dimanche, 03 février 2008
P.A. Cousteau, Céline et la 4ième République
Marc LAUDELOUT:
P.-A. Cousteau, Céline et la Quatrième République
Les relations entre Pierre-Antoine Cousteau et Céline se sont détériorées en 1957. L’ancien journaliste de Je suis partout n’apprécia guère de voir railler le petit monde de la collaboration dans D’un château l’autre. Lui-même se considérait comme l’homme de ce clan et faisait bloc avec lui. Son agacement fut ravivé par le fait que Céline se laissa interviewer par L’Express qui était alors l’un des organes de la gauche avancée. Pour Cousteau, Céline pactisait avec l’ennemi et il ne se fit pas faute de le faire savoir. Tout d’abord dans Rivarol – auquel il collaborait depuis sa sortie de prison – par un article vengeur dans lequel il l’accusait d’avoir rallié le « Système ». Il devait récidiver quelques jours plus tard avec un autre libelle, « D’un ratelier l’autre », où il mettait en parallèle des citations extraites des pamphlets, d’une part, et de l’entretien accordé à L’Express, d’autre part. Et enfin dans Lectures françaises, mensuel précisément créé en cette année 1957 ¹.
Cousteau n’avait pas toujours détesté Céline. Sous l’Occupation, il écrivit même deux textes louangeurs sur l’auteur des pamphlets et truffa son livre L’Amérique juive de citations extraits de ceux-ci ².
Comme on s’en doute, Céline ne demeura pas en reste, le traitant dans Rigodon de « petit jaloux, député raté, bien fait pour fanatiser les turlupins... ». Les amis de Cousteau lui en tinrent rigueur pendant des années. Ce fut, entre autres, le cas d’Étienne Lardenoy. À l’occasion de la parution du deuxième tome des romans de Céline dans La Pléiade, il publia un article très hostile, choqué par ce qu’écrivait l’auteur de Rigodon sur celui que ses amis appelaient « PAC ». Une allusion à la maladie qui devait l’emporter suscita en particulier l’ire de Lardenoy. Pis : à l’instar de l’écrivain juif Rabi, il estimait que Voyage au bout de la nuit était un chef-d’œuvre demeuré sans suite et que le reste de son œuvre n’avait dès lors pas sa place dans la prestigieuse collection de Gallimard ³.
À la différence de son frère, feu le célèbre Commandant Cousteau élu à l’Académie française en 1988, « PAC » est bien oublié aujourd’hui. Or, des deux Cousteau, c’est incontestablement lui qui avait un talent de plume, manifestant un brio polémique reconnu par ses adversaires. En atteste le recueil d’articles, Après le déluge, que les éditions Déterna viennent de faire paraître.
La première édition de cet ouvrage parut à la fin de l’année 1956. Pierre-Antoine Cousteau avait été élargi trois ans auparavant. Il ignorait alors qu’il n’avait plus que deux ans à vivre. C’est en décembre 1958 que Lucien Rebatet, son compagnon de galère à Clairvaux, signa le superbe et poignant « Testament et tombeau de Pierre-Antoine Cousteau » : « Je ne vais pas apprendre aux lecteurs de Rivarol que Cousteau a été un des plus grands journalistes de ce second tiers du XXe siècle. (…) Combien sommes-nous encore à savoir ce que c’est que la vraie prose française ? La sienne était ferme, simple, sûre, sans aucun effort. » 4 À quoi il faut ajouter cet art de la litote assassine où PAC était passé maître. Comme on s’en doute, elle fut souvent stimulée par la déliquescence du régime finissant de la Quatrième République. De sa grâce – accordée par Vincent Auriol en 1947 – à la parution de ce livre, Pierre-Antoine Cousteau aura connu une vingtaine de gouvernements !
