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Rechercher : Shakespeare. Céline. Secrets at Bottom

P.A. Cousteau, Céline et la 4ième République

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Marc LAUDELOUT:

P.-A. Cousteau, Céline et la Quatrième République

 

Les relations entre Pierre-Antoine Cousteau et Céline se sont détériorées en 1957. L’ancien journaliste de Je suis partout n’apprécia guère de voir railler le petit monde de la collaboration dans D’un château l’autre. Lui-même se considérait comme l’homme de ce clan et faisait bloc avec lui.  Son agacement fut  ravivé  par  le fait que  Céline se laissa interviewer par L’Express qui était alors l’un des organes de la gauche avancée. Pour Cousteau, Céline pactisait avec l’ennemi et il ne se fit pas faute de le faire savoir. Tout d’abord dans Rivarol – auquel il collaborait  depuis sa sortie de prison – par un article vengeur dans lequel il l’accusait d’avoir rallié le « Système ». Il devait récidiver quelques jours plus tard avec un autre libelle, « D’un ratelier l’autre », où il mettait en parallèle des citations extraites des pamphlets, d’une part, et de l’entretien accordé à L’Express, d’autre part. Et enfin dans Lectures françaises, mensuel précisément créé en cette année 1957 ¹.

 

Cousteau n’avait pas toujours détesté Céline. Sous l’Occupation, il écrivit même deux textes louangeurs sur l’auteur des pamphlets et  truffa son livre L’Amérique juive de citations extraits de ceux-ci ².

 

Comme on s’en doute, Céline ne demeura pas en reste, le traitant dans Rigodon de « petit jaloux, député raté, bien fait pour fanatiser les turlupins... ». Les amis de Cousteau lui en tinrent rigueur pendant des années.  Ce fut, entre autres, le cas d’Étienne Lardenoy. À l’occasion de la parution du deuxième tome des romans de Céline dans La Pléiade, il publia un article très hostile, choqué par ce qu’écrivait l’auteur de Rigodon sur celui que ses amis appelaient « PAC ». Une allusion à la maladie qui devait l’emporter suscita en particulier l’ire de Lardenoy. Pis : à l’instar de l’écrivain juif Rabi, il estimait que Voyage au bout de la nuit était un chef-d’œuvre demeuré sans suite et que le reste de son œuvre n’avait dès lors pas sa place  dans la prestigieuse collection de Gallimard ³.

 

À la différence de son frère, feu le célèbre Commandant Cousteau élu à l’Académie française en 1988, « PAC »  est bien oublié aujourd’hui. Or, des deux Cousteau, c’est incontestablement lui qui avait un talent de plume, manifestant un brio polémique reconnu par ses adversaires. En atteste le recueil d’articles, Après le déluge, que les éditions Déterna viennent de faire paraître.

 

La première édition de cet ouvrage parut à la fin de l’année 1956. Pierre-Antoine Cousteau avait été élargi trois ans auparavant. Il ignorait alors qu’il n’avait plus que deux ans à vivre. C’est en décembre 1958 que Lucien Rebatet, son compagnon de galère à Clairvaux, signa le superbe et poignant « Testament  et tombeau de Pierre-Antoine Cousteau » : « Je ne vais pas apprendre aux lecteurs de Rivarol que Cousteau a été un des plus grands journalistes de ce second tiers du XXe siècle. (…) Combien sommes-nous encore à savoir ce que c’est que la vraie prose française ? La sienne était ferme, simple, sûre, sans aucun effort. » 4  À quoi  il faut  ajouter  cet art de la litote assassine où PAC était passé maître.  Comme on s’en doute,  elle  fut  souvent stimulée par la déliquescence du régime finissant de la Quatrième République. De sa grâce – accordée par Vincent Auriol en 1947  – à la parution de ce livre, Pierre-Antoine Cousteau aura connu une vingtaine de gouvernements !

 

Après le déluge sort de presse alors que le socialiste Guy Mollet est Premier ministre (on disait alors Président du Conseil) avec, comme Garde des Sceaux, un certain François Mitterrand dont ce n’était pas le premier poste ministériel. Ce gouvernement eut une existence tout aussi brève que les précédents. Sans doute faut-il rappeler aux jeunes lecteurs que le régime politique était alors bien différent de celui que les Français connaissent actuellement : le Président de la République – élu par les deux chambres et non au suffrage universel – en était réduit, peu ou prou, à inaugurer les chrysanthèmes, et les partis régnaient en maîtres absolus. Le mode de scrutin (proportionnel), alors en vigueur,  favorisait  en outre l'existence d'un nombre assez élevé de partis dont les incessants revirements d'alliance entraînaient des chutes régulières de gouvernement. Les noms de ceux qui les dirigèrent se retrouvent tout naturellement dans ce livre, de Ramadier à Pleven en passant par Faure, Pinay et naturellement Mendès-France qui suscite plus particulièrement les sarcasmes de PAC en tant que principal acteur de la décolonisation en Indochine. L’époque est aussi celle qui voit le début du conflit algérien ; c’est d’ailleurs l’incapacité du régime à le résoudre qui précipitera sa chute. Sans doute le lecteur béotien devra-t-il se reporter à quelque manuel d’histoire pour mieux comprendre les allusions aux forces politiques en présence : le PCF (parti communiste alors puissant), la SFIO (les socialistes d’alors), le Parti Radical avec son aile gauche (Mendès-France) et son aile droite (Edgar Faure), le MRP (démocrate-chrétien), et enfin le RPF (créé par De Gaulle en 1947 et résolument hostile au régime).  Et que dire des confrères journalistes auxquels PAC réserve quelques unes de ses flèches les plus acides  : Pierre Hervé (communiste bientôt en rupture de ban), Roger Stéphane (gaulliste de gauche, co-fondateur de France-Observateur – futur Nouvel Observateur – arrêté en 1955 pour divulgation de secrets de la défense nationale),  Claude Bourdet  (autre fondateur de France-Observateur, ardent partisan de l’indépendance de l’Algérie), Robert Lazurick (directeur du journal L’Aurore), Carmen Tessier (échotière à France-Soir), Madeleine Jacob (chroniqueuse judiciaire au quotidien communiste Libération), etc. Tous ces personnages, aujourd’hui bien oubliés, figurent dans le Dictionnaire de la Politique française de Henry Coston, indéfectible ami de PAC  et premier éditeur de ce livre. Coston demeura toujours fidèle à son souvenir et lui consacra une notice substantielle dans son Dictionnaire. Telle était sa conclusion : « Ce militant a l’esprit caustique et à la plume acérée avait un cœur d’or. On lui connaissait des adversaires : on ne lui connaissait pas d’ennemis. Même ceux qui ne partagèrent pas ses idées, même ceux qui combattaient sa politique lui témoignaient leur estime. »

