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Discipline du chaos. Comment sortir du labyrinthe de la pensée unique libérale ?

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Discipline du chaos. Comment sortir du labyrinthe de la pensée unique libérale ?

par Pietro Missiaggia

Source : Pietro Missiaggia & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/disciplina-del-caos-come-uscire-dal-labirinto-del-pensiero-unico-liberale

Interview-révision du nouveau texte d'Alessio Mannino Disciplina del caos. Come uscire dal labirinto del pensiero unico liberale (La Vela, Viareggio, 2021).

Un ouvrage récemment publié qui mérite une lecture attentive pour sa critique radicale et innovante de toute la vision libérale est le récent livre du journaliste et écrivain Alessio Mannino de Vicence. Déjà connu pour son ouvrage Mare monstrum. L'immigration. Mensonges et tabous (Arianna Editrice, 2014) et Contre la Constitution. Attaque contre les philistins de la Charte 48 (éditions du Cercle Proudhon, 2017), Mannino revient sur le devant de la scène avec Disciplina del caos. Come uscire dal labirinto del pensiero unico liberale (Edizioni La Vela, 2021), une critique de fond qui va au-delà de la simple nostalgie typique des dites gauche et droite radicales (ces dernières se concentrant sur des positions allant du traditionalisme à la reprise sans critique du conservatisme à l'anglo-américaine).

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Mannino propose une généalogie historique du libéralisme compris comme l'asservissement du politique à l'économie. Comme l'affirme l'auteur, l'argent est devenu la valeur dominante de la vie, et l'homme idéal, aujourd'hui, est Jeff Bezos ou Elon Musk, l'influenceur du jour, le riche spéculateur qui s'est fait la main, ne sachant parfois pas faire autre chose que produire de l'argent à partir d'argent. Ce n'est plus le politique, le religieux, l'artiste qui laisse ses œuvres à la postérité, mais l'homme d'affaires-tycoon souvent déguisé en "philanthrope".

L'interprétation proposée ici est celle d'un libéralisme qui renverse le zoon politikon aristotélicien (ζῷον πολιτικόν) et le remplace par un animal compétitif et consommateur qui dévore le monde au détriment de la socialité et de l'entraide (comme aurait dit l'anarchiste Kropotkine), dissolvant tout paradigme communautaire. La crainte et l'effroi de Carl Schmitt face à la fin du Politique sont aujourd'hui une réalité et ce n'est malheureusement pas, comme l'écrivait il y a dix ans Alain de Benoist dans Mémoire vive (Memoria viva, Bietti, 2021), un "simple mythe", car la dernière variante libérale, le néolibéralisme, a effectivement réussi à placer l'Économique au-dessus de tout. "Ma tentative, parce que nous parlons d'une tentative", nous dit Mannino, "est d'aller aux racines du système malade dans lequel nous vivons, en ajoutant aux sentiers déjà battus de la critique politico-économique du libéralisme celui de la démystification éthique et philosophique, de sorte que, au fond, le libéralisme de masse n'est rien d'autre que le nihilisme appliqué à grande échelle". Il ne s'agit pas d'un énième livre qui ne glosserait que sur la seule injustice sociale, souligne-t-il, mais un ouvrage qui parle "de la genèse de la pensée qui nous a menés jusqu'ici et, en outre, d'une recherche de l'issue possible sur la base de principes fondamentaux".

Disciplina del caos est précisément cela : un étalon pour reparamétrer la vision du monde, en renversant le point de vue de la pensée libérale unique qui est unique parce qu'il n'y a qu'une seule façon de concevoir l'existence et la société pour les puissances mondiales, même dans leurs différences nationales. Les trois références qui traversent l'œuvre de manière souterraine sont, toujours selon l'auteur : "Nietzsche, lu comme je pense qu'il doit l'être, donc ni de droite, en passant facilement sur certaines de ses idées socialement racistes inadmissibles, ni de gauche, à la Deleuze ou à la Vattimo ; l'anarcho-socialiste Camus (en laissant de côté certaines de ses utopies sur l'abolition des frontières) et je dirais Arendt à travers laquelle il est possible de redécouvrir la pertinence paradoxale d'Aristote, avec son éthique non moralisatrice mais fondée sur la vertu comme élévation".

Mannino refuse de souscrire à un quelconque espace de contestation bien balisé, qu'il soit d'extrême gauche ou d'extrême droite: "Je pense que le pire défaut des extrêmes est le syndrome autoréférentiel de la petite paroisse, dans lequel, d'une part, on aime et on se complaît à se blottir sous les couvertures confortables du passé, et d'autre part, par suite, on n'est pas capable de s'insérer dans le présent, sans scrupules, ce qui ne signifie pas abandonner les idéaux, mais plutôt les faire atterrir dans le moment, dans le contingent. De grandes énergies sont gaspillées dans l'adoration continue des idoles du vingtième siècle, alors que l'Histoire, comme la Vie, change sans cesse. Le passé doit servir de lentille pour porter un regard critique sur le présent, et non pour reproposer des formules plus ou moins voilées qui faisaient parfaitement l'affaire mais seulement il y a cent ou cinquante ans. Les formes prises par les idées se délitent au fil des événements et des processus historiques et doivent être continuellement actualisées pour coller à la réalité vivante".

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Marx et le marxisme plus ou moins orthodoxe ou des penseurs comme Evola et Guénon, pour donner des exemples de noms célèbres qui planent encore parmi les anticapitalistes et les antilibéraux, sont dans cette perspective des "réservoirs de comparaisons avec le paysage actuel et peuvent fournir des contrepoints qu'il serait insensé d'ignorer". Mais l'orthodoxie est toujours un durcissement de la faculté de penser et d'agir, et représente donc une limitation en soi. Marx reste très important en tant que diagnostiqueur du capitalisme, tout comme un Evola ou un Guénon sont des auteurs qui donnent une vision très intéressante du drame intérieur de la spiritualité contemporaine et de la manière de le contrer ("bien que je les aie lus, ils n'ont pas influencé mon travail, ajoute Mannino). En tout cas, en faire des fétiches est idiot, ainsi que contre-productif".

