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dimanche, 27 février 2011

Walsh, le génie sauvage du cinéma

Walsh, le génie sauvage du cinéma
par Nicolas Bonnal
 

Comparer un film de Walsh à un film hollywoodien ou cannois actuel, c’est comme comparer un Dostoïevski à l’un des 667 ouvrages de la rentrée littéraire ; autant dire impossible. Essayons modestement d’expliquer pourquoi c’est impossible en quelques lignes, à l’aide des quelques DVD qui nous tombent entre les mains.

Walsh a vécu 90 ans, c’est un catholique hispano-saxo-celte, il a réalisé des centaines de films, il a été un des grands acteurs du muet, il est devenu borgne comme Ford, Horatius Coclès ou le dieu Odin précédemment cité, il est le plus grand maître du cinéma d’épopée, d’action, et d’amour noble, il est Homère avec une caméra.

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La quête solaire du héros walshien est souvent suicidaire, comme on dirait aujourd’hui : le héros walshien va au bout d’un destin de fou, il est tragique et épique à la fois. C’est Errol Flynn cherchant la mort dans la peau du général Custer, alors qu’il est l’ami des Indiens et qu’il a combattu les intrusions du gouvernement fédéral. C’est Humphrey Bogart cherchant l’impossible liberté dans les montagnes rocheuses de High sierra, alors qu’il est miné par son destin de loser solitaire, gangster raté et récupéré par la mafia au pouvoir. C’est Joel McCrea dans Colorado territory, qui reprend le même sujet, mais aux temps du western, quand il est encore possible de se croire au temps des Grecs, flanqué de montagnes et de chevaux, de vrais indiens et de faux dieux...

Cet héroïsme s’accompagne d’une flamboyance féminine incomparable ; la femme walshienne est sublimée par l’amour fou que lui inspire son héros de compagnon ou de mari, souvent bien plus âgé (la fille est Antigone et Iseut à la fois) ; ils sont comme un couple nietzschéen près pour une danse lyrique avec la mort : voir la fin sublime, incomparable de Colorado territory, lorsque Virginia Mayo accompagne McCrea pour son règlement de comptes final avec le sheriff et ses tueurs. La nature est encore le témoin neutre et silencieux de la brutalité humaine, non le macrocosme où celle-ci s’accomplit.

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Walsh est le cinéaste de deux appétits inconciliables ; celui de l’individu doté de courage et d’esprit tragique, et celui de la société ou de l’Etat moderne, de plus en plus monstrueux, de plus en plus froid. Le montage technique du cinéaste, qui renvoie aux oubliettes le montage numérique d’aujourd’hui, marque cette accélération de la folle efficacité étatique, sa froide et noire science du malheur : voir les plans de sirènes et de radios dans High sierra, les télégraphes et les journaux dans la Chevauchée fantastique, la maîtrise spatiale et routière dans The Big Heat, son plus terrible chef-d’oeuvre.

Si l’on veut comprendre en effet ce qu’est un dictateur, on verra ou reverra ce film de 1949, plus nerveux et stressant qu’aucun spectacle actuel, au moins dix fois : on comprendra ce qu’est le dictateur en voyant ce passage muet où James Cagney apprend en prison que sa mère est morte et assomme en hurlant la moitié du personnel du pénitencier ; on comprendra en voyant ce passage où il tire sur le coffre d’une voiture parce que son prisonnier, enfermé dedans, lui demande de l’air pour respirer ; où, lorsqu’il apprend que son meilleur ami et lieutenant est un flic infiltré, professionnel glacial et post-humain, un « expert » avant l’heure, il devient et se lance dans la folle conquête du monde, une centrale thermique en l’occurrence, sur laquelle il explose littéralement, tout en riant aux armes.

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Dans une de ses dernières oeuvres, Walsh offre une vision décalée, conservatrice, provocatrice, anarchiste de droite de l’esclavage et de la guerre de Sécession. A la brutalité des yankees, voleurs, violeurs, assassins, bien sûr prédicateurs, Walsh oppose le monde de la féodalité sereine et traditionnelle du Sud, qui font que les esclaves sauvent le bon maître dans le respect des règles du devoir, de l’honneur et de la charité. Ce sont eux qui le libèrent et de ses fautes passées et du monde moderne qui arrive. Clark Gable (c’était l’acteur US préféré d’Hitler, qui aurait dû se reconnaître dans James Cagney...), sublime, mûr et seigneurial d’un bout à l’autre y est inoubliable, notamment dans la scène où il liquide, en guerrier froid et désabusé, la mythologie vague du duel.

Walsh est dans un monde épique, serein, solitaire, aérien, il est avec les dieux de l’Olympe, il est avec les neuf muses ou avec les scaldes scandinaves, il est au panthéon avec Virgile, avec Hugo, auquel on l’a souvent comparé. Il maîtrisait comme personne un art d’industrie, de masse, promis le plus souvent à la plus creuse distraction, promu par lui à la plus haute distinction.

00:05 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cinéma, walsh, etats-unis, film | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook