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Polycrise, urgences superposées et capitalisme

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Polycrise, urgences superposées et capitalisme

Güney Işıkara

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/tergiversando-policrisi-sovrapposizione-di-emergenze-e-capitalismo

Il est aujourd'hui de bon ton de décrire les crises multiples et imbriquées du capitalisme sans faire référence au capitalisme lui-même. Pour décrire la complexité de la situation, on utilise les termes obscurs d'"urgences superposées" et de "polycrise", qui servent, avec ou sans intention, à cacher le coupable, à savoir la totalité des relations capitalistes. Ce court article aborde le contenu, la fonction et les limites de ces pratiques d'évitement à l'aide d'exemples concrets.

Un mélange de risques

"Une polycrise n'est pas simplement une situation dans laquelle vous faites face à des crises multiples", écrit Adam Tooze (photo), c'est plutôt une situation "dans laquelle le tout est encore plus dangereux que la somme des parties" (Tooze 2022a). Même au premier coup d'œil, on peut compter sept défis radicaux sur le radar, dont le Covid, l'inflation, la récession, la crise de la faim, la crise climatique, l'escalade nucléaire et un retour au pouvoir du parti républicain "trumpien".

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Larry Summers, ancien président de Harvard, célèbre le terme de polycrise pour sa capacité à saisir les multiples aspects en jeu, et ajoute : "Je me souviens de moments antérieurs d'une gravité égale ou même supérieure pour l'économie mondiale, mais je ne me souviens pas de périodes où il y avait autant d'aspects distincts et autant de courants croisés que maintenant" (Summers 2022). Ne vous y trompez pas, le soutien vient d'un porte-parole de toujours de l'establishment, d'un ennemi des classes ouvrières et des opprimés, assez franc pour affirmer, en tant qu'économiste en chef de la Banque mondiale de l'époque, que "la logique économique derrière le déversement de substances toxiques dans un pays aux salaires les plus bas est impeccable".

Selon Tooze, dans les années 1970, la croissance excessive ou insuffisante, ou le capitalisme tardif, pouvaient être cités comme la source ultime des problèmes en cours, selon la position politique de chacun. Ce qui distingue le moment présent est le fait qu'"il ne semble plus plausible de désigner une cause unique" (Tooze 2022b). Il est donc tout à fait explicite que l'on doit éviter l'utilisation de grands récits ou, dans le même ordre d'idées, la désignation du mode de production capitaliste comme la cause principale des défis radicaux à venir.

Un concept similaire est celui des "urgences qui se chevauchent", qui a été utilisé par les médias grand public tels que CNN ou les Nations unies et a été adopté par les penseurs critiques. Isabella Weber (photo), par exemple, qui a employé le terme dans des écrits populaires et universitaires avec divers co-auteurs, affirme que "nous vivons à une époque où les urgences se chevauchent : la pandémie n'est pas terminée, le changement climatique est une réalité et la stabilité géopolitique a atteint son point le plus bas" (Weber 2022).

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Weber est l'une des architectes du plafonnement du prix du gaz dans le cas de l'Allemagne et un défenseur d'autres instruments et institutions tels que l'élargissement de la capacité de l'État à réagir aux goulets d'étranglement de l'approvisionnement, la surveillance des secteurs essentiels et l'intervention ciblée en cas de besoin, etc. Plutôt que de considérer cela comme une réponse politique ad hoc, Weber affirme que "nous devons généraliser cette approche et nous préparer à une stabilisation d'urgence ciblée". Nous devons nous préparer aux catastrophes économiques afin de pouvoir réagir aux chocs dans des domaines importants pour le fonctionnement de l'ensemble de l'économie. Il s'agit de mesures de stabilisation nécessaires à notre époque où les urgences se chevauchent". (Weber, dans Gerbaudo 2022)

Bien que le travail académique plus large de Weber souligne les limites du mécanisme de marché d'un point de vue plus systématique, un aspect commun des "urgences superposées" et de la "polycrise" en tant que cadre est ce qui semble être une réticence notable à reconnaître explicitement le capitalisme comme une force sous-jacente qui conditionne toutes les facettes des "urgences superposées" ou de la "polycrise" en jeu. L'analyse et ses implications sont confinées au niveau des apparences, et, par conséquent, deviennent incapables de saisir le réseau de contradictions qui leur donne naissance. Ces contradictions, ou la source des urgences, semblent être externalisées à un choc (guerre Russie-Ukraine, déstabilisation climatique, pandémies actuelles et attentes futures) ou à un état de fait extérieur au terrain politique sur lequel elles sont reconnues et discutées.