 

M.  L.

 

1. Pierre-Antoine Cousteau, « M. Céline rallie le fumier (doré) du Système », Rivarol, 20 juin 1957 ; « D’un ratelier l’autre », Rivarol, 11 juillet 1957 ; « Fantôme à vendre », Lectures françaises, juillet-août 1957.

2. Pierre-Antoine Cousteau, L’Amérique juive, Les Éditions de Paris, 1942 ; « Mais relisez donc Céline ! », Je suis partout, 4 avril 1942 ; « Pour une acceptation totalitaire de Céline », Ibidem, 16 juin 1944.

3. Étienne Lardenoy, « Une “rigolade” vomitive : le Céline de la fin », Rivarol, 19 décembre 1974. Quelques semaines plus tard, Robert Poulet, chroniqueur littéraire de l’hebdomadaire, lui répondit : « Aux funérailles du docteur Louis Destouches, Louis-Ferdinand Céline en littérature, nous étions là, Lucien Rebatet et moi, parmi les vingt-cinq personnes qui conduisirent au-delà de la nuit le « voyageur » foudroyé. J’imagine que Pierre-Antoine Cousteau serait venu, lui aussi, s’il avait été encore vivant. Cette attitude, pour nous, allait de soi. En pareille circonstance, disputes et griefs perdent toute importance. Quand il s’agit de haute littérature, il faut savoir anticiper sur le point de vue de l’éternel, en fonction duquel elle fut conçue. (…) Calmé, peut-être notre ami reviendra-t-il sur l’appréciation plus que péjorative que lui ont inspirée les œuvres de Céline, appréciation qui risque de lui causer quelque confusion dans un proche avenir. » (« Pour ou contre Céline », Rivarol, 1er janvier 1975).

4. Ce texte est intégralement reproduit, en guise de préface, dans la réédition de En ce temps-là…, livre de souvenirs de PAC publié après sa mort (Éditions Déterna, 2004). Cet ouvrage comprend également son journal de prison.

 

• Pierre-Antoine Cousteau, Après le déluge (pamphlets), Éditions Déterna, coll. « En ce temps-là », 2007, 346 p.  (31 €)

 

 

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dimanche, 03 février 2008 | Lien permanent

Proust et Céline

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Proust et Céline

 

par Marc Laudelout

 

   Opposer Proust à Céline aura été une constante de la critique depuis près d’un siècle. Dès 1932, Léon Daudet écrivait ceci : « Proust, avec toute sa puissance, que j’ai célébrée un des premiers, c’est aussi un recueil de toutes les observations et médisances salonnières dans une société en décomposition. Il est le Balzac du papotage. De là une certaine fatigue dont M. Céline  va  libérer sa génération ¹. » Cé

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dimanche, 19 janvier 2014 | Lien permanent

Spécial Céline

Le trimestriel Spécial Céline fait paraître son 11è numéro. Un nouveau format et une nouvelle maquette, des plus agréable, viennent agrémenter la lecture d’un sommaire plus « épuré » qu’à l’accoutumé. On regrettera toutefois pour ce numéro l’absence de toute actualité célinienne…

Sommaire :

Étude
« Céline au bachot » par Éric Mazet
Correspondance
« Les Lettres à la NRF, 1931-1961 : le médecin épistolier et son éditeur » par Julie Delbouille
Rencontre
« Céline et le Goncourt : Chronologie des faits et des idées » par Éric Mazet
Étude
« De Destouches à Céline, Montmartre 1929-1944 » par Jean Maurice Bizière
Fiction
« Fallait-il fusiller Céline » (1ère partie) par Jacques Milliez



Un numéro disponible en kiosque ou sur www.lafontpresse.fr, 80 pages, 19,50 €.

