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Rechercher : hommage à Jean Haudry

Aet eo Dominique Simonpierre Delorme d’an anaon

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Aet eo Dominique Simonpierre Delorme d’an anaon

 

Voici un texte de Philippe Jouët en hommage à son ami Simonpierre Delorme décédé le 7 mai 2023

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Kile ker. Comme tu le sais, l’éloge funèbre est un genre passé de mode, et qui se ramène bien souvent à un tri entre ce qui peut être dit, et ce qui est moins recommandé, ou est censé ne pas l’être. Or, cinquante ans de fréquentation forment comme une ambiance où les menus événements ont autant de résonance que les grands. Ce lissage où l’on ne peut choisir, cela s’appelle l’amitié. Tu comprendras aussi que j’aurais du mal à évoquer ces moments de ma vie familiale auxquels tu as été associé, présence dont je te remercie. Tu m’excuseras de n’en pas parler.

Je retrouve ces lignes, que tu avais écrites pour la mort du militant breton Jean Kergren, et je les recopie délibérément : « Il y a dans la préface de la pièce Ar Baganiz « Les Païens », de l’écrivain brestois Tanguy Malmanche, une phrase qui dit : « Il y a en tout Breton du prêtre, du maître d’école et du gendarme ; du prêtre, parce qu’il croit volontiers à l’incompréhensible, du maître d’école, parce qu’il aime à faire partager aux autres sa croyance, et du gendarme, parce qu’il a dans sa façon de l’exprimer quelque chose de péremptoire. » Voilà qui aurait pu assez bien s’appliquer à ta personne, à condition de prendre ces figures pour des métaphores d’autrefois. Ta religion, ce fut d’être fidèle à la pensée quand elle est droite, à la parole quand on la croit juste, à l’action quand on la juge bonne, sans renier la part qui nous dépasse dans le mystère de la vie. Ton école, ce furent, entre autres activités, des cours de breton dispensés souvent à pas d’heure, et sans compter. Quant au péremptoire, il était de facture FLB, c’est tout dire, et la rigueur se faisait sentir, disons à point nommé, et avec passion, comme lorsque certains contradicteurs étalaient leurs préjugés fransquillons sur les sujets qui nous rassemblent : nos langues ethniques, l’Alsace-Moselle, que tu affectionnais, l’idéologie française que nous avons ensemble décortiquée au fil des discussions, et l’Europe comme grand-peuple et unité de civilisation, contre les États-nations, machines à broyer les identités. Tu étais capable de te fâcher tout rouge contre le mur de l’imbécillité hexagonale, de quelque côté qu’en soient les mauvais ouvriers. Je dis bien : de quelque côté.

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Simonpierre Delorme était animé par l'idée d'une Europe aux cent drapeaux. Le voici, en ses plus jeunes années, à Dixmude lors du festival annuel du mouvement flamand, avec le drapeau Gwenn ha Du.

L’Europe ? Il n’était pas facile, sans doute, de se rattacher à une souche culturelle évidente dans ces années d’après-guerre qui voyaient partout se propager le grand reniement des patrimoines, la honte de soi inculquée par les maîtres de l’heure, le bouleversement des mœurs et des coutumes, qui s’est accru comme l’on sait par la suite. Double choix risqué : une patrie ethno-culturelle, conception établie par nos anciens, et une grande aire partagée : l’Europe aux cent drapeaux. Et l’idée de passer de la théorie à la pratique, culturelle, politique, activiste.

Cela se fit, dans ton cas, avec le secours providentiel de tes séjours brestois – Mil meuriad houl a goumoul du / a blav hevelep a bep tu… – , et par ta rencontre avec Jacqueline Duval, de Brasparts, ton épouse. Je me souviens de son attention constante, de l’expression réprobatrice qu’elle prenait lorque tu disais une bêtise, a c’hoarveze a wechoù ganez, sage rappel à la mesure. Il y a quelques années, l’occasion s’étant présentée d’une façon plaisante, cela me vint sur le coup : « J’entends la voix de Jacqueline qui te dit : « Oh, mais enfin… ». À cette évocation spontanée, nous fûmes bien d’accord que les morts sont là et vivent d’une certaine façon à nos côtés.

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Les "belles histoires de l'Oncle Simonpierre" qui communique sa passion des abeilles et de l'apiculture aux enfants des écoles.

Je n’évoquerai pas les nombreux amis, les vrais, les moins vrais, qui gravitaient autour d’activités bretonnes qui t’étaient tombées sur les épaules et que tu avais assumées. Ce fut l’occasion de nombreuses rencontres, certaines fructueuses. Par exemple nous n’oublierons pas que ce sont nos cours de breton qui ont aidé dans sa quête le lexicographe et éditeur Martial Ménard, et d’autres, ce qui confirme la sentence : « La raison dit non, la volonté dit oui. » Quand aux amitiés proprement françaises qui purent se tisser ici et là, elles n’effacèrent jamais les principes fondamentaux. « Nous refusons tout succursalisme », fut une de tes formules. Quand je te l’ai rappelée il y a peu, tu ne te souvenais pas qu’elle était de toi (« Moi, j’ai dit ça ? »), mais tu la trouvas très bien.

Contacts avec des amis flamands chaleureux et attentionnés, avec des Basques et des Corses ainsi qu’avec des Ukrainiens, qui dans leur exil combattaient alors le système soviétique, ces années soixante-dix et quatre-vingts furent une transition, entre les sociétés encore stables du début du XXe siècle et la grande confusion actuelle. Peu importe. Ce qui reste vrai, ce sont les paroles d’un ancien, que « la plus haute politique est de sauver et de servir la nature de son peuple ».

De cela, il est résulté aussi une famille bretonnante que nous avons vue croître, dont les rameaux raniment ou restaurent cet esprit du pays, Spered ar Vro, qui devrait animer tout Européen en chaque cercle d’appartenance, où qu’il se trouve. Comme tu te plaisais à le dire : « L’innovation d’aujourd’hui, c’est la tradition de demain ».

Kenavo, keneil, ra vo digor dit porzh inizi Kornôg, lec’h ma vod an Eneoù e Gwerelaouenn hon Gwenved.

P. J.

Une messe sera célébrée en l’église de Saint-Léger en Yvelines le Mercredi 17 Mai à 10 heures 30. L’inhumation aura lieu le Vendredi 19 Mai à 15 heures 30 au cimetière de Brasparts.

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Brasparts, la commune bretonne où Simonpierre Delorme trouvera sa dernière demeure. Elle est dominée par un "Mont Saint-Michel" particulièrement impressionnant.

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vendredi, 12 mai 2023 | Lien permanent

Helmut Schmidt : un très grand Allemand nous quitte

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Helmut Schmidt : un très grand Allemand nous quitte

Pascal Décaillet
Journaliste et entrepreneur indépendant
Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Sur le vif - 10.11.15 - 16.37h

HS7460z.jpgHambourg, 25 mars 1999 : à quelques heures du début des bombardements de l’OTAN sur la Serbie, l’ancien chancelier Helmut Schmidt (1974-1982), cinquième de la République fédérale à porter ce titre, 80 ans, nous reçoit, mon confrère Pierre-André Stauffer de l’Hebdo, et moi, dans son bureau, au sommet de la tour de « Die Zeit », dont il est l’éditeur. Vue sur le port. Sa ville natale, splendide. Hanséatique. L’une de mes villes allemandes préférées.

Pendant 90 minutes, au milieu d’une incroyable tabagie, alternant les Menthol et les prises de tabac à sniffer (une vielle habitude d’adolescent marin, ici à Hambourg, nous dit-il), cet homme d’exception, successeur de Willy Brandt (dont il a été le ministre) à la Chancellerie, prédécesseur de Kohl, n’ayant rien à envier à ce dernier, nous promène, avec son allemand qui sent la mer du Nord, dans le prodigieux dédale de l’Histoire de son pays au vingtième siècle, celle qu’évoque Günter Grass dans son livre « Mein Jahrhundert ». Mais Grass est peintre, l’un des plus grands, Schmidt est acteur. Ce siècle allemand, il a contribué à le faire.

L’homme qui vient de nous quitter, à presque 97 ans, était né à Hambourg le 23 décembre 1918, un mois et douze jours après l’Armistice, un mois et quatorze jours, surtout, après le début de la Révolution allemande, celle du 9 novembre, celle dont parle Döblin dans son roman « November 1918 ». Il grandit dans la ville hanséatique, fait toute la Seconde Guerre mondiale comme officier de DCA, est décoré de la Croix de Fer, prisonnier des Britanniques en 1945, s’inscrit au SPD (le parti social-démocrate) en 1946, entame une prodigieuse carrière politique, d’abord dans le Land de Hambourg, puis au niveau fédéral (Défense, Finances), avant les huit années de pouvoir suprême.

Helmut Schmidt était un Européen convaincu. Mais pas une Europe du cœur, comme son successeur le Rhénan Helmut Kohl. Non, juste une Europe de la raison, avait-il tenu à nous préciser en ce jour de mars 1999, pour que le continent atteigne une dimension critique suffisante pour affronter les grands blocs. On connaît son amitié légendaire avec Valéry Giscard d’Estaing, ils furent, au même titre que de Gaulle-Adenauer et Kohl-Mitterrand, l’un des grands couples de la construction européenne. En 2001, je les avais revus, MM Schmidt et Giscard, à la Fondation Jean-Monnet de Lausanne, j’avais pu mesurer la proximité qui les liait.

HSdL._SX296_BO1,204,203,200_.jpgCe que les gens, aujourd’hui, connaissent peu en Suisse romande, c’est l’immensité de l’intelligence politique de l’homme qui nous quitte aujourd’hui. Dans la droite ligne de Bismarck, il construit le destin allemand sur le long terme, sans états d’âme, jouant des alliances pour le seul intérêt supérieur de la nation qui lui est confiée. Simplement, ses années de Chancellerie, 1974-1982, sont celles où l’Allemagne, redevenue géant économique, n’a pas encore droit à occuper la même taille en politique. Avec les vainqueurs occidentaux de la Seconde Guerre mondiale, Américains principalement, Schmidt, parfait anglophone, s’entend à merveille. Mais il serait faux de ne voir là qu’une obédience atlantiste : l’homme, patiemment, guette l’heure de son pays. Ce sera son successeur, le Rhénan Helmut Kohl, qui l’entendra sonner, le 9 novembre 1989. Et son prédécesseur, l’immense Willy Brandt, qui aura ce jour-là le mot juste : « Jetzt kann zusammenwachsen, was zusammengehört ».