Remodeler ou remplacer ?

La réticence à remettre ouvertement en question le capitalisme, qu'elle soit intentionnelle ou non, se manifeste également dans le retour de la politique industrielle, avec une attention beaucoup plus grande accordée aujourd'hui à ses partisans tels que Ha-Joon Chang (2002) et Mariana Mazzucato (2018 ; 2021) (photos), pour ne citer que les plus éminents. La politique industrielle est décrite comme un moyen de sortir de la stagnation à long terme qui se profile vers la transition verte. Les prescriptions en matière d'industrialisation sont données à l'économie périphérique afin qu'elle puisse "développer", indépendamment des relations de dépendance structurelle, la division mondiale du travail (Pradella 2014). Ainsi, le rôle de l'exploitation comme fondement ultime de l'accumulation du capital - et la nécessaire inégalité de l'accumulation du capital - est masqué. De même, le capitalisme inclusif, qui coordonne les intérêts de divers ensembles de propriétaires de ressources.

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Dans ce cadre, la "crise" est également utilisée comme un outil pour encadrer le récit autour des symptômes de notre système économique mondial. Par exemple, Mazzucato "l'économiste le plus effrayant du monde" selon le Times (Rumbelow 2017), soutient que "le capitalisme est confronté à au moins trois crises majeures", à savoir une crise sanitaire induite par une pandémie, l'instabilité financière et la crise climatique (Mazzucato 2020a ). Ces crises ne sont pas considérées comme des crises du capitalisme en tant que tel, mais de la façon dont nous faisons du capitalisme (Mazzucato 2020b).

Il s'ensuit qu'"il existe toutes sortes de façons différentes de faire du capitalisme". Il y a le type de maximisation de la valeur pour les actionnaires. Il y a la perspective de maximisation de la valeur des parties prenantes [...] qui influence fondamentalement la façon dont le public et le privé se rencontrent" (Mazzucato, dans Nelson 2019). C'est ce dernier modèle de partenariat qui permet au gouvernement de déterminer le rythme et la direction de la croissance axée sur l'innovation, qui donne la priorité à l'intérêt public sur le gain privé. Selon Mazzucato, problématiser le capitalisme en tant que tel et évoquer l'alternative du socialisme est une distraction et "n'incitera pas [les entreprises] à faire quelque chose de différent de ce qu'elles font actuellement" (ibid.).

Cependant, ce point de vue néglige le fait que le capitalisme concerne le profit et l'accumulation, et non la valeur d'usage, ou la richesse, en premier lieu. L'accumulation peut être temporairement freinée, réorientée, endiguée, mais les fondements du capitalisme ne peuvent être renversés par des partenariats axés sur la mission.

Une leçon importante qui tend à être oubliée est que les coupes dans les services sociaux, le découplage des salaires réels de la productivité, l'expansion agressive des frontières des marchandises et les interventions similaires visant à étendre le terrain de l'accumulation au cours des dernières décennies sont précisément les résultats récoltés de la réaction du capital à la crise de rentabilité dans le centre impérialiste dans les années 1970, une crise qui a suivi les tentatives de dompter le capital et d'établir un compromis de classe dans le contexte plus large de la "menace" croissante du socialisme. Il est donc difficile de comprendre comment les chercheurs critiques d'aujourd'hui peuvent s'engager dans la possibilité d'un autre "âge d'or" du capitalisme, alors que la force motrice et les principes régulateurs du système capitaliste lui-même ne sont pas remis en question.

Où est le capitalisme ?