Le champ du conflit, pour Mannino, se situe "dans l'intériorité, à condition, bien sûr, qu'il trouve son reflet au niveau social et politique". Les deux niveaux sont interconnectés, l'un implique l'autre. Il n'est pas très logique de s'entraîner exclusivement à l'auto-purification dans un contexte extérieur corrompu. Bref, il faut faire de la politique, chacun de son côté, même dans l'art, ou dans des associations diverses, en fuyant l'individualisme, tare libérale, et en s'efforçant de former un groupe, un front, une communauté, en recherchant ses pairs et en agissant surtout sur les idées, sur l'imaginaire, sur la culture, dans le mouvementisme et, dès que l'occasion se présente, même dans la compétition partisane-électorale au sens strict. Sans tabou".

Le modèle auquel Mannino pense est le communautarisme, auquel il associe également le socialisme. Voici comment il explique ce lien: "Dans ma proposition, il s'agit d'inverser l'axe autour duquel la société est fondée: dans la société libérale, c'est l'individu (dans l'abstrait, car dans la pratique le véritable décideur est celui qui est capable de déplacer de grandes quantités de capitaux ou d'influencer leur mouvement, c'est-à-dire l'appareil techno-militaire des grandes puissances), alors que dans une vision communautariste, c'est la communauté, auto-fondée sur des bases variables en fonction des situations historiques, culturelles, géographiques et géopolitiques (par conséquent, ce n'est pas nécessairement l'"État-nation", même si pour nous, je veux dire nous Italiens et Européens, les États-nations restent le rempart irremplaçable, du moins jusqu'à présent, contre la mondialisation et son bras monétaire, l'UE). Un communautarisme politique mais aussi existentiel, conscient que chacun de nous, dans son individualité, est déjà une communauté avec un guide "politique", la conscience, qui doit gouverner des parties différenciées, conscientes et inconscientes".

Le communautarisme est "avant tout une discipline éthique, une éthique de la liberté comme responsabilité de soi, comme mesure de sa propre valeur dans la mêlée sociale, comme désintoxication d'un mode de vie d'enfants paresseux et à moitié déficients, comme rejet d'une anthropologie de la solitude et du narcissisme". Et le socialisme, pourquoi ? "Parce qu'une éthique du fort, pour ainsi dire, conduit à une politique en faveur des faibles, dont la valeur, précisément, ne peut être jetée aux orties simplement parce que tout le monde n'a pas la capacité de gagner de l'argent. Alors que pour un libéral, le capitalisme est le meilleur des mondes possibles, pour un communautarien, la seule option ne peut être qu'un socialisme modernisé, c'est-à-dire non plus global, mais concrètement lié à des identités particulières, qui corrige la démocratie déléguée par de solides injections de démocratie directe, qui vise à reprendre le contrôle populaire de l'argent et des services publics".

Elle n'a rien à voir avec la critique de la démocratie formulée par des courants tels que l'accélérationnisme de Nick Land, "un courant culturel qui, pour le dire crûment, afin de sauver le malade, propose d'accélérer sa disparition". Il s'agit toutefois d'un symptôme à étudier, ne serait-ce que parce qu'il est révélateur de la manière dont la fièvre perturbatrice de l'ultramodernité se reproduit, philosophiquement parlant, dans des "hypothèses extrémistes".

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Mannino est farouchement opposé à la numérisation qui glisse vers le transhumanisme: "Au milieu du livre, je fais un vaste excursus sur la virtualisation de l'existence quotidienne et collective. Je ne vois pas d'autre moyen de s'en accommoder que de procéder par essais et erreurs dans le but de réduire son impact. Le facteur décisif est la récupération, toujours possible tant que les fonctions biologiques et psychologiques de base résistent, de ces sources de guérison que sont les besoins innés non compressibles, ou du moins non compressibles complètement: la sexualité comme condition préalable à la vie, la famille comme lien primordial, l'appartenance à un groupe supérieur comme garantie d'identité, la solidarité et l'agressivité à doser en couple pour un équilibre individuel et collectif décent. Même dans la répression des instincts la plus abjecte dont l'humanité puisse se souvenir, un substrat dans lequel puiser subsiste. Par conséquent, nous ne devons pas être apocalyptiques, mais combattants.

Nous assistons à une nouvelle guerre froide entre les États-Unis d'Amérique et la République populaire de Chine. Cette dernière est-elle un espoir ou un ennemi à craindre? "Il serait insensé d'imaginer un avenir proche qui ne tienne pas compte de la montée en puissance de la Chine. Je ne traite pas de géopolitique dans ce livre, que je laisse à ceux qui sont plus compétents que moi dans ce domaine, mais ce qui est certain, c'est qu'en tant qu'Européen, on ne peut s'empêcher de rêver d'une Europe en dialogue avec la Chine (comme avec la Russie), ou plutôt d'une Europe qui sache se libérer du joug américain. Le problème est de ne pas rêver d'une Europe qui se libère soudainement des casernements américains qui l'infestent, l'Italie en premier lieu. Mais il ne fait aucun doute que notre ennemi numéro un se trouve à Washington, qui nous a maintenus dans un état de soumission, je dirais, suffisant, et non à Pékin, qui ne peut enthousiasmer un Européen fils d'une autre histoire".

La position de Mannino sur la pandémie de Covid 19, qui est gérée de manière autoritaire, pourrait être qualifiée de laïque: "Je crois qu'il s'agit d'une répression autoritaire temporaire, car le véritable contrôle ne s'obtient pas par des ordonnances et des quarantaines, mais par l'autocontrôle de l'individu massifié, rendu possible par la technologie omniprésente (le "capitalisme de la surveillance", pour citer Zuboff). Je crois davantage à un avenir tel que le Brave New World de Huxley, déjà abondamment réalisé, qu'au 1984 orwellien (bien qu'Orwell soit indispensable pour comprendre certaines dynamiques liberticides de notre époque, et d'ailleurs la dernière citation du livre est de lui).

