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Le bulletin célinien n°335 (novembre 2011)

 

Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°335. Au sommaire :

Marc Laudelout : Bloc-notes
P.-L. Moudenc : « Céline’s band »
Robert Le Blanc : Jeanne Alexandre et « Voyage au bout de la nuit »
Jeanne Alexandre : « Voyage au bout de la nuit » [1933]
Rémi Astruc : Céline et la question du patrimoine
M. L. : Céline et Jean Renoir
Pierre de Bonneville : Céline et Villon (4 et fin).

Un numéro de 24 pages, 6 € franco.

Le Bulletin célinien, B. P. 70, Gare centrale, BE 1000 Belgique.

 

Le Bulletin célinien n°335 - Bloc-notes

André Derval (1) m’écrit que, contrairement à ce que j’ai laissé entendre, le colloque de février dernier n’a pas été organisé sous les auspices de la Société des Études céliniennes. « J’en suis personnellement responsable, en collaboration avec Emmanuèle Payen, de la BPI (Bibliothèque Publique d’Information, ndlr) », précise-t-il. Je suis heureux de cette rectification car j’avais déploré, on s’en souvient, qu’au cours dudit colloque, Céline ait été présenté comme un partisan du génocide. La présence active de François Gibault, président de la SEC, et d’André Derval, qui dirige la revue de la société, m’avaient induit en erreur. Mea culpa.
Il ne s’agit pas, soyons clairs, d’exonérer Céline de ses outrances. Ainsi, on regrettera, pour la mémoire de l’écrivain, que celui-ci se soit laissé aller à adresser, sous l’occupation, des lettres aux folliculaires de bas étage qui constituaient la rédaction de l’hebdomadaire Au Pilori, pour ne citer que cet exemple. Encore faut-il ajouter que des céliniens, peu suspects de complaisance, tel Henri Godard, admettent que Céline était dans l’ignorance du sort tragique réservé aux juifs déportés.
La Société des Études céliniennes n’est donc pas responsable de ces dérives et c’est tant mieux. Elle ne l’est pas davantage de l’édition du livre iconographique de Pierre Duverger, Céline, derniers clichés, coédité par l’IMEC et les éditions Écriture, dans une collection que dirige André Derval (2). Dans ce cas aussi, il faut s’en féliciter. La préfacière de cet ouvrage n’y affirme-t-elle pas que « Céline appela à l’extermination » [sic] ? C’est, une fois encore, interpréter abusivement le langage paroxystique du pamphlétaire.
Après la guerre, Céline se gaussait de ses accusateurs qui voyaient en lui « l’ennemi du genre humain » ou, pire, « un génocide platonique, verbal ». « On ne sait plus quoi trouver », ajoutait-il, désabusé (3).
Sur cette période trouble de l’occupation, il faut lire la somme de Patrick Buisson, 1940-1945, années érotiques, qui vient d’être rééditée en collection de poche (4). S’il est vrai que le rapport à l’argent, au pouvoir et au sexe détermine un individu, l’auteur montre avec perspicacité à quel point la libido joua un rôle majeur dans ces années tumultueuses. Céline y est défini comme un « thuriféraire de la France virile ». C’est sans doute l’une des raisons pour laquelle il est si mal considéré en notre époque qui voit le triomphe des valeurs féminines « au détriment de l’impératif communautaire avec lequel les valeurs mâles ont, depuis toujours, partie liée ». Et d’observer que « cette féminisation de la société s’accompagne d’un effacement symétrique des marqueurs identitaires du masculin tels que l’autorité et la force physique dont le capital social et symbolique semble promis à une lente mais inexorable évaporation ». C’est dire si Céline, qui fustigeait le pays femelle qu’était alors la France à ses yeux, aurait honni ce qu’il en est advenu.

Marc LAUDELOUT


1. Né en 1960, André Derval est l’auteur d’une thèse de doctorat, Le récit fantastique dans l'œuvre de Louis-Ferdinand Céline (Université de Paris VII, 1990). Il est actuellement responsable du fonds d’archives Céline à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC) et directeur de la revue Études céliniennes éditée par la Société d’études céliniennes. Au cours du colloque de Beaubourg, André Derval a déploré, à juste titre, qu’en France aucun travail collectif relatif à Céline ne soit entrepris par une équipe d’enseignants chercheurs, comme cela se produit pour tant d’autres écrivains.
2. Pierre Duverger, Céline, derniers clichés (préface de Viviane Forrester), Imec-Écriture, 2011.
3. Entretien avec Louis-Albert Zbinden, Radio suisse romande [Lausanne], 25 juillet 1957.
4. Patrick Buisson, 1940-1945, années érotiques (I. Vichy ou les infortunes de la vertu ; II. De la Grande Prostituée à la revanche des mâles), Le Livre de Poche, 2011. Ce livre est paru initialement en 2008 (Éd. Albin Michel).

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mercredi, 09 novembre 2011 | Lien permanent

Les législatives belges du 13 juin 2010

Communiqué du “Mouvement Identitaire Démocratique” (MID)

 

Les législatives belges du 13 juin 2010

 

be-bart-de-wever-8804_1217964616.jpgLe lendemain des législatives belges du 13 juin 2010, les manchettes des journaux étrangers, en vente à Bruxelles, comme “El Pais” (Espagne) et le “Corriere della sera” (Italie), annonçaient la victoire de la NVA de Bart de Wever et pronostiquaient la séparation entre Flamands et Wallons et la fin de la Belgique, chanson  que l’on entend au moins depuis trois décennies. Et comme d’habitude, pleins feux sur la Flandre et ses velléités autonomistes, confédéralistes ou indépendantistes. Mais pas un mot sur la consolidation du vote socialiste en Wallonie, qui ouvre, dans les circonstances actuelles marquées par une avancée sans précédent du nationalisme flamand, des perspectives de coalition totalement inhabituelles.

 

Pour expliquer clairement les enjeux de la campagne électorale qui vient de s’achever, il faut revenir aux résultats du scrutin de 2007, où l’on trouvera tous les prémisses de la crise d’aujourd’hui. Il y a trois ans, la victoire avait été emportée haut la main par le cartel formé par les démocrates-chrétiens flamands (Cd&V) et les nationalistes modérés de la NVA (que l’on distinguait alors des “maximalistes” du Vlaams Belang). Ce cartel voulait un élargissement du fédéralisme belge, c’est-à-dire des dévolutions supplémentaires, notamment en matières fiscales, avec, pour la Wallonie, un sérieux risque à la clé: celui de réduire la manne des fameux “transferts” de solidarité fédérale, où, la Flandre, devenue plus riche depuis l’effondrement des vieilles structures industrielles de la Wallonie, verse une partie de ses impôts pour soutenir un tissu économique défaillant dans le sud du pays et plus particulièrement dans l’ancien sillon Sambre-et-Meuse, hyperindustrialisé à ses époques de gloire et de prospérité.

 

Contre Leterme: front du refus et lynchage médiatique

 

En 2007, l’établissement francophone avait opposé un non catégorique à cette volonté flamande de dévolution, largement exprimée par les urnes. Le porte-voix de ce refus tranché avait été la présidente des démocrates chrétiens francophones, Joëlle Milquet, qui a rapidement glané le sobriquet de “Madame Non” dans toute la presse flamande. La victoire du cartel et le non de Milquet avaient provoqué une crise de longue durée dans le royaume, empêchant Yves Leterme, président du Cd&V, de former un gouvernement. Il avait été obligé de lâcher Bart De Wever et donc de dissoudre ce fameux cartel qui lui avait donné la victoire et lui avait permis de reconquérir les très nombreux sièges perdus par les démocrates chrétiens depuis la crise de la dioxine en 1999, face aux libéraux de Verhofstadt. Seule l’alliance avec les nationalistes de la NVA avait permis aux démocrates chrétiens de revenir aux affaires. Ensuite, toutes les tentatives de Leterme de trouver un modus vivendi avec l’établissement s’étaient soldées par un échec, tandis que la presse francophone se livrait contre lui à un véritable lynchage médiatique, où sa personne était posée comme l’idiot parfait, le chévrier d’arrière-province (Leterme possède une chèvre comme Mitterrand possédait une ânesse), l’abruti total qui ne connaissait pas l’hymne national belge, l’accro du portable qui pianotait sur son mini-clavier pendant le Te Deum de la fête nationale, etc. Tous les coups avaient été permis et tous les coups avaient été portés. L’établissement francophone et les démocrates-chrétiens de Wallonie et de Bruxelles, habituels interlocuteurs privilégiés de leurs homologues de Flandre, avaient clairement signifié à Leterme qu’ils ne voulaient pas de son “confédéralisme”, de son alliance avec la NVA et qu’ils n’étaient pas “demandeurs en matière de réformes institutionnelles” (c’est-à-dire qu’ils ne voulaient aucune démarche en direction d’un confédéralisme ou de dévolutions supplémentaires).

 

En Flandre, cette manière de procéder, cet acharnement féroce, ont laissé des traces profondes dans les sentiments populaires qui se traduisent avant tout par un ressentiment sourd à l’égard de l’établissement. Celui-ci s’est développé en silence dans les masses, dans les chaumières, sans que cela ne transparaisse dans la presse ou dans les débats publics: le peuple ruminait, ressassait et préparait sa vengeance. Nous avions dit un jour, en commentant cette crise: “Leterme et De Wever seront un jour plébiscités”, tant les campagnes de dénigrement et de calomnies à leur encontre étaient perçues dans le bon peuple comme profondément injustes. Ce plébiscite vient d’avoir lieu mais ce n’est pas Leterme qui en a été le bénéficiaire mais son partenaire mineur de 2007, Bart De Wever, chef de file de la NVA. Même si Leterme conserve des scores très honorables dans les bastions ouest-flamands dont il est issu (Ypres, Courtrai). Un journal flamand avait reproduit les paroles d’un badaud auquel Leterme avait serré la pince lors d’une tournée électorale sur un marché dominical en Flandre occidentale: “Gij had nondedju harder op tafel moeten kloppen in Brussel” (T’aurais dû, non de D., taper plus fort sur la table à Bruxelles). Leterme avait été jugé par “la langue du peuple sur la place du marché”, comme dit Mikhail Bakhtine, l’exégète russe de Rabelais: un brave garçon mais pas assez énergique. De Wever, après une campagne très bien ficelée, a été perçu par l’électorat flamand comme celui qui allait vraiment taper du poing sur les tables à Bruxelles et faire passer les réformes institutionnelles et le confédéralisme auquel il aspirait. Du coup, son parti, aux scores modestes et partenaire mineur du défunt cartel, est devenu, et de loin, le premier parti de Flandre. Judoka professionnel et député d’Ostende, Jean-Marie de Decker, leader de la LDD  —un parti populiste sans connotations nationalistes, qui avait, lors des élections précédentes, coulé tous les propos de café de commerce en un programme politicien (à défaut d’être politique)—  a remarqué avec pertinence qu’un tel glissement de terrain n’avait jamais été vu en Belgique depuis 1830, année de la naissance du royaume. Les trois partis traditionnels (démocrates-chrétiens, libéraux et socialistes) ont tous perdu des plumes devant un challengeur nationaliste flamand.

 

L’imbroglio de BHV

 

La chute du gouvernement Leterme est due à la question dite de “BHV”, incompréhensible pour les observateurs internationaux, qui évitent de l’évoquer de peur de s’emmêler les pinceaux mais au risque de ne pas faire comprendre le problème à leurs lecteurs ou auditeurs. Les lettres B, H et V, désignent les noms de trois communes ou villes voisines dans l’ancienne province du Brabant, Bruxelles, Hal(le) et Vilvo(o)rde, constituant un seul arrondissement judiciaire dans le royaume et une unique circonscription électorale. L’objectif des partis flamands avait été de scinder cet arrondissement en séparant les 19 communes qui forment la Région bruxelloise, des cantons de Hal(le) et Vilvo(o)rde, inclus dans la province du Brabant flamand, donc dans la Région flamande. La Région bruxelloise aurait formé un arrondissement judiciaire limité aux dix-neuf communes qui la constituent, de même qu’une circonscription électorale détachée de Hal(le) et Vilvo(o)rde, sans qu’il n’y ait plus chevauchement d’une circonscription et d’un arrondissement judiciaire sur deux régions différentes.