Les cadres conceptuels d'analyse des "crises" évoqués ci-dessus ont pour caractéristique commune de "remodeler" le capitalisme ou de "stabiliser" l'économie mondiale face à la multiplication des dynamiques de crise. Plutôt que de remettre en question les forces structurelles qui façonnent les résultats systémiques, ces cadres suggèrent que les manifestations pressantes de l'effondrement écologique, des tensions et des guerres géopolitiques, des goulets d'étranglement de l'approvisionnement, de l'inflation ou d'autres phénomènes discutés découlent d'erreurs politiques, de sociétés avides et puissantes, de mauvaises intentions ou d'un manque de connaissances historiques, et non de l'accumulation impérative et constitutive du capitalisme.

Des problèmes tels que l'effondrement écologique, la militarisation, les réponses inadéquates et injustes à une pandémie en cours, la montée de politiques ouvertement racistes et anti-immigrants, qui semblent indépendants, font partie intégrante de la totalité capitaliste avec ses relations particulières de propriété, de production et d'échange, ses impératifs et ses limites structurelles, et les dynamiques d'exploitation et d'oppression qui en découlent, ainsi que leurs subjectivités conflictuelles.

Prenez l'effondrement écologique, par exemple, qui semble être le phénomène alarmant pour de nombreux commentateurs. Sans saisir le capital comme un ensemble de relations sociales entre les propriétaires des moyens de production et les travailleurs qui travaillent pour un salaire, et sans concevoir cette relation comme l'expansion de la valeur comme seul objectif primordial, ni le caractère d'exploitation de la croissance capitaliste ni l'impératif de rentabilité ne peuvent être compris comme un phénomène structurel. Le transfert systématique des coûts à des tiers (Kapp 1971), le pillage impitoyable des natures non humaines dans le cadre de l'ajustement continu des frontières des marchandises pour s'approprier la nature économique (Moore 2015), et l'incapacité à faire des progrès significatifs pour ralentir l'effondrement écologique, même face à sa reconnaissance publique croissante, apparaîtraient ainsi comme accidentels ou le résultat d'erreurs politiques.

L'enjeu n'est pas de réduire tous les arguments et analyses à une notion abstraite du capitalisme qui rendrait toute discussion concrète superflue. Au contraire, les apparences concrètes ne peuvent être interprétées qu'en étudiant soigneusement leurs connexions internes - non seulement entre elles, mais aussi avec la totalité des relations capitalistes, qui est indéniablement plus grande que la somme de ses parties.

En effet, nous sommes confrontés à des défis d'une ampleur et d'une complexité sans précédent. En effet, ils appellent des réponses et des ruptures radicales. Pour ce faire, cependant, nous devrions être en mesure d'appeler le coupable par son nom en premier lieu. Et peut-être choisir notre camp plus soigneusement à la lumière des histoires de crise entrelacées en jeu. Collaborerons-nous avec les gouvernements et les institutions complices de décennies d'écocide, d'agression impérialiste et belliciste, d'appauvrissement des classes ouvrières dans notre pays et à l'étranger, et d'oppression des "ravages de la terre", ou nous organiserons-nous parmi et avec les classes ouvrières et les opprimés pour lutter pour un avenir libéré de la domination du capital ?

Bibliographie :

  1. (1) Chang, Ha-Joon. 2002. Kicking Away the Ladder. Economic Strategy in Historical Perspective. London: Anhtem.
  2. (2) Gerbaudo, Paulo. 2022. “In World of Overlapping Emergencies We Need New Forms of Price Stabilization” https://agendapublica.elpais.com/noticia/18172/world-of-o...
  3. (3) Kapp, K. William. 1971. The Social Costs of Private Enterprise. New York: Schocken Books.
  4. (4) Mazzucato, Mariana. 2021. Mission Economy: A Moonshot Guide to Changing Capitalism. London: Penguin.
  5. (5) Mazzucato, Mariana. 2020a. “Capitalism’s Triple Crisis” https://www.project-syndicate.org/commentary/covid19-cris...
  6. (6) Mazzucato, Mariana. 2020b. “The Covid-19 Crisis Is a Chance to Do Capitalism Differently” https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/18/the...
  7. (7) Mazzucato, Mariana

