mercredi, 30 avril 2008
Pierre Benoit dans la magie de l'Orient
Frédéric SCHRAMME:
Pierre Benoit dans la magie de l'Orient
Dès la sortie de son premier roman Koenigsmark, Pierre Benoit s'est très vite imposé comme le nouveau maître du roman fantastique français. Les fantasmes véhiculés alors autour de la conquête coloniale ne pouvaient qu'être propices à son imagination fertile et bien vite des œuvres comme L'Atlantide et La châtelaine du Liban allaient suivre leur aînée plongeant des milliers de lecteurs dans les mystères de l'Orient.
La grande épopée de la colonisation! Au tournant de l'époque moderne, les principales nations européennes entérinent en l'achevant, leur conquête du monde commencée quelques siècles plus tôt avec le partage du Nouveau Monde. Seule une poignée d'Etats échappe à la mise en coupe réglée, comme l'Ethiopie, la Perse, le Siam. Qu'est-ce qui a bien pu pousser ces nations européennes aux régimes politiques tellement dissemblables à se jeter d'un même élan dans la colonisation du globe? Objectifs financiers et mercantiles? Désirs de conquêtes militaires? Quêtes vers la Connaissance supposée de ces terres lointaines —d'autant plus chargées d'une aura mystérieuse et magique qu'elles demeurent inconnues et inaccessibles? Probablement les trois à la fois, tellement cette synthèse presque dumézilienne suffit à résumer à elle seule l'inconscient motivé de l'âme européenne. Depuis toujours, de grands hommes ont fait « Le rêve le plus long de l'Histoire », recherchant aux confins de l'Orient ou en Afrique l'accomplissement d'un destin qui ne pouvait être qu'exceptionnel. Si Jacques Benoist-Méchin a su retracer la vie de quelques-uns de ces personnages hors du commun, d'autres tel Pierre Benoit ont préféré, souvent au moyen de l'imagination, s'attacher aux pas des aventuriers et explorateurs, des simples capitaines ou pères-blancs, quidams qui jamais n'ont noirci la moindre page des manuels d'Histoire. « Mais ceux-là étaient seuls à s'exposer. Responsables de leur vie seule, ils étaient libres» de s'éveiller à la magie de l'Orient au moment où «l'american way of life» après Jack London ne pouvait promettre plus rien d'autre que des destins d'épiciers bedonnants.
Le géant touareg
L'intérêt de Pierre Benoit pour les contrées désertiques n'est absolument pas fortuit, pas plus qu'il n'est le fruit d'un calcul commercial. Fils d'un officier supérieur de l'armée française, il doit sa découverte des portes du Sahara au gré des mutations de son père. Parmi les souvenirs de ces temps-là, il en est un qui éclaire particulièrement la réelle fascination qu'opèrent sur lui l'immense désert et ses habitants : « [Je vis] une espèce de géant vêtu de cotonnades obscures, avec de terribles yeux qui brillaient dans la fente d'un voile gainant la tête à la manière d'un heaume. C'était un chef targui (ndlr: Touareg) [.] Il rit en m'apercevant, me saisit à bout de bras et m'enleva plus haut que lui. Je voyais dans l'évasement de sa manche, son poignard, qu'un anneau de cuir retenait contre le biceps nu; à son cou, ses amulettes de perles blanches et noires. J'étais au comble de l'épouvante, de la curiosité, de l'orgueil».
Nanti de ces quelques vagues souvenirs et d'une imagination sans bornes, Pierre Benoit va se plonger dans une description minutieuse et quasiment encyclopédique des pays dans lesquels il emmène ses lecteurs. En effet, mis à part son enfance nord-africaine, Pierre Benoit n'aura voyagé dans les lieux qu'il avait décrits que bien longtemps après. Mais la description se révèle toujours exacte et c'est autant ce souci du réalisme qui contribuera à son succès que sa spéculation sur l'insondable et le mystérieux. En ce début de 20ième siècle l'auteur prend prétexte des zones laissées en blanc du planisphère ou des cartes d'état-major pour les combler de son imagination, comme pour le massif du Hoggar dans lequel il situe son Atlantide échouée. Cette bienheureuse alchimie entre le détail et l'inconnu amènera Jean Cocteau à dire de lui que « Benoit est celui qu'on lit le plus et dont on parle le moins dans les revues graves. Il a le génie de l'imprévu, mais il invente juste et tombe encore plus juste. C'est un médium. Ceux qui ne savent pas le lire ne sauront jamais».
L'œuvre de Pierre Benoit suit une constante dans son évolution tragique. Que l'on soit au cœur du Sahara ou au Liban après la mise sous tutelle française, les héros sont toujours des officiers français au faîte de leur gloire. Elite parmi l'élite, ils sont méharistes, de cette noblesse des déserts qui font d'eux les égaux des Bédouins et des Touaregs. De plus leur connaissance des us et coutumes des habitants du désert les amènera à être chargés de mission de renseignements et d'espionnage au profit de leur patrie.
