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vendredi, 28 décembre 2007

Y.M. Laulan: nations suicidaires et déclin démographique

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Entretien avec Yves-Marie Laulan :

Nations suicidaires et déclin démographique

 

Après des études de Sciences politiques et un doctorat d'Etat de Sciences économiques, Yves-Marie Laulan a été successivement économiste au FMI, à la Banque mon­diale et à la « Caisse française de développement ». Conseiller au cabinet de Michel Debré aux Finances puis aux Affaires étrangères, directeur des affaires écono­miques et président du comité économique de l'OTAN, directeur des études de la Société générale, directeur général du Crédit municipal de Paris. Il est consultant international depuis 1995 et professeur associé à Paris II. Yves-Marie Laulan a été professeur à Sciences-Po, à Paris-Dauphine, puis au Panthéon, conférencier à Po­ly­technique et à l'Ecole supérieure de Guerre et à l'IHDN, membre de la commission des comptes et budgets économiques de la Nation, président international des économistes de banque. Il vient de publier chez F. X. de Guibert Les nations suicidaires un ouvrage sur la dé­mo­graphie.

 

XCh : En matière démographique,vous avez l'air d'être volontairement pessimiste…

 

YML : Ce ne sont pas les propos de l'auteur qui sont violents, mais la situation qui est violente. En fait, il est déjà presque trop tard; les phénomènes démographi­ques, ceux, disons, que je traite, ont ceci de particulier, et de singulier, qu'ils sont lents, et passent largement ina­perçus, jusqu'à ce qu'il soit trop tard précisément; on peut réparer les ra­vages d'une guerre en quelques années, l'Allemagne et la Fran­ce en ont fait l'expérience. On peut se remettre des consé­quences d'une crise économique en peu de temps. Mais un traumatisme démo­gra­phi­que prend des décennies, ou des siècles, pour guérir, quand il n'est pas inguérissable. Après tout, un siècle et demi après l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis, les Noirs américains ne sont toujours pas intégrés dans la société américaine. Mais vous avez en partie raison. J'ai adopté, volontairement un ton un tantinet provocateur. Car pour réveiller les sourds, il faut un énorme carillon. Et à quelle opi­nion pu­blique abêtie, abrutie, anesthésiée par un matraquage mé­diatique quotidien n'avons-nous pas affaire? La France de l'infor­ma­tion aujourd'hui, c'est, en mieux, car en plus efficace, la Roumanie de Ceau­cescu. Ceci étant, le dissident de la pensée unique que je suis, le samizdat de la Russie soviétique, selon l'expression de Pierre Chau­nu, veut incarner, modestement, à sa mesure, le veilleur à l'au­be dont parle la Bible (Isaïe), celui qui reste seul à son poste, toute la nuit, en attendant que l'aube se lève, peut-être.

 

XCh : Comment expliquez-vous que nous soyons con­fron­tés à un hiver démogra­phi­que des plus terribles ?

 

YML : Pourquoi faut-il que ce soit au moment où le niveau de vie bat tous les records, où la condition humaine en général, celle de la fem­me occidentale en particulier, n'ont jamais été aussi favorables, que l'on assiste à un effondrement de la natalité? Ce phénomène est bien sûr nié ou camouflé par les menteurs patentés que sont les démo­gra­phes officiels, qui sont aux réalités démographiques ce que Radio Pa­ris était à la vérité de l'information pendant l'Occupation. Les prin­ci­paux facteurs du phénomène sont les suivants. La femme occi­den­ta­le ne veut ou ne peut pas avoir d'enfants. La fameuse poupée Bar­bie dont on parle tant ces jours-ci incarne bien la vision que l'on se fait de la femme dans nos sociétés repues et stériles. Ni mère, ni é­pouse, amante occasionnelle, elle vit en suzeraine au sein de son pro­pre univers enchanté qui repose sur le sexe, un peu, le sport, beau­coup, la carrière énormément, son corps enfin, totalement. Elle se veut homme, à part entière. Car la société occidentale a été inca­pable de formuler une réponse convenable à ce grand défi du XXe siècle: comment réussir l'émancipation de la femme? Comment lui permettre de concilier raisonnablement son rôle de mère, indis­pen­sa­ble pour la perpétuation de l'espèce, sur le plan biologique comme cul­turel, et son rôle, non moins nécessaire, de professionnelle. Allez donc poser la question à M. Juppé; et puis, il y a le triomphe, sans pudeur, des homosexuels, qui ne sont pas réputés pour leur fé­con­di­té naturelle. Acceptable à titre privé, dans la décence et la discrétion, l'ho­mosexualité devient agressive et prosélyte, comme on le voit avec le Pacs. Les homosexuels réclament la reconnaissance sociale et la considération qui va, au même titre et même davantage, aux pè­res ou mères de famille, ce qui en dit long sur l'inversion des valeurs dans nos sociétés à vocation suicidaire. Mais on pourrait ajouter bien d'autres facteurs, comme la culture de mort si justement dénoncée par le Pape Jean-Paul II, avec l'avortement de masse, remboursé par la Sécu —un comble— et l’humanitarisme médiatique, qui s’attaque sans cesse aux valeurs "fortes" : honneur, travail, dignité, sens de la famille, goût du sacrifice et du renoncement, etc. Si je poursuivais sur cette voie, on me prendrait pour un prédicateur en chair et en os.