À la fin de son livre, au nom de la fécondité créative que peut offrir le mélange de différentes orientations, Mannino interroge des penseurs italiens d'origines diverses comme l'historien Franco Cardini, le journaliste Thomas Fazi ou le mass-médiologue Carlo Freccero. Presque comme pour suggérer que c'est grâce à la confrontation de leurs idées que l'on peut sortir du labyrinthe. "Grâce à eux aussi, oui, souligne-t-il, ainsi qu'à tous ceux qui pensent et agissent dans une direction diamétralement opposée à cette marche qui se veut définitive et sans aucune possibilité d'alternative du soi-disant "progrès" à la sauce libérale. Sur le plan humain, plus encore que sur le plan politique, c'est une régression qui nous a privés de la vitalité et du goût de la vie et de la lutte. Mais pas complètement, heureusement.

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lundi, 10 janvier 2022 | Lien permanent

Quand Darya Douguina se présentait elle-même...

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Quand Darya Douguina se présentait elle-même...

Merci à Pietro Missiaggia d'avoir mis ce texte sur les réseaux sociaux

"Je suis diplômée en histoire de la philosophie de la faculté de philosophie de l'université d'État de Moscou. Mes recherches ont porté sur la philosophie politique du néo-platonisme tardif, un sujet d'un intérêt infini. La principale ligne de pensée de la philosophie politique du néo-platonisme tardif est le développement de l'idée d'une homologie de l'âme et de l'État et de l'existence d'un ordre triple similaire dans les deux. De même que dans l'âme il y a trois bases, de même dans l'État (et les platoniciens décrivent le modèle indo-européen, plus tard parfaitement théorisé dans l'œuvre de Dumezil), il y a aussi trois domaines - ce modèle se manifeste dans l'Antiquité et au Moyen Âge. La compréhension existentielle et psychique de la politique est en fait perdue à bien des égards aujourd'hui, car nous sommes habitués à ne voir la politique que comme une technique; mais le platonisme révèle un lien profond entre les processus politiques et psychiques. Aujourd'hui, il est urgent de rétablir une vision globale des processus politiques, c'est-à-dire d'examiner la "politique existentielle".

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Je suis une observatrice politique du "Mouvement international eurasien" et une experte en relations internationales. Mon domaine d'activité est l'analyse de la politique et de la géopolitique européennes. À ce titre, j'apparais sur des chaînes de télévision russes, pakistanaises, turques, chinoises et indiennes, présentant une vision mondiale multipolaire des processus politiques. Mes centres d'intérêt sont à la fois l'espace de la civilisation européenne et le Moyen-Orient, où une sorte de révolution conservatrice est en train de se produire - de la confrontation constante de l'Iran avec l'hégémonie américaine ou de la lutte de la Syrie contre l'impérialisme occidental à la Turquie, qui montre maintenant des tendances intéressantes à s'éloigner de l'OTAN et du bloc géopolitique anglo-saxon et tente de construire sa politique étrangère sur une base multipolaire, en dialogue avec la civilisation eurasienne. Je pense qu'il est important de suivre les processus dans la région du Moyen-Orient, c'est l'une des étapes de la lutte contre l'impérialisme. D'autre part, je suis également très intéressée par les pays africains; ils représentent "l'autre" pour l'Europe et la Russie, dont l'analyse nous permet de mieux comprendre leur civilisation. L'Afrique a toujours été un élément de rêve pour les Européens et les Russes - rappelons-nous le Voyage en Abyssinie et à Harare d'Arthur Rimbaud, ou le poète russe Nikolaï Gumilev qui s'est inspiré de Rimbaud ("Journal africain") et d'une série de poèmes sur l'Afrique, dans lesquels il révèle en fait l'Afrique comme une civilisation inexplorée et pleine de sens que le colonialisme occidental a cruellement essayé de défaire et de détruire.

Aujourd'hui, des changements tectoniques ont lieu sur le continent africain, et la comparaison entre les civilisations, l'occidentale et l'authentiquement africaine (si différente et si unique) est extrêmement intéressante.

Pour moi, une question particulièrement importante est le développement de la théorie du monde multipolaire. Il est clair que le moment mondialiste est terminé, la fin du libéralisme est arrivée, la fin de l'histoire libérale. En même temps, il est extrêmement important de comprendre qu'une nouvelle phase pleine de défis, de provocations et de complexités a commencé. Le processus de création du multipolarisme, de structuration des blocs civils et de dialogue entre eux est la tâche principale de tous les intellectuels aujourd'hui. Samuel Huntington, en tant que réaliste des relations internationales, a mis en garde à juste titre contre les risques d'un choc des civilisations. Fabio Petito, spécialiste des relations internationales, a souligné que la construction d'un "dialogue des civilisations" est la tâche centrale et "la seule façon d'avancer". Par conséquent, pour consolider le monde multipolaire, les zones frontalières (intermédiaires) entre les civilisations doivent être traitées avec soin. Tous les conflits ont lieu aux frontières (dans les zones intermédiaires) des civilisations, là où les attitudes s'affrontent. Il est donc essentiel de développer une mentalité de "frontière" (d'entre-deux) si l'on veut que le monde multipolaire fonctionne pleinement et passe du "choc" au "dialogue" des civilisations. Sans cela, il y a un risque de "clash".

