reçoit la charge considérable de connétable de France.

Chef suprême de l’armée royale en l’absence du souverain, le connétable                  « porte l’épée royale et la présente, nue, à l’assistance » le jour du sacre à Reims. Il « possède sa propre juridiction – la connétablie et maréchaussée de France – qui lui donne des pouvoirs disciplinaires, sans appel, pour juger les délits et crimes des gens de guerre ». Fidèle à sa sévère réputation, le nouveau connétable interdit les pillages; il exige que ses troupes paient au juste prix les denrées prises aux paysans; il impose une réelle discipline à ses hommes d’armes; il punit le défaut de tenues particulières, reconnaissables et attribuées à chaque régiment royal. Cette dureté s’impose tant les mœurs sont rudes.

Novara_1500.jpg

À la fin du Moyen Âge, les fantassins sont appelés « les “ gens de pied ” [qui] se regroupaient en “ bandes ”, réparties en “ nations ”. On pouvait trouver là des Gascons, des Picards, des Allemands, que l’on qualifiait tantôt d’aventuriers tantôt de “ bandes noires ” et qui étaient pour l’essentiel des lansquenets, ces éternels rivaux des Suisses». Les combattants helvètes servent divers souverains dès que ces derniers leur versent une solde régulière, ce qui est rarement le cas. Les mercenaires helvètes manient avec une redoutable dextérité les « “ longs bois ” [qui] faisaient la loi sur les champs de bataille depuis plus d’un siècle [...]. C’étaient en fait des hallebardes dites de Soleure ou de Berne que les Suisses complétaient par une forte dague, lorsqu’ils ne maniaient pas la redoutable Zweihänder, l’épée à deux mains. Sûrs de leur tactique qui les voyait formés en hérissons, les Suisses se protégeaient peu et s’en faisaient même une gloire ». C’est dans cet univers âpre et violent que le Connétable de Bourbon parvient à s’imposer. Aux côtés de Louis XII, puis de François Premier (5), il se fait un nom en Italie. « Depuis Marignan, on le tenait pour un des meilleurs capitaines de sa génération. »

0miw33utda651.jpg

Conscient de sa valeur et de ses qualités militaires, le Connétable de Bourbon n’hésite jamais à déployer un train de vie fastueux lors des grands événements comme au Camp du Drap d’Or où François Premier accueille Henry VIII d’Angleterre en 1520. Ce décorum luxueux agace le roi français. Par ailleurs, sa droiture et sa franchise lui valent d’irréductibles ennemis dans l’entourage immédiat du souverain: le duc d’Alençon, un temps fiancé à Suzanne de Bourbon, est un piètre homme de guerre que méprise le Connétable; le surintendant des finances Samblançay, Bonnivet et le chancelier Antoine Duprat, tous deux originaires de domaine dont il est le seigneur. Le plus redoutable de ses ennemis est néanmoins une femme, Louise de Savoie, la propre mère de François Premier !

Les visées de Louise de Savoie

La reine-mère a-t-elle des vues lubriques et concupiscentes sur le fringant homme à peine plus âgé que son propre fils ? Toute une littérature brode autour de cette « romance » fantasmée par l’une et refusée par l’autre. Il est en revanche certain que Louise de Savoie agit en féodale qui rêve « d’augmenter le patrimoine des Valois – Angoulême », surtout si c’est aux dépens des Bourbon. Bien qu’élevée par Anne de Beaujeu, Louise de Savoie (portrait, ci-dessous) la déteste profondément. La réciproque est aussi vraie.

Jean_Clouet_(Attributed)_-_Portrait_of_Marguerite_of_Navarre_-_Google_Art_Project.jpg

Homme à femmes soumis à l’inflexible volonté de sa mère, François Premier vexe fréquemment le Connétable à partir de 1521. Cette année-là est un tournant majeur dans la vie de Charles de Bourbon. Suzanne meurt précocement. Outre son époux qui détient en sa faveur une série de dispositions testamentaires légales, l’héritage territorial de Suzanne est revendiqué par sa cousine, Louise de Savoie. Or, « la succession de Suzanne de Bourbon était compliquée à démêler tant le statut juridique de ses biens dépendait d’origines extrêmement diverses ».

Louise de Savoie lance en 1522 un procès au Connétable devant le Parlement de Paris, seul autorisé à statuer sur les litiges liés à un pair de France. Elle réclame l’éventuelle saisie des duchés de Bourbon et d’Auvergne et des comtés de Clermont, de Forez et de la Marche.

Lire la suite

dimanche, 28 novembre 2021 | Lien permanent

Intervention de Tomislav Sunic à Madrid

Rubens,_Peter_Paul_-_The_Fall_of_Icarus.jpg

Après la chute et la renaissance du tragique

http://www.polemia.com/apres-la-chute-et-la-renaissance-du-tragique/

Intervention de Tomislav Sunic prononcée en langue française à la conférence de Madrid, le 8 novembre 2013, organisée par le Cercle d’Etudes La Emboscadura.

Tomislav Sunic, de nationalité croate, ancien diplomate, ancien professeur de science politique, écrivain et historien, auteur de nombreux ouvrages et articles dont certains ont été présentés par Polémia, livre ses réflexions sur le destin du monde. Contrairement à certains penseurs et auteurs européens, il voit dans le futur un éternel recommencement où l’homme devra poursuivre sa lutte prométhéenne, marquée par le désir de l’exploit, le goût du dépassement et la foi dans la grandeur humaine.

Nous pouvons remplacer le substantif « la chute » par d’autres expressions qui possèdent des significations plus chargées, telles que « la fin des temps », la « décadence » ou le « chaos» – ou bien « la fin d’un monde», faute de dire « la fin du monde ». Ces mots et ces expressions me viennent à l’esprit, suivis par de nombreuses images liées à nos identités actuelles ou futures.

J’espère que personne ici ne prétend être un futurologue. Avec le recul, la plupart des futurologues ont été démentis dans leurs pronostics. Rappelons le récent effondrement de l’Union soviétique, phénomène que pas un seul soviétologue américain ou européen n’a pu prévoir.

Ma thèse principale est que les prophéties concernant la chute ne sont aucunement nouvelles. Depuis des temps immémoriaux, nous avons été témoins des histoires, des contes et des mythes qui présageaient le déclin ou la fin des temps. La grande majorité des penseurs et des auteurs européens, de l’Antiquité à la postmodernité, ont abordé dans leurs écrits la notion de la fin des temps et ses conséquences.

L’illusion du progrès

Du côté opposé, nous avons l’optimisme historique et la croyance au progrès. Le progrès est devenu aujourd’hui une religion laïque. Heureusement, il semble montrer des fissures, étant soumis de plus en plus à de nombreuses critiques. La croyance au progrès et ses adeptes ont eu un gros impact au cours de ces derniers 200 ans – et plus particulièrement au cours de ces derniers 70 ans. Les apôtres modernes du progrès portent généralement divers déguisements, soit le costume libéral, soit le costume communiste, et même parfois l’habit chrétien. Un peu péjorativement, on peut appeler ces gens les architectes du meilleur des mondes.

En revanche, ceux parmi nous qui rejettent la religion du progrès et l’optimisme historique peuvent être partagés en deux catégories : les penseurs du tragique et les pessimistes culturels. Les penseurs du tragique croient à la nature cyclique des temps et de l’identité ; ils disent qu’après chaque jour ensoleillé doit venir un jour de pluie. Je me range parmi ceux-ci.

Voici une citation du philosophe Clément Rosset, qui est proche de notre patrimoine intellectuel, étant lui-même le ferme adversaire de l’optimisme historique tout en étant un bon avocat du tragique :

« Il en résulte que toute pensée non tragique est nécessairement pensée intolérante ; que, plus elle s’éloigne des perspectives tragiques, plus elle s’incline vers telle ou telle forme d’ “optimisme”, plus elle se fait cruelle et oppressive » (Logique du pire, p. 155).