Je ne puis en dire beaucoup plus pour l’heure, mon émission spéciale sur la grève de la fonction publique genevoise m’attend. Mais je tenais, à chaud, à rendre un premier hommage à cet homme tellement allemand, avec sa discipline de fer, son incroyable liberté de parole (il en a usé jusqu’au bout), sa culture historique, sa virtuosité de piano (il avait hésité à en faire son métier). Helmut Schmidt, comme Willy Brandt, est un chancelier profondément allemand. Je crois que Kohl, et même Adenauer, sont des chanceliers européens, au sens le plus noble de ce mot. Mais Schmidt était, dans toutes les fibres, un chancelier allemand. Connaissant à fond l’Histoire de son pays, en tout cas depuis Frédéric II, son équation (comme Willy Brandt) avec la question de l’Est, son intégration provisoire au système atlantique, sa nécessité d’un dialogue constant avec la France. Pour le reste, un esprit totalement libre, un provocateur. L’un des très grands Allemands du vingtième siècle, oui, lui qui naît en pleine Révolution allemande, et qui meurt au moment où Mme Merkel ne sait pas comment se sortir, mise sous pression par le Ministre-Président de Bavière, de la question des réfugiés.

Le Grand Refuge, Schmidt l’avait connu, à l’âge de 27 ans : alors que, officier de la Wehrmacht, il tombait aux mains des Britanniques, au moins 12 millions d’Allemands des pays de l’Est, fuyant l’Armée Rouge, déboulaient dans une « mère patrie » en ruines. A partir de là, il a fallu reconstruire. Nous perdons aujourd’hui un incomparable constructeur.

Pascal Décaillet

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mercredi, 11 novembre 2015 | Lien permanent

Cinquantenaire d’une action sacrificielle

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Cinquantenaire d’une action sacrificielle

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Il y a cinquante ans, le 25 novembre 1970, Hiraoka Kimitake se donnait la mort par seppuku dans le bureau du général commandant l’armée de l’Est en plein cœur de la capitale japonaise. Son kaishakunin (assistant), Masakatsu Morita, lui tranchait aussitôt la tête. Quelques minutes plus tard, le même Morita s’appliquait le suicide rituel. Ainsi suivait-il son maître, l’écrivain connu sous le pseudonyme de Yukio Mishima.

Né à Tokyo le 14 janvier 1925, le jeune Kimitake adopte ce nom de plume dès 1941. « Mishima (“ homme de l’île ”) est le nom d’une ville située entre le Fuji-yama et la mer, lieu où se réunissait le groupe “ Art et Culture ”, offrant une vue remarquable sur le sommet enneigé de la montagne, explique Bernard Mariller. Quant à Yukio, il est dérivé du mot “ neige ”, yuki, symbole de la pureté et de la romantique fragilité des choses et de la vie, mais choisi aussi en hommage à un ancien poète romantique, Ito Sachio, qui l’avait adopté comme dernière syllabe de son “ prénom ” (1). »

Plus grand écrivain japonais du XXe siècle et fin connaisseur du monde moderne surgi de la défaite de 1945, Yukio Mishima sait l’utiliser avec la ferme intention de retrouver l’esprit ancestral et martial des siens. À l’instar de Maurice Bardèche qui se tournait volontiers vers Sparte et les Sudistes, il souhaite que le Japon renoue avec sa réalité nationale bafouée par une pesante modernité occidentale.

Écrit en 1971 par Yves Bréhéret et Jean Mabire, l’ouvrage Les Samouraï (2) s’ouvre sur les ultimes instants de cette conjuration ratée et décrit avec plus ou moins d’exactitude le double seppuku. Quelques heures auparavant, Yukio Mishima achevait L’Ange en décomposition, le dernier volet de sa tétralogie La Mer de la fertilité. Cependant, plus que son œuvre littéraire, il souhaitait que la postérité retînt son « œuvre de chair », sa tentative de coup d’État au nom de la tradition nipponne.

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Avec l’aide des miliciens de son groupe paramilitaire patriotique, La Société du Bouclier (ou Tatenokai) – comprendre « agir en bouclier de l’Empereur » -, il se rend au quartier général de la Jieitai, les forces japonaises d’auto-défense, dans la caserne d’Ichigaya et prend en otage le chef de corps. Puis, pendant une dizaine de minutes, Yukio Mishima, revêtu de l’uniforme de son groupe rappelant la tenue des aspirants avant-guerre, harangue les élèves-officiers présents. Il exalte les vertus nationales, exige l’abrogation de l’article 9 de la Constitution de 1946 qui, au mépris de toute souveraineté, interdit au Japon de déclarer la guerre et en appelle à la mutinerie. Son intervention ne suscite que réprobations, mécontentements et injures…

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Comprenant qu’il avait perdu peut-être avant même de commencer ce coup d’éclat, Yukio Mishima se fit seppuku. Il en connaissait le rituel précis. Il l’avait déjà pratiqué face aux caméras dans l’interprétation d’un lieutenant de l’armée impériale pour l’adaptation cinématographique de son propre texte Yukoku (Patriotisme) paru en 1966. Bien sûr, la classe politique, les prescripteurs d’opinion publique et les autorités condamneraient son action. Qu’importe ! Par son sacrifice et celui de Masakatsu Morita, l’auteur de Confession d’un masque (1949) cherche à sortir ses compatriotes de leur torpeur. Par un ensemble de gestes, il les invite à redécouvrir un passé glorieux, à restaurer les principes nationaux, guerriers, paysans et esthétiques, à susciter un nouvel ordre politique, culturel et social propre au peuple japonais.

62795.jpgAssumant une « étiquette » de « réactionnaire », Yukio Mishima fonde en 1968 la Société du Bouclier. Dès février 1969, la nouvelle structure qui s’entraîne avec les unités militaires japonaises, dispose d’un « manifeste contre-révolutionnaire », le Hankakumei Sengen. Sa raison d’être ? Protéger l’Empereur (le tenno), le Japon et la culture d’un péril subversif communiste immédiat. Par-delà la disparition de l’article 9, il conteste le renoncement à l’été 1945 par le tenno lui-même de son caractère divin. Il critique la constitution libérale parlementaire d’émanation étatsunienne. Il n’accepte pas que la nation japonaise devienne un pays de second rang. Yukio Mishima s’inscrit ainsi dans des précédents héroïques comme le soulèvement de la Porte Sakurada en 1860 quand des samouraï scandalisés par les accords signés avec les « Barbares » étrangers éliminent un haut-dignitaire du gouvernement shogunal, la révolte de la Ligue du Vent Divin (Shimpûren) de 1876 ou, plus récemment, le putsch du 26 février 1936. Ce jour-là, la faction de la voie impériale (Kodoha), un courant politico-mystique au sein de l’armée impériale influencé par les écrits d’Ikki Kita (1883 – 1937), assassine les ministres des Finances et de la Justice ainsi que l’inspecteur général de l’Éducation militaire. Si la garnison de Tokyo et une partie de l’état-major se sentent proches des thèses développées par le Kodoha, la marine impériale, plus proche des rivaux de la Faction de contrôle (ou Toseiha), fait pression sur la rébellion. Les troupes loyalistes rétablissent finalement la légalité. Yukio Mishima tire de ces journées tragiques son récit Patriotisme.

Intervient dans sa vue du monde politique « un nationalisme populaire dont les idées-force sont : le refus de l’étiquette occidentale dans les rituels d’État japonais; la défense de l’essence nationale (kokusui); la remise en cause de l’idée occidentale du progrès unilinéaire; la nation est la médiation incontournable des contributions de l’individu à l’humanité (3) ». Dans « La lutte du Japon contre les impérialismes occidentaux », Robert Steuckers prévient que « le mode religieux du Japonais est le syncrétisme (4) », soit un recours fréquent au « tiers inclus » non-aristotélicien. Il rappelle en outre que « le Japonais ne se perçoit pas comme un individu isolé mais comme une personne en relation avec autrui, avec ses ancêtres décédés et ses descendants à venir (5) ». Il mentionne par ailleurs sur un fait méconnu, voire moqué, en Occident. « Pour le Japonais, la Nature est toute compénétrée d’esprits, sa conception est animiste à l’extrême, au point que les poissonniers, par exemple, érigent des stèles en l’honneur des poissons dont ils font commerce, afin de tranquilliser leur esprit errant. Les poissonniers japonais viennent régulièrement apporter des offrandes au pied de ces stèles érigées en l’honneur des poissons morts pour la consommation. À l’extrême, on a vu des Japonais ériger des stèles pour les lunettes qu’ils avaient cassées et dont ils avaient eu un bon usage. Ces Japonais apportent des offrandes en souvenir des bons services que leur avaient procurés leurs lunettes (6). » Yukio Mishima se rattache aussi à « la vision sociale de Shibuwasa Eiichi (1841 – 1931) : subordonner le profit à la grandeur nationale; subordonner la compétition à l’harmonie; subordonner l’esprit marchand à l’idéalisme du samouraï. Ce qui implique des rapports non froidement contractuels et des relations de type familial dans l’entreprise (7) ».

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Sa disparition fut-elle vaine ? Son décès volontaire correspond au début d’une décennie d’indéniables succès économiques, techniques et bientôt culturels à travers manga, séries télé pour adolescents et dessins animés dans le monde occidental. Dénigré et incompris sur le moment, le geste sacrificiel de Yukio Mishima a néanmoins frappé les esprits et infuse depuis cinq décennies si bien qu’il remue toujours les consciences les plus vives. Le 15 mai 1971, les États-Unis restituent au Japon l’île d’Okinawa et retirent leurs armes nucléaires. En revanche, leurs bases militaires continuent à défigurer les lieux. À partir de 1975, au grand dam de la Chine, de Taïwan et de la Corée du Sud, différents Premiers ministres du Japon se rendent à titre officiel au sanctuaire shinto Yasukuni où sont sanctifiées les âmes de tous les soldats de l’Empire du Soleil levant tombés pour le tenno.