Les sanctions anti-russes commencent à affecter l'économie européenne. Marine Le Pen, dans son débat avec Macron, les a qualifiés à juste titre de "harakiri" pour l'économie française. Mais réfléchissons: qui a besoin d'une Europe affaiblie ? Plombée par les mesures de la pandémie, affaiblie par les sanctions anti-russes, l'Europe va devoir concentrer toutes ses forces pour sauver son économie; dans une telle situation, les bénéficiaires de tous ces revers sont les Etats-Unis, qui peuvent rétablir leur contrôle sur le continent. Un Rimland indépendant est inacceptable pour la civilisation anglo-saxonne, le sentiment anti-américain et anti-OTAN croissant (en France, il faut le noter, Mélanchon, Le Pen, Zemmour et de nombreux autres candidats ont activement critiqué l'adhésion de la France à l'OTAN et quasiment prôné la réédition du scénario gaulliste de 1966) est une menace pour la domination mondiale des États-Unis. Par conséquent, l'idée de sanctions anti-russes a été mise en œuvre dans le but égoïste d'affaiblir la région. Les élites de l'UE ont agi comme des intermédiaires, des mandataires des mondialistes dans cette entreprise, et ont porté un coup sévère au bien-être des peuples et des nations européennes.

Je demande instamment à tous les lecteurs de faire preuve d'esprit critique et de remettre en question les reportages des médias. Si les élites libérales occidentales insistent tant pour soutenir Kiev et diaboliser Moscou, c'est qu'il y a une logique de profit derrière tout cela. Tout doit être remis en question. Il s'agit d'un principe important qui nous permet de garder une vision sobre. Dans la société du spectacle, de la propagande et de la nature totalitaire des systèmes occidentaux, le doute est une étape essentielle pour sortir de la caverne..."

Que Darya Douguina repose en paix.

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dimanche, 21 août 2022 | Lien permanent

Nick Land et la pertinence des ”Lumières sombres”

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Nick Land et la pertinence des "Lumières sombres"

par Pietro Missiaggia

Le philosophe britannique Nick Land, né en 1962, connu comme le père de ce courant philosophique né dans les années 90, au moment de la crise des idéologies, et souvent appelé accélérationnisme, est peu connu en Italie et dans les pays de l'Europe méditerranéenne ; ce n'est que ces deux dernières années que deux de ses œuvres ont été traduites en italien Collasso. Scritti 1987-1994 édité par Luiss University Press, et L'Illuminismo Oscuro traduit et édité par Gog Edizioni. Nous voudrions analyser certains aspects de cette dernière œuvre, qui représentent les théories novatrices de Land et sont souvent utiles pour comprendre notre époque.

The_Dark_Enlightenment.jpgThe Dark Enlightenment est un texte publié par le penseur britannique en 2013 par "épisodes" dans l'un des nombreux blogs internet fréquentés par les membres de la "droite alternative" ou Alt-Right. Le livre de Land a souvent été défini, par de nombreux commentateurs plus ou moins ignorants, de bonne ou de mauvaise foi ou simplement politiquement corrects (une erreur également commise par les éditeurs de Gog), comme un texte inspirateur du suprémacisme blanc, fortement apologétique envers l'eugénisme et considéré comme la somme d'une pensée irrationnelle, agressive, anti-égalitaire et purement cérébrale. Dans ce court texte, nous analyserons des extraits du texte de Land pour essayer de comprendre objectivement sa pensée et ce qui peut être utile en elle pour notre époque, qui est une époque de dissolution.

Commençons par dire que Land est très critique à l'égard des mouvements qui se réfèrent au suprémacisme blanc, au suprémacisme noir, etc. et qui considèrent l'histoire comme un phénomène de lutte entre les races (racisme), tout comme il est critique à l'égard de la nostalgie fasciste et nationale-socialiste et des apologistes du politiquement correct. Selon le Land: "Il est extrêmement commode, lorsqu'on construit des structures pseudo-capitalistes dirigées par l'État, ouvertement corporatistes et à troisième voie, de détourner l'attention des expressions de colère de la paranoïa raciale blanche, surtout lorsque celles-ci sont décorées par des insignes nazis maladroitement modifiés, des casques à cornes, une esthétique à la Leni Rienfenstahl et des slogans empruntés généreusement à Mein Kampf. Aux États-Unis - et donc, avec un décalage réduit, également à l'échelle internationale -, des draps blancs aux divers titres pseudo-maçonniques, avec croix brûlantes et cordes de suspension, ils ont acquis une valeur théâtrale comparable" (op. cit., Roma 2021, p. 68).

Pour Land, la paranoïa raciale des suprématistes blancs est extrêmement nuisible non seulement à la création d'un système alternatif mais aussi à eux-mêmes ; en effet, pour l'auteur "l'Übermensch racial est un non-sens" (ibid., p. 130) et il ajoute que "aussi extrêmement fascinants que soient les nazis [...] ils posent une limite logique à la construction programmatique et à l'engagement de la politique identitaire blanche". Se tatouer une croix gammée sur le front ne change rien". (ibid). Les suprémacistes blancs du monde anglophone, même s'ils ne le réalisent pas, alimentent le système dans son idiotie et son théâtre en manquant d'une ligne politique cohérente et en étant destinés, pour Land, à succomber comme notre monde vers l'épuisement. Pour Land, comme il le précise à la page 129 de son manifeste, sacrifier la modernité au nom de la race revient à se démoder soi-même ; plus que se démoder, c'est faire le jeu de la modernité elle-même, en l'alimentant de ce qu'elle voudrait voir comme une paranoïa raciale, qui se traduit par deux formes doubles : la paranoïa raciale du suprémacisme et la paranoïa anti-raciale typique de la pensée politiquement correcte.