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mardi, 26 novembre 2013 | Lien permanent

Abécédaire « Céline »

Abécédaire « Céline »


Le blog "Les 8 plumes" a décidé de rendre hommage à Céline sous la forme d'un abécédaire :

Florilège passionné consacré à un auteur admiré. Les éditions Plon ont lancé avec succès, depuis de nombreuses années, la collection des Dictionnaires Amoureux et je rends hommage à cette initiative foisonnante. En cette fin d’année du cinquantenaire de la mort de Céline, que notre « courageux » Ministre de la Culture a refusé de célébrer (et pourtant l’ancien auteur d’Une Mauvaise Vie a rencontré aussi, plus modestement certes, avec sa plume, un cortège d’indignation…), je souhaitais rendre une inclination personnelle à mon auteur de prédilection, dont je connais et mesure en permanence les écarts insupportables inscrits dans les pamphlets de 1937/1942, mais qui occupe, pour moi et à jamais, une place éminente dans les Lettres Françaises assortie d’un itinéraire tellement hors norme que l’on ne peut approcher son œuvre et sa vie dans la simplification ou le jugement hâtif…

A
Lucette Almanzor : Le 20 juillet 2012, cette Grande Dame, atteindra son centenaire. Danseuse et chorégraphe, elle a accompagné Céline dans l’Allemagne en flamme et en son exil forcé au Danemark. Elle a épousé Céline en 1943 et elle l’a accompagné jusqu’à sa mort avec tendresse, bienveillance et acuité. Elle est la légatrice pugnace des oeuvres de Céline et elle a toujours défendu avec constance et autorité la mémoire du Reclus de Meudon et elle en a été aussi la Muse Inspirée, car le personnage de Lili, de la trilogie Allemande (D’un Château L’autre, Nord et Rigodon), pose en permanence son charme de pas chassé…
Respect absolu à Lucette et si les « 8 plumes » ont du mal à se retrouver en déplacement, rendre visite à Lucette à Meudon serait une initiative exceptionnelle !

Arletty : La « conscrite » de Courbevoie, née comme Céline en fin de dix-neuvième siècle, a aussi vécu « une fin d’Occupation » compliquée avec la justice de son pays : « Je ne suis pas très résistante et si mon coeur est à la France, mon cul est à moi ! » dira t-elle…Elle est toujours restée fidèle à la fougue et à l’indépendance de Céline et Henri Godard, dans sa biographie de 2011, a exhumé une jolie photographie où l’on découvre Céline, Arletty et Michel Simon, en joie, assistant aux répétitions des élèves de Lucette.

Marcel Aymé : Un homme de Montmartre fidèle à Céline, par intermittences certes, mais qui a reconnu son génie et son élan et qui rendait visite régulièrement à l’écrivain en ses dernières années, cela ne s’oublie pas. Relire Uranus nous rapproche de la Trilogie Allemande Célinienne.

B
Bardamu : Personnage central et flamboyant, quasi épique, de Voyage au bout de la Nuit, qui reste dans les mémoires de manière intacte et permanente et qui doit beaucoup, dans ses élans et doutes à Céline lui-même…

Bébert : chat emblématique de Céline et personnage à part entière de la Trilogie Allemande, que je recommande à Véronique (des 8 plumes), amoureuse également des câlins félins ; la tendresse de Lucette, qui recherche prioritairement à nourrir Bébert en Allemagne du Nord sous les bombes infernales, ne pourra laisser insensible notre organisatrice dynamique et structurante du blog.

Bulletin Célinien : Depuis trente ans, sans relâche et avec une passion continue alliée à une érudition méritoire et inlassable, le Bulletin Célinien et son Directeur : Marc Laudelout, à Bruxelles, analyse, décortique et modernise la connaissance de Céline. Abonnez-vous au Bulletin Célinien pour 11 numéros par an (50 euros au total) et vous réaliserez un investissement culturel intelligent pour Noël…

C
Elizabeth Craig : Danseuse, dédicataire de Voyage au bout de la nuit et passion enflammée de l’écrivain, qui a tenté de la retrouver aux Etats-Unis : exprimer un Amour aussi puissant pour le désenchanté misanthrope qu’est Céline signifie qu’Elizabeth se voyait vraiment inspirante et attendue…

D
Destouches : Louis Destouches, état civil réel de Céline, et que l’on retrouve dans les Carnets Intimes du Soldat Destouches, magnifiquement illustrés par Tardi (remarquable connaisseur de Céline), qui contribuent à dévoiler précisément et directement les désespoirs, détresses et douleurs du combattant poilu du front de 14. Céline a été gravement blessé en 1914, lors d’une mission pour laquelle il était volontaire et à 20 ans, sa vie sera fracturée à jamais. Qui ne comprend pas le drame de 14 ne peut lire et cerner les itinéraires Céliniens…

E
Essai médical (avec spéciale dédicace à Benoît, notre médecin littérateur des 8 plumes, qui apprécie Céline et qui a consacré une chronique percutante sur l’hommage rendu par Bukowski à Céline, ouvrage que j’ai eu plaisir à découvrir, merci à lui)…
Céline a consacré sa thèse de médecine, qu’il a préparée par la voie spéciale réservée aux anciens combattants, à Philippe Ignace Semmelweis, pionnier des médecins hygiénistes et qui a beaucoup influencé la construction future de la médecine du travail. Céline s’est toujours tenu à une morale rigoureuse sans alcool, sans tabac et sans café, considérant que l’ouvrier Français trouvait, avec le débit de boisson, un allié du patronat et il reprenait ainsi les théories de syndicalistes de l’époque (comme Jules Durand, le Havrais célèbre tombé dans la démence après avoir voulu freiner l’expansion des cafetiers…) pour lesquels les débits de boisson représentaient « l’Assommoir du Peuple », selon la formule de Zola…

F
Flaubert n’a jamais été à proprement parler un modèle pour Céline, mais il admirait sa volonté de création stylistique et de perfection. Il lui rend cependant hommage en déclarant qu’il a voulu, avec ses livres, « créer une petite musique reconnaissable et différente » ; pour qui lit et s’enivre de Céline, cette « musique là » se repère aisément.
Hervé, des 8 plumes, écrit avec un style pénétrant et riche et il ne tient qu’à lui (mais je suis certain que cela se concrétisera) de mettre en scène ce talent et que de futurs lecteurs apprécient sa veine inspirée…

G
Gaston Gallimard : un double G à l’époque du triple A : plus prosaïquement, les « engueulades et insultes » de Céline à Gaston participent de l’histoire littéraire. On y retrouve, au milieu d’injures trouvailles (qui ont inspiré selon les dernières réflexions Hergé pour les jurons d’un célèbre capitaine…), une affection sincère de Céline pour son deuxième éditeur (le Voyage avait été refusé par Gallimard puis fut édité par Denoël…) et une récompense réelle, reconnue par Céline, pour faire partie du cortège des auteurs à la couverture nrf.