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Sur la carte: en vert, les 19 communes de la Région bruxelloise -

En beige, les communes des cantons de Halle et de Vilvoorde (Brabant flamand, Région Flandre)

 

Pour comprendre cet imbroglio, une brève leçon d’histoire s’impose: en 1963, les représentants des deux communautés linguistiques majeures composant le royaume de Belgique décident de tracer une frontière linguistique entre les régions néerlandophone et francophone (et aussi entre les cantons germanophones et la Wallonie francophone), impliquant l’unilinguisme administratif dans chacune des régions, comme l’a toujours demandé le mouvement wallon dans ses revendications (la Flandre était moins demanderesse, à l’époque, que la Wallonie, qui venait d’être secouée en décembre 1960 et janvier 1961 par une vague d’émeutes sociales, menées par l’aile ultra et régionaliste du syndicalisme socialiste, dont le chef de file avait été André Renard; celui-ci prétendait que la Wallonie devait bénéficier d’une autonomie par rapport à la Flandre, afin de pouvoir parfaire son socialisme particulier sans devoir demander des comptes à une majorité parlementaire flamande aux Chambres siégeant à Bruxelles). Le long de cette frontière, voulue tout à la fois par les nationalistes flamands et par les renardistes wallons, et autour des 19 communes de l’agglomération bruxelloise, les minorités (flamandes ici, francophones là, germanophones ailleurs) reçoivent des “facilités administratives”, consistant, pour l’essentiel, à obtenir de l’administration tous documents dans leur langue maternelle. Les “facilités” constituent donc un expédiant pragmatique. Six communes autour de l’agglomération bruxelloise bénéficient de ces “facilités” (Wemmel, Wezembeek-Oppem, Kraainem, Rhode-Saint-Genèse/Sint-Genesius-Rode, Drogenbos et Linkebeek), tout en faisant partie de l’entité de Halle-Vilvoorde, incluse plus tard dans la province du Brabant flamand.

 

La Périphérie bruxelloise: une situation née de l’exode urbain

 

A la suite de l’institutionalisation de cette frontière linguistique en 1963, la Belgique entame un long processus de fédéralisation qui durera près de trente ans, impliquant notamment la séparation de la province de Brabant, auparavant bilingue et incluant l’agglomération bruxelloise, en deux nouvelles entités provinciales: le Brabant wallon et le Brabant flamand. Le Brabant wallon fait partie de la Région wallonne. La Brabant flamand de la région flamande. Les cantons de Halle et de Vilvoorde appartiennent au Brabant flamand, tout en étant rattachés à l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, devenue région à part entière. Ce rattachement constitue bien entendu une anomalie dans la logique communautaire du fédéralisme belge. Bon nombre de natifs des dix-neuf communes bruxelloises ont aimé, au cours de l’exode urbain vers les zones semi-rurales de la “périphérie”, se fixer dans ces cantons limitrophes de l’agglomération bruxelloise. On travaillait en ville et on épargnait pour se construire une maison dans la “ceinture verte” et flamande autour de la grande ville encombrée. L’idéal du Belge moyen est celui de Ruskin, le concepteur anglais des cités-jardins. C’est dans un tel cadre qu’il veut vivre avec sa famille et couler des jours heureux. Vivre dans un appartement sans jardin où dans un clapier typique des années 60 est jugé dégradant, ne symbolise aucunement le bonheur et l’art de vivre. Au cours de son histoire, Bruxelles a imposé le français à tous les ressortissants des provinces belges venus s’installer dans la capitale, les flamandes comme les wallonnes, si bien que ce sont de nouveaux habitants francophones ou francophonisés qui arrivent par vagues successives dans la “ceinture verte”. Les habitants autochtones et néerlandaophones de ces communes du Brabant flamand parlent d’ “olievlek”, de “tache d’huile” qui se répand au départ de Bruxelles, urbanise d’anciens villages ruraux pittoresques. Depuis une dizaine d’années, ils sont, de surcroît, animés par la crainte panique de voir arriver des ressortissants issus des diverses vagues migratoires non européennes, installées dans les anciens quartiers populaires de la capitale belge, quartiers qui deviennent, pour eux aussi, exigus.

 

Néerlandophones et Francophones vont donc se heurter de front dans les six communes dites “à facilités” et partout dans les cantons de Halle et de Vilvoorde, où l’exode urbain tente de créer des niches ou des cités dortoirs, sans prise réelle sur la vie quotidienne des habitants autochtones des communes périphériques et surtout sans intérêt pour elle; absence d’intérêt prise pour de l’arrogance et de la grossièreté par les Flamands de cette “ceinture verte”, vexés d’être considérés comme des “natives” résiduaires, des aborigènes en voie de disparition, auxquels on n’adresse pas la parole. L’objectivité nous oblige tout de même à signaler que des ressentiments similaires ont animé ou animent encore les autochtones du Brabant wallon, subissant aussi les  effets de  la “tache d’huile”: seulement leurs sentiments ne sont pas instrumentalisables politiquement comme le sont tous les clivages d’ordre linguistique en Belgique. “BHV” devient ainsi un enjeu politique majeur. Et le cheval de bataille des militants de la francophonie, dont l’inénarrable Olivier Maingain, animé par une francolâtrie pathologique qui va jusqu’à étonner les citoyens français eux-mêmes qui restent pantois devant sa virulence et se montrent généralement plus prompts à reconnaître les ressorts de l’identité flamande. Maingain et ses compagnons de combat vont agiter le spectre de la “minorisation des francophones” dans les six communes et dans tout le reste de la “périphérie” et accuser le monde politique flamand d’empêcher la fusion de ces six communes et d’autres zones des cantons de Halle et de Vilvoorde au sein de la Région de Bruxelles-Capitale.

 

Scinder BHV pour désengorger les tribunaux de Bruxelles

 

Le ton va monter, s’envenimer, tant et si bien que le sycophante Maingain n’hésitera pas à se poser, selon les clichés habituels et éculés, comme un résistant face au “nazisme” intrinsèque d’une méchante Flandre posée comme le fer de lance d’un nouveau pangermanisme (mais sans avoir derrière elle ni un Bismarck ni les uhlans de Guillaume II ni les Panzerdivisionen de Guderian). Angela Merkel est pacifique et timorée: elle ignore tout des arcanes de la politique belge ou des ressorts du pangermanisme, dont tous les adeptes sont morts et enterrés depuis longtemps sauf dans les délires de Papy Maingaingain (qui fait de la résistance). Le maximaliste Bart Laeremans, juriste et député du Vlaams Belang, dans une lettre ouverte aux Francophones de Bruxelles et de sa périphérie, a rappelé fort oppotunément que le problème de BHV n’en était pas un, sauf pour le FDF de Maingaingain: les partis flamands veulent tout simplement scinder l’arrondissement judiciaire de BHV parce que les tribunaux bruxellois sont engorgés et ne peuvent plus maîtriser l’arriéré judiciaire. Cette scission, d’ordre purement pragmatique, va donc dans l’intérêt des Bruxellois et des habitants de la périphérie (H & V). Il ne s’agit nullement, précise le maximaliste flamingant Laeremans, de supprimer les “facilités” ni d’empêcher les Francophones de constituer des listes électorales particulières et de se faire élire au Parlement flamand ou dans toute autre instance représentative. Les craintes de Maingain et de ses acolytes ne portent pas en réalité sur les dangers qui guetteraient la démocratie dans les communes de l’entité BHV. Si l’arrondissement de BHV est scindé, Maingain et ses amis ne pourraient plus récolter de voix dans les communes de la périphérie bruxelloise; celles-ci iraient à d’autres francophones, sur des listes parallèles se présentant en Région flamande et, du coup, le poids politique de Papy Maingaingain en Région bruxelloise se réduirait comme une peau de chagrin. C’est donc pour des raisons personnelles et purement électoralistes, pour une cuisine politicienne produisant un très mauvais graillon, que lutte Maingain et non pas pour défendre la démocratie ou la francophonie. Les édiles bruxelloises, se targuant de francophonisme, veulent aussi faire main basse sur les recettes fiscales des communes mieux nanties de la périphérie pour les précipiter dans le tonneau des Danaïdes qu’est le budget de la Région de Bruxelles-Capitale.

 

Le problème réel, à nos yeux, n’est donc pas linguistique mais fiscal. Et on s’étonne que ni la NVA ni le Vlaams Belang ni les autres partis flamands ne l’ont évoqué dans les polémiques et débats politiques. Les taxes sont plus lourdes en Régions bruxelloise et wallonne qu’en Région flamande, notamment l’impôt sur les successions. Dans la périphérie et dans l’arrondissement de Halle-Vilvoorde tout entier, les générations précédentes, autochtones ou émanations de la  “tache d’huile”, ont fait bâtir une quantité impressionnante d’immeubles, constituant leur patrimoine familial, fruit de leurs économies et surtout de leur labeur. Ces francophones, venus dans la périphérie suite au phénomène sociologique de l’exode urbain, courent un risque énorme, si leurs communes sont rattachées à la Région bruxelloise, comme le veulent Maigain et ses séides: celui de voir s’éroder considérablement la valeur de leur patrimoine immobilier, qui, en cas de “bruxellisation”, serait ponctionnée par une “rage taxatoire”destinée à renflouer une Région artificielle, sans poumon extérieur et largement déficitaire, vu le chômage de masse qui y sévit, frappant en premier lieu une jeunesse issue des deuxième, troisième voire quatrième générations d’immigrés non européens, majoritairement musulmans, pour laquelle on avait prévu de généreuses mesures d’intégration qui ont, hélas, toutes fait faillite. Le mal de vivre, la drogue, l’oisivité, l’intégrisme islamiste, le refus de s’adapter aux moeurs d’une civilisation industrielle, le débranchange social par la cyberdépendance, le désorientement, le tiraillement de ces adolescents et adolescentes entre les “paradis artificiels” de la société de consommation et les injonctions sévères de la famille maghrébine ou turque traditionnelle, etc. rendent une jeunesse majoritairement issue de l’immigration (mais pas uniquement) totalement inadaptée au marché du travail à Bruxelles. Les ponctions fiscales sur le patrimoine meuble et immeuble des ex-Bruxellois partis vers la périphérie serviraient à financer les mesures sociales palliatives, destinées à maintenir ces masses juvéniles en un état d’assistanat permanent: on sait qu’il faut construire des logements sociaux, des prisons (eh, oui), l’engagement de policiers supplémentaires, de matériels pour l’appareil répressif, etc., toutes dépenses non prévues et non destinées aux zones périphériques, toutes dépenses qui seront engagées au détriment de projets plus séduisants, plus humanitaires, dans les secteurs de la culture, de l’éducation ou de la médecine. Les discours sur la francophonie masquent un projet de racket inouï et inédit: on oublie de le dire, y compris et surtout dans les cénacles nationalistes flamands, où sévit aussi l’irréalisme politicien. D’où l’absence de toute séduction à l’endroit des Francophones de la périphérie dont la plupart n’ont rien à faire du francophonisme politicien.

 

Le sort de Neder-Over-Heembeek

 

L’exemple le plus patent de ce qui attend la périphérie, en cas d’annexion à la Capitale sous la houlette de Maigain, a été observé dans une zone moins dense de la Commune de Bruxelles-Ville, dans le quartier, encore fort vert, de Neder-Over-Heembeek, ancienne commune rurale et excentrée, annexée au coeur historique de Bruxelles, il y a plusieurs décennies. Sur le territoire de Neder-Over-Heembeek, le pouvoir socialiste de Bruxelles-Ville a fait édifier d’affreux HLM en bordure des maisonnettes coquettes de “souchiens” débonnaires, heureux de vivre de manière idyllique dans ce quartier aux aspects encore semi-ruraux. Ces HLM étaient destinés à désengorger les vieux quartiers du centre historique de Bruxelles, qui, lui, est en voie de “gentrification”, où fonctionnaires européens, eurocrates, lobbyistes, branchés, faux ou vrais artistes ou pontes du secteur tertiaire se paient de vieux appartements luxueux et cherchent à houspiller les familles allochtones, peu séduites par le spectacle, finalement assez  décadent, de cette nouvelle faune de modernistes, de célibataires et de festivistes, qui a les  faveurs de la presse, au contraire des familles normales, des centaines de milliers de gens qui ont un boulot utile. Inutile de préciser que ce désengorgement du centre de la Ville concerne des populations non “souchiennes”. Si demain les six “communes à facilités” sont annexées à la Région bruxelloise, elles subiront inmanquablement le sort de Neder-Over-Heembeek, qui avait suscité un tollé chez les autochtones locaux, un tollé que la presse aux ordres s’était bien abstenue de répercuter... Ces braves autochtones n’ont plus qu’à vendre au rabais leurs maisonnettes et à se replier dans des appartements plus exigus ou à émigrer vers des communes plus lointaines du Brabant wallon, sans liaisons faciles avec la capitale. Voilà à quoi menerait la politique du sycophante Maingain...

 

Une bonne partie des citoyens des six communes à facilité, aveuglée par les discours toniturants sur la défense de la “démocratie” (celle des prébendes et des entourloupettes politciennes) et de la “francophonie”, a encore voté pour le MR libéral (“Mouvement Réformateur”), qui constitue un cartel avec le FDF (“Front des Francophones”), le parti de Maingain. La majeure partie des habitants de Halle et de Vilvoorde a toutefois voté pour la NVA de Bart De Wever, la peur aux tripes de voir arriver une nouvelle “tache d’huile”, une nouvelle vague de Bruxellois, allochtones cette fois, ou de devoir payer des taxes pharamineuses pour financer leur insertion ou leur non insertion. L’affaire de BHV n’est pas une affaire de constructivisme institutionnel, de bricolage juridique, de complots  pangermanistes ou de cogitations politiciennes oiseuses mais touche directement le citoyen dans les problèmes de sa vie quotidienne, dans les problèmes de la gestion de son patrimoine. Problèmes que les discours politiciens n’ont pas pris en compte ou ont escamotés...

 

Ouvrir un chantier pour un socialisme nouveau en Wallonie?

