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vendredi, 03 octobre 2025

La Dictature de la Société Ouverte - De la démocratie suspendue à la guerre culturelle

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La Dictature de la Société Ouverte

De la démocratie suspendue à la guerre culturelle

Alexander Douguine

Alexander Douguine déclare que les élections en Moldavie dévoilent la main de fer de la dictature libérale-globaliste, un régime qui intensifie la répression alors que la Russie fait face à une épreuve décisive de volonté.

Animateur : Aujourd’hui, nous allons évidemment commencer par les élections en Moldavie: comment elles se sont déroulées, ce qu’elles ont produit, quels sont les résultats et ce que cela signifie pour la Moldavie elle-même et, naturellement, pour la Russie. Selon la CEC du pays, après le dépouillement de 99% des bulletins, le parti « Action et Solidarité » a perdu 10 sièges au parlement. Les résultats préliminaires montrent la répartition suivante des forces: le PAS a reçu 49% des voix, ce qui lui a donné 53 mandats ; le Bloc Patriotique — 24%, soit 27 mandats ; le Bloc Alternatif — 8%, soit 9 sièges ; « Notre Parti » — 6% et 6 sièges ; le parti « Démocratie à la Maison » — 5% et également 6 sièges. Quel tableau se dessine ? Les partis d’opposition ont néanmoins réussi à surpasser le parti au pouvoir, lui refusant une majorité absolue. Cependant, le PAS a conservé un soutien important, obtenant un nombre impressionnant de voix. Pouvez-vous nous dire ce que signifient ces résultats pour la Moldavie et pour la Russie, surtout compte tenu du fait que la rhétorique à notre égard pourrait changer?

Alexander Douguine : Nous assistons à la façon dont le globalisme libéral, vaincu dans la plupart des pays du monde — y compris les États-Unis — tente désespérément de s’accrocher à l’Europe. Là où les régimes libéraux et globalistes subsistent — comme ceux qui prédominaient en Amérique avant Trump — ils ont choisi une nouvelle voie: la dictature libérale directe.

Les procédures démocratiques sont suspendues ou complètement abolies, du moins temporairement. C’est la fameuse « démocratie suspendue » — une suspension partielle et sectorielle qui crée des conditions exceptionnelles pour l’ascension de dirigeants et de partis servant la stratégie globaliste. À cette fin, ils commettent des violations : ils emprisonnent des candidats gênants, comme Evghenia Guțul (photo, ci-dessous), chef de l’autonomie gagaouze, qui est en détention ; ils interdisent des partis, comme « Grande Moldavie ». Les procédures de vote portent atteinte aux droits: sur une diaspora moldave forte de 400.000 personnes en Russie, seules 10.000 ont été autorisées à voter. Il s’agit d’une suppression délibérée visant à préserver l’apparence d’élections tout en garantissant le pouvoir total aux libéraux.

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Nous avons vu cela en Roumanie, où un candidat populiste a remporté le premier tour mais a été écarté et les résultats annulés. Une tactique similaire a été utilisée en France contre Marine Le Pen, qui est poursuivie sur des prétextes fabriqués et privée du droit de se présenter. Qu’est-ce que cela signifie? Là où les libéraux conservent le pouvoir, comme en Moldavie, ils ne l’abandonneront pas même si leur mandat prend fin. Maia Sandu fait partie du système Soros. Soros s’oppose aux États-Unis; Trump s’oppose à Soros; mais en Europe, Soros contrôle de nombreux actifs politiques et géopolitiques. À l’exception de la Slovaquie et de la Hongrie, l’Europe est sous son influence. Aux États-Unis, des poursuites pénales en vertu de la loi RICO ont commencé contre lui, mais son empire globaliste continue de dominer.

En Moldavie, en Roumanie, en Allemagne, en France — partout où ils peuvent agir — ils avancent vers une dictature libérale explicite. Nous l’avons compris trop tard. Maintenant, il y a un réel risque de guerre civile généralisée. Donald Trump, ayant compris à quoi il était confronté, a radicalement changé les règles de vote en Amérique: désormais, on ne peut voter qu’en personne, avec une pièce d’identité, pas par courrier et pas tout le monde, y compris les migrants illégaux, comme le voulaient les démocrates. Les républicains, ayant pris le pouvoir, le conserveront à tout prix ou ils seront finis — il n’y aura pas de prochaine élection. C’est une confrontation entre deux forces: les élites globalistes de Soros et les mouvements populaires disparates. Les mouvements populaires n’ont pas de plateforme ni d’idéologie unifiée.

En Moldavie, les gens votent contre l’usurpation du pouvoir, guidés par le bon sens, mais ils ne sont pas unis. Il y a de nombreux partis dont les dirigeants ne trouvent pas de dénominateur commun. Les régimes de Voronine et Dodon ont laissé passer leur chance, n’ayant pas reconnu la menace des structures de Soros, fondamentalement totalitaires, extrémistes et, dans la pratique, terroristes.

Animateur : Dites-vous que le pouvoir en Moldavie est déjà perdu pour l’opposition?

Alexandre Douguine : Oui, je pense qu’il est perdu, car il ne s’agit plus de démocratie. Celui qui détient le pouvoir décide de ce qui se passera ensuite. Si le pouvoir n’est pas pris et établi comme force dominante, comme les populistes européens veulent le faire — ce qui n’est pas acquis, cela peut mener à la guerre civile — rien ne changera. Les populistes américains, malgré leurs hésitations, ont gagné avec Trump. Celui qui prendra le pouvoir — élites globalistes ou forces populaires disparates — ne devra pas le rendre. Dans notre situation — jamais. Il existe de nombreuses façons de réprimer une opposition fragmentée. Le PAS a perdu 10% [note: plus haut il est dit « 10 sièges » ; ici Douguine semble parler de pourcentage ou de sièges — je reste fidèle au texte qui m'a été soumis pour traduction], mais ils ont le président et la majorité. Ils imposeront leur programme: ils entraîneront la Moldavie dans une guerre contre nous, l’annexeront à la Roumanie ou lanceront une opération en Transnistrie.

Animateur : Et concernant la persécution de l’opposition en cas d’une telle victoire — sera-ce possible?

Alexandre Douguine : Absolument. Ils ne libéreront pas Evghenia Guțul. Il s’agit d’un système totalitaire pour lequel il n’existe pas de lois. Ils savent parfaitement que deux forces opposées existent, et l’antagonisme entre elles grandit chaque jour. Celui qui détient le pouvoir devra s’y accrocher à tout prix. Nous avons sous-estimé l’ampleur de la menace.

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Lorsque la Moldavie avait un président amical et rationnel, Igor Dodon (photo), que je connais personnellement, nous avions l’opportunité de changer la situation. Mais nos illusions sur la démocratie occidentale se sont avérées plus fortes que celles de ses propres adeptes. Aujourd’hui, les derniers à croire encore à la démocratie occidentale, c’est nous, ici à Moscou. En Occident, plus personne n'y croit depuis longtemps. Seules subsistent les forces de la tradition — conservateurs, populistes. Nous sommes fragmentés, sans idéologie unifiée, mais il y a en nous une force, celle du peuple qui s’oppose aux élites.

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Souvenez-vous du parti de Huey Long (photo, ci-dessus), en Amérique au 19ème siècle, qui a essayé de donner une forme politique aux idées du peuple contre les élites. L’actuelle vague de populisme pourrait se cristalliser en une vision du monde conservatrice et multipolaire. Nous y travaillons, mais nous avons un retard catastrophique. Nous faisons face à des régimes libéraux-nazis qu’il faut renverser et déclarer illégaux. Nous avons réussi à le faire en Russie, grâce à Vladimir Poutine — ils ont été déclarés illégaux. Mais les réseaux d’influence subsistent, surtout dans l’éducation.

Partout, je rencontre le réseau ramifié des structures Soros qui imprègnent notre enseignement supérieur: bourses, critères de scientificité — tout suit leurs modèles. Nous essayons de créer une liste blanche de revues académiques exemptes d’influence globaliste, mais les structures toxiques sont partout.

En Moldavie, ils sont impuissants face à eux. Là-bas, le peuple est admirable: culture orthodoxe, gens sensés, mais ils sont divisés. Le parti Shor, le parti de Dodon, les communistes — ils sont tous différents, sans plateforme commune. Le bon sens est là, mais il est insuffisant dans la lutte contre l’idéologie de l'ennemi. Obsédés par le mythe de la démocratie libérale, nous avons raté le moment où nos forces étaient au pouvoir en Moldavie — elles n'étaient pas pro-russes, mais pro-moldaves, non sorosisées, elles étaient souverainistes. Voronine en était. Si nous avions gardé nos positions alors, en comprenant que le prochain gouvernement serait antidémocratique, truqué, avec une persécution totalitaire de la dissidence, il fallait agir de manière décisive, exclure du pouvoir les forces toxiques et extrémistes. Sinon, la guerre civile ou non-civile nous attend. Si, comme en Ukraine, ils prennent le contrôle de toute la société, cela deviendra une guerre contre le pôle qui incarne l’alternative au libéralisme.

Animateur : Vous avez dit « si ». Réussiront-ils ?

Alexandre Douguine : Ils ont déjà réussi. La Moldavie est sous leur contrôle. L’opposition existe, mais elle sera réprimée, achetée, détruite ou emprisonnée sous n’importe quel prétexte. Ils possèdent la Moldavie, et leurs actions futures, hélas, ne dépendent pas de nous. Nous avons perdu toute possibilité de contre-action, pour l'essentiel. L’espace post-soviétique nous échappe, sous nos yeux. Je ne sais pas qui en est responsable — tout cela demeure opaque ici, à Moscou.

Le président agit de manière irréprochable, mais ceux chargés de l’espace post-soviétique ont échoué. Ce n’est pas seulement mon avis. Je ne connais pas leurs noms, je n’ai pas enquêté, et il ne serait pas approprié de les nommer. Mais toute l’arc du monde post-soviétique s’est effondré. Dès qu'une fenêtre d’opportunité s’ouvre — nous la manquons. Des forces souveraines, et non globalistes, arrivent au pouvoir — nous les soutenons, certes, mais très faiblement. Quand l’Occident les harcèle, nous n’apportons pas d’aide dans les moments décisifs. Pas à pas, nous ne comprenons pas la gravité de ce qui se passe. Dans l’espace post-soviétique — en Moldavie, en Ukraine, en Biélorussie — la polarisation règne. Les globalistes soutiennent leurs gens, leur donnant carte blanche pour commettre de la violence, des agressions, pour promouvoir des idéologies nationalistes et néonazies. Ils interdisent ces idéologies chez eux, mais ici, le long de cette ceinture territoriale ex-soviétique, ils les cultivent, leur apportant un soutien politique, médiatique, militaire et économique, les utilisant pour rompre nos liens à des fins subversives.

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La Moldavie risque de devenir un nouveau front de guerre. Tout a changé de niveau. Il y a trente ans, nous avons laissé partir l’Ukraine — c’était un crime. Nous ne la récupérerons pas sans guerre, même pour un statut de neutralité. Il en va de même pour tous les pays de l’espace post-soviétique. Si nous n’avons pas assuré le contrôle de leur neutralité, ils deviennent un nouveau front de guerre. Nous savons que les Ukrainiens, de connivence avec Maia Sandu (photo, ci-dessus), prévoient une intervention militaire en Transnistrie pour couper cette enclave prorusse, la priver de tout rôle stratégique et préserver Odessa pour notre offensive du Sud. Du point de vue de la guerre, ils agissent rationnellement — ils prennent ce qu’ils peuvent. Ils font la guerre contre nous, installent des régimes dictatoriaux, falsifient les élections, piétinent les procédures démocratiques. Et nous, nous clamons que cela est antidémocratique, nous envoyons des notes à l’ONU, aux tribunaux des droits de l’homme. Cela ne sert à rien. Quel était l’intérêt de dire qu’Hitler violait les droits de l’homme? Cela lui était égal. Il était assez fort pour imposer sa politique en Allemagne et dans l’Europe occupée. Il en est de même avec le libéralisme.

Les libéraux ont pris le pouvoir dans l'Occident collectif. Avant Trump, ils contrôlaient totalement l’Amérique. Mais il y a eu une percée des forces populistes — sous les balles, comme pour Charlie Kirk, sous les tentatives d’assassinat comme contre Trump. C’est une guerre entre deux blocs: les élites libérales de Soros et leurs agents, y compris ceux qui agissent en Russie. Chez nous, ils ont été écartés de la politique — grâce à Vladimir Poutine — mais dans les domaines de la culture, de l’éducation, de la société civile, ils sont bien enracinés. Ce n’est que maintenant que la libération commence.

Je les rencontre partout — non seulement achetés par Soros, mais idéologiquement transformés en porteurs de la vision du monde libérale-globaliste, profondément enrôlés. Des peuples entiers, comme l’Ukraine sous un régime nazi, leur sont soumis. Une partie des Moldaves vote pour Sandu — oui, les élections sont truquées, les conditions inégales, mais il y a des gens qui votent quand même. Ils ont capturé une partie de notre peuple frère, orthodoxe et admirable, pénétrant les consciences, manipulant les âmes. C’est une véritable zombification, une propagande du globalisme et du libéralisme. Notre riposte, elle, n'est que sporadique.

Les Moldaves votent pour les partis d’opposition, veulent la paix, l’équilibre avec l’Europe et la Russie, rejettent l’usurpation, les gay prides, la perte de souveraineté. Mais ils sont impuissants tant qu’ils ne s’unissent pas. Il faut une idéologie, une politique décisive et proactive dans l’espace post-soviétique. La prochaine étape, c’est la guerre. Vous ne voulez pas de guerre? — alors il faut des transformations politiques radicales en Moldavie, en Arménie, en Azerbaïdjan, au Kazakhstan. Sinon, la guerre est inévitable — sous une autre forme.

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Animateur : Donc il y a encore des options en Moldavie ? Ou bien ne nous reste-t-il qu’à regarder et attendre que la Moldavie devienne l’Ukraine d’aujourd’hui ?

Alexandre Douguine : Si nous ne voulons pas la guerre ou une participation active à la vie politique de l’espace post-soviétique, nous n’avons pas le choix — d’autres prendront les décisions. Si Soros décide que la guerre est nécessaire, ils la déclencheront. Nous pouvons nous y opposer, mais ils provoqueront le conflit. Si nous n’intervenons pas de façon décisive dans les processus politiques de ces pays, ils le feront pour nous, supprimant les dirigeants souverainistes, en les tuant, en les emprisonnant, en les expulsant et en leur retirant leurs droits — cela se produit partout dans l’espace post-soviétique.

Soit nous nous engageons activement dans la politique de ces pays pour éviter la guerre, soit nous laissons tout à leur discrétion — alors il faudra se battre, et se battre jusqu’à la victoire, en s’emparant de territoires. Nous sommes dans une situation difficile, comme endormis, plongés dans les douleurs fantômes d’un monde qui n’existe plus.

Maia Sandu incarne un régime dictatorial totalitaire. Elle impose ses candidats tout en se cachant derrière l’image d’une petite demoiselle innocente. Soros dispose d’une nouvelle génération — les générations Erasmus, des figures stéréotypées, identiques, sans volonté, qui paraissent impuissantes et superficielles. Mais ce ne sont pas eux qui gouvernent; c’est un système dur de contrôle global, terroriste et radical-libéral qui règne.

Animateur : Il y a des informations complémentaires à vos propos : Moscou affirme que des centaines de milliers de Moldaves ont été privés de la possibilité de voter sur le territoire de la Russie, comme l’a déclaré Peskov au sujet des élections parlementaires dans la république.

Nous avons pour l’instant couvert la question moldave. Je propose de discuter des événements aux États-Unis. J’aimerais entendre vos commentaires sur les déclarations de Donald Trump et la situation qui s’est produite là-bas. Que s’est-il exactement passé ? Je vais le raconter à nos auditeurs. Dimanche dernier, dans l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours au Michigan, pendant l’office, une fusillade a eu lieu. Un homme de 40 ans, armé, a ouvert le feu sur les fidèles puis a mis le feu à l’église. Plus tard, l’assaillant a été neutralisé et l’incendie maîtrisé. Initialement, un mort et neuf blessés avaient été signalés, mais par la suite, on a appris qu’il y avait quatre victimes. Donald Trump a commenté cette tragédie en déclarant : « Cette épidémie de violence dans notre pays doit cesser immédiatement. » Il a écrit cela dimanche sur le réseau social Truth Social. Et voici ce qui m’intéresse: comment Donald Trump compte-t-il lutter contre cette épidémie de violence ?

Alexandre Douguine : Lorsque nous avons discuté de la Moldavie et de l’espace post-soviétique dans la première partie de l’émission, nous avons en réalité touché à la question essentielle. Le monde dans lequel nous vivons est un monde où la violence devient la force déterminante. Si vous ne l’exercez pas contre vos adversaires, eux l’exerceront contre vous. On aimerait trouver un moyen d’éviter ce dilemme, mais c’est impossible.

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Les principes libéraux, exposés dans la « Bible des libéraux » — La Société ouverte et ses ennemis de Karl Popper —, précisent clairement: il existe des ennemis de la société ouverte à gauche et à droite — des conservateurs à droite, des socialistes et des communistes à gauche. Pour que la société ouverte survive, elle doit frapper la première contre ces ennemis. Que signifie « frapper » ? Détruire, supprimer, neutraliser, décapiter, réprimer, appliquer la violence. Les libéraux considèrent cette violence comme nécessaire afin que les ennemis de la société ouverte ne frappent pas les premiers. Point. Nos aspirations bien intentionnées au dialogue, à la négociation, à la persuasion n’ont pas leur place dans ce modèle. Si nous n’attaquons pas, ils frapperont les premiers et nous détruiront pour construire leur "société".

La Russie est devenue un obstacle à leur État global et à leurs plans libéraux, alors ils ont provoqué cette guerre. Nous pouvons crier paix, amitié, démocratie et négociations jusqu’à l’épuisement — la guerre est inévitable. C’est la loi d’aujourd’hui. Cela s’applique aussi à nous. Si nous ne faisons pas preuve de fermeté, si nous n’utilisons pas la violence contre les partisans de la société ouverte, eux — théoriquement, pratiquement, infrastructurellement, idéologiquement — sont prêts à nous frapper. La question est de savoir qui détient le pouvoir d’exercer cette violence.

Je parle de la violence au sens large — pas seulement des meurtres, mais aussi des restrictions. Comment restreindre les terroristes? Comment restreindre les agents étrangers? C’est la pression de l’État. Celui qui est au pouvoir peut prendre l’initiative. Il se passe la même chose en Amérique.

L’arrivée au pouvoir de MAGA et de Trump est une révolution conservatrice affirmant des principes diamétralement opposés à ceux de Soros et de sa "société ouverte". La société ouverte prône la multiplicité des genres, l’importation de migrants illégaux, la dilution de l’identité nationale, la répression des religions traditionnelles, surtout le christianisme, et la négation du patriotisme de la majorité américaine qui a créé l’État, au profit des récits libéraux. Avant Trump, sous Obama et Biden, des forces étaient au pouvoir qui détruisaient l’identité américaine, promouvaient la multiplicité des genres, détruisaient tout. Les chrétiens — évangéliques, mormons, catholiques — sont devenus des cibles de violence et de persécution.

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Charlie Kirk, membre actif du mouvement MAGA et chrétien, a récemment été tué pour sa foi, son conservatisme et son attachement aux valeurs traditionnelles — à leurs yeux, il était un ennemi de la société ouverte.

Pour revenir à Popper: les libéraux disent — tuez l’ennemi de la société ouverte avant qu’il ne vous tue. Ils qualifient tout le monde de fasciste, de communiste, d'agent de Poutine, de nouveau raciste — n’importe quelle étiquette. C’est ainsi qu’ils procèdent. L’assassinat de Charlie Kirk a consolidé les forces populistes MAGA, mais en face il a aussi consolidé les libéraux. Leur réaction a été monstrueuse: ils ont jubilé. C’est comme les Ukrainiens qui célèbrent tout attentat contre le pont de Crimée ou leurs succès terroristes. Une personne innocente est tuée — et toute l’Ukraine exulte. Telle est leur essence. Ils ont le pouvoir, les médias, l’influence sur l’éducation. En Amérique, les blogueurs libéraux n’ont pas pu cacher leur joie: ils ont poussé des cris, ri, sauté, crié « Hourra ! Hourra ! » — un chrétien a été tué. Une telle attitude, présente dans une partie significative de la société américaine, est une incitation au terrorisme. Toutes les cibles deviennent des ennemis de la société ouverte, y compris les chrétiens.

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Animateur : Dois-je comprendre que, pour les démocrates, l’assassinat de Charlie Kirk est devenu la manifestation d’utiliser potentiellement la violence?

Alexandre Douguine : Exactement. Ils ont compris que c’est tout à fait possible, désormais, de faire usage de la violence. La presse démocrate, en particulier Jimmy Kimmel (photo), le célèbre animateur télé, l’a ouvertement soutenu. Trump a renvoyé Kimmel, mais il a été immédiatement réintégré sur ABC — et tout continue. Donc, de fait, c’est possible. Donc — il faut détruire l’ennemi. Trump fait un geste habile: réalisant que le pays s’enfonce dans une spirale de violences croissantes, il rétablit les cliniques psychiatriques. Les démocrates les avaient fermées, déclarant que les troubles mentaux étaient un choix libre, juste une « différence ». Du point de vue des principes DEI — diversité, équité, inclusion — les malades mentaux étaient assimilés aux bien-portants, et les institutions psychiatriques supprimées. Imaginez des millions de malades mentaux errant aux États-Unis? Ils ne sont pas enregistrés, on leur vend des armes, on leur donne des calmants et des drogues qui circulent presque sans contrôle. Les démocrates pratiquent des expériences monstrueuses sur les enfants, leur permettant de changer de sexe ou d'espèce dès le plus jeune âge: un enfant dit « je suis un chat » — et, poussé par des parents démocrates détraqués, on lui coud une queue, sans aucun contrôle médical.

Je suppose que Trump prend une mesure stratégique, en restaurant les cliniques psychiatriques pour assainir une société qui, sous les démocrates, a perdu la notion de normalité. C’est pour cela qu’ils tuent les chrétiens, les conservateurs, en criant « frappez le fasciste ! », ils attaquent quiconque ose ne serait-ce que critiquer modérément l’ordre existant. C’est une guerre civile psychiatrique, où des libéraux et démocrates devenus fous, élevés à la cancel culture, à la persécution et à la diabolisation des adversaires, agissent avec une extrême imprudence.

Des données récemment publiées montrent que 73% des sénateurs et représentants démocrates considèrent Trump comme un fasciste. S’il est fasciste, il est illégitime. Leur culture dit: tout fasciste, réel ou imaginaire, doit être détruit, ses partisans détruits à leur tour, les chrétiens détruits, les ennemis de la société ouverte détruits. Après 2020, dans les États contrôlés par les démocrates, il arrivait que des partisans républicains soient refusés à l’embarquement dans les avions.

Dans une telle réalité — avec les cliniques psychiatriques supprimées, l’accès libre aux armes, une campagne de haine contre des « fascistes » qui n’ont rien à voir avec le fascisme — on vous traitera de fasciste, pour un oui ou un non. Vous dites : « Je ne suis pas fasciste », mais leur logique est: vous êtes un crypto-fasciste et pouvez, en cette qualité, être tué. C’est ainsi qu’ils agissent, en qualifiant tous les ennemis de la société ouverte de fascistes. Les Ukrainiens, qui sont ouvertement nazis, font le sale boulot pour eux, tuant des Russes, et sont dès lors épargnés de l’étiquette de nazisme — ce sont des « enfants ». Leurs opposants, non liés au nazisme, sont déclarés fascistes — sur Wikipédia, ce qui ne peut pas être corrigé.

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Même Elon Musk a constaté que les mensonges, les calomnies et les insultes contre les adversaires idéologiques pullulent sur Wikipédia. Il a proposé des sommes énormes pour la renommer « crappypedia », car tout y est faux, mais les gens y croient. Essayez de la corriger — des censeurs libéraux remplacent l’information neutre par l’inverse si cela jette une ombre sur leur idéologie ou réhabilite des ennemis de la société ouverte. C’est cela, la dictature.

Comment arrêter cette violence? Trump a menacé d’engager une contre-violence dès le premier jour, mais il ne l'a pas lancée. Prenez James Comey, ancien directeur du FBI, qui a été convoqué sous mandat d’arrêt, mais qui peut, en utilisant la loi, ne pas se présenter pendant neuf jours — et il ne se présente pas, puis devient introuvable. Les partisans de MAGA disent: «Trump, tu as le pouvoir plein et entier». Aux États-Unis, le pouvoir présidentiel est légalement immense, malgré certaines limites. Il existe des moyens d’exercer ce pouvoir, d’arracher les racines du réseau libéral terroriste. Emprisonner George Soros, son fils Alexander Soros, qui a amené Maia Sandu au pouvoir — avec la secte anti-moldave, fondamentalement totalitaire, en Moldavie — le mettre en prison, et les résultats seraient différents. Mais Trump hésite. C’est une force puissante, et il comprend qu’il ne pourra peut-être pas y faire face. L’escalade de la violence aux États-Unis, qui augmente chaque jour, pourrait pousser les autorités à agir de façon décisive.

Nous, dans notre foi sacrée en la démocratie, nous nous trompons profondément. C’est le témoignage de notre naïveté, l’illusion que nous vivons dans un monde soviétique bienveillant où tout se décide par des accords et des procédures. Cela nous rend vulnérables, nous transforme en victimes. Ils nous tuent puis nous accusent de notre propre disparition, disant que nous l’avons mérité, et — la roue tourne.

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Trump sous-estime probablement la menace de la démocratie libérale. En Amérique, tout le monde croit à la démocratie, mais elle a cessé de fonctionner depuis longtemps. L’État profond, les élites libérales, en ont usurpé les instruments, les ont accaparés et ont privé le peuple de la capacité de s’en servir. C’est là la dictature idéologique des libéraux. Soit on applique des mesures sévères comme Trump le menace avec la loi RICO contre Soros. RICO est une loi contre la corruption profonde, introduite il y a des décennies, qui permet des mesures extraordinaires: arrestations, perquisitions, interrogatoires sans formalités, car la mafia et le racket avaient tellement pénétré le système que les méthodes ordinaires ne fonctionnaient plus. Trump menace d’utiliser RICO contre Soros et les globalistes, mais pour l’instant il ne fait que brandir le poing. Les documents, j’imagine, sont déjà en train de disparaître. Ils les changent d’endroit, effacent les données des ordinateurs, des disques, des téléphones — ils ne sont pas stupides.

La révolution conservatrice de MAGA est la seule façon de sauver l’Amérique de la guerre civile. La victoire de Trump n’est pas garantie. S’il perd, la violence s’intensifiera et le pays sera déchiré — non pas en deux Amériques, mais en dix ou vingt, comme pendant la guerre de Sécession. Les États-Unis cesseront d’exister. Si Trump gagne, il devra agir avec dureté, sans compromis, en tant que chef de la droite. Dans cette nouvelle guerre civile, la question sera de savoir si Trump et MAGA peuvent rassembler la majorité, ou si la minorité libérale, s’appuyant sur la terreur, pourra écraser la majorité conservatrice.

Nous assistons à une guerre civile mondiale. En Moldavie, l’illusion de la démocratie est utilisée pour détruire la démocratie. Nous devons comprendre que l’ordre mondial s’effondre et que la violence devient la norme, comme au 20ème siècle. Soit vous détruisez l’ennemi, soit il vous détruit. Tous les moyens sont bons. Les libéraux — au nom de la société ouverte — sont prêts à tuer, emprisonner, réprimer et détruire leurs adversaires. Ce n’est pas une métaphore, mais la réalité.

Animateur : Alexandre Guelievitch, merci pour vos réponses détaillées.

Alexandre Douguine : Merci à vous, meilleurs voeux de prospérité.

mercredi, 01 octobre 2025

Les sanctions et les droits de douane sont utiles. À ceux qui les ignorent

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Les sanctions et les droits de douane sont utiles. À ceux qui les ignorent

Enrico Toselli

Source: https://electomagazine.it/le-sanzioni-e-i-dazi-servono-a-...

Les sanctions sont sans aucun doute utiles. Elles renforcent ceux qui ne les imposent pas. Tout comme les droits de douane. Les exportations de viande bovine américaine vers la Chine ont atteint une valeur de 8,1 millions de dollars en juillet et de 9,5 millions en août. L'année dernière, leur valeur était respectivement de 118 et 125 millions de dollars.

Les Chinois sont-ils devenus végétariens ? Non, les exportations de viande bovine australienne ont atteint 221 millions de dollars en juillet et 226 millions en août. Soit une augmentation d'environ 80 millions par mois par rapport à l'année dernière. Les exportations de viande brésilienne vers la Chine ont également augmenté.

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Le problème pour les États-Unis est que la viande australienne coûte moins cher que la viande américaine et que les consommateurs chinois risquent de continuer à préférer la viande australienne même après un éventuel accord sur les droits de douane entre Washington et Pékin.

Cela vaut pour la viande bovine en Chine, mais aussi pour tout autre produit partout ailleurs dans le monde. Si les consommateurs russes s'habituent à des fromages « faux italiens » qui coûtent moins cher que les originaux, ils pourraient continuer à les acheter même après la fin des sanctions.

C'est pourquoi les sanctions sont contre-productives pour ceux qui les appliquent. Et seuls des idiots finis, ou de mauvaise foi, peuvent ne pas comprendre l'absurdité du chantage de Trump à l'Europe: les États-Unis imposeront des sanctions très sévères à Moscou si l'Europe cesse d'acheter du gaz et du pétrole à la Russie.

Et où l'Europe devra-t-elle s'approvisionner? Chez son allié américain, bien sûr. Au même prix? Bien sûr que non. Un peu plus cher. Seulement quatre ou cinq fois plus cher.

Ainsi, après avoir perdu le marché russe, l'Europe devra perdre encore plus de compétitivité sur la scène mondiale. Et les europhiles, bien sûr, ont dit OUI.

mardi, 23 septembre 2025

Pas de censure pour les amis de la censure! - Réflexions sur l’assassinat de Charlie Kirk et au-delà

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Pas de censure pour les amis de la censure!

Réflexions sur l’assassinat de Charlie Kirk et au-delà

Werner Olles

La cérémonie funéraire du militant conservateur Charlie Kirk, assassiné le 10 septembre par un « monstre d’extrême gauche » (selon le président américain Donald Trump), fut aussi émouvante qu’impressionnante. Plus de 100.000 citoyens y ont assisté, parmi lesquels Trump lui-même, le vice-président Vance et d’autres membres du gouvernement, ainsi que des représentants de premier plan du mouvement MAGA et du Parti républicain. L’assassinat de Kirk – commandité par l’élite globaliste, exécuté par un sympathisant de l’organisation terroriste d’extrême gauche « Antifa », dont l’interdiction est désormais, à juste titre, préparée par le président américain – a eu lieu selon le principe bien connu: « Punis-en un, éduque-en cent ! ».

