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lundi, 31 mars 2025

La lecture, une aliénation , ou une libération ?

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La lecture, une aliénation, ou une libération?

Claude Bourrinet

Comment expliquer la sensation d’être « pris » par un livre comme dans le filet de Circé, l’impression d’échapper au temps vernaculaire, de ne plus penser que par truchement, d’être quasiment manipulé, voire conditionné ? Comment comprendre le rapport érotique assez fréquent entre l’auteur et le lecteur (très souvent la lectrice) instaurant entre eux, parfois, une démarche de séduction et des rapports amoureux très concrets ? Cela s’est vu avec les plus grands, et je ne citerai que Chateaubriand et ses nombreuses conquêtes, ou bien, pour faire bonne mesure, Gide et ses gitons lettrés. La « possession » générée par la lecture présente aussi de belles incarnations, fussent-elles nées de l’imagination romanesque, comme Don Quichotte et Emma Bovarysme.

Pourquoi les Grecs et les Romains se faisaient-ils lire les « rouleaux » de papyrus (les « volumen ») par des esclaves ? Pourquoi, d’ailleurs, lorsqu’ils étaient « auctores », comme Cicéron, dictaient-ils leurs textes ? Il faut bien que l’acte de lecture ait quelque chose à voir avec la conception de la liberté, qui ne pouvait être que civique, dans l’Antiquité.

Il faut donc, pour comprendre ce phénomène qui tient de la magie et de la manipulation (mais on sait que les deux domaines d’action sont parents) revenir à l’origine (du moins dans l’aire de notre civilisation).

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En grec, il y a plusieurs manières de dire « lire ». Nous ne les passerons pas toutes en revue, mais nous retiendrons ce qui concerne les questions ci-dessus. Je me suis servi du livre incroyablement érudit, et collectif – sous la direction de Guglielmo Cavallo et de Roger Chartier : Histoire de la lecture dans le monde occidental, aux Éditions du Seuil.

En Grèce antique, la « voix » est première. Le héros quête le « kléos », le renom, par lequel il deviendra immortel, puisqu’il est « impérissable », autrement dit la « gloire » (en langue germanique, on a un mot de même racine, le « Laut » – peut-être ce mot a-t-il la même racine que "Laudes" (louanges à Dieu), mais je n’en suis pas sûr). Homère utilise le terme pour désigner sa poésie épique, qui fut longtemps une « performance » orale, avant d’être écrite. C’est par le kleos que le héros existe, donc, aussi, son monde. La voix est créatrice de monde, et elle est intimement dépendante de la mémoire. On devine bien que l’écrit rendra, à terme, vaine, cette mémoire, et étouffera la « voix ».

De même, sur les inscriptions lapidaires funéraires, le long des chemins, par exemple, le passant est invité à proférer ce qui y est inscrit, et à haute voix, pour donner corps (ou plutôt son) à la mémoire. C’est assurer un semblant d’immortalité au mort.

L’un des mots utilisés pour désigner l’acte de « lire » est « ananémesthai ». C’est un terme en dialecte ionien, à la forme moyenne, datant, en l’occurrence, ici, du 5ème siècle, trouvé sur une stèle funéraire d’un certain Mnésithéos, en Eubée. L’épitaphe commence ainsi : « Salut, ô passants ! Moi, je repose mort en dessous. Toi qui t’approches, lis (verbe : ananémesthai) qui est l’homme enterré ici : un étranger d’Egine, du nom de Mnésithéos »

Le verbe epinémein, à la forme active, qui signifie aussi « lire », a un sens de « distribuer », qui suppose un auditoire. Mais la forme moyenne ananémesthao signifie aussi « distribuer en s’incluant dans la distribution ».

L’écriture de la stèle est évidemment en scriptio continua, comme c’est le cas de tous les écrits de l’époque, jusqu’à la fin du Moyen Âge, du reste, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’intervalles entre les mots. Il faut lire à haute voix pour comprendre. L’« orateur » sert d’intermédiaire, et « traduit » en son ce qui lui est dicté par des signes graphiques. Il a un rôle passif-actif : il reçoit, mais doit restituer. Un autre mot pour « lire » est epilégesthai », qui signifie « ajouter un dire à ». Autrement dit, le « lecteur » ajoute sa voix à l’écrit, incomplet en lui-même.

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Il s’agit bien sûr d’épeler les mots inscrits (d’où le verbe anagignoskein, qui veut dire « reconnaître », mais il ne s’agit pas simplement d’ânonner des mots, de décrypter parfois péniblement (en effet, les hommes libres de l’Antiquité se faisaient une vertu de ne connaître que les rudiments de la lecture, rougissant d’en savoir davantage, et laissant le soin d’en savoir davantage aux esclaves intelligents et aux philosophes – qui étaient parfois les mêmes). Mais « reconnaissance » signifie bien davantage.  On peut « connaître ses lettres »,  tà grammata espistasthai » sans lire vraiment, c’est-à-dire sans souder les segments de la phrase ou du texte en un sens compréhensible par le lecteur et/ou l’auditoire. Il faut que le son se transforme en langage. Ainsi les signes alphabétiques se transforment-ils en stoikheia, en « éléments constitutifs du langage ».

On voit par là que la lecture (à voix haute) FAIT PARTIE DU TEXTE (sans elle, il n’existe pas). On peut dire la même chose de la lecture silencieuse.  Le texte est un « tissu » (étymologie de « texte ») qui mêle intimement graphie et son (même intériorisé).

Or, on lit, sur une inscription dorienne : « Celui qui écrit ces mots enculera  (pugixei) celui qui en fait la lecture. » Le lecteur est perçu comme un partenaire passif, comme le jeune garçon est l’instrument de plaisir de l’Éraste.

A Athènes, l’homme libre qui se prostituait, d’une façon ou d’une autre, s’il mettait les pieds dans l’agora, était immédiatement mis à mort. Le jeune garçon - à qui il était bienséant de ne manifester aucun penchant excessif à son rôle de partenaire, sexuel, au contraire : il se devait d'être "chaste", comme Socrate le conseillait à  Alcibiade, dans Le Banquet - cessait d’être un instrument érotique lorsqu’il devenait un homme mûr, un guerrier et un citoyen.

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Mais on voit bien avec quel mépris est considéré le lecteur. Sa fonction est de servir, de se soumettre, d'être un jouet. Dans le Théétète, Platon se sert d’un esclave « doué de voix » pour lire un texte. C’était un esclave d’Euclide. Savoir lire savamment et abondamment fait courir le risque – dans l’état d’alors de la lecture, nécessairement orale et publique – d’être assimilé à un esclave, dont la soumission est de nature.

D’autant plus que le texte est le maître, et que son instrument ne doit manifester qu’une vertu, la fidélité. La syntaxe, la grammaire ordonnent. Cette réflexion peut nous permettre, du reste, de comprendre ce que Barthes voulait dire, lorsqu’il proclamais, vers 1970, que la grammaire était « fasciste ». (En vérité, il a dit que la langue était fasciste, mais la grammaire est une vision structurée de la langue).

On a ainsi répondu, en partie peut-être, à la série de questions posées au début de ce texte.

Mais, bien évidemment, pour nous, grands lecteurs, membres d’une civilisation qui a présenté la lecture comme une qualité essentielle de l’« honnête homme » (ou femme), comme l’un des sommets de l’excellence humaine, la lecture nous paraît plutôt comme une voie de libération (sans pour cela que la dimension originelle, de soumission érotisante, ait disparu, on le sait bien).

Il me semble que cette vocation à la liberté vient de la Bible, Livre saint, dont la lecture traduit en mots humain le Verbe de Dieu. A ce titre, tout acte de lecture met au jour les arcanes du monde, et par elle souffle l’Esprit, où Il veut, et est le germe de la Vérité, le levain qui nous fait renaître à la vraie vie.

17:26 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, lecture, grèce antique, antiquité grecque | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 30 mars 2025

Nord Stream, Trump et l'auto-tromperie européenne

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Nord Stream, Trump et l'aveuglement européen

Elena Fritz

Source: https://www.pi-news.net/2025/03/nord-stream-trump-und-der...

Washington négocie, Moscou parle - et l'Europe s'indigne en s'imaginant être une "coalition des volontaires" au sommet sur l'Ukraine à Paris, tel un végétalien offusqué lors d'un barbecue.

Imaginez : la Russie et les États-Unis négocient sur Nord Stream - sans les Européens. Et à Bruxelles, c'est le choc collectif. Comment osent-ils ? Après tout, nous sommes censés être des "partenaires".

Mais la réalité est que l'Europe ne joue plus aucun rôle. Et ce n'est pas parce que de méchants puissants se seraient ligués contre nous, mais parce que nous nous sommes délibérément mis hors jeu. Pendant que Washington et Moscou pratiquent la Realpolitik, l'UE se livre à des discours idéologiques sur les budgets CO2, l'égalité des genres dans le réchauffement climatique et sur le climat du globe en 2100.

Le nouvel impérialisme énergétique: ressources, pouvoir et dépendance

Les États-Unis ne pensent plus en termes de partenariats - ils pensent en termes d'axes de pouvoir. Le Canada fournit des ressources, les États-Unis le capital, et l'Europe… éructe de l'indignation. Pas étonnant donc que Donald Trump souligne à nouveau au printemps 2025 que le Canada est "de facto déjà le 51ème État" - une phrase qu'il a lâchée avec un sourire suffisant lors d'une apparition de campagne en Ohio. Derrière cette prétendue plaisanterie se cache un sérieux d'ordre géopolitique : les États-Unis ont un intérêt vital à devenir complètement indépendants sur le plan énergétique - et le Canada, avec ses gigantesques réserves de pétrole, de gaz et d'uranium, est le réservoir de matières premières naturel de l'empire américain.