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samedi, 17 décembre 2022 | Lien permanent

Bienvenue à Chaoslandia. La troisième guerre mondiale a commencé

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Bienvenue à Chaoslandia. La troisième guerre mondiale a commencé

par Maurizio Bianconi

Source: https://www.destra.it/home/benvenuti-a-caoslandia-la-terza-guerra-mondiale-e-iniziata/

En 1861, sur une petite île près du port de Charleston, en Caroline du Sud (USA), se trouvait un minuscule avant-poste nordiste, Fort Sumter. Compte tenu des tensions entre Confédérés (Sudistes) et Unionistes (Nordistes), la petite garnison demande à se retirer d'un territoire hostile. La permission est refusée. Les Sudistes assiégeants canonnent le fort. Le Nord se considère comme attaqué et contraint à la guerre. Attaqué, pas agresseur.

Lors de la guerre de 1914/18, les États-Unis, non impliqués dans le conflit, approvisionnaient les Britanniques par voie maritime. Les Allemands torpillaient les navires de toutes nationalités à destination ou en provenance des îles britanniques. Le paquebot Lusitania a été coulé et des centaines de passagers américains ont péri. Le trafic entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et la chasse aux sous-marins allemads se poursuit avec le naufrage de navires américains. Les États-Unis se déclarent obligés de faire la guerre. Agressés, pas agresseurs.

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À la fin des années 1930, la politique agressive du Japon à l'Est réduit l'espace de l'influence américaine. Les États-Unis épuisent les Japonais avec des sanctions économiques et un embargo total sur la fourniture de tous les produits pétroliers. Un coup insupportable pour le Japon, qui en importait 90 %. L'attaque prodigieuse de la flotte américaine à Pearl Harbor les fait passer du statut d'attaquants à celui d'agresseurs et justifie l'entrée en guerre des États-Unis. Attaqués et non agresseurs.

En octobre 2022, les troupes russes ont ouvert les hostilités contre l'Ukraine. C'est la pire conclusion d'un conflit séculaire entre les deux pays. Après avoir démantelé l'empire soviétique, les États-Unis ont progressivement étendu l'alliance militaire de l'OTAN à l'est, jusqu'aux frontières de la Russie, qui souffre historiquement du syndrome d'encerclement et d'une sorte de complexe impérial. La menace d'une implantation de l'OTAN en Ukraine signifiait la certitude d'une action téméraire de la part des Russes. C'est ce qui s'est passé. Des attaquants, pas des agresseurs.

Aujourd'hui, le monde est plus compliqué qu'à l'époque de Fort Sumter. Les décideurs des politiques mondiales ne sont plus les présidents américains, mais la finance et le pouvoir des banques. Les choix du financiarisme mettent à mal l'équilibre planétaire. Les plus avisés commencent à appeler le phénomène "polycrise", c'est-à-dire une crise multiple, générale et incontrôlée. La course à la spéculation et à la richesse croissante réservée à des cercles de plus en plus restreints laisse sur le terrain trop de dégâts sociaux, économiques, environnementaux et de ressources, le tout avec un effet multiplicateur négatif.

On commence à craindre que l'implosion de l'ensemble du système ne soit plus proche que prévu. C'est ce qui motive la tentative de contre-feu à l'incendie causé par la croissance quantitative de la richesse et non par la qualité du progrès. Et il n'y a pas de meilleur contre-feu que de favoriser un conflit qui a le pouvoir de restaurer l'esprit de corps, les ennemis à combattre, et de reléguer le reste à l'arrière-plan.

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C'est ainsi que commence le choix de la guerre. Une erreur commise dans la conviction qu'elle pouvait être gérée, sans se rendre compte que les liens et les équilibres étaient brisés. C'est ainsi que l'option du conflit s'est élargie. La poussée russe a engendré une nouvelle sécurité anti-occidentale. L'Iran espère revenir dans le jeu international. L'éternel conflit islamo-juif est devenu irrépressible.