« Par cet acte radical, Mishima revendiquait, une ultime fois, le droit sacré, car signé par son sang, à la résistance à l’acculturation, à la révolte envers une clique politicienne corrompue et vendue, ayant renié l’héritage de ses pères, à la contestation du “ tout économique ” et à la protestation contre la perte de l’âme collective, destin des sociétés modernes, conclut Bernard Mariller. Mais, par sa portée générale, au-delà du temps et de l’espace, le message de cet “ homme au milieu des ruines ” que fut Mishima cessait d’être étroitement japonais, pour atteindre l’universel, s’adressant à tous les peuples, cultures et races menacés par les mêmes dangers. Mishima devenait un “ éveilleur et un réenchanteur de peuples ”, l’un de ces personnages qui ne laissent jamais les peuples au repos – celui du cimetière -, leur rappelant sans cesse, pour être en accord avec leur génie, ce qu’ils furent et ce qu’ils doivent devenir. Retenons la leçon. Dans nos héritages européens se dissimulent les germes féconds de notre devenir, tant il est vrai que le passé est l’avenir du futur (8) ».

Lors de son XIIIe colloque national, le 10 décembre 1979 au Palais des Congrès à Paris, intitulé « Le GRECE prend la relève », la « Nouvelle Droite » honora avec raison la mémoire de quatre figures exemplaires (Julius Evola, Arnold Gehlen, Henry de Montherlant et Yukio Mishima) en plaçant leur portrait respectif bien en évidence sur la tribune des intervenants (9). La dissidence métapolitique comprenait tout l’impact historique du dernier héraut de l’unité du Chrysanthème et du Sabre. Cinquante ans après sa sortie sacrificielle, souvenons-nous de Yukio Mishima, incarnation de hauteur, de tenue et de verticalité, exemple de fidélité aux aïeux samouraï et paysans et grande volonté entièrement dévouée à la vocation kathékonique du Yamato.

Georges Feltin-Tracol

Notes

1 : Bernard Mariller, Mishima, Pardès, coll. « Qui suis-je ? », 2006, p. 21.

2 : Yves Bréhéret et Jean Mabire, Les Samouraï, Balland, 1971. Le volume existe aussi en Presses Pocket, 1987.

3 : Robert Steuckers, Europa, tome III, L’Europe, un balcon sur le monde, Éditions Bios, 2017, p. 269.

4 : Idem, p. 259.

5 : Id.

6 : Id.

7 : Id., p. 269.

8 : Bernard Mariller, op. cit., p. 94.

9 : cf. le compte-rendu dans Éléments, n° 28 – 29, mars 1979.

起て!紅の若き獅子たち (Get Up! Young Crimson Lions)

Anthem of the Tatenokai

 
The Shield Society (楯 の 会 or "Tatenokai" in Romanji) was a Japanese nationalist paramilitary organization led by the celebrated writer Yukio Mishima, who sought to protect traditional Japanese values, restore the samurai tradition, and defend the figure of the Emperor (The latter being considered by him as the greatest symbol of identity of his people). Founded on October 5, 1968, the Mishima organization was characterized by promoting physical health and martial arts, being made up of a hundred young volunteers willing to serve as a human "shield" in defense of the Emperor. Aiming to combat the damage liberalism and consumerism were causing to Japanese society, Mishima attempted to rally his people and, on 1970, he and several members of the Tatenokai briefly seized control of the headquarters of the Self-Defense Force and attempted to carry out a coup

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dimanche, 22 novembre 2020 | Lien permanent

La Maison Europe et la nostalgie de Gonzague de Reynold pour l'avenir

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La Maison Europe et la nostalgie de Gonzague de Reynold pour l'avenir

Gennaro Malgieri

Source: https://electomagazine.it/la-casa-europa-e-la-nostalgia-dellavvenire-di-gonzague-de-reynold/

Gonzague de Reynold (1880-1970) est l'un des plus grands écrivains politiques du 20ème siècle à avoir traité de l'identité et de la formation de l'Europe. Comme c'est souvent le cas pour ceux qui ont des idées très claires, son œuvre, non conforme à "l'esprit du temps", a longtemps été reléguée dans l'oubli. Pourtant, en la relisant aujourd'hui, on se rend compte de l'extraordinaire vision analytique du penseur suisse, fondée sur une culture hors du commun, qui fut l'un des intellectuels européens les plus connus et les plus discutés au tournant du siècle. Vers la fin de sa longue vie, il disait de lui-même : "On m'a longtemps pris pour un homme du passé, un réactionnaire". Il n'a jamais imaginé un seul instant que l'appel au passé pouvait être une nostalgie de l'avenir. Il n'y a pas de meilleur autoportrait.

58138.jpgL'avenir auquel il se référait n'était autre que celui du destin continental, qu'il imaginait, même dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale, projeté dans une dimension unitaire qui ne signifiait pas "totalitaire" au sens d'un enchevêtrement d'États dominés par une nation hégémonique ou une bureaucratie sans État et sans visage. Ses nombreux écrits sur ce sujet ont été étudiés avec une constance minutieuse par le regretté Giovanni Cantoni (1938-2020), le plus lucide et le plus passionné des spécialistes de la pensée de Reynold en Italie, qui en a tiré, il y a des années, une composition exhaustive et étendue que nous pouvons considérer comme la synthèse d'une vaste œuvre : La Casa Europa, précédée d'un essai approfondi de sa part, publié par l'éditeur D'Ettoris.

La lecture de l'ouvrage volumineux, mais très lisible (grâce à l'élégance et à la simplicité de l'écriture), confirme ce que l'historien français Daniel Halévy (biographe inégalé de Nietzsche) a dit de Gonzague de Reynold : "S'il y a en Europe un Européen, c'est bien lui. Et qu'il ait été européen, par vocation, par conviction et par élection surtout, cela ne fait aucun doute".

En effet, il est né à Fribourg dans une famille catholique et aristocratique, a étudié à la Sorbonne à Paris, et est devenu très jeune une figure de proue du monde culturel suisse riche en penseurs qui, pour rappel, venus principalement d'Allemagne, de France et d'Italie, ont animé les plus illustres universités suisses, à commencer par Bâle, entre la seconde moitié du 19ème siècle et les premières décennies du 20ème siècle. Chargé de cours à Genève et à Berne, Gonzague de Reynold est contraint de démissionner en 1931 après la publication de son essai controversé La Démocratie et la Suisse et s'installe à Fribourg, sa ville natale, où il reprend son enseignement universitaire.

31576531034.jpgPendant ses études, il subit l'influence de son oncle Arthur de Techtermann et, avec Adrien Bovy, Charles Ferdinand Ramuz et les frères Alexandre et Charles-Albert Cingria, il lance en 1904 la revue La Voile latine, qui donne des impulsions novatrices à la littérature de la Suisse romande. Avec son Histoire littéraire de la Suisse au XVIIIe siècle (1909-12), il devient le principal représentant de l'helvétisme. En 1914, il fonde l'association culturelle "Nouvelle Société Helvétique".

À partir de cette date, il commence à publier des ouvrages dans lesquels il manifeste une vision dite "conservatrice" de la Suisse, fondée sur l'histoire et la géographie : Contes et légendes de la Suisse héroïque (1914), Villes suisses (1914-20, seul ouvrage traduit intégralement en italien), La Suisse une et diverse (1923). Comme nous l'avons déjà mentionné, en 1929, l'essai La démocratie et la Suisse déclenche une vive polémique en raison des attaques de Reynold contre la conception politique libérale-radicale, soulignant les faiblesses de la démocratie et la nécessité de créer un État autoritaire et fédéraliste, placé sous le commandement d'un Landaman, c'est-à-dire d'un président doté de pouvoirs importants, une figure encore présente dans de nombreux cantons suisses.

De retour à Fribourg, il se consacre à la rédaction de son livre le plus important: La formation de l'Europe (1944-57), un vaste ouvrage allant de la morphologie à la théologie de l'histoire, en passant par les traditions européennes et l'énonciation d'un esprit commun fondé sur les racines gréco-latines et surtout sur le catholicisme, qui devrait être traduit dans toutes les grandes langues européennes.

617JRXvUpRL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgGonzague de Reynold a écrit de nombreux articles et développé un engagement considérable en tant que conférencier, qui ont servi à faire prendre conscience de l'identité européenne, tout en se distançant des mouvements en faveur de l'unification continentale telle qu'il la voyait progresser: un patchwork d'intérêts qui aurait supprimé la "patrie commune" à laquelle il aspirait et qui est le fil conducteur de La Casa Europa. En 1957, il fonde l'Institut de Fribourg, qui rédige la Charte des langues (1968), et se consacre à partir de 1958 à la rédaction de ses Mémoires. Pour l'ensemble de son œuvre, il reçoit en 1955 le Grand Prix Schiller, l'un des plus prestigieux et des plus convoités du monde germanique.

Excellent humaniste, adversaire, comme la meilleure intelligentsia de l'époque peu attirée par le socialisme et le libéralisme, d'une conception utilitariste de la vie, Gonzague de Reynold a toujours été considéré comme un maître à penser conservateur, gardant toujours, de l'aveu de tous, ses distances avec le fascisme et le nazisme, bien qu'il ait connu Mussolini et qu'il soit devenu un admirateur d'Antonio Oliveira Salazar.

En présentant Gonzague de Reynold aux lecteurs italiens, Giovanni Cantoni explicite les idées du penseur suisse d'une manière trompeuse. Il souligne : "Qu'est-ce que l'Europe ? Est-ce un continent ? Apparemment non, puisqu'il s'agit plutôt d'une péninsule asiatique. Est-elle caractérisée par l'unité ethnique ? Certainement pas, aujourd'hui plus que jamais. Elle est plutôt fondée sur l'unité culturelle, à tel point que, par exemple, Isocrate affirmait que nous devrions nous appeler "[...] Hellènes ceux qui ont en commun avec nous la culture plutôt que l'origine". Saint Jean-Paul II s'inscrivait également dans cette lignée lorsque, au seuil du troisième millénaire, il parlait de l'Europe comme "[...] un concept essentiellement culturel et historique, qui caractérise une réalité née en tant que continent grâce également à la force unificatrice du christianisme, qui a su intégrer des peuples et des cultures différents". Par conséquent, dire "Europe", c'est se référer avant tout à une construction culturelle, à une "maison commune européenne" à plusieurs pièces, qui transcende les bases géographiques et ethniques conventionnelles.

s-l1200.jpgCeci explique la raison d'être du recueil d'essais et d'éléments épars de Cantoni qui représentent la substance de l'essai "jamais écrit" (dans le sens où il ne l'a pas conçu tel qu'il apparaît dans ce syllogue italien) de Gonzague de Reynold. Ce dernier aurait certainement apprécié le cadrage de l'identité européenne qui émerge des pages de La Casa Europa.