La cupidité visant à s'emparer de l'énergie enfouie dans le sol canadien n'est pas un réflexe colonial, mais un calcul stratégique. Pendant que l'Europe discute d'éoliennes, les États-Unis s'assurent l'accès aux fondementaux de la domination technologique et militaire - avec un sourire aimable et un calcul géostratégique. Le Canada fournit, l'Amérique dirige - et l'Europe paie la note. Indignation. Pendant que Trump et son équipe disent ouvertement de quoi il s'agit - ressources, énergie, autonomie stratégique - Bruxelles reste abasourdie. On ne parle pas ainsi dans une "communauté de valeurs" (libérales-atlantistes) !

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Marco Rubio résume la situation: sans énergie bon marché, pas de leadership technologique. Pas de prospérité. Pas de souveraineté. Point. Particulièrement dans le domaine de l'intelligence artificielle, selon Rubio, il se révélera qui possède la base énergétique pour le pouvoir futur. L'IA sera si énergivore que seul l'accès à une électricité bon marché déterminera la domination ou l'insignifiance.

L'intelligence artificielle consomme de l'énergie - l'idéologie verte consomme des opportunités

Quiconque croit que l'Allemagne peut se positionner comme un leader numérique sans assurer un approvisionnement énergétique stable et bon marché vit dans une illusion techno-romantique. Un seul cluster de calcul pour l'IA générative consomme aujourd'hui plus d'électricité que certaines petites villes. Ainsi, celui qui dispose d'électricité bon marché gouverne l'avenir. Celui qui n'en a pas sera au mieux un spectateur.

Cependant, l'Allemagne a décidé de ne pas se lancer dans cette course - ou pire encore: de la mener avec le frein à main tiré. Le dogmatisme vert, jadis camouflé en protection climatique, est aujourd'hui un programme d'entrave à la croissance. Il détruit la création de valeur industrielle, empêche la souveraineté technologique et transforme un site industriel autrefois leader en musée climatiquement neutre.

L'Allemagne se démantèle - la Chine construit

Pendant que l'Allemagne démolit des centrales électriques, la Chine en construit de nouvelles - chaque semaine. Il n'est pas surprenant que Pékin raffine aujourd'hui plus de pétrole que toute autre nation. Ils parlent d'un avenir vert, mais ils agissent dans le présent. Ils font les deux. Énergie éolienne pour l'image, charbon pour la croissance. En Chine, le contraste entre l'ambition verte et la réalité des énergies fossiles n'est pas un dilemme, mais une stratégie.

En revanche, en Allemagne, la politique énergétique a été menée avec un mélange d'hubris, d'hystérie et d'impuissance. La sortie complète du charbon, du pétrole et du gaz, accompagnée d'une exaltation morale et d'une ignorance technique, s'apparente à un suicide industriel volontaire. Même si Robert Habeck a depuis quitté ses fonctions, ses décisions politiques résonnent comme un avertissement économique.

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Dépendance au gaz russe ? Une illusion orchestrée

Tout cela repose sur un mythe qui a été traité dans les médias et les parlements allemands comme un credo : la prétendue dépendance dangereuse au gaz russe. Mais ceux qui argumentent ainsi confondent partenariat stratégique et vulnérabilité à l'extorsion. La Russie a été un fournisseur d'énergie fiable pendant des décennies - même pendant la guerre froide. Il n'y a pas eu d'arrêts de livraison motivés politiquement, mais des contrats à long terme, des prix équitables et une prévisibilité mutuelle. La véritable dépendance commence là où l'on se prive volontairement d'accès aux ressources - pas là où l'on achète par prudence économique.

Aujourd'hui, l'Allemagne n'est pas davantage souveraine, mais est devenue encore plus dépendante - du gaz de schiste américain, du GNL volatil du marché mondial, des importations d'électricité en provenance d'autres pays. Pourtant, ces dépendances sont considérées comme idéologiquement correctes, car elles correspondent au narratif atlantiste.

Ce que nous vivons, ce n'est pas le prix de la liberté, mais la facture de la folie politique. Et elle ne se paie pas en euros, mais en compétitivité perdue, en dépendance technologique - et dans un avenir où d'autres décident de qui ouvre le robinet et de qui reste dans l'obscurité.

La politique énergétique est une politique de sécurité

La leçon est simple : la politique énergétique n'est pas une question de morale, mais de sécurité nationale. Qui se sépare volontairement des combustibles fossiles sans garantir des alternatives s'auto-démantèle - économiquement, géopolitiquement et technologiquement. Qui pense qu'il peut marquer des points avec une indignation morale dans un monde d'intérêts durs n'a ni compris Clausewitz ni le présent.

Pendant que l'on mène à Berlin des débats sur les pompes à chaleur, l'égalité des genres dans l'approvisionnement énergétique et des élucubrations de l'ex-gouvernement "feu tricolore" sur le CO2 dans les cantines scolaires, d'autres pays programment des réseaux neuronaux, modernisent leurs réseaux électriques - et s'assurent l'accès à ce qui propulse l'avenir numérique : une énergie bon marché, disponible à tout moment.

Le vide géopolitique

L'Europe n'est pas mise à l'écart. Elle s'est auto-démolie. Cela se manifeste notamment dans la manière dont les États-Unis et la Russie négocient sur des projets d'infrastructure européens centraux comme Nord Stream - en excluant l'Europe. Comme le rapportait Politico tout récemment, des diplomates de l'UE s'expriment avec incrédulité sur le fait que Washington et Moscou ont déjà depuis longtemps mené leurs entretiens sur l'avenir des pipelines de manière bilatérale. Un des interlocuteurs cités parle même de "folie" qui laisse l'Europe sur le côté.

Mais cette "folie" n'est que la conséquence logique du vide géopolitique que l'Europe a créé elle-même.

Lorsqu'on déclare que chaque politique visant la défense des intérêts propres est une dangereuse hérésie et que l'on pose chaque partenariat stratégique avec la Russie comme une trahison, il ne faut pas s'étonner si d'autres décident de nos destinées. Pendant que la Russie préserve ses leviers géopolitiques et que les États-Unis en tirent une nouvelle pression sur l'Europe, le continent reste pur spectateur. On s'est éloigné de la réalité - et on s'étonne maintenant que personne ne demande plus ce à quoi l'Europe aspire réellement. Maintenant que Washington négocie avec la Russie à propos de Nord Stream, on se frotte les yeux avec étonnement. Pourtant, l'exclusion était prévisible. On a cru qu'avec une supériorité morale (auto-proclamée), on pourrait remplacer le réel incontournable de la géopolitique. Mais au final, ce n'est pas le "vertueux" qui gagne - mais celui qui contrôle le robinet de gaz.

En conclusion

Qui ne prend pas place à la table figure comme plat suggéré par le menu. L'Europe a volontairement cédé sa chaise - et essai maintenant de se vendre comme un beau bibelot, aux allures éthiquement correctes, trônant sur la cheminée du bureau principal de l'institution mondiale de la géopolitique.

La comédie du kit de survie

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La comédie du kit de survie

Jordi Garriga

J’ai récemment regardé une vidéo mettant en scène une femme nommée Hadja Lahbib. J’ai fait quelques recherches et j’ai appris qu’elle est l’actuelle commissaire européenne chargée de la préparation aux crises, de la gestion des crises et de l’égalité. J'ai dû relire le titre : gestion de crise et égalité. Je me demande encore ce que cela veut bien pouvoir dire. Cela m'a rappelé une blague des années 1980, lorsqu'une émission humoristique à la télévision catalane parlait du « département de l'optique et de l'élevage » d'une ville. Le 21ème siècle dépasse l’humour absurde du 20ème siècle.

Cette femme, née en Belgique, que 99% des Européens n'ont jamais entendu parler ni pour laquelle ils ont voté, apparaît dans une vidéo et dit sur un ton humoristique, dans une performance conçue pour les personnes à capacité cérébrale limitée, que nous devrions préparer un kit d'urgence en cas de guerre ou de quelque chose de similaire. J'étais abasourdi.

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C'est la même femme qui, en tant que ministre belge des Affaires étrangères, a déclaré en 2023 : « La meilleure façon de protéger la Belgique est d'envoyer des F-16 en Ukraine ». Dit et fait, puisqu'en mai 2024 elle a annoncé que la Belgique enverrait 30 avions de combat F-16 d'ici 2028. Et maintenant il semble que cela ne suffira pas à « protéger » la Belgique (ni l'Europe) et elle nous exhorte à nous préparer à une éventuelle guerre sur le territoire belge, puis européen.

J’ai le sentiment que nous ne sommes pas traités comme des enfants immatures pour qui il faut édulcorer les choses, mais comme des animaux de ferme. Selon eux, il suffit de rester immobile dans un coin, de faire des provisions de nourriture pour trois jours et d'attendre les instructions. Aucun besoin spirituel, force mentale ou quoi que ce soit, n'est évoqué. Ni aucune doctrine civique. Au moins dans les temps jadis, il y avait un service militaire où l'on apprenait à utiliser correctement une arme et à se coordonner avec les autres. Il n'existe pas non plus de kit familial (couvrant les besoins des enfants et des bébés, des personnes âgées, des handicapés) puisque les esclaves n'ont pas de famille... C'est un kit pour un adulte individuel et fonctionnel qui fait confiance à son gouvernement: à ce même gouvernement qui nous a mis dans cette situation.

En Espagne, nous avons récemment vécu la tragédie des inondations à Valence. C’était très semblable à une guerre et nous avons tous vu ce qui s’est passé et ce qui se passe encore en ce moment. Dès la première minute, des groupes organisés ont commencé à voler et à piller, alors imaginez ce que cela serait dans une situation de guerre avec des individus armés. Un individu isolé ne pourra rien faire si un groupe de pillards rôde dans son quartier, donc la seule chose qui sera efficace (comme cela a toujours été le cas), c'est la protection communautaire entre voisins, avec des chefs de famille organisés et hiérarchisés pour contrôler la zone et s'assurer que les fournitures et la nourriture parviennent à toutes les familles. Le kit individuel est une mauvaise blague commise par un groupe de politiciens qui vivent dans une réalité parallèle à celle du peuple.