41ntp4UMRiL._SX351_BO1,204,203,200_.jpgPour Land, en effet, la référence constante à un croquemitaine qui voit dans le IIIe Reich le mal absolu est délétère, mais c'est aussi la force de la modernité qui, à partir de la seconde moitié du XXe siècle, fait "jaillir la force politique du monde globalisé exclusivement du cratère incinéré du IIIe Reich" (p. 72). Cette tendance conduit, pour notre auteur britannique, à délaisser la rationalité pour l'irrationalité ; cela n'a rien d'étonnant : les hommes rationnels sont rares, surtout à une époque comme la nôtre, caractérisée par l'émotivité et le manque d'analyse: "Toute tentative de nuance, d'équilibre et de proportion dans le cas moral contre Hitler revient à mal interpréter le phénomène " (p. 75). En effet, l'hitlérisme et le totalitarisme national-socialiste sont souvent interprétés non pas comme un phénomène politique lié à une période historique spécifique avec ses propres présupposés, mais comme quelque chose d'éternel aux accents religieux abrahamiques: l'antéchrist présentant le mal absolu. C'est ce que critique Land, comme en témoignent ses propos: "Si embrasser Hitler comme un Dieu est un signe de déplorable confusion politico-spirituelle (quand c'est bien), reconnaître sa singularité historique et sa signification sacrée est presque obligatoire, car tous les hommes de foi réfléchie le considèrent comme un complément précis du Dieu incarné - l'Anti-Messie détecté, l'Adversaire - et cette identification a la force d'une vérité évidente. (Quelqu'un s'est-il déjà demandé pourquoi le sophisme logique de la reductio ad Hitlerum fonctionne si bien ?)" (p. 77).

La critique par Nick Land du racisme biologique grossier et dépassé, typique de certains cercles de la droite alternative américaine et du monde anglophone en général, ainsi que des tendances à la reductio ad Hitlerum du politiquement correct sous toutes ses formes, est tout à fait claire ; il n'est pas nécessaire d'apporter d'autres précisions pour comprendre que Land critique sévèrement le racisme biologique ainsi que son opposé, l'antiracisme délirant.

Examinons maintenant ce que Land entend par "Lumières sombres" et pourquoi le concept qu'il propose peut être considéré comme profondément novateur. Land propose les Lumières comme le véritable nom de la modernité (p. 17) et considère implicitement comme son digne héritier les Lumières libérales qui, au cours du XXe siècle, ont triomphé des deux totalitarismes qui leur ont disputé la suprématie: le communisme/socialisme et le national-socialisme/fascisme, comme le dit aussi Alexandre Douguine dans sa Quatrième théorie politique (Nova Europa Edizioni, Rome 2018). Pour Land, "un Dark Enlightenment cohérent [est] dépourvu à ses débuts de tout enthousiasme rousseauiste pour l'expression populaire" (p. 23) et "Là où le progressive Enlightenment voit des idéaux politiques, le Dark Enlightenment voit des appétits" (ibid.).

Land considère la démocratie comme un cancer incurable, de même que l'expression populaire et les différents populismes. La démocratie n'est pas un idéal, c'est l'auge des politiciens. Pour Land, le modèle naturel serait un État qui permet une grande liberté économique et la gestion privée de sa propre vie, comme les technocraties asiatiques, avec une référence particulière à Hong Kong, Singapour, Taiwan, etc., où la démocratie est souvent absente et où ces États sont basés sur un modèle connu sous le nom de néo-caméralisme, l'État d'entreprise (Land définirait le modèle naturel de l'homme comme étant celui de l'Asie). Selon Land, dans le sillage de deux autres penseurs considérés comme des Américains libertaires (presque anarcho-capitalistes selon l'opinion populaire) : Hans Hermann Hoppe et Curtis Yarvin (alias Moldbug) (photo, ci-dessous) et dans le sillage du décisionnisme de Hobbes, il comprend que "l'État ne peut être supprimé mais il peut être guéri de la démocratie" (p. 27).

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Un véritable libertarianisme selon Land doit cependant proposer de mettre en évidence, dans le sillage typiquement anglo-saxon, la supériorité de la liberté sur la démocratie: il faut pouvoir opter pour une sortie libre. Quiconque le souhaite doit être libre de créer son propre système et d'être laissé tranquille, ce que la démocratie moderne ne fait pas, avec ses chasses aux sorcières et son politiquement correct, avec ses guerres humanitaires pour la démocratie et avec sa rhétorique sur les droits de l'homme. Des droits de l'homme qui ne sont même pas respectés par ces mêmes démocraties qui tonnent haut et fort la parodie de progressisme et de liberté... Alors que la seule liberté de la démocratie est celle de la voix, du vote, c'est-à-dire la protestation pour obtenir plus de droits et de pain, mais qui en réalité ne mène à rien. Pas de voix mais un discours libre, telle est la devise du Land. Que faire de la démocratie ? Pour notre auteur, il nourrit "une population largement infectée par le virus zombie qui titube vers un effondrement social cannibale, l'option privilégiée devrait être la quarantaine" (p. 39).

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Avant de conclure sur l'utilité de s'inspirer de la pensée de Land dans notre époque historique actuelle, il est nécessaire de préciser ce que notre auteur pense de l'eugénisme. Land définit l'homme comme inégal, dans le sens où chaque homme est différent et où l'égalité totale n'existera jamais, mais il ne faut pas y voir un phénomène négatif, ni une suprématie du fort sur le faible, mais plutôt, pour reprendre une formule marxiste telle que "chacun selon ses capacités et chacun selon ses besoins", l'idéal pour l'auteur britannique serait une société basée sur la hiérarchie. Cette hiérarchie, cependant, ne doit pas devenir, comme l'a dit Julius Evola, un hiérarchisme, même s'il partait de prémisses très différentes; elle doit consister en un soutien mutuel sur la base d'une sorte d'état organique. En fait, Land conclut son texte en affirmant que "les nationalistes raciaux s'inquiètent de voir leurs petits-enfants se ressembler" (p. 149) et que lorsque l'on voit la réalité "depuis l'horizon bionique, tout ce qui émerge de la dialectique de la terreur raciale devient la proie des banalités". Il est temps d'aller au-delà de cela" (p. 150). C'est-à-dire que pour le Land, il est nécessaire d'aller au-delà des moyens grossiers de l'eugénisme et du racisme biologique. Selon lui, il est nécessaire de créer une nouvelle élite, en utilisant également les moyens technologiques des machines, et à ses yeux, les anciens moyens sont banals et obsolètes, ainsi que synonymes de stupidité. Ce qui peut et doit être critiqué et réprimandé à Land, c'est que, en bon anglo-saxon, il prend en considération le QI comme synonyme de jugement, mais qu'en penseur objectif, il en reconnaît les limites.

