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dimanche, 11 février 2024

L'exercice "Steadfast Defender 2024" de l'OTAN

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L'exercice "Steadfast Defender 2024" de l'OTAN

Un exercice "de seuil" entre une guerre à but limité (Ukraine) et une guerre aux buts illimités, opposant Heartland et Rimland

Irnerio Seminatore

L’exercice et son "sens"

L'exercice militaire de l’OTAN, d’ampleur exceptionnelle et qualifié de « dissuasif », se déroule du mois de février au mois de mai 2024 dans l’aire des pays baltes et de la Pologne. Il est conçu pour  l’hypothèse d’un scénario du pire, une invasion russe. Il a pour but, selon les planificateurs occidentaux, d’adresser un message fort à la Russie, soupçonnée de préparer un plan de conquête de l’Europe centrale et du Nord, jugé inacceptable par les pays européens, l’Otan et les Etats-Unis et vise à l’en dissuader. Medvedev, vice Président du Conseil de Sécurité russe n’a pas tardé à re-dire:  « l’Otan joue avec le feu dans un chemin très dangereux». Dans le même sens, Alexander Grouchko, Vice- Ministre russe des Affaires Étrangères constate « qu’il s’agit d’un retour définitif et irrévocable aux schémas de la guerre froide,…. pour préparer une confrontation avec la Russie ». L’Otan depuis le début de l’opération spéciale russe contre l'Ukraine continue de renforcer sa « présence avancée » sur le flanc oriental par la constitution de quatre groupements tactiques multinationaux en Bulgarie, Hongrie, Roumanie et Slovaquie.

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Par l’importance de son déploiement (90.000 hommes, 1100 véhicules, 133 chars, 50 navires et 80 avions), l’exercice « Steadfast Defender » est articulé en cinq corps d’armées regroupant 31 pays et conçu comme élément d’une préparation à la confrontation contre « un adversaire de taille comparable ». Dans une situation de forte tension internationale il peut être perçu comme un pallier d’escalade et comme le moment tactique d’un affrontement Est-Ouest, symboliquement équivalent au « tercio de piques » d’une corrida tragique, ayant pour conclusion l’estocade finale et mortelle

Assumant, dans l’analyse de ses répercussions, la conception clausewitzienne de la guerre, celle-ci « marque la persistance du commerce politique par d’autres moyens et  détermine, d’un bout à l’autre les opérations et les lignes générales suivant lesquelles les opérations se poursuivent ». Nous considérons pour but politique de ce conflit  l’exigence russe d'interdire l’entrée de l'UkraIne à l’Otan, en proposant la neutralité de ce pays (accords de Minsk I et II), défendre le Donbass et les régions sécessionnistes et russophones, contrôler la Mer Noire). Il nous faudra mettre en lumière « les objectifs militaires qui concrétisent le but politique, cause initiale de la guerre, qui  doivent se plier à la nature des moyens qu'elle emploie » (Clausewitz). Or, « le seul moyen d’arriver au but politique du conflit est de considérer l’anéantissement, total ou partiel, de l’adversaire comme le but de tous les combats » (Clausewitz), car le combat est le fil qui sous-tend toute théorie et toute action partielle.

Dans le même esprit, d’ordre interprétatif, « Steadfast Defender 24», peut être considéré comme une preuve de la volonté des deux parties aux prises, d’ouvrir d’autres zones de conflit à l’affrontement armé (ukrainien), entraînant  dans le « grand embrasement », par une sorte de domino, d’abord des puissances régionales, puis des puissances mondiales, configurant in fine, un antagonisme planétaire entre Heartland et Rimland.

Conflit régional à but limité  ou conflit mondial aux  buts illimités ?

Ainsi l’exercice  « Steadfast Defender »  pourrait être interprété comme ouvrant la voie à deux possibilités :

 - une manœuvre stratégique à but limité et à l’échelle régionale, visant à alléger la pression de la Russie sur l'Ukraine (stratégie directe offensive, Général Beauffre), justifiant au même temps le conflit en cours en Ukraine, par une conception de la stratégie d’action indirecte (Liddell Hart).