La meilleure preuve en est toutes les blagues, les gags et les mèmes qui lui sont dédiés et le rire qu'il apporte à tout le monde. Personne n’est allé au supermarché en désespoir de cause pour faire des provisions. Tout n’est donc pas perdu.

La réalité dans laquelle vit le peuple est une réalité où vivent des gens misérablement connectés à des machines pour survivre, qui dépendent de médicaments, des gens à qui on n'a jamais pardonné de ne pas payer d'impôts, de ne pas payer de loyer, où beaucoup d'entre eux n'osent même pas allumer le chauffage parce qu'ils n'en ont pas les moyens et doivent allumer la machine à laver certains jours à certaines heures. L'histoire du kit, c'est quelque chose qui les fait rire: il y a quand même de l'humour dans cette colossale bêtise officielle.

On nous propose donc un kit qui comprend des choses comme :

- Une radio alimentée par batterie pour écouter les annonces et les avertissements du gouvernement. Espérons que ni le gouvernement valencien ni l'Agence météorologique espagnole ne s'en chargent.

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- Des espèces. Je pense que c'est parfait que l'on découvre maintenant la valeur de l'argent liquide, qui, soit dit en passant, est pratiquement inexistant dans les foyers et les poches de la plupart des Espagnols. De plus, personne ne se souvient que dans une vraie guerre, le papier-monnaie ne vaut rien, puisque le règne du troc est alors rétabli (des choses réelles en échange de choses réelles).

- Tout le monde a généralement le reste du contenu du kit à la maison. Les politiciens et les riches sont les seuls à devoir se souvenir des choses essentielles parmi la montagne d’objets qu’ils possèdent et qui leur confèrent un statut.

En bref : le kit de survie est une autre excuse pour vendre de la peur, pour rester au pouvoir et pour se préparer à une guerre improbable à l’Est contre la Russie pendant que l’Afrique et l’Amérique s’établissent en Europe par le Sud, détruisant véritablement toute identité digne d’être défendue. Peut-être que la Belge Hadja Lahbib, le cas échéant, sortira pour la défendre.

Stig Wikander et le Männerbund indo-européen

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Stig Wikander et le Männerbund indo-européen

par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2025/03/20/stig-wikander-och-de...

Pour les historiens ayant abordé la thématique du Männerbund indo-européen, le Suédois Stig Wikander (1908-1983) est un nom devenu presque mythique, notamment en raison de sa thèse Der arische Männerbund: Studien zur indo-iranischen Sprach- und Religionsgeschichte publiée en 1938. Elle a été beaucoup plus difficile d'accès que l'œuvre tout aussi novatrice d'Otto Höfler, Kultische Geheimbünde der Germanen, qui a d'ailleurs influencé Wikander. Ce dernier est ensuite devenu professeur de sanskrit. Cet iranologue et indologue semble avoir été un homme de droite ; il a écrit, entre autres, la préface à l'un des ouvrages de Bertil Lundman et était ami avec Georges Dumézil.

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À l'occasion de la nouvelle année iranienne, nous avons plusieurs fois, ou au moins une fois, abordé différents aspects de la tradition et de l'histoire de nos cousins indo-européens d'Orient. Il peut donc être intéressant de signaler que Der arische Männerbund vient d'être traduit en anglais et est désormais disponible sur Amazon. Le traducteur, Tom Billinge, est d'origine anglaise et grecque, et a un parcours peu commun puisqu'il a étudié l'histoire et la mythologie tout en pratiquant les arts martiaux. Billinge a notamment publié WarYoga et Undying Glory: The Solar Path of Greek Heroes. Je ne les ai pas encore lus, mais qu'importe, c'est un projet prometteur (le site de Billinge est à recommander: https://tombillinge.com/). La traduction de Wikander est de bonne qualité, à une exception près (de longs passages en vieil-iranien et autres langues similaires n'ont pas été traduits).

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Comparée à l'œuvre fascinante d'Höfler, la thèse de Wikander est plutôt un véritable casse-tête linguistique et mythologique. Wikander suit des termes obscurs comme merak et ziyanak à travers des documents historiques, il compare les marya védiques et les mairyo avestiques, et il explore les liens entre Agni, Rudra et Indra. Peu à peu, un tableau d'anciens cultes et de dieux plus anciens, qui ont été diabolisés au fil du temps, se dessine : "dans l'Avesta, Indra et les maryas ont été diabolisés", "nous voyons la lutte entre le cercle autour de Zarathoustra et certains représentants du culte mithraïque". Certains aspects de ce dernier culte ont été adoptés par les adeptes de Zarathoustra, d'autres non (comme l'Aesma). Intéressante est la reconstruction d'Aesma par Wikander, avec des éléments comme un culte haomatique extatique et une "chasse sauvage" ressemblant aux marut d'Indra (comparer à Odin et aux koryos). Son symbole cultuel est un gourdin sanglant, le drafsa ; Wikander écrit "il doit s'agir d'un culte dont les caractéristiques principales sont la vénération des morts, les festivals sacrificiels orgiaques, le lien avec les organisations martiales et une attitude positive envers les forces sombres et démoniaques de la vie". Ce culte semble avoir été particulièrement fort dans le nord-est de l'Iran.

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Der arische Männerbund est une étude sur les transformations religieuses qui ont eu lieu dans l'espace irano-indien. Les dieux et les mythes sont "zoroastrianisés" au fil du temps, des représentants du Männerbund deviennent des dieux de la nature, des mots qui étaient chargés positivement deviennent négatifs et finissent par être oubliés. Même le Männerbund subit des transformations : "le chef ou le roi peut appartenir au Männerbund et occuper une position de leader en son sein ; il peut aussi complètement se subordonner au chef et il peut également être utilisé comme force de police ou garde du corps. Ou le Männerbund maintient sa position indépendante, ou, peut-être, exerce-t-il une certaine influence sur le pouvoir royal – ou, au contraire, entre en opposition hostile avec lui et la société, se dégradant en une organisation secrète et terroriste". Le rôle du Männerbund en tant que représentant de l'ordre politique et de la justice est mis en avant par Wikander, y compris son rôle en tant que faiseur de rois. L'État chez les Indo-Européens ne naît pas de la famille mais du Männerbund (même si ce dernier peut, comme on le sait, se retourner contre elle et contre le peuple).

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Il est intéressant de noter que même lorsque l'ancien culte, relié entre autres à mairyo, Taxma Urupi, haomawarga et d'autres représentants du Männerbund, a sombré dans l'oubli, il est resté dans la mémoire. Lorsque Feredun a mené une révolte nationale, il a ordonné aux forgerons de lui fabriquer une "massue de combat à tête de taureau", "car il les connaissait grâce aux anciennes traditions". La massue, si semblable à l'arme sanglante d'Aesma, était aussi nécessaire que le bannière "drafs-i-kavyan" pour le succès du combat. Ce ne fut d'ailleurs pas la dernière fois que le Männerbund iranien joua un rôle décisif dans la liberté de la nation. Wikander note que nous avons affaire à une forme sociologique qui n'est pas nécessairement liée à un dieu spécifique. À ce sujet, il écrit que "la restauration de l'Iran au début du 16ème siècle a été, comme on le sait, réalisée par les Grands Maitres de l'Ordre Safavide". Les ordres et les Männerbünde ne sont pas des entités identiques, mais la similitude entre eux est significative (il faudrait comparer le Männerbund primitif à l'ordre qui a porté les Safavides au pouvoir en Iran et ensuite le Männerbund tardif aux ordres chevaleresques en Europe).

Dans l'ensemble, c'est une étude fascinante. On y trouve tout, des loups et des hommes-loups aux tueurs de dragons et aux dieux vengeurs. Les similitudes avec le Männerbund germanique sont évidentes, tout comme avec les dieux indiens. Wikander a identifié une tradition et une forme de culte qui ont été en partie refoulées mais qui ont subsisté dans l'inconscient collectif iranien. C'était de plus une tradition qui a contribué à l'indépendance de la nation en des moments cruciaux de l'histoire.

* * *

Annexe:

Euro-Synergies: L'indologue, sanskritologue et iranologue suédois Stig Wikander aurait publié plusieurs ouvrages sur les Kurdes, qui ont été traduits en langue kurde et semblent toujours circuler dans les milieux kurdes. Quelles sont les thèses sur l'histoire de ce peuple qu'a énoncées Stig Wikander et pourquoi sont-elles appréciées dans les milieux kurdes?

Stig Wikander, éminent indologue, sanskritologue et iranologue suédois, a effectivement contribué de manière significative à l'étude des Kurdes et de leur histoire, bien qu'il ne fût pas exclusivement spécialiste du peuple kurde. Il a abordé ce sujet à travers son expertise dans les langues et cultures iraniennes, et en particulier en se concentrant sur la période antique et médiévale de l'histoire du Moyen-Orient.

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Les thèses de Wikander sur les Kurdes se basent en grande partie sur des travaux linguistiques et historiques, en particulier ceux concernant l'iranien ancien, les langues et les peuples qui occupaient la région historique de la Mésopotamie et du plateau iranien. Ses études ont souligné plusieurs points clés qui ont été appréciés dans les milieux kurdes pour plusieurs raisons :

1. Les racines anciennes des Kurdes :

Wikander a mis en évidence l'importance historique des Kurdes en tant que peuple ayant des racines profondes dans l'Antiquité et dans les civilisations mésopotamiennes. Il a souligné la continuité de leur présence dans des régions stratégiques du Moyen-Orient, notamment au Kurdistan, une zone marquée par les influences de grands empires anciens comme ceux des Mèdes, des Parthes et des Sassanides.