En réaction aux commentaires haineux et écœurants dans les médias et programmes de gauche, qui ont diffamé Kirk à titre posthume en prétendant qu'il était un « prédicateur de haine », un « extrémiste de droite » et un « homophobe » – alors que celui-ci discutait ouvertement et sans réserve avec tous les courants politiques, et, en tant que chrétien évangélique profondément croyant, traitait même ceux qui étaient d’un avis radicalement opposé au sien avec respect et patience –, certaines mesures ont été prises, avec l’approbation du gouvernement américain, contre les calomniateurs et propagateurs de haine se réclamant d'une certaine gauche. Ils ont alors probablement ressenti pour la première fois de leur existence pourrie les effets de la « cancel culture » qu’ils avaient eux-mêmes inventée pour réduire à tout jamais au silence leurs adversaires classés, à tort ou à raison, à "droite".

Bien entendu, la télévision publique allemande, dont il faut payer la redevance sous contrainte, était également prise de panique voire d’effroi. On n’avait visiblement pas pu imaginer que la situation puisse un jour s’inverser si les choses changeaient comme aux États-Unis. En effet, les habituels « rats et mouches à merde » du petit univers médiatique (dixit Franz-Josef Strauß), nichés dans les médias publics, pro-antifa, ont de nouveau laissé libre cours à leur fondamentalisme hypertrophié se réclamant des "droits de l’homme" – tandis qu'ils sont soutenus par le prétendu syndicat allemand des journalistes (DJU). Un certain Elmar Theveßen accusa Kirk, contre toute évidence, d’avoir appelé ou applaudi à la combustion d’homosexuels, tandis que la célèbre Dunja Hayali feignit d’abord la compréhension avant de dénoncer Kirk, en substance, comme un «diviseur» et un «polarisateur».

Que retenir de tout cela ? L’Allemagne doit d’abord être reconstruite en reformant un peuple, une nation, un État, afin de mettre un terme à l’action de telles créatures, qui, serviteurs d’intérêts étrangers et hostiles, n’ont aucune notion de ce que signifient l’honneur, la dignité et la décence. Cette réforme de la société doit commencer par un retour planifié et énergique à la normalité, y compris la mobilisation et l’orientation de la majorité amorphe, exactement comme cela se passe aux États-Unis. La division de la société est donc nécessaire et inévitable, et elle doit surtout être sans compromis et porter sur les valeurs fondamentales.

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Lors de la cérémonie en hommage à Charlie Kirk, sa veuve Erika prit aussi la parole, et dans un discours bouleversant, elle pardonna, en tant que chrétienne croyante, au meurtrier de son mari et père de ses deux enfants. Cette grandeur d’âme rappelle, dans son humilité et sa foi profonde, la veuve de Benito Mussolini, Donna Rachele, qui, lors d’un dîner dans une trattoria romaine, fut observée par un groupe d’hommes à la table voisine. L’un d’eux finit par se lever, s’approcha d’elle et dit doucement: «Pardonnez-moi, Signora, mais en tant que partisan, j’ai été l’un des meurtriers de votre mari. Pouvez-vous me pardonner?». Donna Rachele le regarda longuement et en silence, se leva finalement, étreignit l’homme, fit un signe de croix et dit: «Je te pardonne, mon fils!».

Donald Trump, qui, contrairement à Charlie Kirk, bien qu’il l’ait admiré, n’est pas un conservateur particulièrement croyant mais plutôt un révolutionnaire conservateur, ne put se résoudre à cela lors de son discours lors de la cérémonie. Il assuma sa haine envers la gauche, les globalistes, les bandes terroristes de la mouvance Antifa, l’État profond et l’assassin de son ami Charlie. Comme pour tous les révolutionnaires et toutes les révolutions, il s’agit toujours de pouvoir, bien sûr aussi de vengeance – ce que beaucoup oublient malheureusement – et d’une transformation structurelle de la société. La métapolitique ne peut donc jamais être un but en soi, mais au mieux une des méthodes pour atteindre un objectif. Nous ignorons si Trump a lu Gramsci, Evola ou Carl Schmitt, nous pensons toutefois que c'est peu probable.

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Intuitivement, cependant, il a compris l’essentiel et refuse de mener des débats pseudo-intellectuels, qui se déroulent dans le vide au lieu de discuter et de fixer des contenus concrets et des objectifs précis. Ce qu’il envisage plutôt, c’est sans doute un État méritocratique, illibéral et basé sur la démocratie directe, une variante non totalitaire d’un autoritarisme qu'il nous faudra étudier sans la grever des virus gauchistes-libéraux et relevant de cette extrême gauche typiquement ouest-européenne, de ces maladies culturelles métastatiques en cartel avec un pouvoir dégénéré et un establishment gaucho-écolo-woke, prêt à tout crime pour conserver le pouvoir, même par la terreur, les assassinats et les trahisons de toutes sortes. Pour Trump, il semble donc évident que la droite révolutionnaire ne se laissera plus jamais imposer la censure, mais qu’elle la réservera dorénavant à ses ennemis mortels.

Après le lâche assassinat de Charlie Kirk, la situation est maintenant plus claire pour tous: la gauche et les libéraux, les globalistes et la canaille politico-médiatique à leur service sont prêts à tuer ou du moins à justifier et défendre à tout moment les meurtres commis par leurs compagnons de route. C’est bon à savoir, car – comme nous, les renégats de l'extrême-gauche, l’avons appris en 1967/68 – « Si l’ennemi nous combat, c’est bon et non mauvais ! » (Mao Tsé-Toung). Peut-on haïr cet ennemi ? Oui, car comme l’amour, la haine fait partie des émotions humaines normales. Certes, la loi chrétienne de l’amour s’applique, et Jésus lui-même haïssait le péché et non le pécheur, mais son combat visait aussi le mal personnifié. Qui ne parvient pas à la haine peut du moins mépriser nos ennemis, mais jamais les sous-estimer, car contrairement à nous, ils sont capables de commettre tout le mal imaginable.

Werner Olles

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La victoire de l’Ours, de l’Éléphant et du Dragon

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La victoire de l’Ours, de l’Éléphant et du Dragon

Alexandre Douguine

Animateur : Le sommet de l’OCS est sans doute l’événement numéro un, deux et trois, probablement, au monde aujourd’hui : du point de vue de la géopolitique, de l’économie, de la sécurité et de sa place dans l’espace médiatique. Selon vous, qu’est-ce qui prime dans ce cas, quand on commence à parler du sommet de Tianjin ?

Alexandre Douguine : Oui, c’est quelque chose de fondamental. Peut-être que ce sera précisément le point de bascule. En gros, le multipolarisme, tel qu’il est incarné dans l’OCS et les BRICS, repose sur trois piliers principaux: la Russie, la Chine et l’Inde. Trois États-civilisations incontestés. Trois pôles autonomes. Voilà ce qu’est le multipolarisme. Au départ, ce multipolarisme s’est construit prudemment, pourrait-on dire. L’idée était de le créer en dehors de l’Occident, mais pas contre l’Occident. Et si l’Occident l’avait accepté, on ne peut exclure qu’il aurait eu sa place dans ce monde multipolaire.

Mais ensuite est survenu un moment très intéressant. L’arrivée de Trump après Biden et les mondialistes, qui rejetaient catégoriquement le monde multipolaire et tentaient de préserver l’unipolarité, — Trump est arrivé avec un programme très complexe. D’un côté, il disait: je suis contre le mondialisme, je suis pour l’ordre agencé par les grandes puissances. On pouvait donc supposer qu’il s’intégrerait d’une certaine manière dans ce programme multipolaire, en essayant de maintenir le leadership des États-Unis, mais en renonçant aux plans mondialistes. Mais cela ne s’est pas produit. Trump a commencé à menacer les BRICS, à imposer de nouvelles sanctions, à poser des ultimatums à la Russie avec divers délais, à imposer des tarifs à tout le monde, et bien sûr, le point culminant a été l’imposition d’un tarif de 50% contre l’Inde parce qu'elle achetait prétendument du pétrole russe. En réalité, l’Occident achète lui-même ce même pétrole russe à l’Inde, et la Chine, qui achète également du pétrole russe, ne prête aucune attention aux menaces américaines, alors que Trump ne lui impose pas de tels tarifs élevés. Cela donne une image très contradictoire de la politique étrangère américaine. On a l’impression que l’Occident est en crise, d’autant plus qu’il y a des adversaires mondialistes qui sont contre Trump et contre le monde multipolaire, donc encore plus dangereux. Et Trump paraît osciller entre ce mal absolu et le multipolarisme. Un pas d’un côté, un pas de l’autre. Au début, il semblait qu’il accepterait, et même Marco Rubio a déclaré que nous vivions dans un monde multipolaire, que l’Amérique se fasse grande, que les autres rendent grandes l’Inde ou la Chine — on ne parlait pas de la Russie, mais en tout cas, pourquoi ne serions-nous pas de la partie? Ils se rendent grands, eux, et nous aussi, sans demander la permission à personne. Il semblait que ceci pouvait se passer pacifiquement. Mais ensuite, la situation a basculé: Trump a commencé à détruire cela, à saboter, à attaquer, à faire pression. Et là, une chose intéressante s’est produite: les tentatives de Trump — naïves, sporadiques, incohérentes — de détruire le monde multipolaire ont commencé à le renforcer.

Dans la structure du monde multipolaire, il existait des contradictions substantielles entre l’Inde et la Chine. Mais après l’introduction des tarifs contre l’Inde, que ne paient pas les Indiens eux-mêmes, mais ceux qui achètent les produits indiens en Occident, donc aux États-Unis — c’est-à-dire les contribuables américains, même si le volume des exportations va bien sûr diminuer —, l’Inde, en tant qu’État-civilisation souverain, ce que Modi souligne de toutes ses forces en parlant de la nécessité de décoloniser la conscience indienne, se voit obligée non seulement de se rapprocher de nous, ce qui se produit déjà, mais aussi de se rapprocher de son concurrent régional — la Chine. Modi n’était pas allé en Chine depuis six ans, et voilà qu’il vient au sommet de l’OCS, rencontre Xi Jinping. Il s’avère donc que Trump, en cherchant à détruire le monde multipolaire et en menaçant de nouvelles sanctions les pays qui refusent le dollar, contribue à sa formation, malgré lui. Plus il agit agressivement, plus les pays cherchant à promouvoir la multipolarité passent à des règlements dans leurs propres monnaies, plus ils se consolident. Si l’on ajoute à cela l’attitude scandaleuse de Trump envers le Brésil, on obtient un autre pôle important. Le Brésil ne participe pas à l’OCS, mais dans les BRICS c’est un pays clé. Le monde islamique et l’Afrique observent cela.

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Ainsi, le sommet de l’OCS met en lumière un détail important: la construction du monde multipolaire, la formation de nouveaux pôles civilisationnels souverains se déroule dans toutes les situations — aussi bien lorsque l’Occident n’y fait pas obstacle, en allégeant la pression, que lorsqu’il y fait obstacle. On peut comparer cela à la navigation à la voile. Ceux qui ont déjà dirigé un voilier savent qu’on peut aller vers le même but dans la même direction, quel que soit le vent. S’il est favorable, on positionne les voiles d’une façon; s’il est latéral, d’une autre; même un vent de face permet d’avancer efficacement vers l’objectif, si l’on est un bon marin.

Ainsi, Poutine, Xi Jinping et Modi démontrent une maîtrise brillante de l’art de la navigation. Quelle que soit la situation à l’Ouest, qui est déjà en train de s’effondrer, avec ses protestations internes, Trump ne donnant plus signe de vie depuis plusieurs jours — beaucoup en Amérique se demandent: que lui est-il arrivé? Lui qui ne passait jamais une journée sans publier sur les réseaux, sans prononce de discours, sans donner d'interview, et le voilà soudainement absent. L’Occident est en crise: tantôt certaines de ses composantes meurent, tantôt non, tantôt elles se tirent dessus, tantôt elles soutiennent les uns, puis les autres, créent des conflits et des guerres. Mais le voilier du monde multipolaire va vers son but, indépendamment de la tempête qui secoue cet Occident manifestement à la dérive. C’est très important d'en prendre bonne note.

Navarro1-file-sh-ml-240220_1708457652020_hpMain-1772157896.jpgAnimateur : Permettez une question en complément. Peter Navarro (photo), économiste et ancien conseiller de Trump, a récemment accusé l’Inde d’arrogance. Vous venez d’évoquer l’opposition. Il a déclaré, avec une assurance étonnante: pourquoi ne nous rejoignent-ils pas, ces Indiens? Pourquoi achètent-ils du pétrole russe? Etc. Ma question est la suivante: est-ce, selon vous, encore une incompréhension de la mentalité des Chinois, des Indiens, des Russes et de ces civilisations en général, ou bien s’agit-il d’une pression obstinée et délibérée, d’un vent contraire, quoi qu’il arrive ?

Alexandre Douguine : Si nous avions affaire à des mondialistes, c’est-à-dire à l’administration démocrate — Biden, Kamala Harris — ou aux politiciens qui tirent les ficelles en Europe, je répondrais sans hésiter: ils ne considèrent personne d’autre qu’eux-mêmes comme des sujets à part entière. Ils imposent leur propre programme, et tout ce qui s’en écarte doit, selon eux, être détruit, brisé, transformé, convaincu par la pression ou la tromperie. Tout doit se faire selon leur plan: il ne doit y avoir qu’un seul pôle — le pôle global, tous les autres doivent être dissous, les élites, surtout économiques, intégrées à la classe dirigeante globale, tout doit être monopolisé, contrôlé. Leur seule forme d’interaction avec l’Inde, avec nous, avec la Chine, est donc de dire et de répéter: "Rendez-vous!". Si vous ne vous rendez pas aujourd’hui, ce sera demain, si ce n’est pas demain, ce sera après-demain. Mais vous devez vous rendre, comprendre que, hormis l’idéologie libérale mondialiste, rien n’existe, il n’y a pas de souveraineté, pas d’intérêts régionaux, il n’y a qu’un sujet global du développement, une économie globale, le BlackRock global avec ses bulles et pyramides financières qui absorbent et détruisent l’économie réelle. C’était ainsi jusqu’à récemment, et dans une certaine mesure cela le reste.

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Mais quand Trump est arrivé, il a dit: j’agirai autrement. Lui et ses proches partisans — J.D. Vance, Elon Musk, Tulsi Gabbard, des gens du mouvement MAGA (Make America Great Again) — ont déclaré: le modèle mondialiste ne nous convient plus. Nous allons nous concentrer sur nos problèmes internes, renforcer l’Amérique comme un pôle autonome. Au début, il y avait des allusions, voire des formulations explicites: que les autres se débrouillent. S’ils veulent leur souveraineté, tant mieux, s’ils veulent mener leur propre politique, qu’ils négocient ou qu’ils s’opposent à nous. Nous saurons repousser les conflits, nous saurons apprendre à négocier. C’est un modèle tout autre. Le trumpisme, du moins au départ, reconnaissait la qualité de sujet (autonome) à l’Inde, à la Chine, à la Russie. D’où la volonté de mettre fin aux interventions, aux conflits, au financement d’organisations terroristes comme en Ukraine actuelle. Mais, à en juger par les neuf premiers mois de l’administration Trump, ils n’ont pas poursuivi cet objectif. Ils sont sans cesse ramenés à l’ancien mondialisme, via les néoconservateurs.

Par des gens comme Navarro — d’abord, il n’est pas porte-parole officiel, ensuite, Elon Musk disait qu’il n’y avait personne de plus stupide que Navarro dans l’entourage de Trump. Ils s’échangent des commentaires peu flatteurs, mais il y a des gens autour de Trump qui, sans être mondialistes, sont trop primitifs, pensent à court terme, dans l’immédiateté. Leur logique déstabilise à la fois le mondialisme et le trumpisme initial. Prenons l’anecdote du clignotant défectueux: un conducteur idiot demande à un autre, encore plus idiot, de vérifier si le clignotant fonctionne. Il répond: ça marche, ça marche pas, ça marche, ça marche pas. Navarro et ce segment de l’entourage de Trump raisonnent de la même façon — par cycles courts. S’ils étaient un peu plus intelligents, ils diraient: le clignotant fonctionne, il clignote, c’est son but. Mais eux évaluent la politique — vis-à-vis de l’Inde, de la Russie, de la Chine, du Venezuela, du Moyen-Orient, de l’Europe, du Brésil — selon le principe: ça marche, ça marche pas. Aujourd’hui amis, dans 15 minutes ennemis. Pour les mondialistes, si tu échappes à leur contrôle, tu es un ennemi, on te détruira, si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera plus tard. Les mondialistes agissent de façon cohérente, sans hésitation, cherchant à maintenir le monde unipolaire, empêchant l’émergence du multipolarisme. C’est le mal pur, une politique suicidaire, qui refuse de reconnaître la réalité. Mais au moins elle est cohérente. Les mondialistes corrompent les élites, détruisent les sujets politiques, fomentent des révolutions de couleur, déclenchent des guerres, diabolisent. Mais l’entourage de Trump n’agit de façon cohérente ni comme les mondialistes, ni comme ils l’avaient promis au départ. Cela provoque de la confusion, du désarroi, de l’embarras. Le comportement actuel de l’administration Trump, c’est de susciter de l’embarras, c'est ne faire ni l’un ni l’autre. Ni du pur mondialisme, ni le trumpisme crédible.

Animateur : Il y a donc une multipolarité interne — dans la tête de Trump.

Alexandre Douguine : Oui, cela y ressemble. De plus en plus de gens disent que cela frise le trouble psychique. Exemple du clignotant: aujourd’hui vous êtes amis, demain ennemis. À chacun on donne un délai: dans 10 jours, faites ce qu’on vous dit de faire. Dix jours passent, rien n’est fait, tout est oublié. Cela tangue, ça rappelle la bipolarité. Un pôle — le mal mondialiste, dont Trump semble se distancier, l’autre — la bonne voix: rends l’Amérique grande, cesse les interventions grossières dans les affaires internationales, comme le faisaient tes prédécesseurs. Mais ces voix se recouvrent. On a la sensation d’une personnalité divisée, d’une conscience incapable de se concentrer sur une seule ligne. Dès que Trump suit la bonne voix, la mauvaise se fait entendre, il retombe sur la ligne mondialiste. La deuxième voix dit: tu trahis tes intérêts. C’est, au fond, comme un marin débutant.

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Mais Poutine, Xi Jinping, Modi — ce sont des leaders qui pensent sur le long terme. Ils construisent non seulement la situation internationale, mais aussi les régimes politiques, les idéologies de leurs pays dans une perspective lointaine, au-delà de leur propre vie. Ils sont mortels, mais leurs actions créent un ordre mondial où il n’y aura pas d’alternative au multipolarisme et à la souveraineté civilisationnelle. Trump, lui, est un homme de passage, avec un ego immense. Il ne sait pas où mener l’Amérique, son navire. Il ne veut pas aller là où l’emmenaient les démocrates, mais il ne peut plus aller là où il l’avait promis à ses électeurs.

Animateur : Permettez une question philosophique. Le multipolarisme — si on poursuit la métaphore des navires — ce sont des navires différents. Ils sont construits différemment, ils ont des structures et des voiles différentes, tout diffère — sur le plan religieux, national, géopolitique. Selon vous, où doit se situer le point d’appui, quand on parle d’une telle union géopolitique globale de l’éléphant, de l’ours et du dragon, ces trois grandes puissances ? Sur quoi doivent-elles s’appuyer ?

Alexandre Douguine : Tout d’abord, le principe d’ennemi commun n’a jamais été aboli dans la stratégie mondiale. Et ce n’est pas tout à fait l’Amérique, c’est le mondialisme. Le monde unipolaire mondialiste est une menace concrète qui vise chacune de ces nations. Le dragon, l’ours et l’éléphant ont un ennemi commun, qui veut détruire chacun d’eux, supprimer la souveraineté civilisationnelle de ces pays, de ces civilisations. Sur ce point, face à une telle pression constante — sur nous, sans doute encore plus, puisqu’on nous a imposé une guerre contre notre propre peuple —, cet ennemi commun devient un facteur de cohésion.

De plus, nous sommes prêts à reconnaître le droit à la qualité de sujet de l’autre. Les trois pôles du monde multipolaire sont d’accord: s’il n’y a pas de christianisme en Chine, ce n’est pas grave, c’est leur tradition. Les Hindous estiment que l’absence d’hindouisme en Russie n’est pas un problème. Les Chinois sont sûrs que le confucianisme est pour un système fait pour eux, pas pour l’exportation dans le monde. C’est un aspect important de notre identité, de notre idéologie. Nous rejetons ce qui est imposé de l’extérieur, nous défendons nos paradigmes civilisationnels, mais nous ne les imposons pas aux autres. Cela nous distingue de notre ennemi commun.

L’Occident collectif et mondialiste veut imposer à la Chine, à l’Inde, à nous sa propre vision. Ils ne nous écoutent pas. Notre christianisme orthodoxe ne doit pas exister, pas plus que l’hindouisme ou le confucianisme. Il doit y avoir la promotion des LGBT (interdite en Fédération de Russie), la migration, l’individualisme, l’idéologie des droits de l’homme, Greta Thunberg, l’écologie. Et, bien sûr, BlackRock doit tout diriger. Nous rejetons cela tous ensemble, mais nous n’imposons même pas à nos ennemis notre propre modèle. C’est la différence fondamentale entre la philosophie du multipolarisme et celle du mondialisme.

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Animateur : Parlons de l’Organisation des Nations unies. Vladimir Poutine l’a évoquée dans une interview à l’agence de presse chinoise Xinhua, avant même le début du sommet de l’OCS. La Russie plaide pour une réforme de l’ONU, pour l’intégration des pays du Sud global. Première question, étant donné que le sujet est vaste: quel est, à votre avis, l’anamnèse et le diagnostic de l’état actuel de l’ONU, et une réforme globale est-elle possible dans les conditions actuelles ?

Alexandre Douguine : Il faut faire un bref retour historique. L’ONU est née à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, une époque de vainqueurs et de vaincus. Parmi les vainqueurs, il y avait des forces principales et des forces périphériques. L’ONU est une structure créée par les principaux vainqueurs. En fait, c’est ce qu’on appelle le monde de Yalta, où tous sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres, tous sont souverains, mais pas vraiment.

En réalité, deux blocs de vainqueurs étaient véritablement souverains: l’Occident capitaliste, qui a vaincu l’Allemagne nazie, et l’Est communiste. Cette structure, y compris la représentation des pays au Conseil de sécurité de l’ONU, reflète cet état de fait. Progressivement, à mesure que les blocs oriental et occidental se sont popularisés, un troisième pôle a émergé — le Mouvement des non-alignés, où l’Inde a d’ailleurs joué un rôle important. Mais la situation n’était pas équitable: le troisième pôle oscillait et naviguait entre le pôle communiste et le pôle capitaliste. En réalité, tout était déterminé par l’équilibre des forces entre le communisme et le capitalisme. Voilà ce qu’était l’ONU.

20190718-Andrej-Gromyko-100~_v-gseagaleriexl-1247489507.jpgLa structure du droit international reflétait l’équilibre des forces des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. L’Allemagne et le Japon n’y figuraient pas du tout — ils étaient considérés comme des territoires occupés faisant partie de l’Occident capitaliste, et c’est tout. Il n’existait pas d’autres pôles. L’Union soviétique représentait un vrai pôle à part entière. On disait de Gromyko (photo), ministre des Affaires étrangères de l’URSS — qu'il était «Monsieur Non»: car à tout ce que proposaient les capitalistes, il répondait non, chez nous, socialistes, marxistes, l’avis est autre. À chaque thèse correspondait une antithèse, mais la possession de l’arme nucléaire et une certaine parité des armements, surtout stratégiques, excluaient un conflit direct. Les conflits se déroulaient via des guerres par procuration — en Corée, au Vietnam, en Afrique, en Amérique latine. Certains soutenaient un pôle, d’autres l’autre. Le droit international reflétait cet équilibre de forces.

À strictement parler, il n’existe pas de vrai droit international — c’est une illusion de le croire. Il y a ceux qui pouvaient faire quelque chose, et ceux qui ne le pouvaient pas. Entre ceux qui avaient réellement du pouvoir — les souverains —, un accord se nouait dans un système bipolaire, et tous les autres étaient contraints de s’y plier. Voilà ce qu’était l’ONU. Quand l’Union soviétique est tombée, l’un des pôles du système international s’est auto-dissous, s’est évaporé. Dans les années 1990, souvenez-vous de notre politique: nous disions que nous n’avions plus de souveraineté, que l'Occident, lui, était souverain, que nous suivions son sillage, que nous faisions partie de la civilisation occidentale, de la Grande Europe, que nous n’étions plus l'antithèse de l'Occident.

L’Occident alors envisageait de créer une Ligue des Démocraties: pourquoi maintenir ce résidu d’un monde bipolaire, cette chimère, ce membre fantôme? Construisons un système unipolaire, où nous établirons les règles de l’ordre libéral, la fin de l’histoire, l’hégémonie mondiale de l’Occident, et tous les autres devront s’y plier. C’est cela, la Ligue des Démocraties. Mais nous avons résisté un peu, et d’autres pays ne voulaient pas non plus reconnaître officiellement leur statut de vassaux dans ce modèle unipolaire, et l’ONU a ainsi survécu jusqu’à aujourd’hui. Maintenant, nous avons un autre système — ni bipolaire, ni unipolaire comme dans les années 1990, mais multipolaire. C’est la troisième grande configuration. L’ONU ne nous convient plus, car elle reflète encore l’inertie du monde bipolaire et le renforcement du monde unipolaire.

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Poutine a accusé l’ONU d’avoir été prise en main par les partisans du mondialisme, qui refusent de reconnaître d’autres facteurs. L’ONU en elle-même n’est pas une panacée. Le monde multipolaire que nous construisons à travers l’OCS, les BRICS, et d’autres structures, qui sont justement polycentriques, doit devenir le prochain modèle du droit international. Dans la définition de ce qui est bien ou mal, doivent participer l’Occident, nous, les Chinois, les Indiens, les Latino-Américains, les musulmans, les Africains. Voilà ce qu’est le droit international. Si chacun de ces pôles détient une puissance suffisante — économique, militaire, idéologique, diplomatique, industrielle —, alors ce pôle pourra affirmer: je considère que c’est ainsi. Nous ne pouvons pas revenir au système de Westphalie, où chaque État reconnu est souverain — cela n’a jamais réellement fonctionné. Déjà il y a cent ans, au 20ème siècle, les pays étaient répartis en blocs. Il y avait encore le bloc fasciste, mais là non plus, les États individuels n’étaient pas souverains — ils s’effondraient dès que la main d’Hitler s’abattait sur eux. Idem pour notre bloc de l’Est et pour l’Occident global. Après la chute de l’Europe hitlérienne, il restait deux pôles, et il n’y avait plus d’États-nations. Comme l’a bien remarqué Krasner, spécialiste des relations internationales, la souveraineté est une hypocrisie.

Nous comprenons que certains États ne sont pas souverains, mais à l’ONU, leur voix pèse autant que celle de la Chine ou de l’Inde. C’est une parodie, une farce. Ceux qui sont réellement forts et capables de défendre leur souveraineté doivent établir les règles du droit international. L’Occident veut que ce soit seulement lui. Cela ne nous convient pas. Le droit international de demain doit se construire sur les principes du multipolarisme, vers quoi nous tendons. Ce sommet est lié à cet objectif. Pas à pas, d’une démarche assurée et d’acier, les trois grandes puissances bâtissent un monde multipolaire, que d’autres rejoignent. Certains courent vers l’Occident — inutile de montrer du doigt nos anciens amis qui se sont éloignés. Mais beaucoup de pays choisissent le nouveau droit international fondé sur le multipolarisme.

Animateur : D’après votre réponse, la question suivante s’impose. Nous voyons le système des grandes organisations internationales — l’UNESCO, l’AIEA, l’OMC, le CIO, l’OMS, et d’autres. Toutes montrent aujourd’hui leur inefficacité, sont critiquées, surtout l’AIEA, qui, comme on le constate, n’arrive pas à résoudre le problème nucléaire iranien et se trouve toujours à la remorque. Au final, on dirait que les organisations globales deviennent subordonnées à certains blocs. Là où le bloc Russie-Chine-Inde est fort, c’est lui qui dirige l’organisation, sans plus tenir compte de Vanuatu ou du Cap-Vert.

Alexandre Douguine : Vous avez tout à fait raison, mais le fait est que tous ces soi-disant instituts globaux que vous avez cités n’obéissent en réalité qu’à un seul bloc. Ils sont inefficaces parce que l’Occident est devenu inefficace. Ce sont des instruments de l’hégémonie occidentale. Ils ne satisfont plus ceux qui ne sont plus satisfaits par l’Occident. C’est tout. Ce ne sont pas des organisations mondiales, elles n’en ont que le nom. Ce sont des proxies occidentaux. L’Occident et ses représentants dans d’autres pays, la Banque mondiale, l’OMC — tout est construit sur la base des intérêts de l’Occident. Dès que quelque chose ne plaît pas à l’Occident, comme la Chine qui a appris à jouer selon leurs règles et les bat à leur propre jeu, ils changent aussitôt les règles, imposent de nouvelles exigences. Peut-être que Trump a été soutenu, y compris par l’État profond, parce qu’on comprend qu’il faut changer quelque chose. Mais ni les mondialistes, ni Trump ne sont d’accord pour créer un modèle multipolaire juste, et tout est donc bloqué à ce niveau.

Il est nécessaire de construire des structures internationales, des systèmes, des organisations, peut-être des centres missionnaires ou des règles de coopération économique, qui s’appuieront sur nos intérêts souverains. Les pays des BRICS, de l’OCS, les partisans du monde multipolaire ont la chance de créer de véritables systèmes internationaux, soutenus par leur propre souveraineté. C’est vers cela que nous allons. Les structures internationales existantes sont des vestiges du monde unipolaire. Il est révélateur que Trump l’ait compris, menaçant de sortir de l’ONU, de l’OTAN, de l’OMS, de l’OMC. Chaque jour, nous entendons de ce côté-là de l’océan des menaces de retrait de ceci ou de cela. C’est devenu trop évident. Quand une partie se fait passer pour le tout, c’est de la contrefaçon, de l’imposture, et la supercherie devient flagrante. Ces organisations sont le prolongement des services secrets occidentaux, et il n’est donc pas étonnant qu’on ne leur fasse plus confiance. Les nouveaux instituts doivent être créés par ceux qui partagent la vision d’un monde multipolaire.