- l’entrée dans le profond inconnu d’un conflit mondial aux buts illimités qui, posant comme issue un projet d’alternative hégémonique, dissimule l’option d’une déconnexion de la Russie eurasienne, saignée à blanc, de la Chine continentale et maritime et, en cas d’échec de cette hypothèse, d’un embrasement général et total.

Ce glissement géopolitique  du conflit comporterait un déplacement du centre de gravité de l’affrontement militaire de l’Ouest vers l’Est, de la Russie vers le nord de l’Europe et de la Baltique à la Mer noire, puis encore de la Mer Rouge à l’Indo-Pacifique et aux deux Océans, Pacifique et Atlantique. Se réaliserait après 120 ans la théorie du « Sea Power » à direction anglo-saxonne de Halford J. Mackinder, formulée en 1904, selon laquelle les bases la géopolitique naissante sont résumées en trois expressions: « Qui possède l’Europe de l’Est, possède le Heartland», «Qui possède le Heartland, possède l'Île du monde», « Qui possède l'Île du monde, possède le monde ».

Reprenant l’analyse de l’exercice otanien « Steadfast Defender », la relation entre la stratégie d’approche indirecte à laquelle il se prépare, l’Otan vise à réaliser la concentration maximale de moyens, dans le but de dérouter l’adversaire par une action offensive excentrique (Pays baltes, Pologne). l’Ouest chercherait  à  battre par ailleurs ce même adversaire (la Russie) par une approche directe (Ukraine, où est engagée la force principale ennemie/pôle de combat). Bien avant ces mesures, l’action militaire de l’Otan a joué un rôle important mais d’arrière, car ses objectifs ont été intégrés aux actions combinées, politiques et diplomatiques, selon les indications de la diplomatie coercitive de Thomas Schelling (photo, ci-dessous).

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L’adoption d’une série de sanctions économiques, énergétiques et financières correspondaient, en leur pur concept, au pôle clausewitzien de la non-guerre. Un rôle particulier serait joué par les actions culturelles et médiatiques, visant les consensus au conflit et sa tenue dans la durée. Pour mieux préciser le sens de la manœuvre politique à portée globale, les objectifs d’alternative hégémonique (contre les régimes autocratiques de Chine, Russie, Iran et éventuellement Inde) configurent une guerre illimitée en raison des motivations d’ordre général (valeurs, systèmes politiques, régimes de gouvernement, hiérarchie de puissance, rivalités géopolitiques), s’étalent sur plusieurs théâtres (Golfe, Indo-Pacifique et Extrême Orient) et poursuivent un changement de la « Balance of Power » mondiale favorable à l’Occident.

Dans cette esquisse d’une fiction de conflit global, l’opération spéciale d'Ukraine et la manœuvre de préparation « dissuasive » dans les pays du Nord Europe ne seraient que des options de posture stratégique d’offensive-défensive, comparés aux  dynamiques plus générales d’une guerre de haute intensité et de grandes dimensions. En termes de perspective historique, les enjeux européens du conflit conduiraient à l’anéantissement politique de l’Europe et à une grande dépression spirituelle de sa civilisation ou encore à la restriction du vieux continent à un « status-quo » de soumission extérieure. La gravité de la situation actuelle trouve sa confirmation dans le réarmement de l’Allemagne, de la France et du Royaume Unis, en vue d’un conflit de haute intensité en Europe pour le moyen ou le long terme (de 5 à 10 ans). Une validation complémentaire est celle d’un resserrement des alliances militaires et des accords de coopération militaires dans le monde, en Europe et dans l’Atlantique Nord dans l’Otan, dans la zone du Pacifique avec l’Aukus. Les justifications ou les références justificatives, d’ordre théorique, se trouvent chez les historiens et politistes classiques, pour la défense de thèses et propositions diverses comme Haushofer, Mackinder, Spykman, Colin Gray et Fuller.

Irnerio Seminatore,

Bruxelles 8 février 2024.

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