Le livre est construit sur les considérations éparses de Reynold qui orientent le chemin de la recherche d'une communauté en construction. Il s'avère que le temps s'est étendu et que les objectifs se sont refroidis. De péninsule asiatique qu'elle était, l'Europe est devenue une terre de conflits et a perdu les idéaux communs qui, à une époque, se trouvaient principalement sur les rives de la Méditerranée. L'évolution entre le Moyen Âge, où une certaine idée de l'Europe commençait à prendre forme, et aujourd'hui a été négative à bien des égards. Principalement parce que le sens de l'harmonie entre les peuples d'Europe a été perdu et que l'ancien principe romain de sauvegarde de la diversité dans l'unité n'a pas été appliqué. Nous voyons aujourd'hui les résultats d'une telle tragédie culturelle et anthropologique, à laquelle on a tenté de remédier en inventant une région de libre-échange appelée Europe, mais dépourvue d'âme. Que faut-il faire ?

De Reynold offre des perspectives très intéressantes et n'enferme pas sa réflexion dans des considérations techniques économiques et politiques. Il se réfère plutôt à la culture européenne qu'il convient de retrouver, une culture inclusive et fondée sur la tradition. Il écrit : "Penser notre temps, c'est le replacer dans la continuité historique, sur les grandes lignes de force ; c'est l'expliquer par le passé ; c'est se demander d'où il vient pour mieux distinguer où il va. Penser notre temps, c'est remonter dans le passé avec les préoccupations et les angoisses contemporaines, puis redescendre dans le présent avec toute l'expérience historique du passé".

Existe-t-il quelqu'un capable d'une telle tâche, suffisamment titanesque pour que nous nous sentions encore plus à la merci du néant que nous ne le sommes en réalité ? Ceux qui ont imaginé l'Europe telle qu'elle s'est construite n'ont pas tenu compte de ses racines et de son identité. C'est pourquoi l'Europe s'est perdue dans le labyrinthe d'une maison branlante, aux murs déconnectés et aux incompréhensions culturelles.

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mercredi, 03 janvier 2024 | Lien permanent

Pierre Benoit dans la magie de l'Orient

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Frédéric SCHRAMME:

Pierre Benoit dans la magie de l'Orient

 

Dès la sortie de son premier roman Koenigsmark, Pierre Benoit s'est très vite imposé comme le nouveau maître du roman fantastique français. Les fantasmes véhiculés alors autour de la conquête coloniale ne pouvaient qu'ê­tre propices à son imagination fertile et bien vite des œu­vres  comme L'Atlantide et La châtelaine du Liban al­laient suivre leur aînée plongeant des milliers de lec­teurs dans les mystères de l'Orient.

 

La grande épopée de la colonisation! Au tournant de l'é­poque moderne, les principales nations européennes enté­rinent en l'achevant, leur conquête du monde commencée quelques siècles plus tôt avec le partage du Nouveau Mon­de. Seule une poignée d'Etats échappe à la mise en coupe réglée, comme l'Ethiopie, la Perse, le Siam. Qu'est-ce qui a bien pu pousser ces nations européennes aux régimes politiques tellement dissemblables à se jeter d'un même élan dans la colonisation du globe? Objectifs financiers et mercantiles? Désirs de conquêtes militaires? Quêtes vers la Connaissance supposée de ces terres lointaines  —d'autant plus chargées d'une aura mystérieuse et magique qu'elles demeurent inconnues et inaccessibles? Probablement les trois à la fois, tellement cette synthèse presque dumézi­lien­ne suffit à résumer à elle seule l'inconscient motivé de l'âme européenne. Depuis toujours, de grands hommes ont fait « Le rêve le plus long de l'Histoire », recherchant aux con­fins de l'Orient ou en Afrique l'accomplissement d'un des­tin qui ne pouvait être qu'exceptionnel. Si Jacques Be­noist-Méchin a su retracer la vie de quelques-uns de ces per­sonnages hors du commun, d'autres tel Pierre Benoit ont préféré, souvent au moyen de l'imagination, s'attacher aux pas des aventuriers et explorateurs, des simples capitaines ou pères-blancs, quidams qui jamais n'ont noirci la moindre page des manuels d'Histoire. « Mais ceux-là étaient seuls à s'ex­poser. Responsables de leur vie seule, ils étaient libres» de s'éveiller à la magie de l'Orient au moment où «l'ame­rican way of life» après Jack London ne pouvait promettre plus rien d'autre que des destins d'épiciers bedonnants.

 

Le géant touareg

 

L'intérêt de Pierre Benoit pour les contrées désertiques n'est absolument pas fortuit, pas plus qu'il n'est le fruit d'un calcul commercial. Fils d'un officier supérieur de l'armée française, il doit sa découverte des portes du Sahara au gré des mutations de son père. Parmi les souvenirs de ces temps-là, il en est un qui éclaire particulièrement la réelle fascination qu'opèrent sur lui l'immense désert et ses ha­bitants : « [Je vis] une espèce de géant vêtu de cotonnades obscures, avec de terribles yeux qui brillaient dans la fente d'un voile gainant la tête à la manière d'un heaume. C'était un chef targui (ndlr: Touareg) [.] Il rit en m'apercevant, me saisit à bout de bras et m'enleva plus haut que lui. Je vo­yais dans l'évasement de sa manche, son poignard, qu'un an­neau de cuir retenait contre le biceps nu; à son cou, ses amulettes de perles blanches et noires. J'étais au comble de l'épouvante, de la curiosité, de l'orgueil».

 

Nanti de ces quelques vagues souvenirs et d'une imagina­tion sans bornes, Pierre Benoit va se plonger dans une des­cription minutieuse et quasiment encyclopédique des pays dans lesquels il emmène ses lecteurs. En effet, mis à part son enfance nord-africaine, Pierre Benoit n'aura voyagé dans les lieux qu'il avait décrits que bien longtemps après. Mais la description se révèle toujours exacte et c'est autant ce souci du réalisme qui contribuera à son succès que sa spéculation sur l'insondable et le mystérieux. En ce début de 20ième siècle l'auteur prend prétexte des zones laissées en blanc du planisphère ou des cartes d'état-major pour les combler de son imagination, comme pour le massif du Hog­gar dans lequel il situe son Atlantide échouée. Cette bien­heureuse alchimie entre le détail et l'inconnu amènera Jean Cocteau à dire de lui que « Benoit est celui qu'on lit le plus et dont on parle le moins dans les revues graves. Il a le gé­nie de l'imprévu, mais il invente juste et tombe encore plus juste. C'est un médium. Ceux qui ne savent pas le lire ne sauront jamais».

 

L'œuvre de Pierre Benoit suit une constante dans son é­vo­lution tragique. Que l'on soit au cœur du Sahara ou au Li­ban après la mise sous tutelle française, les héros sont tou­jours des officiers français au faîte de leur gloire. Elite par­mi l'élite, ils sont méharistes, de cette noblesse des déserts qui font d'eux les égaux des Bédouins et des Touaregs. De plus leur connaissance des us et coutumes des habitants du dé­sert les amènera à être chargés de mission de renseigne­ments et d'espionnage au profit de leur patrie.

 

L'espionnage est précisément au cœur de l'intrigue dans «La châtelaine du Liban»: Une fois la première guerre mon­diale terminée, la paix » semble reprendre ses droits et avec elle l'hostilité sourde entre les deux « alliés » français et britannique. Rapidement, la « perfide Albion » est soup­çonnée d'être à l'origine du massacre d'une troupe française en opération de manœuvres. Dans « l'Atlantide », il est éga­lement question du souvenir du massacre de la «mission Flatters» et la prospection de renseignements confiée au Ca­pitaine de Saint-Avit a pour but de prévenir tout nouveau désastre. Au renseignement d'ordre militaire s'ajoute une au­tre quête, celle du passé: au Liban, on se souvient des Templiers et des Chevaliers teutoniques en parcourant la ligne tracée par les vestiges de leurs châteaux, et dans le Sahara on recherche des signes laissés par des tribus ber­bè­res chrétiennes ayant résisté un certain temps à l'islami­sa­tion. On ne saurait trouver de héros plus parfaitement é­qui­librés; sûrs de leur bons droits et au service d'un idéal su­périeur à leur propre existence, ils pourraient même a­voir la prétention d'être le lien entre le passé et l'avenir, entre le souvenir et la clairvoyance.

 

Perdre de vue sa mission

 

Rien ne semble pouvoir les ébranler mais pourtant, «on n'est pas impunément des mois, des années, l'hôte du dé­sert. Tôt ou tard, il prend barre sur vous, annihile le bon of­fi­cier, le fonctionnaire timoré, désarçonne son souci des responsabilités. Qu'y a-t-il derrière ces rochers mystérieux, ces solitudes mates, qui ont tenu en échec les plus illustres traqueurs de mystères?». La solitude pesante à laquelle ces hommes sont quotidiennement confrontés —ici les ordon­nan­ces indigènes et autres ascaris font intégralement par­tie du décor et ne sont pas meilleurs compagnons que les mé­haris eux-mêmes— les mène toujours au bord du préci­pi­ce dans lequel tout homme finit par perdre de vue sa mis­sion, son devoir, sa famille et sa patrie.

 

Dans l'œuvre de Pierre Benoit, la raison (ou plutôt la dé­raison) qui oblige à franchir le dernier pas est toujours la ren­contre fatidique avec une femme, avec La Femme. Ex­tra­ordinairement belle et totalement recluse aux confins du désert, que ce soit dans un ancien château templier ou dans la mythique Atlantide, elle est l'exact opposé de la fian­cée promise et personnifie l'amour charnel, la liberté, la puissance et la fortune. Elle seule est capable de briser les serments et les idéaux des hommes. Si l'Anglaise Athel­stane oblige son amant le Capitaine Domèvre à trahir son pays et à vendre des renseignements à son complice des ser­vices secrets britanniques, l'Atlante Antinéa exige pour sa part, le sacrifice ultime et attend de ses amants qu'ils meu­rent d'amour pour elle. Ainsi le Capitaine de Saint-Avit revendiquera sa place dans la salle de marbre rouge dans laquelle sont réunis les corps embaumés, statufiés dans un métal inconnu, des anciens amants de la dernière reine de l'Atlantide. Pour y parvenir, il ira jusqu'à l'innommable, le meurtre de son compagnon de route Morhange, véritable moine-soldat, capitaine d'active et prêtre de réserve, seul homme à avoir su résister à Antinéa et également le seul qui ait véritablement été aimé d'elle. Plus chanceux, le Ca­pitaine Domèrve sera sauvé de l'influence d'Athelstane par la fraternité d'armes qui le lie aux officiers de son ancien ré­giment, l'amitié entre les hommes en armes étant la seu­le à pouvoir contrer l'amour d'une femme fatale.