Henri Godard, biographe accompli de Céline, accompagnateur investi des éditions des oeuvres complètes de Céline dans la Pléiade et surtout organisateur de la Correspondance intense de l’auteur, en cette même collection, qui constitue une référence de l’histoire littéraire et de l’histoire Européenne de la première moitié du XXème siècle. Surtout Henri Godard sait apprécier et admirer Céline sans oublier son parcours antisémite, et il donne des arguments fiables pour scinder le génie littéraire du parcours contestable, parfois même insoutenable, de l’auteur.

H
Milton Hindus : Américain, admirateur de Céline, qui va correspondre avec lui et le rencontrer en son exil au Danemark. Rencontrer un lecteur, juif de surcroît, représente pour Céline une forme de réhabilitation…La rencontre au Danemark se déroule cependant difficilement et le caractère d’imprécateur et entier de Céline n’aide pas à la confrontation, et, la découverte par Milton Hindus des pamphlets a certainement contribué à refroidir une affection naissante qui restera balbutiante… Milton Hindus a publié en 1950 un livre appelé « The Crippled Giant », traduit en France en 1951, sous le titre insipide de « Céline tel que je l’ai vu » aux éditions de l’Herne, par ailleurs éditeur de deux albums Céline admirables, que je vous recommande. « Cripple » se traduit en Français par handicapé, boiteux, infirme, rhumatisant, paralysé, et au sens propre comme en ironie, on imagine donc que l’image laissée ne fut pas celle que l’admirateur avait en perspective…

I
Erika Irrgang : Etudiante allemande que Céline a rencontrée en 1932, avant sa consécration littéraire due au « Voyage ». Comme Céline, Erika a connu la misère et a décidé d’en sortir à tous prix. Chez elle, selon Henri Godard, « le génie est une combinaison de folie et de roublardise » et pour Céline, il faut du vice, « de la roublardise », pour se libérer du romantisme… Autant dire que les rapports entre eux ont été simples, physiques, directs, mais Céline correspondra avec elle, sur une longue période, pour qu’elle conserve la maîtrise de son corps et il la pousse par exemple à utiliser le sexe « comme une arme et non comme un asservissement ». Céline devient hygiéniste, même en l’intimité…

J
Karen Marie Jensen : Danseuse de music-hall (ah les danseuses et Céline, cela mérite un chapitre à part où l’on partirait du plaisir magnifié des sens en mouvement pour aussi tomber, par instants, dans le fétichisme voyeur…), qui rencontre Céline au moment où sa carrière littéraire se construit et qui conservera avec lui des liens importants, notamment pour ses opérations de dépôt d’économies dans un coffre de banque à Copenhague, ce qui permet de cerner aussi les raisons personnelles qui ont conduit Céline, non sans courage dans les ruines Allemandes, à choisir le Danemark comme pays d’exil.

Ernst Jünger : Il faut lire les journaux de guerre d’Ernst Jünger parus dans la Pléiade, indispensables pour comprendre les relations franco-allemandes déchirées puis cicatrisées et devenues « référentes Européennes » au XXème siècle. Mais les deux hommes, anciens combattants de 14, ne se sont pas appréciés et Jünger, bien élevé, ne pouvait admettre les excès et les décalages incessants de Céline. Et pourtant ces deux là écrivent dans la même veine : celle du pessimisme sur le genre humain mais aussi sur la lucidité d’ouvrir en permanence des lueurs d’espoir. Je ne sais si Yves, des 8 plumes, a déjà lu Ernst Jünger, mais comme j’apprécie fortement ses chroniques toujours inventives et avides de nous faire découvrir de nouveaux talents, je recherche modestement ici à l’imiter…

K
Milan Kundera : L’auteur a proposé une définition de la sagesse dans le roman : « il y a dans l’essence de la fiction quelque chose qui empêche le romancier de réduire un personnage, sitôt qu’il prend quelque importance, à la caricature que ses préjugés lui en feraient faire dans un autre cadre ». Il n’y a pas de plus belle définition inspirante pour caractériser le romancier Céline.

L
Marc Laudelout : J’ai conversé par courriels avec cet homme de référence et que j’estime fortement, inlassable chercheur et découvreur de nouvelles réflexions et archives exhumées sur Céline ; son bulletin constitue une mine d’informations indispensable pour tout amateur éclairé.

Robert Le Vigan dit La Vigue : Acteur reconnu dans les Années Trente, il a, comme Céline, choisi des engagements contestables et il va traverser avec l’auteur, Lili et Bébert, l’Allemagne en flamme, dès 1944, et s’intégrer comme un personnage illustre et décalé dans la Trilogie Allemande. Dans Rigodon, on apprend que La Vigue s’isole et recherche la fuite individuelle plutôt que la solidarité avec le couple Destouches et Céline regrette et fustige cette fuite, son style ici devient sang… Mais l’affection perdurera… Le Vigan s’exilera en Argentine et sera appuyé financièrement par Arletty et Jean-Louis Barrault jusqu’à la fin de ses jours.