* Voici ma première remarque : les optimistes historiques, tels que les communistes, les libéraux, et tous ceux qui aspirent à l’amélioration du monde ont une manie invétérée d’imposer à notre société des constructions sociales, ou des contrats sociaux, qui, en règle générale, aboutissent toujours à des cauchemars politiques.

En décrivant « la chute », nous ne pouvons pas faire abstraction des images, des symboles et des mythes liés à la fin du temps. Les images de la chute étaient beaucoup plus fortes chez nos ancêtres qu’elles ne le sont parmi nous aujourd’hui. Il n’est point besoin de chercher loin pour trouver des exemples. Nous n’avons qu’à lire les mythes grecs et les épopées homériques qui regorgent de violence, de luttes titanesques, de chaos, de différents âges et de différentes identités. L’histoire de la célèbre saga germanique, les Nibelungen – dont le message sous-tend inconsciemment l’identité de la plupart des Européens – se termine dans le chaos et le massacre mutuel au sein de la même tribu. Indépendamment de leur héritage racial commun, nos ancêtres européens furent bien conscients de la fragilité de toute identité, y compris de la leur. Après tout, le personnage principal de la saga des Nibelungen, la reine Kriemihilde, cherchant à venger son mari, le héros Siegfried, tué par le héros Hagen, épouse en secondes noces le Hun, l’empereur asiatique Attila. Ils eurent un fils qui était un « Mischling » – un hybride racial, peut-on dire – dont la tête fut finalement coupée par Hagen.

En ce qui concerne la perception de la fin des temps, je voudrais commencer par deux courtes citations de deux auteurs modernes qui font également partie de notre patrimoine intellectuel. Tous les deux étaient très conscients de la fin des temps. Le premier est un homme possédant un sens profond du tragique, et le second un pessimiste historique. Bien que souvent floue, la différence entre le sens du tragique et le pessimisme historique est tout à fait significative.

Voici notre premier penseur du tragique : Ernst Jünger, dans son livre An der Zeitmauer (Au mur du temps) :

« Le destin peut être anticipé, il peut être ressenti, il peut être redoutable, mais il ne doit jamais être connu. Si cela devait se produire, l’homme vivrait une vie d’un prisonnier qui connaît l’heure de son exécution » (p.25).

* Ma deuxième remarque : les penseurs tragiques excluent toute relation de cause à effet. Le bon côté du tragique consiste en la croyance aux événements aléatoires et en la croyance au « hasard ». Le penseur tragique n’est jamais tenté de prédire l’avenir. Pourquoi devrions-nous escalader le mur du temps et tenter d’enrayer la chute du temps au-delà du mur du temps ? Ce serait un devoir pénible, car nous y rencontrerions probablement des images effrayantes. Les optimistes historiques, qu’ils soient libéraux ou communistes, avec leur mentalité rationaliste, souhaitent installer exactement un tel schéma prévisible du progrès humain. Nous avons vu les résultats au cours de ces derniers soixante-dix ans !

Contrairement à la personne du tragique, Emile Cioran, en tant que pessimiste historique, ne se soucie guère de son identité à venir. Il a renoncé à toutes sortes de tentatives prométhéennes. Il s’est lui-même extrait, il y a bien longtemps, du temps et en est venu à la conclusion qu’il n’y a aucune raison pour la reprise de n’importe quelle identité. Je ne pense pas que nous devions accepter ce modèle, bien que la plupart d’entre nous, ici, y soient souvent enclins.

« Les autres tombent dans le temps ; je suis, moi, tombé du temps. A l’éternité qui s’érigeait au-dessus de lui succède cette autre qui se place au-dessus, zone stérile où l’on n’éprouve plus qu’un seul désir : réintégrer le temps, s’y élever coûte que coûte, s’en approprier une parcelle pour s’y installer, pour se donner l’illusion d’un chez soi. Mais le temps est clos, mais le temps est hors d’atteinte ; et c’est de l’impossibilité d’y pénétrer qu’est faite cette éternité négative, cette mauvaise éternité » (La Chute dans le Temps, p. 1152).

L’Europe: Le mur du temps vis-à-vis du mur de fer

Sur la base de ces citations, nous allons examiner maintenant quelques illusions politiques contemporaines sur la chute dans le temps et sur notre identité, illusions que nous pourrions tout aussi bien qualifier d’autotromperie. Ces illusions peuvent nous aider à acquérir une meilleure perception de notre nouvelle identité. Regardons vers l’arrière, au-delà de notre actuel mur du temps.

En mai 1945, les Américains faisaient une grande la fête sur Broadway, à New York. La Seconde Guerre mondiale venait de prendre fin, et, depuis lors, l’image de cette guerre a été considérée comme le symbole ultime du mal absolu. Nous vivons encore ce scénario de la fin des temps fascistes et antifascistes.

Or, de l’autre côté du mur, en même temps, ou, si l’on peut s’exprimer d’une façon moins allégorique, de l’autre côté de l’Atlantique, le Rideau de fer s’éleva. A la mi-mai 1945, des millions de personnes d’Europe centrale et d’Europe orientale ont connu la chute de leurs temps et également la perte de leur identité. Pour beaucoup d’Européens, cette année marqua la fin des temps européens, « le Ragnarök ». Le mot allemand « Zusammenbruch », était à cette époque très en usage parmi les millions de réfugiés : des millions d’Allemands, de Hongrois, d’Italiens, de Croates, Serbes, Ukrainiens, des soldats et des civils, allaient bientôt être livrés à la fin du temps communiste ou, si l’on peut s’exprimer moins allégoriquement, à la mort certaine. Le temps de la fin avait touché non seulement leurs dirigeants vaincus, mais également des millions d’individus anonymes dont le flux du temps défia tous les instruments.

La race de l’esprit comme nouvelle identité

Lorsqu’on s’interroge sur notre prétendue identité après la chute, y compris le bagage héréditaire qui nous lie à nos confrères blancs à travers le monde, nous devons convenir que l’identité ne peut pas être uniquement ancrée dans notre race. Il y a aussi une autre dimension qui doit être prise en compte : notre sens du tragique et notre mémoire historique.

* Ma troisième remarque. L’Identité, lorsqu’elle repose seulement sur l’hérédité, a peu de sens si elle manque de « Gestalt » – si elle refuse de s’assigner un nom, un prénom et un lieu d’origine. Une abstraite identité blanche, dépourvue d’ « âme raciale», n’a pas de sens. Nous portons tous des noms et nous traînons tous notre mémoire tribale et culturelle.

Ma propre identité, par exemple, ainsi que l’identité de plusieurs de mes et de nos collègues en Allemagne ou en France, ou ailleurs en Europe, est fortement ancrée dans notre mémoire historique. Par exemple, depuis l’âge de cinq ans j’ai été exposé à de longues histoires racontées par mon défunt père sur les massacres communistes qui ont eu lieu à l’été 1945 en Europe centrale et orientale. Ces histoires, à leur tour, ont affecté ma perception de moi-même, ainsi que ma perception de la réalité qui m’entoure.

* Ma quatrième remarque : je tiens à souligner que la victimologie joue un rôle formidable dans la formation des identités de beaucoup de peuples dans le monde entier, y compris de nous-mêmes. Le cas de la victimologie juive, qui est également devenue aujourd’hui une partie de l’identité du monde entier, nous fournit le meilleur exemple et en dit long.

