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lundi, 18 août 2008

Une histoire des Juifs de Pologne

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Entre étoile de David et drapeau rouge : une histoire des Juifs de Pologne

 

Par Johannes BIEBERSTEIN

 

Le livre de Holger Michael, intitulé « Zwischen Davidstern und Roter Fahne » (Entre étoile de David et Drapeau rouge), décrit l’histoire des Juifs de Pologne au cours du vingtième siècle. Avant 1939, la minorité juive de Pologne, avec ses trois millions de ressortissants, constituait environ 10% de la population totale du pays et parlait pour l’essentiel le Yiddish. Elle s’organisait comme une vaste association religieuse, disposant de « droits dits corporatifs », permettant notamment de lever une sorte d’impôt pour le culte. A cette vaste communauté organisée appartenaient aussi les « membres non croyants de la nation juive ».

 

L’auteur du livre est un slaviste dûment diplômé de l’Université de Leipzig, ancien collaborateur de l’Académie de Berlin-Est, qui, depuis la chute du régime SED communiste, vit au Kazakhstan, où il enseigne l’allemand. Pour lui, sur le plan politique, la « force populaire », la « Volksmacht », constitue le seul ordre politique légitime, qui a été renversé par la « restauration bourgeoise », autrement dit par les « droites » en 1989/1990. Mais bien que Holger Michael s’aligne sur une position marxiste « orthodoxe », selon laquelle le nationalisme constitue les prémisses de l’antisémitisme et donc est derechef le mal principal de tout ce qui arrive, nous lirons son ouvrage avec grand profit.

 

On peut dire, en effet, qu’il aborde un sujet brûlant et important, parce que sous la dictature rouge, ni la haine à l’encontre des Juifs ni la critique légitime que l’on pourrait adresser aux Juifs communistes (ni bien d’autres critiques) ne pouvaient être articulées. Cette minorité juive, numériquement faible mais capable de marquer l’histoire, a joué un rôle spectaculaire tant en 1920 dans le cadre du « Comité révolutionnaire polonais » de Bialystok, installé par les Soviétiques, que dans le gouvernement en exil de la « Fédération des Patriotes Polonais » (le ZPP), créé en 1943, également sous le patronage des Soviétiques. Dans l’appareil stalinien polonais, dans les départements de la sécurité et dans les bureaux qui déterminaient l’idéologie à suivre, les communistes juifs étaient souvent représentés de manière disproportionnée. Holger Michael estime, pour sa part, que cette disproportion est acceptable, vu les souffrances indicibles subies par le peuple juif, mais, en l’acceptant, il en minimise les effets tragiques pour les autres et ignore les persécutions perpétrées par ce qu’il appelle la « Volksmacht ». Mais en opérant ce tour de passe-passe, Holger Michael omet de reconnaître clairement la dynamique de l’antisémitisme polonais, qu’il combat par ailleurs. Antisémitisme qui ne fit que se renforcer, même après 1945, parce que les Juifs communistes étaient perçus, en Pologne, comme les valets de l’occupant russe-soviétique cordialement détesté.

 

La valeur de ce livre réside dans la présentation objective et claire de l’histoire sociale des Juifs en Pologne, surtout pendant l’entre-deux-guerres. En s’appuyant sur des données statistiques, l’auteur explique que les 10% de la population totale, que constituait la minorité juive en Pologne, représentait également 50% de la grande bourgeoisie du pays. Les Juifs polonais étaient également surreprésentés dans les professions libérales, comme celles d’avocat ou de médecin. Dans l’armée, on trouvait aussi des rabbins militaires.

 

Le livre nous apporte également beaucoup d’informations intéressantes sur les organisations juives et non juives. Parmi les organisations juives, la plus importante était le parti « Agudat » des juifs orthodoxes. Il avait mis sur pied des écoles juives et des séminaires pour former des rabbins et parvenait à glaner jusqu’à 40% des voix lors d’élections municipales. Le « Parti Populaire Juif », plus petit, s’affirmait en revanche comme anti-clérical et représentait la bourgeoisie juive assimilée. A côté de ces deux principales formations politiques, on trouvait aussi en Pologne une pléthore de petits partis juifs socialistes, qui couvraient tout l’éventail des tendances possibles et imaginables, tout en se partageant en deux camps discernables : celui de ceux qui étaient sionistes et celui de ceux qui ne l’étaient pas.

 

Au Comité central du parti communiste polonais athée, on trouvait également un « Bureau Juif Central ». Ce parti communiste, section du Komintern, essuyait souvent les insultes des autres communistes, notamment lorsqu’on l’appelait « Judokommune », « judéo-communiste », un terme chargé de haine, équivalent à l’allemand « jüdischer Bolschewismus » (« bolchevisme juif »). Les chapitres que consacre Holger Michael aux rapports entre la société et les partis polonais, d’une part, et les Juifs, d’autre part, sont des plus intéressants, même s’ils contiennent parfois des critiques très dures à l’encontre des catholiques et des nationalistes polonais, qui, eux aussi, dans leurs cénacles les plus extrémistes, avaient réclamé l’instauration de « Lois de Nuremberg ». En revanche, Holger Michael se montre très positif à l’égard du Maréchal Jozef Pilsudski, pourtant partisan d’un gouvernement autoritaire. Pilsudski, à ses yeux, étaient un ancien social-démocrate proscrit ; il n’avait aucun profil religieux distinct, ne se souciait guère des différences entre confessions, et n’a jamais manifesté ouvertement des tendances antisémites.

 

Dans le chapitre qu’il consacre à la catastrophe d’entre 1939 et 1945, Holger Michael revient sur l’attitude controversée des Polonais à l’endroit des Juifs poursuivis et traqués par les nationaux-socialistes et glorifie la résistance juive. Les chapitres consacrés aux survivants et à ceux qui entamèrent l’épopée de l’Exodus, apportent des informations nouvelles et intéressantes. En Pologne, quelque 100.000 juifs ont survécu, auxquels il faut ajouter 200.000 personnes qui avaient pu se sauver en se réfugiant en Union Soviétique. Après l’expulsion des Allemands de Silésie, de Poméranie et de Posnanie, ces survivants se sont principalement installés en Silésie.

 

Pendant la guerre, en Union Soviétique, s’était constitué un « Comité de Libération National Polonais » (PKWN) qui fit que, pour la première fois dans l’histoire, un gouvernement polonais fut constitué, comptant en son sein des citoyens de confession israélite. Or, en dépit de cette innovation, l’époque dite stalinienne fut marquée par une importante vague d’émigration juive. La dictature communiste apparaissait aux Polonais comme la dictature d’une minorité et les partisans non communistes, toujours armés, provoquèrent une guerre civile en Pologne, qui fit rage pendant quelques années, et connut ses excès antisémites. On se souvient surtout du pogrom de 1947 à Kielce, qui fait l’objet d’âpres controverses aujourd’hui en Pologne.

 

Alors que, dès 1945, la vie culturelle et associative juive pouvait se redéployer sans frein, l’exode massif fit qu’en 1950 déjà les deux tiers des Juifs de Pologne avaient émigré en Palestine ou en Occident, ce qui eut pour effet d’éteindre complètement la vie culturelle juive.

 

Les autorités communistes ont accepté la situation et l’ont même promue, parce qu’elles ne s’intéressaient en fait qu’aux seuls communistes. On ne se souvient guère d’une évidence politique pourtant patente : Staline a soutenu au départ la création de l’Etat d’Israël contre les Britanniques impérialistes et contre les Arabes « réactionnaires ». En Silésie, les autorités communistes avaient toléré l’installation d’un camp d’entraînement de la Haganah en 1947/48, où 2500 juifs polonais subissaient une formation militaire avant de s’engager dans la lutte en Palestine. On se rappellera aussi qu’un pont aérien amenait sans cesse des armes de Prague à Tel Aviv.

 

Ce qui fut tragique et malsain dans la vie politique polonaise, c’est que tant le mouvement indépendantiste polonais que les nationaux-communistes polonais étaient animés de nettes tendances antisémites. Ce qui eut pour effet d’amener de très nombreux juifs de Pologne à émigrer, décimant du même coup les communautés des survivants d’après 1945. Ensuite, beaucoup de juifs communistes, qui avaient cru que le socialisme allait avoir la fonction d’un « médecin » qui guérirait les Polonais de leur antisémitisme, ont basculé dans le camp de la dissidence anti-soviétique. Quelques-uns d’entre eux ont contribué à la chute de la dictature marxiste en s’engageant dans les rangs de Solidarnosc.

 

Johannes BIEBERSTEIN.

(article tiré de « Zur Zeit », Vienne, n°12/2007; trad. franç.: Dimitri Severens)

Références : Holger MICHAEL, Zwischen Davidstern und Roter Fahne, Kai Homilius Verlag, Berlin, 2007.

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