 

La Flandre, c’est désormais évident, souhaite mettre un terme aux transferts vers la Wallonie, ou les réduire au minimum requis par la solidarité fédérale ou contraindre les décideurs wallons à des investissements productifs pour une Wallonie qui n’est quand même pas sans atouts, malgré son plus grand éloignement de la mer et des ports. La Wallonie est proche de la Rhénanie et de l’espace mosellan, que ce soit celui du Palatinat allemand ou du Duché de Lorraine, annexé à la France et laissé pour compte par l’Hexagone. La Flandre de Bart de Wever met peut-être la Wallonie au pied du mur: ou elle se maintient vaille que vaille dans son socialisme d’assistanat, en quémandant l’argent des transferts ou des subsides européens, ou elle annonce qu’elle va créer un socialisme réellement travailliste, solidaire et local, correspondant à l’idéal humain que représente l’oeuvre sculpturale de Constantin Meunier ou qu’envisageait peut-être André Renard, figure emblématique de la Wallonie du début des années 60. Un tel chantier, fort intéressant, pourrait s’ouvrir. La Flandre est animée par un souci pragmatique et non par un nationalisme caricatural comme l’établissement essaie de le faire croire à la presse étrangère.

 

Quid de l’avenir de la Belgique après le raz-de-marée de la NVA, dimanche 13 juin 2010? Il y a deux risques: 1) la récupération de Bart De Wever qui, de croquemitaine de l’établissement, deviendrait en un tourne-main, par un formidable et incroyable tour de passe-passe politicien, son faire-valoir en Flandre; 2) le blocage et une crise plus longue encore que celle de 2007-2008.

 

Dans le premier cas, l’établissement “chevaucherait le Tigre” du nationalisme flamand et parierait pour le tandem De Wever/Di Rupo (le chef de file des socialistes wallons), autant dire alors qu’il parierait pour le mariage de l’eau et du feu. Mais les avances faites par Caroline Gennez (présidente des socialistes flamands) et par Di Rupo himself à De Wever ont été entendus, et bien entendus urbi et orbi, pour que l’on puisse confirmer cette hypothèse, impensable même quelques jours avant le scrutin. De Wever représente le refus populaire flamand des transferts vers la Wallonie. Di Rupo représente l’établissement dans sa faction socialiste, pilier du monarchisme belge en dépit des anciennes velléités républicaines des gauches, qui est contraint d’accepter les transferts pour que survive le pouvoir socialiste en Wallonie, ainsi que l’assistanat qu’il implique dans certaines sous-régions. Pour parfaire cette alliance de l’eau et du feu, on formerait un bloc comprenant la NVA, le PS wallon, le SP.a (socialistes flamands), le CdH (démocrates chrétiens francophones de Joëlle Milquet) et peut-être les partis écologistes des deux communautés linguistiques, vu qu’ils n’ont pas perdu de plumes lors du scrutin de dimanche dernier. La présence du Cd&N n’est pas nécessaire dans ce bloc, sauf peut-être sa composante syndicaliste démocrate chrétienne (l’ACV), mécontente toutefois de voir la NVA emporter le morceau. D’un côté, nous aurions un “pôle wallon de l’Olivier” (comme en Italie), avec les gauches (CdH, PS et Ecolos) dans toutes leurs variantes, et de l’autre, un bloc flamand plus composite comprenant les mêmes ingrédiens idéologico-politiques que l’Olivier wallon, plus la NVA, désormais incontournable mais au risque de devenir pure décoration au sein même du système belge que rejette la plupart de ses militants.

 

Dans le second cas, celui d’un blocage définitif, De Wever percevrait, avant de forger une alliance avec les socialistes de Flandre et de Wallonie, le risque de voir partir sa base nationaliste. Celle-là même qui vient d’abandonner Leterme et les maximalistes du Vlaams Belang, dégoûté qu’elle était du “cordon sanitaire” imposé à ce parti et ne permettant pas à ses élus de participer à des majorités, à quelqu’échelon que ce soit du pouvoir politique. En cas de réticence de De Wever, annonce le journal satiririque bruxellois, “Père Ubu/Pan”, “la lune de miel se muera bien vite en lune de fiel”. Pour éviter de voir son électorat déserter la NVA, comme il a déserté Leterme ou le Vlaams Belang, De Wever pourra tenter de mettre la barre très haut, provoquant à nouveau le refus des autres: les Wallons et les Bruxellois pourront toujours se replier sur l’Olivier à leurs niveaux régionaux respectifs, tandis qu’en Flandre ni la NVA seule ni l’Olivier ne peuvent gouverner sans l’apport de partenaires au sein d’une coalition: aucun panachage politique n’atteint les 50%. De Wever risque alors de subir un “cordon sanitaire” comme ses adversaires du Vlaams Belang dans le camp nationaliste flamand.

 

Vers une déception de l’électorat?

 

Si un tel “cordon sanitaire” s’installe autour de la NVA, la déception de l’électorat composite de ce parti nationaliste modéré sera immense et on risque alors de voir, lors du prochain scrutin, ces masses de voix revenir au Vlaams Belang, qui prétendra incarner une radicalité nationaliste pure, vierge de toute compromission avec l’établissement. Or ce sont en fait les compromis à la belge, où personne ne trouve jamais pleine satisfaction, que l’électeur flamand a rejeté pour plus de 40% (voix de la NVA et du Vlaams Belang confondues). Dans les compromis et les bricolages politiciens, aucun électorat, de quelque parti que ce soit, ne trouve satisfaction: en Wallonie, on a dit hier, et on dira demain, que la Flandre, avec son vote nationaliste, conservateur, clérical ou confédéraliste, empêche l’éclosion d’un “projet socialiste original” dans le sud francophone du pays. En Flandre, on rétorquera que les problèmes structurels du pays flamand, dont le chômage en forte croissance depuis la crise, ne pourront jamais être résolus par l’apport fiscal flamand si les transferts se perpétuent. Les transfers empêchent de fait de récolter les fonds nécessaires à créer de nouveaux emplois en Flandre, suite aux vagues de licenciements qui ont accompagné la crise depuis qu’elle a éclaté à l’automne 2008.

 

L’absence de gouvernement n’est pas un problème pour tout le monde...

 

Le royaume d’Albert II risque donc de se retrouver sans gouvernement pendant longtemps. Le Belge, écrivait avant guerre l’essayiste et journaliste nationaliste et monarchiste Fernand Neuray, est un anarchiste né qui ne hisse jamais l’intérêt général au-dessus de ses intérêts sectoriels. Et de fait, l’absence d’un gouvernement, destiné à assurer l’intérêt général, du moins en théorie, obligera les uns et les autres à gouverner le pays par l’expédiant des “affaires courantes”, ce qui aura pour effet de mettre au frigo d’importantes questions politiques, institutionnelles, sociales, judicaires et internationales. Les véritables maîtres du pays s’en frotteront les mains: les secteurs bancaires et énergétiques, inféodés à la France, auront les coudées franches pour commettre tous les abus imaginables car le politique sera mis hors jeu et ne pourra imposer ni limites ni balises. D’où aucune régulation dans le sens d’une justice sociale et d’une adaptation des tarifs d’assurance, des frais bancaires et des factures énergétiques aux salaires réels des citoyens ne sera possible, a fortiori si ces salaires devront être réajustés, crise grecque oblige.

 

L’avenir n’est donc pas rose parce que la crise européenne et la crise subséquente de l’euro, fragilisé par les événements de Grèce et par les risques similaires que courent le Portugal, l’Espagne, l’Italie, l’Irlande et la Belgique, nous rappellent que tous devraient tourner leurs regards vers leur environnement européen, afin de créer des ponts transrégionaux, de dépasser les nationalismes conflictuels et de faire face aux manoeuvres des ennemis de l’Europe, prêts à profiter de toutes ses faiblesses.

 

 

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mardi, 15 juin 2010 | Lien permanent

1974-2010: la mise en oeuvre du libéralisme économique

1974-2010 : La mise en oeuvre du libéralisme économique

Tribune libre de Paysan Savoyard

Ex: http://fortune.fdesouche.com/

La crise du milieu des années 70

Les Trente glorieuses s’achèvent avec la crise économique qui survient en 1974 et touche les pays industrialisés. Elle est déclenchée par le « choc pétrolier » provoqué en 1973 par les pays producteurs qui, groupés en cartel, décident de tripler brusquement les prix (un second choc pétrolier interviendra en 1979). Dans le même temps les États-Unis décident, en 1973, de supprimer le lien qui rattachait le dollar à l’or, inaugurant un système de flottement général des monnaies : la forte instabilité des monnaies qui résulte de cette décision sera elle aussi, à l’instar du choc pétrolier, préjudiciable à la croissance (l’instabilité monétaire est en effet gênante pour les entreprises, dont elle perturbe les prévisions).

La forte baisse de la croissance qui intervient dès 1974 est certes déclenchée par l’augmentation des coûts de l’énergie : elle résulte cependant, plus fondamentalement, du fait que le monde industrialisé atteint alors la fin d’un cycle économique exceptionnel, qui était alimenté depuis 1946 par la reconstruction d’après-guerre et par la décision des pays européens d’adopter, à l’imitation des États-Unis, le système de production et de consommation de masse.

La crise se traduit, comme nous venons de le dire, par une baisse immédiate du taux de croissance du PIB, qui va être divisé par deux par rapport à son rythme des Trente glorieuses (entre 1975 et 2006, la croissance a été en France de 2,3 % en moyenne et en volume par an, contre 5,6 % entre 1960 et 1974). La crise entraîne également une hausse de l’inflation ainsi qu’une forte hausse du chômage.

La victoire des thèses libérales

 

Depuis les années 1960 dans les universités américaines, les économistes libéraux, autour de Milton Friedman et des « monétaristes », contestaient les politiques mises en place après la guerre, qui donnaient une place importante à un État puissant venant encadrer et réguler l’économie de marché. Ils prônaient pour leur part la mise en place de politiques libérales : un État se limitant aux missions régaliennes ; une baisse des prélèvements publics ; la mise en concurrence et la privatisation des monopoles publics ; une politique économique neutre se donnant pour objectif premier d’éviter l’inflation, à l’opposé des préceptes keynésiens en vigueur.

Pour faire prévaloir leurs thèses, les libéraux vont utiliser la crise économique qui commence au milieu des années 70, en affirmant qu’elle est la conséquence des recettes étatistes mises en place à l’après-guerre. Ces thèses vont l’emporter politiquement à la fin des années 1970, avec la victoire de dirigeants se proposant d’appliquer une politique économique libérale, R. Reagan et M. Thatcher.

En 1982 la gauche adopte la « politique de rigueur » et effectue à son tour le virage libéral

En France le gouvernement de R. Barre (1978) adopte également une orientation libérale. Mais la victoire de la gauche en 1981 remet à l’honneur les politiques keynésiennes et interventionnistes traditionnelles : dans le but de relancer l’activité économique et de diminuer le chômage (qui atteint en 1981 1,5 million de personnes), le gouvernement de gauche procède en particulier à une augmentation forte des salaires des fonctionnaires, du SMIC et des diverses allocations sociales, ainsi qu’à l’embauche de fonctionnaires supplémentaires (il adopte également d’autres mesures de type socialiste, comme la hausse de l’impôt sur les revenus élevés, la nationalisation des banques, l’octroi d’une cinquième semaine de congés payés et le passage du droit à la retraite de 65 à 60 ans).

Cette politique va cependant être rapidement abandonnée par les socialistes, pour la principale raison suivante. La relance de la consommation et le décalage de croissance que cette politique produisit avec les partenaires européens déclenchèrent immédiatement une relance de l’inflation et une hausse des importations, provoquant par là-même un fort déficit des échanges et une chute du Franc. Or la France participait au Système monétaire européen (SME) et s’était engagée à maintenir la parité de sa monnaie dans certaines limites. Dès lors le gouvernement de gauche était conduit à choisir entre deux solutions : soit poursuivre la politique de relance, accepter une dévaluation de la monnaie et sortir du SME (ce qui impliquait une crise politique européenne majeure et probablement un éclatement de la CEE) ; soit mettre en place la même politique de rigueur que celle appliquée par ses partenaires, afin de réduire l’inflation et le déficit extérieur et pouvoir ainsi soutenir la monnaie. C’est ce second choix qui a été effectué par F. Mitterrand, la volonté de poursuivre la construction européenne ayant probablement joué dans sa décision un rôle majeur.

La gauche mit alors en place à compter de 1982 une politique de « rigueur » et de « désinflation compétitive », consistant en particulier en un blocage des salaires, suivi de la désindexation des salaires sur les prix. Le résultat voulu fut atteint rapidement : l’inflation a été maîtrisée en moins de quatre ans ; l’équilibre du commerce extérieur a été rétabli ; la monnaie a repris sa place dans le SME. La politique de rigueur a eu un prix : le chômage, dont l’augmentation avait un temps été stoppée grâce à la politique de relance, repartit à la hausse avec l’abandon de celle-ci, atteignant 2 millions dès 1983.