Face à notre approche de la fin des temps, nous avons souvent recours aux identités « négatives ». Des mots tels que « immigration » et « islam» viennent à l’esprit lorsque nous avons recours à ces référents d’identités négatives. Ces mots et notions nous fournissent la preuve d’un changement de paradigme. Par exemple, il y a trente ans, les mots « immigration » et « islam » étaient peu utilisés et n’étaient pas considérés comme un facteur majeur dans les analyses de la chute anticipée. Il y a trente ans, notre identité négative était fondée sur l’anticommunisme, le commun

Lire la suite

dimanche, 24 novembre 2013 | Lien permanent

Les Raisons du combat culturel

M34tours.jpg

Les Raisons du combat culturel

Ex: http://www.scriptoblog.com/

Nous n’aimons guère notre  époque, ou, plus exactement, notre époque ne nous aime guère. Depuis des décennies, la société mondialiste qui nous est vendue comme promesse de paradis terminal, de fin de l’Histoire béate, ne fait plus illusion auprès des observateurs un tant soit peu critiques, des hommes de bon sens qu’on rejette dans le camp de l’ennemi en les appelant « réactionnaires ». Le vaste supermarché global, pacifié et unifié, recèle d’insondables horreurs derrière les sourires figés des hordes d’homo oeconomicus qui arpentent les allées. La société mondialiste n’a pas besoin d’hommes, elle n’a besoin que de consommateurs, d’humains réduits à leurs plus basses fonctions d’absorption, d’assouvissement des pulsions et des désirs mimétiques. En cela, cet Empire du Bien dont parlait le regretté Philippe Muray est un totalitarisme. Totalitarisme doux ou mou, certes, mais totalitarisme tout de même, dans ses procédés comme dans ses objectifs. L’Empire veut donc produire à la chaîne des consommateurs, des hommes dociles, souples à l’injonction. Pour ce faire, les déraciner est indispensable, charnellement et spirituellement. Au cœur de cette entreprise nihiliste, la culture est la cible prioritaire. Il faut faire en sorte que les personnes ignorent de plus en plus qui elles sont : on effacera donc d’abord leur histoire, on les privera de chronologie ; on dissoudra leurs traditions, rejetées dans les Ages Sombres d’avant le Village global ; on leur coupera l’accès aux œuvres artistiques et techniques, fruits du génie des leurs ancêtres ; on détruira toute échelle de valeur et de comparaison, sapant l’esthétique et le goût. On les rendra étrangers à leur propre langue, inaptes à l’expression de la pensée et de l’émotion, donc inaptes à être des hommes, ces singuliers animaux faits à l’image du Créateur. On en fera des zombies dénués de toute arme et de toute stratégie pour s’opposer à l’ablation de leur âme et à leur disparition à terme.

Ce combat contre la culture et les cultures (entendues comme les manifestations différenciées des génies des ethnies, des peuples et des races) exige une riposte adaptée, un combat culturel. Que peut bien recouvrir cette notion ? Ce combat vise à défendre l’intégrité de la personne humaine, unique aux yeux de Dieu et enracinée dans l’Histoire. Cette intégrité fait tenir ensemble toutes les capacités de l’homme, intellectives comme émotives, techniques comme artistiques, et les ordonne en vue d’une fin qui les dépasse, qui nous dépasse tous. Pas de vraie culture sans métaphysique, d’une part, et pas plus sans Histoire d’autre part. Ceci implique de reconnaître l’inscription de l’homme et de sa culture dans un contexte religieux et métaphysique et de le défendre comme tel. Point n’est besoin d’être soi-même croyant. : pour preuve, l’agnostique Charles Maurras fut bien l’un des plus ardents défenseurs du rôle de l’Eglise et des créations de la foi. Défendre la culture, c’est défendre un au-delà de l’homme, alors que l’Ennemi veut nous réduire à un en-deçà de l’homme. Défendre une culture, c’est aussi défendre l’histoire de cette culture et des générations qui l’ont portée, c’est s’inscrire dans une lignée, une continuité, se reconnaître dans une suite d’innombrables prédécesseurs, et assumer pleinement et entièrement ce qui est à la fois une dette, un héritage et un honneur. Linéarité du temps historique, ponctuée par la cyclicité des rythmes naturels : l’histoire de la Culture, c’est la Tradition, l’histoire des cultures, ce sont les traditions.

D’abord, assumer et défendre la dimension métaphysique et religieuse de l’homme, assumer et défendre la tradition et les traditions. Mais comment ? Le combat culturel est en fait un combat pour l’intelligence, à l’aide de l’intelligence : par la mémoire, nous accumulons les références historiques, littéraires, poétiques, musicales, architecturales, folkloriques, politiques, et notre intelligence ordonne ces références et nous en fait comprendre les structures. L’intelligence, c’est le don de Dieu pour que l’homme se comprenne. La culture est la mise en forme individuelle et collective de l’intelligence, par l’expérience des aïeux. La culture est l’enclume sur laquelle notre intelligence va se forger, puis se développer, s’aiguiser, s’exercer, se tremper. Sans culture, l’intelligence est matière sans forme, inerte donc inutile. L’homme dont l’intelligence ne sert pas est mûr pour l’esclavage. La culture est donc la condition de la liberté, puisque c’est grâce à elle que notre intelligence personnelle peut devenir épée et bouclier de notre corps et de notre âme.

Il faut revenir à l’étymologie du mot « culture » pour en bien saisir toutes les implications. Le verbe latin colere signifie cultiver une terre, un champ, et par extension « prendre soin de quelque chose ». L’agriculture est le soin apporté à la terre pour qu’elle produise ses meilleurs fruits. Le passage de l’agriculture à la culture, de la matérialité du sol à l’abstraction de l’esprit, passage qui s’opère chez les auteurs romains, en particulier chez Cicéron, conserve cette idée de soin, de travail permanent en vue de la production, de la mise au monde des meilleurs fruits de l’âme. Cette dernière est notre champ, et constamment nous devons être à l’ouvrage, il en va de notre salut physique et moral : sarcler, labourer, semer, faucher, glaner, surveiller, protéger des nuisibles. Le combat culturel est d’abord un effort, une violence faite à soi-même pour se montrer digne de la culture que nous héritons. C’est, pour chacun d’entre nous, un travail immense, harassant, impliquant la concentration, la méditation, la mémoire, la logique, toutes les capacités intellectives qui doivent emmagasiner sans cesse les informations triées et ordonnées par le goût et l’expérience, mais aussi la sensibilité artistique, la capacité d’étonnement et d’émerveillement.

Le combat culturel implique de savoir où trouver, dans l’immense répertoire de la culture que l’honnête homme ne maîtrisera jamais qu’à peine, les preuves, les exemples, les arguments, sous quelque forme que ce soit, qui permettent de s’opposer au mensonge et de tendre, toujours tendre vers la Vérité. La culture donne tout à la fois fierté et humilité, confiance nécessaire en soi et en son héritage, doute et remise en question tout aussi nécessaires. C’est donc en se cultivant que l’on peut défendre légitimement son legs et son identité, et c’est par cette défense intelligente, passionnée et solide que l’on peut convaincre les indécis, voire nos adversaires.

Pour quiconque veut participer, à son niveau, au combat politique pour la sauvegarde de nos patries et de notre civilisation européenne chrétienne, il doit être évident que le combat culturel est l’une des armes principales. C’est lui qui permet, s’il est intelligemment mené, par son effet sur un nombre croissant de personnes, de renverser les modes idéologiques qui conditionnent les comportements sociaux. L’hégémonie gauchiste et progressiste sur le monde des lettres, des arts, de l’université et des media depuis cinquante ans, avec ses aspects les plus mortifères, les plus nihilistes, a pu se mettre en place par une stratégie habile et dénuée de scrupules d’épuration et de disqualification de l’adversaire et de sidération idéologique. Toute contestation, que ce fût du pédagogisme à la Mérieu, de la sociologie de Bourdieu, de l’art contemporain, était immanquablement rejetée dans le camp du Mal, de la Réaction, voire du Fascisme éternel. Mais cette sidération n’a qu’un temps, même si ses ravages vont continuer à s’exercer: l’apparition d’Internet, en particulier, est la chance de tous les militants de la ré-information et du combat culturel, en ce qu’elle permet la constitution de groupes de pression, en ce qu’elle diversifie les sources d’information et permet ainsi au simple citoyen, s’il s’en donne la peine, de vérifier et recouper le contenu souvent douteux véhiculé par les media de masse. Le but qu’il faut fixer au combat culturel est d’obtenir la majorité idéologique, quand bien même l’on ne serait que politiquement minoritaire (ce qui est, de fait, le cas). Nul n’est besoin de se faire sectateur de Gramsci pour comprendre que cette majorité idéologique est la condition nécessaire (mais pas toujours suffisante) d’une majorité politique et donc de l’inflexion de la vie de nos cités et de nos pays dans le sens qui nous semble ordonné sur et vers le Bien, le Beau et le Vrai. Elle ne peut s’obtenir que par l’effort constant de personnalité d’horizon divers mais unis par une culture commune, le sachant et voulant la défendre, sans se renier, sans déposer les armes.