Cela a permis de réaffirmer une vision du peuple kurde comme ayant une histoire et une culture anciennes, et non comme un peuple "invisible" ou secondaire dans l'histoire du Moyen-Orient, une thèse qui résonne particulièrement dans les milieux kurdes qui cherchent à promouvoir leur identité historique et culturelle.

2. L'identité kurde et son lien avec les peuples iraniens :

L'une des thèses importantes avancées par Wikander concerne l'appartenance des Kurdes aux peuples iraniens. Il a soutenu que les Kurdes, tout comme d'autres groupes ethniques de la région, font partie intégrante du grand groupe des Iraniens. Cette perspective permet de contextualiser les Kurdes dans une tradition plus large d'empires et de civilisations iraniennes, ce qui est un aspect que beaucoup de Kurdes apprécient, en particulier ceux qui cherchent à se détacher des influences arabes ou turques qui ont dominé leur histoire plus récente.

3. Les Kurdes dans l'histoire des Mèdes et des Parthes :

Wikander a également mis l'accent sur la relation historique entre les Kurdes et les Mèdes, un ancien peuple iranien qui a joué un rôle central dans la fondation du premier empire iranien. Il a évoqué des liens entre les Kurdes modernes et les anciens Mèdes, contribuant à une idée de continuité culturelle et historique entre l'ancien et le contemporain, ce qui a renforcé un sentiment de fierté historique parmi les Kurdes, notamment dans les contextes politiques où ils revendiquent leur propre autonomie et indépendance.

4. Le rôle des Kurdes dans la dynastie des Sassanides :

Dans ses travaux, Wikander a également exploré les liens des Kurdes avec les dynasties sassanides, qui ont gouverné l'Iran pendant plusieurs siècles. Les Kurdes ont joué un rôle important dans l'armée et la politique de cet empire, et ces contributions historiques sont souvent soulignées par les Kurdes pour légitimer leur rôle dans les dynamiques régionales et pour renforcer leur identité en tant que groupe qui n'a pas seulement une histoire rurale ou marginale, mais aussi un passé politique et militaire important.

Pourquoi ces thèses sont appréciées dans les milieux kurdes :

Les milieux kurdes apprécient particulièrement les travaux de Wikander pour plusieurs raisons :

  • Renforcement de l'identité historique kurde : Wikander a permis de mettre en lumière l'héritage ancien des Kurdes dans une région dominée par des narrations de puissances impériales arabes, turques et perses. En soulignant la longue présence des Kurdes dans les régions de la Mésopotamie et du Kurdistan, il a contribué à légitimer leur histoire et leur identité.

  • Affirmation de la diversité culturelle kurde : Ses thèses ont renforcé l'idée selon laquelle les Kurdes ne sont pas un groupe homogène, mais qu'ils possèdent une identité complexe influencée par diverses cultures, notamment iranienne, arabe et turque. Cela a permis aux Kurdes de se voir comme une culture riche, avec des racines multiples et une grande diversité historique.

  • Anticipation des revendications politiques kurdes : Dans un contexte où les Kurdes sont souvent en lutte pour leurs droits, leur autonomie ou leur indépendance, les recherches de Wikander sur les racines anciennes des Kurdes ont permis de soutenir des arguments politiques et territoriaux en faveur de la reconnaissance de la nation kurde. Elles ont également fourni un cadre académique pour soutenir les revendications des Kurdes dans les contextes contemporains.

En conclusion :

Les thèses de Stig Wikander sont appréciées dans les milieux kurdes parce qu'elles offrent une vision historique et culturelle qui renforce l'idée d'un peuple kurde ancien, enraciné dans l'histoire du Moyen-Orient et connecté aux grandes civilisations iraniennes. Elles permettent également de contrebalancer les narratives dominantes qui marginalisent l'importance historique des Kurdes. Par son approche, Wikander a contribué à offrir une meilleure compréhension des Kurdes, une reconnaissance de leur héritage historique et un argumentaire précieux pour leurs aspirations politiques.

 
 

Gouvernement mondial des juges

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Gouvernement mondial des juges

par Georges Feltin-Tracol

Le 11 mars dernier, alors qu’il revenait d’un court séjour à Hong Kong, l’ancien président des Philippines de 2016 à 2022, Rodrigo Duterte, est arrêté, mis dans un avion privé sans aucune décision judiciaire et déporté à La Haye aux Pays-Bas. Les autorités philippines justifient cette forfaiture en se référant à un mandat d’arrêt international émis en secret, le 7 mars dernier, par la Cour pénale internationale (CPI). Une fois encore, cette instance se fait tristement remarquer.

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Cet enlèvement confirme l’installation progressive d’un gouvernement de juges à l’échelle planétaire. L’incroyable arrestation de l’ancien président s’interprète selon deux grilles de lecture non exclusives. La première concerne le contexte politique à Manille. Ferdinand Marcos dit « Bongbong », fils de Ferdinand Marcos, chef d’État anti-communiste de 1965 à 1986, succède en 2022 à Rodrigo Duterte avec son appui officiel. Élue au suffrage universel direct lors d’un autre scrutin le même jour que la présidentielle, la vice-présidente de Marcos s’appelle Sara Duterte, l’une de ses filles. Or, très vite, les familles Marcos et Duterte entrent en conflit. Par ailleurs, si Rodrigo Duterte incline plutôt vers la Chine populaire, « Bongbong » se tourne vers les États-Unis. Les tensions entre le président et sa vice-présidente atteignent une telle violence que la Chambre des représentants vote la destitution de Sara Duterte, le 5 février 2025. Cette décision doit maintenant être entérinée par le Sénat à la majorité des deux tiers.

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En ordonnant l’arrestation de son prédécesseur, toujours populaire auprès des Philippins, « Bongbong » abat une carte majeure dans la perspective des échéances législatives à venir. Pas sûr que l’actuel chef d’État philippin réussisse son pari, car la scandaleuse détention de l’ancien président électrise une grande partie de l’opinion philippine en sa faveur. Le contentieux politico-judiciaire entre les familles Marcos et Duterte arrive à son paroxysme.

Le seconde lecture de cette arrestation soi-disant légale se rapporte au rôle néfaste qu’exerce la CPI dans les relations internationales. Fondée par le sordide Statut de Rome de 1998, cette institution supranationale entreprend des enquêtes, avec l’assistance d’ONG complices souvent subventionnées, organise des procès selon le droit anglo-saxon et prononce des condamnations. Elle a engagé des poursuites contre Rodrigo Duterte pour meurtres, tortures et viols considérés comme « crimes contre l’humanité ». La CPI possède un tableau de chasse fourni avec, pour victimes expiatoires, l’ex-président islamiste soudanais Omar el-Béchir ou l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo finalement acquitté en 2021 après huit longues années en prison ! L’extrême gauche habituellement si rétive à toutes formes d’incarcération ne proteste guère contre ces atteintes répétées au droit des peuples.

Ces derniers temps, la CPI a lancé d’autres mandats d’arrêt internationaux, fort médiatiques, contre le président russe Vladimir Poutine (mars 2023) et le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou (novembre 2024) alors que la Russie et Israël ne la reconnaissent pas. Les États-Unis méprisent aussi ce machin aberrant.

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La CPI viole ouvertement la souveraineté des États et se moque de l’immunité de droit accordée aux chefs d’État et de gouvernement. Elle s’attaque à tout responsable qui refuse en fait le nouvel ordre mondial des cosmopolites. En revanche, ce tribunal supranational ne s’occupe guère du complotiste d’extrême-centre de l’Élysée qui manipule les peurs collectives (pandémies, insécurité, guerre) et qui a maltraité son propre peuple au moment des Gilets jaunes, de la fumisterie dramatique du co vid et des manifestations massives contre la réforme débile des retraites.

Les magistrats hors-sol de la CPI accusent Rodrigo Duterte d’avoir commandé, soutenu et couvert des exactions pendant son mandat contre les usagers de la drogue. Le président des Philippines avait déclenché une guerre impitoyable contre les trafiquants de drogue et les consommateurs. Alors maire de Davao, il se félicitait que des unités spéciales nettoyassent quartiers et rues de toutes formes de racaille. Devenu président, il généralisa ces pratiques musclées. La CPI lui reproche donc le recours massif à des condamnations à mort extra-judiciaires. Le fléau des drogues ravage pourtant l’archipel. Rodrigo Duterte a agi en véritable « président-flingueur » et montré à ses concitoyens qu’il tenait ses promesses, quoi qu’il en coûte. À l’heure où les narco-trafics se répandent en Europe, le président Duterte devrait être remercié, célébré et salué au lieu d’être traité tel un paria. La CPI pratique l’inversion des valeurs. L’honnête homme devient un prévenu et la racaille une pauvre victime ! Honteux !

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On a ici une mise en œuvre d’un nouveau délire, la toxicophobie, promu par les inévitables crasseux gauchistes. Critiquer les drogués, contester l’ouverture des salles de shoot, refuser la légalisation de la toxicomanie constitueraient des discriminations bientôt punies par la loi. Face à un fumeur de crack zombifié, il faudrait se taire, accepter et se soumettre. Et si la fameuse loi sur la fin de vie et l’assistance à mourir portait en priorité sur les drogués ? L’avortement post-natal devrait devenir un droit.