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Et l’Occident alors ? Qu’il accepte nos règles — pas seulement celles de la Russie, de la Chine ou de l’Inde, mais des règles de consensus. Si l’Amérique veut redevenir grande, elle doit reconnaître l’inévitabilité du multipolarisme. La question est celle de la coordination et du concert de ces civilisations, où l’Amérique et l’Europe, si vous voulez, trouveraient leur place. Mais avec les dirigeants européens actuels, cela ne marchera pas. Ils seront balayés. Ursula von der Leyen, Macron, Starmer, Merz — ce sont les pions d'un gouvernement d’occupation mondial, qui ne respecte pas ses peuples. Ils les traitent pire que les autres. C’est une élite d’occupation. Je pense que les peuples d’Europe — d’Angleterre, de France, d’Allemagne —, lors de soulèvements, lascèreront littéralement ces élites, comme avant, lors des révolutions. En Amérique, la société, Trump et ses partisans montrent qu’ils comprennent la nécessité de sortir de la situation actuelle par d’autres moyens. Dans l’idéologie MAGA, il y a théoriquement la possibilité de participer au concert des pôles mondiaux. Tulsi Gabbard, chef des services de renseignement américains, a décrit à plusieurs reprises comment les États-Unis pourraient s’intégrer dans le monde multipolaire à des conditions privilégiées, en créant de nouveaux instituts internationaux justes, reflétant les intérêts de tous. Il pourrait y avoir des conflits, de la concurrence, mais la Russie, l’Inde, la Chine montrent déjà comment parvenir au consensus. C’est important.

Animateur : En partant de votre réponse, parlons d’intégration. Le sommet de l’OCS a uni le Sud global, mais il s’agit maintenant non pas tant de cela que du défilé militaire et de la célébration du 80ème anniversaire de la victoire sur le Japon. Les États-Unis étaient un acteur clé du théâtre d’opérations du Pacifique, et la capitulation fut signée à bord du cuirassé Missouri. Ils sont membres à part entière non seulement de la coalition anti-hitlérienne, mais aussi de la coalition anti-japonaise. Ma question: l’absence de Trump et de l’Amérique à cette célébration, leur exclusion, ainsi que le silence de Trump sur le sommet de l’OCS — est-ce une erreur de l’Amérique, une action délibérée de l’OCS ou, avant tout, de la Russie et de la Chine ? Comment évaluez-vous ce vide du point de vue américain ?

Alexandre Douguine : Tout d’abord, contrairement à nos adversaires, nous reconnaissons la justesse historique et la contribution de l’Amérique à la victoire sur Hitler et sur le Japon militariste. Nous ne le nions pas. Notre mémoire est juste. Nous nous souvenons que ce sont eux qui ont bombardé Hiroshima et Nagasaki, mais nous leur rendons hommage: dans ce conflit, ils étaient de notre côté. De notre côté, il n’y a eu aucune démarche agressive pour exclure les Américains. Je suis convaincu que c’est leur choix. Ils ne veulent pas avoir affaire au monde multipolaire. Ils voient la Chine, l’Inde, la Russie gagner en puissance, résister sans faiblir aux tarifs et à la pression dans la nouvelle et capricieuse manière d'agir de Trump. Il n’a rien à dire. Frapper du poing sur la table ou lancer une roquette ne marche plus, il doit donc ravaler son agressivité.

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Depuis quelques jours, on a l’impression que la santé de Trump laisse à désirer. Peut-être s’est-il surmené. Alex Jones l’a prévenu : Monsieur le Président, vous avez l’air étrange, votre discours, votre logique… C’est toujours Trump, mais un peu différent. Des rumeurs circulent sur une situation encore plus grave. Nous ne lui souhaitons pas la mort, plutôt un prompt rétablissement. Nous sommes justes même envers nos ennemis. Trump n’est pas le pire qui puisse nous arriver. Il n’a pas pu garder la confiance de beaucoup, a échoué sur de nombreux fronts. Cela pourrait tourner au cauchemar pour les relations internationales, ce n’est pas à exclure. Mais humainement, l’absence de ce vieux dirigeant ne nous réjouit pas. Qu’il se rétablisse, divertisse l’humanité et intègre l’Amérique dans le monde multipolaire, même contre sa volonté. Il est en train de le faire. Nous sommes prêts à composer avec les deux visages de Trump. Si le vent contraire continue, s’il poursuit sa politique de destruction à la façon d'un éléphant dans un magasin de porcelaine, cela ne nous empêchera pas d’avancer vers notre but. S’il cesse de s’opposer, tant mieux — nous sommes prêts à tendre la main et l’intégrer aux BRICS. Si tout peut se résoudre pacifiquement — parfait. S’il faut poursuivre l’affrontement ou aller vers l’escalade, ce n’est pas notre choix, mais nous sommes prêts. Nous devons répondre à une seule question: comment garantir nos intérêts, renforcer la souveraineté et construire un monde multipolaire. Personne ne doit en douter. C’est la stratégie de notre État. Nous avons choisi cette voie fermement et nous n’arrêterons pas avant la victoire finale.

Comment se comporteront les États-Unis ou d’autres acteurs mondiaux ? — S’ils acceptent le monde multipolaire, ce sera le meilleur scénario. À Anchorage, nous étions proches d’un accord, puis nous nous sommes éloignés. S’ils ne l’acceptent pas, nous combattrons, nous défendrons nos positions. Nous combattons en Ukraine le modèle unipolaire, l’Occident collectif. Tout le monde le comprend. Nous gagnerons — par la paix, si possible, ou par la guerre, mais nous ne dévierons pas de notre chemin. L’élection même de Trump montre qu’ils doutent de la voie mondialiste. Ils ont choisi un homme qui promettait le contraire. Il n’a pas tenu ses promesses, il a reculé. Mais il lui reste trois ans. Nous pouvons voir arriver beaucoup de choses encore. L’essentiel, c’est de miser fermement sur nous-mêmes, sur la Grande Russie, sur notre victoire, notre liberté et notre indépendance.

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La misère de l’atlantisme

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La misère de l’atlantisme

Santiago Mondejar Flores

Source: https://posmodernia.com/la-miseria-del-atlantismo/

Étant donné que le plus grand consommateur de produits relevant de la «légende noire» semble être, de loin, le public espagnol, il ne devrait pas surprendre que la célèbre boutade d’Arturo Pérez-Reverte — selon laquelle les Espagnols se seraient trompés de Dieu à Trente — soit rapidement devenue, dans certains cercles, un quasi-dogme, de ceux que Roger Scruton a qualifiés d’«oikophobes» (qui répudient leur propre héritage et leur foyer ethno-géographique)¹.

Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins surprenant de constater le mélange d’indolence intellectuelle et de crédulité de ceux qui reprennent sans examen l’affirmation du romancier et académicien selon laquelle, à Trente, l’Espagne aurait choisi un Dieu autoritaire et rétrograde au lieu d’un Dieu progressiste, comme ceux du nord de l’Europe, et que ce choix nous aurait installés dans la soumission, le retard, l’analphabétisme et la répression.

Car la réalité, c’est que, tandis qu’aux Pays-Bas et en Angleterre proliféraient les techniciens, les financiers et les marchands, l’Espagne, à son âge d’or (c’est-à-dire après 1492), comptait un nombre notable d’académiciens, grâce à l’essor des universités et des collèges majeurs aux 15ème et 16ème siècles, ce qui a permis un développement remarquable des théories du droit international et du droit commercial, sans oublier les travaux fondamentaux de la disputatio métaphysique, l’un des piliers de l’apogée culturel du Siècle d’or qui a fait essaimé dans toutes l’Europe quantité d’imitateurs de la littérature espagnole, comme Molière².

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Comme l’a finement observé Miguel de Unamuno (photo) : «Cela ne sert à rien d’y revenir, notre don est avant tout un don littéraire, et tout ici, même la philosophie, devient littérature… et si nous avons une métaphysique espagnole, c’est la mystique… est-ce mauvais, est-ce bon ? Pour l’instant, je ne tranche pas, je dis seulement que c’est ainsi. … et comme il y a, et doit y avoir, une différenciation du travail spirituel tout comme du travail corporel, tant chez les peuples que chez les individus, il nous a été attribué cette tâche»³.

Bien sûr, dans un pays où la francisation est une institution nationale, il est commode et tentant de recourir à l’argumentaire de Max Weber exposé dans son «Éthique protestante et l’esprit du capitalisme», et de réciter sans y penser deux fois les louanges de l’éthique protestante et la promotion de valeurs telles que l’autodiscipline, le travail méthodique et l’accumulation rationnelle de la richesse⁴, même si, malgré le fait d’avoir choisi le même Dieu que l’Espagne à Trente, Venise et Gênes disposaient déjà, du 12ème au 15ème siècle, de systèmes financiers avancés, de réseaux commerciaux internationaux et d’une culture économique fortement développée, tout comme Florence, la Flandre, la Bavière, la Rhénanie et le Bade-Wurtemberg.

Un chapitre à part concerne le mythe de la tolérance religieuse réformée, sous l’égide duquel le principe du cuius regio, eius religio fut instauré dans les territoires luthériens du Saint-Empire romain germanique, autorisant les princes allemands à imposer leur foi à tous leurs sujets, comme ce fut le cas en Saxe et en Hesse, où les catholiques furent persécutés et leurs églises fermées après la consolidation du luthéranisme ; les ordres religieux furent supprimés et les monastères confisqués pour renforcer le pouvoir politique et financier des princes locaux.

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Pour sa part, Calvin (portrait) instaura un régime de surveillance théologique qui régulait aussi bien les actes liturgiques que la morale privée, l’intolérance doctrinale et l’élimination de la dissidence étant la norme dans sa république théocratique⁵. Et que dire d’Oliver Cromwell, leader puritain anglais, sous le Protectorat duquel eut lieu la sanglante répression religieuse en Irlande, où les biens de l’Église catholique irlandaise furent confisqués, les églises catholiques profanées et pillées (avec une brutalité qui rappelle le modus operandi de l’État Islamique à Palmyre).

Le paroxysme puritain culmina dans des massacres incluant des exécutions arbitraires de catholiques. De plus, son régime abolit les théâtres, imposa des normes morales rigoristes et subordonna la vie civile aux diktats de la religion protestante⁶.

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Pourtant, c’est bien cette variété particulière du protestantisme qui, au final, imposa sa mentalité à l’échelle globale : après avoir trouvé refuge aux Pays-Bas en 1608 à cause du rejet dans leur terre natale, la faction la plus radicale des puritains séparatistes anglais partit vers l’Amérique du Nord en 1620, s’établissant dans le Massachusetts. Ces colons, et ceux qui allaient bientôt suivre, n’étaient pas nécessairement les plus cultivés d’Europe, mais les plus audacieux : radicaux dans l’action plus que dans la réflexion, ils méprisaient le passé et vénéraient l’avenir, de sorte que cette orientation temporelle vers le futur devint progressivement l’épine dorsale du caractère national américain.

La confiance dans la nouveauté, plus qu’une vertu individuelle, est le produit d’une pression sociale : l’esprit nord-américain exige enthousiasme, adaptabilité et optimisme, et tolère peu la mélancolie, la nostalgie et l’introspection qui flottent toujours dans l’atmosphère des cafés européens.

Pourtant, cet optimisme peut devenir religieux, chargeant d’un sens quasiment sacré l’économie, la famille, les rites sociaux et même le sport : il idéalise plus qu’il ne questionne, se protégeant du doute par des certitudes fonctionnelles, reflet d’un caractère forgé dans l’immensité d’un territoire sauvage ; aussi libre qu’incertain, où l’Américain, détaché des traditions européennes, construisit son identité dans un vide physique et moral. Cette vastitude, géographique et morale, favorise l’expérimentation et le pragmatisme, mais exige l’action pour leur donner sens : sa culture de masse méprise le loisir contemplatif, privilégiant utilité, rapidité et impact.

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Les arts et la pensée se subordonnent ainsi à l’efficacité, et l’idéalisme, mesuré en résultats quantifiables, devient statistique, ce qui, à son tour, a généré un matérialisme moral valorisant le quantitatif au détriment du qualitatif. En conséquence, et faute d’une tradition spéculative, en Amérique du Nord, le spirituel est devenu fonctionnel⁷.

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Lorsque Tocqueville voyagea en Amérique dans les années 1830, il n’observa pas seulement une expérience politique nouvelle, mais une spiritualité idiosyncratique. Contrairement au modèle européen, où la religion s’entrelace avec le pouvoir politique ou fait l’objet de conflits sécularisateurs, aux États-Unis la religion se révèle comme une force sociale autonome, profondément influente dans la vie civique.

Tocqueville identifia cinq caractéristiques fondamentales de la relation entre religion et démocratie aux États-Unis: premièrement, la religion — particulièrement dans sa forme protestante, sobre et éthique — sert de fondement moral à la liberté, offrant un cadre de vertus civiques qui renforcent l’autodiscipline et limitent les excès de l’individualisme libéral; deuxièmement, la séparation entre l’Église et l’État, sans impliquer une rupture entre religion et société, permet à la foi de conserver sa vitalité sans être absorbée par le pouvoir politique ; troisièmement, le pluralisme religieux et la tolérance, loin de fragmenter le corps social, favorisent un consensus tacite sur le rôle moral de la religion ; quatrièmement, le pragmatisme spirituel, orienté vers la vie quotidienne et éloigné des disputes dogmatiques, confère à la religion un caractère fonctionnel et pratique ; et enfin, l’engagement communautaire, où les églises agissent comme des acteurs sociaux assurant un certain équilibre entre liberté individuelle, moralité publique et cohésion sociale⁸.

Pourtant, plus récemment, il a émergé dans la sphère évangélique américaine un totum revolutum, prenant la forme d’un syncrétisme théologico-politique qui amalgame le dispensationalisme eschatologique, le pentecôtisme charismatique et un nationalisme chrétien militant, constituant une matrice religieuse structurellement analogue à l’ébionisme judéo-chrétien des premiers siècles, ce qui représente un tournant dans l’imaginaire religieux américain, remplaçant en grande partie le pragmatisme moral tocquevillien par une théologie de l’anticipation apocalyptique⁹.

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Cette convergence produit une synthèse eschatologique contemporaine qui interprète l’histoire comme un combat cosmique entre le Bien et le Mal, dans lequel certaines nations sont conçues comme des instruments privilégiés de la volonté divine. Son axe central, le dispensationalisme, fut conçu au 19ème siècle par John Nelson Darby (illustration, ci-dessus) et diffusé largement par la Scofield Reference Bible, qui présente une lecture littérale de la Bible avec des interprétations partiales, divisant l’histoire en « dispensations » et accordant à l’Israël ethnique un rôle central dans l’accomplissement des temps, ce qui justifie un sionisme chrétien inconditionnel et une vision apocalyptique de la politique internationale.

De son côté, le pentecôtisme, initialement marginal et apolitique, a évolué vers des formes de néo-pentecôtisme nationaliste qui interprètent la politique comme un champ de guerre spirituelle, promouvant un littéralisme biblique radical et une morale réactionnaire⁹.

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Ces éléments convergent dans le nationalisme chrétien, une doctrine qui sacralise l’identité nationale, prône la subordination de la loi civile à la « loi de Dieu » et postule une mission eschatologique pour certaines nations appelées à conduire la bataille contre les forces du mal, retrouvant un ordre moral supposément perdu. Cette configuration théopolitique présente des analogies structurelles surprenantes avec l’ébionisme des 1er au 4ème siècles, dans des aspects tels que la centralité du messianisme littéral, la normativité de la loi religieuse, l’élection d’un peuple comme axe du plan divin, la fusion entre foi et identité nationale et le rejet de l’universalisme pluraliste.

Ainsi, bien que séparés par des siècles et des contextes doctrinaux différents, l’ébionisme ancien et ce sionisme chrétien contemporain partagent une logique commune : l’intégration de la religion, de la morale et de la nation à travers une eschatologie combative et providentialiste, qui redéfinit profondément le rôle de la foi dans la sphère publique et reconfigure le sens même de la nation, de l’histoire et du salut⁹.

Tout cela a inséré la spiritualité américaine dans un cadre théopolitique global. Si Tocqueville admirait la capacité de la religion à contenir le matérialisme, ces nouvelles interprétations évangéliques tendent à utiliser la foi comme une lentille d’interprétation de la géopolitique mondiale, en plus de donner lieu à des dérives religieuses telles que la « théologie de la prospérité » du pentecôtisme, qui renverse le rôle de la religion comme frein au matérialisme, interprétant la richesse comme un signe de bénédiction divine¹⁰.

La spiritualité nord-américaine contemporaine a donc connu une profonde métamorphose, qui constitue, au fond, une réponse à la complexité sociale, démographique et culturelle de l’Amérique contemporaine : urbanisation, migration, mondialisation, sécularisation et polarisation politique. La spiritualité n’est plus simplement un support moral de la démocratie, mais un champ de bataille symbolique où se disputent le sens du bien commun, l’identité nationale et le futur politique de la nation.

Comme nous pouvons le constater dans le cas du conflit Israël-Iran, certaines lectures et rhétoriques bibliques (par exemple, voir l’interview de Tucker Carlson avec le sénateur Ted Cruz du 18 juin 2025) peuvent agir comme des forces performatives dans la politique internationale. Il ne s’agit pas seulement du fait que les croyants attendent l’accomplissement de la fin des temps, mais aussi qu’ils peuvent agir de manière à le provoquer ou à l’accélérer. L’eschaton, ainsi compris, cesse d’être un avertissement prophétique pour devenir une directive géostratégique.

La théologie dispensationaliste et ses dérivés articulent une vision eschatologique dans laquelle le conflit entre Israël et l’Iran et la reconstruction du Troisième Temple sont des éléments fondamentaux pour l’accomplissement du plan divin. Cette vision du monde, en devenant moteur de la politique étrangère et de la défense, configure un scénario où les croyances religieuses influencent directement la géopolitique contemporaine, ce qui n’a pas seulement des conséquences de grande portée pour la stabilité régionale et globale, mais vide le volontarisme atlantiste européen du contenu qu’il a pu avoir à d’autres époques¹¹.

Bibliographie/Notes: 

(1) Scruton, R. (2004). England and the need for nations. London: Civitas.

(2) Brufau Prats, R. (1992). La Escuela de Salamanca y el nacimiento del derecho internacional moderno. Ediciones Rialp.

(3) Unamuno, M. de. (1995). En torno al casticismo. Madrid: Espasa-Calpe.

(4) Weber, M. (2001). The Protestant ethic and the spirit of capitalism (T. Parsons, Trans.). London: Routledge. (Original work published 1905).

(5) Höpfl, H. (1982). The Christian polity of John Calvin. Cambridge: Cambridge University Press.

(6) Fraser, A. (2007). Cromwell: Our chief of men. London: Phoenix.

(7) Bellah, R. N. (1991). The broken covenant: American civil religion in time of trial (2nd ed.). Chicago: University of Chicago Press.

(8) Tocqueville, A. de (2008). La democracia en América (trad. J. A. González). Alianza Editorial. (Obra original publicada en 1835).

(9) Sutton, M. A. (2014). American apocalypse: A history of modern evangelicalism. Cambridge, MA: Harvard University Press.

(10) Bowler, K. (2013). Blessed: A history of the American prosperity gospel. Oxford: Oxford University Press.

(11) Gooren, H. (2010). Religious Conversion and Disaffiliation: Tracing Patterns of Change in Faith Practices. Palgrave Macmillan.

lundi, 22 septembre 2025

L’Europe sous l’OTAN: Divide et Impera Comment l’OTAN a transformé l’Europe en vassale de Washington

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L’Europe sous l’OTAN: Divide et Impera

Comment l’OTAN a transformé l’Europe en vassale de Washington

par "The Otter"

The Otter avance que, depuis sa création, l’OTAN a servi à maintenir l’Europe sous la tutelle des États-Unis en bloquant ses liens avec la Russie et en imposant une vassalisation sous couvert de défense.

35616330-656074101.jpgC’est le premier secrétaire général de l’OTAN, Lord Hastings Ismay, qui déclara que le but de l’alliance était « de tenir l’Union soviétique hors (d'Europe), les Américains en Europe et les Allemands à terre ». Cet aveu franc dévoile la véritable intention de l’OTAN : non pas une alliance de défense mutuelle, mais un instrument pour subordonner l’Europe aux intérêts des États-Unis.

L’OTAN est présentée comme un rempart contre les menaces extérieures protégeant ce qu’on appelle l’Occident, mais tout au long de son histoire, elle a systématiquement réprimé l’autonomie européenne, drainé économiquement le continent et empêché la création de liens stratégiques avec la Russie. Malgré le discours actuel affirmant que l’Europe ne paie pas sa part — discours que le secrétaire général actuel, Mark Rutte, a joyeusement relayé en appelant Donald Trump « papa » — la réalité est que l’Europe a déjà payé un prix élevé tout en acceptant de devenir vassale de l’Amérique.

Charles de Gaulle avait averti que l’Europe deviendrait un protectorat des États-Unis, et rétrospectivement, cet avertissement apparaît prophétique. De la crise de Suez à Nord Stream 2, les États-Unis ont agi contre les intérêts européens via le cadre de l’OTAN. L’Union européenne s’est muée en marionnettes serviles sous la coupe d’un pays qui érode continuellement leur indépendance.

Reconstruire l’Europe à l’image de l’Amérique

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe était en ruines. Les États-Unis ont cherché à remodeler le continent selon leurs intérêts stratégiques. L’OTAN fut créée le 4 avril 1949 comme organisation de défense collective selon l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord. Son objectif, non dit, était d’empêcher le retour du militarisme allemand; cependant, sachant que le réarmement allemand était inévitable, l’Amérique a intégré l’Allemagne de l’Ouest à l’OTAN en 1955. Cela a mis fin à l’occupation alliée de l’Allemagne, mais la remilitarisation s’est faite sous un contrôle strict de l’alliance. Au lieu de réduire le nombre de bases militaires en Allemagne, le gouvernement américain les a augmentées sous prétexte de contenir l’Union soviétique, alors qu’il s’agissait en réalité de garder l’Allemagne sous son joug. Des documents déclassifiés révèlent que l’intention des États-Unis était un « double containment » de l’Allemagne et de l’Union soviétique. Ainsi commence la vassalisation de l’Europe par l’OTAN.

La pression américaine via l’OTAN a conduit rapidement à une humiliation de l’Europe en 1956. Le Royaume-Uni et la France, avec l’aide d’Israël, envahirent l’Égypte pour reprendre le contrôle du canal de Suez, que le président égyptien Gamal Abdel Nasser avait nationalisé, retirant ainsi le contrôle à la Compagnie française du canal de Suez. La crise de Suez a mis en péril l’autonomie européenne et une voie commerciale clé. Le président américain Dwight D. Eisenhower cherchait à préserver l’influence américaine dans les pays arabes, les empêchant de se rapprocher de l’Union soviétique.

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Le gouvernement américain promouvait la décolonisation, et permettre une aventure franco-britannique aurait sapé la crédibilité de l’Amérique. Eisenhower menaça de couper le soutien financier à la Grande-Bretagne, entraînant un retrait humiliant qui exposa les limites de tout pouvoir européen sans l’approbation des États-Unis. Les nations européennes furent soumises à discipline, apprenant que toute action indépendante pouvait entraîner des représailles américaines, renforçant ainsi leur dépendance vis-à-vis de Washington.

L’après-guerre froide : répression de la volonté européenne

À la fin de la guerre froide en 1990, alors que débutaient les discussions sur la réunification allemande, le secrétaire d’État américain James Baker et le chancelier allemand Helmut Kohl donnèrent à Mikhaïl Gorbatchev l’assurance que l’OTAN ne s’étendrait pas « d’un pouce vers l’est ». Or, ces promesses furent rapidement abandonnées. Dès 1999, l’OTAN avait intégré la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie, rapprochant ses frontières de la Russie, malgré les nombreux débats internes qui se déroulaient en Europe pour imaginer et prévoir d’autres cadres pour assurer la sécurité européenne.

9782802711100-475x500-1-2788139993.jpgCette expansion a étouffé toutes les propositions naissantes d’une architecture de sécurité paneuropéenne plus inclusive, qui aurait pu favoriser l’indépendance vis-à-vis de la domination américaine. La France et l’Allemagne discutaient de la revitalisation d’organisations comme l’Union de l’Europe occidentale pour créer un système de sécurité européen plus large. Les décideurs américains considéraient ces alternatives comme une menace à leur influence. Les États-Unis ont activement promu l’élargissement de l’OTAN pour maintenir l’Europe arrimée aux structures transatlantiques. Cela a non seulement aliéné la Russie, mais aussi permis que l’Europe demeure entièrement dépendante du leadership militaire et des décisions américaines.

Le mythe du « passager clandestin »

Le président américain Donald Trump a maintes fois affirmé que les membres européens de l’OTAN ne payaient pas leur « dû », suggérant que les États-Unis supportaient un fardeau financier démesuré. En réalité, l’OTAN n’impose ni « cotisation » ni « facture » — les contributions sont volontaires, basées sur la règle des 2% du PIB adoptée en 2014. Les pays européens consacrent environ 2,27% de leur PIB collectif, mais leur PIB est inférieur à celui des États-Unis, ce qui fait que leurs contributions financières sont moins élevées. Les États-Unis offrent 3,2% de leur PIB à l’OTAN, un chiffre marginalement supérieur. Les nouveaux objectifs de dépenses, fixés à 5% par État membre, exerceront une pression considérable sur des économies européennes déjà fragilisées, prouvant que l’OTAN est surtout un bâton pour contraindre les nations européennes.

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Même en payant davantage, l’Amérique bénéficie du protocole de normalisation de l’OTAN, qui garantit l’interopérabilité. Cela oblige de fait les pays européens à acheter du matériel militaire auprès de sociétés américaines. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, les importations d’armes des États européens ont augmenté de 155% entre 2015-19 et 2020-24, les États-Unis fournissant 64% des importations des membres européens de l’OTAN sur cette période. Cela représente des milliards en transferts. Les ventes d’armes américaines totalisent 318,7 milliards de dollars, l’Europe en représentant 35%.

En 2024, l’Europe a dépensé environ 111,5 milliards de dollars pour des armes américaines (hors Ukraine), tandis que la contribution américaine au budget de l’OTAN s’élève à 15,9% des 4,6 milliards d’euros, soit 731 millions d’euros — ou une infime fraction (environ 0,0026%) du PIB américain.

Les affirmations de Trump selon lesquelles l’Europe abrite des « profiteurs » ne prennent en compte qu’une partie de l’équation, car les États-Unis engrangent plus de cent milliards de dollars grâce au mandat de l’OTAN.

Alors que les États-Unis tirent d’énormes profits des achats d’armes européens, les industries de défense locales stagnent à cause de cette dépendance forcée. Les pays européens de l’OTAN achètent deux tiers de leurs importations aux États-Unis, au détriment de fabricants locaux comme l’Allemand Rheinmetall ou le Français Thales. Le coût de cette réalité nuit à l’innovation européenne et à la croissance de l’emploi.

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Les prévisions de printemps 2025 de la Commission européenne avertissent qu’une augmentation des dépenses de défense pour répondre aux objectifs de l’OTAN pourrait aggraver la situation, car les industries nationales fragmentées peinent à rivaliser, entraînant des coûts plus élevés et moins d’innovation. L’Amérique vide l’Europe de sa substance tout en se plaignant de ses propres choix politiques de dépenser une part exorbitante de son PIB dans la défense.

Nous sommes entrés dans une réalité géopolitique où l’Europe dépendra davantage des armes américaines pour atteindre l’objectif de 5% du PIB d’ici 2032. L’innovation va fléchir, car les entreprises européennes devront concentrer leurs efforts sur la montée en puissance plutôt que sur la R&D. L’Europe risque de perdre encore plus d’autonomie à travers ces nouveaux objectifs de dépenses.

L’arme énergétique : empêcher les liens euro-russes

Les impératifs stratégiques de l’OTAN sont allés au-delà des alliances militaires pour perturber activement le potentiel d’intégration économique plus profonde entre l’Europe et la Russie, particulièrement dans le secteur énergétique. Les liens énergétiques euro-russes étaient perçus comme une menace pour l’hégémonie américaine, ce qui explique l’opposition farouche des États-Unis à des projets comme Nord Stream 2, contribuant à forcer l’Europe à se tourner vers des alternatives plus coûteuses. Cette ingérence a privé l’Europe du gaz russe abordable tout en enrichissant les exportateurs américains, aggravant la crise économique sur un continent déjà confronté à la hausse des prix de l’énergie.

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Les gazoducs Nord Stream, destinés à acheminer directement le gaz russe vers l’Allemagne sous la mer Baltique, représentaient une voie vers la sécurité énergétique et des coûts réduits pour l’Europe, avec la possibilité de diminuer les prix de 30 à 40% grâce à la diversification de l’offre. Les États-Unis se sont opposés avec véhémence à Nord Stream 2 dès le départ, le présentant comme un instrument d’influence russe qui contournerait l’Ukraine et saperait l’unité européenne.

En 2019, l’administration Trump a imposé des sanctions via la loi Protecting Europe’s Energy Security Act, visant les entreprises impliquées dans la construction du gazoduc. Des efforts bipartisans (Républicains + Démocrates) au Congrès ont été entrepris pour stopper le projet, invoquant le risque que la Russie « militarise » l’énergie.

Le point culminant fut le sabotage des gazoducs en septembre 2022, qui provoqua d’énormes émissions de méthane. Des allégations d’implication américaine (et ukrainienne) sont régulièrement apparues, y compris des rapports évoquant la pose d’explosifs par des plongeurs de la Navy lors de l’exercice BALTOPS 22 de l’OTAN, avec l’aide norvégienne pour obtenir la détonation. L’incident a effectivement coupé un lien clé entre l’Europe et la Russie, forçant l’Europe à une diversification hâtive qui a bénéficié aux fournisseurs américains. Les livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL) américain vers l’Europe ont atteint un record de 8,5 millions de tonnes en décembre 2024. En mai 2025, l’UE importait 4,6 milliards de mètres cubes de GNL américain par mois, les États-Unis représentant 50,7% du total des importations de GNL de l’UE au premier trimestre 2025 — contre des niveaux négligeables avant 2022.

La multipolarité comme solution

Le passé est ce qu’il est, et aujourd’hui l’Europe se retrouve dans une situation où les actions de l’OTAN ont empêché des liens économiques fructueux avec la Russie — liens qui auraient pu éviter la guerre en Ukraine tout en assurant la sécurité énergétique. Ces relations pourront se rétablir à terme, mais l’Europe ne doit pas attendre indéfiniment. Elle doit se réveiller à la réalité que son potentiel est entravé par Washington et ses bases militaires qui colonisent le continent.