 

Attitudes droitières

 

Le succès de Pierre Benoit reposait donc sur des recettes sim­ples: sur la mise en scène d'une intrigue convenue, il brosse le tableau mirifique d'un paysage enchanteur avec grands renforts de personnages plus ou moins caricaturaux. Comme sa transposition de la haute société française dans les colonies libanaise et algérienne qui se laisse fréquenter de loin par les notables autochtones (tout au moins au Li­ban), ses marchands druzes ou maronites qui se livrent une concurrence à grands coups de dessous de table, ses trafi­quants d'or juifs, ses tribus révoltées de Bédouins et de Toua­regs, etc. L'écriture de Pierre Benoit reste probable­ment influencée par les romans-feuilletons du siècle pré­cé­dent, mais « tout cela est mené sur un rythme haletant, avec une ingéniosité qui ne peut que provoquer l'ad­mi­ra­tion et même la nostalgie de ce que peut être «le vrai ro­man», celui qui nous raconte une histoire, comme le rap­pel­le Jean Mabire qui a placé cet écrivain dans le premier recueil de sa série « Que lire ? », donc en très bonne place dans son Panthéon personnel, qui, on s'en doute, est meu­blé selon des critères fort différents de son homonyme na­tional, autrement appelé la Maison de Tolérance de la Ré­pu­blique. Si l'auteur de «L'Atlantide» est aujourd'hui un é­cri­vain que l'on s'efforce de faire oublier —puisqu'il fut l'ami des maîtres de l'Action française et, circonstance aggra­vante, on peut reconnaître dans son vocabulaire une at­titude droitière —, il faut tout de même saluer l'initiative de Jacques-Henry Bornecque qui, en 1986, à l'occasion du cen­tième anniversaire de sa naissance, lui a consacré une bio­graphie intitulée « Pierre Benoit le magicien ».

 

Frédéric SCHRAMME.

 

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mercredi, 30 avril 2008 | Lien permanent

Nécrologie pour Darya Douguina

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Nécrologie pour Darya Douguina

Par Alexander Markovics

Source: https://alexandermarkovics.at/2022/08/21/nachruf-auf-darya-dugina/

Le soir du 20 août 2022, Darya Douguina est morte à l'âge de 29 ans dans un lâche attentat terroriste près de Moscou. Mais qui était-elle ? Darya était tout d'abord une philosophe qui s'engageait en paroles et en actes pour sa patrie, la Russie, et pour un monde meilleur. Adepte de la Quatrième Théorie Politique, elle s'est battue pour un monde plus juste et multipolaire et pour mettre fin à la domination infligée par l'Occident mondialiste.

Pour y parvenir, Darya a milité sans relâche pour le Mouvement eurasien, fondé par son père Alexandre Douguine - à travers de nombreuses conférences, interviews et événements qu'elle a largement contribué à organiser, elle s'est engagée non seulement pour la libération de la Russie et de l'Eurasie du joug mondialiste, mais aussi pour la liberté de l'Europe, dont elle a toujours su séparer les peuples et la culture traditionnelle de ses élites décadentes actuelles - qu'elle connaissait bien en tant que spécialiste de la France et de la culture française - elle parlait couramment le français et a interviewé, entre autres, des personnalités du monde entier. Alain de Benoist à Paris - lui tenait à cœur.

En tant qu'universitaire - Darya avait obtenu un doctorat sur le néoplatonisme dans l'Empire romain - elle s'est intéressée aux racines de la tradition indo-européenne et a donné d'excellentes conférences non seulement sur des sujets géopolitiques, mais aussi sur des représentants de la Révolution conservatrice comme Julius Evola, Ernst Jünger et Martin Heidegger. Son activité de journaliste a non seulement culminé avec de nombreuses apparitions à la télévision russe, où elle a notamment défié avec succès les mondialistes russes, mais elle est également toujours allée là où cela s'embrasait, que ce soit en Syrie ou dans le Donbass, où elle a récemment effectué un reportage à Marioupol, libérée des fascistes ukrainiens. Il était impressionnant de voir comment cette jeune femme, qui avait vu l'enfer déclenché par l'OTAN en Syrie, pouvait à la fois parler avec empathie de la souffrance de la population locale et avec confiance de la victoire dans la lutte contre le mondialisme.

Au cours des dernières années, j'ai eu l'occasion de rencontrer Darya personnellement, à plusieurs reprises, et j'ai toujours trouvé à Vienne, Moscou et Sotchi, ainsi qu'à Kichinev, une femme jeune et sage, mais aussi très humoristique et courageuse, dont l'attitude correspondait à l'idéal de la guerrière indo-européenne-touranienne, comme on en rencontre malheureusement trop peu aujourd'hui. Pour un observateur extérieur superficiel, elle a peut-être été éclipsée par son père, mais pour ceux qui l'ont connue, il est clair qu'elle fut également une femme exceptionnelle à elle seule. Le temps de Darya dans ce monde est peut-être terminé, que Dieu ait pitié de son âme, mais sa mémoire continue de vivre en nous tous !

Ses assassins ont voulu nous intimider, nous tous qui défendons une Europe et une Russie libres dans un monde multipolaire, par leur acte lâche. Mais les bombes ne peuvent tuer que des hommes, pas des idées ! Le mal ne peut que s'opposer à nous, mais jamais vaincre ! Par les actes de ses détracteurs, elle est devenue une martyre du monde multipolaire, de la quatrième théorie politique et de la lutte de tous ceux qui s'opposent aux forces des ténèbres. En restant fidèles aux idéaux de Darya et en poursuivant son combat, nous perpétuerons la mémoire de cette héroïne de l'Eurasie ! Son sacrifice est notre mission !

Mémoire éternelle !

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Une courte biographie de Darya

Darya Platonova Dugina, la fille du philosophe russe d'Eurasie Alexandre Douguine, tuée dans l'explosion de sa voiture près de Moscou, avait un engagement intellectuel intense dans le sillage de son père. Dans une récente interview accordée au journal en ligne geopolitika.ru en mai, elle s'était exprimée sur l'agression russe contre l'Ukraine. Sans surprise, elle a épousé les positions de son père et la ligne du Kremlin.

"La situation en Ukraine est vraiment un exemple de choc des civilisations ; elle peut être vue comme un choc entre les civilisations mondialiste et eurasienne", avait-il déclaré. "Après 'la grande catastrophe géopolitique' (comme le président russe a appelé l'effondrement de l'URSS), les territoires de l'ancien pays uni sont devenus des 'frontières' (des zones intermédiaires) - ces espaces sur lesquels l'attention des voisins s'est rapidement focalisée, l'OTAN et surtout les États-Unis étant intéressés à déstabiliser la situation aux frontières de la Russie."

Et Darya Dugina d'ajouter : "Si les élites libérales occidentales insistent autant pour soutenir Kiev et diaboliser Moscou, c'est qu'il y a une logique de profit derrière tout cela. Tout doit être remis en question. Il s'agit d'un principe important qui nous permet de garder l'œil ouvert. Dans la société du spectacle, de la propagande, et de la nature totalitaire des systèmes occidentaux, le doute est une étape essentielle pour sortir de la caverne...'.

La femme avait la trentaine, était diplômée en philosophie de l'université d'État de Moscou et avait étudié en profondeur le néo-platonisme, mais revendiquait également Antonio Gramsci, Martin Heidegger et le sociologue français Jean Baudrillard comme références culturelles. Le 4 juin, elle avait été incluse dans la liste des personnes sanctionnées par le gouvernement britannique (parmi lesquelles le magnat Roman Abramovic) pour avoir exprimé son soutien ou promu des politiques favorables à l'agression russe en Ukraine.

Elle figure au numéro 244 de la liste des 1331 personnes physiques sanctionnées, en tant qu'"fautrice très connue de désinformation à propos de l'Ukraine et l'invasion russe de l'Ukraine sur diverses plateformes en ligne", ainsi que responsable du soutien et de la promotion de politiques ou d'initiatives visant à déstabiliser l'Ukraine afin de porter atteinte ou de menacer son "intégrité territoriale, sa souveraineté et son indépendance".

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dimanche, 21 août 2022 | Lien permanent

Dominique Venner: un regard inspiré sur l’Histoire

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Dominique Venner: un regard inspiré sur l’Histoire

par Philippe Conrad

Ex: http://www.zentropaville.tumblr.com

Quand j’ai fait sa connaissance au début des années 1960, rien ne semblait destiner Dominique Venner à un parcours intellectuel au long duquel l’Histoire allait prendre une place toujours plus grande. Engagé à dix-huit ans dans l’Armée avant d’être entraîné très tôt dans l’action politique, il milite pour l’Algérie française et contre la politique d’abandon alors mise en œuvre par le général De Gaulle, avant de faire l’expérience de la clandestinité et d’effectuer deux longs séjours en prison pour reconstitution de ligue dissoute.

La « critique positive » et l’expérience du terrain

Quand se tourne la page du conflit algérien, il formule sa « critique positive »  de l’échec que vient de connaître son camp et s’efforce de créer un mouvement politique porteur d’un « nationalisme » européen qu’il juge nécessaire dans le nouvel ordre du monde en train de s’établir. Les limites de l’action politique lui apparaissent toutefois rapidement et, soucieux  de préserver sa pleine indépendance,  il y renonce quelques années plus tard. Spécialiste des armes et amoureux de la chasse, de son histoire et de ses traditions, il va dès lors vivre de sa plume en conservant ses distances vis à vis d’un monde dans lequel il ne se reconnaît plus guère. Esprit cultivé et curieux, il est davantage tourné, à l’origine, vers la réflexion politique que vers l’histoire et le jeune militant activiste cherche surtout dans celle des grands bouleversements du XXème siècle les clés d’un présent qu’il entend transformer. L’expérience de l’action, le fait d’avoir été directement mêlé au dernier grand drame de l’histoire française que fut l’affaire algérienne lui ont toutefois fourni de multiples occasions  d’observer et de juger les acteurs auxquels il s’est trouvé confronté , d’évaluer concrètement des situations complexes, d’établir le bilan des succès et des échecs rencontrés. Autant d’expériences qui se révèleront utiles ultérieurement pour apprécier des moments historiques certes différents mais dans lesquels certains ressorts fondamentaux identifiés par ailleurs demeuraient à l’œuvre. Cette expérience de terrain, qui fait généralement défaut aux historiens universitaires, combinée avec une exigence de rigueur et une distance suffisante avec son propre parcours, s’est révélée précieuse pour aborder certaines séquences de notre histoire contemporaine, voire des épisodes plus lointains dans le cadre desquels passions et volontés fonctionnaient à l’identique.