L'espionnage est précisément au cœur de l'intrigue dans «La châtelaine du Liban»: Une fois la première guerre mondiale terminée, la paix » semble reprendre ses droits et avec elle l'hostilité sourde entre les deux « alliés » français et britannique. Rapidement, la « perfide Albion » est soupçonnée d'être à l'origine du massacre d'une troupe française en opération de manœuvres. Dans « l'Atlantide », il est également question du souvenir du massacre de la «mission Flatters» et la prospection de renseignements confiée au Capitaine de Saint-Avit a pour but de prévenir tout nouveau désastre. Au renseignement d'ordre militaire s'ajoute une autre quête, celle du passé: au Liban, on se souvient des Templiers et des Chevaliers teutoniques en parcourant la ligne tracée par les vestiges de leurs châteaux, et dans le Sahara on recherche des signes laissés par des tribus berbères chrétiennes ayant résisté un certain temps à l'islamisation. On ne saurait trouver de héros plus parfaitement équilibrés; sûrs de leur bons droits et au service d'un idéal supérieur à leur propre existence, ils pourraient même avoir la prétention d'être le lien entre le passé et l'avenir, entre le souvenir et la clairvoyance.
Perdre de vue sa mission
Rien ne semble pouvoir les ébranler mais pourtant, «on n'est pas impunément des mois, des années, l'hôte du désert. Tôt ou tard, il prend barre sur vous, annihile le bon officier, le fonctionnaire timoré, désarçonne son souci des responsabilités. Qu'y a-t-il derrière ces rochers mystérieux, ces solitudes mates, qui ont tenu en échec les plus illustres traqueurs de mystères?». La solitude pesante à laquelle ces hommes sont quotidiennement confrontés —ici les ordonnances indigènes et autres ascaris font intégralement partie du décor et ne sont pas meilleurs compagnons que les méharis eux-mêmes— les mène toujours au bord du précipice dans lequel tout homme finit par perdre de vue sa mission, son devoir, sa famille et sa patrie.
Dans l'œuvre de Pierre Benoit, la raison (ou plutôt la déraison) qui oblige à franchir le dernier pas est toujours la rencontre fatidique avec une femme, avec La Femme. Extraordinairement belle et totalement recluse aux confins du désert, que ce soit dans un ancien château templier ou dans la mythique Atlantide, elle est l'exact opposé de la fiancée promise et personnifie l'amour charnel, la liberté, la puissance et la fortune. Elle seule est capable de briser les serments et les idéaux des hommes. Si l'Anglaise Athelstane oblige son amant le Capitaine Domèvre à trahir son pays et à vendre des renseignements à son complice des services secrets britanniques, l'Atlante Antinéa exige pour sa part, le sacrifice ultime et attend de ses amants qu'ils meurent d'amour pour elle. Ainsi le Capitaine de Saint-Avit revendiquera sa place dans la salle de marbre rouge dans laquelle sont réunis les corps embaumés, statufiés dans un métal inconnu, des anciens amants de la dernière reine de l'Atlantide. Pour y parvenir, il ira jusqu'à l'innommable, le meurtre de son compagnon de route Morhange, véritable moine-soldat, capitaine d'active et prêtre de réserve, seul homme à avoir su résister à Antinéa et également le seul qui ait véritablement été aimé d'elle. Plus chanceux, le Capitaine Domèrve sera sauvé de l'influence d'Athelstane par la fraternité d'armes qui le lie aux officiers de son ancien régiment, l'amitié entre les hommes en armes étant la seule à pouvoir contrer l'amour d'une femme fatale.
Attitudes droitières
Le succès de Pierre Benoit reposait donc sur des recettes simples: sur la mise en scène d'une intrigue convenue, il brosse le tableau mirifique d'un paysage enchanteur avec grands renforts de personnages plus ou moins caricaturaux. Comme sa transposition de la haute société française dans les colonies libanaise et algérienne qui se laisse fréquenter de loin par les notables autochtones (tout au moins au Liban), ses marchands druzes ou maronites qui se livrent une concurrence à grands coups de dessous de table, ses trafiquants d'or juifs, ses tribus révoltées de Bédouins et de Touaregs, etc. L'écriture de Pierre Benoit reste probablement influencée par les romans-feuilletons du siècle précédent, mais « tout cela est mené sur un rythme haletant, avec une ingéniosité qui ne peut que provoquer l'admiration et même la nostalgie de ce que peut être «le vrai roman», celui qui nous raconte une histoire, comme le rappelle Jean Mabire qui a placé cet écrivain dans le premier recueil de sa série « Que lire ? », donc en très bonne place dans son Panthéon personnel, qui, on s'en doute, est meublé selon des critères fort différents de son homonyme national, autrement appelé la Maison de Tolérance de la République. Si l'auteur de «L'Atlantide» est aujourd'hui un écrivain que l'on s'efforce de faire oublier —puisqu'il fut l'ami des maîtres de l'Action française et, circonstance aggravante, on peut reconnaître dans son vocabulaire une attitude droitière —, il faut tout de même saluer l'initiative de Jacques-Henry Bornecque qui, en 1986, à l'occasion du centième anniversaire de sa naissance, lui a consacré une biographie intitulée « Pierre Benoit le magicien ».
Frédéric SCHRAMME.
00:19 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hommage | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Les commentaires sont fermés.