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Si l’Europe ne parvient pas à regarder au-delà de l’albatros étoilé accroché à son cou, elle risque de devenir un vassal permanent des États-Unis. Rétablir les relations avec la Russie n’est peut-être pas à l’ordre du jour, mais l’Europe peut regarder au-delà de l’Occident vers l’Est et l’Afrique. Le Nigeria et le Mozambique sont prêts à fournir du GNL à l’Europe, ce qui pourrait être accéléré par des investissements européens. L’Europe a la capacité d’assurer son approvisionnement énergétique et de renforcer son économie si elle a le courage de cesser d’être le chien de garde d’une puissance qui la parasite.

Les dirigeants européens prétendent rechercher une « autonomie stratégique », mais tant qu’ils ne reconnaîtront pas les dégâts causés par l’OTAN, ils ne seront jamais souverains. Le monde évolue vers la multipolarité, les droits de douane de Trump ayant bouleversé le système économique mondial comme jamais auparavant. De nouvelles alliances se forment, et d’anciens ennemis comme l’Inde et la Chine entretiennent désormais des relations chaleureuses. Des blocs commerciaux se créent, excluant les États-Unis à cause de leur imprévisibilité. Le message est écrit sur le mur; reste à savoir si les dirigeants européens sauront lire ce qui est déjà gravé dans l’avenir.

 

dimanche, 21 septembre 2025

Trump et Xi: Rapprochement par la diplomatie pragmatique

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Trump et Xi: Rapprochement par la diplomatie pragmatique

Elena Fritz

Source: https://pi-news.net/2025/09/trump-und-xi-annaeherung-durc...

L’entretien téléphonique entre Trump et Xi vendredi est plus qu’un simple contact épisodique; il signale un retour à la realpolitik dans un monde multipolaire.

L’entretien téléphonique entre Donald Trump et Xi Jinping vendredi constitue un moment marquant dans l’histoire récente des relations sino-américaines. Alors que de nombreux médias occidentaux ne l’évoquent qu’en passant, l’analyse approfondie des sujets abordés – le commerce, le fentanyl, le conflit en Ukraine et TikTok – révèle la logique sous-jacente d’une politique basée sur les intérêts concrets. Ici, il ne s’agit pas d’appels à la morale, mais d’une évaluation sobre des rapports de force et des interdépendances.

Sous les administrations démocrates, la confrontation avec la Chine était au centre des préoccupations, souvent justifiée par la référence à un "ordre international fondé sur des règles". Trump adopte une approche différente: il recherche le dialogue direct avec Pékin, sans s’enliser dans des débats idéologiques. La conversation a été qualifiée par les deux parties de "pragmatique, positive et constructive", ce qui indique une volonté délibérée de désescalade. Au fond, il s’agit de reconnaître les réalités économiques. Les États-Unis dépendent fortement des chaînes d’approvisionnement chinoises, comme l’ont montré les perturbations à propos des terres rares au printemps 2025, qui ont paralysé une partie de l’industrie automobile américaine. Trump reconnaît ces vulnérabilités et mise sur la négociation pour les gérer, plutôt que de les ignorer ou de les aggraver.

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TikTok comme élément de stratégie médiatique et politique

La discussion autour de la problématique TikTok est particulièrement révélatrice. La plateforme compte environ 170 millions d’utilisateurs aux États-Unis, principalement parmi les jeunes générations. Une éventuelle vente à des investisseurs proches de Trump pourrait changer la dynamique du paysage médiatique. Alors que X, dirigé par Elon Musk, est déjà une arène ouverte et que Facebook perd de l’influence, TikTok permettrait à Trump d’atteindre un électorat jusque-là fortement imprégné par les récits démocrates. Ce n’est pas un simple détail, mais un levier stratégique qui pourrait influencer l’équilibre politique interne et, dès lors, qui inquiète légitimement Washington.

Xi Jinping agit depuis une position de souveraineté et de supériorité économique. La Chine contrôle des secteurs clés des chaînes d’approvisionnement mondiales, investit massivement dans la technologie et les infrastructures, tandis que les États-Unis engagent leurs ressources dans le conflit ukrainien. Xi n’agit pas par complaisance, mais parce que la Chine détient les meilleures cartes. L’annonce de futures rencontres – la visite de Trump en Chine, la visite de Xi aux États-Unis, ainsi qu’une rencontre lors du sommet de l’APEC en Corée du Sud fin octobre – souligne le sérieux de ce rapprochement. Dans le même temps, Xi précise sans ambiguïté que Taïwan constitue une ligne rouge non négociable, ce qui montre les limites de ce pragmatisme.

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Message pour l’Europe

L’entretien téléphonique entre Trump et Xi vendredi est plus qu’un simple contact épisodique; il signale un retour à la realpolitik dans un monde multipolaire. Trump démontre ainsi sa capacité à relever les défis de la politique étrangère par des négociations directes tout en consolidant ses avantages internes. Xi souligne l’indispensabilité de la Chine et sa résilience face à l’isolement. Au final, il s’agit d’une réorientation des relations entre les deux principales puissances économiques mondiales – une évolution guidée par des intérêts pragmatiques, qui évite les superstructures idéologiques. En cette période d’incertitude mondiale, cela pourrait être le début d’une coexistence plus stable, quoique marquée de tensions.

Le véritable message de cet appel pour nous, Européens, est le suivant : qui ne formule pas sa propre stratégie devient l’objet de la realpolitik des autres.

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jeudi, 18 septembre 2025

L’essor du technofascisme dans l’Amérique de Trump

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L’essor du technofascisme dans l’Amérique de Trump

Markku Siira

Source: https://geopolarium.com/2025/09/15/teknofasismin-nousu-tr...

Le développement de l’intelligence artificielle a déclenché une vague d’investissements dans le secteur technologique. Des grandes entreprises comme Microsoft, Meta, Amazon et Google misent sur les modèles linguistiques, la puissance de calcul, la technologie des semi-conducteurs et les centres de données. Toutefois, la rentabilité économique de ces investissements demeure incertaine. Des innovations telles que celle de DeepSeek, une entreprise chinoise, démontrent que d’immenses ressources ne sont pas toujours nécessaires pour réussir dans la compétition mondiale.

Les récits médiatiques sur le potentiel révolutionnaire de l’IA se polarisent entre deux extrêmes: des visions utopiques prédisant que l’IA résoudra les problèmes de l’humanité, et des scénarios de menaces existentielles où l’IA relèguerait l’humanité au second plan. Ce discours polarisant néglige souvent les changements progressifs et pratiques par lesquels la technologie influence réellement la société.

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La recherche de l’historienne Janis Mimura sur le technofascisme japonais, Planning for Empire: Reform Bureaucrats and the Japanese Wartime State (2011), offre un cadre d’analyse pour les évolutions actuelles. Mimura décrit comment le Japon a colonisé la Mandchourie, au nord-est de la Chine, dans les années 1930, faisant de la région un terrain d’expérimentation précoce du technofascisme. Il en résulta un État fantoche autoritaire, le Mandchoukouo, centré sur l’industrie lourde comme la production d’acier et d’armes, exploitant la population locale et les ressources naturelles au service des besoins militaires du Japon.

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Le fonctionnaire du ministère du Commerce, Kishi Nobusuke (photo), a dirigé à partir de 1936 un programme d’industrialisation soutenu par les conglomérats zaibatsu au Mandchoukouo. Cela impliquait le recours au travail forcé et à l’esclavage, ainsi que des conditions de travail inhumaines, entraînant de nombreuses victimes. De retour à la politique nationale japonaise en 1939, Kishi a promu une industrialisation dirigée par l’État similaire dans son pays.

La technocratie était un projet idéologique plaçant la rationalité technologique au-dessus des valeurs sociales, légitimant ainsi la concentration du pouvoir. Contrairement au fascisme de Mussolini ou au national-socialisme d’Hitler, le système japonais ne reposait pas sur un chef charismatique, mais sur des bureaucrates et sur l’armée. Selon Mimura, le Japon a « glissé vers le fascisme » lorsque les fonctionnaires utilisaient leur pouvoir dans l’ombre au nom de l’empereur. La survie de la technocratie dans le Japon d’après-guerre témoigne de sa capacité d’adaptation institutionnelle.

L’élite technocratique de la Silicon Valley est devenue un acteur central aux États-Unis. Les géants du numérique tirent un pouvoir symbolique et matériel de l’apparente irrésistibilité de la technologie, marginalisant les débats critiques sur les impacts sociaux de la digitalisation. Ce pouvoir s’inscrit dans le plan d’action sur l’IA de l’administration Trump, visant à accélérer le développement de l’IA en réduisant la régulation et en promouvant le leadership mondial des États-Unis selon des objectifs géopolitiques stratégiques.

Lors de l’investiture présidentielle en janvier, des leaders technologiques tels qu’Elon Musk et Mark Zuckerberg ont apporté leur soutien à Donald Trump, ce qui a été interprété comme une alliance stratégique au service d’intérêts économiques et politiques. Selon Mimura, une telle alliance entre l’État et l’élite industrielle rappelle le technofascisme du Japon durant la Seconde Guerre mondiale, où les technocrates ont pris le pouvoir.

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Contrairement au fascisme traditionnel, le technofascisme américain s’exprime comme une gouvernance technocratique subtile. Il se manifeste dans la prise de décision militaire, les opérations des services de sécurité et la projection de puissance mondiale. Socialement, il se traduit par la surveillance policière préventive, la surveillance des réseaux sociaux et le soutien au sionisme dans la politique étrangère. Dans le monde du travail, la culture du « hustle » issue de la Silicon Valley normalise la surcharge et affaiblit les droits des travailleurs. Cette évolution légitime la discrimination algorithmique et approfondit les inégalités socio-économiques.

Si le progrès technologique repose souvent sur des réformes progressives, le cœur du technofascisme consiste à considérer que la régulation – qu’il s’agisse de la protection de l’environnement, des droits des travailleurs ou de la supervision financière – freine l’innovation. Par exemple, le discours public d’Elon Musk est passé de la mise en avant des risques de l’IA à sa valorisation stratégique dans la prise de décision automatisée et les applications basées sur les données, comme le développement de technologies par xAI.

Les conglomérats zaibatsu du Japon ont mené le développement industriel sans considération pour les droits des travailleurs; une dynamique similaire est visible aujourd’hui aux États-Unis, où les entreprises technologiques promeuvent automatisation et technologies de surveillance. L’infrastructure bâtie par les géants du numérique crée un « État profond » modernisé et antidémocratique, au service de l’élite technocratique et économique.

250px-Curtis_Yarvin_portrait-3384195920.jpgCe système démantèle les structures de gouvernance traditionnelles et remplace les processus démocratiques par une logique d’efficacité. Comme l’affirme le penseur Curtis Yarvin (photo), apprécié des techno-oligarques, « les élections démocratiques sont inutiles pour la gestion administrative, et même si le système électoral disparaissait, Washington continuerait à fonctionner comme avant ».

La recherche de Mimura souligne la capacité des technocrates à survivre à l’effondrement des systèmes autoritaires en dépit des changements institutionnels. L’ascension de Kishi Nobusuke – malgré qu'il dirigea le projet technofasciste en Mandchourie et malgré des accusations de crimes de guerre – au poste de Premier ministre du Japon, avec le soutien des États-Unis, montre comment la compétence technocratique peut légitimer les changements de pouvoir dans les moments de rupture historique.

Aux États-Unis, une dynamique similaire ne s’exprime pas à travers des alliances fragiles (comme l’illustre la rupture entre Trump et Musk), mais par une intégration systémique: les géants du numérique sont devenus une partie essentielle de la cybersécurité fédérale, du renseignement et de la gestion des infrastructures critiques. La base du pouvoir se déplace du mandat démocratique vers une irremplaçabilité technique.

À mesure que l’ordre libéral occidental chancelle, il pourrait être remplacé par un pouvoir d’entreprise technofasciste agissant dans les coulisses de la politique. Selon une nouvelle étude, la majorité de plus de 500 politologues estime que les États-Unis évoluent vers un modèle de gouvernance autoritaire, où un groupe dominant utilise les institutions étatiques pour réprimer ses opposants politiques.

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mercredi, 17 septembre 2025

«Stratégie nationale de défense» des États-Unis: axée sur le Mexique et les Caraïbes, elle relègue la Chine et la Russie au second plan

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«Stratégie nationale de défense» des États-Unis: axée sur le Mexique et les Caraïbes, elle relègue la Chine et la Russie au second plan

Alfredo Jalife-Rahme 

Source: https://www.jornada.com.mx/2025/09/14/opinion/006o1pol

Le portail Politico, contrôlé par la société d'information allemande Axel Springer SE, qui est résolument atlantiste et pro-israélienne, divulgue le projet de la nouvelle « Stratégie de défense nationale (EDN) » des États-Unis, généralement publiée par le Pentagone – rebaptisé sous son nom d'origine « Département de la guerre (!) » – au début de chaque administration (http://bit.ly/41URcBs ).

D'emblée, l'EDN a été qualifiée d'« isolationniste » et de promouvoir le néo-monroïsme de Trump 2.0 : « les missions de défense et de protection du territoire national et de l'hémisphère occidental ont la priorité absolue (!!!) ».

Sans détour, Politico affirme que « le Pentagone prévoit de hiérarchiser les questions intérieures (!!!) par rapport à la menace chinoise », ce qui « marque une rupture importante avec la première administration Trump, qui mettait l'accent sur la dissuasion de Pékin ».

Trump 1.0 n'est pas le même que Trump 2.0, qui est aujourd'hui confronté à de graves problèmes nationaux dans son conflit ouvert avec le groupe mondialiste de George Soros et de son fils Alex, auxquels il envisage d'appliquer la loi RICO (http://bit.ly/4gnHJIR ), alors que les États-Unis sont au bord d'une guerre civile après l'assassinat de son allié chrétien millénariste Charlie Kirk – plusieurs hypothèses circulent quant aux commanditaires de cet assassinat: cela va de l'Ukraine (http://bit.ly/3Kkg6nS) à Israël (Netanyahu), selon l'ancien agent de la CIA Larry Johnson (http://bit.ly/4nyMQbB ), et comprend également l'hypothèse mormone (http://bit.ly/46I6Cuv  et http://bit.ly/4grh1z1 ).

En effet, « le Pentagone a mobilisé des milliers de soldats de la Garde nationale pour faire appliquer la loi à Los Angeles et à Washington et a envoyé plusieurs navires de guerre et avions F-35 dans les Caraïbes (!!!) pour barrer la route au trafic de drogue vers les États-Unis », avec l'élimination controversée de 11 membres présumés du gang du Tren d'Aragua embarqués sur une chaloupe.

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De plus, « le Pentagone a également établi une zone militarisée le long de la frontière sud avec le Mexique qui permet à l'armée d'arrêter des civils ». Cela se produit en parfaite synchronisation avec l'affirmation téméraire d'un « rapport spécial (sic) de Reuters », porte-parole de l'anglosphère (http://bit.ly/4nuRJCm ).

Deux autres révisions sont attendues en octobre concernant la posture mondiale des États-Unis – le stationnement de leur armée – et la défense aérienne et antimissile, qui sont liées à l'EDN alors qu'il est très probable que les troupes soient retirées d'Europe et du Moyen-Orient. En outre, l'Initiative de sécurité des pays baltes, à ses frontières avec la Russie (sic), subirait d'importantes réductions de son financement (http://bit.ly/41QEVhp).

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Le concepteur de cette nouvelle version de la politique du Pentagone est Elbridge Colby, qui s'est aligné sur le vice-président J. D. Vance, futur candidat à la présidence, afin de « libérer les États-Unis de leurs engagements étrangers ».

Le retrait militaire américain prend tout son sens lorsque Trump 2.0 a l'intention de rencontrer fin octobre, lors du sommet de l'APEC en Corée du Sud, son homologue chinois Xi Jinping, avec lequel il mène des négociations commerciales sur les tarifs douaniers à Genève, et que deux hauts responsables de la défense à Washington et à Pékin maintiennent la communication.

Il n'est pas non plus surprenant que la Russie, qui occupait la deuxième place parmi les adversaires des États-Unis sous Trump 1.0, était le premier ennemi désigné sous Biden et son groupe démocrate, qui souffraient de russophobie congénitale, alors qu'aujourd'hui les négociations se poursuivent à plusieurs niveaux, comme l'ont laissé entendre le président Poutine dans son discours à Vladivostok lors de la réunion du Forum économique de l'Asie de l'Est, et Kirill Dmitriev, conseiller du Kremlin pour les fonds souverains.

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Malgré la résurrection du G-3 le 3 septembre dernier par le Groupe de Shanghai à Tianjin, soit la réactivation de l'ancien RIC (Russie/Inde/Chine) – un concept forgé par l'ancien Premier ministre russe Yevgeny Primakov en 1998 (!) –, Moscou maintient sa proposition d'une collaboration « trilatérale » entre la Russie, les États-Unis et la Chine pour exploiter les réserves abondantes d'hydrocarbures dans l'Arctique, sans parler de la collaboration pétrolière entre ExxonMobil et la société d'État russe Rosneft (http://bit.ly/4n7BTxK ).

Pour s'informer: 

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mardi, 16 septembre 2025

Paléotrumpisme et néotrumpisme

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Paléotrumpisme et néotrumpisme

Daniele Perra

Après la trahison substantielle des revendications antisystème lors de la première expérience trumpiste (l’administration du magnat new-yorkais a agi dans une continuité quasi totale avec celle de ses prédécesseurs sur le plan géopolitique et, sur certains aspects, a même préparé le terrain pour son successeur), la machine de propagande s’est vue obligée de doter le message du candidat républicain d’une nouvelle « virginité ». Cette fois, libéré de l’inspiration pseudo-religieuse « à la QAnon » (une opération psychologique au succès indéniable, vu l’influence qu’elle a eue aussi sur de larges secteurs de la droite et une partie de la gauche européenne), le message trumpiste semble s’orienter vers des voies bien plus pragmatiques, visant une forme de techno-mercantilisme postmoderne qui fascine (et pas qu’un peu) les courants prométhéens de la droite occidentale, ainsi que certains représentants de l’ultra-capitalisme mondialisé.

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Dans un article publié sur son site graymirror.substack.com, sous le titre emblématique Gaza and the laws of war, l’ancien programmeur informatique de la Silicon Valley (et aujourd’hui activiste politico-idéologique) Curtis Yarvin défend la nécessité de laisser à Israël toute liberté d’agir (comme bon lui semble) dans la bande qu'est le territoire palestinien. À l’IDF devraient être attribués les mêmes pouvoirs dont bénéficiaient les Britanniques sur le mandat de Palestine (y compris celui de déplacer massivement une partie de la population). Selon lui, ce serait la seule manière de mettre fin, en un temps relativement court, à un conflit qui pèse directement sur les épaules des contribuables américains [1].

Au final, le prix que paierait le peuple palestinien ne serait que celui de quelques « transferts de propriété » aux nouveaux colons sionistes. Ainsi, la « Nouvelle Gaza », construite par l’homme d’affaires judéo-américain Jared Kushner (gendre de Donald J. Trump), deviendrait une sorte de « Los Angeles de la Méditerranée »: « une ville qui vaudrait six mille milliards de dollars » et qui rendrait millionnaires les Palestiniens eux-mêmes (sic !). En effet, tous ceux qui accepteraient volontairement d’abandonner leurs maisons en front de mer (une « zone côtière très précieuse », selon Kushner) seraient récompensés et pourraient enfin s’installer massivement à Dubaï [2].

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À cette fin, Yarvin (photo) ne se limite pas à interpréter le conflit en termes purement monétaires, en termes de flux de capitaux avant tout (ce qui, d’ailleurs, n’a rien d’original de la part d’un « penseur » américain), mais il s’aventure également dans des questions relatives à la tactique militaire, exprimant son enthousiasme pour la soi-disant « doctrine Dahiya » de l’armée israélienne. Cette doctrine, élaborée par le général Gadi Eisenkot (photo) au début des années 2000, prévoit la destruction systématique de toutes les infrastructures civiles (écoles, hôpitaux, centres de loisirs, etc.) qui pourraient de quelque manière être liées aux groupes de Résistance (Hamas et Hezbollah en premier lieu).

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Cette « doctrine » fut utilisée, avec peu de succès à vrai dire, lors de la « guerre des 33 jours » au Liban en 2006. Ciblant directement les infrastructures civiles, l’objectif serait de mettre la pression sur l’ennemi et de pousser les civils survivants à fuir afin de pouvoir, ensuite, attaquer la même cible (et les militaires à proximité) avec plus de force. La « doctrine Dahiya » est donc intrinsèquement liée à l’idée de « recours disproportionné à la force » sur laquelle repose une grande partie de la stratégie militaire sioniste actuelle.

Les idées de Yarvin font écho à celles présentées par J. D. Vance (le sénateur de l’Ohio choisi par Donald J. Trump comme vice-président dans la course à son second mandat présidentiel). En effet, Vance a déclaré en juillet dernier qu’Israël devrait mettre rapidement fin au conflit dans la bande de Gaza afin de pouvoir se concentrer (avec les monarchies sunnites participantes aux « Accords d’Abraham ») sur la menace iranienne [3].

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À ce sujet, il est intéressant de noter que parmi les principales références idéologiques de Vance figure le journaliste Sohrab Ahmari (photo - ancien rédacteur du Wall Street Journal). Fils d’Iraniens sécularisés et anti-khomeynistes, il a émigré aux États-Unis alors qu’il était adolescent et, après avoir d’abord adhéré à certains groupes trotskystes, a fini par passer dans le camp néoconservateur (Après tout, il s’agit du même parcours suivi par le père idéologique du néoconservatisme, l’Américain Irving Kristol, de confession israélite, qui, à partir de positions trotskystes défendues en 1960, a commencé à élaborer les thèses néoconservatrices dans certaines revues liées à la communauté juive nord-américaine). Ahmari, après avoir voté pour Hillary Clinton en 2016, a opté pour un changement de cap décisif, voyant en Donald J. Trump la seule chance de sauvegarder l’hégémonie mondiale américaine [4].

Il n’est donc pas surprenant qu’une autre référence idéologique de J. D. Vance soit Patrick Deneen, qui a théorisé un « ordre mondial américain post-libéral »: c’est-à-dire un ordre qui ne dépasse pas l’hégémonie mondiale des États-Unis (Donald J. Trump lui-même a défendu la nécessité d’imposer des droits de douane élevés — comme de véritables armes — à ceux qui n’utilisent pas le dollar comme monnaie de référence pour le commerce international) [5], mais qui la réajuste simplement selon de nouveaux axes.

Il semble que Yarvin ait eu une influence notable sur la « vision du monde » particulière de Vance. Sa « pensée » mérite donc une brève analyse. Descendant d’une famille de communistes juifs (du côté paternel), Yarvin aime, par suite, se définir comme « communiste juif » [6], bien qu’il soit considéré à juste titre comme le père théorique des courants néoréactionnaires et des soi-disant « Lumières noires » (dark enlightenment). Au centre de la pensée de Yarvin se trouve le concept de « monarchie profonde » (deep monarchy), qui s’oppose directement à celui d’« État profond » (le fameux « deep State »).

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Selon l’ancien programmeur informatique, la démocratie libérale actuelle n’a plus de sens, puisqu’elle s’est transformée de fait en une forme d’oligarchie (et jusque-là, il est difficile de lui donner tort). À son avis, ce modèle devrait être dépassé d’abord par une forme d’administration dirigée par un « directeur général » (un « CEO », Yarvin utilise toujours des termes « entrepreneuriaux ») qui jouerait effectivement le rôle de « dictateur » et qui ferait table rase des vestiges de « l’État profond » (ce devrait être la tâche de Donald J. Trump, personnalité dotée d’indéniables capacités entrepreneuriales). Ensuite, le « dictateur-CEO » devrait quitter ses fonctions ou assumer lui-même le rôle de monarque et donner naissance à une monarchie postmoderne (sans désignation divine) qui se comporterait comme une « entreprise dotée de souveraineté », basée sur une sorte de « camaraderie techno-entrepreneuriale » et destinée à maximiser les profits et ses propres ressources.

Il convient ici de souligner quelques points. Tout d’abord, le succès de la pensée de Yarvin auprès de la droite occidentale (et/ou « occidentalisée ») est en partie aussi le fruit d’une inévitable erreur de traduction qui conduit de nombreux « non-initiés » à associer le terme anglais « corporations » au corporatisme d’inspiration médiévale européenne ou, même, au fascisme.

En réalité, Yarvin, selon ses propres dires, l’utilise simplement au sens de société/entreprise. Et il n’a aucun problème à se définir comme un « austro-mercantiliste » disciple de Ludwig von Mises (lié donc aux prémisses théoriques de cette école autrichienne qui, avec son individualisme méthodologique — aux côtés du contractualisme, du scepticisme et de l’utilitarisme — représente l’un des quatre courants théoriques du libéralisme économique).

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Il en découle que son « projet monarchique », auquel il rattache l’idée d’« illuminisme noir », vise en fait seulement à donner une structure autocratique au dit libéralisme économique : une sorte de « capitalisme absolu » garanti par le « souverain entrepreneurial ». Deuxièmement, sa vision monarchique-sociétale-financière, bien que dépourvue d’inspiration religieuse, ne semble pas du tout différente du messianique qu'implique la vision d'un « Royaume d’Israël », un royaume que la doctrine rabbinique elle-même veut purement terrestre. Ce n’est pas un hasard si Yarvin, tout en déclarant ne pas croire en Dieu, mais seulement en la physique (on retrouve ici une idée que Carl Schmitt avait associée tant au libéralisme qu’au marxisme-léninisme : réduire le gouvernement à une forme de science exacte, confiée à des spécialistes sélectionnés de façon scientifique), s’identifie aux préceptes de l’orthodoxie juive qui imposent « d’écouter et d’agir ». En elle, en effet, le point central n’est pas de croire en Dieu, ce n’est pas la foi, mais simplement l’exécution des actions requises (même si elles impliquent l’extermination de personnes sans défense).

Troisièmement, il devrait s'avérer assez difficile d’associer les concepts de l’individualisme méthodologique de l’école autrichienne à des formes de « camaraderie » (même exprimées en termes entrepreneuriaux), de corporatisme ou de collectivisme, même si Yarvin estime que « maximiser les profits et les ressources » de la « monarchie/société » équivaut à garantir le « bien commun ».

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Enfin, il est nécessaire d’ouvrir une brève parenthèse sur le concept de « Lumières noires », qui rappelle, d’une certaine manière, l’idée du « Soleil Noir » des SS himmlériens, bien que totalement dépourvue de son message spirituel. À la théorie astronomique du Soleil Noir (c’est-à-dire l’existence d’une étoile effondrée de couleur rouge-brun et de petite taille qui perturbe occasionnellement le système solaire), on a attribué dans certains milieux allemands une signification mystique-ésotérique qui la reliait à la présence/absence d’un Dieu caché, déchu et détrôné. On peut trouver des exemples similaires dans diverses civilisations traditionnelles: l’Atoum égyptien, père des dieux de l’Ancien Empire, qui devint le soleil du monde souterrain suite à l’arrivée de Rê (le « soleil de midi »); le titan Cronos/Saturne, détrôné par son fils Zeus/Jupiter; Apollon, qu’Otto Rahn, chercheur SS, associait à l’Apollyon de l’Apocalypse de saint Jean et donc à Lucifer (l’ange déchu, le prince des ténèbres) [7].

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Mircea Eliade avait déjà souligné l’existence, dans les civilisations traditionnelles d’Eurasie, d’une grande variété de mythes, rites et symboles impliquant plus ou moins clairement la coincidentia oppositorum, la présence de deux divinités opposées ou, même, la parenté entre le Dieu suprême et son rival (le Diable). Souvent, ils étaient présentés comme coéternels, tandis que dans d’autres cas, Dieu semblait incapable d’achever la création sans l’aide du Diable [8].

En ce sens, le luciférisme doit être compris comme une sorte de sentiment de vengeance émanant d’un Dieu détrôné; un renversement des valeurs religieuses traditionnelles au nom du retour au mythe originel. C’est la revanche du titanisme sur les dieux olympiens; la revanche de l’ange déchu sur le Dieu suprême. Ce n’est pas un hasard si l’idéologue du mouvement Azov ukrainien, Olena Semenyaka (un mouvement idéologique et militaire qui, bien qu’il soit un « idiot utile » de l’atlantisme, se réfère symboliquement de diverses manières à l’expérience des SS), s’appuyant sur une interprétation inadéquate de la pensée nietzschéenne, a souvent parlé de la « volonté de puissance luciférienne » comme « sentiment métaphysique de liberté absolue » et comme instrument idéologique d’opposition aux modèles de valeurs dominants dans les sociétés occidentales actuelles.

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Le problème fondamental de telles constructions idéologiques réside dans le fait qu’elles ne comprennent pas que le « luciférisme élitiste » peut difficilement vaincre une construction sociale qui est déjà « luciférienne » dans ses fondements mêmes. En d’autres termes, il s’agit d’une simple contradiction dans les termes.

En effet, pour paraphraser à nouveau Schmitt, la modernité elle-même s’est construite autour d’un « changement de paradigme »: la domination centrale de la société prémoderne (la religion) a été remplacée par une domination périphérique, celle de la technique, qui est rapidement devenue religion. Une religion construite sur la prémisse que tous les problèmes seront résolus par la technique et le progrès infini. Il semble donc, pour le moins, difficile d’espérer une nouvelle affirmation du titanisme alors qu’en réalité, nous y sommes déjà plongés.

En ce sens, Yarvin a le « mérite » de ne pas recourir au mythe. Il sait parfaitement que le Dieu de la Modernité relève des Lumières dans leur version qui est le courant techno-scientifique. Il ne s’y oppose pas par « une inversion de ses valeurs », mais simplement par une accélération absolutiste. Sa pensée, par conséquent, se définit (à raison ?) comme « néoréactionnaire », dans la mesure où elle n’est en rien réactionnaire, mais très « progressiste » ; tout comme les « néofascistes » ou « néonazis » actuels ne sont en rien ni « fascistes » ni « nazis ».

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La « monarchie profonde » de Yarvin, comme nous l'avons déjà mentionné, se résume simplement à l’affirmation utopique d’un « Nouveau Royaume d’Israël » ultramécanisé et fondé sur la domination des plus avancés technologiquement sur les autres. Encore une fois, rien de particulièrement original dans une pensée américaine.

On a dit qu’il n’est pas réactionnaire, mais absolument « progressiste », aussi parce que Yarvin s’est déclaré favorable au droit des personnes de même sexe de se marier. Parmi les financiers de sa start-up informatique Tlon figure Peter Thiel, célèbre investisseur américain du secteur, chrétien évangélique convaincu mais homosexuel assumé, ainsi que membre actif du Groupe Bilderberg, avant-garde atlantiste fondée par la CIA et le MI6.