L’historien spécialiste des armes et de la chasse renouvèle le genre

Dominique Venner s’est d’abord imposé comme un spécialiste des armes individuelles et c’est en ce domaine qu’il a d’abord séduit un vaste public, en introduisant l’histoire vivante en un domaine où ses pairs limitaient leurs approches aux seules données techniques. Exploitant la grande Histoire des conflits, les aventures personnelles ou les anecdotes significatives, il sut renouveler complètement ce genre bien particulier de la production historique. Ce fut en recourant à une inspiration identique qu’il réussit, auprès d’un vaste public, à rendre à l’art de la chasse sa dimension traditionnelle. Ce fut ensuite à travers l’histoire militaire que l’ancien combattant d’Algérie, qui avait rêvé enfant de l’épopée napoléonienne , retrouva le chemin de la grande Histoire. Il y eut ainsi la collection  Corps d’élite  qui rencontra auprès du public un succès d’une ampleur inattendue.

L’historien critique règle son compte à quelques mensonges bien établis…

Aux antipodes des idées reçues et des préjugés dominants, l’ancien militant se pencha également sur la guerre de Sécession en réhabilitant, dans Le blanc soleil des vaincus, la cause des Confédérés, l’occasion de régler leur compte à quelques mensonges bien établis. En écho aux Réprouvés d’Ernst von Salomon, il y eut ensuite Baltikum, qui retraçait l’épopée des corps francs allemands  engagés contre les révolutionnaires spartakistes, puis contre les bolcheviks russes en Courlande et en Livonie. L’intérêt porté à l’histoire de la révolution  communiste – la Critique positive de 1962 avait été comparée par certains au  Que faire  de Lénine -  conduit ensuite cet observateur des temps troublés nés de la première guerre mondiale et de la révolution soviétique à se pencher sur la genèse de l’Armée rouge. Il collabore entre temps, avec son ami et complice Jean Mabire, à Historia, la revue du grand public amateur d’Histoire, que dirige alors François-Xavier de Vivie. D’autres travaux suivront. Une Histoire critique de la Résistance, une Histoire de la Collaboration qui demeure l’ouvrage le plus complet et le plus impartial sur la question, Les Blancs et les Rouges. Histoire de la guerre civile  russe, une Histoire du terrorisme.  Après Le coeur rebelle,  une autobiographie dans laquelle il revient sur ses années de jeunesse et d’engagement, il réalise un De Gaulle. La grandeur et le néant.

L’historien méditatif et de la longue durée

Au cours des dix dernières années de sa vie et alors qu’il dirige la Nouvelle Revue d’Histoire – créée en 2002 pour succéder à Enquête sur l’Histoire disparue trois ans plus tôt – il oriente ses réflexions vers la longue durée et s’efforce de penser la genèse de l’identité européenne et les destinées de notre civilisation à travers des ouvrages tels que Histoire et tradition des Européens,  Le siècle de 1914 ou Le choc de l’Histoire.

Dominique Venner n’était pas un historien « académique » et n’a jamais prétendu l’être mais son insatiable curiosité et  l’ampleur du travail de documentation auquel il s’astreignait lui ont permis d’ouvrir des pistes  de réflexion nouvelles et de porter un regard original sur la plupart des sujets qu’il a abordés. D’abord tourné vers l’histoire contemporaine – de la Guerre de Sécession  aux années quarante en passant par la révolution russe ou les diverses formes que prit le « fascisme « – il a mesuré ensuite le poids de la longue durée en se tournant vers les sources gréco-romaines, celtiques ou germaniques de l’Europe. Il a ainsi trouvé chez Homère une œuvre fondatrice de la tradition européenne telle qu’il la ressentait. Contre l’image largement admise d’une Antiquité unissant l’Orient et la Méditerranée, il distinguait l’existence d’un monde « boréen » dont l’unité profonde, révélée par les études indo-européennes,  lui paraissait plus évidente. Il entretenait avec la culture antique, entendue comme allant du IIème millénaire avant J-C au IVème siècle de notre ère, une proximité qu’il entretenait à travers ses contacts et ses échanges avec des auteurs tels que Lucien Jerphagnon, Pierre Hadot, Yann Le Bohec ou Jean-Louis Voisin. Cette approche de la longue durée faisait qu’il inscrivait sa réflexion dans le cadre d’une civilisation européenne antérieure à l’affirmation des Etats nationaux et appelée éventuellement à leur survivre. Contre l’Etat administratif tel qu’il s’est imposé avec Richelieu et Louis XIV, ce « cœur rebelle » rêvait de ce qu’aurait pu être, à la manière du « devoir de révolte » qui s’exprimait dans les frondes nobiliaires,  une société aristocratique maintenant les valeurs traditionnelles d’honneur et de service face à celles, utilitaires, portées par l’individualisme et par la bourgeoisie. Il mesurait enfin combien la rupture engendrée par les Lumières et la Révolution française avait conforté  la « modernité » apparue en amont, au point de conduire aux impasses contemporaines et à la fin de cycle à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés.

Le visionnaire inspiré de la renaissance européenne

Contre les lectures canoniques, sottement engendrées par l’optimisme progressiste, de ce que fut en réalité le « sombre XXème siècle », il évaluait l’ampleur de la catastrophe survenue en 1914, point de départ de la suicidaire « guerre de trente ans » européenne. Générateur du chaos que l’on sait et de l’effacement de ce qui avait constitué cinq siècles durant, pour reprendre le mot de Valéry, « la partie précieuse de l’Humanité » cet effondrement de la « vieille Europe » n’avait cependant, selon Dominique Venner, rien de fatal. La part d’imprévu que recèle le cours  de l’Histoire, tout comme la volonté et le courage de générations capables de renouer avec leur identité faisaient, selon lui, que l’actuelle « dormition » de l’Europe n’était pas, dans le nouvel ordre du monde en train de s’établir, le prélude à sa disparition. Intimement pénétré de la dimension tragique de l’Histoire, l’auteur du Cœur rebelle demeurait convaincu que les seuls combats perdus sont ceux que l’on refuse de livrer. Contre les prophètes ahuris d’une mondialisation heureuse qui vire au cauchemar, les nombreux signaux qui s’allument en Europe et en Russie montrent, en lui donnant raison, que l’avenir n’est écrit nulle part et que les idées et les sentiments qui se sont imposés depuis les années soixante sont en passe de rejoindre les poubelles de l’Histoire. Attaché à sa liberté d’esprit et plaidant pour la lucidité nécessaire à l’historien, Dominique Venner apparaît ainsi, un an après sa disparition, comme le visionnaire inspiré d’une renaissance européenne toujours incertaine mais que  l’on peut considérer aujourd’hui comme une alternative vitale au processus mortifère engagé depuis près d’un demi-siècle.

Philippe Conrad

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dimanche, 25 mai 2014 | Lien permanent

Werner Olles vient de fêter ses 80 ans: un social-patriote, un doux réactionnaire

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Werner Olles vient de fêter ses 80 ans: un social-patriote, un doux réactionnaire

par Siegfried Bublies

Source: https://wir-selbst.com/2022/09/12/werner-olles-zum-80-geburtstag-ein-sozialpatriotischer-ein-sanfter-reaktionar/

Les chemins de la vie ne sont souvent pas rectilignes, ils connaissent des hauts et des bas, des obstacles à surmonter, des bifurcations, des croisements, des pauses et aussi l'agitation d'une avancée constante, toujours vers de nouveaux horizons.

Lorsque Werner Olles a pris contact avec la rédaction de wir selbst en 1982, il y a exactement 40 ans, il avait déjà derrière lui un parcours qui l'avait mené à travers les catacombes de la gauche militante et révolutionnaire: adhésion au SDS en 1968, après sa dissolution, membre des "Panthères rouges", une organisation annonciatrice des "Cellules révolutionnaires" terroristes, séjour au Liban en 1969 avec une délégation du SDS dans un camp d'entraînement du Fatah, suivi d'une fuite avec l'aide de milices chrétiennes de la Falange pour revenir en RFA, rupture avec la gauche radicale en 1972 et membre du SPD de 1973 à 1977.

En revanche, l'équipe fondatrice de wir selbst venait du camp politique opposé, de l'extrême-droite: nous étions des nationalistes déçus, dégoûtés par le caractère rétrograde et la pauvreté intellectuelle de la Vieille Droite, nous cherchions des alternatives. C'est l'histoire toujours assez passionnante des "gens de gauche de la droite" et des "gens de droite de la gauche" qui se rencontrent et constatent que les points communs l'emportent sur ce qui les sépare. On pourrait alors se lancer dans une recherche intéressante pour savoir ce qu'il y a de commun. Il y a bien sûr des interfaces politiques et programmatiques évidentes, qui existent effectivement entre la vraie gauche et la vraie droite: une aspiration anticapitaliste un peu diffuse, un malaise face à la modernité et ses signes évidents de décadence, et un rejet de la faute sur l'esprit libéral de l'époque, qui ne connaît pas de traditions ni de valeurs transcendantes, mais seulement le marché, l'homme en tant que consommateur et l'hédonisme voulu et encouragé d'une société en décomposition.

Mais cela n'explique que partiellement la topographie du fer à cheval (Jean-Pierre Faye, Armin Mohler), où les extrémités gauche et droite du fer à cheval sont assez proches et où l'establishment, le centre méprisé, est à égale distance. Il faut toujours ajouter quelque chose d'individuel, quelque chose qui harmonise de manière presque magique les différentes expériences de vie dans des milieux politiques dissonants. C'est ainsi que Werner Olles nous a rendu visite pour la première fois (probablement en 1982) et, en tant qu'ex-gauchiste, il a tendu la main aux ex-droitiers avec simplicité et franchise : un homo politicus et un caractère fondamentalement honnête qui refusait la stigmatisation en raison d'une socialisation politique différente et qui, malgré des opinions différentes sur des questions particulières, a su apprécier notre idéalisme rebelle.