Cependant le gouvernement de gauche ne s’est pas contenté de prendre des mesures de rigueur : il a procédé également à un changement de cap libéral. La date de 1982 est donc décisive : à compter de ce moment en effet en France, tous les gouvernements, de gauche et de droite, mettront en œuvre et poursuivront, comme dans les autres pays occidentaux, des politiques économiques libérales.

La politique de libéralisation est mise en œuvre depuis maintenant près de 30 ans

Cette politique de libéralisation (qui est aujourd’hui toujours à l’œuvre) va prendre les formes suivantes, touchant tous les compartiments de la vie politique et sociale et remettant en cause progressivement des parties importantes du système d’économie mixte qui avait été mis en place après la guerre (voir la tribune précédente) :

- Libération des prix.

- Déréglementation de secteurs réglementés, afin de laisser jouer les mécanismes de marché (on peut citer par exemple la création d’un « marché monétaire ouvert » ; la banalisation des organismes publics chargés jusque-là de distribuer des crédits « bonifiés » dans différents secteurs ; la déréglementation du transport routier de marchandises…).

- Privatisations (les banques qui avaient été nationalisées en 1982 ont été progressivement privatisées à partir de 1986 ; la privatisation s’est ensuite poursuivie dans de nombreux secteurs sous les différents gouvernements, de gauche comme de droite, qui se sont succédé).

- Mise en concurrence des services publics jusque-là en situation de monopole (cette politique résulte d’une décision prise par les différents gouvernements européens dans le cadre de l’UE) : EDF, SNCF, Télécom…

- Mise en œuvre de diverses mesures favorables aux entreprises (on peut relever par exemple la baisse de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, passé de 50 à 33 % ; les allégements de cotisations sociales ; la prise en charge par l’État d’une partie de la taxe professionnelle; la suppression de l’autorisation administrative de licenciement ; l’augmentation des cas où les entreprises sont autorisées à recourir à l’intérim et au travail à durée déterminée….).

- Adoption de nombreuses mesures fiscales favorables aux revenus élevés et aux détenteurs de patrimoine (sont à signaler par exemple la baisse continue du taux supérieur de l’impôt sur le revenu, IR, qui était monté à 65 % en 1982 et qui n’est plus aujourd’hui que de 40 % ; la multiplication de « prélèvements libératoires » et de niches fiscales permettant d’échapper au barème de l’IR ; la baisse du poids de l’IR au profit de prélèvements proportionnels, comme la CSG, ou non liés au revenu, comme la TVA ; l’instauration récente d’un « bouclier fiscal »).

- Adoption de différentes décisions se traduisant par un recul des moyens et des prérogatives de l’État (on peut citer par exemple : la décentralisation ; le développement des procédés de contractualisation, qui viennent remplacer les mesures unilatérales de l’État ; la vente du patrimoine immobilier de l’État ; la diminution de la part des impôts d’État dans le total des prélèvements obligatoires). En outre l’actuelle majorité a engagé depuis trois ans, en ne remplaçant qu’un fonctionnaire sur deux partant en retraite, une politique de réduction des effectifs des fonctionnaires (il est vrai que ces effectifs n’avaient cessé d’augmenter ces trente dernières années ; c’est ainsi que les effectifs des trois fonctions publiques et de leurs établissements publics administratifs, hors emplois aidés, qui étaient en 1990 de 4,3 millions, sont passés à 5,2 millions en 2007 ; source : INSEE TEF 2010 p. 53).

Cette politique de libéralisation, qui se poursuit sous l’actuel gouvernement, a d’ores et déjà atteint ses objectifs stratégiques :

* Les mécanismes de marché occupent désormais dans le système économique et social une place sensiblement accrue ;

* La répartition de la valeur ajoutée est devenue nettement plus favorable aux entreprises (alors que la part des salaires dans la VA se situait entre 70 et 73 % durant la période 1960-1974 avant d’augmenter et d’atteindre jusqu’à 76 % en 1982, elle a fortement diminué à partir de 1983 et s’est stabilisée depuis 1989 aux alentours de 68 %) ;

* La fiscalité pesant sur les hauts revenus et sur les patrimoines a fortement diminué (voir ci-dessus) ;

* L’inflation est maintenue à un niveau peu élevé (depuis 1986, l’inflation annuelle, telle du moins qu’elle est calculée par l’INSEE, est comprise entre 1 et 3 % par an environ ; elle était supérieure à 5 % depuis 1968 et était montée jusqu’à plus de 13 % en 1981) (NB : la lutte contre l’inflation, constitue un objectif prioritaires des politiques libérales : l’inflation en effet est fortement défavorable aux détenteurs de patrimoines, du moins lorsque ces derniers sont détenus sous forme mobilière).

La persistance des déséquilibres : chômage et déficits publics

Ce bilan s’accompagne de deux déséquilibres majeurs : un chômage élevé et persistant ; et des déficits publics devenus eux-aussi permanents.

Comme nous le notions plus haut, le chômage a commencé à croître à compter de la crise de 1974 (il ne touchait jusqu’alors que moins de 500 000 personnes). Depuis lors, le chômage varie selon les périodes entre 2 et 3 millions de personnes, ce qui représente entre 8 et 11 % de la population active.

La persistance du chômage massif a quatre causes principales : la croissance démographique, qui entraîne une augmentation de la population d’âge actif ; les investissements de productivité (investissements dans les machines, dans l’informatique…) effectués par les entreprises afin de réduire le nombre d’emplois et la masse salariale ; les délocalisations d’emplois dans les pays à bas coûts (nous reviendrons sur ce point dans un futur article). Il résulte également d’une inadaptation d’une partie des chômeurs à la réalité du marché de l’emploi, les emplois manuels et d’exécution disponibles faisant l’objet d’un phénomène de rejet massif, y compris de la part des personnes sans qualification qui auraient normalement vocation à les occuper.

Afin de limiter l’impact social du chômage élevé et persistant, les pouvoirs publics ont mis en place depuis les années 1980 une politique massive de « traitement social du chômage », qui prend les formes suivantes : le versement d’allocations-chômage de longue durée (elles sont actuellement non dégressives et d’une durée de 2 ans ; de 3 ans après 50 ans) ; la création de revenus minimum : ASS, RMI, RSA… ; la création de dispositifs de préretraite ; la création d’emplois publics « aidés », type emplois-jeunes.

Ces différents dispositifs ont abouti à la mise en place d’un système qui conduit une partie importante de la population d’âge actif qui se déclare désireuse de travailler et perçoit le plus souvent telle ou telle allocation, à ne pas travailler ou à ne pas occuper un emploi véritable.

Il est nécessaire d’insister quelques instants sur ce point complexe et sensible (NB : les chiffres donnés ci-dessous concernent la métropole).

Le nombre de chômeurs « officiels » est actuellement (second trimestre 2010) de 2,6 millions (il s’agit des chômeurs qui, conformément aux normes du bureau international du travail BIT, sont immédiatement disponibles pour occuper un emploi, n’ont pas travaillé du tout au cours du mois précédent et ont fait au cours du mois précédent une démarche de recherche active d’emploi). Ce nombre des chômeurs (qui constituent ce que l’INSEE et Pôle emploi appellent la catégorie A) est le nombre officiel rendu public régulièrement. C’est ce nombre sur la base duquel est calculé le taux de chômage (le taux de chômage, rapport entre ce nombre et la population active, est actuellement de 9,3 %). C’est ce nombre, enfin, qui alimente le débat public (Source Insee).

Il est à noter au passage que le gouvernement a restreint à différentes reprises le champ de cette catégorie A. Ces opérations statistiques étaient sans doute légitime puisque destinées à se conformer aux normes internationales : il n’en reste pas moins qu’elles ont eu pour les pouvoirs publics le grand intérêt de réduire sensiblement le nombre des chômeurs officiels (c’est ainsi qu’en 1992 le gouvernement – de gauche – a retiré du nombre des chômeurs officiels les personnes ayant exercé une activité réduite le mois précédent, ce qui a diminué le nombre officiel d’environ 300 000 ; en 2003 le gouvernement – de droite – a à son tour retiré de la statistique différentes personnes, notamment celles qui n’ont pas rencontré de conseiller ANPE au cours du mois précédent : cette opération a eu là encore pour effet de réduire le chômage officiel d’environ 200 000 personnes).

Signalons également cette bizarrerie à propos du chiffre officiel du chômage. Le chiffre « officiel » rendu public par le gouvernement est celui de l’INSEE (qui procède à une enquête statistique). Il se trouve qu’il est inférieur de 200 000 environ à celui du ministère du travail (DARES-Pôle emploi), qui résulte lui d’un recensement exhaustif des demandeurs d’emploi, alors que l’un et l’autre chiffre portent sur la même catégorie A. L’inspection générale des finances a demandé en 2007 que des mesures soient prises pour mettre fin à cette discordance.

Rappelons enfin que la qualité de demandeur d’emploi ne veut pas dire que l’on perçoit une allocation chômage, le droit à allocation étant fonction, comme chacun sait, de la durée de versement de cotisations au cours des périodes d’activité (2 265 000 demandeurs d’emploi des différentes catégories A, B, C, D et E étaient indemnisés en mai 2010 ; source : DARES indicateurs n° 48 p.7).

Ces détails passés en revue, venons en maintenant à l’essentiel. L’opinion, les responsables politiques et les journalistes ont tendance à considérer que le nombre « officiel » correspond à celui des chômeurs et que, donc, toute personne qui n’est pas comptabilisée comme « chômeur » a un travail. Or il n’en est rien, loin s’en faut, nous allons le voir : le chômage, c’est-à-dire le fait de ne pas occuper un emploi « normal », d’être inscrit sur les listes de demandeurs d’emplois et/ou de toucher une allocation, est en réalité bien plus considérable. Au nombre des chômeurs au sens strict, qui est donc actuellement de 2,6 millions, il faut en effet ajouter, pour appréhender l’ampleur réelle du chômage, les catégories de personnes suivantes, qui ne figurent pas dans la catégorie « officielle » :

- Les demandeurs d’emploi ayant exercé au cours du mois précédent une activité réduite (par exemple dans le cadre d’une mission d’intérim) et qui souhaitent occuper un emploi à temps plein. Dans le recensement des demandeurs d’emploi effectués par Pôle emploi (ex ANPE), ils constituent la catégorie B (moins de 78 heures effectuées le mois précédent) et C (plus de 78 heures). Leur nombre est de 1,3 millions (chiffre juin 2010 ; source : DARES indicateurs juillet 2010 n° 48).

- Les demandeurs d’emplois placés par l’ANPE en stage de formation ou conversion (ils appartiennent à la catégorie D) : ils sont 225 000 (chiffre 2008, source : INSEE TEF 2010 p. 49).

- Les demandeurs d’emploi âgés, qui sont dispensés de recherche d’emploi en raison de leur âge (ils appartiennent également à la catégorie D) : 434 000 (chiffre 2008, source idem précédente) ;

- Les bénéficiaires d’une préretraite (catégorie D là encore) : 24 000 (chiffres 2008, source idem). (Le système des préretraites a été massivement utilisé dans les années 80 et 90 ; il a été quasi abandonné depuis, en raison de son coût pour le régime d’assurance chômage).

L’évaluation du chômage total et du sous-emploi commande également de prendre en compte quatre autres catégories de personnes :

- Les personnes qui souhaitent travailler mais qui ne sont pas comptabilisées comme chômeurs. Soit parce qu’elles n’ont pas réalisé « d’action de recherche d’emploi » (certaines études ont montré que le découragement de chômeurs de longue durée peut les inciter à cesser toute démarche auprès de Pôle emploi) : c’est ainsi que Pôle emploi procède chaque mois à environ 250 000 radiations de sa liste des demandeurs d’emploi en catégorie A, B et C pour « défaut d’actualisation du dossier » (source : DARES indicateurs n° 48 p.10). Soit parce qu’elles ne sont pas immédiatement disponibles (par exemple en raison de leur situation de santé). Ces personnes constituent ce que l’INSEE appelle le « halo du chômage » : elles sont 767 000 (chiffre 2008 source : INSEE Première n° 1272 Décembre 2009).

- Les titulaires d’emploi-aidés dans le secteur non marchand (c’est-à-dire la fonction publique et les associations para publiques). Ces « emplois », dénommés actuellement Contrats d’avenirs et contrats d’accompagnement dans l’emploi, ne sont pas de véritables emplois : réservés aux personnes sans diplôme ni qualification, ils relèvent du traitement social du chômage (il existe également des emplois aidés dans le secteur marchand, mais il s’agit là de véritables emplois, bénéficiant d’une exonération de charges) : le nombre des emplois aidés dans le secteur non marchand est actuellement de 185 000 (chiffre 2008 INSEE TEF 2010 p. 49) ;

- L’appréhension de la réalité de l’emploi doit conduire à prendre en compte également les personnes qui relèvent des dispositifs d’assistance et qui se situent en dehors de toute démarche d’emploi : ils appartiennent à ce que l’on peut appeler la sphère de l’assistanat. Le nombre de ces personnes n’est pas officiellement évalué. M. Hirsch, alors Haut commissaire aux solidarités, indiquait en 2007 que 50 % des titulaires du RMI n’étaient pas inscrits à Pôle emploi (source : AFP 07/11/07). Si l’on se fonde sur cette donnée, on peut estimer le nombre des personnes en situation d’assistanat à environ 600 000 (les bénéficiaires du RMI sont en effet 1,2 millions ; ceux de l’allocation spécifique de solidarité ASS – allocation délivrée par l’État aux chômeurs ayant épuisé leur droit à indemnisation – sont 348 000 ; chiffres 2008 INSEE TEF 2010 p. 71). Faisons ces deux remarques : la situation d’assistanat ne concerne donc qu’une partie (environ la moitié) des Rmistes et titulaires de l’ASS ; les autres bénéficiaires de ces minima sociaux, qui eux souhaitent réellement travailler, appartiennent au halo du chômage évoqué plus avant. Notons qu’une partie des personnes en situation d’assistanat travaillent de façon irrégulière (travail « au noir »).

