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mardi, 28 avril 2020

Risque et incertitudes au temps du virus

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Risque et incertitudes au temps du virus

par François-Bernard Huyghe

Ex: http://www.huyghe.fr

Le risque naît la rencontre d'une probabilité et d’un dommage : tel événement malheureux a plus ou moins de "chances" de se produire. Avec telles ou telles pertes en perspective. Le plus improbable (ou le moins anticipé) n’est pas forcément le moins dommageable. Ni celui qui changera le moins les règles du jeu. Un aléa très peu vraisemblable ou un peu oublié (un virus déjà connu mute, comme se doit pour un virus, et son nouvel ARN le rend, sinon extrêmement létal, du moins très facilement transmissible..) peut paralyser la moitié de la planète.

Initialement le risque est l’écueil qui menace les navires, puis il prend le sens d’un malheur que ne provoque aucune intention humaine et qui relève du probable et de l’aléa. Le risque, exalté par la philosophie libérale comme rançon du succès, se manifeste souvent sous la forme de l’accident, du malheur qui survient de façon brusque, et surtout de l’accident industriel. La multiplication des machines, des vitesses, des forces en action, des contacts, des innovations…, semblent intrinsèquement porteuse de tels malheurs. Elles s’ajoutent aux aléas inhérents à la vie : maladie, chômage, vieillesse…

Mais cette possibilité peut être réduite de deux façons Soit par la prévoyance (que l’on recommande particulièrement aux classes pauvres pendant longtemps) renforcée par la prévention (perfectionnement des moyens d’agir sur les causes des risques). Soit le risque dont on sait qu’il est soumis à des règles de probabilité peut être mutualisé et assuré (que ce soit par l’individu ou par l’État Providence). Notre système de protection sociale est fondé sur la seconde solution et sur sa logique qui est celle de l'assurance : le risque statistiquement prévisible et globalement destiné à diminuer avec le progrès peut être réparti pour être supportable. Ou au moins compensé en partie.

Vers la fin du XXe siècle se propage la notion du « zéro risque » . Nos sociétés qui sont objectivement de moins en moins dangereuses souffrent pourtant d’une perception subjective ou d’une aversion au risque que ne connaissaient pas nos ancêtres qui vivaient bien moins longtemps et considéraient épidémies, guerres ou accidents comme choses presque naturelles. S’ajoute la rhétorique de la responsabilité, y compris à l’égard des générations suivantes, et l’impératif, notamment écologique, de refuser tout choix porteur d’un danger même lointain pour la vie.

Pour une part, cette évolution s’explique par des facteurs objectifs, notamment de spectaculaires catastrophes « révélatrices » de nos vulnérabilités dans les années 80/90 ; elle reflète aussi une évolution des esprits : aversion au risque, obsession de la figure de la victime, judiciarisation des rapports sociaux. Notre perception du risque et de sa réalité est largement déterminée par les médias et par l’influence de groupes d’experts ou d’autorités morales : elle constitue un enjeu politique majeur.
Cela soulève quatre paradoxes, notamment à travers les controverses qui entourent la notion de précaution:

-      Un paradoxe du temps : celui de la décision et de l’urgence s’oppose au temps long, celui de la chaîne des conséquences enchevêtrées, surtout dans le domaine écologique ou celui des effets sur la santé (cf l'amiante censée initialement sauver des vies). Notre monde de l’éphémère est aussi obsédé par la crainte du futur envisagé comme remords virtuel. L’histoire des masques l’illustre parfaitement : pourquoi garder des stocks dans un monde de flux, et ce d’autant plus que des épidémies comme H1N1 se sont révélées beaucoup moins terribles que prévu ? et pourtant...

-      Un paradoxe cognitif : notre exigence de prouver, si possible en amont, l’innocuité de toute action entreprise s’oppose à la complexité du futur, une complexité que la science augmente plus qu’elle ne la diminue. Nous pensions que nous irions vers la réduction de l'incertitude, nous découvrons - ô surprise - que la science est porteuse de risques et qu'elle n'est pas toujours en mesure de prédire les dangers qui résultent des innovation. Nous découvrons aussi qu’elle ne parle pas d’une voix unanime (cf. l’affaire de la chloroquine). L’équation pandémie (extension planétaire de la contamination), plus infodémie (prolifération parallèle d’informations fausses ou douteuses sur le sujet), plus panique (terreur soudaine, obsession d’un danger, tout aussi contagieuse) est redoutable.

Le Covid-19 nous ainsi donne l’occasion de constater a) que savants et experts divergent entre eux et que leurs avis peuvent varier dans le temps (ce qui paraît scandaleux avec l’illusion rétrospective que « l’on aurait dû savoir ») b) qu’un gouvernement qui dit n’agir que sous l’égide de la science (comités d’experts & co.) peut se contredire et les contredire (ouverture des classes p.e., ), c) que la mobilisation des expertises n’empêche pas, bien au contraire la prolifération des théories alternatives ou dites complotistes d) que décider, décider politiquement, ce n’est pas apporter la bonne solution d’une équation.

-      Un paradoxe éthique : le crainte d’être complice d’un dommage ou d’une violence, fut-ce par ignorance devient déterminante dans une société où l’ultime valeur est la prolongation de la vie humaine sans souffrances excessives. Or cet idéal du respect et de l’innocence fait regarder tout aléa comme un scandale. Mais, dans la mesure où la réponse suppose un contrôle accru, il mobilise une puissance technique qu’il dénonce par ailleurs et suppose parfois des mesures autoritaires ou de surveillance (notamment numériques) qui apparaîtraient scandaleuses en d’autres circonstances.

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Mais tout cela implique un quatrième paradoxe : l'aversion au risque, la recherche de la précaution ou de la réduction sont intrinsèquement générateurs de crises.

Plus nous abaissons le seuil de ce qui paraît inacceptable ou scandaleux, plus nous sommes déterminés à supprimer les facteurs qui peuvent le déclencher ou nous efforçons d'en atténuer les conséquences, plus nous sommes obsédés par la sécurité, plus nous multiplions les systèmes d'alerte, plus nous accroissons la probabilité des crises allant depuis la réaction d'une organisation qui se sent menacée dans son image et sa réputation jusqu'à une franche panique.

On peut se féliciter et se dire que la sensibilité croissante du système se traduit objectivement en préservation de vies humaines, en réduction du nombre de catastrophes ou en meilleur traitement de leurs conséquences..., mais il n'y a pas moyen d'échapper à cette spirale. Et par exemple d’empêcher qu’une mesure comme le confinement n’enclenche toute une spirale économique, sociale, culturelle de conséquences génératrices de nouveaux risques.