Werner Olles avait et a toujours une gaieté juvénile et contagieuse, qui n'admet que de légères touches de moquerie, mais qui parfois, lorsque les conversations évoluent vers un diagnostic de l'époque, montre aussi un fond d'humour noir. Cet homme extraordinairement érudit et cultivé avait une longueur d'avance sur nous, les plus jeunes, en termes de connaissances et d'expérience de la vie. A partir de 1982, il est devenu un auteur permanent de notre revue et aussi un compagnon de route et un conseiller amical. Son attitude douce et conciliante, son aimable modestie et son sens de l'humain ne doivent pas faire oublier que, sur les questions politiques existentielles, Werner Olles est d'une intransigeance, d'une dureté et d'une fidélité aux principes tout à fait inhabituelles. Un antilibéralisme prononcé, qui s'est affiné au fil des décennies dans l'amitié la plus étroite et l'échange intellectuel avec Günter Maschke, certainement le meilleur connaisseur de Carl Schmitt, doit être considéré comme une constante de la vie de l'homme politique et du publiciste Werner Olles.

Que personne ne s'y méprenne : Werner Olles est un amoureux de la liberté, un contempteur de la restriction de la parole libre, un adversaire des interdictions de penser, des entraves de l'État et des prescriptions langagières idéologiquement justifiées. Et c'est précisément pour cette raison qu'il est l'un des publicistes allemands les plus marquants qui affirment ouvertement leur hostilité au libéralisme - sous le couvert duquel se cachent le mondialisme, l'universalisme destructeur de la culture, l'exploitation capitaliste, le consumérisme et l'hédonisme.

Dans ce contexte, il est compréhensible que Werner Olles se soit consacré de plus en plus, au cours des deux dernières décennies, à des questions d'une importance supra-temporelle et qu'il ait retrouvé un accès à la foi chrétienne d'inspiration ultra-catholique. Dans un monde en décomposition, où les ordres, les traditions et les valeurs s'effritent, où les peuples et même les sexes humains sont dénigrés comme des constructions sociales, Olles cherche et trouve un appui dans le religieux, dans la certitude d'une toute-puissance divine. Comme cela n'est plus transmis par l'Église catholique officielle, Werner Olles s'est mis à la disposition des courants critiques envers l'Église, des courants sédévacantistes, en tant que publiciste et y trouve de plus en plus d'écho.

Depuis plus de 30 ans, Werner Olles travaille comme pigiste pour l'hebdomadaire conservateur Junge Freiheit. Ses critiques de livres, de magazines et de films y sont extrêmement populaires et sont déjà devenues une rubrique incontournable dans ce média intellectuel, phare des conservateurs allemands.

Depuis 2019, trois livres de Werner Olles sont déjà parus aux éditions Lindenbaum : Grenzgänger des Geistes (Écrivains oubliés, méconnus et bannis du XXe siècle, 2019), Feinberührungen (Contre le totalitarisme de gauche, 2020) et "Résistance ou émigration intérieure. Pourquoi nous nous battons" (2022).

Nous te félicitons de tout cœur, cher Werner, à l'occasion de ton 80ème anniversaire et te souhaitons de rester en bonne santé, d'être créatif et d'œuvrer de manière bénéfique pour le bien de notre peuple. Nous sommes fiers de t'avoir à nos côtés.

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Werner Olles - un parcours de vie

Né en 1942 à Bensberg (Bergisch-Gladbach), il est le cadet de deux frères et sœurs plus âgés. Son père est fonctionnaire de la Reichsbahn, sa mère enseignante. Après plusieurs bombardements et mutations de son père, il vit temporairement dans le Pays des Sudètes (à Reichsstadt) et à Wilhelmshorst près de Berlin. De là, il s'enfuit à l'ouest en traversant le Harz de nuit et dans le brouillard. Scolarisation à Mechernich (Eifel). Après une nouvelle mutation de son père, il s'installe à Francfort-sur-le-Main en 1950. Après l'école primaire, il passe quatre années d'études au Freiherr-vom-Stein-Gymnasium, puis s'inscrit à l'école de commerce. Il suit une formation d'agent d'assurance et exerce le métier de rêve de nettoyeur de vitres et de bâtiments. De 1963 à mi-1964, il effectue son service militaire à Homberg/Efze et Fritzlar. Ensuite, il travaille à nouveau comme vitrier et nettoyeur de bâtiments. En 1968, il adhère au SDS, puis, après sa dissolution, devient membre des "Panthères rouges", une organisation annonciatrice des "cellules révolutionnaires" terroristes. En 1972, après l'attentat contre les Jeux olympiques, il se détourne de la gauche militante et révolutionnaire.

Il adhère à la SPD en 1973. Il démissionne en 1976 en raison de désaccords politiques. Travaille depuis 1975 à la bibliothèque d'un établissement d'enseignement supérieur. Démissionne du syndicat à la fin des années 1970 en raison du refus du secrétaire responsable de rédiger une résolution de solidarité pour le syndicat polonais Solidarnosc "par égard pour les collègues du DKP". Cela entraîne une prise de distance avec la gauche politique et ses mensonges éhontés sur la "solidarité internationale".

Au début des années 1980, rupture définitive avec la gauche. Contacts avec des cercles nationaux-révolutionnaires et activité de rédacteur et d'auteur dans des revues de la mouvance nationale-révolutionnaire et de la Nouvelle Droite (Wir Selbst, Aufbruch, Neue Zeit). Au milieu des années 1980, évolution vers la "droite", collaboration à "Nation Europa" jusqu'au début des années 1990. Depuis 1993, collaboration occasionnelle à Junge Freiheit, dont il est, jusqu'à aujourd'hui, collaborateur indépendant. Il a publié des articles, des critiques et des interviews dans Criticón, Eckartbote, Europa, Aula, Zur Zeit, Neue Ordnung, Catholica, éléments, Nouvelles de Synergies Européennes, Gegengift, Sezession, la revue littéraire Rabenflug, les magazines de cinéma Morgengrauen, X-Tro et XUN ainsi que des contributions régulières dans la revue catholique romaine sédévacantiste Einsicht. Contributions à des livres dans Bye-bye '68 (Graz,1998), Sobre la konservative Revolution (Barcelone, 2000), Ein Leben für Deutschland. Denkschrift für Wolfgang Venohr" (Berlin, 2005), ainsi que de nombreux articles dans Enzyklopädie des Phantastischen Films (Meitingen).

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Dans les années 1990, conférences auprès de Burschenschaften et Landsmannschaften. Après s'être converti au conservatisme, se rapproche à nouveau du catholicisme traditionaliste ou sédévacantiste dans son rite préconciliaire.

 

 

 

 

 

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mercredi, 14 septembre 2022 | Lien permanent

Henry Bauchau a pris la route des rêves

L’écrivain belge Henry Bauchau a pris la route des rêves

Poète, dramaturge, romancier, Henry Bauchau tenait aussi des journaux intimes. Le dernier, paru en 2011 chez Actes Sud, s’intitule «Dialogue avec les montagnes. Journal du Régiment noir (1968-1971)». Paris, 1972 (AFP)

Poète, dramaturge, romancier, Henry Bauchau tenait aussi des journaux intimes. Le dernier, paru en 2011 chez Actes Sud, s’intitule «Dialogue avec les montagnes. Journal du Régiment noir (1968-1971)». Paris, 1972 (AFP)

L’auteur d’«Œdipe sur la route» et de «L’Enfant bleu» s’est éteint à 99 ans. Il laisse une œuvre marquée par les mythes, l’humain et la psychanalyse

On s’apprêtait à fêter son centenaire et le voilà qui s’en va, à 99 ans, dans son sommeil, quelques mois avant son anniversaire. Henry Bauchau était né le 22 janvier 1913 à Malines. Il s’est éteint dans la nuit de jeudi à vendredi à Paris. Il a vécu en Belgique, en Suisse et en France. «Henry Bauchau a écrit jusqu’à son dernier jour. Il voulait, disait-il «mourir la plume à la main», note Myriam Watthee-Delmotte de l’Université de Louvain, l’une des meilleures spécialistes de Bauchau*.

Il laisse derrière lui une œuvre lumineuse, imperméable aux modes, marquée par son histoire personnelle, par les guerres, par la psychanalyse, impressionnée par la beauté du monde, traversée par les grands textes classiques. Les écrits d’Henry Bauchau portent l’écho des grands mythes, mais ne s’éloignent pas de l’homme d’aujourd’hui.

La reconnaissance sera tardive même si son premier recueil de poèmes, Géologie, publié en 1958 (réédité en 2009 par Gallimard) obtient le Prix Max Jacob. Il faudra attendre 2008 et un septième roman pour qu’il reçoive, en France, le Prix du livre Inter. En Belgique, il patiente jusqu’en 1991, lorsqu’il entre à l’Académie royale de langue et de littérature françaises – l’équivalent de l’Académie française. En 1997, son Antigone (Actes Sud), un succès de librairie, lui vaudra le Prix Rossel, le «Goncourt belge».

Toute sa vie, Henry Bauchau a travaillé. Comme avocat dans les années 1930, il a fait des études de droit en Belgique, tout en militant au sein de la jeunesse catholique. Après la guerre – il sera résistant – il s’installe à Paris. Il entreprend deux psychanalyses. La première, qui dure jusqu’en 1950 sous l’égide de la femme du poète Pierre Jean Jouve, Blanche Reverchon, qu’il dénomme la «Sybille», lui indique la voie de l’écriture. La seconde, de 1965 à 1968, auprès de Conrad Stein, fera de lui un thérapeute.

Mais il faut vivre. La poésie, la peinture et le dessin, qu’il pratique également, ne nourrissent pas. En 1951, il déménage en Suisse et ouvre à Gstaad l’Institut Montesano qui accueille notamment de riches et jeunes Américaines. Il enseigne la littérature et l’histoire de l’art. Il tisse des liens. Rencontre Philippe Jaccottet. Publie des livres aux Editions de l’Aire (La Pierre sans chagrin. Poèmes du Thoronet en 1966 ou Célébration en 1972), chez Pierre Castella (La Dogana. Poèmes vénitiens avec la photographe Henriette Grindat, 1967); il écrit dans la revue Ecriture.

En 1973, l’Institut Montesano ferme. C’est le retour à Paris et le début de ses activités de thérapeute. Il utilise l’expression artistique dans les cures qu’il mène auprès d’adolescents en rupture, puis comme psychanalyste. Il rencontre Lionel Douillet, «l’enfant bleu», un jeune aliéné avec lequel il expérimente les vertus de l’art comme thérapie. Il l’encourage à dessiner, le suit pendant une quinzaine d’années et le mène vers une forme d’épanouissement.