Très concrètement, en quoi consiste la formation d’un combattant culturel (qui n’est au fond que l’activité quotidienne de l’honnête homme et du patriote) ? Elle tient en deux mots : travail et dialogue. Expliquons-nous : le travail, c’est le labour du champ de l’âme et de l’esprit. C’est prioritairement la lecture. L’honnête homme lit, avec un œil critique, une sensibilité ouverte, une mémoire qui fonctionne à plein régime, dans les transports en commun ou sur un canapé, mais il doit impérativement lire. Lire les classiques de la littérature, les livres d’histoire, de philosophie, les essais politiques ; se constituer sa propre bibliothèque, ses références sues par cœur, découvrir les auteurs de la contre-culture chrétienne et/ou patriote et de proche en proche, se constituer une galaxie, une constellation culturelle d’écrivains qui fourniront sans cesse les munition de la lutte permanente : Barrès, Péguy, Bloy, Maurras, Claudel, Bernanos deviendront des familiers, puis, dans un processus d’élargissement éclectique mais sélectif et critique, on s’attaquera à la science-fiction théologique de Maurice G. Dantec, à la critique du libéralisme de Jean-Claude Michéa, à la pertinente défense de l’esprit européen de Jean-François Mattéi, aux fines analyses philosophiques du temps présent de Pierre Manent ou Chantal Delsol. On ira, toujours attentif et ouvert à la découverte, avec suffisamment de formation intellectuelle de base (qui s’acquiert par la fréquentation assidue des classiques…et des manuels d’histoire littéraire et d’histoire des idées !) pour trier le bon grain de l’ivraie, en sachant que, souvent, l’on adhère aux analyses des auteurs sans pour autant valider leurs solutions et prescriptions (ainsi de l’anarchiste ancienne école Michéa). On ira se confronter aux textes des adversaires pour maîtriser leurs armes mieux qu’ils ne maîtrisent les nôtres : il faudra lire Michel Foucault, Jacques Attali ou Michel Onfray. On cartographiera les auteurs, les écoles et courants de pensées, leur histoire mouvante. Mais l’important est de lire, de relire, de mémoriser et de prolonger la lecture par d’autres lectures. Après, pour ouvrir toutes les voies d’acquisition de la culture générale, il faut maîtriser les disciplines d’un trivium et d’un quadrivium pour le temps présent, adapter ces divisions de l’enseignement des arts libéraux instituée par le philosophe Boèce aux exigences d’un homme de culture dans le monde des années 2010 : connaissance intime de la langue française, de sa grammaire, de l’orthographe, des conjugaisons et de la richesse immense de son lexique ; connaissance du patrimoine artistique (peinture, musique, sculpture, architecture…) ; connaissance du patrimoine religieux et pratique du culte ; connaissance des traditions populaires, du folklore et à nouveau pratique; connaissance des enjeux géopolitiques et attention régulière aux nouvelles du monde. Sur ces bases-ci, une culture générale opérationnel, en ordre de bataille, peut être édifiée.

Dans un second temps, ce que nous appelons le dialogue est en fait une version mi-socratique mi-militante : il s’agit, en ne perdant aucune occasion, d’ouvrir le dialogue non pas avec les convaincus, ce qui n’est que rassurant, mais avec tous ceux qu’il reste à convaincre, à orienter vers une certaine idée du Beau, du Bien et du Vrai, vers le bonheur inépuisable de la culture française, européenne et chrétienne et vers l’urgence de la lutte pour sa sauvegarde et à terme pour notre survie en tant que peuple de culture, singulier, unique. En donnant l’exemple d’une culture maîtrisée dans ses aspects les plus variés, et pratiquée, le combattant culturel va susciter la curiosité, l’interrogation, parfois la réprobation, les critiques, mais c’est grâce à cette démarche qui cumule la conviction, l’invitation à la réflexion, l’anticonformisme, et le plaisir du savoir, que l’on peut ouvrir les esprits à notre combat. Le réfractaire au monde moderne tel qu’il nous est vendu se doit d’être cet aiguillon toujours alerte qui montre du doigt les impasses et les contradictions de ce qui, dans la pensée correcte du totalitarisme mou ambiant, est censé aller de soi.

Pour conclure, il faut garder présent à l’esprit que toute culture est par définition vivante, elle vit avec nous qui la portons. Elle risque de fait de mourir si nous n’avons plus les épaules assez solides pour la porter haut. C’est notre devoir de citoyen, de chrétien, d’homme, c’est notre honneur que de batailler pour la culture et par elle.

Frère Thierry

Animateur du cercle de l’aréopage

Lire la suite

samedi, 14 avril 2012 | Lien permanent

Privatisation: la tactique Atlantiste pour attaquer la Russie

849643-image-1425751942-466-640x480.JPG

Privatisation: la tactique Atlantiste pour attaquer la Russie

Ex: http://www.histoiretsociete.wordpress.com

Source : CounterPunch

Par PAUL CRAIG ROBERTS – MICHAEL HUDSON

Il y a deux ans, des officiels russes discutaient de plans d’action pour privatiser un groupe d’entreprises nationales dirigées par le producteur de pétrole Rosneft, la banque VTB, Aeroflot, et Russian Railways. L’objectif de départ était de moderniser la gestion de ces sociétés, et aussi d’inciter les oligarques à commencer à ramener leurs capitaux expatriés depuis deux décennies pour les investir dans l’économie russe. La participation étrangère était sollicitée dans les cas où le transfert de technologie et les techniques de gestion pouvaient aider l’économie.

Toutefois, les perspectives économiques russes se sont détériorées, à mesure que les États-Unis poussaient les gouvernements de l’Ouest à imposer des sanctions économiques contre la Russie et que les prix du pétrole baissaient. Cela a rendu l’économie russe moins attractive pour les investisseurs étrangers. Dès lors la vente de ces sociétés aujourd’hui rapporterait des montants bien inférieurs à ce qu’ils auraient pu représenter en 2014.

Entre-temps, la combinaison d’une hausse du déficit budgétaire intérieur et du déficit de la balance des paiements a donné aux défenseurs de la privatisation un argument pour pousser davantage aux ventes. Le défaut dans leur logique est leur hypothèse néolibérale selon laquelle la Russie ne peut pas seulement monétiser son déficit, mais a besoin pour survivre de liquider plus d’éléments majeurs de son patrimoine. Nous mettons en garde la Russie d’être assez crédule pour accepter ce dangereux argument néolibéral. La privatisation n’aidera pas à la ré-industrialisation de l’économie russe, mais aggravera sa transformation en une économie rentière dont les profits seront extraits au bénéfice de propriétaires étrangers.

Pour s’en assurer, le président Poutine a mis en place le 1er février un ensemble de modalités dont le but est d’empêcher les nouvelles privatisations d’être aussi désastreuses que les ventes réalisées sous l’ère Eltsine. Cette fois les biens ne seront pas vendus en dessous du prix du marché, mais devront refléter la réelle valeur potentielle. Les firmes vendues resteront sous la juridiction russe, et ne seront pas gérées par des propriétaires étrangers. Les étrangers ont été invités à participer, mais les sociétés devront rester soumises aux lois et réglementations russes, y compris les restrictions concernant le maintien de leurs capitaux en Russie.