André Lwoff : Prix Nobel de Médecine avec Jacob et Monod, grand admirateur de Céline, qui a cependant reconnu que la thèse de médecine de l’écrivain comportait des insuffisances de rigueur biologique. Quand il entend le souffle sulfureux de Bagatelles pour un Massacre, où Céline établit de pseudo statistiques nauséabondes sur le nombre comparé de morts juifs et non juifs dans la guerre de 1914, cette absence de rigueur lui reviendra comme une lancinante habitude…

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jeudi, 29 décembre 2011 | Lien permanent

Céline et la bêtise

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Céline et la Bêtise

 

Claude Bourrinet

Ex: http://www.voxnr.com/

 

Bernanos, qui déplorait que Hitler eut déshonoré l’antisémitisme, mais gaulliste nonobstant, et même, si l’on veut « Juste », bien qu’avec la distance d’un océan, disait, sans doute avec raison, que la bêtise menait le monde. Ce dernier est bien trop vaste pour qu’on s’en fasse une idée bien précise, mais pour ce qui concerne la France, on ne risque guère de se tromper.

Comme le remarque le Figaro de ce jour, non sans un humour un peu décalé : « Le ministre de la Culture donne raison à Serge Klarsfeld… ». On ne manquera pas de s’étonner qu’un aussi emblématique représentant de la République, garant du patrimoine de la Nation, « donne raison » à un individu, au détriment d’une communauté dont il devrait placer au-dessus de tout l’intérêt. A moins qu’on se soit trompé justement de communauté… Mais au fond, on a vu récemment d’autres ministres, et même le Chef de l’Etat, sembler défendre des causes individuelles, parfois en changeant les lois, par exemple celle concernant les jeux en ligne.

On ne sera sans doute pas assez ingénu pour croire que Monsieur Mitterrand soit tombé en amour, comme disent nos amis anglais, pour l’ex soldat de Tsahal, ci-devant garde frontière (autrement dit gardien d’un ghetto où moisissent misérablement plus d’un million de femmes, d’enfants et d’hommes condamnés à boire de l’eau croupie), détenteur de la légion d’honneur, probablement pour avoir remplir son devoir sioniste, et subsidiairement mené son petit boulot d’inquisiteur et de censeur.

On se dit que l’intelligence eût consisté à faire le moins de bruit possible, à laisser passer les commémoration dont tout le monde se fout, quand bien même les faiseurs de discours feraient mine de ne pas s’en apercevoir, d’autant plus que l’anniversaire de la mort de Céline a lieu un premier juillet, au moment où la France vraie, corporelle et suante répète le grand exode estival vers un Sud qui a vocation, il faut le dire, à recevoir avec voracité la barbaque éreintée de nos compatriotes. A la limite, pour les quelques demi-savants titillés par une curiosité malsaine, on aurait pu asséner quelques bonnes vérités bienpensantes, histoire de faire diversion, en rappelant l’ignominie de Louis-Ferdinand, en condamnant sa logorrhée antisémite (bien que ces écrits-là fussent interdits de publication) ; et, plus intelligemment encore (on demande vraiment l’impossible !), il aurait été possible de souligner le caractère subversif de la prose célinienne, dont on a du mal à trouver l’équivalent dans la critique, pourtant maintenant bien conformiste, de la guerre, du colonialisme et du culte de l’agent.
Ah ! le culte de l’argent… Domaine risqué, s’il en est. C’est justement là où le bât blesserait. On procèderait presque à des amalgames répugnants. Honni soit qui mal y pense ! Et le Président Sarkozy, qui, pour l’argent, a les yeux de cette pauvre Chimène à qui ont prête beaucoup à des taux d’usurier, le prendrait pour lui.

Mais foin de pingrerie ! Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas vider nos librairies, nos bibliothèques, et accessoirement notre Panthéon, de quelques brebis galeuses des Lettres, qui s’en sont pris injustement au Peuple élu ? Exit donc Voltaire, Rousseau, Balzac, Maupassant, et d’autres, (sans parler de Valéry, de Gide …) qui ont commis un certain nombre de pages fort calomniatrices et, il faut le dire, affreusement caricaturales.

Et tant que nous y sommes, et, mon Dieu, pourquoi ne défendre qu’une seule communauté ? (on nous traiterait de raciste !), pourquoi ne pas interdire Rabelais, qui a ignominieusement caricaturé les Sorbonicards, en les présentant comme des ivrognes, Agrippa d’Aubigné, qui a éructé contre les papistes, Ronsard, qui a vomi contre les Protestants, Corneille, qui a, comme un vieux Turold, fait l’apothéose d’un tueur de Maures, Diderot, qui a calomnié les Jésuites du Paraguay, pourtant défenseurs des Indiens, etc. Et que penser de tous ces écrivains qui n’ont eu de mots assez durs contre la démocratie, le progrès, la modernité triomphante ? Preuve que, comme les chemins menant à Rome, le génie achoppe toujours devant la bêtise des hommes. Eternelle lutte !
Diable merci, nos Lettres ne manquent pas de fureur haineuse, et parfois, cela donne du talent.

Dans cinq cents ans peut-être, s’il est encore un monde et si notre langue française n’a pas disparu, malgré les efforts déployés par la nouvelle classe des Tartuffes, des béotiens et des cyniques apatrides, qui restera-t-il de nos grands artistes, quand Messieurs Mitterrand et Klarsfeld ne demeureront même pas dans la mémoire des vers de terre ? Nul doute que Louis-Ferdinand Céline trônera, aux côtés de ses illustres prédécesseurs, dont le géant Rabelais, et de toutes les gloires de notre Nation.