Chacun gère ses propres conflits, mettant hors jeu toute tentative de les gouverner. Une liste incomplète des conflits qui ont éclaté au cours de cette courte période est effrayante : Arménie-Azerbaïdjan avec la diaspora des Arméniens du Nagorno-Karabak. Coups d'État et guerres civiles au Sud-Soudan, au Niger, au Burkina Faso (qui, ajoutés à ceux de la Guinée et du Mali, ont mis fin à la Francafrique et marqué l'avènement des influences chinoises et russes). La guerre de Gaza qui a entraîné les conflits asymétriques Israël/Hamas, Israël/Hezbollah. Après la guerre d'Ukraine, Israël, le Liban, la Syrie, l'Iran, l'Irak, le Yémen, le Pakistan sont en état de guerre.

L'appel aux armes s'est également fait dans un silence inconscient en Europe : l'Italie, la France et la Grande-Bretagne entament des missions de guerre "défensives" dans le golfe d'Oman aux côtés des États-Unis, avec le début d'un autre conflit asymétrique avec les Houthis yéménites. Ceux qui pensaient avoir le monde à leur disposition se retrouvent avec la Troisième Guerre mondiale sur les bras, alors que les conflits planétaires se manifestent aujourd'hui. Qui vivra verra.

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lundi, 05 février 2024 | Lien permanent | Commentaires (1)

Une dystopie bien ambiguë

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Une dystopie bien ambiguë

par Georges FELTIN-TRACOL

La Française d’origine belge Diane Ducret se fait connaître du public en 2011 et 2012 avec la parution des deux volumes sur les Femmes de dictateur. Elle se tourne ensuite vers le roman et l’essai. Elle a depuis sorti huit autres titres. Son plus récent, La Dictatrice, est un récit dystopique fictif. Cet ouvrage présente d’indéniables ambiguïtés politiques qui laissent songeur le lecteur.

L’intrigue de La Dictatrice est simpliste. Diane Ducret ne se fatigue pas beaucoup en imaginant la trame de son récit. Née sous X à Strasbourg, l’héroïne, Aurore Henri, est adoptée par le couple Henri. Journaliste, cette femme aux cheveux châtains et aux yeux bleus couvre le conflit en Irak et anime un blogue irrévérencieux, L’observatrice sans filtre.

L’histoire débute à Munich, le 8 novembre 2023. Les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement des États-membres de l’Union européenne, en majorité eurosceptiques, discutent des modalités pratiques de sa dissolution. Aurore Henri manifeste à Marienplatz contre cette folle décision. Mécontente, elle prend une pierre, la lance et atteint le nouveau chancelier allemand. Arrêtée quelques semaines plus tard à Paris, elle est extradée, jugée à Munich, le 26 février 2024, et condamnée pour l’exemple à cinq ans de détention dans la prison de Landsberg.

Ces quelques éléments attirent de suite l’attention. D’autres dates et d’autres personnages n’entraînent aucune équivoque possible. Née un 20 avril 1989, Aurore Henri (AH) s’entoure de Hugo Humbert, d’Edward Golling ou de l’architecte génial Alberto Sperucci… La Dictatrice calque volontairement son intrigue sur la chronologie politique d’un célèbre dirigeant germanique des années trente et quarante du XXe siècle. Diane Ducret a-t-elle voulu prendre le contre-pied de la fameuse maxime de Karl Marx pour qui « la première fois l’Histoire se répète comme tragédie, la seconde fois comme farce » ? À la différence que la répétition se veut ici dramatique.

Comment canaliser le mécontentement populaire ?

Assumant son geste et montrant sa sincère compassion à tous, y compris ses détracteurs les plus virulents, Aurore Henri devient bientôt une vedette politique. Elle reçoit dans sa cellule un abondant courrier de femmes battues, de filles empêchées d’avorter, d’homosexuels et de lesbiennes persécutés. Elle entretient sa notoriété en mettant en ligne un commentaire hebdomadaire sur Twitter. La prisonnière la plus célèbre d’Europe s’attaque aux mouvements anti-avortement, aux groupes homophobes, au « nationalisme viril (p. 60) » ainsi qu’au « souverainisme membré (idem) ». Telle une nouvelle Lysistrata, elle demande aux femmes de faire la grève du sexe. Elle avait prévenu son auditoire. Au moment de son procès, n’avait-elle pas lancé au juge : « Je crois que les privations sont le germe des révolutions. Nous venons d’assister à une révolution. Mais nous avons oublié que les révolutions engendrent des années de terreur (p. 35) » ?