 

XCh: Cet hiver démographique n'est-il pas l'expression d'une fuite des responsabilités?

 

C'est bien le fond du problème. Car depuis trente ans, nous as­sis­tons, impuissants et résignés, à une fuite généralisée devant les res­ponsabilités, et cela à tous les niveaux. Irresponsabilité des garçons qui ne veulent plus assumer la responsabilité d'être pères ou chefs de famille. Irresponsabilité des filles qui ne veulent plus mettre d'en­fants au monde et préfèrent adopter des toutous pour leur tenir com­pa­gnie (il est vrai que les chiens ne cotisent pas pour la retraite; mais per­sonne n'est parfait). Irresponsabilité des hommes politiques qui pré­fèrent sacrifier l'avenir du pays afin de préserver leurs précieuses chan­ces aux prochaines élections (il ne faut mécontenter personne, et après moi le déluge !). Irresponsabilité des fonctionnaires qui veu­lent toujours plus d'effectifs, d'augmentations de salaires, de primes, et moins de temps de travail. La France est en train de se trans­for­mer, sous la houlette socialiste  —mais la droite n'a guère fait mieux—  en un gigantesque camp d'assistés de tous genres et de tous poils. D'ailleurs, dès lors que 57% du PIB est redistribué, on peut affirmer sans crainte de se tromper qu’un Français sur deux est assisté, et donc irresponsable.

 

XCh: En épousant l'individualisme et un certain confort anesthésiant, la France n'est-elle pas sur la pente qui peut la conduire à sortir de l'histoire?

 

YML : La France est déjà sortie de l'histoire de notre temps sur la pointe des pieds. Elle y rentrera peut-être un jour. Mais, ceci est une autre histoire. Pour l'instant, nous avons déjà renoncé à deux attri­buts majeurs de la souveraineté, qui font qu'une nation existe au mon­de, à savoir: la monnaie avec l'euro, depuis le début de l'année. La monnaie légale en France depuis le 1 janvier 1999  est l'euro, (dont le cours légal est géré à Francfort), et non plus le franc, qui n'est plus qu'une monnaie divisionnaire. Par ailleurs, la France a aus­si renoncé à son armée qui n'est plus qu'une force de police auxiliai­re, au service de l'OTAN et de nos alliés. L'Europe aujourd'hui n'est pas une ascension vers un mieux-être, mais une fuite en avant qui per­met à nos hommes politiques de conserver leurs indemnités par­le­mentaires, opulentes tout en évacuant sur Bruxelles les décisions dif­fi­ciles. Ce n'est plus l'Europe sans rivages de François Perroux, mais l'Europe sans visage de Jacques Delors, celle de tous les aban­dons, de toutes les lâchetés, de tous les renoncements. Le drame est que les Français restent sans voix et sans réactions, comme hé­bé­tés, devant toutes les mutilations de leur souveraineté qui leur sont im­posées. Ils manifesteront en masse pour la chasse à la tourterelle mais ne réagiront pas contre le Pacs ou contre le Traité d'Amster­dam. Ce n'est plus un peuple de veaux mais une colonie de lem­mings. Et on le dit ingouvernable. Erreur. On le manipule comme on veut et on lui fait avaler n'importe quoi.

 

XCh : Existe-t-il des signes de salutaire réaction?

YML : Aucun pour l'instant. Le profil de l'encéphalogramme est plat et le patient dans un état comateux profond.

XCh : Pensez-vous que la France survivra au XXe siècle?

 

YML : Tout dépend de ce que l'on appelle survivre; en tant que peu­plade dotée d'un passeport plus ou moins récent et, bien entendu, d'une carte de sécu, les Français ont toutes les chances de survivre. On ne va pas perdre comme cela le secret du cassoulet, du magret de canard ou des tripes à la mode de Caen. Et puis, il y a le foot. Comme peuple, fier de son passé et soucieux de son destin, comme nation, orgueilleuse de sa présence au monde et de sa place dans le concert européen, c'est une toute autre histoire. En raison de son é­vo­lution démographique caractérisé par un affaissement démogra­phique interne, compensé par une immigration massive de peuple­ment, la France a toute les chances de devenir ce que l'on peut ap­peler une société malheureuse. Elle surmontera difficilement les con­tradictions internes qu'elle a elle-même créées. Peuplée de fortes mi­norités à vocation majoritaire, très différentes par leur culture et leurs valeurs, et donc forcément rivales, la France deviendra un pays où le simple maintien de l'ordre public va requérir la mobilisation de toutes les ressources internes pour conserver un semblant d'ordre social. D'autant plus, qu'au contraire des Etats-Unis, qui ont accepté les ru­des disciplines du libéralisme créateur de richesses et d'emplois, la Fran­ce adopte des mesures ineptes comme le montre bien la funeste loi des 35 heures qui est la risée du monde civilisé. De telles sociétés ne peuvent prétendre avoir une politique étrangère ou de défense ex­té­rieure, mais, ce qui est déjà beaucoup, de simple préoccupations de maintien de l'ordre, dans le cadre d'un régime de plus en plus po­licier et d'une économie de plus en plus étatisée comme c'est déjà le cas dans maints pays africains ou au Liban. Si c'est cela que vous ap­pelez survivre, alors oui, la France a des chances de survivre. Mais dans quel état !

 

(propos recueillis par © Xavier CHENESEAU, pour « Synergies Eu­ro­péennes »).

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