Pour revenir au président Dutertre, il est intéressant de savoir que la délivrance de son mandat d’arrêt relève d’un triumvirat de magistrates (où est donc la fameuse parité ?) d’origine ivoirienne, mexicaine et roumaine. Ce précédent devrait inquiéter les autorités belges et néerlandaises qui luttent avec difficulté contre les réseaux de narco-trafiquants qui gangrènent leurs pays. Il devrait aussi provoquer l’inquiétude chez les ministres français Retailleau et Darmanin en pointe médiatique contre ces mêmes milieux criminels. Enfin, le président salvadorien Nayib Bukele pourrait être la prochaine cible, lui qui a restauré l’ordre et la sécurité dans son pays par des moyens énergiques non conformes au dogme badintérien de l’excuse permanente accordée aux auteurs de crimes et de délits. On peut d’ailleurs s’interroger si la CPI ne serait pas sous l’influence des barons de la drogue…

La CPI croit défendre un supposé « droit international » ainsi que les mirifiques et fallacieux « droits de l’homme, de la femme, du non-binaire et d’autres genres ». Héritière des sinistres tribunaux de Nuremberg et de Tokyo si bien dénoncés en leur temps par Maurice Bardèche le visionnaire ainsi que des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Ruanda, cet aréopage de magistrats se pose en instance supérieure capable de surveiller les États. Les citoyens qui détiennent en théorie la souveraineté politique ont-ils été sollicité pour accepter ce surplomb politico-judiciaire ? On ne le pense pas…

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Des rétorsion tombent enfin sur la CPI. La Russie a pour sa part émis des mandats d’arrêt internationaux contre ses différents responsables dont son procureur en chef Karim Khan (photo). L’administration Trump a signé contre elle un décret de sanction. Il gèle ses avoirs détenus aux États-Unis; il interdit l’entrée sur leur sol de ses dirigeants, employés et agents ainsi que de leurs proches membres de famille. Certes, la CPI pourrait répliquer par des condamnations par contumace à cinq ans de prison pour quiconque limiterait son action. Or, face à Moscou, Washington et Tel-Aviv, on lui souhaite bien du plaisir d’autant qu’il est maintenant possible que des troupes étatsuniennes puissent intervenir manu militari à La Haye afin de libérer tout éventuel accusé emprisonné (citoyen étatsunien ou d’un État allié).

Des politiciens français dits de « droite nationale » critiquent régulièrement dans l’ordre intérieur le gouvernement des juges à travers l’omnipotence du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État et de la Cour de cassation. Les plus téméraires d’entre eux dénoncent aussi la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne. Tous oublient l’action délétère de la CPI qui nie la volonté souveraine des communautés politiques, des peuples et des États. L’avènement d’un nouvel ordre multipolaire réellement pluriversel ne se réalisera pleinement que sur les ruines, fumantes ou non, de la Cour pénale internationale.  

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 149, mise en ligne le 25 mars 2025 sur Radio Méridien Zéro.

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samedi, 29 mars 2025

La puissance de la pensée de Giorgio Agamben

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La puissance de la pensée de Giorgio Agamben

Des pages lumineuses qui clarifient le double aspect de la puissance chez Aristote : la possibilité de pouvoir et de non-pouvoir (de privation) en un.

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/120288-la-potenza-del-pensiero-di-giorgio-agamben/

Giorgio Agamben est un penseur de grande valeur, l'une des voix les plus significatives et libres du paysage théorique de l'Italie contemporaine. Cela se révèle dans son dernier ouvrage, La puissance de la pensée. Essais et conférences, paru dans le catalogue de Neri Pozza Editore (392 pages, 26,00 euros). Ce texte est une anthologie de conférences et d'écrits inédits ou publiés dans des revues, couvrant la période de 1980 à aujourd'hui, et il est divisé en trois sections: Langage, Histoire, Puissance. Il s'agit d'un volume complexe, organique dans son contenu, qui montre l'érudition spéculative de l'auteur soutenue par la volonté de mettre en lumière les complexités de la philosophie européenne ayant conduit à l'état actuel des choses.

L'expression linguistique d'Agamben est animée par une volonté de parrhésie, celle de se confronter, à une époque de post-vérité, de manière originale à des problématiques théoriques cruciales pour notre temps. Les argumentations suivent un développement spiralé : comme dans toute véritable philosophie, l'écrit revient de manière continue, « obsessionnelle », sur les mêmes thèmes, depuis l'incipit, la chose même (de la pensée).

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Dans cet essai, Agamben se penche sur la Septième lettre de Platon, souvent interprétée par la critique comme un témoignage de l'existence de doctrines non écrites dans la pensée du grand Athénien, des doctrines renvoyant à un « premier », à une origine indicible. En réalité, Platon, explique le penseur, après avoir fait référence au nom, au discours définitoire, à l'image et à la science, invoque un « cinquième », la chose même à laquelle la pensée tend. Le philosophe grec affirme : « de manière la plus explicite que “si l'on n'a pas saisi les quatre premiers” […] on ne pourra jamais connaître complètement le cinquième » (p. 13). La « chose de la pensée », le contact dont Colli parlait, peut être touchée de manière immédiate : « en frottant les noms, les logos, les visions et les sensations les uns contre les autres et en les soumettant à des réfutations bienveillantes » (p. 13). La disparition du langage dans l'indicible, sic et simpliciter, ésotérique, induit, au contraire, la perte définitive de la philosophie : « La chose même a donc dans le langage son lieu éminent, bien que le langage ne soit certainement pas adéquat à elle » (p. 14). La chose même, l’eidos, n'est pas autre chose que le réel, elle n'en représente pas un duplicata, elle n'est pas un présupposé obscur du nom et du logos, mais elle se trouve « dans le milieu même de sa connaissabilité, dans la pure lumière de sa révélation » (p. 16). La connaissance logocentrique a rendu le langage présupposant et objectivant, réduisant la « chose de la pensée » à «un être sur lequel on dit et en un poion, une qualité et une détermination qui en sont dites » (p. 16).

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Sa réelle connaissabilité, dans cette perspective, a été perdue. Platon se contente d'annoncer l'aporie du langage métaphysique, avec laquelle se confronte la pensée contemporaine. Le trait non-linguistique de l'origine peut, en effet, être pensé uniquement dans le langage. La communication philosophique doit venir en aide, par la parole, à la Parole elle-même.

Aristote, rappelle l’auteur, a fait remplacer « la chose de la pensée » par la substance première, ce qui ne se dit pas sur un sujet, ni en un sujet. La substance est devenue le présupposé sur lequel repose toute énonciation, bien que, en tant qu’individuum, elle soit ineffable. Agamben, pour cette raison, considère Aristote comme le père de la mystique occidentale. Sur cette base, le philosophe devient « le scribe de la pensée et, à travers la pensée, de la chose et de l'être » (p. 22). La tâche de la philosophie de l’avenir sera de redonner à « la chose de la pensée » une place appropriée dans le langage. C’est dans ce sens qu’a agi Derrida, avec son experimentum linguae. Cet essai est centré sur le concept de trace. Il convient de noter que le philosophe français fait paradoxalement référence à un non-concept qui remet en question l’idée même de sens sur laquelle est fondée la logique occidentale. La trace est une sorte d’écriture de la puissance, une écriture que, selon Agamben, personne n’a encore mise en œuvre, car elle implique une reconsidération du concept aristotélicien de dynamis, puissance-possibilité.

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La dynamis est le cœur vital de la philosophie d’Agamben. Cela ressort de l’essai qui donne son titre au volume, La puissance de la pensée. Des pages éclairantes qui clarifient le double aspect de la puissance chez le Stagirite : possibilité de pouvoir et de non-pouvoir (privation) en un seul. L’acte aristotélicien n’est qu’un periechein, « ce qui enveloppe » momentanément dans son don, le prius, la dynamis jamais normalisable, comme l’a compris Andrea Emo : « La puissance est […] définie essentiellement par la possibilité de son non-exercice […] L'architecte est puissant dans la mesure où il peut ne pas construire » (p. 270). La grandeur humaine est amphibie, c’est aussi une puissance de ne pas passer à l’acte. Ce n’est qu’en ne pouvant pas que nous possédons notre propre puissance, et notre action devient inopérante (Nancy). Cette situation témoigne de l’impossibilité du sujet moderne, elle induit la nécessité de sa déconstruction, à la lumière de laquelle sera véritablement puissant celui qui, au moment du passage à l’acte, « n'annulera pas […] sa propre puissance de non-[agir] […] mais la fera passer intégralement en lui comme telle » (p. 278), comme cela se produit dans les êtres de la physis comprise comme mixis.

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Agamben attire également son attention exégétique sur le livre de Lévinas, Philosophie de l’hitlérisme. Dans ces pages, il soutient que l'intérêt pour la facticité et le « ci » de l'Être-là, du nazisme et de Heidegger, leur mouvement à partir de la vie nue, constitue le fondement théorique de la philosophie européenne. Le nazisme ne peut être exorcisé par des condamnations ou des apologies adressées à tel ou tel philosophe proche de ce mouvement. Il serait, au contraire, souhaitable de comprendre comment le « ci » de la condition humaine ne doit pas être vécu et pensé en termes de fermeture, mais en fonction d’une réelle « ouverture », d’une exposition effective à cette idée de puissance inopérante qui pourrait nous permettre de surmonter l’impasse du présent, marqué par le capitalisme computationnel : « Le texte de Lévinas […] peut alors offrir l’occasion de prendre conscience de notre embarrassante proximité avec le nazisme » (p. 317), vu le caractère « épédémique », au sens grec (la définition est de Emo), que les démocraties libérales ont pris.

Agamben montre également comment le thème de l’Immémorial est présent dans la spéculation moderne et comment il a pris dans celle-ci un aspect imaginal. En particulier, cela s’est produit dans le retour éternel de Nietzsche. Dans cette image, être et devenir se donnent, même chronologiquement, en un seul, vivant dans une interdépendance constante. L’image parle d’une puissance en devenir qui contient en elle les deux moments de la dynamis aristotélicienne, éternellement revenante et impliquant l’oubli. De la chose, rappelle l’auteur, Dino Campana en eut une prise de conscience.

La puissance de la pensée est un livre qui mériterait un traitement différent de celui d’une simple critique. Nous nous excusons de cette simplification auprès de l’auteur et des lecteurs. Nous espérons avoir au moins présenté certains des aspects de la proposition théorique complexe d’Agamben.