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Quand Aurore Henri retrouve la liberté en 2029, le continent européen subit de plein fouet la « Grande Dépression » économique, le « Grand Effondrement » civilisationnel, une féroce crise énergétique et des catastrophes climatiques alternant des épisodes de froid rigoureux et d’autres d’intenses sécheresses. Les États-nations font faillite. Le désordre s’installe partout. Vienne la sociale-démocrate se sépare de la très conservatrice Autriche. La Catalogne et l’Andalousie proclament leur indépendance. Les Européens crèvent de froid, faute de chauffage, et meurent de faim. En France, par exemple, « la politique de réduction des terres agricoles et l’industrialisation du territoire a affaibli l’indépendance alimentaire du pays (p. 78) ». La poly-crise mondiale n’empêche cependant pas que « les États-Unis, la Russie et la Chine se partageaient l’énergie et les richesses du monde. Le rêve européen s’était éteint (p. 118) ».

Inquiets de la tournure des événements, deux membres de l’hyper-classe mondialistes, la richissime Helen et le conseiller de l’ombre Nicolas, prennent sous leurs ailes Aurore Henri dès sa sortie de prison. Malgré ses réticences initiales, Aurore Henri accepte les conseils avisés de Nicolas. Ce dernier lui apprend que sa fraîcheur médiatique et ses années de détention représentent deux excellents atouts publics. L’ancienne prisonnière bénéficie aussi du soutien du « magnat tchèque de la presse (p. 171) », Artur Krotinsky qui « possède nombre des quotidiens, hebdomadaires et féminins les plus importants d’Europe (p. 82) ». Allusion limpide à Daniel Kretinsky, le propriétaire tchèque de Marianne (cf. Faits & Documents, n° 452, du 1er au 30 juin 2018). Pourquoi est-il visé et non pas Drahi, Bouygues ou Dassault ? Serait-ce une manifestation xénophobe ? Diane Ducret se vengerait-elle indirectement d’un quelconque refus ?

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Autre fait intrigant. Diane Ducret imagine que la crise de civilisation frappe durement la Grande-Bretagne post-Brexit si bien que ses banques « tentèrent d’abord de se maintenir à flot en ponctionnant les comptes de leurs clients. Les assurances vie, les actions, les portefeuilles sont vidés, avec pour obligation légale de laisser 10 000 livres disponibles par tête. Ceux qui en ont les moyens s’enfuient en direction des États-Unis, du Golfe ou de l’Asie, les autres voient partir en fumée le travail de toute une vie. Les maisons achetées à crédit sont saisies, si bien qu’à la fin de l’année, Londres compte cinq cent milles personnes sans foyer (p. 75) ». Plus que le corralito argentin et les récents exemples grec et chypriote de blocage des comptes courants, elle sous-entend le retour de l’emprisonnement pour dette qui appartient à la tradition judiciaire anglo-saxonne. L’importation de cette mesure sur le continent serait couplée à la nationalisation des domiciles. Les députés de la majorité macronienne n’ont-ils pas envisagé une taxe sur les propriétaires au motif ubuesque qu’ils ne paient pas de loyer ? Le bankstérisme cherche à domestiquer des populations de plus en plus rétives.