Ayant clarifié la stupidité de juger Land comme un penseur raciste ou comme un idéologue de la soi-disant Alt-Right, passons à ce que l'on peut tirer de bon de Land. Tout d'abord, dans sa conclusion avec l'horizon bionique, il propose que la seule façon de chevaucher le tigre de la post-modernité est d'utiliser la même technique, mais en prenant soin de la contrôler, et comme Carl Schmitt l'a dit dans son Dialogue sur le pouvoir (Edizioni Adelphi), la technique n'est ni bonne ni mauvaise mais neutre. L'homme doit l'utiliser sans en perdre le contrôle, sinon, comme le dit également le bon Theodore Kaczynski dans son ouvrage Industrial Society and its Future, si l'homme ne contrôle pas la technologie et la technologie qui en découle, il sera totalement insatisfait et incapable de satisfaire ses besoins. C'est-à-dire qu'il ne se sentira pas satisfait de la technique et de la technologie qui en découle et de leurs conclusions, mais complètement et perpétuellement insatisfait, incapable et souvent frustré, ce qui le conduira à un état d'épuisement nerveux. 

Nick Land nous apprend à penser par nous-mêmes, à rejeter le style paranoïaque du système dans son ensemble, c'est-à-dire dans ses illusions, tant celles de ses ennemis qui ne font que l'alimenter que celles du système lui-même. C'est le sublime Trash, comme dirait le slovène Žižek. Que faire à la fin de nos jours ? Comme nous l'enseignent déjà Evola et le Jünger du Traité du Rebelle, nous devons nous y rendre pour nous défendre et attaquer selon la situation, en nous enracinant et en prenant des références stables dans le navire chancelant de la modernité qui s'approche de la postmodernité pour attendre une sortie libre espérée du système qui, comme l'espère Land, se produira parce que le système se nourrit jusqu'à l'éclatement non seulement à cause des problèmes générés par le substrat socio-économique mais surtout à cause de son éternelle idiotie, sa schizophrénie, en somme: par tous les déchets qu'elle produit. Le système, en bref, est un grand même. Land a déclaré : "Le même est mort. Vive le même!". A cela, nous devons répondre que le système n'est pas encore mort, mais qu'il va mourir et que nous ne nous soucions pas de savoir quand, nous vivons de notre libre individualité et de notre pouvoir parce que nous sommes simplement... 

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jeudi, 06 janvier 2022 | Lien permanent

Une pensée méconnue : le manifeste de Troy Southgate pour le mouvement national-anarchiste

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Une pensée méconnue : le manifeste de Troy Southgate pour le mouvement national-anarchiste

Par Pietro Missiaggia

Source: https://pietromissiaggia.blogspot.com/2022/01/un-pensiero-misconosciuto-il-manifesto.html?fbclid=IwAR3541n_aVYDVTI9hXtjW0eGVBf25vzZexYKp17AHuwdAvDaZOhVQr5BGco


Lorsqu'un spécialiste italien des doctrines politiques, lorsqu'un historien de la "droite radicale", ou de la soi-disant "gauche révolutionnaire" ou des mouvements anarchistes entend parler du national-anarchisme et de son principal idéologue, Troy Southgate, il est à la fois perplexe et dubitatif face à un tel penseur et à une vision du monde (Weltanschauung) aussi novatrice, mais complètement ignorés dans le contexte de l'Europe méditerranéenne ; l'Italie, cependant, fait exception à la règle à certains égards.

Troy Southgate est né à Londres en 1965, a obtenu un diplôme d'histoire et de théologie à l'université du Kent et est devenu l'idéologue d'un mouvement national-anarchiste qui vise à créer de nouvelles synthèses et à dépasser la droite et la gauche. En Italie, heureusement, la pensée de Southgate a été lue et connue, même si c'est de façon marginale, grâce à l'initiative de diffusion mise en place par les Edizioni Sì qui ont publié son Manifeste national-anarchiste (Edizioni Sì, Milano,2018) et grâce à l'intérêt de Libere Comunità, qui reprend en partie la pensée de Southgate dans son élaboration communautaire. Cet article a pour but de tenter d'illustrer objectivement la pensée de Southgate et de comprendre ce que le lecteur italien peut tirer de ses idées à notre époque de pure dissolution.

Commençons par le début ; par la signification du national-anarchisme ; qu'est-ce que cela signifie ? Que représente-t-il ? Un oxymore ? Absolument pas, car pour Southgate l'anarchisme doit se libérer des déformations dont la gauche l'a imprégné. La gauche est une idéologie fonctionnelle au système ; en effet, le jeune anarchiste qui se réclamera de la gauche en pensant être vraiment anarchiste restera un hédoniste qui critique la société au sein d'un simple mouvement plus ou moins "militant" mais en fait, ce mouvement fait partie intégrante du système car il ne peut pas dépasser le matérialisme de l'anarcho-communisme et ne peut séparer la pensée de penseurs comme Bakounine, Kropotkine ou Proudhon de celle du marxisme.

En effet, ils ne savent souvent même pas qui est Marx et se contentent de boire une bouteille de coca pour l'oublier. À cet égard, les propos de Nicolás Gómez Dávila sur le fait que les insignes délavés du parti communiste sont désormais oubliés et laissés dans un placard sombre et que l'avenir appartient à Coca Cola et à la pornographie (voir Pensieri Antimoderni, Edizioni di AR, Padoue, 2010) sont parfaitement d'actualité. Une autre erreur commise par la gauche, bien qu'elle ne l'admettra jamais selon Southgate: le fait d'avoir transformé l'anarchie, ainsi que toute idéologie qui est entrée en contact avec son substrat culturel, en un système dogmatique, paranoïaque et centralisé.

