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mardi, 22 mai 2007

Bellicisme et pacifisme aux Etats-Unis

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Bellicisme et pacifisme chez les conservateurs américains

Article rédigé immédiatement avant le déclenchement des hostilités contre l'Irak au printemps 2003. Dresse un tableau des clivages, qui demeurent encore aujourd'hui.

Les bombes ne pleuvent pas encore sur Bagdad. Les néo-conservateurs américains s'énervent: le Président Bush, disent-ils, est tombé dans un piège, quand il a accepté de nouvelles procédures onusiennes et de nou­velles inspections. Tels sont les propos que l'on peut lire dans les colonnes du Weekly Standard, sous les plumes de William Kristol et Robert Kagan. Ces deux journalistes partent du principe que Saddam Hus­sein est en mesure de mettre en œuvre immédiatement des armes de destruction massive. Si les contrô­leurs de l'ONU ne trouvent pas de preuves évidentes, c'est dû, affirment-ils, à la manière parfaite qu'a Sad­dam Hussein de camoufler ses plans réels. Ensuite, c'est fatal, les poltrons européens ne veulent pas voir la vérité…

Les deux poids lourds du journalisme néo-conservateurs n'écrivent plus le mot "allié(s)" qu'entre guille­mets. C'est surtout la France et, dans une moindre mesure, l'Allemagne, qui sont les objets de leur colè­re. Mais ils soupçonnent aussi la présence de "traîtres" au sein même du gouvernement américain. Tous les membres du gouvernement, estiment-ils, ne soutiennent pas les efforts de guerre de toutes leurs for­ces possibles. C'est surtout le ministre des affaires étrangères Colin Powell et son représentant, Richard Ar­mitage, qu'ils considèrent comme des freins, raison pour laquelle Kristol, dans le Weekly Standard, croit per­cevoir l'émergence et l'action délétère d'un "Axe d'apaisement".

Le "moindre pet de mouche" en Asie centrale…

La clique néo-conservatrice qui donne le ton et qui est constituée de conseillers gouvernementaux, af­fir­me sans ambages qu'elle appelle à la constitution d'un "Empire américain", ce qu'elle avait déjà réclamé a­vec tambours et trompettes dans l'éditorial du Weekly Standard, immédiatement après le 11 septembre 2001. Dans une réaction violente, à chaud, quand l'honneur national américain venait d'être frappé de plein fouet, un journaliste du nom de Max Boot annonçait que la politique étrangère des Etats-Unis "ne de­vait plus se contenter de cuire des petits pains". La politique extérieure américaine est encore beau­coup trop prudente, estimait ce va-t'en-guerre. Les Etats-Unis ne pratiquaient pas trop d'immixtion, mais trop peu: tel est le problème, selon lui! Si, après la guerre froide, les Etats-Unis ne s'étaient pas retirés d'Af­ghanistan, les choses se seraient déroulées autrement. Car le "moindre pet de mouche" en Asie cen­trale, estime ce Boot, "doit susciter une réaction de notre part".

Le "9/11", comme on désigne le 11 septembre dans le jargon des médias américains, constitue une césure dans l'histoire des Etats-Unis. La répétition incessante de séquences de films pris ce jour-là crée le sen­ti­ment d'une menace permanente. L'administration Bush a su profiter des sentiments de l'heure. Bientôt les Amé­ricains se doteront d'un "ministère pour la protection du pays" (homeland), chargé d'assurer la sé­cu­ri­té intérieure; il aura l'autorisation de surveiller chaque déplacement des citoyens, contrôler chaque let­tre, chaque courrier électronique, chaque coup de téléphone. Cette situation n'a plus rien à voir avec les i­déaux traditionnels de liberté en Amérique, inaugurés par les "Pères fondateurs". La "guerre contre le ter­rorisme" justifie les moyens.

Les néo-conservateurs américains ont vécu un réveil le 11 septembre 2001. Le monde entier vivait dans l'ar­riération et cette tare ne pouvait être soignée que si on lui administrait une cure sévère de "démo­cra­ti­sation". Selon les paroles du journaliste Michael Ledeen, cela devient : «Chaque jour, nous opérons une dé­chirure au sein du vieil ordre, que ce soit en économie, en sciences, en littérature, en art, en ar­chi­tec­tu­re ou dans le domaine du cinéma, et même en politique et en droit. Nos ennemis ont toujours haï ce tour­billon d'énergie et de créativité. Car ce tourbillon menace leurs traditions (quelles que puissent être cel­les-ci) et ils ont honte de ne pas pouvoir tenir notre cadence. Nous devons les détruire, afin de pousser en avant notre mission historique».