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Friedrich Schiller et un avenir pour la jeunesse de l’Europe

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Friedrich Schiller et un avenir pour la jeunesse de l’Europe

Troy Southgate

Source: https://troysouthgate.substack.com/p/friedrich-schiller-a...   

« Donne-moi juste une génération de jeunes », écrivait Vladimir Ilitch Lénine, « et je transformerai le monde entier. » Si l’on étudie la manière dont nos propres enfants se sont égarés au cours des trois premières décennies du 21ème siècle, on pourrait pardonner à certains de souscrire aux observations menaçantes de ce démagogue socialiste d’État. Le célèbre poète-philosophe Friedrich Schiller exprimait un sentiment assez similaire lorsqu'il disait :

« Qu'une divinité bienfaisante emporte en temps voulu le nourrisson du sein de sa mère, qu'elle le nourrisse du lait d'un âge meilleur, et qu'elle le laisse grandir et parvenir à la virilité sous le ciel lointain de la Grèce. Lorsqu'il aura atteint l'âge adulte, qu'il revienne, présentant un visage étrange à son époque ; qu'il vienne, non pas pour ravir cette époque par son apparition, mais plutôt pour la purifier, terrible comme le fils d'Agamemnon. »

Alors que Lénine discutait de la transformation de la jeunesse dans les limites de son propre pays, les mots de Schiller se réfèrent à l’exil temporaire d’un libérateur qui sera, un jour, de retour. En pratique, bien sûr, les pires excès de ce commentaire reconstruit sur l’Antiquité ont probablement été les mieux illustrés par les fils enlevés de la Grèce chrétienne qui, en 1453, réapparurent en tant que Janissaires ottomans lors de la prise de Constantinople. En effet, ces orphelins perdus depuis longtemps avaient été réunis avec leurs familles - désormais méconnaissables - sur le champ de bataille et sous la pointe d’une épée.

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Avec l'avènement de la technologie moderne, il est devenu bien plus facile de remplacer l'esprit naissant des jeunes voisins et, lorsque l’on considère le rôle sinistre des médias de masse, il n’est guère surprenant que - pour citer Rammstein - « nous vivons tous en Amérique ». Contrairement à la divinité bienfaisante de Schiller, cependant, les manipulateurs de l’esprit adolescent qui ont longtemps infecté les rivages de l’Europe avec leur anti-culture débilitante n’ont aujourd’hui aucun désir de purifier, mais simplement d’assombrir et de détruire.

Dans un effort supplémentaire pour saper l’expression naturelle et libre de la jeunesse, ces dénigreurs professionnels remplissent nos pays de millions de personnes qui n’y étaient jamais au départ. La stratégie est celle de l’obscurcissement racial et culturel, le sujet devenant rien de bien plus qu’un passager frappé à bord d’un navire sans gouvernail qui dérive sans but à travers un vaste océan de confusion. Ces « millennials » vilipendés des campus universitaires et des rues impitoyables sont-ils vraiment responsables des innombrables péchés des pères ? C'est douteux.

De manière plus positive, Schiller a raison dans le sens où la seule solution à cette destruction aveugle de la jeunesse réside dans la séparation de l’enfant « du sein de sa mère », afin qu’il puisse avoir accès « au lait d’un âge meilleur ». La mère, dans ce cas, peut être vue comme l’État-providence, tandis que « l’âge meilleur » est assurément un lieu qui transcende complètement la corrosion du monde moderne et offre ainsi aux jeunes un environnement plus propice à leurs véritables besoins. Pour les Grecs, ce lieu était connu sous le nom d’Arcadie (Ἀρκαδία), et si nous ne commençons pas très bientôt à créer nos propres poches de saine résistance, alors notre jeunesse continuera d’être absorbée par le nuage enveloppant du désespoir global.

L'Allemagne doit-elle se débarrasser des chaînes du Traité 2 + 4?

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L'Allemagne doit-elle se débarrasser des chaînes du Traité 2 + 4?

Wolfgang Hübner

Source: https://www.pi-news.net/2025/03/deutschland-soll-die-zwei...

Le traité "Deux-plus-quatre" limite les possibilités de l'Allemagne si elle doit se défendre contre la Russie, a récemment écrit Reinhard Müller sur la première page de la FAZ (Frankfurter Allgemeine Zeitung).

L'éditorial récent paru dans l'un des principaux journaux allemands, en l'occurrence la FAZ, qui demeure la tribune du complexe au pouvoir en Allemagne, sera lu à Moscou, mais aussi à Washington, avec un intérêt particulier. Car il est écrit noir sur blanc : « La capacité de défense allemande exige une sortie du traité "Deux-plus-quatre" » ! Donc, du traité qui a permis la réunification en 1990 avec l'accord des quatre puissances victorieuses de la seconde guerre mondiale, soit les États-Unis, l'Union soviétique (aujourd'hui la Russie), le Royaume-Uni et la France.

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Résumé du "Traité 2 +4": à partir de 1994, l'Allemagne doit réduire ses forces armées à 370.000 hommes; ensuite, ces forces armées, même si elles sont inféodées à l'OTAN, peuvent s'installer sur le territoire de l'ex-RDA, mais aucune troupe appartenant à un autre Etat membre de l'OTAN ne peuvent y stationner. Ces clauses d'un Traité toujours en vigueur sont en contradiction avec le bellicisme affiché par le gouvernement dit "feu tricolore" et par les projets du nouveau chancelier Merz. 

Aucun droit de résiliation n'était prévu. Les modifications ne peuvent en principe être apportées que par tous les États contractants. Il est exclu que la Russie soit disposée, dans les circonstances actuelles, à libérer l'Allemagne d'un traité qui, par exemple, interdit la possession d'armes nucléaires allemandes. Et il est tout à fait douteux que les États-Unis, mais aussi nos « amis » européens, la France et le petit Royaume-Uni, soient prêts à cela. En ce qui concerne la Russie, l'article déclare en référence à la guerre en Ukraine : « Il y a de bonnes raisons de parler ici d'une suppression de la base du traité "Deux-plus-quatre" ».

Ceux qui n'ont pas jusque-là pris au sérieux les inquiétudes de la Russie concernant une nouvelle militarisation et une capacité de guerre de l'Allemagne seront éclairés par le commentaire à la une dans la FAZ: les ennemis pro-atlantistes de la Russie, déçus par Donald Trump, parmi les puissants en Allemagne aujourd'hui, souhaitent se débarrasser de toutes les chaînes pour devenir la puissance dirigeante lors de la prochaine croisade contre les Moscovites. Et quel chancelier conviendrait mieux à cela que Friedrich Merz, futur commandant suprême de la Bundeswehr en cas de conflit défensif ou de guerre offensive ?

Il devient maintenant plus clair pourquoi Merz est prêt à avaler toutes les couleuvres social-démocrates et vertes : l'homme a une mission ! Cependant, il doit également être clair: une sortie unilatérale du traité par l'Allemagne contre la volonté de la Russie mènera inévitablement à la guerre. Le simple fait que l'article de la FAZ soit paru, et derrière lequel apparaissent des considérations et des intentions concrètes émanant de la fraction militante dans le complexe de pouvoir allemand, fera retentir les sonnettes d'alarme au Kremlin.

Argentine : le retour du néolibéralisme des années 1990

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Argentine : le retour du néolibéralisme des années 1990

Leonid Savin

À la fin du siècle dernier, l'Amérique latine a été confrontée à de graves problèmes, causés par les politiques économiques issues du néolibéralisme, qui ont conduit à la dictature de facto des sociétés transnationales et de la Banque mondiale dans un certain nombre de pays. Les conséquences ont été désastreuses, allant des empoisonnements de masse dus à la privatisation de l'approvisionnement en eau et à l'effondrement d'entreprises stratégiques (qui ont ensuite été rachetées, pour presque rien, par des acteurs extérieurs), ensuite à des pics de chômage et à des émeutes.

Bien que certains États, en particulier ceux qui disposent de ressources énergétiques, aient réussi à échapper à ce piège après un certain temps grâce à la hausse des prix des hydrocarbures et au changement de gouvernement en faveur de formations politiques à orientation sociale (de gauche), il existe aujourd'hui des signes évidents du retour du contrôle extérieur sur un certain nombre de pays. L'Argentine en est un excellent exemple : l'inflation y est galopante et Javier Milei, ancien banquier et anarchiste autoproclamé, prend des mesures pour aliéner la richesse nationale et accroître le contrôle des capitaux étrangers.

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Au cours des treize derniers mois, par exemple, la dette nationale a augmenté de 97,114 milliards de dollars. Il s'agit d'un chiffre record : aucun gouvernement, ni celui de Mauricio Macri en 2018, n'a eu une dette exorbitante envers le FMI qui ait augmenté d'un tel montant sur une telle période. En comparaison, la dette des gouvernements de Mauricio Macri et d'Alberto Fernandez a augmenté de 147,971 milliards de dollars. À la fin du gouvernement de Cristina Fernández de Kirchner, la dette publique nationale s'élevait à 222,703 milliards de dollars (dont 60% de dette du secteur public détenue par le Fonds de garantie de durabilité de l'ANSeS, les banques officielles, divers fonds fiduciaires argentins, etc.), et en décembre 2023, elle atteindra 370,674 milliards de dollars (le FMI et le capital financier basé à Manhattan étant les principaux créanciers). Comme la dette est directement liée aux obligations, cela suggère que quelqu'un a reçu de beaux dividendes.

Le gouvernement qui génère cette dette a, quant à lui, dépensé au moins 22 milliards de dollars en février 2025 pour consolider son bilan. L'année dernière, il a dépensé près de 16 milliards de dollars pour ce que l'on appelle le « mélange de dollars » dans le cadre du système que le FMI a mis en place pour le financer et qu'il continue d'utiliser aujourd'hui.

L'excédent commercial en 2024 est de 18,889 milliards de dollars, mais les réserves nettes de la banque centrale sont négatives d'au moins 6 milliards de dollars.