De plus, les firmes destinées à être privatisées ne peuvent être achetées grâce à un emprunt auprès d’une banque publique nationale. L’objectif est d’obtenir de “l’argent comptant” des rachats – idéalement de devises étrangères détenues par des oligarques de Londres et d’ailleurs.


Poutine a judicieusement écarté de la vente la plus grande banque de Russie, Sberbank, qui détient la plupart des comptes épargne de la nation. Les activités bancaires doivent évidemment rester largement un service public, et cela parce que la capacité de création monétaire par le crédit est un monopole naturel et de caractère intrinsèquement public.
Malgré ces protections ajoutées par le président Poutine, il y a de sérieuses raisons de ne pas poursuivre avec ces privatisations récemment annoncées. Ces raisons vont au-delà du fait qu’elles seraient vendues en période de récession économique résultant des sanctions économiques de l’Ouest et de la chute du prix du pétrole.

Le prétexte cité par les officiels russes pour vendre ces sociétés à l’heure actuelle est le financement du déficit du budget intérieur. Ce prétexte montre que la Russie ne s’est toujours pas remise du désastreux mythe de l’Ouest atlantiste selon lequel la Russie doit dépendre des banques étrangères et des porteurs d’obligations pour créer de l’argent, comme si la banque centrale russe n’était pas capable de monétiser elle-même son déficit budgétaire.

La monétisation des déficits budgétaires est précisément ce que le gouvernement des États-Unis a fait, et ce que les banques centrales de l’Ouest ont fait dans l’ère post-Seconde Guerre mondiale. La monétisation de la dette est une pratique courante à l’Ouest. Les gouvernements peuvent aider à relancer l’économie en imprimant de la monnaie au lieu d’endetter leur pays auprès de créanciers privés qui drainent les fonds du secteur public via le paiement des intérêts aux créanciers privés.


Il n’y a pas de raison valable de recueillir des fonds de banques privées pour fournir au gouvernement de l’argent lorsqu’une banque centrale peut créer le même argent sans avoir à payer les intérêts de prêts.

Néanmoins, il a été inculqué aux économistes russes la croyance occidentale selon laquelle seules les banques commerciales devraient créer de l’argent et que les gouvernements devraient vendre des obligations portant intérêt dans le but de recueillir des fonds. La fausse croyance selon laquelle seules les banques privées devraient créer de l’argent via des prêts mène le gouvernement russe sur le même chemin qui a conduit l’Euro-zone dans une impasse économique.

En privatisant la création monétaire par le crédit, l’Europe a fait passer la planification économique des mains des gouvernements démocratiquement élus vers celles du secteur bancaire.


La Russie n’a pas besoin d’accepter cette philosophie économique pro-rentière qui saigne un pays de ses revenus publics. Les néolibéraux l’ont promu non pas pour aider la Russie, mais pour mettre la Russie à genoux.

Essentiellement, ces russes alliés de l’Ouest – “intégrationnistes atlantistes” – qui veulent que la Russie sacrifie sa souveraineté pour l’intégration dans l’empire occidental utilisent les sciences économiques néolibérales pour prendre au piège Poutine et ouvrir une brèche dans le contrôle qu’a la Russie sur sa propre économie, rétablie par Poutine après les années Eltsine où la Russie était pillée par les intérêts étrangers.

Malgré quelques succès dans la réduction du pouvoir des oligarques résultant des privatisations d’Eltsine, le gouvernement russe a besoin de conserver les entreprises nationales comme pouvoir économique compensateur. La raison pour laquelle les gouvernements gèrent les réseaux de chemins de fer et les autres infrastructures fondamentales est de baisser le coût de la vie et celui de faire des affaires. Le but poursuivi par les propriétaires privés, au contraire, est d’augmenter les prix aussi haut qu’ils le peuvent. Cela est appelé “appropriation de la rente”. Les propriétaires privés dressent des postes de péage pour élever les coûts des services d’infrastructure qui ont été privatisés. Ceci est l’opposé de ce que les économistes classiques entendent par “libre marché”.

Il est question d’un marché qui a été conclu avec les oligarques. Les oligarques deviendront actionnaires dans des sociétés publiques avec l’argent des précédentes privatisations qu’ils ont caché à l’étranger, et obtiendront une autre “affaire du siècle” lorsque l’économie russe aura suffisamment récupéré pour permettre que d’autres gains excessifs soient faits.


Le problème est que plus le pouvoir économique passe du gouvernement au contrôle du secteur privé, moins le gouvernement a de pouvoir compensateur face aux intérêts privés. Sous cet angle, aucune privatisation ne devrait être permise à l’heure actuelle.

Des étrangers devraient encore moins être autorisés à acquérir des biens nationaux russes. Afin de recevoir un unique paiement en monnaie étrangère, le gouvernement russe remettra aux étrangers des sources de revenus futurs qui peuvent, et qui vont, être extraites de Russie et envoyées à l’étranger. Ce “rapatriement” des dividendes se produira même si la gestion et le contrôle restent géographiquement en Russie.

Vendre des biens publics en échange d’un paiement unique est ce que le gouvernement de la ville de Chicago a fait lorsqu’il a vendu contre un paiement unique les 75 ans de source de revenus de ses parcmètres. Le gouvernement de Chicago a obtenu de l’argent pour l’équivalent d’une année en abandonnant 75 ans de revenus. En sacrifiant les revenus publics, le gouvernement de Chicago empêchait les biens immobiliers et le patrimoine privé d’être taxés et permettait par la même occasion aux banques d’investissement de Wall Street de se faire une fortune.

Cela suscitat également un tollé public contre ce cadeau. Les nouveaux acheteurs augmentèrent brusquement les tarifs des stationnements de rue et poursuivirent le gouvernement de Chicago en dommages et intérêts lorsque la ville ferma les rues lors de parades publiques et pendant les vacances, en ce que cela “interférait” avec la rente d’exploitation des parcmètres. Au lieu d’aider Chicago, cela aida à pousser la ville vers la banqueroute. Il ne faut pas s’étonner que les atlantistes aimeraient voir la Russie subir le même sort.

Utiliser la privatisation pour couvrir à court terme un problème de budget crée un plus grand problème à long terme. Les profits des sociétés russes s’écouleraient en dehors du pays, réduisant le taux de change du rouble. Si les profits sont payés en rouble, les roubles pourraient être dopés par le marché de change étranger et échangés contre des dollars. Cela déprécierait le taux de change du rouble et augmenterait la valeur d’échange du dollar. En effet, autoriser les étrangers à acquérir les biens nationaux russes aide les étrangers à spéculer contre le rouble russe.

Bien sûr, les nouveaux propriétaires russes des biens privatisés pourraient aussi envoyer leurs profits à l’étranger. Mais au moins le gouvernement russe réalise que les propriétaires soumis à la juridiction russe sont plus facilement réglementés que ne le sont les propriétaires qui sont capables de contrôler les sociétés depuis l’étranger et de garder leurs fonds de roulement à Londres ou dans d’autres centres bancaires étrangers (tous soumis au levier diplomatique américain et aux sanctions de la nouvelle guerre froide).

A la racine de la discussion sur la privatisation devrait se trouver la question de ce qu’est l’argent et de la raison pour laquelle il devrait être créé par des banques privées plutôt que par des banques centrales. Le gouvernement russe devrait financer le déficit de son budget grâce à la banque centrale qui créerait l’argent nécessaire, tout comme les USA et le Royaume-Uni le font. Il n’est pas nécessaire au gouvernement russe d’abandonner pour toujours des sources de revenus futures simplement pour couvrir le déficit d’une année. Ceci est le chemin qui conduit à l’appauvrissement et à la perte d’indépendance économique et politique.