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Yarvin aurait déclaré à une autre personnalité liée à la soi-disant « droite alternative », l’activiste Milo Yiannopoulos (photo - également ouvertement homosexuel, déjà connu pour avoir affirmé que les aventures amoureuses entre adolescents et adultes peuvent être une expérience mutuellement bénéfique) [9], que Thiel, défenseur de la libération de la technologie des contraintes bureaucratiques et gouvernementales qui la musèlent, aurait été son disciple. Inutile de préciser que Thiel fut le principal financier de la campagne électorale de J. D. Vance en 2022.

À ce stade, il ne reste plus qu’à examiner le domaine purement géopolitique. Dans ce champ, Yarvin suggère plus qu’il n’affirme. On n’y retrouve pas les références du trumpisme bannonien originel au « choc des civilisations », au danger que représentent pour l’hégémonie américaine l’alliance islamo-confucéenne et l’unification de l’espace allant de l’Europe centrale et orientale à la Chine. Cependant, son interprétation du conflit en Ukraine est assez intéressante. Il le définit comme un « conflit cinétique », au sens où son issue finale dépend exclusivement de l’action humaine et peut donc se terminer de manières diamétralement opposées [10]. Or, Yarvin soutient que le résultat de ce conflit déterminera l’avenir des États-Unis: soit ils persisteront sur leur trajectoire descendante (où le nationalisme libéral-démocratique les a conduits), soit ils se transformeront en «TurboAmerica»: une puissance capable de guider le monde selon de nouveaux principes.

C’est ici qu’entrent en jeu les soi-disant « isolationnistes » classiques d’un certain trumpisme. Selon Yarvin, les États-Unis devraient se comporter avec l’Europe de la même manière que la Grande-Bretagne s’est comportée avec l’Amérique dans les premières décennies du 19ème siècle. À son avis, les Britanniques furent les véritables promoteurs de la soi-disant « doctrine Monroe ». Celle-ci était totalement fonctionnelle aux intérêts de Sa Majesté, car, à un moment où Londres jouissait encore d’une hégémonie thalassocratique absolue, elle sanctionnait l’impossibilité pour la Couronne d’Espagne de récupérer son « empire ». De même, une solution adéquate du conflit en Ukraine (au sens de faire porter les coûts à l’Europe, tout en s’assurant que Poutine ne puisse pas nuire aux intérêts des États-Unis) pourrait garantir aux États-Unis un autre siècle (si ce n’est plus) de domination mondiale sans rival.

Notes :

[1] Voir Gaza and the laws of war, 3 abril 2024, www.graymirror.substrack.com .

[2] Ibidem.

[3] Voir Vance: Israel should finish war as quickly as possible, partner sunni states against Iran, 16 julio 2024, www.timesofisrael.com .

[4] Voir The seven thinkers and groups that have shaped JD Vance’s unusual worldview, 18 luglio 2024, www.politico.com .

[5] Voir Trump wants huge tariff for dollar defectors, fewer US sanctions, 13 settembre 2024, www.bloomberg.com .

[6] Voir Interview with Curtis Yarvin, 15 noviembre 2023, www.maxraskin.com 

[7] M. Zagni, La svastica e la runa. Cultura ed esoterismo nella SS Ahnenerbe, Mursia, Milano 2011, p. 385.

[8] M. Eliade, Mefistofele e l’Androgine, Roma 1971, p. 77.

[9] Voir Yiannopoulos quits Breitbart, apologies for uproar year-old comment, 21 febrero 2017, www.nbcnews.com .

[10] Voir Ukraine, the tomb of liberal nationalism, 15 febrero 2024, www.graymirror.substrack.com .

Source: https://www.eurasia-rivista.com/paleotrumpismo-e-neotrump...

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Les Etats-Unis en phase terminale: l'autodestruction annoncée

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Les Etats-Unis en phase terminale: l'autodestruction annoncée

Nicolas Maxime

Source: https://www.facebook.com/nico.naf.735

S’il existe aujourd’hui un pays qui illustre jusqu’à la caricature ce que l’on pourrait appeler la phase terminale de l’Occident, ce sont bien les États-Unis. À l’image de instrumentalisation politique des événements récents — le meurtre tragique d’Iryna Zarutska, ou l’assassinat du conservateur chrétien Charlie Kirk — et de la polarisation qui s'en suit entre deux camps irréconciliables, tout semble concourir, jour après jour, à l’effondrement de la première puissance mondiale qui ne parvient désormais plus qu’à mettre en scène ses propres convulsions.

Dans le meurtre d’Iryna Zarutksa, le profil de l’assassin, un afro-américain atteint de schizophrénie, illustre la faillite d’un système de santé qui laisse des centaines de milliers de sans-abri sans soins, livrés aux opiacés et à la violence de la rue. Les États-Unis sont le pays le plus riche du monde, mais tolèrent l’exclusion et l’effondrement de pans entiers de leur population, au risque de laisser des malades psychiques devenir des dangers potentiels pour les autres.

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Quant au tueur de Charlie Kirk, Tyler Robinson, il en serait le miroir inversé. Issu d'une famille blanche mormone, ce jeune homme de 22 ans a été décrit comme le gendre idéal. Sa trajectoire illustre l’effondrement social et moral d'un pays où l’isolement collectif et la perte de repères vont faire basculer des jeunes dans une violence meurtrière. De Bowling for Columbine jusqu'à la tuerie, récemment, dans une école dans le Minnesota, il ne passe pas une année sans qu'il y ait une tuerie de masse aux États-Unis impliquant des jeunes, parfois encore adolescents.

Sans plus tarder, la droite trumpiste a récupéré ces meurtres pour en faire la preuve d’un complot de la gauche contre l’Amérique blanche et chrétienne, tandis que certains militants progressistes ont jubilé à l'annonce de la mort de Charlie Kirk. Le débat n'est plus possible lorsqu'on instrumentalise les cadavres pour des raisons idéologiques.

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Dans Civil War, Alex Garland imagine une guerre civile aux États-Unis dans un futur proche où la haine et les règlements de comptes finissent par balayer le processus de civilisation décrit par Norbert Elias. Ceux qui ont vu le film se rappellent de cette scène effroyable où le milicien pose la question, « quel type d’Américain es-tu ? » avant de passer à l'acte. La réalité est peut-être en train de rattraper la fiction car ce qu’il montrait — une Amérique incapable de surmonter sa polarisation, où chaque camp vit dans le fantasme de l’élimination de l’autre — est en train de se réaliser sous nos yeux.

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Pour le comprendre, il faut convoquer le philosophe René Girard qui avait compris ce mécanisme dans La violence et le sacré. Il l'illustre par le désir mimétique selon lequel on désire toujours ce que l'autre désire,  ce qui mène à la violence. Cela engendre une crise sacrificielle lorsqu'il y a un conflit généralisé. Pour sauvegarder sa cohésion, la société concentre sa haine sur une victime unique, le bouc émissaire, accusé d’incarner tous les maux. Dans le cas américain, chaque camp érige son adversaire en ennemi absolu. Le meurtre de Charlie Kirk devient pour la droite trumpiste la preuve que la gauche est prête à tout pour détruire l’Amérique blanche et chrétienne. À l’inverse, une partie de la gauche voit dans la mort de Kirk celle d'un ennemi des idées progressistes. Au lieu d’apaiser la société, ce drame est devenu le support sacrificiel d’une haine sans issue où chaque camp est persuadé d'être l'ennemi du mal.

Complètement livrée au nihilisme et à ses démons intérieurs : misère sociale, drogue, violences, perte de repères … qu'elle n'a pas su et pu résoudre en devenant le pays de l'argent Roi, le pourrissement des États-Unis est tel que le pays est en voie d’auto-destruction annoncée. Pour l’instant, ce ne sont que des incendies épars, des étincelles violentes qui s’allument ici ou là. Mais viendra le jour où l’embrasement, et l'affrontement violent entre les deux camps sera définitif.

La question n’est plus de savoir si l’Amérique implosera, mais quand.

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lundi, 15 septembre 2025

La violence politique dans l'Ouest sauvage – Comment l'affaiblissement de l'hégémonie engendre un État sécuritaire

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La violence politique dans l'Ouest sauvage – Comment l'affaiblissement de l'hégémonie engendre un État sécuritaire

Markku Siira

Source: https://geopolarium.com/2025/09/11/villin-lannen-poliitti...

Le déclin de l'hégémonie occidentale se manifeste par une érosion systématique des structures éthiques et juridiques. Les principes et accords internationaux traditionnels s'effritent sous la pression des ambitions stratégiques et du pragmatisme politique. Ce processus suit un modèle historique que les critiques culturels ont décrit comme la phase finale du cycle de vie d'une civilisation.

La récente attaque israélienne contre les dirigeants du mouvement de résistance Hamas à Doha, au Qatar, illustre bien cette escalade. Les participants, qui avaient été amenés à négocier par l'intermédiaire des États-Unis, ont été pris pour cible. Cet acte a non seulement fait échouer une nouvelle fois le processus de paix, mais il a également révélé le rôle critiquable de l'administration Trump en tant que partie contribuant à éroder la confiance diplomatique.

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Cette dégradation du pouvoir engendre des conflits internes qui affaiblissent le principe de l'État de droit et normalisent l'agressivité politique. La dynamique interne des États-Unis illustre clairement ce phénomène: les actes de violence ciblés contre des politiciens et des militants, tels que l'assassinat par balles de Charlie Kirk, figure influente du conservatisme, dans l'Utah, ne sont pas de simples incidents isolés ou des effets secondaires de la polarisation. Ils reflètent un cynisme institutionnel plus profond, dans lequel l'agression sert le programme des détenteurs du pouvoir et affaiblit délibérément les mécanismes démocratiques.

La flexibilité éthique, qui subordonne la justice à des objectifs tactiques, s'inscrit dans un cycle historique plus large. Lorsque les empires s'affaiblissent, les piliers juridiques s'effondrent et la logique politique est remplacée par un recours brutal à la force, justifié par des arguments de « sécurité » ou de « nécessité ». Cela soulève des inquiétudes légitimes quant à la crédibilité des accords internationaux.

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Le sort d'Iryna Zarutska à Charlotte, en Caroline du Nord, souligne également cette contradiction: cette Ukrainienne de 23 ans a fui la guerre pour se réfugier dans l'Amérique qu'elle idolâtrait, avant d'être poignardée à mort dans un tramway sous les yeux indifférents des autres passagers. Cet incident révèle à quel point le discours occidental sur l'inclusion est en train de s'effriter: les criminels violents rejettent le principe de diversité, la haine ethnique reste une menace concrète et le système est incapable de protéger les personnes vulnérables.

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Le déséquilibre géopolitique se reflète également dans la vie quotidienne, où les tensions ethniques et culturelles s'intensifient dans l'ombre des conflits. Cela crée un paradoxe: au nom de la sécurité, des moyens autoritaires sont encouragés, tels que la surveillance préventive basée sur des algorithmes et la militarisation des forces de police. Ces mesures érodent les valeurs démocratiques et jettent les bases de la montée des États sécuritaires, qui profitent avant tout à l'élite au pouvoir. Lorsque les rues des villes deviennent suffisamment dangereuses, les citoyens en viennent même à exiger des mesures autoritaires de la part de leurs dirigeants.

L'agressivité politique finit par s'imposer comme un outil calculé permettant de renforcer la position dominante et de rejeter les véritables réformes. Le relativisme éthique justifie une surveillance étendue et des mesures préventives, transformant une bureaucratie inefficace en une administration technocratique. L'ordre mondial actuel semble être dans une impasse, où les confrontations répétées et l'exploitation instrumentale des valeurs alimentent une spirale destructrice.

Le défi central pour l'avenir est de briser ce cercle vicieux. La communauté internationale a-t-elle la capacité de créer un ordre mondial plus crédible pour remplacer l'ancien modèle occidental ? Les options sont claires: soit on mise sur une diplomatie préventive structurelle et des sanctions ciblées, soit on cède à la politique de la peur et on se livre aux chaînes du contrôle technologique, ce qui peut temporairement freiner le chaos, mais finit par créer une planète enfermée dans un prison dystopique.

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15:15 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, états-unis | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 14 septembre 2025

Les 10 principales raisons pour lesquelles Trump ne peut pas redonner sa grandeur à l'industrie manufacturière américaine

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Les 10 principales raisons pour lesquelles Trump ne peut pas redonner sa grandeur à l'industrie manufacturière américaine

La réalité l'emporte sur les fantasmes

S. L. Kanthan

Source: https://slkanthan.substack.com/p/top-10-reasons-why-trump...

J'ai écrit de longs articles sur ce sujet, mais voici un bref résumé des points saillants qui peuvent freiner ou annuler la croisade de Trump pour relocaliser l'industrie manufacturière:

10. Wall Street et les élites des entreprises américaines n'aiment pas l'industrie manufacturière.

9. Les États-Unis manquent de travailleurs qualifiés dans le secteur manufacturier.

8. Les jeunes Américains ne souhaitent pas travailler dans les usines.

7. Les lois environnementales sont trop strictes.

6. Les coûts de main-d'œuvre et d'exploitation sont élevés.

5. Les États-Unis manquent d'infrastructures de qualité : chemins de fer, ports maritimes et même électricité.

4. Les investisseurs savent que les démocrates arriveront bientôt au pouvoir et renverseront les règles du jeu. Il n'y a pas de stabilité à long terme.

3. Le commerce et le capitalisme ne fonctionnent pas en intimidant tout le monde. Si les États-Unis sont idéaux pour l'industrie manufacturière, celle-ci prospérera automatiquement.

2. La Chine et l'Asie maîtrisent l'industrie manufacturière et la chaîne d'approvisionnement.

1. On ne peut pas inverser 45 ans de désindustrialisation.

S.L. Kanthan

samedi, 13 septembre 2025

La mort de Charlie Kirk et la guerre civile à venir - L'assassinat qui a divisé l'Amérique en deux

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La mort de Charlie Kirk et la guerre civile à venir

L'assassinat qui a divisé l'Amérique en deux

Alexander Douguine

Alexander Douguine présente l'assassinat de Charlie Kirk comme un tournant décisif, avec le mouvement MAGA uni dans la colère, les libéraux en liesse, l'Ukraine jubilant et l'Amérique glissant vers la guerre civile.

Après la confirmation de la mort de Charlie Kirk (personne ne survit à un tel attentat, à une telle blessure), l'Amérique a explosé. Ce qui est surprenant, c'est que cela s'est produit des deux côtés. Trump et le mouvement MAGA ressentent une douleur sincère et une fureur sauvage. Musk a qualifié les démocrates de terroristes. Tous les membres du MAGA ont oublié leurs contradictions et se sont instantanément unis.

De l'autre côté, les libéraux ne peuvent contenir leur joie et leur exaltation. L'Idiot de Dowds a apparemment été licencié de MSNBC, mais lorsqu'une proposition a été faite au Congrès pour honorer la mémoire de Kirk par une prière, les démocrates ont hurlé : « NON ! ». Les réseaux libéraux ne peuvent contenir leur joie. Leurs camarades plus âgés les exhortent à ne pas trop afficher leurs sentiments. Cela pourrait mal finir. Mais ils n'écoutent pas. Ils sont triomphants. Après tout, un conservateur, un traditionaliste et un chrétien a été tué. Nous nous souvenons comment ces personnes sont étiquetées par leurs adversaires. Cette étiquette semble justifier leur meurtre.

Cela ressemble beaucoup au début d'une guerre civile.

Le Parti démocrate est l'Ukraine de l'Amérique. Ou l'inverse.

Le tireur a tiré à 200 mètres et a disparu. Ils ont arrêté la mauvaise personne.

Il est fort probable que personne ne saura jamais qui sont les véritables commanditaires et auteurs de ce crime, tout comme pour l'assassinat de Kennedy.

Aujourd'hui, tout le monde craint pour Musk. Et pour la vie de tous les patriotes américains et opposants aux libéraux. Une vie dans le collimateur. Pour nous, ce régime a commencé il y a trois ans. Le centre qui donne l'ordre de notre destruction, de l'élimination des partisans de MAGA, est le même.

Oui, l'Ukraine se réjouit du meurtre de Charlie Kirk, contrairement aux libéraux américains, qui essaient au moins de contenir leurs émotions. La différence entre le Parti démocrate américain et l'Ukraine est difficile à trouver. Il s'agit littéralement d'une organisation terroriste internationale.

Kirk a été tué dans une tente portant l'inscription « American Comeback ». Les meurtriers ont déclaré : « Pas du tout. Nous sommes toujours les maîtres ici. »

Le magazine Time a publié un article intitulé « Assez ». Mais c'est loin d'être « assez ». Ce n'est que le début.

En ce grand jour de la fête de la décapitation du vénérable précurseur Jean, nous observons un jour de jeûne strict. Depuis des temps immémoriaux, l'ennemi tue les saints, les justes, les innocents et les personnes simplement honnêtes et nobles. Ce n'est pas sans raison que le diable est appelé « un meurtrier dès le commencement ».

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Charlie Kirk assassiné – un signal pour le mouvement MAGA

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Charlie Kirk assassiné – un signal pour le mouvement MAGA

par Elena Fritz

Source: https://www.facebook.com/elena.fritz.10

Aux États-Unis, l'activiste conservateur Charlie Kirk (31 ans) a été abattu.

Mais qui était-il et pourquoi sa mort est-elle si explosive sur le plan politique?

Moteur idéologique du trumpisme

Kirk était l'un des principaux leaders de la droite américaine. Il incarnait l'idée que le camp MAGA pouvait survivre sans Trump. Pour beaucoup, il était considéré comme le porte-parole d'une nouvelle génération conservatrice.

Rôle dans le débat politique

Kirk n'était pas un homme politique au sens classique du terme, mais un communicateur et un animateur de débats. Il abordait délibérément les sujets « dérangeants » :

- Il n'y a que deux sexes

- Problèmes structurels plutôt que discours sur le « racisme »

- La migration est un danger, et non une solution

- Les universités sont des « îlots de totalitarisme »

Il présentait ces arguments de manière simple, directe et compréhensible pour un jeune public.

Pourquoi son assassinat est un fait très grave

- Sa mort montre que la division politique aux États-Unis s'accentue.

- Aucune victoire à Washington n'est définitive.

- La victoire électorale de Trump ne signifie pas que sa « révolution du bon sens » est assurée.

Tant que des personnalités comme Kirk seront éliminées, il n'y aura pas de « normalité » aux États-Unis, y compris dans les relations avec la Russie.

Conclusion :

Avec Kirk, le MAGA perd une figure clé. Sa mort pourrait devenir un symbole de martyre – et une preuve supplémentaire que les États-Unis entrent dans une phase de violence interne latente.

#geopolitik@global_affairs_byelena

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mercredi, 10 septembre 2025

Socialisme ou domination mondiale

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Socialisme ou domination mondiale

Peter Backfisch

En 1906, l’historien de l’économie et réformateur social Werner Sombart publia son ouvrage « Pourquoi n’y a-t-il pas de socialisme aux États-Unis ? » Initialement influencé par Karl Marx, Friedrich Engels voyait en lui « le seul professeur qui ait vraiment compris Le Capital ». Il s’intéressa par la suite aux théories de Max Weber et écrivit sur les développements du capitalisme au XIXe siècle et au tournant du siècle, en plaçant les mouvements sociaux au centre de ses recherches. Après sa visite à l’Exposition universelle de Saint-Louis en 1904, accompagné de Max Weber, il devint clair pour lui que le prolétariat ne renverserait pas le capitalisme. Il relata ses expériences dans le livre mentionné ci-dessus. Cette question sera le point de départ de cet essai.

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Les États-Unis sont restés, même après leur guerre d’indépendance contre les colonisateurs britanniques, l’enfant de leurs géniteurs européens ; on pourrait même dire, leur enfant raté. Précisément parce que le développement du mode de production capitaliste a commencé immédiatement après la paix avec les Britanniques et la fondation de l’État, les États-Unis sont à considérer dès le début comme la première civilisation de gauche du monde ou, comme l’a formulé Alexandre Douguine, une « expérience de la modernité ». Dans leurs fondements idéologiques marqués par le libéralisme, ils ont prôné une société fondée sur la liberté individuelle et la garantie du droit. Cependant, pour les populations autochtones et les esclaves africains, les droits de liberté inscrits dans la loi ne s’appliquaient pas dès le départ. Même les ouvriers blancs pauvres et les paysans ont été confrontés, durant les 140 premières années, à l’absence de droits et à l’exclusion.

Dès le début, les chefs de la révolution se méfiaient de la populace pauvre, qu’ils voyaient dans les immigrants blancs affluant dans le pays et les soldats démobilisés. Les esclaves et les Indiens n’étaient pas un sujet dans les premières années, car les idées révolutionnaires n’exerçaient aucune attraction sur eux. La première étape concernait la répartition des terres confisquées aux loyalistes en fuite. Les grandes terres, surtout celles de valeur, passaient immédiatement, pour l’essentiel, entre les mains des chefs de la révolution et de leurs partisans. Une certaine quantité de terre, de petites parcelles, était néanmoins réservée aux paysans afin de constituer une base de soutien relativement solide pour le nouveau gouvernement. L’énorme richesse en ressources de la Nouvelle-Angleterre rendit possible que des ouvriers manuels, des travailleurs, des marins et de petits paysans soient gagnés aux nouvelles idées grâce à la rhétorique révolutionnaire, à la camaraderie du service militaire et à l’attribution de petites parcelles de terre, permettant ainsi la naissance d’un « esprit pour l’Amérique ». Mais le plus grand groupe de sans-terre ne pouvait survivre qu’en tant que métayers sur les vastes domaines des grands propriétaires fonciers et ne pouvait pas nourrir leur famille avec les récoltes. Dès 1776, il y eut les premières « révoltes de métayers » contre les immenses domaines féodaux.

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Dans le Sud du pays, les grandes plantations se développaient, tandis qu’à l’Est, les premières usines et organisations commerciales apparaissaient, qui accélérèrent l’industrialisation jusqu’en 1850. 75 ans après l’indépendance, en Nouvelle-Angleterre, quinze familles (« Associates ») contrôlaient 20 % des filatures de coton, 39 % du capital d’assurance dans le Massachusetts et 40 % des réserves bancaires à Boston. Les industriels étaient devenus puissants et s’organisaient. Pour les artisans et les ouvriers, ce fut un processus bien plus difficile et long. Les voix refusant de plus en plus l’ordre social et politique se faisaient plus nombreuses, car la pauvreté s’étendait et s’aggravait même. Les formes de résistance, sous la forme de grandes grèves, restaient encore limitées localement et n’étaient pas organisées collectivement ; il manquait encore des associations ouvrières et des syndicats.

Avec l’éclatement de la guerre de Sécession, les questions nationales prirent le pas sur les questions de classes. Les partis politiques réclamaient du patriotisme pour la cause nationale et la mise de côté des intérêts égoïstes, occultant ainsi les causes économiques de la guerre civile, et surtout le fait que c’était le système politique lui-même et ses bénéficiaires, les classes riches, qui étaient responsables des problèmes sociaux croissants.

Les antagonismes de classes persistèrent et s’accrurent rapidement, ce qui, immédiatement après la guerre civile, mena à des affrontements sociaux encore plus vifs, atteignant un premier sommet avec la grande grève des cheminots de 1877 à Saint-Louis. À la fin, on dénombrait une centaine de morts, un millier d’ouvriers furent arrêtés et emprisonnés. Parmi les 100.000 grévistes, la plupart furent licenciés et se retrouvèrent au chômage. Cette grande grève attira beaucoup d’attention en Europe ; Marx écrivit à Engels : « Que penses-tu des ouvriers des États-Unis ? Cette première explosion contre l’oligarchie associée du capital depuis la guerre civile sera bien sûr à nouveau réprimée, mais pourrait très bien être le point de départ d’un parti ouvrier. » (Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, p. 244).

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La grève de 1877 fut la première grande grève aux États-Unis menée par un parti ouvrier. Il était encore minuscule et seulement local, mais il eut une grande influence sur la fondation de nombreux syndicats dans les années 1880. Ceux-ci organisèrent de plus en plus la résistance des travailleurs. Les premières revendications pour l’instauration d’un ordre socialiste se firent plus fortes. Le mouvement s’est doté de leaders devenus célèbres bien au-delà des États-Unis, tels qu’Alexander Berkman, Emma Goldman et Eugene Debs (photo, ci-dessous), président du parti socialiste des États-Unis et cinq fois candidat à la présidence. Berkman et Goldman jouèrent ensuite un rôle de premier plan dans la révolution russe de 1917 et 1918. Après avoir soutenu la révolte des marins de Cronstadt contre le pouvoir soviétique en 1918, ils furent expulsés par les bolcheviks vers les États-Unis, bien qu’il fût connu qu’ils y seraient arrêtés.

440px-Eugene_Debs_portrait-3889121698.jpegDans les années 1880 et 1890, les forces productives étaient si développées et la situation de la classe ouvrière si misérable qu’une situation régnait qui aurait pu mener à une révolution socialiste. « Des centaines de milliers d’Américains commencèrent à penser au socialisme. » (Howard Zinn, ibid., p. 330.) En Europe, la situation avait déjà été désamorcée par l’introduction des droits des travailleurs et des normes sociales. Nous revenons ici à la question posée par Sombart : « pourquoi n’y a-t-il jamais eu de socialisme en Amérique ? » Aujourd’hui, nous savons qu’il n’aurait jamais pu exister. Quelles en étaient les raisons ?

Les guerres offrent toujours aux gouvernants la possibilité de réunir le peuple autour d’un certain patriotisme. Ainsi, les conflits militaires et économiques entre les États-Unis et le Royaume d’Espagne menèrent en 1898 à une guerre qui aboutit à la prise de possession de Cuba, Porto Rico et Guam. À l’époque, il n’était pas clair si ces territoires seraient jamais rendus. En 1899, cette guerre se prolongea avec les Philippines. On estime que 200.000 à 1.000.000 de civils y trouvèrent la mort. La guerre dura jusqu’en 1902 et s’acheva également par l’annexion de l’île.

Au tournant du siècle, se forma le premier syndicat ouvrier à l’échelle des États-Unis, l’American Federation of Labor (AFL). Dès le début, d’importants défauts apparurent, nuisant à une morale de combat unifiée et efficace : presque tous les membres étaient des hommes, presque tous blancs, presque tous ouvriers qualifiés. Les attitudes racistes envers les Noirs étaient répandues. Les dirigeants percevaient de hauts salaires et côtoyaient les employeurs, menant un mode de vie axé sur la consommation. Il est attesté qu’un dirigeant de l’AFL a offert, lors d’un match de baseball, un billet de 100 dollars à celui qui avait retrouvé sa bague en or d’une valeur de 1 000 dollars, billet qu’il tira d’une liasse dans sa poche.

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La principale raison de la pacification de la classe ouvrière réside cependant dans le processus de réforme qui s’amorça vers 1904. Le président Theodore Roosevelt y vit le seul moyen de contrer la montée du socialisme. Malgré la résistance des employeurs, des changements législatifs furent introduits, se traduisant par des droits de protection des travailleurs. Les principaux économistes y voyaient la seule possibilité de stabiliser les intérêts de la grande industrie.

Avec l’entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale en 1917, le spectre du socialisme avait définitivement disparu aux États-Unis. Les États-Unis étaient devenus la première puissance mondiale, et la politique fut alors guidée par d’autres intérêts.

Le libéralisme, en tant qu’idéologie de la modernité avec sa promesse quasi-religieuse de salut pour l’humanité, remonte à la toute première colonisation britannique et reçut une consécration idéologique avec la déclaration d’indépendance américaine. Il avait remporté sa première victoire. Jusqu’en 1945, la nouvelle puissance mondiale, alliée à la Grande-Bretagne et à la France, a façonné le monde européen, y compris dans ses colonies. Une transformation majeure survint à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dont l’Union soviétique sortit également victorieuse. Dès lors, le monde fut confronté à une configuration bipolaire avec deux superpuissances. Avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, les États-Unis sont devenus « la seule superpuissance mondiale » (Zbigniew Brzezinski).

Allons-nous vers un ordre mondial multipolaire ?

Après les nombreux échecs militaires de l’Occident ces dernières décennies, il est de plus en plus soutenu que l’ordre mondial dominé par les États-Unis est en déclin et sera remplacé par un ordre multipolaire. On attribue aux pays dits BRICS la capacité d’opérer ce changement, car les principaux acteurs – Chine, Inde, Russie, Brésil, Iran et les États arabes – disposent de ressources matérielles adéquates et développent de plus en plus la volonté politique de se soustraire à la domination américaine. En 2009, dix pays se sont réunis pour la première fois à Iekaterinbourg, en Russie, afin de devenir de plus en plus puissants et influents d’ici 2025 (Rio de Janeiro). Aujourd’hui, 40 pays ont manifesté leur intérêt. Fin août 2025, une réunion de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) a eu lieu à Tianjin, en Chine. Cette alliance de plusieurs pays des BRICS a adopté une déclaration ayant le caractère d’une affirmation géopolitique de soi et formulant des objectifs pour l’avenir. Les points clés du document sont:

    - Création d’une banque de développement de l’OCS.

    - Pas de prise de position sur les conflits armés actuels comme en Ukraine.

    - Réforme des Nations unies.

    - Condamnation de la violence dans la bande de Gaza.

    - Rejet de la logique des blocs.

    - Stabilisation de l’Afghanistan.

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Les objectifs formulés dans la déclaration constituent un projet ambitieux. Ils ont le potentiel d’ébranler et d’affaiblir efficacement la domination de l’Occident en général, et celle des États-Unis en particulier. Surtout, l’organisation planifiée de la société sur la base d’un système de crédit social, grâce à une banque de développement propre, agissant indépendamment des influences géopolitiques, renforcera la souveraineté des nations. Il faut toutefois garder à l’esprit que les BRICS et l’OCS sont des alliances pragmatiques, qui fonctionnent de façon fragile sur de nombreux points. Ils ne possèdent pas l’unité civilisationnelle et l’identification dont fait montre l’alliance du G7. Cela ressort particulièrement du point 2 de la déclaration, qui laisse la Russie seule face à son consensus dans la guerre et contre les ingérences occidentales en Ukraine. Une justification invoquant l’unité de l’alliance paraît peu convaincante. La réforme des Nations unies, point 3, avec son Conseil de sécurité, est absolument nécessaire, mais cela ne doit pas conduire à une implication accrue d’États européens comme l’Allemagne, car cela renforcerait encore la surreprésentation occidentale.