Désireux d'augmenter les exportations, le gouvernement a même autorisé la vente de bétail à l'étranger et, pour faire entrer des dollars dans la banque centrale, les banques ont été autorisées à accorder des prêts en dollars à n'importe quel client (les dollars sont échangés contre des pesos au taux de change officiel de la banque centrale), qu'il s'agisse d'entreprises ou de particuliers.

Et Milei poursuit activement et délibérément cette stratégie. Le 10 mars, la version finale du décret par lequel le gouvernement de Javier Milei a signé un nouvel accord avec le Fonds monétaire international a été diffusée parmi les fonctionnaires du gouvernement. Selon ce texte de cinq articles, le président émet un décret approuvant les « opérations de prêt public contenues dans le programme de prestations élargies » entre l'État et le FMI, et indique qu'elles auront une « maturité » de dix ans. Le décret stipule également que le président doit utiliser ses « pouvoirs » pour faire appliquer l'accord, qu'il peut éventuellement déléguer au ministère de l'économie.

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L'état critique dans lequel se trouve la Banque centrale est également souligné, et il est présenté comme une sorte d'argument que le président invoque pour justifier que ce mécanisme ne « suit pas la procédure normale des lois ». En d'autres termes, il s'agit d'une dictature de fait.

De son côté, la Banque centrale intervient de plus en plus directement en vendant des dollars provenant des réserves internationales et du Trésor, et à partir de février 2025, le Fonds de garantie de la viabilité de l'ANSeS. Le Fonds de garantie de durabilité de l'ANSeS, suite à la nomination de son directeur Fernando Bearzi, lié à la structure offshore de Noctua dans les îles Caïmans, vend des titres en dollars.

Selon les analystes, cela n'est pas dû à la stupidité de Milei, mais à ses liens avec les structures financières internationales dont il est issu. Tout comme George Soros a nourri l'élite politique dans un certain nombre de pays (l'actuelle présidente moldave Maia Sandu et le premier ministre arménien Nikol Pashinyan en sont des exemples frappants dans l'ex-Union soviétique), le capital bancaire international déplace également ses protégés (un autre exemple est le président français Emmanuel Macron, qui a travaillé pour la structure Rothschild).

Par conséquent, les secteurs qui en ont bénéficié peuvent être regroupés en un certain nombre de groupes d'intérêts interdépendants.

Il s'agit principalement :

1) des capitaux étrangers, menés par de grands fonds financiers (BlackRock, Vanguard, PIMCO, Franklin Templeton, Fidelity, Greylock, etc.), qui sont réunis par la Chambre de commerce argentino-américaine (AmCham) et dont dépend l'équipe économique dirigée par Caputo et Bausili ;

2) de l'Association des entreprises argentines (AEA), dirigée par Jaime Campos, liée à l'ambassade des États-Unis. Les principaux dirigeants et vice-présidents de l'AEA sont Paolo Rocca (Techint), Hector Magnetto (Clarín) et Luis Pagani (Arcor), ainsi que Cristiano Ratazzi (FIAT), Alfredo Coto (Supermarché Coto), Sebastian Bago (Laboratoires Bago), Luis Perez Companc (Agro Mills), Eduardo Elstein (Alfredo Coto, Alejandro Bulgeroni (PAE), entre autres.

3) Le Conseil agraire argentin (CAA), formé en juillet 2020 avec plus de 40 chambres et organisations telles que CONINAGRO (Confédération des coopératives agricoles), les confédérations rurales argentines (CRA) et la Fédération agraire argentine (FAA), et qui couvre presque tous les acteurs des réseaux de producteurs de viande agricole, céréalière et avicole, vaccinale et porcine de valeur ; les industries et les entreprises liées au soja, au maïs, au blé, au riz, aux arachides, au coton, au bois et à la pêche, entre autres ; et les entreprises exportatrices établies dans le Centre des exportateurs de céréales (CEC), auquel participent Deheza General Oiler, COFCO, Cargill, Viterra, Louis Dreyfus, Mills Agro, etc. À cela s'ajoutent les bourses aux grains et les assembleurs dans tout le pays, qui réunissent les producteurs, les assembleurs, les négociants, les industriels, les producteurs de biocarburants et les exportateurs.

Tous les secteurs (qui sont interconnectés) ont bénéficié et bénéficient de la fuite des capitaux du pays et du transfert du fardeau de la dette au peuple argentin.

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Cristina Kirchner (photo), commentant la situation, a déclaré sans ambages : « Arrête de mentir au peuple, Milei. Personne ne te croit. En fait, tu as tellement besoin de dollars que tu vas finir par faire une sale affaire pour l'intérêt du pays en échangeant une dette bon marché et contrôlée contre une autre dette plus chère qui, en plus, expose l'Argentine à des extorsions constantes... »

Cependant, personne ne se pose la question de savoir comment remédier à cette situation. La prochaine élection présidentielle n'est pas encore imminente et le pays continue de glisser vers l'abîme.

vendredi, 28 mars 2025

Guerre économique ? L’Europe n’a aucune chance si elle vole 800 milliards à ses citoyens pour produire ou acheter des armes

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Guerre économique ?

L’Europe n’a aucune chance si elle vole 800 milliards à ses citoyens pour produire ou acheter des armes

Ala de Granha

Source: https://electomagazine.it/guerra-economica-leuropa-non-ha...

Il est vrai que l'histoire se répète, d'abord comme tragédie puis comme farce. Mais apprendre quelque chose de l'histoire ne ferait pourtant pas de mal. L'Axe a perdu la Seconde Guerre mondiale lorsqu'il a commencé à lutter sur deux fronts, se heurtant à la fois à l'Union soviétique et aux Occidentaux. Et maintenant, les eurodingues, dirigés par Ursula von der Leyen, veulent voler 800 milliards aux peuples européens pour une course solitaire et suicidaire aux armements, tandis que François Bayrou, Premier ministre français, invite l'Europe à se préparer à une guerre commerciale contre les États-Unis.

Il est évident que Bayrou est doté de ces quelques neurones qui manquent à Macron et qui n'ont pas été programmés chez Ursula. D'autant plus que Trump a déjà déclaré la guerre commerciale contre l'Europe, il suffit donc de le reconnaître.

Cependant, le Vieux Continent n’est pas en mesure de faire face, en même temps, à ces deux adversaires: celui réel, Trump, qui combat par l'économie; et celui, imaginaire, Poutine, qui n’a aucune envie d'envahir l'Europe parce qu'il sait très bien qu'il n’en a pas la capacité. Ni maintenant, ni jamais.

Mais voler de l'argent aux familles pour acheter des armes, inutiles, est plus facile que l'alternative qui impliquerait la nécessité d'investir dans des secteurs économiquement stratégiques, dans la qualité, dans la formation, dans l'augmentation du pouvoir d'achat des familles et, par conséquent, dans le renforcement du marché intérieur.

Dans le premier cas, il suffit de rendre heureux les marchands de mort, où qu'ils se trouvent. Dans le second, en plus de miser sur l'intelligence intérieure, il serait essentiel de créer un réseau de relations internationales avec les pays qui peuvent fournir les matières premières indispensables dont l'Europe est dépourvue ou insuffisamment dotée.

Il est dommage que la politique étrangère européenne et celle des États membres soient confiées à des politiciens qui représentent le pire du pire. Incompétents, incapables, totalement inadaptés et contre-productifs.

Ainsi, l'appel de Bayrou risque d'être totalement ignoré. Et les 800 milliards volés aux Européens serviront à creuser la fosse pour y inhumer le Vieux Continent.

Quand Joseph Kessel annonce Jean Baudrillard

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Quand Joseph Kessel annonce Jean Baudrillard

Nicolas Bonnal

1936 : l’aventurier des enfants Joseph Kessel passe en Amérique et travaille à Hollywood avec Anatole Litvak. On est à l’époque de Duhamel, d’Aron et de Céline et notre enfant gâté va cracher dans la soupe et écrire un bref essai sur le mirage hollywoodien qui dénonce à sa façon l’Amérique et la matrice qu’elle met en branle avec son culte de la technique et de la perfection. Un monde de simulacre et d’intelligence (et de sensibilité) artificielle apparaît, qui le choque et le fascine à la fois. C’est que comme Baudrillard après lui, venu, lui, pour enseigner, Kessel découvre le vrai mirage américain, le désert, décor (sic) naturel des films et des westerns. Ce désert est magique et bien enchanté, il est le fruit aussi d’un truquage, comme il écrit incroyablement au début de son livre. Kessel comprend que le monde devient un artifice sous la pression de l’activité et de la créativité américaines. Il ne sera plus humain. Mais est-ce si grave ?

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On fera comme Baudrillard, dans ces cas-là, qui cite Borges et son texte essentiel sur les cartes :

« En cet empire, l'Art de la Cartographie fut poussé à une telle Perfection que la Carte d'une seule Province occupait toute une Ville et la Carte de l'Empire toute une Province. Avec le temps, ces Cartes Démesurées cessèrent de donner satisfaction et les Collèges de Cartographes levèrent une Carte de l'Empire, qui avait le Format de l'Empire et qui coïncidait avec lui, point par point. Moins passionnées pour l'Étude de la Cartographie, les Générations Suivantes réfléchirent que cette Carte Dilatée était inutile et, non sans impiété, elles l'abandonnèrent à l'Inclémence du Soleil et des Hivers. Dans les Déserts de l'Ouest, subsistent des Ruines très abîmées de la Carte. Des Animaux et des Mendiants les habitent. Dans tout le Pays, il n'y a plus d'autre trace des Disciplines géographiques. »

Un monde survient, celui du simulacre, qui n’est plus un monde réel – il sera hyper-réel si possible.