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mercredi, 26 janvier 2011 | Lien permanent

Céline, toujours...

Céline, toujours...

Le Magazine Littéraire du mois de février 2011 consacre son dossier à... Céline !

On y trouvera notamment des articles de David Alliot, d'Yves Pagès, de Maxime Rovere ou de Pascal Ifri, universitaire américain par ailleurs spécialiste de Rebatet.

On pourra aussi lire un entretien avec Céline datant de 1958 et consacré à Rabelais, ainsi qu'un chapitre non paru de Féérie pour une autre fois. 

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lundi, 31 janvier 2011 | Lien permanent

Céline historien?

 par Philippe Watts
 
 
Plaidoyer pro domo, omissions... D'un château l'autre, incomparable évocation de Sigmaringen, peut-il servir à l'historien ?

Le 4 juillet 1961, Louis Destouches, alias Louis-Ferdinand Céline, était enterré par ses proches à Meudon. Il venait de succomber, à 67 ans, à un accident cérébral. Cinquante ans après la mort de celui qui fut un témoin du régime de Vichy autant qu'un écrivain et une voix influente de cette sombre époque, les textes de Céline, modèles de littérature, peuvent-ils éclairer l'historien ?
Prenons le cas d'une de ses œuvres majeures, son roman le plus « historique », D'un château l'autre, dont la publication, en 1957, marque le retour de Céline sur la scène littéraire. Après le succès mondial de Voyage au bout de la nuit (1932), l'ignominie des pamphlets antisémites, l'exil et la prison au Danemark de 1945 à 1951 et plusieurs romans passés presque inaperçus, Céline se fait remarquer avec ce livre dans lequel il décrit la fin du régime de Vichy et le départ précipité vers l'Allemagne, en septembre 1944, de nombreux ministres de la collaboration. D'un château l'autre peut être vu comme la réponse de Céline à de Gaulle qui vient de publier les deux premiers volumes de ses Mémoires de guerre, L'Appel (1954) et L'Unité (1956). Céline, se comparant à Tacite, déclare dans les premières pages du roman qu'il est le « témoin véritable » d'un moment de l'histoire que la France d'après-guerre aurait préféré oublier.
« Témoin véritable »... au style bien éloigné cependant de celui du chroniqueur qu'il prétend être à propos de cet événement historique : ses Mémoires de guerre sont animés par une vitupération incessante, cette verve qu'Antoine Compagnon a identifiée comme l'une des composantes principales du style des antimodernes (1). Les cent premières pages de D'un château l'autre prennent la forme d'une jérémiade dirigée contre ses contemporains et la France de 1957. Avec son mélange d'argot et de préciosité littéraire, Céline croque des portraits souvent grotesques mais toujours comiques de ses rivaux littéraires : Sartre, mais aussi Mauriac, Claudel, Roger Vailland, Jean Paulhan et même son éditeur Gaston Gallimard – le « sordide épicier ». Il évoque aussi les crises contemporaines : la révolte hongroise d'octobre 1956, Dien Bien Phu, les grèves de l'usine Renault, le canal de Suez. De son pavillon de Meudon, il crache sa haine de la vanité et la bêtise d'un monde moderne soumis à la loi du profit, l'implacable domination des nantis, et la religion du progrès.
D'un château l'autre est également un portrait remarquable du « ramas de loquedus », ces ministres du gouvernement de l'État français rassemblés, de gré ou de force, en Allemagne par les nazis en septembre 1944, et auprès desquels Céline a servi de médecin. Se retrouvent à Sigmaringen ministres et miliciens, journalistes et généraux qui créent une « commission gouvernementale pour la défense des intérêts français en Allemagne » et dont le but est d'attendre la reconquête de la France par les troupes allemandes. C'est ce monde que Céline décrit, en commençant par le château baroque de l'ancienne famille des Hohenzollern : « Vous vous diriez en opérette... le décor parfait... vous attendez les sopranos, les ténors légers [... ] le plus bluffant : le Château !... la pièce comme montée de la ville... stuc et carton-pâte ! »
Nous voyons donc Pétain et son entourage se promenant sous les bombardements alliés, Pierre Laval, qui nomme Céline gouverneur des îles Saint-Pierre-et-Miquelon, Otto Abetz, Fernand de Brinon, secrétaire d'Etat sous Laval, Jean Bichelonne, ministre du Travail, Paul Marion, ancien communiste devenu ministre de l'Information. Céline révèle aussi les intrigues, les manies, les illusions et les haines qui parcourent ce petit monde et qui n'ont pas leur place dans les archives. Son témoignage sur cet épisode est ainsi devenu une des sources les plus précieuses pour les historiens de la fin de la Seconde Guerre mondiale, en particulier Henry Rousso qui dans Pétain et la fin de la collaboration retrace ce moment de l'histoire européenne (2).
Derrière ce témoignage se retrouvent également les procès de la fin de la guerre. « Nuremberg est à refaire », déclare Céline, dénonçant avec constance la violence de l'épuration sauvage et l'hypocrisie de la justice des vainqueurs. L'auteur met en balance les actions des collaborateurs français et la rébellion antisoviétique en Hongrie, la lutte des indépendantistes algériens et les engagements des joséfins, ces alliés espagnols de Joseph Bonaparte... A plusieurs reprises, il évoque aussi le bombardement de Dresde, ce qu'il appelle « la tactique de l'écrabouillage et friterie totale au phosphore » ; un événement que, selon lui, le monde d'après 1945 préfère oublier.
Céline lui-même, au moment de son exil, avait été accusé de trahison par les tribunaux de l'épuration en France pour avoir fait réimprimer pendant l'occupation ses pamphlets antisémites Bagatelles pour un massacre (1937) et L'École des cadavres (1938), mais aussi pour avoir soutenu Jacques Doriot, et pour avoir été traité en ami par les forces d'occupation. En 1949, il est accusé du crime d'« indignité nationale » (3). En 1951, l'amnistie lui permet de rentrer en France, mais jusqu'à la fin de sa vie ses écrits prennent la forme d'un plaidoyer contre Nuremberg, les procès de l'épuration et sa propre dégradation nationale. Ce qui nous vaut quelques omissions de taille. Ainsi, dans D'un château l'autre il n'évoque qu'en passant Bagatelles pour un massacre et son propre antisémitisme, et il ne parle jamais de la Shoah. Ce livre, chef-d'œuvre littéraire, reste néanmoins un document précieux sur la fin de la collaboration et l'exil du gouvernement de Vichy à Sigmaringen.
Pas étonnant, donc, qu'il soit copié : son style, son engagement font de Céline une espèce de modèle pour pénétrer le siècle tragique. En effet, nous continuons à entendre sa voix dans une littérature contemporaine qui cherche à s'emparer de l'histoire dans ce qu'elle a de plus violent. Déjà les romanciers américains Joseph Heller dans Catch-22 (1961) et Kurt Vonnegut avec Abattoir 5 (1969) s'étaient tournés vers Céline pour nous faire sentir les défaillances logiques et la violence extrême de l'héroïsme guerrier américain. Plus récemment, dans son roman Allah n'est pas obligé (2000), l'Ivoirien Ahmadou Kourouma a adopté un style qui rappelle celui de Céline pour nous raconter les aventures du jeune Birahima, un enfant-soldat embrigadé dans les guerres civiles au Liberia et en Sierra Leone : « Voilà. Je commence à conter mes salades. [ ... ] C'est comme ça que ça se passe », lance le narrateur. Dernier exemple en date, celui des Bienveillantes (2006) de Jonathan Littell : à travers la voix de l'ancien SS Max Aue, il nous semble entendre celle de Céline, sa complicité hostile avec le lecteur tout au long d'un récit presque insoutenable des atrocités nazies. La verve rhétorique de Céline, son ressentiment, sa proximité avec les acteurs de l'histoire mais aussi sa complicité avec les pires atrocités du XXe siècle font de lui une espèce de terrible modèle pour une nouvelle littérature qui tente de nous faire comprendre les gestes, les paroles et le monde sensoriel d'un siècle tragique.