Est-ce Ledeen ou Lénine qui parle ainsi? De telles phrases, on en trouve à profusion dans le livre de Le­deen, intitulé The War against the Terror Masters. Il ne s'agit pas seulement de jongler avec de fortes pa­roles. Ces phrases trahissent l'état d'esprit dans lequel évoluent les néo-conservateurs aujourd'hui. Même de fidèles partisans du Parti Républicain se frottent les yeux. «Tant le conservatisme moderne que le li­bé­ra­lisme moderne à la Clinton sont indifférents face aux effets arasants et destructeurs de la globalisation sur les cultures et les valeurs traditionnelles, non seulement dans le vaste monde mais aussi, ici, en Amé­ri­que», remarquait récemment un collaborateur du Washington Times, à la suite d'une recension de la nou­velle revue The American Conservative.

Depuis le début du mois d'octobre, cette nouvelle revue bimensuelle fait beaucoup de bruit dans les cer­cles de droite aux Etats-Unis (cf. "Les mouvements américains pour la paix", in: Au fil de l'épée, Recueil n°40, décembre 2002). Les éditeurs de cette revue sont Pat Buchanan, Taki Theodoracopoulos et Scott McConnell. C'est évidemment Pat Buchanan le plus connu des trois. En dépit de son échec à la can­di­da­ture des présidentielles, il est resté une figure connue dans tout le pays, apparaît régulièrement sur les é­crans de télévision. Son dernier livre, The Death of the West, a été un véritable best-seller, avec plus de 200.000 exemplaires vendus aux Etats-Unis. Le financement de départ pour The American Conservative vient très vraisemblablement des poches de Taki Theodoracopoulos (des bruits circulent qui parlent d'une som­me de 5 millions de dollars). Ensuite, cet héritier d'un armateur d'origine grecque s'avère un édito­ria­lis­te très mordant, et ajoute à la revue une touche de glamour (il a collaboré au Spectator de Londres et au New York Press).

Des néo-conservateurs aux racines gauchistes dures…

The American Conservative vole dans les plumes des néo-conservateurs de l'acabit de William et Irving Kri­stol, de Jonah Goldberg, de Charles Krauthammer ou de Norman Podhoretz. «Nous étions déjà "con­ser­va­teurs" quand tous les Podhoretzs de ce monde fricotaient encore avec l'Oncle Joe Staline», ironise Theo­do­racopoulos, en faisant référence aux racines gauchistes dures de tous ces nouveaux "con­ser­va­teurs". Simultanément, cette équipe qui entoure Buchanan cherche à se protéger : sa critique, à l'en­con­tre des intellectuels néo-conservateurs ne doit pas mal s'interpréter comme étant de l'"antisémitisme", ex­pli­que McConnell dans une conférence de presse. Il fait allusion ainsi à un courant officieux, toujours pré­sent, jamais soumis à analyse, dans les débats politiques aux Etats-Unis, soit à la position spéciale des grou­pes qui soutiennent Israël.

Dans la question irakienne, les questions touchant à la sécurité d'Israël jouent un rôle important. Le parti des faucons au Pentagone —en tout premier lieu le représentant du ministre de la défense Paul Wolfo­witz, le Président du Defence Policy Board, Richard Perle, et le sous-secrétaire d'Etat Douglas Feith— est exac­tement le même groupe, à peine discret, qui défend l'idée d'un sionisme sous la protection des Etats-U­nis. Dans un article de fond, intitulé "The Israel Lobby", Michael Lind explique la nature de ce lien. Lind est un Républicain, ancien rédacteur en chef de la revue National Interest. Aujourd'hui, il critique la po­li­ti­que extérieure américaine d'un point de vue qualifiable de "libéral de gauche". Son article sur le "lobby pro-israélien" est paru en avril 2002 et, fait significatif, n'a pas été directement publié aux Etats-Unis, mais loin du Nouveau Monde, dans le magazine britannique Prospect, une revue du "New Labour". Il a sus­cité d'âpres débats.

Les électeurs juifs aux Etats-Unis ne représentent qu'une petite minorité de quelque 3% de la population. Ce­pendant les organisations sionistes parviennent à exercer une influence bien plus prépondérante sur la po­litique étrangère américaine que tous les autres groupes lobbyistes. L'AIPAC ("American Israel Public Af­fairs Committee") occupe dans ce contexte une position clef, dans la mesure où il détient une fonction de co­or­dination des activités. Son travail est efficace : chaque année, Israël reçoit environ trois milliards de dol­lars provenant de l'argent des contribuables américains, plus d'autres milliards venant de dons privés. De­puis 1979, quelque 70 milliards de dollars de l'aide officielle au développement sont arrivés en Israël, gé­néralement sous la forme de soutiens militaires. Cela peut paraître paradoxal, vu la situation actuelle, mais c'est le père de George W. Bush qui s'est plaint ouvertement en septembre 1991 de la pression qu'exerçaient les organisations pro-israëliennes: «Sur la colline du Capitole, il y a un millier de lobbyistes qui œuvrent au Congrès pour obtenir des garanties de crédit pour Israël».

L'alliance des fanatiques protestants et de la droite radicale sioniste

Traditionnellement, la plupart des électeurs juifs votent plutôt à gauche. Ce qui les dérange chez les Ré­pu­bli­cains, c'est le contact étroit que ceux-ci entretiennent avec la droite chrétienne. Des représentants de "Christian Coalition", comme Pat Robertson, n'hésitent pas, à l'occasion, de prononcer sans vergogne des discours grandiloquents sur "le complot judéo-maçonnique, vieux de 200 ans". Mais, simultanément, en dépit de cette idéologie conspirationniste, ces Républicains chrétiens sont des défenseurs acharnés d'Is­raël, pour des raisons d'interprétation biblique. Bien sûr, ils sont aussi les partisans zélés d'une nou­velle guerre dans le Golfe. Lind voit là à l'œuvre l'alliance entre les fanatiques protestants et la droite ra­di­cale sioniste, qui menace le processus de paix au Proche-Orient.

Si, parmi les intellectuels, on se querelle encore avec vigueur pour juger de la moralité ou de l'immoralité d'une attaque contre l'Irak, l'opinion publique, elle, estime déjà que la guerre annoncée est inévitable. Elle pose des questions plus prosaïques, surtout celle de savoir combien cette opération va coûter. Une étu­de du parti démocrate dans la Chambre des Représentants part du principe qu'une guerre, en cas de "vic­toire rapide" coûtera environ 60 milliards de dollars. Si les Irakiens se défendent sur quelques points im­portants seulement de leur territoire ou s'ils concentrent leurs points de résistance autour de Bagdad, il fau­dra que les Américains s'engagent davantage au sol. Alors, estiment les analyses du "Congressional Bud­get Office", le coût de la guerre s'élèvera à 140 milliards de dollars, ce qui ne représente que 1,5% du PIB. Dans ce cas, la guerre ne coûterait que de la menue monnaie…

Professeur d'économie à la Yale University, William D. Nordhaus, dans la dernière livraison de la New York Review of Books, présente une contre-évaluation des coûts de l'opération guerrière, qui apparaît bien moins optimiste : «Il est plus que probable que les Américains sous-estiment les effets économiques qu'en­traînerait une guerre contre l'Irak». Outre les dépenses directes pour les combats, il faut prendre en comp­te les charges que nous coûterait une éventuelle occupation du pays pendant plusieurs années. A ces deux catégories de coûts, il faut ajouter les dépenses pour la reconstruction de l'Irak, c'est-à-dire les frais dits de "nation building", et pour les aides humanitaires. Mais le plus gros morceau, que l'administration Bush refuse de prendre en compte, ce sont les effets indirects négatifs d'une guerre en Irak sur le marché du pétrole et sur la conjoncture aux Etats-Unis. Dans le pire des cas, si l'élimination de Saddam Hussein ne se passe pas de manière aussi aisée que prévue, le professeur Nordhaus prévoit un coût total d'environ 1,6 billions de dollars, ce qui aura des répercussions évidentes sur l'économie américaine.

Catherine OWERMAN.

(article paru dans Junge Freiheit, n°49/2002 - http://www.jungefreiheit.de ).

06:05 Publié dans Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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