La globalisation a été inventée comme un outil de l’empire américain. La Russie devrait se protéger contre la globalisation, et non s’y ouvrir. La privatisation est le moyen pour diminuer la souveraineté économique et maximiser les profits en augmentant les prix.
Tout comme les ONG financées par l’Occident qui officient en Russie sont la cinquième colonne qui opère contre les intérêts nationaux russes, les économistes néolibéraux de Russie font de même, qu’ils le réalisent ou non. La Russie n’échappera pas aux manipulations de l’Occident tant que son économie ne sera pas hermétique aux tentatives occidentales de reformatage de l’économie russe dans l’intérêt de Washington et non dans celui de la Russie.

Source : CounterPunch, le 08/02/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Lire la suite

mardi, 23 février 2016 | Lien permanent

Renseignement: nos principaux partenaires sont nos principaux prédateurs

NSA-eye.jpg-1.jpg

Renseignement: nos principaux partenaires sont nos principaux prédateurs, États-Unis en tête

Auteur : reinformation.tv
Ex: http://zejournal.mobi

La délégation parlementaire au renseignement a rendu un rapport de 180 pages présenté par les députés Urvoas, PS, et Miard, UMP. L'espionnage industriel et financier pille la France. La responsabilité en incombe à l'insouciance française et aux prédateurs internationaux que sont nos principaux partenaires économiques, États-Unis en tête.

Jean Jacques Urvoas et Lucien Miard, en présentant leur rapport de la délégation parlementaire au renseignement, composée de parlementaires tous habilités au «secret-défense», ont choisi de mettre particulièrement en lumière l’espionnage économique. Et tout au long des cent quatre-vingt pages l’évidence s’impose, « nos principaux partenaires sont nos principaux prédateurs », comme le souligne Urvoas. L’accusation n’excepte personne, ni Russes, ni Chinois. On vient ainsi de découvrir un centre d’écoute chinois dans le Val de Marne. Emporiums, litchis frais et pousses de soja sont des couvertures toujours efficaces (Le phénomène n’est pas neuf. Déjà en 2012, le rapport Bockel recommandait d’éviter tout matériel d’origine chinoise dans les infrastructures stratégiques publiques et privées). Mais les USA arrivent sans conteste en tête des prédateurs qui pillent l’économie française. Selon Urvoas, « les Américains ou les Israéliens sont très souvent les plus agressifs, pas seulement sur un plan commercial ». 

Prédateurs tous azimuts, un pillage général

Le nombre des affaires découvertes surprend. En septembre 2011, les policiers spécialisés de la sous-direction de la protection du patrimoine économique, basée à Levallois-Perret, ont révélé près de 5.000 « cas » en quatre ans. Durant cette période, 3.189 entreprises ont été visées. L’Île-de-France, où 144 cas d’ingérence ont été mis au jour en 2013, concentre près de 20 % des attaques. L’objet du pillage est très divers. Il y a d’abord les secteurs sensibles : l’énergie, l’aérospatiale, les télécommunications, la robotique, la santé ou la recherche fondamentale. Mais la curiosité des agents de renseignement économique s’étend bien au-delà et ne dépend pas de la taille des entreprises : les pme innovantes sont particulièrement surveillées. Et l’administration n’est pas en reste, à commencer par celle des finances. Or celle-ci, particulièrement visée, est aussi particulièrement fragile. « Nous sommes effarés par l’absence de culture de sécurité dans les ministères des Finances et de l’Economie », déplorent en chœur les deux présentateurs du rapport parlementaire. Malgré la « progression inquiétante » de l’espionnage économique, à Bercy, les fonctionnaires « ne tiennent pas compte des informations stratégiques qui circulent dans les ministères », bref, la « protection » est insuffisante.

Les moyens déployés par les services étrangers pour espionner l’économie française sont variés… Piratages de données, infiltration, déstabilisation, vol d’ordinateur dans des chambres d’hôtel, disparition de brevets dans le Thalys entre Paris et Bruxelles, pénétration d’agents à l’occasion d’une visite, piratage de technologies, utilisation offensive du droit, etc… Les bonnes vieilles méthodes barbousardes mises en honneur par le roman policier servent toujours. Un cadre supérieur d’une entreprise de Défense raconte ainsi : « Quand on part négocier un dossier sensible dans certains pays étrangers, on sait que nos chambres d’hôtel sont sonorisées, peu importe l’enseigne. Quand on parle, c’est pour les micros et les seuls documents qui traînent sont ceux dont on voudrait qu’ils soient lus. » Selon lui, telle est la vie quotidienne des délégations françaises en matière de contrats d’armement. 

couvcyber.gif

Internet et l’informatique principales sources de renseignement

Mais l’utilisation de l’informatique est devenue plus payante et beaucoup plus répandue. Elle est particulièrement efficace en France en raison d’abord de l’insouciance des Français, dont le ministère des finances offre un exemple flagrant, et ensuite du manque de moyens en matière de cyberdéfense. Alors que seize agences américaines consacrent dix milliards de dollars (au moins : c’est la part budgétée) par an à la chose, l’ANSSI, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes informatiques n’a que 750 millions d’euros à consacrer à ses 500 agents. Elle consacre ses moyens à des cibles particulièrement importantes, par exemple l’Elysée, récemment visé par une cyber-attaque américaine. Or la fréquence des incursions ennemies s’accroît. Déjà en 2011, la sous-direction de la protection du patrimoine économique qui dépend de la DCRI déplorait en moyenne « une attaque toutes les sept heures » Et ça ne ralentit pas. Dans son chapitre intitulé Le monde après les révélations d’Edward Snowden, le rapport de la DPR insiste sur « l’incroyable investissement des États-Unis dans les moyens dédiés au renseignement technique » et sur son « intensité agressive à l’égard de notre pays ». Le rapport, d’une manière générale, souligne « l’utilisation croissante du vecteur internet ». Par qui a été inventé internet ? Par l’armée américaine. A qui sert d’abord internet? Au renseignement américain. 

Les USA utilisent leurs lois pour piller la France

Mais une autre spécialité américaine, non moins payante, est l’utilisation du « droit comme puissant instrument de prédation ». Selon Jean-Jacques Urvoas, « la première arme de pillage c’est la loi, le droit américain par exemple ». Le juge Charles Prats, qui a enseigné l’usage offensif du droit à l’Ecole de guerre économique (EGE) dès l’an 2000 explique : « A partir des années 60, les Etats-Unis ont entrepris d’extra-territorialiser leur droit de la concurrence ». Puis en 1977, le Foreign Corrupt Practices Act a été promulgué. Ces lois permettent à un plaignant américain « d’adresser des demandes de pièces au défendeur afin de cibler son action en justice », C‘est une façon de contraindre des entreprises étrangères à livrer des informations sensibles dans un pays où le Département de la Justice semble souvent « au service des intérêts économiques ». Sans doute le procédé a-t-il été utilisé quand Alstom négociait avec Général Electric la vente de sa branche énergie, alors que le groupe français faisait l’objet de poursuites dans une affaire de corruption aux Etats-Unis.

Le rapport détaille ces procédures. D’abord la procedure Discovery fondée sur la common law américaine. Les demandes de pièces sont souvent si vastes qu’elles prennent le surnom de fishing expeditions (parties de pêche) et ouvrent la porte à l’espionnage économique. Même chose pour le « deal of justice », qui permet au Department of Justice (DOJ) d’éperonner de grandes entreprises pour infraction aux lois américaines en matière de corruption qui «s’appuie principalement sur le Foreign Corrupt Practices Act de 1977 et sur les lois de sanctions économiques contre des pays (Cuba, Iran, Libye, Soudan, Syrie…) » Cette procédure frappe « dans 90 % des cas (des) entreprises étrangères, dont certains grands groupes français, à l’image de la récente affaire impliquant BNP Paribas ». 