Mandragore et eunomie

Dans un contexte chaotique et conflictuel, Aurore Henri développe une vision féministe, matriarcale, écologiste et gynocratique. Contre les États nationaux-souverainistes, elle rappelle « aux peuples que de grandes valeurs, dépassant leur intérêt personnel, les unissent (p. 85) ». Elle soutient la renaissance de l’Europe, car « nous sommes une civilisation, nous sommes une famille. Nous ne sommes pas un marché, une économie dont on se débarrasse lorsqu’elle n’est plus avantageuse ! […] L’Europe nous a élevés, c’est notre foyer. […] Sitôt que nous ne serons plus une grande puissance […] d’autres s’approprieront nos ressources, puisqu’ils ne nous craindront plus. Nous allons devenir la cible des spéculateurs qui s’enrichiront sur nos dettes (pp. 13 – 14) ». Elle réclame par conséquent « la création d’une Nouvelle Europe, rempart contre la corruption, les affaires, la violence, l’avarice et le manque de valeurs. Une Nouvelle Europe maternelle, spirituelle et bienfaitrice ! (p. 165) » Ainsi partage-t-elle la juste colère de son conseiller spécial quand le pape refuse de les recevoir au Saint-Siège. « “ C’est bien le problème de notre continent, il est pris en otage par la gériatrie. Ils nous emportent avec eux dans la tombe, parce qu’ils n’ont plus la force de faire pousser la vitalité ”, enrage Nicolas (p. 133). »

Détentrice d’une formidable notoriété, Aurore Henri invite d’abord les Européens à assiéger les sièges du pouvoir. Elle somme ensuite les gouvernements nationaux d’organiser un référendum fondateur de la « Nouvelle Europe ». Dix-sept États sur les vingt-sept participent à ce scrutin, ouvert le 30 janvier 2033, qui se traduit par 70 % de oui.

Depuis le début de sa carrière politique et en faveur d’une crise polymorphe toujours plus grave, Aurore Henri anime une formation politique de dimension européenne, les « Phalanges sacrées ». Militant dévoué corps et âme, le « phalangiste » se doit de renier sa foi en public. Tous agissent en faveur du « Programme pour l’établissement d’une Nouvelle Europe ». Peu de temps auparavant, la future chancelière de la Nouvelle Europe a répondu à une journaliste que « ce n’est pas moi qui suis radicale, c’est le chaos de notre époque. Je ne suis qu’une voix qui tente d’ordonner le chaos (p. 203) ».

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Elle ne veut pas refaire les mêmes erreurs que ses prédécesseurs en matière de construction européenne. Attachée aux symboles, elle présente au peuple européen un nouvel étendard plus mobilisateur à ses yeux. « Voici le drapeau de notre Union. Il unifie dans la même couleur les disparités de nos peuples, le rouge du sang que nous avons versé pour nous retrouver. La plante en son centre nous rappelle ce que nous avions oublié. Nos racines communes, seules, feront fleurir la paix et l’unité (p. 211). » La plante en question est la mandragore. Pourquoi cette plante ? « La mandragore est le symbole du combat pour la singularité de notre culture. Elle est notre signe de ralliement dans la lutte contre les excluants en tant que destructeurs d’unité et d’égalité (p. 415) », s’enflamme Hugo Humbert.

Aurore Henri reprend à son compte la réflexion de Nicolas qu’elle tue peu après. Son conseiller évoque Sparte et la notion d’eunomie qui « signifie la bonne législation, l’ordre bien réglé, l’équité, le juste équilibre, l’harmonie (p. 163) ». Dans l’hémicycle vide et en ruine du Parlement européen à Bruxelles, elle lance au monde entier en direct : « Vivons dans une Europe qui, telle une cité grecque, respecterait l’humain, le vivant, et glorifierait son environnement ! Convergeons vers un même but, comme un arbre unit en un seul tronc toutes ses racines ! Nous sommes la déesse Europe ! (p. 165) » Elle fait édifier un somptueux palais, le Megala Mandragora, sur un pic rocheux des Météores en Thessalie grecque. Quelle en est l’explication ? « Les Météores, en équilibre entre ciel et terre, entre Orient et Occident, entre terre et mer, étaient la quintessence géographique de son projet politique (p. 400) », parfaite concrétisation géographique de la Nouvelle Europe eunomique. Ne propose-t-elle pas d’ailleurs établir « l’équilibre parfait entre les citoyens, dotés des mêmes droits, éduqués dès leur plus jeune âge par la poésie et la philosophie, tournés vers le bien commun (p. 163) » ?