Les développements actuels montrent qu’un contrepoids dans le système mondial est en train d’émerger. L’ordre mondial sera refondé et sera multipolaire. Les États-Unis pourront y jouer un rôle. Pour les Européens, il n’y aura probablement pas de place à l’échelle mondiale, tout au plus comme appendice des États-Unis. À moins qu’ils ne se souviennent de leur propre histoire et ne choisissent la voie de la redécouverte de soi.

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vendredi, 05 septembre 2025

États-Unis et Chine: une concurrence, deux mondes

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États-Unis et Chine: une concurrence, deux mondes

Derrière les stratégies des États se cachent des actions rationnelles. Cependant, contrairement à ce que prétend généralement la sagesse conventionnelle occidentale, la rationalité n'est pas universellement la même pour toutes les nations: les cultures conditionnent les mentalités et, par conséquent, les processus décisionnels.

Andrés Berazategui

Source: https://politicar.com.ar/contenido/1065/estados-unidos-y-...

La concurrence entre les États-Unis et la Chine met en évidence différentes manières de planifier des stratégies et d'agir. La pensée stratégique, étant quelque chose de complexe, révèle également que les contextes culturels qui sous-tendent les décisions des acteurs internationaux peuvent être très différents. En effet, la stratégie est planifiée en vue d'atteindre des objectifs à l'aide d'un ensemble de moyens utilisés de manière rationnelle. Or, la rationalité des acteurs, c'est-à-dire leur capacité à calculer et à évaluer de manière réfléchie l'utilisation des moyens permettant d'atteindre ces objectifs, n'est pas nécessairement la même chez tous, car les rationalités peuvent être conditionnées par des contextes culturels différents. Par exemple, l'immolation personnelle pour commettre un attentat peut être un moyen parfaitement rationnel pour un certain acteur, alors que pour un autre, c'est tout le contraire. Sans aller jusqu'à cet extrême, nous pensons qu'il est possible d'observer une différence de mentalité dans les stratégies des États-Unis et de la Chine, les deux plus grandes puissances actuelles.

Ce n'est plus un secret pour personne que les États-Unis et la Chine sont en concurrence dans de nombreux domaines de la politique internationale. Citons quelques-uns des thèmes les plus importants : la rivalité dans le commerce international ; les différents discours utilisés par les États-Unis et la Chine pour justifier leurs actions ; la présence militaire du géant asiatique au-delà de ses frontières et en particulier dans la mer de Chine méridionale ; les tensions permanentes autour de Taïwan ; l'alliance de plus en plus étroite entre la Chine et la Russie ; l'activité croissante dans l'espace extra-atmosphérique ; les accusations relatives à la cybersécurité ; les campagnes de « désinformation » ; la concurrence pour les ressources — notamment les minéraux et les métaux critiques — ; les développements en matière de biotechnologie, de semi-conducteurs, d'intelligence artificielle...

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Cependant, les deux pays présentent des différences notables dans la manière dont ils planifient leurs stratégies et défendent leurs intérêts. Même s'il n'a pas été le premier à le remarquer, il convient de rappeler ce qu'a dit Henry Kissinger à propos des différences entre la Chine et l'Occident. Il a illustré son propos en donnant l'exemple des « jeux respectifs auxquels chaque civilisation s'est adonnée » : le wei ki (plus connu sous le nom de go en Occident) en Chine et les échecs dans le monde occidental. Kissinger explique que dans le wei ki, l'idée d'encerclement stratégique est fondamentale. En effet, le nom du jeu peut se traduire par quelque chose comme « jeu de pièces environnantes ».

9782213655062-475x500-1-3485459349.jpgKissinger poursuit : « Les joueurs placent à tour de rôle les pierres à n'importe quel endroit de la grille, créant ainsi des positions de force et s'efforçant en même temps d'encercler et de capturer les pierres de l'adversaire ». Il souligne également comment, au fur et à mesure des mouvements des pièces, les équilibres se modifient progressivement jusqu'à ce que, vers la fin de la partie, « le plateau se remplisse de zones de forces qui s'entrelacent partiellement ». Le wei ki cherche à encercler les pièces de l'adversaire en occupant le plus grand nombre possible d'espaces vides. Le but du jeu n'est pas de « manger des pièces », mais d'obtenir la domination stratégique du plateau en acculant l'adversaire tout au long de la partie, jusqu'à ce qu'il n'ait plus aucune possibilité de faire des mouvements productifs ». Pour sa part, le jeu d'échecs est différent. Kissinger nous dit que, dans ce jeu, on recherche la victoire totale. Et c'est vrai, dans le jeu d'échecs, l'objectif « est le mat, placer le roi adverse dans une position où il ne peut plus bouger sans être détruit ». L'interaction des pièces est directe : elles cherchent à s'éliminer pour occuper des cases bien délimitées. Les pièces se mangent et sont retirées du plateau, épuisant ainsi l'adversaire et orientant les efforts vers l'encerclement de la pièce principale, le roi, jusqu'à ce que, comme nous l'avons dit, celui-ci ne puisse plus bouger sans être détruit.

Dans le wei ki, on cherche à encercler et à contourner, on fait appel à la flexibilité, à l'exploration des espaces sur l'échiquier en essayant d'occuper ses vides : le wei ki a une conception du temps plus liée à des développements fluides et rythmés. La rationalité dans les échecs se manifeste différemment: il s'agit de dominer la zone centrale du plateau, car c'est son « centre de gravité ». Les joueurs cherchent à « tuer » les pièces adverses en les mangeant et en les remplaçant par leurs propres pièces. Aux échecs, on s'affronte pièce par pièce, on cherche donc à être décisif. Une pièce qui est mangée reste à l'extérieur et le temps est mesuré avec plus de précision, car l'élimination d'une pièce ne se fait pas par un détour (tâche qui prend un certain temps), mais elle est mangée à un moment précis, localisable avec exactitude.

sun-tzu-and-carl-von-clausewitz-battle-yesil-2193814496.jpgCe n'est pas un hasard si, d'un point de vue militaire, les plus grands stratèges des deux cultures sont si différents. Sun Tzu et Clausewitz illustrent clairement les différences que nous avons relevées ici, car ils s'appuient tous deux sur des rationalités analogues à celles que nous avons exposées en parlant des jeux.

Sun Tzu explique qu'il faut essayer de subordonner la volonté de l'ennemi, mais si possible sans combattre. Sa maxime selon laquelle « l'art suprême de la guerre consiste à soumettre l'ennemi sans livrer bataille » est bien connue. Sun Tzu recherche ce que l'on pourrait définir comme une patience stratégique, étroitement liée à la notion d'un temps qui s'écoule et se régule au fur et à mesure que ses propres mouvements et ceux de l'ennemi se produisent. C'est pourquoi les questions immatérielles revêtent une telle importance pour le stratège chinois. Si l'idéal ultime est de soumettre sans livrer bataille, on comprend que Sun Tzu accorde autant d'importance à des choses telles que connaître l'ennemi ou recourir au mensonge et à la tromperie. Pour l'Orient, la bataille est très coûteuse en hommes et en ressources, c'est pourquoi il vaut mieux essayer de l'éviter et n'y recourir que lorsqu'il n'y a pas d'autre alternative.

Clausewitz est tout à fait différent, tout comme le reste des stratèges militaires classiques occidentaux. Pour commencer, pour le Prussien, la bataille est cruciale. De plus, l'idéal n'est pas d'éviter les batailles, mais au contraire d'essayer d'en trouver une qui soit décisive. L'objectif de la guerre est de vaincre l'ennemi par la force, car la guerre est avant tout un acte de violence physique. C'est pourquoi Clausewitz accorde une grande importance aux variables matérielles, temporelles et spatiales qui peuvent favoriser au mieux les performances au combat. Dans la pensée stratégique militaire occidentale, la confrontation, la force et l'anéantissement de l'ennemi sont fondamentaux.

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Si nous appliquons cette analyse à la concurrence actuelle entre la Chine et les États-Unis, nous constatons que les schémas de pensée que nous avons exposés se retrouvent dans la manière dont les deux puissances gèrent leurs géostratégies respectives. La Chine cherche principalement à promouvoir des intérêts mutuellement avantageux avec d'autres acteurs — afin de les convaincre qu'il est profitable de s'entendre avec elle —, tout en recourant au soft power pour se présenter comme une puissance bienveillante et diplomatique qui ne recherche que la prospérité commune.

Les mesures coercitives sont généralement des derniers recours que la Chine met en œuvre de manière indirecte et à des degrés d'intensité variables en fonction du contexte. La projection du géant asiatique sur la mer de Chine méridionale ressemble à un coup de wei ki : il occupe des espaces « vides » (de souveraineté pratique relative ou contestée) en construisant des îles artificielles qui s'articulent autour d'une « ligne de neuf points » qui entoure l'espace qu'il entend dominer. La construction de ces îles est menée de manière si soutenue et ferme qu'elle laisse peu de place aux manœuvres politiques des États de la région. Dans le même temps, la Chine, à travers son initiative « Belt and Road », déploie sa puissance sur une vaste zone géographique en générant des investissements et des intérêts communs avec des acteurs qui, en principe, bénéficient du projet. Avec l'initiative « Belt and Road », la Chine étend à long terme son influence et son commerce en attirant un grand nombre de pays avec de bons dividendes.

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Les actions américaines, en revanche, sont clairement différentes. Les États-Unis mettent toujours l'accent sur le hard power, les actions directes et même les menaces publiques. Sa stratégie pour la région indo-pacifique, principal espace de concurrence avec Pékin, consiste généralement en une combinaison d'accords en matière de sécurité et de renseignement avec les pays de la région (AUKUS, QUAD, Five Eyes, ou accords bilatéraux de défense avec le Japon, la Corée du Sud, les Philippines) et de sanctions économiques et de restrictions technologiques à l'égard de la Chine. Les États-Unis s'opposent explicitement à la Chine, au point que la reconnaissance de cette dernière comme principale menace pour les intérêts mondiaux des États-Unis est un point de convergence fondamental entre les partis démocrate et républicain. Le fait que Donald Trump se soit montré un peu plus ouvert au dialogue avec Xi Jinping ne change rien à l'équation, selon nous. La concurrence stratégique entre les deux pays est là pour durer. Chacun agira selon sa stratégie, sa vision du monde et ses valeurs. En définitive, selon son propre esprit.

jeudi, 04 septembre 2025

Amérique latine: les États-Unis reviennent à la diplomatie des canonnières

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Amérique latine: les États-Unis reviennent à la diplomatie des canonnières

Leonid Savin

La semaine dernière, le président américain Donald Trump a décidé d’envoyer une flotte de navires de guerre et un sous-marin au large du Venezuela dans le cadre d’une opération spéciale ciblant les cartels de la drogue internationaux. La porte-parole de la Maison-Blanche, Carolyne Levitt, a également déclaré que la force militaire serait utilisée, si nécessaire, contre le Venezuela.

Étant donné qu’auparavant, le président du Venezuela, Nicolás Maduro, avait déjà été accusé d’être à la tête du cartel de la drogue "Sun" et de ne pas être un président légitimement élu, il y a toutes les raisons de penser que ce geste démonstratif de force pourrait dégénérer en une provocation sérieuse avec des conséquences imprévisibles pour toute la région.

La flotte américaine comprend trois destroyers de classe Arleigh Burke équipés de missiles guidés, un sous-marin et trois navires de débarquement transportant environ 4500 marines. Si la cible était des cartels de la drogue utilisant de petits bateaux ou des sous-marins artisanaux, souvent utilisés une seule fois, une telle flotte, aussi puissante, ne serait pas nécessaire. Il serait plus logique d’utiliser des avions de reconnaissance en coordination avec des bâtiments des garde-côtes, qui patrouillent le long des routes présumées empruntées par les trafiquants. Bien que, selon certaines déclarations, des avions de détection à longue portée Boeing P-8-A Poseidon de la marine américaine participent également à cette opération.

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La diabolisation de la direction vénézuélienne n’a pas été un événement isolé. L’ancien procureur général américain William P. Barr a déclaré précédemment que "depuis plus de 20 ans, Maduro et plusieurs collègues de haut rang auraient conspiré avec les FARC (groupe rebelle colombien d’extrême gauche), ce qui aurait permis à des tonnes de cocaïne d’entrer dans les circuits américains et, par suite, de les dévaster."

En février 2025, Donald Trump a inscrit le groupe Tren de Aragua, actif aux États-Unis, sur la liste des organisations terroristes. Des mesures similaires ont été prises contre la MS-13 salvadorienne et six autres groupes mexicains. Il faut souligner qu’il n’y a aucune preuve qu’il existe des cartels de la drogue à l’intérieur du Venezuela ou que le gouvernement de ce pays ait des liens avec des gangs aux États-Unis. Il s’agit d’une désinformation pure, utilisant des méthodes similaires à celles employées auparavant contre la Russie.

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En réalité, toutes les accusations portées contre le gouvernement vénézuélien sont tirées par les cheveux et basées sur un faux rapport rédigé par Joseph Humire, directeur du Center for a Safe and Free Society, un think tank conservateur lié à l’extrême droite américaine.

Ce rapport a été publié le 5 décembre 2024 par la Heritage Foundation et présenté comme un document stratégique pour la «sécurité de l’hémisphère».

Selon le journal britannique The Guardian, Humire aurait utilisé des données fictives et manipulé des déclarations à l’encontre du gouvernement vénézuélien dans divers médias américains, en mentant également lors d’audiences au Congrès américain.

Il est aussi mentionné que les déclarations de Humire concernant les liens entre le gouvernement de Maduro et des groupes criminels organisés ont suscité des doutes, y compris dans la communauté du renseignement américain.

Néanmoins, ces fausses accusations ont fonctionné: une récompense de 50 millions de dollars a été offerte pour Nicolás Maduro (probablement pour inciter l’armée vénézuélienne à commettre un coup d’État), de nouveaux prisonniers ont été envoyés à Guantanamo, en janvier 2025, la loi anti-immigration de Laken Riley a été adoptée aux États-Unis, et le Venezuela a été qualifié d’« État sponsor du terrorisme » (ce qui entraînera de nouvelles sanctions et autres mesures restrictives si la liste officielle est modifiée). Le dernier prétexte invoqué est la lutte contre les cartels de la drogue (dont au moins un, "Sun", est fictif), qui représentent une menace pour les États-Unis, pour laquelle Donald Trump a autorisé l’usage de la force armée.

Il faut aussi noter que, parallèlement, les États-Unis continuent de négocier avec Caracas pour l’extraction de pétrole, mais cela n’est pas beaucoup médiatisé. Probablement, la diabolisation du gouvernement vénézuélien vise aussi à renforcer la position de Washington dans ces négociations.

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Mais Caracas a répondu fermement à ces provocations américaines par une déclaration de mobilisation. Le ministre de la Défense, Vladimir Padriño Lopez, a déclaré que « la patrie ne se discute pas, la patrie se défend ». Nicolás Maduro a donc annoncé la mobilisation de la milice bolivarienne, dont les membres ont été appelés à se rendre dans les points de rassemblement les 23 et 24 août. Le soutien au gouvernement vénézuélien a été exprimé par divers partis politiques, syndicats et organisations non gouvernementales, dont certains sont russes.

Une réunion extraordinaire d’ALBA-TCP a été organisée, au cours de laquelle les actions des États-Unis contre le Venezuela ont été condamnées. Dans la déclaration, il est dit que « nous rejetons catégoriquement les ordres du gouvernement américain concernant le déploiement des forces armées sous des prétextes fallacieux, avec l’intention évidente d’imposer une politique illégale, interventionniste et contraire à l’ordre constitutionnel des États d’Amérique latine et des Caraïbes. Le déploiement militaire américain dans les eaux des Caraïbes, déguisé en opérations anti-drogue, constitue une menace pour la paix et la stabilité dans la région. »

Ils ont également exigé de Washington qu’il mette fin immédiatement à toute « menace ou action militaire qui viole l’intégrité territoriale et l’indépendance politique » des pays de la région, ainsi que le « respect sans condition du cadre juridique international et des mécanismes multilatéraux de règlement pacifique des différends ».

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Outre Cuba, le Nicaragua et la Bolivie, des critiques à l’égard de Washington ont été exprimées par les dirigeants du Mexique, de la Colombie et du Brésil, ainsi que par de petits États insulaires des Caraïbes: République Dominicaine, Antigua-et-Barbuda, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Saint-Christophe-et-Niévès, Grenade et Sainte-Lucie.

Quant à l’évolution possible du scénario, il est probable que Washington tentera d’utiliser le conflit territorial entre le Venezuela et le Guyana, en entrant dans les eaux territoriales que le Venezuela considère comme étant siennes, mais que le Guyana ne reconnaît pas (notamment où se trouvent d’importants gisements de pétrole). Même sans l’accord du gouvernement guyanais, il est peu probable que ce pays puisse empêcher une telle opération de piraterie.

Il est également évident que, dans un contexte géopolitique plus large, les États-Unis veulent jouer la carte de la force face à la Colombie et au Brésil, dont la direction n’est pas actuellement sous influence de Washington. Avec le renforcement de leur influence en Argentine, en Uruguay, au Paraguay, au Pérou, en Équateur, au Panama et en Bolivie (après les dernières élections générales où le Mouvement pour le socialisme a perdu face à des candidats et partis pro-américains), il semble qu’un plan systématique est en marche pour contrôler toute l’Amérique latine. Et le Venezuela reste un obstacle difficile à franchir.

mardi, 02 septembre 2025

Les droits de douane de Trump - L'UE aurait dû prendre exemple sur l'Inde

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Les droits de douane de Trump

L'UE aurait dû prendre exemple sur l'Inde

Thomas Röper

Source: https://anti-spiegel.ru/2025/die-eu-haette-sich-ein-beisp...

Dans le conflit sur les droits de douane, l'UE a cédé devant Trump et a accepté un accord ruineux, que les médias et les politiciens célèbrent même, car cet accord aurait évité le pire. L'Inde voit les choses différemment et s'oppose aux exigences de Trump.

Fin juillet, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a capitulé sans raison devant le président américain et a accepté un accord ruineux pour l'UE, selon lequel les entreprises américaines peuvent vendre leurs marchandises en franchise de droits dans l'UE, tandis que la plupart des exportations de marchandises de l'UE vers les États-Unis seront désormais soumises à un droit de douane de 15%. Ursula von der Leyen a également promis à Trump d'acheter aux États-Unis pour 750 milliards de dollars de gaz liquéfié, de pétrole et de combustibles nucléaires d'ici la fin de son mandat. En outre, l'UE investira 600 milliards de dollars supplémentaires aux États-Unis dans les années à venir.

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La capitulation de l'UE devant Trump

Il s'agit là d'une capitulation totale de l'UE devant Trump, qui sera ruineuse pour l'économie européenne, déjà mise à mal par l'explosion des prix de l'énergie suite au refus du pétrole et du gaz russes. L'Allemagne est en récession depuis des années et les autres pays de l'UE ne se portent guère mieux. Les droits de douane et l'obligation d'acheter à l'avenir du pétrole et du gaz de fracturation hydraulique coûteux porteront un nouveau coup à l'économie.

Malgré cela, les médias allemands, prétendument si critiques, s'efforcent de minimiser la catastrophe. Le magazine Der Spiegel, par exemple, s'est une fois de plus complu dans son rôle de porte-parole de la Commission européenne et a publié le 24 août un article intitulé « Accord douanier entre l'UE et les États-Unis – Ursula von der Leyen se défend et parle d'un « accord solide, même s'il n'est pas parfait » avec Trump », dans lequel Der Spiegel reprenait sans aucune critique les propos d'Uschi von der Leyen. Cet article n'avait rien à voir avec du journalisme, il s'agissait plutôt de la publication d'un communiqué de presse de la Commission européenne.

Le 26 août, Der Spiegel a publié une chronique intitulée « Déclaration commune sur l'accord douanier – Un adieu à l'Occident », qui semblait certes un peu plus critique, mais qui, dans le fond, suivait également l'argumentation de la Commission européenne, car toutes les critiques exprimées dans la chronique à l'égard de l'accord ont été balayées dès le début de l'article par ces phrases:

« Certes, von der Leyen a raison de dire que les États membres de l'UE n'avaient guère d'autre choix que de céder à Trump en raison de leur faiblesse militaire et économique. Et il est également vrai que la confédération d'États a obtenu de meilleures conditions que des pays plus petits comme la Suisse ou la Malaisie. »

Il semble logique qu'une guerre commerciale avec les États-Unis aurait été pire pour l'UE que cet accord. Mais, dans le fond, c'est absurde, même si cela semble logique, or ça ne l'est pas. La raison en est que la guerre commerciale aurait touché les États-Unis aussi durement, voire plus durement, que l'UE.

Il ne faut pas oublier que l'UE, en tant qu'économie nationale mesurée en termes de PIB selon la parité de pouvoir d'achat (PPA), qui doit être utilisée pour comparer les économies nationales, est aussi grande que les États-Unis, car les deux ont un PIB légèrement supérieur à 29.000 milliards de dollars. L'UE aurait donc pu se montrer plus confiante, mais elle est un vassal des États-Unis qui doit dire « oui » à tout.

L'Inde montre comment faire

Selon la PPA, l'Inde a un PIB de 14.600 milliards de dollars, soit à peine la moitié de celui des États-Unis. Néanmoins, l'Inde ne s'est pas laissée intimider par Trump lorsqu'il a menacé fin juillet de déclencher une guerre commerciale avec des droits de douane punitifs de 25%, ce qui signifie un droit de douane total de 50 % sur les marchandises indiennes. Trump a lancé un ultimatum à l'Inde: soit elle cesse d'acheter du pétrole russe, soit elle sera sanctionnée par des droits de douane.

J'ai immédiatement supposé que l'Inde ne se laisserait pas intimider par Trump, car premièrement, le gouvernement indien est trop sûr de lui, deuxièmement, renoncer au pétrole russe nuirait davantage au pays que les droits de douane de Trump, troisièmement, parce qu'il mène délibérément une politique neutre et ne veut se laisser instrumentaliser par aucune grande puissance, et quatrièmement, parce qu'il aurait de gros problèmes avec les agriculteurs indiens s'il ouvrait le marché indien aux denrées alimentaires américaines, comme l'exige Trump.

Les droits de douane sont entrés en vigueur mercredi, l'Inde ne s'est pas laissée intimider par Trump. L'UE aurait pu s'en inspirer, car elle est économiquement beaucoup plus forte que l'Inde.

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Les déclarations faites ces derniers jours par l'Inde sont intéressantes. Samedi, le ministre indien des Affaires étrangères a déclaré que New Delhi avait fixé des limites claires dans les négociations commerciales en cours avec les États-Unis, malgré la menace de droits de douane punitifs pouvant atteindre 50 %. Il a insisté sur la protection des agriculteurs et des petits producteurs du pays. Il a également déclaré que l'incertitude croissante à l'échelle mondiale ramenait l'attention sur les « partenaires fiables et stables ». Nul besoin d'être devin pour comprendre qu'il faisait principalement référence à la Russie, avec laquelle les échanges commerciaux de l'Inde ne cessent d'augmenter à des conditions avantageuses pour les deux parties.

Fin juillet, Trump s'était exprimé de manière très désobligeante à l'égard de l'Inde et de son économie, qu'il avait qualifiée de « morte ». Comme Trump cherche également à se rapprocher du Pakistan, ennemi juré de l'Inde, le Premier ministre indien est manifestement en colère contre lui. Selon les médias, Trump aurait tenté à quatre reprises d'appeler le Premier ministre indien dans les derniers jours avant l'entrée en vigueur des droits de douane contre l'Inde, mais celui-ci n'aurait pas répondu à ses appels.

Cela montre également qu'il est tout à fait possible de montrer de la confiance en soi face à Trump et de ne pas tout accepter de lui, comme le font l'UE et ses États membres.

De plus, le ministre indien de la Défense a annulé un voyage aux États-Unis. Cela met en péril les commandes indiennes auprès des entreprises d'armement américaines, pour lesquelles les États-Unis se sont longtemps battus, car la Russie est traditionnellement le principal partenaire de l'Inde dans le domaine de l'armement.

On voit donc que tous les discours des politiciens européens et des médias allemands selon lesquels l'accord avec Trump n'est certes pas formidable, mais préférable à une guerre commerciale, sont absurdes. L'UE aurait pu tenter le coup, mais comme elle est – je me répète – un vassal des États-Unis, elle se laisse actuellement ruiner par Trump et le remercie même pour cela.

Pas étonnant que plus personne dans le monde ne prenne l'UE au sérieux...

Qui est Thomas Röper?

Thomas Röper, né en 1971, est un expert de l'Europe de l'Est qui a occupé des postes de direction et de conseil d'administration dans des sociétés de services financiers en Europe de l'Est et en Russie. Il vit aujourd'hui à Saint-Pétersbourg, sa ville d'adoption. Il réside en Russie depuis plus de 15 ans et parle couramment le russe. Son travail critique des médias se concentre sur l'image (médiatique) de la Russie en Allemagne, la critique de la couverture médiatique occidentale en général et les thèmes de la politique (géopolitique) et de l'économie.

vendredi, 29 août 2025

Les véritables enjeux du sommet en Alaska

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Les véritables enjeux du sommet en Alaska

par Clara Statello

Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/31073-clara-statello-la-vera-posta-in-gioco-del-vertice-in-alaska.html

Le sommet crucial en Alaska : un duel entre la Russie et les États-Unis. L'Ukraine et l'UE restent en retrait

Les négociations de paix pour l'Ukraine s'avèrent être un duel entre les États-Unis et la Fédération de Russie, qui ont décidé vendredi 15 août en Alaska du sort des territoires sous contrôle russe, ainsi que des questions de coopération stratégique et de division des zones d'influence. L'Union européenne et l'Ukraine sont restées en retrait.

Alors que l'Europe s'inquiète de plus en plus que la Maison Blanche et le Kremlin puissent s'entendre pour mettre fin à la guerre prolongée, en contournant Kiev, Zelensky rejette le plan de Trump visant à reconnaître le Donbass russe.

Il accepte un cessez-le-feu avec le gel de la ligne de front actuelle, dans le cadre du plan européen, qui prévoit un cessez-le-feu avant toute autre initiative, le retrait des troupes selon le principe « territoire pour territoire » et des garanties de sécurité, y compris l'adhésion à l'OTAN.

Kiev dit donc "non" à une reconnaissance de jure, mais s'ouvre à une reconnaissance de facto.

Il s'agit tout de même d'un progrès dans les négociations, d'un « assouplissement de la position » ukrainienne, écrit le Telegraph. Zelensky bénéficie du soutien de ses partenaires européens et de l'OTAN, grâce auxquels l'Ukraine acquerra un pouvoir de négociation.

Entre-temps, dans la presse occidentale, l'idée commence à s'imposer que la position de Kiev de refuser toute concession territoriale est irréaliste. Selon le commentateur du Financial Times, Gideon Rachman, la reconnaissance de facto des territoires sous contrôle russe pourrait être nécessaire si elle garantit que « l'Ukraine parviendra à maintenir son indépendance et sa démocratie ».

« ... certaines concessions territoriales de facto peuvent être douloureuses, mais acceptables ».

Pourquoi Zelensky a-t-il changé d'avis ?

Deux facteurs ont contribué à adoucir la position de Kiev :

La crainte qu'un refus de Zelensky à Trump n'entraîne l'arrêt de l'aide militaire et du renseignement, comme cela s'est déjà produit en février, après « l'incident » dans le bureau ovale.

Le consensus croissant de l'opinion publique en faveur d'une fin négociée et immédiate de la guerre.

Selon un sondage Gallupp réalisé début juillet et publié la semaine dernière, 69 % des Ukrainiens se sont déclarés favorables à une fin négociée de la guerre dès que possible, contre 24 % qui souhaitent continuer à se battre jusqu'à la victoire.

En outre, en se montrant ouverts au plan de Trump, les pays européens et l'Ukraine espèrent être impliqués dans les négociations afin d'accroître le poids de l'Occident dans les négociations.

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L'UE cherche sa place à la table des négociations

Selon un adage diplomatique bien connu, si vous n'êtes pas assis à la table, vous êtes au menu. De plus en plus écartée du jeu, l'Union européenne tente de se faire une place à la table des négociations. Elle a donc publié une déclaration dans laquelle elle exhorte Trump à prendre en compte les intérêts de l'Europe et de l'Ukraine dans les négociations avec Poutine.

Elle souligne le droit du peuple ukrainien à déterminer son avenir de manière autonome, ainsi que la nécessité d'une solution diplomatique à la guerre qui protège les intérêts ukrainiens et européens.

« Des négociations constructives ne peuvent avoir lieu que dans le contexte d'un cessez-le-feu ou d'une réduction des activités militaires », peut-on lire dans la déclaration. La Hongrie n'a pas soutenu cette déclaration.

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Le bras de fer entre Kallas et Dmitriev

Kaya Kallas, dans un post sur X, a réaffirmé l'unité transatlantique, le soutien à l'Ukraine et la pression sur la Russie comme moyen de mettre fin à cette guerre et d'en prévenir une autre.

La réponse du représentant spécial de Poutine, Kirill Dmitriev, qui dirige les aspects économiques et de coopération des négociations entre la Russie et les États-Unis, ne s'est pas fait attendre. Il a rappelé que le conflit se résout par le dialogue et que la sécurité se renforce par la résolution des problèmes grâce à la coopération, tandis que ceux qui continuent à suivre les discours de Biden échoueront.

Le haut représentant pour la politique étrangère européenne a ajouté que l'UE se préparait à exercer une pression accrue sur la Russie avec davantage de sanctions et d'armes, annonçant la préparation d'un 19ème paquet de sanctions contre la Russie.

Le plan de Trump

L'Union européenne n'a pas l'intention de discuter de concessions territoriales tant que la Russie n'aura pas accepté un cessez-le-feu complet et inconditionnel. Le président Trump, en revanche, entend trouver un accord pour mettre fin aux combats, qui inclurait un échange de territoires entre Moscou et Kiev.

Les États-Unis tenteront de fixer les frontières des Républiques populaires du Donbass sur la ligne de front actuelle, qui servira également de ligne de démarcation pour geler la guerre sur les territoires qui ne feront pas l'objet d'un échange et qui bénéficieront d'une reconnaissance de facto.

Toutefois, Trump reste prudent et prévient que cette rencontre avec Poutine ne sera que préliminaire, afin de demander la fin de la guerre et d'établir un dialogue constructif.

Le chef du Pentagone, Pete Hegseth, a confirmé que l'échange de territoires sera une question clé du sommet en Alaska.

« Au cours des négociations, il pourrait y avoir des échanges territoriaux, il y aura des concessions. Personne ne sera satisfait », a-t-il déclaré à Fox, assurant que Trump n'offrira pas une victoire totale à Poutine.

Le réarmement « historique » de l'UE

Alors que les États-Unis entendent mettre un terme au scénario ukrainien, ou du moins se retirer, l'UE se prépare à la guerre avec la Russie.