Après le déluge sort de presse alors que le socialiste Guy Mollet est Premier ministre (on disait alors Président du Conseil) avec, comme Garde des Sceaux, un certain François Mitterrand dont ce n’était pas le premier poste ministériel. Ce gouvernement eut une existence tout aussi brève que les précédents. Sans doute faut-il rappeler aux jeunes lecteurs que le régime politique était alors bien différent de celui que les Français connaissent actuellement : le Président de la République – élu par les deux chambres et non au suffrage universel – en était réduit, peu ou prou, à inaugurer les chrysanthèmes, et les partis régnaient en maîtres absolus. Le mode de scrutin (proportionnel), alors en vigueur, favorisait en outre l'existence d'un nombre assez élevé de partis dont les incessants revirements d'alliance entraînaient des chutes régulières de gouvernement. Les noms de ceux qui les dirigèrent se retrouvent tout naturellement dans ce livre, de Ramadier à Pleven en passant par Faure, Pinay et naturellement Mendès-France qui suscite plus particulièrement les sarcasmes de PAC en tant que principal acteur de la décolonisation en Indochine. L’époque est aussi celle qui voit le début du conflit algérien ; c’est d’ailleurs l’incapacité du régime à le résoudre qui précipitera sa chute. Sans doute le lecteur béotien devra-t-il se reporter à quelque manuel d’histoire pour mieux comprendre les allusions aux forces politiques en présence : le PCF (parti communiste alors puissant), la SFIO (les socialistes d’alors), le Parti Radical avec son aile gauche (Mendès-France) et son aile droite (Edgar Faure), le MRP (démocrate-chrétien), et enfin le RPF (créé par De Gaulle en 1947 et résolument hostile au régime). Et que dire des confrères journalistes auxquels PAC réserve quelques unes de ses flèches les plus acides : Pierre Hervé (communiste bientôt en rupture de ban), Roger Stéphane (gaulliste de gauche, co-fondateur de France-Observateur – futur Nouvel Observateur – arrêté en 1955 pour divulgation de secrets de la défense nationale), Claude Bourdet (autre fondateur de France-Observateur, ardent partisan de l’indépendance de l’Algérie), Robert Lazurick (directeur du journal L’Aurore), Carmen Tessier (échotière à France-Soir), Madeleine Jacob (chroniqueuse judiciaire au quotidien communiste Libération), etc. Tous ces personnages, aujourd’hui bien oubliés, figurent dans le Dictionnaire de la Politique française de Henry Coston, indéfectible ami de PAC et premier éditeur de ce livre. Coston demeura toujours fidèle à son souvenir et lui consacra une notice substantielle dans son Dictionnaire. Telle était sa conclusion : « Ce militant a l’esprit caustique et à la plume acérée avait un cœur d’or. On lui connaissait des adversaires : on ne lui connaissait pas d’ennemis. Même ceux qui ne partagèrent pas ses idées, même ceux qui combattaient sa politique lui témoignaient leur estime. »
M. L.
1. Pierre-Antoine Cousteau, « M. Céline rallie le fumier (doré) du Système », Rivarol, 20 juin 1957 ; « D’un ratelier l’autre », Rivarol, 11 juillet 1957 ; « Fantôme à vendre », Lectures françaises, juillet-août 1957.
2. Pierre-Antoine Cousteau, L’Amérique juive, Les Éditions de Paris, 1942 ; « Mais relisez donc Céline ! », Je suis partout, 4 avril 1942 ; « Pour une acceptation totalitaire de Céline », Ibidem, 16 juin 1944.
3. Étienne Lardenoy, « Une “rigolade” vomitive : le Céline de la fin », Rivarol, 19 décembre 1974. Quelques semaines plus tard, Robert Poulet, chroniqueur littéraire de l’hebdomadaire, lui répondit : « Aux funérailles du docteur Louis Destouches, Louis-Ferdinand Céline en littérature, nous étions là, Lucien Rebatet et moi, parmi les vingt-cinq personnes qui conduisirent au-delà de la nuit le « voyageur » foudroyé. J’imagine que Pierre-Antoine Cousteau serait venu, lui aussi, s’il avait été encore vivant. Cette attitude, pour nous, allait de soi. En pareille circonstance, disputes et griefs perdent toute importance. Quand il s’agit de haute littérature, il faut savoir anticiper sur le point de vue de l’éternel, en fonction duquel elle fut conçue. (…) Calmé, peut-être notre ami reviendra-t-il sur l’appréciation plus que péjorative que lui ont inspirée les œuvres de Céline, appréciation qui risque de lui causer quelque confusion dans un proche avenir. » (« Pour ou contre Céline », Rivarol, 1er janvier 1975).
4. Ce texte est intégralement reproduit, en guise de préface, dans la réédition de En ce temps-là…, livre de souvenirs de PAC publié après sa mort (Éditions Déterna, 2004). Cet ouvrage comprend également son journal de prison.
• Pierre-Antoine Cousteau, Après le déluge (pamphlets), Éditions Déterna, coll. « En ce temps-là », 2007, 346 p. (31 €)
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