Le rapport parlementaire descend très loin dans l’analyse

Cette dernière affaire vaut un développement particulier, car le rapport parlementaire sur le renseignement en livre l’explication. Le groupe français, accusé de transactions avec des pays sous embargo économique américain, a reconnu le 30 juin, devant un tribunal de New York, deux chefs d’accusation : « falsification de documents commerciaux » et « collusion ». Verdit : 6,5 milliards d’euros d’amende alors qu’on avait parlé de onze. Mais la réduction de l’amende initiale comprend une contrepartie très forte : « L’entreprise doit reconnaître sa culpabilité et négocier le montant de l’amende infligée. En contrepartie, le DOJ renonce aux poursuites pour une période de trois ans, période pendant laquelle l’entreprise doit faire preuve d’un comportement exemplaire. Pour prouver sa bonne foi, et là réside le principal problème, elle doit accepter la mise en place d’un moniteur en son sein, moniteur qu’elle choisit mais dont la désignation définitive est soumise à l’approbation des États-Unis. Le moniteur aura accès à l’intégralité des informations de l’entreprise afin de rédiger un rapport annuel extrêmement détaillé. » Il aura donc la possibilité de recopier la comptabilité, lire les échanges de courriels, la documentation stratégique, exiger le détail des notes de frais. Ou dévoiler les démarches commerciales à l’étranger. Or la délégation parlementaire relève que les services secrets américains peuvent « solliciter toute information nécessaire, y compris les rapports de monitorat » en invoquant le Foreign Intelligence Surveillance Act. En somme, le droit ouvre la porte de l’entreprise et les espions ramassent.

Bien entendu, la France n’est pas totalement désarmée face ces pratiques. Une « loi de blocage » a été promulguée en 1968 sous De Gaulle, puis amendée en 1980. Elle prévoit des poursuites pénales contre quiconque communiquerait à une puissance étrangère des données économiques sensibles. Elle est censée permettre à un dirigeant français de se soustraire au droit américain en invoquant le risque pénal encouru en France s’il se soumet aux procédures intrusives. Las, « ce moyen reste mal connu », déplore le juge Charles Prats, et il n’est surtout pas sûr qu’il convainque les juges américains. La justice des USA est au service du business et des grands groupes, ce que n’est pas sa consoeur française. Qui plus est, les services secrets aussi ont partie liée avec le business, au point que la CIA a créé et gère un fonds d’investissements, In-Q-Tel, dont la mission est de capter des informations industrielles. Face à de tels prédateurs, le savoir-faire des entreprises françaises semble bien vulnérable.

- Source : reinformation.tv

Lire la suite

lundi, 22 décembre 2014 | Lien permanent

Les kamikazés à l’UNESCO

Ailes_defaite_photo1-640x425.jpg

Les kamikazés à l’UNESCO : les armes, les lettres et le patrimoine de l’humanité 

par Christian Kessler & Gérard Siary

Ex: http://www.larevuedesressources.org

Au début de 2014, à l’initiative de la ville de Minamikyûshû (préf. de Kagoshima), qui abrite le musée de Chiran dédié aux kamikazés, l’État du Japon soumettait à l’Organisation des Nations-Unies un dossier proposant l’inscription de 333 lettres de kamikazés au patrimoine mondial de l’humanité. Les réactions tombent vite. La Chine, la Corée s’émeuvent de cette proposition qui, par les missives envoyées par les pilotes à la veille leur première et ultime mission, esthétise, voire justifie la guerre [1]. Le Japon n’a donc pu faire entrer jusqu’à nouvel ordre lesdites lettres à l’UNESCO.

Au-delà de l’incident, l’affaire prolonge le contentieux historique entre le Japon et les nations d’Asie Orientale qu’il a soumises à de rudes traitements sans jamais faire amende honorable. Elle pose la question du lien entre les lettres des kamikazés à leurs chères familles, fort émouvantes et non sans style, et l’implication du Japon, massive et ravageuse, durant la guerre d’Asie-Pacifique. Si le contexte martial sous-tend certes le propos épistolaire, cela n’entraîne pas que l’émotion du sujet écrivant justifie peu ou prou la guerre, voire la glorifie. Et il convient d’examiner de près le contenu de ces lettres, au demeurant peu connues.

En 1944, à la veille de la bataille de Leyte, alors que sa logistique militaire se dégrade, l’état-major japonais laisse la voie libre à la formation des tokubetsu.kōgeki.tai / unités spéciales d’assaut, tokkō en abrégé. Ce groupe nominal est parfois précédé de tai.atari / percussion au corps, ou bien de shinpū, vent divin. Tai.atari dénote l’opération où le pilote, pour être sûr de toucher sa cible, va la percuter de son corps, qui ne forme plus qu’un avec l’avion. Shinpū, expression symbolique, est la désignation générique de toute unité, indépendamment de son nom de baptême imagé, martial ou poétique, tels Jinrai / Tonnerre violent ou Kikusui / Chrysanthème flottant sur l’eau. Les deux sinogrammes de shinpū, terme le plus usité durant la guerre, se lisent aussi kami.kazé en lecture japonaise et sont passés en français dans le mot kamikaze. L’appellation courante de « mission-suicide » est déviationniste, qui déforme en suicide, i. e. en acte pathologique pour nous autres Occidentaux, une tactique strictement militaire.

Après une sélection nécessaire – selon le nombre d’avions –, et rigoureuse – les malades, tel Yukio Mishima, futur grand écrivain, sont réformés –, les heureux élus reçoivent une formation sommaire, puis sont affectés à la base où, très encadrés, parfois choyés, ils attendent l’heure de leur mission. Leurs missives écrites avant la sortie censément fatale, plus ou moins soumises à la censure militaire, parfois aussi clandestines, figurent dans les anthologies de soldats morts à la guerre [2], dans certains recueils spécifiques [3] ou dans les vitrines des musées [4]. Classées le plus souvent en lettres, tegami, ou messages ultimes, isho, mais sans distinction générique, elles n’ont jamais fait l’objet d’inventaire, d’édition critique ou de présentation muséale un tant soit peu satisfaisants. Leur traçabilité laisse à désirer. Seules sont publiées les lettres des trépassés, jamais celles de ceux dont la fin de la guerre a annulé la mission sacrée. Force est donc de s’en tenir aux lettres éditées, lestées d’un discours d’escorte idéologique, qui rend hommage aux victimes ou aux héros.

Il convient d’abord de les différencier des lettres écrites par d’autres combattants voués à mourir. Voici trois extraits significatifs de missives d’un résistant français de la Deuxième Guerre mondiale d’un kamikazé nippon, et d’un shahid ou martyr iranien de la guerre Iran-Irak :

(France, 9 mars 1942) Maman, Papa chéris, / Vous saurez la terrible nouvelle déjà, quand vous recevrez ma lettre. / Je meurs avec courage, je ne tremble pas devant la mort. Ce que j’ai fait, je ne le regrette pas si cela peut servir mon pays et la liberté. / Je regrette profondément de quitter la vie parce que je me sentais capable d’être utile. Toute ma volonté a été tendue pour assurer un monde meilleur. J’ai compris combien la structure sociale actuelle était monstrueusement injuste. J’ai compris que la liberté de dire ce que l’on pense n’était qu’un mot et j’ai voulu que cela change. C’est pourquoi je meurs pour la cause du socialisme. (...) / Je suis sûr que vous me comprendrez, papa et maman chérie, que vous ne me blâmerez pas. Soyez forts et courageux : vous me sentirez revivre dans l’œuvre dont j’ai été un des pionniers. (...) / Je pense à vous tous de toute ma puissance, jusqu’au bout, je vous regarderai. / Je pleure ma jeunesse, je ne pleure pas mes actes. Je regrette aussi mes chères études ; j’aurais voulu consacrer ma vie à la Science. [5]