C'est ce qui ressort d'une enquête du Financial Times, qui montre que l'Europe est en train de vivre un réarmement sans précédent : les usines d'armement se développent à un rythme trois fois supérieur à celui de l'époque de paix, avec 7 millions de mètres carrés de nouveaux développements industriels.

L'étude est basée sur une analyse des données satellitaires relatives à 150 installations et 37 entreprises produisant des missiles et des munitions, « deux goulets d'étranglement dans le soutien occidental à l'Ukraine ».

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Parmi les installations qui connaissent la plus forte expansion figure un projet conjoint du géant allemand Rheinmetall et de la société d'État hongroise de défense N7 holding, visant à construire une grande usine de production de munitions et d'explosifs à Varpalota, dans l'ouest de la Hongrie.

«L'ampleur et l'étendue des travaux constatés suggèrent un changement générationnel dans le réarmement, qui a conduit l'Europe de la production "juste à temps" en temps de paix à la construction d'une base industrielle pour une situation de guerre plus durable », écrit le FT.

L'UE n'a donc pas l'intention de lâcher prise, mais entend plutôt poursuivre sa guerre contre la Fédération de Russie jusqu'à la dernière goutte de sang du dernier Ukrainien. Dans cette perspective, on peut craindre que le sommet du vendredi 15 août entre Poutine et Trump n'a servi qu'à établir un retrait des États-Unis de la guerre afin d'entamer de nouvelles relations avec la Fédération de Russie, un partenaire indispensable pour dialoguer avec Pékin, Téhéran et d'autres challengers de Washington.

Mais la machine à broyer ukrainienne continuera à faire des ravages avec cette guerre soutenue par les États européens et l'OTAN.

jeudi, 28 août 2025

Directive de Douguine: « Il ne fait aucun doute que la rencontre en Alaska est un immense succès pour notre diplomatie »

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Directive de Douguine: « Il ne fait aucun doute que la rencontre en Alaska est un immense succès pour notre diplomatie »

Alexandre Douguine

Même le fait que le déjeuner n'ait pas eu lieu est, selon moi, une étape prévue qui confirme le sérieux de nos exigences en matière de défense des intérêts nationaux et des intérêts relatifs à notre sécurité. C'est là, à mon avis, que réside le principal succès.

Le simple fait que la rencontre ait eu lieu est déjà une victoire. La Russie a brisé son isolement et a été reconnue comme une grande puissance par Trump. Quant aux réelles conditions de paixs qui ont été discutées, je n'en sais rien. Et c'est tant mieux, car sinon, il y aurait eu beaucoup de spéculations et d'interprétations divergentes.

Si Trump parvient à un accord avec les dirigeants mondialistes de l'UE et Zelensky, nous connaîtrons les conditions d'un accord et nous pourrons les évaluer. S'il n'y a pas d'accord, peu importe les conditions qui ont été discutées, tout continuera comme avant. La seule question est de savoir si Trump, comme Biden, participera au conflit aux côtés de l'Ukraine ou s'il s'en retirera. Nous savons que la rencontre en Alaska a été un succès diplomatique. Mais au-delà, c'est l'incertitude totale. La seule certitude, c'est que nous avons fait part à Trump de nos conditions pour mettre fin au conflit, et c'est tout. Nous avons exprimé ce que nous considérons comme nos intérêts nationaux, et maintenant Trump, qui souhaite clairement mettre fin au conflit, va comparer cela avec les positions des autres parties prenantes.

Nous verrons dans quelle mesure Trump est souverain par rapport à l'UE, dans quelle mesure il est indépendant de l'« État profond » (Deep State) et des néoconservateurs, qui proposent, eux, d'intensifier la pression militaire. Dans quelle mesure s'est-il éloigné du mouvement MAGA (Make America Great Again), qui était le pilier de son pouvoir et l'expression populaire de son idéologie, dans le cadre duquel il aurait dû depuis longtemps opter pour la désescalade et cesser de soutenir l'Ukraine, mais il ne l'a pas fait. Cela indique qu'il s'est éloigné du mouvement MAGA (comme dans sa position sur le Moyen-Orient et dans son refus de publier des éléments du dossier Epstein). Mais en général, il y a actuellement trop d'incertitudes pour faire des prévisions.

Il faut toutefois comprendre qu'il y a actuellement plus de personnes qui veulent nous combattre en Occident que de personnes qui veulent la paix. Je veux parler ici de l'UE, du régime nazi ukrainien, du Parti démocrate américain, des néo-conservateurs du Parti républicain et de tout le Deep State américain. D'un autre côté, il y a ceux qui ne veulent pas nous combattre. Il s'agit du mouvement MAGA et, apparemment, de Trump lui-même, qui souhaite jouer le rôle de pacificateur et obtenir le prix Nobel de la paix. Mais qui l'emportera ? Les ambitions personnelles de Trump et l'influence affaiblie du mouvement MAGA, ou le Parti démocrate, qui contrôle la quasi-totalité de la presse occidentale, l'État profond, qui supervise les deux partis, le noyau néoconservateur du Parti républicain, ainsi que l'UE avec Zelensky ?

Le rapport de forces est inégal. Je pense que le « parti de la guerre » en Occident l'emporte actuellement sur le « parti de la paix ». Nous devons donc être prêts à toute issue. Le plus important est de défendre nos intérêts, de ne jamais abandonner et de ne pas faire confiance à l'Occident. Même s'il existe des forces qui nous sont idéologiquement proches, comme le mouvement MAGA, nous constatons qu'elles sont elles-mêmes isolées et ne peuvent jouer un rôle déterminant.

Au cours des six derniers mois, la coalition MAGA, composée de personnalités très intéressantes (Elon Musk, Stephen Bannon, Tucker Carlson, Candace Owens, Alex Jones, Marjorie Taylor Greene, Thomas Massie), s'est séparée de Trump. C'est pourquoi nous devons nous concentrer sur nous-mêmes, ne pas nous faire d'illusions, faire confiance à notre président et nous préparer à une longue guerre. Même si nous nous arrêtons maintenant, la guerre nous rattrapera. Il semble que la guerre soit notre destin. Mais cela a toujours été le cas dans notre histoire.

mardi, 26 août 2025

L'importance de la rencontre Poutine/Trump en Alaska

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L'importance de la rencontre Poutine/Trump en Alaska

Alex Krainer

Le vendredi 15 août, Donald Trump et Vladimir Poutine se sont rencontré en Alaska. Le choix de ce lieu a envoyé un message très encourageant au monde entier.

Source: https://alexkrainer.substack.com/p/the-significance-of-alaska

Mise à jour [12 août 2025] : J'ai établi la chronologie du projet visant à relier les États-Unis et la Russie à travers le détroit de Béring à partir du Substack de Matthew Ehret (lien ci-dessous), mais j'ai omis de mentionner l'économiste visionnaire et candidat à la présidence Lyndon LaRouche, qui a conceptualisé le projet dès les années 1980 et « fait du programme du détroit de Béring le centre de sa stratégie internationale » dès 1993. Pour en savoir plus, cliquez sur ce lien: https://x.com/CHahnT/status/1955161957297733710.

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La semaine dernière, j'ai eu le privilège de m'entretenir avec un auteur et géostratège chevronné, l'amiral Davor Domazet, que j'ai mentionné ici le mois dernier dans « La défaite de la stratégie du chaos de l'Occident » (https://trendcompass.substack.com/p/defeat-of-the-wests-strategy-of-chaos). Alors que nous discutions des événements géopolitiques en cours, le sommet entre le président américain Trump et son homologue russe venait d'être annoncé.

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L'amiral Domazet (photo) a déclaré que le choix du lieu du sommet serait extrêmement important et qu'il constituerait en soi un message adressé au monde entier. Il n'était sûr que d'une chose : ce ne serait pas en Europe occidentale.

Nous n'avions pas deviné que ce serait l'Alaska, mais une fois ce choix annoncé, cela nous a paru tout à fait logique. Cela envoie un message très important : la Russie et les États-Unis se rapprochent dans la paix, achevant ainsi un cycle historique important mais interrompu. J'y ai fait allusion dans un article que j'ai rédigé en février de cette année : https://alexkrainer.substack.com/p/is-a-grand-bargain-between-us-and

L'histoire inachevée

L'Alaska est l'endroit où les États-Unis sont limitrophes de la Russie et où les deux puissances peuvent et doivent se rapprocher. Comme Matthew Ehret l'a superbement résumé dans son récent article Substack (https://matthewehret.substack.com/p/will-upcoming-putin-trump-summit ), l'idée de relier physiquement les États-Unis et la Russie à travers le détroit de Béring est une idée ancienne, car elle est assez évidente. Elle a été avancée pour la première fois sous la présidence d'Abraham Lincoln en 1864, mais elle est malheureusement morte avec lui. Elle a été relancée en 1890 par William Gilpin, ancien gouverneur du Colorado, sous la forme de son projet « Cosmopolitan Rail », qui prévoyait la construction d'un tunnel sous le détroit de Béring.

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L'importance de ce projet n'a pas échappé au gouvernement russe sous le tsar Nicolas II et à son ministre des Finances, Sergei Witte, qui ont engagé en 1905 plusieurs ingénieurs ferroviaires américains et français pour réaliser des études de faisabilité. Malheureusement, le tsar a rapidement été contraint d'abdiquer, son Premier ministre a été assassiné et le projet n'a jamais vu le jour.

La paix future

Il fut relancé sous l'administration de Franklin Delano Roosevelt et discuté en 1942 par son vice-président Henry Wallace et le ministre des Affaires étrangères de Staline, Molotov. Wallace a exprimé ainsi l'importance de relier physiquement les États-Unis à la Russie :

« Il serait très important pour la paix future qu'il existe un lien tangible de ce type entre l'esprit pionnier de notre propre Ouest et l'esprit frontalier de l'Est russe. »

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Cependant, Wallace (photo) fut rapidement écarté et remplacé par Harry Truman, l'instrument aveugle de l'oligarchie britannique. Une fois FDR mort, le projet fut à nouveau relégué aux oubliettes : relier les deux superpuissances, que ce soit physiquement, politiquement, socialement, culturellement ou commercialement, tomba en disgrâce.

Dans son discours sur le « rideau de fer » en 1946, Winston Churchill déclara l'Union soviétique ennemie de l'Occident. Il prononça ce discours devant Harry Truman et, au lieu de cultiver une coopération productive entre les États-Unis et la Russie, l'Occident opta pour la guerre froide.

Le soleil brille déjà différemment

L'idée de rapprocher les deux puissances et les deux continents n'est cependant jamais morte, et les dirigeants actuels de la Russie et des États-Unis sont clairement désireux de la faire revivre. En 2008, le Premier ministre de l'époque, Vladimir Poutine, a approuvé le projet de construction d'une ligne ferroviaire vers le détroit de Béring dans le cadre du plan de développement des infrastructures de la Russie à l'horizon 2030. Ce projet prévoyait la construction d'un tunnel de 60 miles (près de 100 km) entre Tchoukotka, dans l'Extrême-Orient russe, et l'Alaska, pour lequel la Russie proposait de financer les deux tiers du coût total.

La Russie a proposé ce projet à ses « partenaires occidentaux » en 2011 et en mai 2014, mais à l'époque, l'Occident dans son ensemble avait des projets tout à fait différents concernant la Russie. Aujourd'hui, ces projets ont tous échoué et le peuple américain a voté pour un changement radical de cap en élisant Donald Trump à la Maison Blanche.

Reste à voir si l'administration Trump réussira à mener à bien ce changement de cap, mais la volonté du peuple américain, exprimée lors de trois élections présidentielles consécutives, donne un nouvel espoir au monde. Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, a exprimé cet espoir après la deuxième investiture de Trump en janvier, en déclarant que « le soleil brille déjà différemment ».

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Pour sa part, le président Trump nous a donné quelques indications de son intérêt pour le raccordement ferroviaire de l'Alaska au continent lorsqu'il a annoncé, en septembre 2020, son approbation du projet de liaison ferroviaire de 2579 kilomètres entre l'Alaska et l'Alberta (A2A).

Le projet A2A était une initiative privée qui a finalement échoué, apparemment en raison d'une mauvaise gestion, mais en soulignant son approbation du projet, Trump nous a donné une indication de ses intentions, qui ont peut-être influencé l'accord entre la Russie et les États-Unis pour tenir le sommet imminent entre les deux pays en Alaska. Le message derrière ce choix est indéniablement celui de la paix, de la construction de ponts de confiance, de respect mutuel et de coopération constructive.

Il est important de noter qu'en accueillant Vladimir Poutine sur le territoire américain, l'administration Trump signale qu'elle ne reconnaît pas la condamnation de Poutine comme criminel de guerre par le tribunal de La Haye. Ce faisant, elle légitime l'opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine.

* * *

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La question du Canada

Incidemment, la connexion entre la Russie et l'Alaska et entre l'Alaska et le continent américain pourrait également être liée à l'intention déclarée de Trump d'absorber certaines parties du Canada dans les États-Unis. Si l'Alberta, la Colombie-Britannique et le Yukon devenaient partie intégrante des États-Unis, leur territoire serait relié à l'Alaska, créant ainsi un pont terrestre contigu vers la Russie.

Si les États-Unis annexaient également les territoires nordiques du Canada et le Nunavut, ils pourraient se relier territorialement au Groenland et partager la zone arctique avec la Russie afin de rejoindre le projet de la Route de la soie arctique. En février, j'écrivais ce qui suit :

Ces développements pourraient-ils faire l'objet d'un futur accord majeur entre Vladimir Poutine et Donald Trump ? Je pense que c'est possible. Du point de vue actuel, tout cela peut sembler être un changement radical et dangereux par rapport au statu quo d'après-guerre, mais ce statu quo n'était peut-être qu'une pause dans les processus géopolitiques qui ont commencé à se dessiner dès le 19ème siècle.

Nous le saurons peut-être dans quelques jours. Il est certain que si les deux dirigeants ont déjà convenu de se rencontrer, une sorte de grand accord a déjà été conclu entre leurs représentants respectifs. Nous en saurons bientôt plus, notamment grâce à la manière dont les dirigeants canadiens, britanniques et européens qualifieront les résultats du sommet très attendu de cette semaine en Alaska.

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La signification du 15 août

La date du sommet, le 15 août 2025, est également significative à plusieurs égards. Le 15 août 1971, Richard Nixon a temporairement (bien sûr) suspendu la convertibilité du dollar américain en or. Le 15 août 1945 a été une date charnière dans l'histoire de la Chine : elle a marqué la capitulation du Japon devant les Alliés, mettant fin à la guerre de résistance contre le Japon.

Le 15 août revêt une profonde signification religieuse pour les chrétiens catholiques et orthodoxes, car c'est le jour de la fête de l'Assomption (ou Dormition dans la tradition orthodoxe), qui commémore la croyance selon laquelle la Vierge Marie, mère de Jésus, a été élevée corps et âme au ciel à la fin de sa vie terrestre.

lundi, 25 août 2025

La stratégie globale derrière les droits de douane américains selon Stephen Miran

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La stratégie globale derrière les droits de douane américains selon Stephen Miran

Par Domenico Moro

Source: https://comedonchisciotte.org/la-strategia-globale-dietro...

Les droits de douane marquent le deuxième mandat de Donald Trump. Cependant, le président américain affiche une attitude hésitante en matière de droits de douane, menaçant de les augmenter ou de les suspendre, puis à nouveau de les augmenter ou de les diminuer.

Si nous voulons comprendre les causes profondes des droits de douane et du comportement hésitant de Trump, nous devons nous détacher du contingent et essayer de comprendre quelle est la stratégie globale.

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À cet égard, nous devons nous référer à Stephen Miran, qui est le stratège de la politique douanière et qui est actuellement président du Council of Economic Advisor, un organisme interne au Bureau exécutif du président des États-Unis, dont la tâche est de conseiller le président sur les questions économiques. Au cours du premier mandat de Trump, Miran a été conseiller principal au ministère du Trésor, puis stratège principal chez Hudson Bay Capital Management, un grand investisseur institutionnel au sein du Trump Media & Technology Group, qui gère également la plateforme Truth Social.

Nous devons notamment nous référer à un texte de Miran qui constitue le manifeste de la politique douanière, A User's Guide to Restructuring the Global Trading System (Guide de l'utilisateur pour la restructuration du système commercial mondial), publié par Hudson Bay en novembre 2024, parallèlement à la victoire de Trump.

Introduction

Commençons donc par voir ce que dit ce texte. Miran commence par attribuer à la surévaluation du dollar la raison du déficit commercial extérieur et du déclin de l'industrie manufacturière américaine. Miran se propose d'identifier les outils permettant de remédier à ces problèmes. L'outil unilatéral le plus important est celui des droits de douane qui, contrairement à l'opinion courante, n'augmentent pas nécessairement l'inflation. En effet, lorsque les droits de douane ont été augmentés en 2018-2019, pendant le premier mandat de Trump, il n'y a pas eu d'augmentation notable de l'inflation, notamment parce que les droits de douane ont été compensés par le renforcement du dollar.

Un autre instrument consiste à abandonner la politique du dollar fort. La surévaluation du dollar a, d'une part, créé des déficits commerciaux de plus en plus importants et, d'autre part, pénalisé l'industrie manufacturière américaine au profit du secteur financier. Cela ne signifie toutefois pas qu'il faille abandonner le rôle du dollar comme monnaie de réserve, mais qu'il faut trouver des moyens de conserver aux États-Unis une partie des avantages que les autres pays tirent de la fourniture de réserves. Au partage des coûts liés à la fourniture des actifs de réserve s'ajoute celui des coûts du parapluie de sécurité que les États-Unis fournissent à leurs alliés.

Les bases théoriques

Miran établit un lien entre le déclin de l'industrie manufacturière américaine, dû à la surévaluation du dollar, et la dégradation des communautés où existaient auparavant des centres industriels. À la suite de la désindustrialisation, de nombreuses personnes deviennent dépendantes de l'aide sociale et de la drogue ou sont contraintes de se déplacer vers des régions plus prospères. Au départ, on estimait à 2 millions le nombre d'emplois perdus, mais de nombreux emplois qui, bien que n'étant pas liés à l'industrie manufacturière, dépendaient de celle-ci ont également été supprimés. La perte de l'industrie manufacturière a également un impact sur la sécurité des États-Unis, souligne Miran, car ce secteur est nécessaire pour contrer l'essor non seulement économique mais aussi militaire de la Chine et de la Russie : « Si vous n'avez pas de chaînes de production pour fabriquer des armes et des systèmes de défense, vous n'avez pas non plus de sécurité nationale. Comme l'a déclaré le président Trump : « Si vous n'avez pas d'acier, vous n'avez pas de pays » (1).

Mais, se demande Miran, pourquoi le dollar ne se déprécie-t-il pas en présence de déficits commerciaux importants, permettant ainsi de rééquilibrer la balance commerciale ? Normalement, les devises devraient s'adapter à long terme à la balance commerciale: si un pays enregistre un déficit commercial prolongé, sa devise se déprécie, ce qui entraîne une augmentation des exportations et une diminution des importations, afin de rééquilibrer la balance commerciale. Un autre aspect important est la notion d'équilibre financier. Selon cette conception, les devises s'ajustent jusqu'à inciter les investisseurs à détenir des actifs libellés dans différentes devises.

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Ces mécanismes ne fonctionnent toutefois pas si la monnaie nationale est une monnaie de réserve, comme c'est le cas du dollar. Étant donné que les États-Unis fournissent des actifs de réserve au monde entier, la demande de dollars et de titres d'État américains (UST) ne dépend ni de la balance commerciale ni de l'optimisation des gains financiers. Ces actifs sont détenus à l'échelle mondiale davantage pour des raisons politiques que pour optimiser les gains. Comme l'a déclaré l'économiste belge Robert Triffin (photo), les actifs de réserve sont une fonction du commerce et de l'épargne mondiale, et non de la balance commerciale ou des rendements des titres du pays qui détient la monnaie mondiale.

Les États-Unis supportent donc ce déficit non pas parce qu'ils importent trop, mais parce qu'ils doivent exporter des UST afin de fournir des actifs de réserve et de faciliter la croissance mondiale. Plus le PIB américain diminue par rapport au PIB mondial, plus le déficit est difficile à soutenir. Toujours selon Triffin, il arrive un moment où le déséquilibre économique devient si important qu'il menace le statut de monnaie de réserve internationale. Cependant, malgré la réduction de leur part dans le PIB mondial de 40 % dans les années 1960 à 26 % aujourd'hui, les États-Unis sont encore loin de ce danger, car il n'existe aucune alternative au dollar, ni le yuan renminbi chinois, qui ne répond pas aux critères requis d'une monnaie internationale, tels que la convertibilité totale, ni l'euro, étant donné que l'économie de la zone euro s'est davantage contractée que celle des États-Unis au cours des dernières décennies.

Face au relatif recul de l'économie américaine, la structure actuelle des droits de douane américains – 3 % en moyenne, contre 5 % pour l'UE et 10 % pour la Chine – semble adaptée aux caractéristiques d'une époque très différente de la nôtre, où les États-Unis devaient assumer la charge de relancer l'économie européenne et japonaise après la guerre et de créer des alliances contre l'URSS.

Miran identifie alors les conséquences d'être une nation détentrice d'actifs de réserve.

La possibilité d'emprunter à bon marché. En réalité, les États-Unis n'empruntent pas nécessairement moins cher que les autres pays, mais ils peuvent emprunter davantage sans que les taux d'intérêt augmentent.

Une monnaie plus forte. La demande de réserves fait monter le dollar bien plus haut qu'il ne le devrait selon la balance commerciale, ce qui le surévalue. Cela se produit surtout en période de crise, car les investissements en dollars sont les plus « sûrs ». C'est pourquoi l'emploi dans le secteur manufacturier baisse considérablement aux États-Unis pendant une récession, sans qu'il soit possible de le récupérer pendant la phase de reprise.

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Extraterritorialité financière. Le fait de disposer d'une monnaie de réserve permet aux États-Unis d'exercer leur volonté en matière de politique étrangère et de sécurité en utilisant leur puissance financière plutôt que leur puissance physique. En effet, les sanctions que les États-Unis imposent dans le monde entier grâce à leur statut de détenteur de la monnaie de réserve constituent une forme moderne de blocus naval.

Ainsi, le statut de monnaie de réserve n'offre qu'un faible avantage en termes de coût des emprunts et un inconvénient majeur, à savoir la surévaluation du dollar qui érode la compétitivité des produits américains, compensé en partie toutefois par l'avantage géopolitique que représente la possibilité d'imposer des sanctions. Mais en échange de leur statut de monnaie mondiale, les États-Unis fournissent aux démocraties libérales, outre un vaste marché pour leurs exportations manufacturières, un autre service, celui d'un parapluie défensif. Les déficits commerciaux et la défense sont donc liés par la monnaie. Cette situation devient plus lourde pour les États-Unis, car à mesure que leur poids relatif dans l'économie mondiale diminue, le déficit courant augmente et la capacité de produire des équipements militaires diminue. Pour toutes ces raisons, selon Miran, il existe aux États-Unis un consensus croissant en faveur d'un changement des relations qui les lient au reste du monde.

Si les États-Unis veulent changer le statu quo, ils doivent trouver des solutions. En général, les solutions unilatérales sont plus susceptibles d'avoir des effets indésirables, tels que la volatilité des marchés. Les solutions multilatérales sont, en revanche, très difficiles, voire impossibles à mettre en œuvre, même si elles contribuent à réduire la volatilité en impliquant les pays étrangers dans les décisions. Le dollar est une monnaie de réserve non seulement parce qu'il offre stabilité, liquidité, ampleur du marché et primauté du droit, mais aussi parce que les États-Unis peuvent projeter leur puissance physique dans le monde entier, façonnant et défendant l'ordre mondial. Le lien entre le statut de monnaie de réserve et la sécurité nationale est une histoire de longue date.

Selon Miran, les droits de douane et les politiques monétaires permettent d'améliorer la compétitivité de l'industrie manufacturière en réaffectant la production et les emplois aux États-Unis. Les droits de douane ne visent pas à réinternaliser les secteurs dans lesquels d'autres pays – par exemple le Bangladesh dans le textile – ont un avantage comparatif, mais à préserver l'avantage concurrentiel des États-Unis dans les productions à forte valeur ajoutée. En outre, étant donné que les politiques commerciales et de sécurité sont étroitement liées, les droits de douane auront tendance à défendre les installations industrielles nécessaires à la sécurité nationale, dont la portée doit être comprise au sens large, incluant par exemple des produits tels que les semi-conducteurs et les médicaments.

L'objectif n'est pas d'éliminer le statut de monnaie de réserve du dollar, que Trump a menacé de droits de douane élevés pour les pays qui l'abandonneraient, mais de partager avec ses alliés le poids de la fourniture d'actifs de réserve et du parapluie de défense.

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Les droits de douane

Miran pose d'abord la question de la mesure dans laquelle les droits de douane sont compensés par l'appréciation de la monnaie. Si le taux de change et les droits de douane se compensent presque entièrement, les droits de douane n'entraînent aucune augmentation de l'inflation, mais il n'y a pas de rééquilibrage commercial. À l'inverse, si le taux de change ne compense pas les droits de douane, les importations du pays soumis aux droits deviennent plus chères et, par conséquent, il y aura un certain rééquilibrage des flux commerciaux, mais aussi des prix plus élevés. Le choix se pose donc entre une faible inflation et un rééquilibrage commercial. Le seul aspect qui ne change pas dans les deux cas est que les droits de douane génèrent d'importantes recettes fiscales.

L'histoire récente, comme celle des droits de douane imposés à la Chine par la première administration Trump, montre, selon Miran, qu'il n'y a pas d'augmentation notable de l'inflation, puisque le yuan renminbi s'est alors déprécié de 13,7 % par rapport au dollar, compensant ainsi une grande partie de l'augmentation des droits de douane à 17,9 %. Si la compensation monétaire n'est pas mise en œuvre, les prix augmenteront à la suite des droits de douane et les consommateurs en supporteront le poids. Toutefois, avec le temps, les prix élevés inciteront à une reconfiguration des chaînes d'approvisionnement, les producteurs américains amélioreront leur compétitivité en vendant davantage sur le marché intérieur et les importateurs seront incités à trouver des alternatives aux produits importés soumis à des droits de douane.

La situation du marché financier est différente de celle du marché des marchandises. Si la compensation monétaire réduit la volatilité des prix à la consommation, elle peut entraîner une plus grande volatilité sur les marchés financiers, du moins à court terme. Toutefois, Miran souligne : « Ce qui importe, c'est de savoir si les droits de douane ont un effet durable, car, comme tout investisseur le sait, les réactions initiales du marché s'annulent souvent et s'inversent avec le temps» (2).

La variable financière la plus puissante pour expliquer les variations monétaires sur les marchés financiers est l'écart entre les taux d'intérêt. Pendant la période de guerre commerciale, l'avantage des rendements des obligations d'État américaines a diminué, passant d'environ 2 % en janvier 2018 à environ 1,5 % au moment de l'armistice dans la guerre commerciale en septembre 2019, malgré la hausse des taux par la Réserve fédérale américaine en 2018. La baisse des rendements peut rendre plus difficile l'appréciation du dollar et, par conséquent, ne pas compenser la hausse des droits de douane. Toutefois, Miran estime que la compensation monétaire se produira lors de la prochaine série de droits de douane.

Miran se concentre désormais sur les modalités de mise en œuvre des droits de douane. Une augmentation forte et soudaine des droits de douane peut accroître la volatilité des marchés. Mais dès le premier mandat de Trump, l'introduction des droits de douane s'est faite progressivement : « Les droits de douane étant un outil de négociation, le président s'est montré versatile dans leur mise en œuvre – l'incertitude quant à leur application, leur date et leur ampleur renforce le pouvoir de négociation en créant la peur et le doute» (3). Une telle approche progressive aidera les entreprises à redéfinir leurs chaînes d'approvisionnement, facilitant ainsi le transfert de la production hors de Chine.

Un autre aspect important de la mise en œuvre des droits de douane au cours du second mandat de Trump serait la segmentation des différents pays en plusieurs groupes soumis à des droits de douane différents en fonction de leurs relations avec les États-Unis, notamment en matière de défense. En effet, « les pays qui veulent rester sous le parapluie de sécurité doivent également rester sous le parapluie du commerce équitable. Un tel instrument peut être utilisé pour faire pression sur d'autres nations afin qu'elles se joignent à nos droits de douane contre la Chine, créant ainsi une approche multilatérale des droits de douane » (4). De cette manière, en créant un mur douanier mondial autour de la Chine, la pression sur cette dernière pour qu'elle réforme son système économique s'accentuera.

Il y a également la question du rapport entre les droits de douane et la fiscalité. Selon Miran, la réduction des impôts, par exemple sur le travail, est un moyen de générer des investissements et des emplois aux États-Unis, surtout si elle est financée par des droits de douane sur les importations étrangères. Les conséquences économiques d'une augmentation des droits de douane pourraient être moins problématiques qu'une augmentation des impôts sur le revenu et le capital. Le fait que les droits de douane augmentent d'abord le bien-être avant de le diminuer implique l'existence d'un taux de droits de douane « optimal », au niveau duquel un pays a obtenu tous les avantages possibles et où un droit plus élevé réduit le bien-être. Selon Miran, le droit optimal pour les États-Unis est de 20 %. Une autre question est celle des éventuelles représailles des pays auxquels les États-Unis imposent des droits de douane, qui peuvent conduire à une escalade bien au-delà des droits optimaux. Cependant, les États-Unis, qui sont de loin la plus grande source de demande mondiale et disposent d'un marché des capitaux solide, peuvent résister à une escalade plus que la Chine.

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Un autre moyen de dissuader les représailles douanières est la menace de rendre moins contraignantes les obligations de défense mutuelle, en ne garantissant plus le parapluie nucléaire américain. Par exemple, si l'Europe impose des contre-droits de douane sur les importations en provenance des États-Unis, mais augmente en même temps ses dépenses militaires, cela permet aux États-Unis d'alléger le fardeau de la sécurité mondiale et « de se concentrer davantage sur la Chine, qui est de loin la plus grande menace pour l'économie et la sécurité nationale américaine que ne l'est la Russie, tout en générant des recettes » (5).

Quoi qu'il en soit, les droits de douane sont un moyen d'augmenter les impôts des étrangers afin de maintenir ceux des Américains à un niveau bas et d'éviter que la prolongation de la réduction des impôts sur le revenu ne se traduise par une nouvelle dette publique.