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Actuels sont les mots de notre idéologue lorsqu'il déclare : "[...] la majorité des gens de gauche, ne pourront pas se reposer tant qu'ils ne seront pas capables d'organiser chaque minute de la vie des autres" (Op.cit. Milan, 2018 cit. p.30). "La gauche, tout comme la droite totalitaire, refuse de tolérer quiconque tente de s'opposer à sa vision d'une société inclusive" (Ibid). La gauche, pour Southgate, fait partie d'un système paranoïaque et obsessionnel-compulsif (nous citons à cet égard le texte de Kerry Bolton, The Psychopathic Left, Gingko Edizioni, Vérone, 2018); d'une mentalité totalitaire héritée en partie des totalitarismes du vingtième siècle et par ailleurs de son propre dogmatisme sécularisé qui ne peut pas penser au-delà du vingtième siècle qui est passé et bien passé.

La dialectique marxienne est aujourd'hui dépassée ; ses adeptes devraient couper leurs propres branches mortes pour faire pousser de nouveaux bourgeons à leur "arbre idéologique", mais très souvent ils ne le font pas parce qu'ils ont oublié les textes et les leçons de Marx et la façon de se renouveler.

Des observations similaires sur la mentalité de la gauche ont également été faites par Theodore Kaczynski dans son célèbre manifeste La société industrielle et son avenir, où il décrit, dès les premières pages, la nature paranoïaque de la gauche contemporaine qui, au lieu de critiquer la modernité libérale, se concentre sur la peur de l'"ennemi intérieur" (toute personne qui ne partage pas les idéaux de la gauche), comme si nous étions encore à l'époque de la révolution d'Octobre et que nos radicaux-chics étaient des révolutionnaires bolcheviques, ainsi que sur le fait qu'ils acceptent la modernité et en font partie; parce qu'elle ne sait pas dépasser le matérialisme et l'économisme pur pour atteindre de nouveaux sommets et de nouvelles synthèses, comme l'a également dit le philosophe français Alain De Benoist (Cf. Sull'orlo del baratro, Arianna Editrice, Bologne, 2014). Cela fait mal, mais c'est l'amère vérité.

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Pour Southgate, l'anarchie ne consiste donc pas à "faire du désordre dans les rues", c'est-à-dire à exprimer de la simple protestation qui, aujourd'hui, souvent et volontairement, ne mène à rien sinon à rester dans le système, à faire de la "voix", comme on dit. Cependant il est nécessaire de rejeter le système, de faire entrer la liberté intérieure dans le monde terrestre, dans le monde extérieur, temporel et physique car c'est ce qui conduit à une sortie libre du système comme Nick Land l'a dit dans son Dark Enlightenment (Gog Edizioni, Rome, 2021) ; il est nécessaire d'être conscient de notre propre liberté et individualité qui nous conduit à construire et ériger une communauté (un nouveau tribalisme selon les mots de Southgate) qui rejette le centralisme de l'État-nation moderne.

La vision communautaire de Southgate n'est pas un anarchisme qui rejette l'autorité, comme on l'entend communément, mais un anarchisme qui se donne une autorité qui est naturelle : celle d'une communauté composée d'hommes différenciés, radicaux, unis par une même Weltanschauung (une vision commune du monde) ; à cet égard, plusieurs mots sont consacrés dans le Manifeste au facteur ethnico-racial et à l'identité d'une communauté nationale-anarchiste ; pour Southgate, contrairement à l'interprétation qu'en font ses détracteurs, le problème n'est pas tant d'être en faveur d'un ethno-nationalisme ou d'une communauté de différents groupes ethniques, mais de trouver un substrat commun pour s'organiser sur une vision plus spirituelle de la vie qui dépasse le simple biologisme ; pour lui, tant le suprémacisme racial que le multiculturalisme antiraciste restent des expédients très grossiers ; on peut dire que ces deux filons font partie du même paradigme néo-libéral, qui n'est ni ethno-national ni multiculturel, puisqu'il veut la destruction de toutes les cultures et de toutes les racines, qu'elles soient ethniques, sociales, ou de toute identité (car toute identité est désormais liquide pour paraphraser Bauman); la base du système est thalassocratique et a en commun la mentalité américaine, mais elle est aussi profondément mono-culturelle ; elle veut comme vision du monde la seule société libérale de marché, où précisément le seul modèle préconisé est celui de l'anéantissement de toutes les différences au profit de l'américanisme et enfin, le système prône la primauté de l'Économique sur le Politique (tel que définit par Carl Schmitt).

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Un autre facteur inhabituel dans la philosophie de Southgate est le facteur de "liaison" entre les communautés nationales-anarchistes ; elles devraient d'une manière ou d'une autre se coordonner malgré leurs différences afin de combattre, au moins dans un premier temps, le centralisme étatique. "Nos communautés villageoises devront s'armer convenablement pour survivre" (cit. p.71) écrit notre auteur dans son Manifeste au chapitre neuf consacré à la Défense (pp.71-74). Il se pose, spontanément, la question de savoir si l'on voit le monde à partir d'une vision géopolitique schmittienne donnée par les grands espaces ; si les petites communautés et les réalités localistes peuvent rejoindre l'essor de l'ère des blocs continentaux et l'avenir de la multipolarité comme nouvel ordre mondial ; la vision géopolitique des grands espaces (par exemple les espaces européen, anglosphérique, africain, eurasien-russe, etc. ) peut être combiné avec, d'une part, un centralisme étatique et, d'autre part, de petites communautés autonomes qui, d'une manière ou d'une autre, se coordonnent entre elles pour former des espaces plus vastes en fonction de leur propre culture et de leur situation géographique dans le monde (évidemment, un national-anarchisme en Amérique latine sera différent d'un national-anarchisme dans l'Anglosphère ou en Europe centrale).