- Il faut enfin tenir compte des personnes qui travaillent à temps partiel et souhaiteraient pouvoir travailler davantage. Ces personnes en sous-emploi (on utilise l’expression de « temps partiel contraint ») sont 1,2 millions (chiffre 2008. Source : INSEE Première n° 1271 décembre 2008).

Le chômage au sens du chiffre officiel INSEE, qui ne concerne que les chômeurs au sens strict, ne rend compte donc que d’une partie de la réalité du chômage. Pour prendre la mesure de l’ampleur réelle du chômage et du sous-emploi, il faut ajouter au nombre des chômeurs au sens strict (2,6 millions actuellement) les autres situations de chômage ou de non emploi sous divers statuts (1,3 M + 225 000 + 434 000 + 24 000 + 767 000, soit 2,75 millions au total), les bénéficiaires des pseudo emplois dits « aidés » dans la fonction publique et les associations (185 000) et les personnes en situation d’assistanat (600 000). Le nombre total qui reflète la réalité du chômage au sens large, assistanat compris, est donc d’environ 6 millions de personnes, soit environ 20 % de la population d’âge actif ayant vocation à travailler, ce qui représente le double du taux de chômage officiel (le taux officiel, actuellement de 9,3 %, est calculé sur la base d’une population active occupée de 25,5 millions et d’un nombre de chômeurs de 2,6 millions ; le taux de 20 % résulte lui du rapport entre les 6 millions de sans-emplois et la population ayant vocation à occuper un emploi, soit 31,5 millions, addition de 6 et de 25,5). S’ajoute en outre un phénomène de sous-emploi, qui touche, on l’a vu, 1,2 millions de personnes

Disons les choses autrement, afin de souligner cette constatation : depuis plus de trente ans désormais, environ 20 % de la population d’âge actif ayant vocation à travailler ne travaille pas ou n’occupe pas d’emploi véritable. Cette situation malsaine a d’importantes conséquences délétères sur l’état de la société (nous reviendrons sur ces conséquences dans un prochain article).

Il convient d’indiquer en outre que le nombre des fonctionnaires et celui des étudiants a fortement augmenté depuis les années 80 et 90. Cette politique de recrutement de fonctionnaires et de massification des études a permis de réduire fortement le nombre de chômeurs (même s’il ne s’agissait pas là, bien entendu, de son objectif affiché) :

- Le nombre des personnes employées dans le « secteur administré » a en effet fortement augmenté (le secteur administré, également appelé « secteur non marchand », est constitué de l’ensemble des institutions financées sur fonds publics : fonction publique, établissements publics administratifs, associations parapubliques). Ce secteur employait 5 millions de personnes en 1980 (en « équivalent temps plein ») soit 23 % de la population active occupée ; il emploie actuellement 7 millions de personnes, soit 29 % de cette population (autrement dit environ un tiers de la population qui travaille occupe un emploi dans le secteur public ou para public). (source : INSEE Tableaux de l’économie française 2009, p.57)

- Le nombre des personnes effectuant des études supérieures a, lui, presque doublé en trente ans : il est passé de 1,2 millions en 1980 à 2,2 millions en 2008 (source : Ministère de l’éducation nationale, Repères et références statistiques 2009 p.19). Notons que l’on peut exprimer certains doutes sur l’utilité sociale de cette politique de massification des études (indépendamment de l’impact positif sur la situation du chômage dont nous venons de parler) : l’on constate en effet que parmi les étudiants qui s’inscrivent dans les universités, 43 % en sortent sans aucun diplôme (le cas échéant après plusieurs années de redoublement) ; (source : Ministère de l’éducation nationale, Repères et références statistiques 2009, p. 202 et 248 à 252).

Le chômage élevé est lui-même pour partie à l’origine du second déséquilibre majeur qui caractérise la période ouverte depuis le milieu des années 70 : la persistance de déficits publics élevés (le chômage en effet induit à la fois une baisse des recettes publiques – moindres cotisations – et une hausse des dépenses – allocations chômage et autres actions de traitement social du chômage).

Les budgets publics (État, collectivités locales, sécurité sociale) sont depuis trente ans chaque année en déficit (en 2008 le besoin de financement des administrations publiques a atteint le niveau record de 66 milliards d’euros). De ce fait la dette publique ne cesse de gonfler : alors qu’elle ne représentait que 3 % du PIB en 1974, elle a atteint en 2009 75 % du PIB. Conséquence particulièrement défavorable de cette situation pour les finances publiques : le paiement des intérêts de la dette représente une part croissante des dépenses de l’État (il absorbe ainsi désormais l’équivalent des recettes tirées de l’impôt sur le revenu).

***

Trois points méritent d’être soulignés en conclusion :

Depuis la crise du milieu des années 1970, moment à compter duquel s’installe le chômage massif, les différents gouvernements ont choisi d’en atténuer l’impact social par la politique de traitement social (ainsi que par l’embauche de fonctionnaires et par la massification des études). Cette politique se traduit par des dépenses publiques élevées, provoquant des déficits eux-mêmes élevés, et ce malgré le maintien d’un haut niveau de prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales). Ces choix sont tout à fait contraires aux préceptes libéraux. Nous avons vu plus haut que les politiques publiques suivies ont été fortement libéralisées depuis trente ans : il n’en reste pas moins que cette libéralisation reste encore circonscrite, les politiques mises en œuvre pour amortir l’effet du chômage restant fortement interventionnistes et étatiques. Le haut niveau des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires pratiqués confirme qu’en dépit de la politique de libéralisation, la France se situe encore dans le groupe des pays qui sont gérés de façon « social-démocrate » (le taux de prélèvements obligatoires, c’est-à-dire le rapport entre le niveau de ces prélèvements et le PIB, est l’indice du degré de socialisation de l’économie : il est proche de 50 % dans les pays d’Europe du nord ; de 44 % en France ; de 40 % en Allemagne. Il est très inférieur dans les pays nettement libéraux : 35 % au Royaume-Uni ; inférieur à 30 % aux États-Unis et au Japon).

Second point de notre conclusion. La période qui s’est ouverte au milieu des années 1970 et qui a vu se mettre en œuvre la politique de libéralisation que nous venons d’évoquer a commencé avec la crise de 1974 : ce n’est pas pour autant que la période de trente-cinq ans qui s’est écoulée depuis doit être considérée dans son ensemble comme une période de crise. Certes le chômage massif s’est installé. Certes le taux de croissance moyen a diminué de moitié par rapport à celui des Trente glorieuses. Il reste que ce taux de croissance annuel de 2,3 % en moyenne correspond en réalité, sans doute, à celui que peut connaître une économie mure, tandis que le taux de croissance des Trente glorieuses était lui exceptionnel, découlant de la reconstruction et de l’adoption d’un système économique nouveau fondé sur la production et la consommation de masse.

Surtout il faut voir que ce taux de croissance moyen qu’a connu l’économie nationale ces trente-cinq dernières années équivaut sur la période à un quasi doublement du revenu national annuel en volume. Il convient donc de ne pas se tromper d’analyse : au cours de la période de trente-cinq ans qui a commencé à la fin des Trente glorieuses et malgré les crises ponctuelles qui peuvent survenir (comme celle qui a conduit à une récession en 2009), notre société, a jusqu’à présent continué à s’enrichir significativement (ce qui ne veut pas dire que la majorité des Français ont vu leur situation s’améliorer de la même manière ; nous reviendrons sur ce point important dans un prochain article).

Dernier élément de conclusion. Il faut signaler que la politique de libéralisation accompagnée de traitement social poursuivie depuis 1982 a donné lieu à un rapprochement majeur entre les deux camps structurant la politique française. Lorsqu’elle est au pouvoir, la droite, certes, prend différentes mesures libérales et « d’ajustement structurel », tandis que la gauche se consacre plutôt aux politiques de traitement social et de recrutement de fonctionnaires. Mais le fait remarquable est le suivant : aucun des deux camps ne remet substantiellement en cause les mesures prises par son adversaire. Mieux, la gauche a pu elle-même prendre des mesures d’inspiration libérale (à titre d’exemple le gouvernement conduit par M. Fabius premier ministre avait en son temps augmenté le taux de TVA et accru le nombre des ménages exonérés d’impôt sur le revenu) et la droite des mesures « sociales » (par exemple elle vient de créer le RSA). La répartition des rôles qui s’est mise en place ces trois dernières décennies entre la gauche et la droite masque donc, nous semble-t-il, leur accord profond sur les politiques économiques et sociales à conduire.

La politique de libéralisation interne de l’économie française, sujet auquel était consacrée la présente tribune, s’est accompagnée également d’un processus de mondialisation du libéralisme ; de la poursuite de la construction européenne sur un mode libéral ; ainsi que d’une politique d’immigration massive, qui constitue en quelque sorte un processus de « délocalisation importée ». Tout cet ensemble cohérent a eu des effets majeurs sur la société française, qui est désormais profondément différente de celle des Trente glorieuses (notamment parce que la répartition de la richesse en son sein a été substantiellement modifiée). Ces différents points feront l’objet des prochains articles de cette série consacrée aux politiques économiques et sociales conduites depuis 1946.

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mardi, 28 septembre 2010 | Lien permanent

Wandervögel: révolte contre l'esprit bourgeois

wandervoegel_frueher.jpgWandervögel, révolte contre l’esprit bourgeois

Ex: http://tpalsace.wordpress.com/

« C’est que le bivouac dérange l’état car il est manière de ne jamais être là où celui-ci nous attend »

Sylvain Tesson

Voila un sujet tellement vaste que nous ne savions par quel bout l’aborder. Nous oublierons donc la liste des nombreux protagonistes, instigateurs de l’aventure Wandervögel, et les différents courants de ce mouvement pour nous intéresser principalement à son éthique. Libre au lecteur de peaufiner le sujet en consultant les quelques livres ou sites internet qui lui sont consacrés.

Le mouvement Wandervögel, qui signifie « Les Oiseaux Migrateurs », est né en 1896 dans la banlieue berlinoise d’une révolte générale de jeunes étudiants contre les effets sociaux et esthétiques de l’industrialisation outrancière qui eut lieu en Europe à la fin du XIXème siècle. Ils avaient pour leitmotiv la volonté de redonner la priorité aux choses de l’esprit, à l’âme simple des gens du peuple, refusant l’esprit marchand et industriel et les calculs de la bourgeoisie. Partant du principe que la jeunesse ne peut pas rester prisonnière des cités enfumées de l’ère industrielle, le mouvement Wandervögel va, au fur et à mesure, prendre son essor dans toute l’Allemagne, faire sortir la jeunesse de sa cangue en l’emmenant en randonnée.

Même si les débuts de ce mouvement connurent une résistance de la part des autorités scolaires contre les excursions proposées, cette dernière fut vite balayée par les parents et des pédagogues moins classiques, conscients, grâce à leur lecture de Nietzsche et de Langbehn, que l’éducation doit quitter le trop théorique pour prendre la vie et le réel à bras le corps.

Très vite, les petites randonnées se transforment en véritables excursions de plusieurs semaines à travers l’Allemagne wilhelmienne et cette pédagogie non conventionnelle, ces expéditions, deviennent les symboles d’une révolte générale contre l’ordre établi (école, industrie, administration, etc.) Peu à peu, une discipline plus militaire s’instaure et des excursions plus aventureuses s’organisent, le mouvement commence également à critiquer l’ordre établi au nom d’une éthique de l’austérité (anti-consumériste) et veut renouer avec la tradition médiévale des « escholiers pérégrinant ».

Au programme des activités Wandervögels : soirées autour de feux de camp, visite de châteaux en ruines et de vestiges médiévaux, fêtes solsticiales, randonnées en montagne dans un esprit de romantisme, d’ enracinement dans l’histoire nationale et de culte des Lansquenets. Ces grandes idées ont été véhiculées par tous les mouvements de jeunesse idéalistes jusqu’à nos jours, y compris en France (cf Europe Jeunesse).

Dès lors, le mouvement va se diffuser dans toute l’Allemagne puis dans les Sudètes, à Prague et à Vienne et devient l’expression d’une jeunesse joyeuse, allègre, aimant la musique et créant ses propres chansons et mélodies (le chansonnier du mouvement, le Zupfgeigerhansl, créé par Hans Breuer, est toujours d’actualité.) En 1906, les premières sections féminines (Mädchenwandern) sont mises sur pied. Désormais, deux modes cohabiteront : la mixité et la masculinité exclusive.

Mais comment un mouvement, au départ groupusculaire et très localisé, a-t-il pu ainsi se propager et enflammer toute une jeunesse ? La raison est à la fois culturelle et métapolitique, déviant de la culture alternative qui se répandait en Allemagne à la même époque avec, en point d’orgue, les objectifs suivants : donner priorité à la vie et au dynamisme, recourir aux patrimoines germaniques (Edda), redécouvrir le romantisme en littérature; revaloriser les liens légués par le sang et le passé, penser écologisme (avant la lettre !), forger un socialisme dynamique, anti-bourgeois, éthique, susciter sans relâche la créativité chez les adolescents (des artistes et musiciens viennent ainsi animer les débats), enfin la notion de communauté (communauté de travail, de combat, d’étude, de survie, de loisirs…) est opposée à l’individualisme et au collectivisme.

L’apogée de l’aventure Wandervögel sera le grand rassemblement de la jeunesse allemande, tous groupes confondus, sur le sommet du Hoher Meissner en 1913. A partir de ce rassemblement, de nombreuses initiatives locales, étudiantes, lycéennes ou ouvrières se regroupent dans une structure souple et informelle qui reçoit le nom de Freideutsche Jugend.

En 1914, la jeunesse se porte volontaire en masse pour la Grande Randonnée (Die Große Fahrt) c’est-à-dire la Grande Guerre, qui se terminera tragiquement pour la plupart: des 12 000 Wandervögel d’avant-guerre, 7000 ne reviendront jamais des champs de bataille. Trois valeurs éthiques fondamentales animaient alors ces jeunes volontaires: l’absence d’intérêts (matériels et personnels), l’altruisme et la camaraderie. Mais après 1918, le mouvement connaît des scissions : il y a une incompréhension entre les jeunes soldats revenus du front, pleins de désillusions, d’amertume et de lassitude face aux discours trop idéalistes, et l’esprit de la nouvelle génération qui n’a pas eu le temps de connaître le front et l’idéalise outrancièrement et hors de propos.

Les différents leaders qui s’ensuivront après la Grande Guerre n’auront de cesse de préserver les valeurs et l’esprit du mouvement initial et maintiendront l’effectif de 10 000 à 12 000 membres, (dont les trois quarts avaient moins de 18 ans), au sein de différents courants.

Le mouvement Wandervögel sera finalement interdit par le régime hitlérien en 1933, jugé trop marginal et trop autonome. Il renaîtra péniblement après la Seconde Guerre mondiale, pour essaimer ensuite, lentement, dans différents pays dont la France (il existe en effet une ramification Wandervögel en Normandie).

L’Allemagne abrite aujourd’hui encore la branche la plus importante en nombre de membres du mouvement (environ 5 000) dont le devise demeure « devenir mûr et rester pur ». Ces jeunes ont pour impératif la redécouverte du terroir régional/national et le ré-enracinement, bel objectif quand on sait que, de nos jours, la majorité d’entre eux aspire uniquement à faire de l’argent, se vautrer dans un confort petit bourgeois tout en se noyant dans la masse par l’uniformisation tant vestimentaire que du mode de pensée. L’instruction ? Très peu pour la nouvelle jeunesse qui est par contre experte dans l’art de manier le joystick et ne rêve que de voyages de masse où tout est prémâché (vive le Club Me(r)d !). … O Tempora, O Mores…

Source : Robert Steuckers – Synergies Européennes – 1998 & Wikipédia

Pour en savoir plus, nous vous recommandons la lecture de :

« Wandervögel, Révolte contre l’Esprit Bourgeois » de Karl Hoffkes, paru aux éditions ACE en 2001

« Pèlerin entre deux Mondes » de Walter Flex, également aux éditions ACE

« Une Histoire des Mouvements de Jeunesse Allemands (1896-1933) : du Wandervögel à la Dissolution des Ligues par le Régime National-Socialiste » de Michel Froissart

« Une Fille qui voulait Vivre Autrement » de Norgard Kohlhagen, aux éditions ACE

« Croyez-en mon expérience, vous trouverez quelque chose de plus au milieu des bois que dans les livres. Les arbres et les rochers vous enseigneront ce que vous ne pourrez apprendre d’aucun maître »

Bernard de Clairvaux

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mercredi, 20 avril 2011 | Lien permanent

La génération du millénaire massacrée par la crise

La génération du millénaire massacrée par la crise

Ex: http://fortune.fdesouche.com/

Ils ont eu 18 ans en 2000 et subissent la «grande récession» de plein fouet. Ils ne laisseront personne dire que c’est le plus bel âge de la vie.

Les générations se suivent et ne se ressemblent pas. Cela se voit à l’œil nu aux États-Unis.

Ainsi 38% des millennials – les adultes qui ont eu 18 ans en 2000 ou après – portent un ou plusieurs tatouages. Leurs pères et mères, les baby-boomers aujourd’hui âgés de 46 à 64 ans, ne sont que 6% à être tatoués. Quant à la classe d’âge intermédiaire, les gens nés entre 1965 et 1981 – «la génération X» selon les sociologues américains -, 32% arborent des dessins sous-cutanés.

Voilà ce que nous apprend une enquête réalisée en début d’année par le très réputé Pew Research Center. Cet organisme indépendant se présente comme un fact tank, un révélateur des faits et gestes de la société américaine.

Le Pew Research entend dresser le portrait des 50 millions d’Américains qui forment la «génération du millénaire», traduirait-on en français. Il nous dit tout sur leurs options politiques, leurs statuts professionnels et leurs modes d’expression.

Derniers embauchés, premiers au chômage

Les millennials constituent un groupe à part politiquement. Ils ont voté à 66% pour Barack Obama, alors que le reste de la population a donné tout juste la moitié de ses votes au candidat démocrate. Par ailleurs, les moins de 30 ans – la première génération élevée au biberon des technologies numériques – ont pour les trois quarts d’entre eux un profil sur Facebook ou un autre réseau social. Les baby-boomers ne sont que 30% à en avoir créé.

Être de plain-pied avec les nouveaux instruments de communication ne donne pourtant pas un avantage décisif sur le marché du travail. Ils ont été les plus touchés par «la grande récession » de 2008-2009. Selon Pew Research, «les nouveaux entrants sur le marché du travail ont été les derniers à être embauchés et les premiers à perdre leur job ». Ce qui explique que 37% des millennials (ayant terminé leurs études) sont au chômage ou en dehors de la vie active. «La plus forte proportion depuis plus de trois décennies.»

Or cette passe difficile risque d’avoir des effets durables. Les jeunes diplômés des collèges qui arrivent dans une économie maussade pourraient en subir les effets négatifs, y compris salariaux, pendant quinze ans, selon une étude de Lisa B. Kahn de l’Université de Yale, qui prend pour référence les récessions antérieures et actuellement très commentée outre-Atlantique.

Les vieux plus démoralisés que les jeunes

Les millennials, une classe sacrifiée ? Ils ne le pensent pas. Paradoxalement, 41% des moins de 30 ans se montrent «satisfaits de la situation présente », contre à peine 30% pour les plus âgés. La crise immobilière et financière, la récession et les guerres menées en Afghanistan et en Irak semblent avoir plus entamé le moral des vieux que des jeunes.

C’est «la génération la mieux éduquée de toute l’histoire américaine », explique Pew Research, qui note que seulement 25% des Américains interrogés – tous âges confondus – redoutent «un conflit de générations ». Son enquête est un concentré de l’optimisme du Nouveau Monde, avec ce titre roboratif : «The Millennials : Confident. Connected. Open to Change» («Les millénaires : Confiants. Connectés. Ouverts au changement»).

Il est dommage que l’Europe et la France ne disposent pas de recherches équivalentes sur leurs jeunes. Bien avant que ne survienne la «grande récession», le sociologue Louis Chauvel, l’auteur de Destin des générations, dénonçait le triple handicap des classes d’âges qui ont succédé aux baby-boomers.

Les écarts salariaux s’élargissent (en 1977, les quinquagénaires gagnaient 15% de plus que les trentenaires, la différence atteignait 40% en 2000), les risques de déclassement deviennent plus fréquents, et l’accès à la politique plus difficile. Louis Chauvel nous fait remarquer que la Chambre des députés élus en juin 2007 a été la plus âgée de toute l’histoire de nos républiques !

De son côté, l’Insee considère que «la génération (née après) 1945 est la dernière pour laquelle le revenu par unité de consommation est supérieur à celui des générations précédentes» («Les revenus et les patrimoines des ménages», édition 2009). Rappelons que dans le langage si spécial des statisticiens, le célibataire compte comme une «unité de consommation», mais le fameux foyer «papa, maman, la bonne et moi» ne vaudra que 2,5 unités…

Tendances exacerbées avec la crise

Il est à craindre que ces tendances se soient exacerbées avec la crise, comme le laisse entendre Martin Hirsch, le haut-commissaire à la Jeunesse. «Entre le troisième trimestre 2008 et le troisième trimestre 2009, le taux de chômage a augmenté 2,7 fois plus vite pour les jeunes que pour la population totale (+ 4,6 points contre + 1,7) pour atteindre 23,8% (9,1% pour l’ensemble de la population », écrit-il dans « L’État de l’opinion, TNS Sofres 2010 ». Les jeunes en question sont les moins de 25 ans, selon la typologie classique de l’administration française, qui répugne à raisonner en termes de générations.

La remarque de Martin Hirsch n’en est pas moins de bon sens : «Les jeunes sont ainsi confrontés à une situation paradoxale : la démographie et la politique sociale de la France les désignent comme ceux sur qui vont porter la dette publique et le poids des retraites, mais l’accès à l’emploi leur est difficile.» Voilà une thématique appelée à un grand avenir dans les mois qui viennent.

Le Figaro

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mardi, 30 mars 2010 | Lien permanent

Sarközy: deux ans de rupture avec le modèle français

 

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Sarkozy : deux ans de rupture avec le modèle français

Lorsque Nicolas Sarkozy a été élu, Polémia s’est interrogé sur le sens de la rupture annoncée par le nouveau président : rupture avec le politiquement correct (attendue par beaucoup d’électeurs) ou rupture avec le modèle français (voulue par beaucoup de ses soutiens médiatiques, financiers ou étrangers) ? (La méprise : http://www.polemia.com/article.php?id=1550)

Deux ans plus tard la réponse est claire : Nicolas Sarkozy n’a pas rompu avec le Système, il a rompu avec l’exception française.

Image Hosted by ImageShack.us Rupture avec l’esprit des institutions
D’inspiration monarchique, les institutions de la Ve République visaient à donner de la hauteur et de la distance au président de la République en charge de l’essentiel. Mais l’omniprésence médiatique de Nicolas Sarkozy et son activisme touche-à-tout sont en rupture complète avec la pratique de tous ses prédécesseurs qui économisaient leur parole et s’efforçaient de garder un minimum de majesté, sinon de sacré, à la fonction.

Rupture avec la politique d’indépendance nationale

Il y a dans les gènes de la Ve République comme du gaullisme la politique d’indépendance nationale : une démarche fondée sur la conviction que les intérêts de la France et de l’Europe continentale sont distincts, sinon opposés, de ceux des puissances anglo-saxonnes. Dans ce domaine les ruptures se sont multipliées :

- la rentrée de la France dans le commandement unifié de l’OTAN ;
- la fermeture programmée de bases françaises en Afrique ;
- l’installation d’une base d’appui à l’Amérique à Abou Dhabi ;
- la remise en cause des liens traditionnels avec le Québec ;
- le divorce franco-allemand.

Rupture avec l’élitisme républicain
La France a construit son appareil d’Etat, et une large partie de sa puissance industrielle (aéronautique, espace, nucléaire, pétrole) à partir des grands corps d’ingénieurs et des grandes écoles. Le principe en était la sélection au mérite par les capacités et par l’effort. La mise en œuvre de la discrimination positive change ces règles et fait de l’origine (ethnique, religieuse, sexuelle) et de la faveur les nouveaux critères de sélection des élites.

Rupture avec la laïcité
La nouvelle politique religieuse du gouvernement repose sur un oxymore : le concept de « laïcité positive ». Or la laïcité, c’est la séparation de l’Eglise et de l’Etat et la neutralité de l’Etat vis-à-vis des religions. En pratique, la laïcité a longtemps été un moyen de lutte contre le catholicisme, religion dominante. La « laïcité positive » vise, elle, à reconnaître, encourager et donner des moyens financiers aux religions minoritaires (principalement l’islam). Il s’agit de faciliter la construction de mosquées et de centres culturels islamiques et de donner un statut juridique à différentes pratiques musulmanes parfaitement étrangères à l’identité française.

Rupture avec la conception traditionnelle de la famille
Cellule de base de la société, point d’ancrage dans la crise, la conception traditionnelle de la famille subit de nombreuses atteintes. Certes, toutes ne sont pas nouvelles mais la présidence Sarkozy accélère le mouvement :

- mise sur un pied de quasi-égalité du Pacs et du mariage ;
- volonté d’imposer à l’opinion publique le terme et la notion d’ « homoparentalité » ;
- projet de loi instituant un statut de « beau-parent », y compris pour les couples homosexuels ;

- création d’un hypothétique « droit à l’enfant ».