Les devises

Outre les droits de douane, la surévaluation du dollar peut être contrée par une réévaluation des devises des partenaires commerciaux. Les politiques monétaires posent toutefois le problème de rendre les actifs en dollars moins attractifs aux yeux des investisseurs étrangers. Une dévaluation du dollar pourrait provoquer une fuite massive des capitaux hors du marché des obligations d'État américaines, ce qui entraînerait une hausse des rendements à long terme. Cela aurait des répercussions négatives sur plusieurs secteurs de l'économie, à commencer par la construction.

Ce risque augmenterait si l'inflation restait élevée et si la banque centrale américaine (Fed) décidait de relever ses taux d'intérêt. C'est pourquoi il sera important pour l'administration Trump de coordonner sa politique monétaire avec une politique réglementaire et énergétique déflationniste. En outre, une part importante des ventes des entreprises du S&P 500 est réalisée à l'étranger, et ces ventes ont plus de valeur lorsque le dollar se déprécie.

Historiquement, les accords monétaires multilatéraux ont été le principal moyen de guider les changements intentionnels du taux de change du dollar. L'un d'entre eux était l'accord du Plaza en 1985, lorsque les États-Unis, en accord avec la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne de l'Ouest et le Japon, ont coordonné l'affaiblissement du dollar. Aujourd'hui, les devises les plus importantes, outre le dollar, sont l'euro et le yuan chinois, mais il y a peu de raisons de s'attendre à ce que l'Europe et la Chine acceptent de renforcer leurs devises. Selon Miran, il est possible que l'Europe et la Chine deviennent plus malléables après une série de droits de douane punitifs et acceptent une forme d'accord monétaire en échange d'une réduction des droits de douane. Miran propose d'appeler un tel accord « accord Mar-a-Lago », du nom de la résidence de Trump en Floride.

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Les différences entre aujourd'hui et 1985 sont toutefois nombreuses. À commencer par l'ampleur de la dette publique américaine, qui était alors de 40 % du PIB et atteint aujourd'hui 120 %, ce qui pose des problèmes plus importants de gestion de la hausse des rendements des obligations d'État. La solution serait de justifier la réduction des taux par la nécessité de financer la fourniture par les États-Unis d'un parapluie de sécurité. De cette manière, les pays partenaires seront incités à échanger leurs UST à court terme contre des UST à cent ans. La durée plus longue contribuera à réduire les rendements et la volatilité du marché financier. Ainsi, un seul accord permet d'atteindre plusieurs objectifs : réduire la valeur du dollar, et donc le déficit commercial, et partager avec les étrangers le coût de la zone de sécurité.

Tout cela fonctionne si les pays partenaires concernés disposent d'actifs en dollars à vendre pour réduire la valeur du dollar. Contrairement à 1985, les réserves d'UST ne sont pas aujourd'hui situées en Europe, mais au Moyen-Orient et en Asie de l'Est, notamment en Chine, au Japon et en Arabie saoudite. Ces pays seraient moins disposés à satisfaire les demandes des États-Unis que les Européens en 1985. Il serait donc préférable que les instruments monétaires soient utilisés après les droits de douane, qui constituent un levier supplémentaire dans les négociations.

Beaucoup à Wall Street pensent qu'il ne peut y avoir d'approche unilatérale de la dévaluation du dollar, car cela nécessiterait une baisse des taux d'intérêt par la Fed, ce qui ne semble pas pouvoir se produire aussi facilement. En réalité, ce n'est pas vrai, car il existe une série d'instruments qui peuvent être utilisés. L'un d'entre eux est l'International Emergency Economic Power Act (IEEPA) de 1977. Si la cause de la surévaluation du dollar est la demande d'actifs de réserve, l'IEEPA peut être utilisée pour la réduire, par exemple au moyen d'une user fee (taxe d'utilisation), en retenant une partie du paiement des intérêts sur ces titres.

Cela pourrait toutefois entraîner une fuite du dollar, des pics des taux d'intérêt et des restrictions au pouvoir d'extraterritorialité. Pour éviter ces problèmes, on peut commencer par une taxe d'utilisation modeste, puis trouver au fil du temps le « juste » niveau et différencier selon les pays, comme cela a déjà été fait avec les droits de douane, en augmentant la taxe d'utilisation pour les adversaires géopolitiques tels que la Chine, par exemple, et enfin s'assurer la coopération volontaire de la Fed. À cet égard, il est essentiel que le « double » mandat de la Fed soit un triple mandat : plein emploi, prix stables et taux d'intérêt modérés à long terme. Ce dernier engagement permet d'intervenir si les taux d'intérêt atteignent un pic en raison de la politique monétaire.

Une autre approche unilatérale consiste à renforcer les devises étrangères en vendant des dollars et en achetant des devises étrangères. Dans ce cas, le risque réside dans l'inflation qui peut être générée par l'émission massive de dollars par la Fed pour acheter des devises étrangères. Dans ce cas, la Fed peut opérer une stérilisation de l'intervention qui soutiendra le dollar et contrera certains effets des ventes. Pour ces raisons, les économistes se sont montrés sceptiques quant à l'utilisation de ce moyen pour intervenir sur la devise. Tout dépendra donc du contexte dans lequel cette politique sera adoptée : dans un contexte de faible inflation, une stérilisation modérée est envisageable.

Considérations sur le marché et la volatilité

Selon Miran, le président Trump pourra, au cours de son second mandat, se concentrer sur ses objectifs centraux : la réindustrialisation, la revitalisation de l'industrie manufacturière et l'amélioration de la compétitivité internationale. Trump a acquis une expérience discrète en matière de droits de douane au cours de son premier mandat, tandis qu'une intervention sur la politique du dollar serait une nouveauté.

C'est pourquoi, en matière de politique monétaire, il convient d'être plus prudent qu'en matière de politique douanière et d'attendre que l'inflation et le déficit soient faibles afin d'éviter des hausses des taux d'intérêt qui pourraient s'accompagner d'un changement de politique sur le dollar, et surtout d'attendre un changement à la tête de la Fed qui garantisse sa coopération volontaire. Étant donné qu'une faible inflation est nécessaire pour permettre à la Fed de baisser ses taux, il faudra recourir à des politiques structurelles, par le biais de libéralisations de l'offre, de déréglementations et de réductions des prix de l'énergie.

Les approches monétaires unilatérales présentent des risques accrus de volatilité. Sans l'aide de la Fed pour plafonner les rendements et sans la volonté des détenteurs étrangers de bons du Trésor américain de renégocier la durée de la dette, une administration dispose de peu d'options pour stabiliser les rendements.

Pour ces raisons, une approche multilatérale visant à renforcer les monnaies sous-évaluées peut contribuer à contenir la volatilité indésirable. Un accord dans lequel les partenaires commerciaux des États-Unis convertissent leurs réserves en UST à très longue échéance allégerait la pression de refinancement sur le Trésor, améliorerait la viabilité de la dette et renforcerait l'idée que la fourniture d'actifs de réserve et le parapluie de défense sont étroitement liés. De cette manière, le dollar et les rendements à long terme pourraient baisser ensemble.

Dans tous les scénarios possibles, il y a des conséquences communes. Premièrement, une distinction claire est établie entre les amis, les ennemis et les neutres. Les amis sont ceux qui se trouvent sous le parapluie sécuritaire et économique, et en partagent les coûts. Ceux qui se trouvent en dehors du parapluie de sécurité se retrouveront également en dehors des accords commerciaux amicaux. Deuxièmement, l'expulsion de pays étrangers de la couverture du parapluie de sécurité américain peut entraîner une augmentation de la perception du danger et, par conséquent, une augmentation des primes de risque pour les actifs de ces pays. Troisièmement, il y aura une augmentation de la volatilité sur les marchés monétaires. Quatrièmement, les efforts pour trouver une alternative au dollar s'intensifieront. À cet égard, Miran est convaincu que les tentatives d'internationalisation du yuan et de création d'une monnaie des BRICS continueront d'échouer, mais qu'il est en revanche possible que l'or et les cryptomonnaies se renforcent.

Les conclusions de Miran

Miran réaffirme que son objectif est de trouver des moyens de remédier au déficit commercial et public tout en évitant les effets secondaires indésirables. L'opinion de Wall Street selon laquelle il n'est pas possible de modifier délibérément la valeur du dollar est fausse. Il existe de nombreux moyens, unilatéraux et multilatéraux, l'important étant de minimiser la volatilité qui en résulte. Quoi qu'il en soit, il est très probable que les droits de douane, qui constituent un important outil de négociation, seront utilisés avant tout autre instrument monétaire. Il est donc probable que le dollar se renforce avant d'inverser sa tendance, si tant est qu'il le fasse. Miran conclut en disant qu'« il existe une voie par laquelle l'administration Trump peut reconfigurer le commerce et les systèmes financiers mondiaux au profit de l'Amérique, mais cette voie est étroite et nécessitera une planification minutieuse, une exécution précise et une attention particulière aux mesures à prendre pour minimiser les conséquences négatives » (6).

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Nos conclusions

La lecture du texte de Miran est très intéressante, car elle correspond en grande partie à ce que Trump a fait et dit jusqu'à présent, en expliquant sa logique interne et en la replaçant dans le contexte de la redéfinition des relations entre les États-Unis et le reste du monde, à commencer par leurs alliés. Cela implique, étant donné que les États-Unis sont la première économie mondiale et le premier acheteur mondial, comme Miran l'anticipe déjà dans son titre, une restructuration du système commercial mondial.

Le plus frappant est que Miran considère le rôle du dollar comme monnaie de réserve internationale et le rôle des États-Unis en tant que puissance militaire garante de l'ordre mondial comme un service que les États-Unis offrent généreusement aux autres pays. Un service qui coûte aux États-Unis la désindustrialisation, un déficit commercial important et une dette fédérale énorme. Les autres pays sont donc des profiteurs, comme l'ont affirmé à plusieurs reprises Trump et son vice-président, J.D. Vance, en référence à l'Europe, qui bénéficierait gratuitement du parapluie de sécurité et du marché américain.

Le fait est cependant que l'interprétation de Miran renverse la réalité effective des choses. La désindustrialisation est avant tout le produit de la logique interne du mode de production capitaliste et, en particulier, de la tendance à la baisse du taux de profit. Les géants américains ont délocalisé une part considérable de leur production à l'étranger, car à l'étranger – au Mexique, en Chine et en Asie de l'Est – les profits étaient plus importants et le coût du travail moins élevé. La surévaluation du dollar a certainement joué un rôle, mais dans une mesure plus limitée que ne le prétend Miran.

s-l640-455788041.jpgMais l'aspect le plus important est que le dollar et son rôle de monnaie d'échange commercial et de réserve mondiale ne sont pas un fardeau, mais plutôt le « privilège exorbitant » des États-Unis, comme l'a affirmé l'ancien président français Giscard d'Estaing. C'est ce privilège qui lui a permis de financer sa double dette, commerciale et publique, en imprimant simplement des dollars. Les dépenses militaires colossales servent à imposer de manière coercitive l'hégémonie américaine et le rôle international du dollar. Ce n'est donc pas un hasard si le secrétaire américain au Trésor, John Connally, a déclaré en 1971 que « le dollar est notre monnaie et votre problème », lorsque les États-Unis ont rendu le dollar inconvertible en or, se donnant ainsi la possibilité de s'endetter à leur guise.

Mais si le dollar est l'instrument qui permet aux États-Unis de gérer leur double dette, quelle est la raison de l'introduction de droits de douane élevés et de politiques visant à dévaluer le dollar ? La raison, toujours selon le raisonnement de Miran, réside dans le fait que ces politiques s'opposent aux délocalisations et favorisent les relocalisations de l'industrie manufacturière. En effet, toujours selon Miran, sans industrie manufacturière, il n'y a pas de sécurité nationale, surtout si celle-ci est entendue au sens large, comme l'autonomie dans les productions stratégiquement importantes, telles que l'acier, les semi-conducteurs et les médicaments. D'ailleurs, la guerre en Ukraine a mis en évidence les graves insuffisances de l'industrie militaire américaine dans l'approvisionnement de Zelensky en armes et en munitions, aggravées par l'aide que les États-Unis ont simultanément offerte à Israël.

Une industrie de l'armement plus forte est nécessaire car – et c'est là l'autre point important du raisonnement de Miran – les rapports de force économiques et politiques ont changé ces dernières années. En particulier, la Chine s'est développée au point de devenir « de loin la plus grande menace pour l'économie et la sécurité nationale des États-Unis, plus encore que la Russie ». Étant donné que la Chine dispose d'une industrie manufacturière très forte et désormais également à la pointe de la technologie, les États-Unis ne peuvent se permettre d'avoir une industrie manufacturière faible et dépassée.

Un autre aspect important est la viabilité de la dette publique américaine et donc le niveau des taux d'intérêt sur les bons du Trésor américain (UST). Comme nous l'avons vu, Miran, toujours dans le but de résoudre le déficit commercial et de relancer l'industrie manufacturière, soutient que le dollar doit être dévalué ou, ce qui revient au même, que les monnaies des principaux partenaires économiques, à commencer par le yuan et l'euro, doivent être réévaluées. Or, le problème est que la dévaluation du dollar rend les investissements en dollars moins attractifs, y compris ceux dans les UST, ce qui fait remonter les rendements. L'optimum pour les États-Unis serait plutôt un dollar dévalué et des taux d'intérêt bas sur la dette publique.

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Or, depuis le début de l'année, le dollar s'est déprécié de 13 % par rapport aux principales devises, tandis que les taux d'intérêt sur la dette à 10 ans sont passés de 1,1 % en 2021 à environ 4,3 % en juillet 2025. À cela s'ajoute, sous la présidence Biden, la plus forte augmentation de la dette publique jamais enregistrée, soit 8 500 milliards de dollars supplémentaires. La tendance sous Trump ne semble pas s'inverser, compte tenu de l'ampleur du budget fédéral pour 2026, qui, entre autres raisons, a conduit à la rupture entre Trump et Musk. La hausse des taux et de la dette publique a fait exploser les dépenses nettes d'intérêts : de 658 milliards de dollars en 2023 à 880 milliards en 2024, pour atteindre plus d'un billion prévu en 2025, soit trois fois le niveau de 2020 (7).

Pour ces raisons, Miran souligne à plusieurs reprises la nécessité pour la Fed de respecter un triple mandat, en ajoutant à la pleine emploi et à la stabilité des prix la poursuite de taux d'intérêt modérés à long terme. Ce n'est pas un hasard si, ces derniers mois, Trump a vivement critiqué le président de la Fed, Jerome Powell, pour ne pas avoir baissé les taux d'intérêt. Toujours en lien avec le taux d'intérêt sur la dette fédérale, Miran propose de parvenir à un accord, qu'il appelle l'accord de Mar-a-Lago, avec les partenaires économiques pour une dévaluation concertée du dollar qui prévoit également un passage des UST à court terme à des UST à très long terme, ce qui rendrait le financement de la dette moins coûteux pour les États-Unis.

Revenons donc aux droits de douane qui, selon le raisonnement de Miran, sont avant tout un moyen de négociation pour imposer deux objectifs : dévaluer le dollar et financer la dette publique. Les droits de douane peuvent être instaurés, supprimés ou réduits si les autres pays acceptent les conditions imposées par les États-Unis, telles que l'appréciation de leur monnaie, l'acceptation d'acheter des dettes à très long terme et de réaliser des investissements productifs sur le sol américain. Un autre moyen de négociation important est la menace de retirer le parapluie de sécurité aux pays qui ne respectent pas les conditions imposées par les États-Unis. Miran explique également l'attitude hésitante de Trump en matière de droits de douane par la volonté d'augmenter le pouvoir de négociation, en créant le doute et la peur à travers l'incertitude. En définitive, les droits de douane, les politiques monétaires, le parapluie de sécurité sont autant d'expressions d'une politique de chantage par laquelle les États-Unis tentent de se faire financer par le reste du monde, y compris leurs alliés. Il s'agit d'un comportement parasitaire, basé sur l'accumulation par expropriation et typique de la phase impérialiste du capitalisme.

À ce stade, il est naturel de se demander : les politiques envisagées par Miran seront-elles couronnées de succès ? C'est une question importante, car en cas de succès ou d'échec, le monde auquel nous serons confrontés dans les prochaines décennies pourrait être très différent. Il est toutefois difficile de répondre à cette question aujourd'hui, après seulement six mois d'administration Trump, notamment parce que les variables à prendre en compte sont nombreuses.

Nous pouvons toutefois avancer quelques hypothèses. En ce qui concerne la relocalisation de la production, les choses bougent déjà, puisque les dix premières multinationales pharmaceutiques, face à la perspective de droits de douane élevés, ont annoncé 316 milliards de dollars de nouveaux investissements pour se relocaliser sur le sol américain (8). Un autre exemple à cet égard est celui du Japon qui, en échange d'une réduction des droits de douane à 15 %, a promis 550 milliards de dollars d'investissements aux États-Unis (9). En ce qui concerne le statut du dollar, il est possible que sa part dans les réserves mondiales, actuellement de 57,74 % (10), continue de s'éroder, notamment en raison de l'utilisation abusive qui en a été faite pour infliger des sanctions et de la tactique hésitante de Trump en matière de droits de douane, qui l'ont affaibli. D'autre part, les pays du BRICS ont eux-mêmes reconnu qu'une monnaie commune n'était pas viable, mais ils ont en même temps déclaré vouloir utiliser de plus en plus leurs monnaies nationales comme moyen de transaction commerciale internationale. Cela se produit d'ailleurs déjà depuis le début de la guerre en Ukraine dans les échanges de matières premières énergétiques entre la Russie, d'une part, et la Chine et l'Inde, d'autre part.

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Quoi qu'il en soit, comme le soutient Miran, les États-Unis ont peu de marge de manœuvre pour mener des politiques monétaires alternatives si la Fed ne baisse pas ses taux et surtout si, au niveau mondial, les conditions imposées par les États-Unis ne sont pas acceptées. C'est précisément là que réside le principal problème pour les États-Unis. Une grande partie du monde, celle que l'on appelle le « Sud global », ne semble plus disposée à se soumettre à l'Occident et en particulier aux États-Unis. Cela vaut surtout pour la Chine et la Russie, mais aussi pour le Brésil et de nombreux autres pays. La Chine et le Brésil, en particulier, ont réagi avec fermeté lorsque Trump a menacé d'imposer des droits de douane très élevés. L'expansion même des BRICS témoigne de la volonté d'un nombre croissant d'États de trouver des lieux de confrontation et de coopération alternatifs à ceux que les États-Unis et l'Occident collectif ont offerts dans le passé.

La situation est différente pour l'Occident collectif, dont font partie l'Europe occidentale et le Japon. Les pays qui en font partie semblent les plus perméables aux politiques de chantage de Trump et les plus disposés à lui venir en aide, notamment parce qu'ils tirent de nombreux avantages du système économique mondial organisé autour des États-Unis. En témoignent la soumission observée lors du dernier sommet de l'OTAN, où l'Europe a accepté d'augmenter ses dépenses militaires à 5 % du PIB, et la réticence de l'UE à envisager des contre-mesures douanières à l'encontre de Trump, justifiée par le mantra « il faut éviter une guerre commerciale avec les États-Unis ». Une guerre commerciale ou, mieux, une confrontation interimpérialiste, comme on aurait dit autrefois, qui est en réalité déjà en cours. À cet égard, il semble que l'unité de l'Occident soit quelque chose à laquelle Trump accorde une valeur bien inférieure à celle que lui attribue Meloni.

Par Domenico Moro pour ComeDonChisciotte.org

25.07.2025

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Domenico Moro s'intéresse à la mondialisation et à l'économie politique internationale. Il est l'auteur de Globalizzazione e decadenza industriale (Mondialisation et déclin industriel) et Nuovo compendio del Capitale (Nouveau compendium du Capital) ; Eurosovranità o democrazia? Perché uscire dall'euro è necessario (Eurosouveraineté ou démocratie ? Pourquoi il est nécessaire de sortir de l'euro), Meltemi, Milan 2020.

NOTES

(1) Stephen Miran, A User's Guide to Restructuring the Global Trading System, Hudson Bay Capital, 24 novembre 2024, p. 5.

(2) Ibidem, p. 19.

(3) Ibid., p. 22.

(4) Ibid., p. 23.

(5) Ibid., p. 26.

(6) Ibid., p. 38

(7) Peter G. Peterson Foundation, What are Interest costs on the national debt? 14 juillet 2025. Committee for a responsible Federal Budget, Interest costs could explode from high rates and more debt, 20 mai 2025.

(8) Monica D'Ascenzo, « Effet des droits de douane sur l'industrie pharmaceutique : 316 milliards investis aux États-Unis », Il Sole24ore, 23 juillet 2025.

(9) Stefano Strani, « Droits de douane, accord États-Unis-Japon : des tarifs à 15 % et Tokyo investira 550 milliards aux États-Unis », Il Sole24ore, 24 juillet 2025.

(10) Données du FMI, Composition monétaire des réserves officielles de change (Cofer), 2025 T1.

vendredi, 22 août 2025

Les États-Unis cloisonnent les informations relatives aux négociations

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Les États-Unis cloisonnent les informations relatives aux négociations

Elena Fritz

Le 20 juillet, la responsable des services de renseignement américains, Tulsi Gabbard, a ordonné que toutes les informations relatives aux pourparlers de paix entre la Russie et l'Ukraine ne soient plus partagées avec les services partenaires.

Même l'alliance étroite des services de renseignement « Five Eyes » (États-Unis, Grande-Bretagne, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) est concernée.

Importance stratégique

Cette mesure est plus qu'un simple détail technique. Elle signifie ce qui suit :

- Les États-Unis isolent délibérément leurs efforts de paix des canaux de communication transatlantiques habituels.

- Trump veut avoir les mains libres, sans l'influence des pays européens membres de l'OTAN, qui ont jusqu'à présent misé sur l'escalade plutôt que sur le compromis.

Méfiance envers Londres & Co.

Ce n'est pas un hasard si les Britanniques sont exclus du flux d'information:

- Depuis le début de la guerre, Londres est considérée comme le moteur d'une ligne dure contre Moscou.

- Le Canada et l'Australie, eux aussi, suivent traditionnellement les intérêts britanniques en matière de sécurité.

- En mettant fin à l'échange d'informations, Washington signale que ces États ne sont pas des partenaires neutres, mais des facteurs d'aggravation du conflit.

Changement de pouvoir en Occident

- L'arrêt du flux d'informations montre que l'initiative dans le conflit ukrainien appartient désormais directement à Washington, Moscou et Kiev, et non plus à l'OTAN ou à l'UE.

- Cela réduit encore la marge de manœuvre politique de l'Europe: Bruxelles reste en dehors du jeu.

Conclusion:

La décision d'empêcher le flux d'informations, même envers ses partenaires les plus proches, est un signe clair: Trump veut mettre fin à la guerre – et il sait que ce sont précisément ses « alliés » qui constituent le plus grand obstacle à cet égard.

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Quand les bandits ont appris à faire la loi

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Quand les bandits ont appris à faire la loi

Henryk Gondorff

Source: https://overton-magazin.de/hintergrund/kultur/1923-als-die-raeuber-lernten-wie-man-staat-macht/

La série 1923 est plus qu'un néo-western. Elle montre la transformation de l'Amérique en une société de propagande et de technologie.

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Avec sa série 1923, le cinéaste Taylor Sheridan a créé une épopée familiale dans le style du western tardif. Elle s'inscrit dans son univers Yellowstone et vise à montrer comment la famille Dutton a traversé une période où les nouvelles technologies et un nouveau système politique ont transformé le pays. À cette époque aussi, c'était un tournant. Il apparaît clairement que les vieux Dutton perdent leurs certitudes et que les jeunes membres de la famille sont désorientés dans leur vie quotidienne. Car le monde n'a pas seulement été simplifié par de nouveaux appareils électriques, il a également été soumis au régime qui règne encore aujourd'hui aux États-Unis.

L'ancien et le nouveau monde

La première saison de la série est désormais disponible sur Netflix. Elle met en scène la famille Dutton, dont le ranch dans l'État du Montana est en crise. Une sécheresse entraîne une pénurie de fourrage pour le bétail. Les Dutton ne sont pas les seules victimes de la sécheresse, d'autres éleveurs s'inquiètent également pour leur avenir. Des spéculateurs fonciers envisagent désormais de racheter leurs terres. Mais les temps ont changé. Ceux qui convoitent les terres n'envoient plus de cow-boys armés pour les prendre. Ils portent des costumes élégants et travaillent en étroite collaboration avec les banques. En 1923, le Far West est en passe d'être domestiqué. Et il est mis au pas par l'administration, les grandes entreprises et les barons prédateurs et richissimes.

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Cette série montre les bouleversements sous de multiples facettes. Des poteaux télégraphiques sillonnent la prairie, les colons savent assez bien ce qui se passe dans la lointaine New York. Dans les rues de la ville de Bozeman, on vante les mérites des machines à laver comme si c'était la clef de l'avenir. Mais c'est dans les nouvelles méthodes utilisées pour mater les citoyens gênants que la transformation vers la nouvelle Amérique est la plus visible: on les rend dépendants financièrement et on les maintient dans un état de soumission. Le capitalisme financier dévore ceux qui dérangent.

Helen Mirren et Harrison Ford incarnent cette vieille Amérique avec une gravité stoïque. Leurs personnages sont tout sauf modernes, ils sont terre-à-terre, têtus et durs avec eux-mêmes. Quand ils désespèrent, c'est dans le silence de la prairie. Les explosions émotionnelles sont pour eux des phénomènes de mode d'une époque dans laquelle ils ont du mal à trouver leur place. La décence et l'honneur cimentent leur vision du monde. Au fil des épisodes, ils se rendent compte qu'ils sont désespérément dépassés. Les deux acteurs surpassent le reste de la distribution.

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En même temps, Sheridan parvient à ne pas mettre en scène la disparition de l'ancien monde de manière trop nostalgique. Son histoire ose le réalisme analytique. Rien n'est romancé, sauf le mariage entre les vieux Duttons, qui se caractérise par une relation affectueuse. La violence est toujours présente dans ce néo-western, mais elle s'inscrit dans un cadre progressiste. Un cadre où la violence est toujours exercée dans un but lucratif. Sheridan offre deux autres intrigues à ses spectateurs. L'une se déroule en Afrique et raconte l'histoire du neveu des Dutton, qui doit revenir pour sauver le ranch. Un autre raconte l'histoire d'une jeune Indienne qui souffre dans un internat chrétien. Les deux histoires sont bien racontées, mais elles ne développent pas la force qui anime l'intrigue principale.

L'Amérique des démagogues et des propagandistes

Car seule l'intrigue principale raconte l'histoire des États-Unis du 21ème siècle. Une histoire pleine de technologie et d'une nouvelle vision du monde, pleine de recherche du profit et de radicalisme de marché, pleine de domination des riches et de légalisation des Crésus malhonnêtes. Cette Amérique que présente le créateur de la série se révèle être un pays où le progrès n'est pas venu aux gens de manière noble et sous des aspects honorables, mais avec une brutalité impitoyable et la violence de brigands effrontés. Ils ont soumis le pays, exploité les gens et mis leurs profits en sécurité.

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Sheridan ne dit rien de la propagande d'entreprise qui avait pris le pays en otage depuis quelque temps en 1923, mais on la sent à certains endroits. Le président américain de la Première Guerre mondiale, Woodrow Wilson, avait fait appel à des experts en propagande à la Maison Blanche. Edward Bernays était le plus célèbre de cette équipe. Ensemble, ils ont façonné l'Amérique moderne, en faisant un lieu où les élites nationales peuvent gouverner et faire du commerce sans se soucier de l'intérêt général. Le gouvernement américain a recouru au mode de communication que les barons voleurs s'étaient auparavant approprié. Avec un zèle propagandiste, ils se sont fait passer pour des mécènes et des philanthropes. Cela a si bien fonctionné que certains membres de ce cercle sont encore considérés aujourd'hui comme de grands bienfaiteurs.

Ainsi, 1923 n'est pas simplement une épopée historique. C'est un éclairage sur notre présent. Celui-ci est présenté comme la continuation de la violence de l'époque. Les États-Unis d'Amérique d'aujourd'hui sont nés à cette époque, où le pays est devenu une puissance mondiale, même s'il a d'abord traversé une phase d'isolement. Des fortunes ont été amassées de manière criminelle, qui existent encore aujourd'hui et sont encore plus importantes qu'à l'époque. Les petites gens, incarnées par les Dutton, n'ont guère influencé le cours des événements. Elles étaient le jouet de démagogues, de propagandistes, de millionnaires qui seraient aujourd'hui milliardaires. Et elles étaient les victimes d'un État qui n'hésitait pas à faire intervenir l'armée lorsque le grand capital était menacé.

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Le pays des escrocs

En y regardant de plus près, on remarque toujours de petits changements dans les grands panoramas de la série : une automobile entre des charrettes tirées par des chevaux, un gramophone dans une cabane. La modernité fait son entrée dans la vie quotidienne et fait miroiter aux gens une ère nouvelle. Bien sûr, on leur dit que leur vie sera bientôt plus facile, que l'électricité va complètement transformer leur vie rurale. Mais on pourrait dire que les appareils modernes étaient les cadeaux nécessaires pour que les citoyens acceptent une époque où ils seraient à nouveau contraints de vivre dans un système féodal. La vie plus facile leur a doré la pilule.

Le vieux Dutton, joué par Harrison Ford, semble le pressentir. Ce n'est pas un philosophe, mais il a néanmoins un sens aigu des plans des puissants. Il sait qu'une époque approche où la promesse de grande liberté que l'Occident représentait autrefois pour les colons sera abandonnée. Les États-Unis se modernisent. Et ils tueront pour parfaire jusqu'au bout ce projet de modernisation outrancière. Chaque fois que cela sera nécessaire.

La première saison de 1923 n'est pas une histoire complète. Une deuxième et dernière saison s'est terminée il y a quelques semaines pour les spectateurs des États-Unis. La série y a été très bien accueillie. La critique du caractère prédateur de l'histoire de leur propre pays a été bien accueillie.

Les petites gens en Amérique savent généralement qu'à un moment donné, une époque a commencé où plus rien ne comptait pour elles. Même si chaque jour est une question de survie. Politiquement, elles sont exclues, économiquement, elles se soumettent. Les escrocs sont confortablement installés dans leurs villas et leurs penthouses depuis plus d'un siècle. 1923 montre clairement une chose: le pays considéré comme la vitrine du monde libre est en réalité une pure escroquerie. Et ce, depuis longtemps...

Henryk Gondorff

Cinéaste de la première et de la dernière heure. Il a beaucoup vu et beaucoup oublié très vite. Si vous voulez savoir ce qui ne va pas dans une société, allez dans ses cinémas. Vous y trouverez le diagnostic.

Plus d'articles de Henryk Gondorff : https://overton-magazin.de/author/henryk-gondorff/

13:09 Publié dans Cinéma, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : film, cinéma, taylor sheridan, états-unis, modernisation | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook