Faire la guerre pour dicter la paix. Cette maxime très XVIIème siècle est constitutive de la politique que Vladimir Poutine, westphalien dans l'âme, applique à la Syrie. Autant l'âme russe peut connaître de violentes sautes d'humeur quand il s'agit d'art, de révolution ou de fête, autant la pensée russe en matière de stratégie extérieure fait penser au rhinocéros, avançant lentement mais fermement, inexorablement, et finissant par mettre tout le monde d'accord.
La Syrie est un cas d'école. Que disait Moscou avant l'intervention ? Nous allons repousser les terroristes, rétablir le gouvernement légal et sauvegarder l'intégrité de la Syrie tout en favorisant un consensus national. Petit à petit, les pièces se mettent en place et c'est exactement ce à quoi nous commençons à assister, à la virgule près. Quel changement par rapport aux simagrées occidentales où les effets de communication font maintenant office de politique...
Les groupes djihadistes, petits chéris de l'Occident pétromonarchisé, sont clairement sur le reculoir, comme le montre leur nouvelle tactique : enfermer des prisonniers dans des cages comme boucliers humains afin de dissuader les bombardements soutenant l'avancée des forces loyalistes. Ne cherchez évidemment pas l'info dans notre presse démocratique... Tandis que le rythme des frappes russes s'accélère, la bataille d'Alep est engagée où les forces syro-hezbollahi-iraniennes sont en train de diviser les positions rebelles :
On n'insiste pas assez sur le terrible revers que constituerait la perte d'Alep pour les "terroristes modérés" (© CIA). Une fois les grandes villes de la Syrie utile contrôlées par le régime, et ça en prend le chemin, la guerre totale contre l'EI pourra être engagée.
Parallèlement, Moscou saucissonne l'opposition à Assad. L'état-major russe a mené 24 raids sur des sites terroristes indiqués par des groupes anti-régime. Sont-ce les quelques rares bataillons modérés encore présents sur le terrain ou l'opposition en exil ? Peu importe au fond. Ils seront inclus dans le dialogue de réconciliation nationale sous les auspices de Moscou. Laissons la parole au général Kartapolo, de l'état-major : "Malgré leur lutte depuis quatre ans contre le gouvernement, ces groupes patriotiques sont prêts à faire passer leurs ambitions politiques après la nécessité de préserver l'intégrité et l'unité de la Syrie face à l'Etat Islamique et autres organisations terroristes. Nous espérons que cela sera un vecteur pour le règlement du conflit syrien".
De même, des représentants de la Coalition Nationale Syrienne, si chère aux Occidentaux mais à peu près inexistante sur le terrain, ont été invités en Russie pour des discussions, peut-être même avec des envoyés de Damas. Moscou prend peu de risque si Assad "négocie" avec ce mouvement virtuel sans aucun pouvoir, mais cela apporte une caution au consensus national que Poutine prépare pour la Syrie.
Tout comme Moscou ne prend pas de risque en répétant jusqu'à plus soif que le futur d'Assad doit être décidé par et seulement par les Syriens, notamment au moyen d'élections. L'Occident pétromonarchisé a bien été obligé d'accepter l'idée lors des pourparlers de Vienne même si ça le gêne terriblement, la probabilité d'une victoire d'Assad étant relativement élevée. Pendant que Paris, Washington et Londres sont en retard d'une guerre, les Russes concoctent déjà l'après-conflit...
Et en passant, ils en profitent bien entendu pour détacher les pays de la région de Washington ou renforcer leurs alliances. L'Irak est maintenant à peu près dans leur poche, Moscou ayant d'ailleurs insisté pour que les diplomates irakiens soient présent à Vienne. De même pour l'Egypte. La Jordanie a retourné son keffieh à la vitesse du vent. Quant aux relations avec l'Iran, qui prend d'ailleurs de plus en plus d'assurance vis-à-vis de l'Arabie bensaoudite, elles confinent à l'idylle.
Un rhinocéros qui dit ce qu'il fait et fait ce qu'il dit, qui avance inexorablement, sans grandes annonces mais d'un pas sûr. D'accord ou pas, Américains, Saoudiens, Turcs, Français et Qataris vont devoir s'y plier...
http://www.chroniquesdugrandjeu.com/2015/11/moscou-ou-la-...
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