Retour sur les conséquences de la défaite de Donald Trump ainsi que sur les événements du Capitole
Le mandat présidentiel de Donald Trump, marqué par les tentatives continuelles de déstabilisation menée par l’État profond et les médias de l’establishment, marque la fracture profonde entre le peuple et les élites. Cette volonté opiniâtre de destituer et de « châtier » tel un bouc émissaire le président sortant ne peut que révéler un déni de réalité schizophrène et flagrant. Les appels au lynchage politique, le langage méprisant des médias à l’égard des militants pro-Trump, les initiatives de destitution, la censure des réseaux sociaux et les appels à l’ostracisme social et économique des grandes corporations à l’égard des collaborateurs de Trump, reflètent non seulement la farce démocratique et l’hystérie haineuse de l’establishment américain, mais aussi le repli obstiné sur une grille de lecture manichéenne désuète des derniers événements, laquelle ne rend pas compte d’un vaste mouvement de fond et de mutations dans la société américaine, dont l’élection de Trump en 2016 ne serait qu’un des symptômes. Une chose est sûre, après Trump il restera le « trumpisme », comme catalyseur de toutes ces mutations sociologiques, économiques, démographiques et culturelles. En effet, le trumpisme, qui, même s’il s’agit d’un style politique – un refus des intermédiaires et des compromis, une rhétorique très simple et directe, un refus des idéologies –, est la caisse de résonance des vastes tendances de fond de la société américaine et notamment de la communauté blanche. Donald Trump joue sur les craintes et frustrations de la majorité blanche, socialement déclassée, voire marginalisée par les crises successives, économiques et financières, et les politiques pro-immigrationnistes. Ce même ressentiment populaire d’une grande majorité d’Américains, qui s’estime trompée par les derniers résultats électoraux, qui a quasiment explosé lors des événements du Capitole, constitue à l’avenir un vaste réservoir de radicalité politique, surtout si l’on obstine à attiser ce ressentiment comme est en train de le faire l’oligarchie médiatico-politique. Persister dans ce délire de persécution sur fond de maccarthysme de gauche, et ignorer les ressorts émotionnels de ce ressentiment isolera davantage le futur gouvernement démocrate, qui souffrira d’une forte illégitimité populaire.
L’évolution de la société
L’envahissement du Capitole par des manifestants pro-Trump bariolés, loin de représenter un coup d’État bien planifié, a eu le mérite de mettre au premier plan le ressentiment agressif et décidé d’une grande frange de la population américaine, celle des WASP déclassés et paupérisés. Ce sont les classes sociales fauchées par la crise financière de 2008, le lumpenprolétariat blanc stigmatisé et méprisé par les élites de la côte ouest, de New York et de la Silicon Valley, les chômeurs de la « vieille » économie (agriculture, bâtiment, industrie, commerce), les Blancs des banlieues et des mobile homes.
Alors que la catégorie socio-identitaire des WASPS dans les années soixante correspondait à l’élite blanche privilégiée, aujourd’hui ce vocable à connotation négative pour désigner les Blancs de l’Amérique profonde, correspond plus aux catégories les plus pauvres de la population américaine blanche, et forme la majeure partie de l’électorat de Trump. Cette « norme » socio-économique américaine, selon laquelle les WASPS constituaient le sommet de l’élite américaine, est bien révolue, et nul ne soutiendrait sérieusement aujourd’hui que les Américains d’origine irlandaise ou italienne et les Afro-Américains sont moins bien intégrés en vertu de la discrimination positive et la politique des quotas que les WASP.
Mutations démographiques
Sur le plan démographique, d’ici 2050, les minorités hispaniques, asiatiques et noires constitueront 54 % d’une population qui aura atteint 439 millions d’habitants. Les Blancs ne constitueront plus la majorité de la population des États-Unis à l’horizon 2042. Ce renversement démographique génère déjà des processus de communautarisation et de ghettoïsations ethniques. En dépit du discours dominant multiracialiste, le modèle américain de la « discrimination positive » est en passe d’imploser, alors que les Américains sont inquiets de la diversification ethnique des États-Unis, où le nombre d’Hispaniques est en pleine croissance. Selon une enquête pilote d’American National Election Study réalisée en janvier 2016, le repli identitaire est en vogue et la majorité des électeurs WASP donnent de l’importance à leur « identité blanche » ou considèrent que les discriminations contre les Blancs s’accentuent.
Recomposition politique
Même si le parti démocrate et Joe Biden annoncent qu’ils s’attacheront à assurer la réconciliation nationale et à rétablir l’équilibre des pouvoirs sur l’ancien modèle bipartisan, cette grille de lecture semble en déphasage complet avec l’érosion et la fragmentation internes des deux principaux partis américains et la nouvelle recomposition des forces politiques en cours. En effet, du côté du parti démocrate, l’aile gauche plus radicale est accusée par les modérés, après l’échec à la Chambre des représentants et au Sénat, de faire cavalier seul. En effet on reproche à Alexandria Ocasio-Cortez d’avoir un discours identitaire et radical qui compromet une majorité de l’électorat démocrate. D’autre part, la gauche radicale américaine s’est positionnée aux primaires démocrates avec Bernie Sanders et Elizabeth Warren qui se réfèrent à une tradition populiste de gauche américaine. Ce courant politique s’appuie sur un nouvel activisme sur les réseaux sociaux et sur des mouvements radicaux de gauche adeptes de la cancel culture et d’une course à la pureté idéologique définie comme « woke ».
Au sein du second grand parti américain, le parti républicain, le fameux GOP (Grand Old Party), Donald Trump a accentué une division déjà existante au sein même de son parti en proie à des luttes intestines. L’un des plus loyaux soutiens du président, Mitch McConnell, chef du groupe républicain au Sénat, est lui aussi en rupture avec Donald Trump. L’aile néo-conservatrice des “faucons”, interventionnistes et néo-impérialistes, regroupée au sein du projet Lincoln, a œuvré pour faire échouer la réélection de Trump en alliance avec le parti démocrate en raison de sa volonté isolationniste, alors que le trumpisme, lui, s’appuie sur ce qu’on appelait le courant « paléoconservateur » dans les années 1990, qui combine populisme, nationalisme, et « fierté blanche ». Trump a habilement utilisé ce discours politique « identitaire » (identity politics) à son profit pour mobiliser la communauté blanche, et notamment les plus modestes. D’autre part, à droite, il faudra aussi compter sur la mouvance suprémaciste de l’alt-right, le courant libertarien et l’électorat du Tea Party.
Jure Georges Vujic
Source : Correspondance Polémia
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