Philip WATTS
Professeur au département de français à l'université de Columbia
Histoire n°363, avril 2011.


1- A. Compagnon, Les Antimodernes, de Jpseph de Maistre à Roland Barthes, Gallimard, 2005.
2- H. Rousso, Pétain et la fin de la collaboration : Sigmaringen, 1944-1945, Bruxelles Complexe, 1984.
3- Anne Simonin a retracé les origines et l'évolution de ce "crime nouveau", Le Déshonneur dans la République. Une histoire de l'indignité, 1791-1958, Grasset, 2008.

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mardi, 03 mai 2011 | Lien permanent | Commentaires (1)

Tout sur Céline, chaque jour...

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Tout sur Céline, chaque jour:

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samedi, 13 mars 2010 | Lien permanent

Céline - Bloy

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Céline – Bloy

Ex: "Bulletin célinien", n°270, n°12, 2005

Le texte que François Gibault avait donné en 1988 au « Cahier de l’Herne » consacré à Léon Bloy vient d’être réédité. Il s’agissait de considérer combien Bloy et Céline ont des traits communs. Extraits de l’avant-propos inédit.

 

Tous les géants se ressemblent, ils ont des points de correspondance. D’abord, ils sont grands, on leur compte quelques têtes de plus que les autres, certains sont même immenses. Ils ont aussi l’habitude de ne pas faire comme tout le monde, de se démarquer des hommes du commun et de mettre volontiers leurs pieds dans les plats. La parenté entre le géant Bloy et le géant Céline était à ce point évidente que je n’ai pas résisté au plaisir de les confronter, comme je confronte actuellement, pour le Dictionnaire de Gaulle, Louis-Ferdinand Céline et le Général (sans être certain de voir mon article publié), comme je travaille à une confrontation entre Louis Destouches et Jean Dubuffet, autre génie français, singulier, solitaire, anarchiste, créateur, lui aussi, d’un style inimitable et d’une œuvre qui ne doit rien à personne.

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C’est en rangeant des papiers, et Dieu sait que ce ne sont pas les papiers à ranger qui manquent chez moi, que je suis tombé sur le Cahier de l’Herne consacré à Léon Bloy. Il faut dire que je croule sous des montagnes de livres en désordre, de dossiers déclassés et de papiers entassés n’importe comment. (…) C’est à l’effondrement d’une pile, haute comme un homme debout, que je dois d’avoir retrouvé ce Cahier Bloy, et c’est à Jean-Paul Louis que cet article doit d’être réédité. (…) Malgré l’envie que j’en avais, je n’ai pas « lifté » ce texte, pas changé un mot ni ajouté ni supprimé quoi que ce soit. Il y manque pourtant quelques citations pour montrer que la violence de Bloy valait bien celle de Céline. Ainsi, dans son journal, le 23 février 1901, au lendemain du décès de la reine d’Angleterre : « Crevaison de l’antique salope Victoria » et, après l’incendie du Bazar de la Charité, à un ami : « ...à la lecture de cet événement épouvantable, j’ai eu la sensation nette et délicieuse d’un poids immense dont on aurait délivré mon cœur. Le petit nombre de victimes, il est vrai, limitait ma joie ». Je m’en veux aussi de n’avoir pas cité Léon Bloy écrivant dans Le Sang du pauvre : « Je vis, ou, pour mieux dire, je subsiste douloureusement et miraculeusement ici, en Danemark, sans moyen de fuir, parmi des protestants incurables qu’aucune lumière n’a visité depuis bientôt quatre cents ans que leur nation s’est levée en masse et sans hésiter une seconde à la voix d’un sale moine pour renier Jésus-Christ... ». Quant aux Danois, il les croyait « ...capables de faire mieux que les bourreaux de Jérusalem ». Un demi-siècle plus tard, écrivant de la prison à sa femme, Céline n’était pas plus indulgent pour ses hôtes : « Nous avons affaire à d’épouvantables danois hypocrites – Toute la férocité des vikings, le mensonge des juifs et l’hypocrisie des protestants – des monstres sans pareil ». Qui peut nier, après avoir lu ces lignes, l’existence de fils invisibles entre ces deux hommes ?