(Japon, 6 avril 1945) Père, Mère, de tous les bons soins que vous lui avez si longtemps prodigués, Seishi vous sait gré. Venu en ce monde il y a plus de vingt ans, il dit son regret de s’en aller sans avoir rien accompli. Depuis les temps jadis, de même qu’on dit : « laisser trace de son ongle sur terre », l’être humain se doit de laisser sa trace. Il regrette vraiment d’avoir péché par impiété filiale. Est-ce à dire que sa vie doive inspirer pitié ? Mais Seishi va laver d’un seul coup tout ce déshonneur. / Père, Seishi est bienheureux. Il a découvert le lieu où mourir. Il est sûr de mourir en cet endroit. Il ne songe qu’à éradiquer l’ennemi, aux dépens de sa propre vie, et il ira jusqu’au bout. Il accomplira ce devoir sans faute. Comme soldat de l’Empire, il tombera superbement en assumant sa charge. / Après ma mort, je vous prie de bien vouloir vous occuper de tout. [6]

(8 février 1983) Au nom d’Allah miséricordieux ! / Mon but en venant au front, c’est de défendre l’Islam, le Coran, la religion sacrée de l’Islam […]. / Si je meurs en martyr, je serai parvenu à réaliser mes vœux. Si je mérite de devenir martyr, vous m’enterrerez au cimetière des martyrs de mon village. Ainsi, je serai auprès de mes parents, de ma femme et de mes enfants, de ma sœur et de mon frère, ainsi que de ma maison, et je serai content. Versez pendant une semaine de l’eau sur ma tombe, car on enterre les martyrs sans les laver. / Mes parents, ma sœur et mon frère, vous ne devez pas pleurer et faire la joie de nos ennemis. Partagez également mes biens entre mon fils, ma fille et mon épouse. Si ma femme ne se remarie pas, donnez-lui mes biens et ceux de mes enfants. Elle a toujours été gentille avec moi […]. / À mon sens, si on meurt sans avoir appliqué les paroles de l’Imam Khomeiny, on mourra comme une bête, faute d’avoir compris l’humanisme et connu l’Islam. Je n’ai qu’un corps, mais si j’avais cents corps, je les sacrifierais pour l’Islam, amen. / À bas l’Amérique, l’Union soviétique, Israël et l’Angleterre ! À l’espoir de la victoire contre l’injustice ! [7]

Ces différents discours présentent, mutatis mutandis, une forte uniformité. Le plus souvent, la valeur à laquelle adhère le signataire (libéralisme, christianisme, etc.) ne supplante pas la valeur nationale, censée mobiliser le combattant. Il arrive que les deux valeurs se recouvrent, et que le combat pour la foi soit aussi le combat pour la patrie. Cependant, si mourir pour l’empereur équivaut à mourir pour le Japon, mourir pour l’Islam ne se confond pas forcément avec mourir pour la nation, comme dans le cas de la guerre Iran-Irak, car la foi religieuse l’emporte sur tout le reste. Sinon, avec l’imminence du trépas, le sujet va à l’essentiel : consoler sa famille, dont l’avenir le préoccupe ; énoncer la cause pour laquelle il tombe ; marquer son regret de quitter si tôt la vie. Pas de différence notable d’une pièce à l’autre [8].

Chiran_high_school_girls_wave_kamikaze_pilot2.jpg

En quoi dès lors le propos des kamikazés se singularise-t-il ? La seule étude de contenu à ce jour, fondée sur un corpus de 661 lettres, comparé à un autre corpus de 402 lettres d’hommes du rang, et échantillonné sur trois périodes (25.10.44-5.4.45, 6.4-22.6.45, 23.6-8.8.45) selon la courbe d’efficacité décroissante des opérations, a produit les résultats suivants : 71.9% (contre 52.9% pour les hommes du rang) postulent une mort honorable, 28.4% (contre 9.7%) une belle mort ; 26.9% (contre 0.5%) aspirent à fournir un apport crucial à l’effort de guerre, 6.7% (contre 2.7%) à être une source inspirer les autres ; 18.9% (contre 18.4%) expriment leur piété filiale ; 10.0% (contre 11.9%) se donnent rendez-vous au sanctuaire Yasukuni dédié au repos des soldats morts à la guerre, mais aucun ne dit mourir pour ses croyances ; 36.0% (contre 23.4%) disent faire cela pour le Japon (la patrie), 32.5% (contre 25.6%) pour l’Empereur, 0.8% (contre 1.7%) pour le terroir ; 16.8% (contre 8.0%) disent le faire pour la famille confondue avec la patrie ; 0.1% (contre 0%) le font pour l’unité et les camarades ; nul ne fait état de contrainte. Il apparaît, par comparaison avec le propos des hommes du rang, que les kamikazés ne s’en distinguent ni par la piété filiale ni par la motivation religieuse, mais plutôt par le choix d’une mort glorieuse. À mesure que la situation militaire se dégrade, le propos sur l’honneur décline, tandis que croît l’insistance sur le « mourir utile » [9].

Le commentaire qualitatif consonne le plus souvent avec l’analyse quantitative. La lettre-type serait à peu près comme suit. Le pilote écrit donc à sa famille, à sa très chère maman, l’instance matricielle, l’être à sauver du cruel ennemi. Il est d’autant plus reconnaissant de l’éducation reçue que sa mort volontaire est une impiété filiale : au lieu de vivre pour honorer ses parents, lui décide de mourir. L’identité invoquée entre piété filiale et loyauté envers l’empereur n’excuse pas son acte. Mais ses proches sont assurés de sa présence tutélaire après sa fin. La splendeur escomptée de la mort justifie le sacrifice. Mourir bravement, honorablement, pour le grand Japon impérial, en entraînant avec soi un maximum de Yankees, voilà l’idéal : « Le guerrier du Japon mâlement part à la guerre » [10]. Mourir en beauté aussi, telle la fleur de cerisier qui tombe, selon l’image classique. La crainte de mourir en vain, sans avoir touché sa cible ni sauvé le pays, n’en est que plus forte. Notre homme aime la vie, il exprime des désirs qu’il ne réalisera pas. Mais il proclame, impavide, sa sérénité face à la mort. La poupée mascotte, sa fiancée morganatique, ersatz de la vie de couple impossible, l’accompagne en vol et l’aide à passer le cap. Fort est l’espoir de revoir les chers camarades disparus à Yasukuni. Et un poème d’adieu peut ponctuer la lettre, avec en particulier la figure du sakimori, le garde-côte du Japon ancien, le loyal bouclier impérial, réincarné en kamikazé, selon une autre image classique. Voilà, sous une forme recomposée, la vulgate des lettres. Certaines, plus rares, offrent des dissonances apparentes, qui affichent le scepticisme, voire la défiance. On épanche son dépit de partir, on critique l’armée ou la politique, on raille la sérénité affectée de certains, on parodie le stéréotype de la fleur de cerisier, on scrute avec lucidité ce moment juste avant la mort qui annule la comédie de la vie telle qu’on a pu la jouer jusqu’ici [11]. Ces textes-là, autant que les autres, attestent que le sujet ne se cache point la tension entre l’instinct de vie et le devoir de mourir pour la patrie, le regret de quitter ce monde et la satisfaction de connaître le moment, voire le point de sa chute – amor fati.

La tension qui se manifeste ainsi entre sérénité et scepticisme pose la question de la sincérité du sujet. On a objecté que face à la mort insensée ou intempestive à ses yeux, le pilote se rabattait sur des valeurs banales ou des généralités attrape-tout, comme l’amour de la nation [12]. Il est vrai que certains comportements démentent la façade patriotique. Tel rescapé s’étonne parfois de ses écrits de temps de guerre, de leur ferveur nationaliste quand, amené à les réécrire après-guerre, placé dans un contexte autre, il obéit à d

Lire la suite

samedi, 09 mai 2015 | Lien permanent

Page : 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14