Rupture avec la culture française
Dans le mode de sélection des élites françaises comme dans la formation scolaire traditionnelle, la connaissance des humanités et la maîtrise de la langue française ont toujours été jugées essentielles. La langue française est d’ailleurs considérée comme un élément important de notre identité en même temps qu’un facteur du rayonnement français dans le monde. La aussi, Nicolas Sarkozy a choisi la rupture :

- en brocardant la place accordée à la culture générale, notamment dans les concours administratifs (alors même que beaucoup d’entreprises découvrent l’importance de la maîtrise de la langue française par leurs employés et leurs cadres) ;
- en se moquant de la lecture de La Princesse de Clèves ;
- en maltraitant, délibérément ou non, la langue française dans ses discours et sur le site Internet de l’Elysée.

Rupture avec l’art de vivre français

L’art de vivre français, c’est un ensemble d’attitudes et de comportements : ce sont des règles de convivialité ; ce sont des hauts lieux et des paysages qu’on respecte et qu’on protège ; ce sont des traditions gastronomiques ; c’est aussi le refus de voir l’argent et la consommation envahir toute la vie. Là aussi, dans la foulée du rapport Attali, les ruptures sont nombreuses :

- la suppression projetée du repos dominical qui structure la vie sociale et communautaire ;
- le goût ostentatoire de l’argent et du « bling-bling » ;
- le désintérêt vis-à-vis du terroir français et de ses produits (vins, fromages) ;
- la marchandisation du patrimoine ;
- la volonté de remettre en cause les règles d’urbanisme, protectrices de la beauté des sites et des paysages.

Une rupture à contretemps
La rupture sarkozyste se fait au nom d’une utopique modernisation. Il s’agit de s’anglo-saxonniser (sur le modèle américain et britannique) et de s’orientaliser (sur le modèle de Dubaï). Mais le calendrier n’est pas galant homme : pourquoi donc copier des modèles étrangers au moment même où ils s’enfoncent dans la crise ?

La démarche présidentielle sur « la France d’après » n’est pas seulement condamnable au regard de l’identité française ; elle a un côté pathétique parce qu’elle est déjà dépassée.

Polémia
30/04/09

Voir aussi l’article de Roger Cohen du New York Times sur la destruction des dix tabous français : http://www.polemia.com/article.php?id=1528


 

Article printed from :: Novopress Québec: http://qc.novopress.info

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jeudi, 07 mai 2009 | Lien permanent

Démocratie à la russe: pouvoir et contre-pouvoir en Russie

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trouvé sur: http://polemia.com

« Démocratie à la russe : pouvoir et contre-pouvoir en Russie »

Par Jean-Robert Raviot

 

« Démocratie à la russe » est un ouvrage passionnant. Jean-Robert Raviot, maître de conférences à Nanterre et à Sciences-Po, y procède à un froid décryptage de la vie politique russe. Avant de nous livrer à une comparaison décapante avec la « démocratie à l’européenne », livrons-nous à quelques explications :

En moins de vingt ans la Russie est passée du « parlementarisme balbutiant de la fin de l’empire » à la « démocratie présidentialiste post-soviétique » (1) et les Russes sont rapidement devenus des adeptes de l’ « athéisme démocratique » (2), sceptiques sur les élites qui les représentent.

Le nombre des partis siégeant au Parlement n’a cessé de se réduire : dix dans la chambre élue le 12 décembre 1993 ; quatre seulement dans la Douma d’Etat élue le 2 décembre 2007.

Le vote « de conviction » ou « d’élimination » qui marquait les scrutins du début des années 1990 a cédé la place à un vote « clientéliste » et d’ « allégeance » (3), un « vote d’allégeance » qui s’est porté, en 2007, à 70% sur Russie Unie, la grande force centrale, « centriste », qui a émergé, puis s’est imposée, comme force dominante en renvoyant sur les marges extrêmes les libéraux et les communistes.

Pour Russie Unie, « la démocratie est au service de la souveraineté nationale et de la puissance » (4) ; la démocratie vise moins à « être représentative que constructive ».

C’est ainsi que la Russie est devenue avec Russie Unie un pays à parti dominant. Cette situation était déjà connue auparavant dans d’autres pays réputés démocratiques tels que le Japon, avec le Parti libéral-démocrate depuis 1945, Taiwan, avec le Kouo-Min-Tang de 1950 à 1991, le Mexique, avec le Parti révolutionnaire institutionnel de 1930 à 2003, et la Suède, avec le Parti social démocrate de 1932 à 1976.

Bien sûr, la tentation est grande dans les médias occidentaux de condamner l’évolution de la Russie dont la vie politique s’éloignerait à leurs yeux de l’idéal type de la démocratie. Jean-Robert Raviot ne cède pas à ce confort intellectuel facile. Bien au contraire, il se plaît à souligner – horresco referens – les points de convergence entre la démocratie post-soviétique et la post-démocratie européenne :

– l’inégalité d’accès aux grands médias ;
– la vie politique qui se transforme en feuilleton télévisé à épisodes ;
– le débat politique simplifié à l’extrême et n’ayant qu’une incidente réduite sur la délibération ;
– le changement des modes de scrutin ;
– la lutte contre l’ « extrémisme » pour mobiliser ses partisans et déconsidérer son opposition : certes, en Russie ce sont les « libéraux » qui jouent le rôle d’ « extrémistes » dévolu en Occident aux « nationaux », mais la mécanique de manipulation de l’opinion est la même ;
– la dictature du politiquement correct même si le politiquement correct n’est pas le même à l’est et à l’ouest : c’est le patriotisme en Russie (Russie Unie se définit comme « le parti de la réussite, du redressement national ») ; c’est le mondialisme et l’antiracisme en Occident (où l’on veut construire « une humanité hors sol et hors histoire », selon Marcel Gauchet) ;
– des procédures électives qui dans les faits visent moins à permettre au peuple de choisir ses dirigeants qu’à assurer une légitimité à l’élite au pouvoir.

A rebours du « démocratiquement correct », Jean-Robert Raviot estime finalement que loin « d’accuser un quelconque retard la Russie post-soviétique est au contraire en avance sur son temps » (5). Et d’enfoncer ainsi le clou : « Le vernis de la modernité démocratique triomphante craque et les innombrables faux-semblants politiques de l’Occident apparaissent en pleine lumière. Aux Etats-Unis, le césarisme et le népotisme, qui constituent depuis toujours la part d’ombre du système politique, se manifestent avec une évidence sans pareille. Le « phénomène bureaucratique » se déploie avec un systématisme presque caricatural dans la « construction européenne ». Les préceptes du « politiquement correct » ont partout pris les apparences d’une nouvelle religion civile officielle. Les clientélismes de toute nature semblent constituer les vrais arcanes de la décision politique. La connivence des fortunes privées et des pouvoirs publics semble devenir la règle et la possession d’un patrimoine important est la clef du succès d’un nombre croissant d’entreprises de conquête du pouvoir politique. Enfin, l’impératif de sécurité est invoqué à l’appui de dispositions généralement plébiscitées qui substituent progressivement un état d’exception permanent à l’ordre constitutionnel. A l’heure où les recettes de la « gouvernance » se substituent à l’art du gouvernement des hommes, « la démocratie occidentale redescend du piédestal sur lequel l’histoire de l’après-1945 l’avait placée dans une comparaison, forcément avantageuse, avec les totalitarismes national-socialiste et communiste (6) ».

Les Occidentaux jugent sévèrement la démocratie à la russe au regard de l’idéal démocratique. Mais la démocratie à la russe renvoie en miroir à l’Occident la vision de sa propre réalité, toujours plus éloignée des grands principes censés la fonder.

Et pourtant l’Occident continue à s’ériger en donneur de leçons alors même qu’il est plus que douteux que les chefs politiques occidentaux bénéficient auprès de leur peuple d’une estime et d’une popularité réelles aussi flatteuses que celles dont bénéficient Vladimir Poutine et Dimitri Medvedev !

Guillaume Bénec’h
Polémia
08/12/08

(1 « Démocratie à la Russe », p. 5.
(2) Op. cit., p. 8.
(3) Op. cit., p. 48.
(4) Site Internet de Russie Unie, cité dans « Démocratie à la russe », p. 10.
(5) Op. cit., p. 118.
(6) Ibid.Jean-Robert Raviot,  « La Démocratie à la russe », Ellipses, avril 2008, 160 p., 17,10 euros.

 

Guillaume Bénec’h

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mercredi, 07 janvier 2009 | Lien permanent

Retour au réel

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Retour au réel.

Editorial du numéro 30 du journal Rébellion ( bientôt disponible)

http://rebellion.hautetfort.com/


L’an un du règne de Nicolas Sarkozy s’achève et le constat est édifiant. Ceux qui se lèvent tôt n’ont pas été déçus, mais ils n’en ont pas eu pour leur argent. La France « d’en bas » voit ses maigres économies dilapidées : entre la baisse du pouvoir d’achat et la flambée des prix, les carburants qui ne cessent de battre des "records" (et les profits de Total avec). Justement au sujet du prix du pétrole, -il y a peu, nombre d' économistes nous juraient mordicus que parler de baril à 100 dollars revenait à croire qu' Elvis est encore en vie ou que le P"S" était toujours au service des intérêts des travailleurs. Les experts se trompent ou nous trompent ? Les deux probablement.

En outre, les attaques sont désormais incessantes contre les travailleurs et le service public. L' Education Nationale ne sait que trop bien qu’elle est la première visée. EDF se privatise et doit servir d’exemple au vaste pillage de notre patrimoine public national. L'heure est à la Rigueur, mais pas pour tout le monde. Il n’est nullement question de discuter les bénéfices des entreprises du CAC 40 ou de revoir le train de vie du sommet de l’Etat, mais plutôt de supprimer la carte famille nombreuse de la SNCF ou le remboursement des lunettes (mesures finalement abandonnées).

Nicolas Sarkozy avait promis d’aller "chercher la croissance avec les dents», on attend toujours… Le même personnage a affirmé ne pas pouvoir "vider des caisses déjà vides" pour soulager le pression sur les foyers modestes. Ce serait faire preuve d’un bien mauvais esprit que de dire que le paquet fiscal offert à ses amis entrepreneurs a vidé un peu plus les dites caisses. Dans un autre registre, Nicolas Sarkozy s’était également proposé d’aller lui-même chercher la médiatique Ingrid Betancourt (elle aussi risque d’attendre) ; avec sa belle rolex l’opération aurait eu de la gueule. Faute de cela, il s’est consolé avec la libération d’un yacht de luxe aux mains de quelques pécheurs somaliens devenu pirates à cause de la misère.

Dans son excellent ouvrage ("Rêves de droite"), Mona Chollet cite "notre" Président : "Je vais me retrouver avec un palais à Paris, un château à Rambouillet, un fort à Brégançon. C’est la vie." La journaliste du Monde Diplomatique le compare, à juste titre, à un gagnant du Loto qui a pris le pouvoir sur un énorme bluff, qui n’a pas manqué d'ailleurs de s' octroyer une forte augmentation de salaire (sa première mesure avec le paquet fiscal).

Malgré toutes ses manœuvres, l'état de grâce de Nicolas Sarkozy est bien terminé. Même les médias sarkollabos* se font l’écho de l’opinion (négative) des français vis-à-vis du bilan de l’agité de l’Elysée. Mais les critiques visent plus l’homme et son style rutilant dans l’exercice du pouvoir que le Système qu’il sert.

Pourtant les « réformes » vont se poursuivre et s’accélèrent, tout doit être fait pour empêcher tout retour en arrière. La politique de la terre brûlée de Sarkozy vise à laminer toutes les résistances. Le déni de démocratie constitué par la ratification du traité européen « simplifié » en est l'exemple. Le gouvernement refuse de voir que la volonté populaire est contre les mesures qu’il s’acharne à faire passer grâce à la complicité d’une opposition lamentable. Le Système est tranquille car il n’a personne pour l’attaquer sur ses points faibles: la Gauche a depuis longtemps vendu son âme.


Elle a choisi clairement le camp du pouvoir du Marché et le « there is no alternative », il n’y a pas d’alternative ». Formule que l’on doit à Margaret Thatcher pour définir le capitalisme néo libéral et son caractère inéluctable. Comme le reconnaît Manuel Valls, député du P«S» et partisan d’une refondation libérale, qui propose de remplacer les valeurs de gauche –dépassées selon lui- par celles de droite en criant qu'elles sont de gauche, l' UMPS en résumé. Il n' y a rien non plus à attendre de l’extrême gauche qui n’est que la soupape de sécurité du système (comme le fut du temps de son vivant le FN).  Il n’est nullement question d’opposer un dogme à un autre mais seulement de dire que face au monde moderne, il y a une opposition à cette pensée unique, le « Camp du Bien » a beau avoir une importante faculté de renouvellement, nombre d’auteurs, philosophes,journalistes...ont ouvert la porte au débat.