Puisque j’ai pris le parti de republier mon texte sans y rien changer, les voici donc, ces deux monstres, dans l’état où je les ai laissés il y a quelque vingt ans, toujours aussi furieux, teigneux, vociférants, géniaux.

 

François GIBAULT

 

© François Gibault, Céline – Bloy, Du Lérot, 2005, 40 pages. Édition tirée à 400 exemplaires sur bouffant et quelques exemplaires hors commerce sur vélin de Rives réservés à l’auteur (10 €).

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samedi, 19 septembre 2009 | Lien permanent

Céline et la Suisse

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Céline et la Suisse

Article paru dans le "Bulletin célinien", n°277, juillet-août 2006

Pour la première période, ce thème concerne plutôt Louis Destouches que Céline. C’est de 1924 à 1927 que Destouches, médecin employé par la S.D.N., séjourne à Genève, avec de longues absences aux États-Unis, en Afrique et ailleurs. Son contrat avec la Société des Nations expire en décembre 1927.

L’iconographie ayant également sa place dans ce Bulletin, cela nous permet de présenter les deux endroits où Louis Destouches vécut en Suisse. Lorsqu’il arrive à Genève, il s’installe à « La Résidence », confortable hôtel situé sur la rive gauche, route de Florissant (voir ci-contre). Il y reste jusqu’en décembre 1925, date à laquelle il emménage dans un rez-de-chaussée de trois pièces, chemin de Miremont à Champel, dans la banlieue de Genève. C’est à la fin de l’année suivante qu’il rencontre une jeune Américaine de vingt-quatre ans, venue de Los Angeles, qui séjourne à Genève avec ses parents et suit des cours de danse classique. Il s’agit bien entendu d’Elizabeth Craig qu’il nommera « l’Impératrice », la future dédicataire du Voyage au bout de la nuit. Sans la S.D.N., Céline n’aurait donc jamais rencontré celle qui eut une si grande importance dans sa vie. La liaison dura six ans.

Ces faits sont connus de tous les céliniens. Ce qui l’est moins, ce sont les tentatives de Céline, à l’automne 1944, pour passer d’Allemagne, où il s’est réfugié, en Suisse avec l’espoir de gagner ensuite le Danemark. C’est par l’entremise de son ami suisse Paul Bonny et de son cousin Paul Gentizon – tous deux compromis dans la collaboration parisienne – qu’il tentera vainement d’obtenir un visa. C’est à cette fin qu’il utilisera les services d’un avocat suisse, Frédéric Savary, et qu’il adressera, en janvier 1945, un mémoire au consul général de Suisse à Stuttgart. « Inutile de vous certifier que je n’ai jamais émargé pour un centime ni directement ni indirectement à aucun service allemand », lui écrit-il, ce qui est exact — à la différence précisément de ses amis helvètes. Exilé au Danemark, les liens avec la Suisse ne sont pas rompus. En 1947, il écrit à Marie Canavaggia : « J’ai des amis en Suisse. Gentizon journaliste très distingué, au Lutry, canton de Vaud qui peut m’être très utile et un autre ami beaucoup plus malheureux – Bonny à Genève ». Tous deux tenteront, vainement une fois encore, de le faire éditer par « Le Cheval ailé », dirigé par Constant Bourquin. Céline renoue aussi avec Henri Poulain, ancien secrétaire de rédaction de Je suis partout, également réfugié à Genève. Tous ces personnages, dont la figure la plus connue est certainement Georges Oltramare (voir notice plus loin), sont évoqués dans un livre paru à Lausanne, il y a trois ans, et dont nous donnons les références ci-dessous.

 

 

Marc LAUDELOUT

 

 

 

Alain Clavien, Hervé Gullotti et Pierre Marti, « La province n’est plus la province ». Les relations culturelles franco-suisses à l’épreuve de la seconde guerre mondiale (1935-1950), Éditions Antipodes, coll. « Histoire », 2003, 368 p.

 

 

 

Voir aussi « Témoignage de Paul Bonny sur ses relations avec Céline » in  Louis-Ferdinand Céline, Lettres des années noires, édition présentée et établie par Philippe Alméras, Berg International, coll. « Faits et Représentations », 1994, pp. [54]-86, suivie de la correspondance de Céline aux Bonny. Sur la période antérieure, voir Louis-Ferdinand Céline (Docteur Destouches) à la Société des Nations (1924-1927). Documents, recueil publié sous la direction de Théodore Deltchev Dimitrov, Foyer Européen de la Culture, Genève-Gex, 2001, 502 p.

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samedi, 26 septembre 2009 | Lien permanent

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