Avant d'en arriver à la conclusion et à quel type humain Southgate se réfère, je voudrais dire quelques mots sur sa vision de la droite radicale ; bien que son parcours politique soit typique de ce milieu, il critique le national-socialisme allemand et le fascisme italien, considérés comme lourds et totalitaires, semblables à bien des égards à la mentalité de la gauche, prenant comme point de référence les mouvements, composés en majorité d'intellectuels et dépourvus d'un véritable corpus idéologique commun, de la Révolution conservatrice (cit. p.40). Nous en venons maintenant au type humain et à la manière dont, à notre époque, les idéaux national-anarchistes peuvent être appliqués, au moins dans notre substrat spirituel. En partant du fait que les idées de Southgate, au fil des années, sont demeurées ouvertes à une synthèse ultérieure dans une direction traditionnelle, mais que malheureusement, nous, en Italie, n'avons pas été en mesure de lire et d'approfondir cela est dû au manque de connaissance de son travail dans le sud de l'Europe comme je l'ai mentionné au début de cette analyse.

Cela dit, quel est le type humain national-anarchiste ? Laissons notre auteur s'exprimer à ce sujet : "Nous recherchons un nouveau type d'individu, quelqu'un qui est prêt à faire passer ses idéaux avant tout le reste. C'est la marque qui identifie un véritable révolutionnaire ; un activiste au service désintéressé de sa nation et de son identité" (cit. p.80). "En particulier de la part des hommes dans leurs rangs qui sont prêts à mourir pour leur foi. Un tel héroïsme face à des forces aussi écrasantes ne peut que nous inspirer" (Ibid.). Enfin, "Nos idéaux doivent susciter en nous le même niveau d'engagement et de fanatisme, doivent nous donner la même force intérieure qui génère l'invincibilité. Ce n'est que si nous sommes capables d'y parvenir que nous pourrons devenir une force capable d'affronter nos ennemis" (cit. p.81).

Le type humain national-anarchiste est comparable à l'Homme différencié de Julius Evola ou au Sujet radical d'Aleksandr Dugin ou encore à l'Anarque de Jünger ; il doit être matériellement engagé dans le changement révolutionnaire ; dans la lutte permanente contre le Système actuel incarné par le globalisme libéral mais, il doit aussi être juste et mener sa propre guerre intérieure avant sa véritable vie militante. A cet égard ; je crois que l'Anarchisme National peut être une réponse conjugable à l'idée de Tradition, de l'idéal de l'unité des peuples dans un grand Espace comme évoqué par Carl Schmitt car il est, en plus d'être une voie politique, une voie intérieure, une manière d'être dans laquelle des hommes différenciés, armés de leur propre vision du monde, voient comme la seule voie capable d'unir pour faire se désintégrer le Système.

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À cet égard, malgré les différences et les divergences entre la vision de Troy Southgate et celle d'Alexandre Douguine sur la Quatrième théorie politique, l'eurasisme et le national-bolchevisme, je voudrais terminer en citant des passages des Templiers du prolétariat écrits par le philosophe et activiste russe en 1997 (publiés par AGA, Milan, 2021) ; bien que ces textes se réfèrent à la réalité post-soviétique des années 1990, ils sont encore très pertinents pour notre époque: "Une fois de plus, [il] révèle un certain type commun, l'intellectuel [...], le national-révolutionnaire, radical et paradoxal, l'artiste engagé en politique, le conspirateur, le mystique et (dans son apparence extérieure) le pervers. On pourrait ajouter : le fou" (op. cit. p.108). "Le traditionalisme propre au national-bolchevisme, en général, est certainement un ésotérisme de gauche, dont les caractéristiques reprennent les principes du Kuala tantrique et la doctrine de la transcendance destructive. Le rationalisme et l'humanisme individualiste ont détruit de l'intérieur les organisations du monde moderne qui possédaient nominalement un caractère sacré. Il est impossible d'établir les conditions cérémonielles de la Tradition par une amélioration générale de la situation présente. Dans une phase eschatologique, cette voie de l'ésotérisme de droite est clairement vouée à l'échec. De plus, les appels à l'évolution et au gradualisme ne font que favoriser l'expansion libérale" (cit. p. 46).

Si l'on fait abstraction de la réalité russe de l'époque où ces discours ésotériques sur la Voie de la Main Gauche, décrite antérieurement par Evola, discours repris dans cet ouvrage par Douguine, il faut, à notre époque, non seulement chevaucher le Tigre et se tenir au-dessus des ruines, comme le disait Evola en son temps, être vraiment différencié, aller à contre-courant et être libre d'esprit afin de trouver notre chemin spirituel dans notre propre individualité ; seuls nous, les individus, pouvons le faire (ce qui a déjà été décrit par Jünger et dans les textes des différentes traditions ésotériques - voir le Zen du Maître Yoka Daishi à titre d'exemple) et, après cela, nous pourrons trouver d'autres hommes différenciés, dédiés à l'action matérielle et à la création de communautés et de nouveaux paradigmes étatiques qui conduiront à la Désintégration du Système (Edizioni di AR, Padova, 2010) selon le processus décrit par Franco Giorgio Freda dans les années 60 et 70 et à l'avènement de notre homme différencié, qui non seulement sera debout, mais dansera au-dessus des ruines de la civilisation capitaliste tandis que la dernière révolution sera menée par l'Acéphale, le porteur sans tête de la croix, de la faucille et du marteau, couronné par l'éternelle svastika solaire (Op. cit. p. 48).

La fin de notre monde ; elle partira de nous qui savons y résister et au bon moment de sa dissolution complète et donc de sa fin; nous danserons sur ses décombres parce que nous sommes partis de multiples synthèses ; une parmi toutes, il y a le national-anarchisme de Troy Southgate. En attendant le futur d'un nouvel âge d'or.

Pour se procurer les ouvrages de Troy Southgate:

1) https://www.amazon.fr/Tradition-Revolution-Collected-Writings-Southgate/dp/8792136028

2) https://www.amazon.co.uk/Radical-Tradition-Philosophy-Metapolitics-Conservative/dp/0473174979

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