A nous de continuer cette lutte contre le conformisme, au delà de toutes les étiquettes politiques, l' important étant ce combat contre l' uniformité du monde que le système veut nous imposer. C’est en ce sens que nous voulons ouvrir les œillères du plus grand nombre. En prouvant que nous avons des choses à dire, qu’une alternative existe bien, nous pourrons ramener les consciences sur le terrain du réel. Les rêves de richesse et de réussite sociale pour tous promises par le candidat Sarkozy n’étaient que du baratin qui a, certes, abusé de nombreux naïfs. La déconvenue est maintenant à la hauteur de l’illusion entretenue. Mais cela est bien encore insuffisant : illusion/désillusion, droite/gauche, ce petit jeu doit cesser. Notre tâche consiste à mettre en avant une déconstruction/dénonciation de cette mise en perspective spectaculaire du réel. Le retour à une lutte réelle contre les conditions sociales et politiques existantes doit être présenté comme étant inéluctable même s’il n’est guère aisé de se le représenter actuellement comme tel. Les modalités de cette lutte ne sont pas non plus clairement définies a priori. Mais la pratique sociale ne dérive pas de schémas théoriques préétablis.

Ce qui peut être pensé à l’avance, c’est l’idée de l’impossibilité d’admettre, ad vitam aeternam, la situation actuelle et la perspective tracée à l’avenir des travailleurs par la classe dominante. De surcroît, ces derniers peuvent reprendre très rapidement conscience du potentiel de lutte dont ils sont capables, l’histoire du mouvement ouvrier le démontre. Enfin, le socialisme réel est bien l’anticipation doctrinale que nous pouvons promouvoir aux yeux de tous, notamment en montrant que le capital n’a de cesse d’imposer un rapport de force qui lui soit favorable : c’est donc qu’il y a bien des forces et donc des orientations contradictoires au sein de la société. Ce contre quoi lutte farouchement la bourgeoisie et qu’elle occulte soigneusement, c’est proprement ce que nous appelons le socialisme, un rapport social mettant fin à la prédominance de la production pour le marché capitaliste et une réorientation de la pratique humaine vers une cohérence dans les finalités du travail, débarrassées du fétichisme de la marchandise. Contre la morale utilitariste du libéralisme nous serons toujours du côté de la moralité généreuse des producteurs.


*Termes empruntés à nos camarades du site Sinistre Spectacle: http://sinistrespectacle.free.fr

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mardi, 22 juillet 2008 | Lien permanent

G. Miglio: l'Etat moderne est dépassé!

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L'Etat moderne est dépassé!

Entretien avec le Prof. Gianfranco MIGLIO

Propos recueillis par Carlo STAGNARO

 

«Le pouvoir politique s'est concentré au détriment du décentrement initial».

 

Parler de la Déclaration d'Indépendance américaine, de la pensée de Thomas Jefferson et de l'évolution historique des Etats-Unis revient, inévitablement, à parler de fédéralisme. Mais pour évoquer correctement ces thématiques, il convient de se rappeler de certains faits: dans le débat constitutionnel américain, c'est, en substance, le mouvement “fédéraliste” d'Alexandre Hamilton qui a triomphé (mais ce mouvement réclame, en réalité, une centralisation des pouvoirs). Les “anti-fédéralistes” américains (farouches défenseurs des droits des Etats) ont réussi à obtenir, quelques années a­près, la promulgation d'une “Charte des Droits”: un docu­ment très important, mais insuffisant pour contrebalancer les tendances vers la centralisation (fédérale!), qui, désormais, ont commencé à faire sentir leur propre force. Nous avons parlé de tout cela avec Gianfranco Miglio, l'un des exposants majeurs actuels de l'école néo-fédéraliste. Avec sa voix forte et bien modulée, avec sa lucidité de toujours, Miglio m'a fait forte impression, surtout parce qu'il veut communiquer sans freins tout ce qu'il sait, tout le patrimoine de ses idées, toutes ses convictions. J'espère avoir été à la hauteur…

 

Q.: Professeur Miglio, que représente concrètement la Déclaration d'Indépendance américaine?

 

GM: Il s'agit surtout d'une Déclaration d'Indépendance face à la monarchie anglaise. Les colonies américaines s'affran­chis­sent du dominium de la Couronne. Il faut souligner que cette indépendance se réfère aux Etats pris singulièrement, non à leur ensemble. L'origine de l'indépendance est donc fédérale: chaque colonie avait son propre statut, qui précé­dait l'avènement de la Fédération. Par la suite, la Fédération a pratiquement détruit les Etats singuliers. J'aime rappeler le statut de la Pennsylvanie. 80% de la population en Penn­sylva­nie étaient d'origine allemande. On parlait l'allemand et on s'habillait à la mode allemande du 18ième siècle. Les struc­tures politiques pennsylvaniennes plongeaient leurs racines dans la culture allemande. La majeure partie de ces Etats é­tait essentiellement de tradition européenne, une tradition qui remontait aux 16ième et 17ième siècles européens.

 

Q.: Dans le passé vous avez défendu l'idée que le fé­déralisme américain était un “faux fédéralisme”. Défen­dez-vous toujours ce point de vue?

 

GM: Le fédéralisme américain s'est imposé sur la destruc­tion des Etats singuliers qui, dans un premier temps, s'é­taient mis d'accord pour adopter des structures fédérales. Au­jourd'hui, cependant, les soi-disant “fédéralistes” aux Etats-Unis sont considérés comme les fossoyeurs des au­to­no­mies. Certains fédéralistes, comme Madison, visaient directement la création d'un Etat national.

 

Q.: Quelles sont les caractéristiques du vrai fédéralisme alors?

 

GM: Des institutions authentiquement fédérales doivent naî­tre au départ de l'indépendance réciproques des commu­nautés politiques qui participent à la structure fédérale. De telles entités doivent avoir leurs propres structures et leurs pro­pres statuts, indépendamment des institutions fédérales.

 

Q.: Est-il possible d'identifier dans l'histoire américaine un moment où le fédéralisme des origines a été corrom­pu et s'est transformé en un processus de central­isa­tion?

 

GM: Toute l'histoire des Etats-Unis est l'histoire d'une cen­tra­lisation. Le pouvoir politique s'y est concentré petit à petit et les pouvoirs détenus au départ par les Etats de la fé­déra­tion se sont réduits.

 

Q.: Nous, Européens de l'an 2000, pouvons-nous encore tirer quelque enseignement de la Déclaration d'Indépen­dance des Etats-Unis?

 

GM: Certainement. Nous devons retourner à la grande tra­dition juridique inaugurée jadis par Althusius et les juristes des 16ième et 17ième siècles, qui ont construit des modèles pour assurer la permanence des souverainetés particulières. Je crois que le poids du “droit public européen”, qui a créé l'Etat moderne, est encore (trop) considérable dans l'histoire quotidienne de l'Europe d'aujourd'hui. Le problème actuel est de mettre ce droit de côté, de le remplacer par des struc­tu­res fédérales. L'Etat moderne est entré en déclin pour de­ve­nir un Etat parlementaire. Il nous faut retourner aux tra­ditions fédérales des 16ième et 17ième siècles, que l'on a ou­bliées, et que l'Etat moderne a oblitérées, pour se poser com­me l'unique pouvoir souverain et inégalable.

 

Q.: Si j'ai bien compris, Professeur, l'Etat moderne est non seulement insuffisant, mais aussi immoral…

 

GM: Je dirais même plus: il est dépassé. L'Etat moderne est en plein déclin. Notre tâche est de raviver la tradition au­then­tique de l'Europe des cités, de l'Europe de l'ère hanséa­ti­que… où les cités indépendantes ne faisait appel au Saint-Empire romain que pour arbitrer les conflits entre elles. L'Eu­ro­pe de l'avenir n'est pas une Europe des Etats modernes, car cette Europe-là a déclenché les épouvantables guerres de notre siècle. Il nous faut donc oublier cette Europe né­ga­tive.

 

(entretien paru dans La Padania, 4 juillet 2000, http://www.lapadania.com ).  

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vendredi, 21 décembre 2007 | Lien permanent

Vie et âme

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"Vie" et "âme" dans les anciennes langues germaniques

Béatrice LA FARGE, “Leben” und “Seele” in den altgermanischen Sprachen. Studien zum Einfluß christlich-lateinischer Vorstellungen auf die Volkssprachen, Carl Winter Universitätsverlag, Heidelberg, 1991, 448 p.

Le concept de “vie” (Leben en all.) est fondamental dans ce courant philosophique qu'est la Lebensphilosophie, la philosophie de la vie, née dans la sillage du romantisme et de la pensée nietzschéenne, pour protester contre la réduction de l'homme à son pur intellect et contre son “encartement” par la méthode positiviste. Ce concept de “vie” et, derrière lui, le mot “vie” du langage quotidien ont une histoire bien particulière dans les aires linguistiques germaniques, nous démontre Béatrice La Farge. Leben ou l'anglais life ont survécu sous une forme proche de leur étymologie, alors qu'un terme analogue, quasi sy­nonyme, comme feorh/ferah/verch/fjór  a disparu dans toutes les langues germaniques (sauf en islandais, langue très conservatrice). Le travail de Béatrice La Farge consiste à expliquer pourquoi cette disparition a eu lieu. Les langues germaniques anciennes pré­sentaient une pluralité d'expressions pour désigner la vie: outre feorh/etc., nous avions également lif/lîf/lîp (= Leben, vie; a servi à traduire le latin vita), sa­wul/seola/sêla/sêle/sál(a) (= Seele, âme/psyché; a servi à traduire le latin anima), ónd/ealdor/aldar/alter/aldr (= Alter, âge) et gast/gêst/geist (= Geist, esprit; a servi à traduire le latin spiritus). Leben, Seele et Alter  ont été conservés, feorh  a disparu. Béatrice La Farge constate que la disparition de feorh  tient à une particularité séman­tique spéciale de ce mot, signifiant “siège de la vie”, “principe ou substance vitale ac­tive”, qui lui donnait une dimension plus charnelle, plus proche de vleisch (mhall. pour “chair”). Feorh signifie donc cette “force vitale” ou ce “siège de la vie” (dans un organe particulier, le foie [= Leber, liver]  ou le corps [= Leib]  tout entier). En islandais fjór, encore utilisé dans le langage quotidien, signifie toujours “force vitale du corps”. Dans le néologisme fjörefni (= vitamine), il est restitué dans son étymologie originelle: la vi­tamine est en effet une substance qui renforce la vigueur vitale du corps et ne prétend pas avoir d'effets sur l'“âme” ou le psychisme. Feorh  et sawul désignent donc tous deux un principe de vie ou une âme tandis que lif/lîp  signifie la “vie comme situation, comme simple fait de monde”. Mais feorh  reste, malgré sa proximité sémantique avec sawul, plus charnel, plus lié à la corporéité voire au sang, que sawul, qui sera repris par les missionnaires chrétiens pour désigner le “spirituel” et l'“incorporel” qui survit après la mort physique, en s'échappant de la dépouille mortelle du défunt. Feorh exclut toute extra-corporéité, toute idée d'un souffle pouvant se dégager de son enveloppe corporelle (comme dans les mots grecs yuch, dumos et pneuma; ou les mots hébreux nefes ou ruah). Le feorh  n'a aucune connotation sémantique de “souffle” et pourrait bien avoir signifié au départ le pectus/pectoris, la “poitrine” ou le “cœur” voire le “diaphragme”. Les usages christianisés de ces vocables germaniques semblent avoir réservé progressivement la racine sawul/saiwalo pour désigner l'âme dans son acception strictement chrétienne en évitant par exemple de l'utiliser pour les animaux, alors qu'à l'origine les Germains ne faisaient pas la distinction. Dans certains textes du XIVième et du XVième siècles, Seele est encore utilisé en référence à des animaux. Quand au terme lif/lîp/Leben,  il dérive d'un verbe lifan/liban  signifiant “persister”, “tenir bon”, all. beharren,  et a fini par désigner la vie purement immanente comme existence, comme Dasein,  diront les exis­tentialistes d'heideggerienne mémoire. Le dualisme chrétien, en plaquant un latin d'église sur le patrimoine lexical germanique et en imposant sa vision de la vie (dévalorisée parce que charnelle et immanente), a donc éliminé le feorh, pour ne laisser subsister que l'incorporelle “Seele/anima/âme” et l'immanent stricto sensu “Leben/vita/vie”, éliminant du même coup tout un jeu de concept qui nous aurait permis de saisir le sens de la vie dans l'immanence, certes, mais simultanément dans une sa­cralité vitale et charnelle, sans s'égarer dans un hypothétique “incorporel”. La philoso­phie européenne aurait emprunté un tout autre chemin si le concept de feorh avait pu être conservé à l'aube de notre histoire médiévale et nous n'aurions connu ni les tâton­nements des philosophes (prisonniers de ce dualisme chrétien ou post-chrétien mais s'ils le rejettent) ni leurs lassantes et stériles allées et venues de la transcendance im­matérielle/incorporelle à une immanence toujours trop épaisse chez les “hommes d'esprit” qui parfois, dans des accès de cette crise typiquement euro-occidentale, veu­lent bruyamment, hystériquement, abandonner les empyrées incorporelles (DB).

 

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jeudi, 16 août 2007 | Lien permanent

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