Manifestation d’une idée grande-européenne

Certes, au début de son ascension politique, Aurore Henri défendait « une seule humanité, une seule Terre, une seule vie. Il faut oser repenser la transcendance, et privilégier comme valeurs maîtresses de nos sociétés celles qui nous unissent et donnent sens à nos vies. Le collectif et l’individuel ne feront alors plus qu’un, ils ne s’opposeront plus, puisque chacun, en se réalisant lui-même, réalisera les valeurs de tous (p. 86) ». Le poids des responsabilités l’oblige néanmoins à revoir se renouveler. Portée par l’eunomie, la Nouvelle Europe se veut idéocratique. « Tout comme la Nouvelle Europe, l’Union soviétique était le nom d’un pays conceptuel, d’une idée (p. 494). » Citant Nietzsche et Hegel, Aurore Henri rêve d’un État « régénéré. Un État total harmonieux constituant une unité organique, qui soumettrait la science et la religion, dans lequel la séparation des pouvoirs n’existerait pas. Un État qui subordonnerait le particulier à l’universel pour le bien de l’humanité. Un État qui, par la discipline qu’il imposerait, serait le chemin sur la liberté véritable des hommes (p. 345) ». Le nouvel État eunomique sort de l’OTAN, se désengage du FMI, annule ses dettes et nationalise les firmes transnationales. Quant à l’OMS, pour rester dans l’actualité sanitaire et vaccinale, son bras droit rugit : « L’OMS ? Une bande de dégénérés vendus aux laboratoires pharmaceutiques de l’Ancien Monde ! (p. 419) »

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Avec Aurore Henri, l’habitant du vieux continent se transforme en « fier Néo-Européen à part entière (p. 424) ». Désormais, « la Nouvelle Europe est un corps organique, libéré de ceux qui l’entravaient. Chaque pays est un organe nécessaire à sa survie, tous les organes œuvrant de concert (p. 285) ». Les seize points du Programme entrent dès lors en application. Le point 3 affirme ainsi que « seuls les citoyens bénéficient des droits civiques. Pour être citoyen, il faudra adhérer aux valeurs de la Nouvelle Europe, et par ses actes, ses croyances ou ses intentions, ne pas chercher à la détruire ou à la déstabiliser. Les citoyens pourront être déchus de leurs droits civiques et être bannis s’ils ne respectent pas les valeurs de la Nouvelle Europe (p. 167) ». Le gouvernement néo-européen commence une politique ambitieuse de grands travaux en liaison avec le septième point : « La Nouvelle Europe ne financera plus ses politiques publiques par la taxation du travail, mais par la taxation des transactions financières et commerciales, et la mise en place de nouveaux mécanismes économiques libérant les citoyens du joug de la pression fiscale (p. 168). » Le pendant social de l’eunomie officielle sonne familièrement avec le cinquième point : « La Nouvelle Europe s’engage à procurer à tous ses citoyens des moyens d’existence sous la forme d’un revenu d’existence de base, donné à chaque citoyen afin de garantir sa survie et sa dignité (p. 168). » Une nouvelle forme de servage se réinstalle de cette façon tant l’allocation universelle de base – à ne pas confondre avec le revenu de citoyenneté – incite à la caporalisation des masses.

L’eunomie s’occupe de tout et de tous…

Diane Ducret a-t-elle lu L’Altermonde de Jean-Claude Albert-Weil ou certains textes du jeune Guillaume Faye qui théorisent un grand espace continental autarcique ? On peut s’interroger. « Les anciennes usines automobiles sont recyclées en usines propres fabriquant des voitures à air comprimé (p. 295) » d’un seul et unique modèle : la Henri. Mieux encore, « Les villes côtières sont alimentées par d’incroyables turbines sous-marines nourries par les courants marins. Leur fabrication, sur les chantiers du Havre à l’abandon, redonne vie à la région, et fierté aux habitants. […] S

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lundi, 18 janvier 2021 | Lien permanent

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