Les romans d’Henry Bauchau portent, tout au long de sa vie, la trace de ses interrogations existentielles. La Déchirure (Gallimard, 1966) rejoue ses relations avec sa mère; Le Régiment noir (1972) explore la vie rêvée de son père. Il puise dans les mythes tout en s’ouvrant sur la poésie, le monde et le trajet personnel de chacun: Œdipe sur la route (1990 chez Actes Sud qui l’édite depuis lors) ouvre un cycle œdipien dont fait partie son Antigone de 1997.

Les années 2000 seront marquées par ses souvenirs de jeunesse et ses expériences thérapeutiques: L’Enfant bleu (2004) retrace les relations d’une thérapeute et de son jeune patient; Le Boulevard périphérique (2008) est un trajet vers la mort où surgissent des souvenirs de guerre; Déluge (2010) raconte une libération par la peinture sur fond d’Arche de Noé; L’Enfant rieur (2011) est le récit d’une jeunesse rêvée. «Je pense, disait-il au site Remue.net à propos de ses textes, que c’est le fait de mon attention à la vie courante et en même temps la préoccupation spirituelle qui fait la qualité de mon œuvre, si jamais elle en a.»

* L’hommage de Myriam Watthee-Delmotte et une foule d’informations sur l’écrivain: bauchau.flter.uclac.be

La Lumière Antigone, livret d’Henry Bauchau, musique de Pierre Bartholomée, est donné ce week-end au Temple allemand à La Chaux-de-Fonds. Rens. www.abc-culture.ch

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lundi, 24 septembre 2012 | Lien permanent

Dimitri nous a quittés. Retour sur le parcours de Guy Mouminoux

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Dimitri nous a quittés. Retour sur le parcours de Guy Mouminoux

par Kristol Séhec

Source: https://www.breizh-info.com/2022/02/28/180572/dimitri-nous-a-quittes/

Décédé le 11 janvier 2022, Guy Mouminoux reste connu pour son seul roman, le récit de guerre autobiographique Le Soldat oublié (sous le pseudonyme de Guy Sajer) ainsi que pour ses bandes dessinées humoristiques ou historiques (sous le pseudonyme de Dimitri).

Guy Mouminoux est né à Paris le 13 janvier 1927. En 1916, son père, un poilu fait prisonnier à Verdun, avait rencontré sa mère pendant sa détention en Allemagne. Guy vit sa jeunesse en Alsace et est passionné par la lecture des revues de bandes dessinées humoristiques pour enfants. Il a le don du dessin et rêve d’en faire son métier. Mais en 1940, lorsque cette région est annexée par l’Allemagne, il rejoint les camps de jeunesse allemands. En 1943, comme d’autres « malgré-nous », enrôlé dans la division Grossdeutschland de la Wehrmacht, il participe, à seulement seize ans, aux combats sur le front de l’Est.

* Les bandes dessinées pour enfants.

Dans la première partie de sa carrière, sans avoir fait d’études aux Beaux-Arts, Guy Mouminoux se consacre à la bande dessinée pour enfants, l’une de ses passions de jeunesse. Fin 1946, il publie Les Aventures de Mr Minus, sa première bande dessinée humoristique. C’est le début d’une longue participation aux illustrés pour la jeunesse, d’obédience catholique (Cœurs vaillants…) ou communiste (Vaillant). Il faut se souvenir qu’en octobre 1945, alors que Cœurs vaillants est provisoirement interdit de publication le temps de contrôler s’il a « collaboré », les communistes lancent leur propre journal pour la jeunesse, Vaillant, en jouant sur la confusion des titres. A partir de 1959, il reprend dans Cœurs vaillants la série Blason d’argent, contant les aventures d’Amaury, preux chevalier combattant l’injustice. Il se fait alors un nom dans le monde de la bande dessinée.

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Guy Mouminoux participe également dans le journal Spirou aux Belles histoires de l’oncle Paul, courts récits historiques pour enfants. Au journal Spirou, il rencontre Jijé, auteur majeur de la bande dessinée chrétienne, qui devient l’un de ses meilleurs amis. Ils réaliseront ensemble, au milieu des années 1960, quelques tomes de la série Les Aventures de Jean Valhardi. En 1964, pour le magazine Pilote, il crée une série humoristique, Goutatou et Dorauchaux, imaginant que deux chats constituent l’équipage d’un remorqueur. On découvre alors son style caractéristique qu’il reproduira pour la série Le Goulag. De 1970 à 1980, il crée pour Tintin, la série humoristique Rififi, jeune moineau turbulent, chassé du nid par ses frères à cause des punitions qu’il leur attire.

* Le soldat oublié.

En 1967, Mouminoux publie Le Soldat oublié chez Robert Laffont, qui obtient en 1968 le Prix des Deux Magots. Traduit en près de 40 langues, vendu à près de trois millions d’exemplaires, ce récit autobiographique décrit sa participation aux combats au sein de l’armée allemande. On découvre que Guy est mis au service du Reich allemand, dans le cadre de l’Arbeitsdienst. Il participe au ravitaillement des troupes sur le front de l’Est. Durant l’hiver 1942, le froid est intense. Son unité n’arrive pas à rejoindre à Stalingrad la 6e armée allemande de Paulus. Elle recule de Kharkov à Kiev. Début 1943, après une permission à Berlin où il rencontre Paula, il se porte volontaire pour être incorporé dans la division Grossdeutschland. Il participe alors à la bataille de Koursk, avant de reculer jusqu’au Dniepr. Tentant de repousser l’avancée soviétique, il combat aux côtés des enfants et des vieillards du Volkssturm.  En avril 1945, il se rend aux Anglo-américains. Prisonnier de guerre, il est rapidement libéré du fait de son origine française.

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Dans ce récit, il révèle la forte camaraderie au sein de l’armée allemande. Il décrit dans le détail les conditions de vie du soldat allemand. On découvre le terrible hiver russe (−40 °C), provoquant gelures et amputations. Mais bien que Mouminoux ait pris soin de signer ce roman sous pseudonyme, Guy Sajer (d’après le nom de jeune fille de sa mère), le monde de la bande dessinée découvre la véritable identité de l’auteur, qui reste fasciné par le courage de ces soldats prêts à donner leur vie pour une cause. Dès lors, Guy Mouminoux est parfois rejeté par certaines maisons d’édition.

* Le goulag.

En 1975, Guy Mouminoux prend le pseudonyme de Dimitri. Il réalise alors sa principale série, Le goulag, qui paraît dans les magazines Hop !, fanzine, Charlie mensuel, L’Hebdo de la BD, L’Écho des savanes, L’Événement du jeudi et Magazine hebdo. Il y rencontre Wolinski, Cavanna, Cabu, Gébé, Choron… et Reiser, qui devient l’un de ses meilleurs amis. Le personnage principal du Goulag, Eugène Krampon, flegmatique ouvrier parisien émigré en Union soviétique, est interné au goulag 333 en Sibérie à la suite d’un malentendu. Il vit alors de surprenantes aventures, devenant pilote d’essai, soldat à la frontière sino-russe, champion de football… Il découvre qu’à la chute de l’empire soviétique, la Russie s’ouvre au capitalisme. Les hamburgers remplacent la bonne cuisine russe ! Mais il ne pense qu’à retrouver sa belle Loubianka. En s’adressant à un public plus adulte, Dimitri accède alors à la reconnaissance. Il expliquait que « Le Goulag, pour moi c’est la vie. Il nous entoure, nous sommes en plein dedans. On peut en pleurer mais aussi en rire. C’est un peu comme à la guerre » (Le Choc du Mois, nov. 1990, p. 54). Si Dimitri dénonce avec humour le régime communiste, il reste très attaché au peuple russe.

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Après la disparition de René Goscinny, en 1977, Mouminoux est même pressenti par Georges Dargaud, alors en conflit avec Albert Uderzo, pour poursuivre la série Astérix le Gaulois.

Durant cette période, la gauche le soupçonne d’être d’extrême-droite et la droite l’accuse de fréquenter la gauche.

* La période d’humour grinçant.

Dimitri réalise au début des années 1980 de nombreuses bandes dessinées satiriques.

Deo Gratias (1983), composée d’histoires courtes à l’humour noir grinçant, révèle le constat désespéré de Dimitri sur la civilisation moderne. Sa critique du féminisme, une femme exigeant de livrer un combat de boxe à un homme, est particulièrement féroce. Le noir et blanc lui convient très bien.

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Dans Le Meneur de chiens (1984), un homme détestant la civilisation moderne s’apprête à se suicider. Mais il découvre alors qu’il a le pouvoir de parler aux chiens. Il va mener une meute de chiens féroces à l’assaut d’humains sans défense. Il leur ordonne de les tuer et de les manger. Dans cet album impitoyable, les attaques sont si sanglantes qu’il s’agit presque d’une bande dessinée d’horreur.

Les Mange-merde (1985) décrit une société gangrenée par l’insécurité et le chômage. La révolte gronde. Un jeune chef d’entreprise est ruiné. Il croise la route d’un jeune inventeur. Ensemble, ils rentrent dans un bistrot, qualifié de « dernier refuge gaulois ». Ils vont fuir une bande de racketteurs. De nouveau, Dimitri use de son humour noir féroce pour révéler l’état de la société.

pognonsstorydimitric_35059.jpgPognon’s story (1986) est une étonnante satire socio-politique teintée d’humour grinçant. Qu’on en juge. Un homme, en vacances au bord de la mer, va tenter de gagner de l’argent en déformant son corps pour prendre l’aspect d’animaux. Puis il intègre l’équipage d’un bateau en partance pour l’Amérique centrale. Il y rencontre une aventurière nymphomane qui cherche à acheter frauduleusement des véhicules militaires au Honduras. Puis un ermite lui révèle le secret d’une pierre magique qui rend leur lucidité à ceux qui se l’accrochent aux testicules ! Mais ce pouvoir inquiète le gouvernement…

Contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire, la bande dessinée Les Consommateurs (1987), à l’humour caustique, n’est pas une critique de la société de consommation. Un faux médecin se retrouve sans cabinet. Il accepte de se rendre au chevet d’un escroc international protégé par les services secrets. Après s’être fait piquer les fesses par une arête de barracuda ensorcelée, celui-ci se transforme en salamandre et ne peut vivre que dans une baignoire.

Dans La Grand’messe (1988), un éboueur veut changer de métier. Après un accident de voiture, il devient le sosie d’un ministre et le remplace pour déclamer des discours politiques vides de sens. Dimitri critique ici les politiciens qui méprisent leurs électeurs, qu’ils soient de gauche, de droite ou du centre.

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lundi, 28 février 2022 | Lien permanent

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