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Kessel voit le sanatorium à venir :

« Les boulevards sont tirés au cordeau. Les quartiers se suivent, découpés géométriquement, enfermant des maisons tranquilles et muettes. On a l'impression d'un asile pour retraités de grand luxe ou d'un immense sanatorium distribué en pavillons somptueux.

Pas de vie populaire, pas de cohue pittoresque. Seules roulent les automobiles qui portent des gens dignes et pressés. »

Il ajoute sur cet univers mystérieusement pacifique (sorti de Ségovie, des alcazars, de l’Alhambra et d’un conte de fées hispano-mauresque en fait) :

« Mais dans ces allées féeriques, on n'entend pas un cri d'enfant, pas un aboiement de chien, on n'aperçoit pas une silhouette aux fenêtres…

Mais dans ces maisons, où le confort intérieur est égal à la simplicité somptueuse des façades, on ne sent pas de vie.

Elles sont, même habitées par dix personnes, comme vides et interchangeables. »

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L’habitat célébré par Heidegger n’est plus là, on est dans la machine à habiter, dans la boîte de conserves humaines. Baudrillard sera moins dur : ce vide, cette féérie, cette luminosité, cette glissade, il la célébrera, lui !

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Pas Kessel :

« Mais dans les plus grandes artères, il n’y a pas de passants. Les automobiles roulent, roulent sans arrêt les unes derrière les autres, comme les anneaux d'une chaîne sans fin, entre les trottoirs déserts. C'est la seule ville au monde où l'on voit les camelots vendre les journaux au milieu de la rue, aux carrefours où les signaux lumineux et les bras mécaniques arrêtent, pour quelques secondes, le flux des voitures. »

Ce monde récolte la distance (on se rapproche de Debord…) :

« Mais pour voir un ami, pour acheter un grapefruit- dans ces marchés aux piles rigoureuses qui ressemblent à des halls d'usine -, il faut faire des kilomètres et des kilomètres. »

Il ajoute :

« Vitesse, rendement, précision, correction: voilà les caractéristiques essentielles de l'existence. »

On passe au choc éprouvé et décrit par Céline et Duhamel (voir nos textes). On est dans la technique et dans l’artifice, plus dans la réalité. Et le cinéma précipite notre petit monde européen dans cette matrice.

Heureusement il y a le désert, et c’est là ce qui va rapprocher Kessel de Baudrillard : c’est encore le désert de Saint-Exupéry ou de Monfreid, celui du père de Foucauld et d’Alerte au sud.

« Un monde s'était évanoui tandis que je reposais. Un autre était né, et combien différent.

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Les étoiles scintillaient plus vigoureuses, plus drues, plus nues, dans un ciel plus lisse et plus sec. La lune éclairait une terre vierge, sans un arbre, sans une herbe, qui s'étendait en vallonnements ombreux jusqu'à des monts stériles, d'un profil si pur, si sauvage qu'ils semblaient dressés par les anges farouches de cette incomparable solitude. Et tout à coup dans le grain du sol, dans son indéfinissable respiration, dans le souffle de liberté qui amplifiait la nuit au-delà d'elle-même, je reconnus le sceau émouvant entre tous des espaces qui échappent au contrôle de l'homme, le sceau que j'avais surpris de Palmyre à l'Euphrate, au Rio de Oro, le long des côtes de la mer Rouge. C'était, vraiment, le désert. »

Kessel pressent le devenir spatial de ce désert : la conquête de l’espace c’est la conquête de ce désert, la nuit en fait. La première partie de 2001, celle du désert et de la transformation sur fond de Richard Strauss et du Zarathoustra reste l’essentielle. Kessel :

« La voiture silencieuse roulait sur la piste luisante, mais elle avait beau augmenter sa vitesse, le désert était toujours là, autour de nous, en nous, tragique, auguste, fascinant. »

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Kessel oppose donc ces deux mondes : le désertique et l’artificiel. On a déjà ce pressentiment chez Tocqueville dans ses Quinze jours de désert. Le voyage dévoile notre arraisonnement du monde, notre anéantissement du monde antérieur. Car la civilisation est devenue ce qui anéantit le monde – pas seulement physiquement, ontologiquement. Kessel :

« Il faisait sentir bien au contraire, il n'est pas de pays en Europe où la nature ait si fortement gardé ses droits et sa vertu primitive, que les villes géantes sont perdues comme des îlots parmi les savanes, les montagnes, les forêts, les plaines et les sables et que toute leur civilisation mécanique - automobiles rapides, avions dévorants, appareils de TSF raffinés ne sont que des instruments d'une lutte encore inégale contre l'étendue et contre l'élément. »

Kessel est heureux de quitter les artifices :

Trois heures auparavant j'avais quitté le lieu le plus artificiel du monde, qui convertissait en industrie colossale les visages et les sentiments, qui les débitait pour le monde entier, comme des conserves, et voici que je me trouvais aussi loin des hommes que si des océans m'en avaient séparé. »

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Et le désert lui semble tout-puissant :

« Mais ces baraques branlantes, misérables, à l'humilité desquelles le glaive des phares était impitoyable, recroquevillées sans un abri, sans une ombre, à la lisière de ce sol aride et mystérieux, ne faisaient qu'ajouter à la muette victoire du désert. »

En fait le désert devient aussi un artifice : les villes champignons poussent, tout le monde a de l’eau et on construit des condominiums de luxe. Kessel cite Palm Springs et la Quinta, lieux qui l’enchantent, mais qui se sont surdéveloppés depuis son passage.

Baudrillard écrit dans son poème en prose sur l’Amérique ces lignes géniales :

« Ce qui est neuf en Amérique, c'est le choc du premier niveau (primitif et sauvage) et du troisième type (le simulacre absolu). Pas de second degré. »

Mais comme on sait au lieu de s’en prendre à l’Amérique parce qu’elle est le lieu du simulacre et de l’inauthentique, Baudrillard la célèbre – on se souvient qu’il prend le contrepied de Guillaume Faye dans ces lignes que j’ai étudiées dans un autre texte :

"Pourquoi pas une parodie de la ville avec Los Angeles? Une parodie de la technique à Silicon Valley ? Une parodie de la sociabilité, de l'érotisme et de la drogue, voire une parodie de la mer (trop bleue !) et du soleil (trop blanc !). Sans parler des et de la culture(s). Bien sûr, tout cela est une parodie! Si toutes ces valeurs ne supportent pas d'être parodiées, c'est qu'elles n'ont plus d'importance. Oui, la Californie (et l'Amérique avec elle) est le miroir de notre décadence, mais elle n’est pas décadente du tout, elle est d'une vitalité-hyperréelle, elle toute l'énergie du simulacre".

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Il faut être honnête : le simulacre a gagné. Baudrillard :

 « C'est le jeu mondial de l'inauthentique » bien sûr: c'est ça qui fait son originalité et sa puissance. Cette montée en puissance du simulacre, vous l’éprouvez ici sans effort. »

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On comprend que comme chez Baudrillard ou Artaud on ait alors ce penchant pour le Mexique : d’ailleurs quel aventurier américain ne rêve de s’y réfugier au Mexique ?

« Le Mexique était là, voisin, pressant, le Mexique à qui cette région avait été arrachée, à qui elle tenait par tout - son profil, son climat, son odeur. Et l'on comprenait soudain pourquoi les Américains, après avoir conquis ce désert, lui accordaient une telle vertu. Ils cherchaient inconsciemment dans sa nudité, dans ses flancs stériles, un remède à leur agitation, une arme contre eux-mêmes, une halte dans la cadence infernale qui réglait leur vie et la vidait de toute substance. Sans se l'avouer, ils enviaient la nonchalance des hommes qui passent des heures immobiles à nourrir d'incompréhensibles rêves, pour qui le temps est une mesure indifférente… »

C’était avant que le Mexique ne devînt un « satellite industriel » de l’Amérique, comme l’a remarqué Todd dans son livre. Le Mexique maintenant c’est une banlieue.

« Tout est loin, tout est glacé, tout s'engrène automatiquement… »

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Ecrivain populaire par excellence, génial et simple à la fois, Kessel rejoint Pagnol et surtout Alphonse Daudet qui remarque déjà dans Tartarin sur les Alpes :

Tartarin sur les Alpes donc, chapitre V :

« La Suisse, à l’heure qu’il est, vé ! monsieur Tartarin, n’est plus qu’un vaste Kursaal, ouvert de juin en septembre, un casino panoramique, où l’on vient se distraire des quatre parties du monde et qu’exploite une compagnie richissime à centaines de millions de milliasses, qui a son siège à Genève et à Londres. Il en fallait de l’argent, figurez-vous bien, pour affermer, peigner et pomponner tout ce territoire, lacs, forêts, montagnes et cascades, entretenir un peuple d’employés, de comparses, et sur les plus hautes cimes installer des hôtels mirobolants, avec gaz, télégraphes, téléphones !…

– C’est pourtant vrai, songe tout haut Tartarin qui se rappelle le Rigi.

– Si c’est vrai !… Mais vous n’avez rien vu… Avancez un peu dans le pays, vous ne trouverez pas un coin qui ne soit truqué, machin comme les dessous de l’Opéra ; des cascades éclairées à giorno, des tourniquets à l’entrée des glaciers, et, pour les ascensions, des tas de chemins de fer hydrauliques ou funiculaires. »

Le monde moderne, a écrit Feuerbach, c’est celui qui précède la copie à la réalité. Dont acte.

Celui qui comprend tout avait déjà écrit :

« A mesure que nous avancions, le but de notre voyage semblait fuir devant nous (Tocqueville). »

Sources principales :

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2023/09/20/j...

https://www.amazon.fr/Hollywood-ville-mirage-Joseph-Kesse...

https://fr.wikipedia.org/wiki/De_la_rigueur_de_la_science

https://www.dedefensa.org/article/tartarin-de-tarascon-et...

https://www.dedefensa.org/article/tocqueville-et-la-fin-d...

La menace libérale

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La menace libérale

Georges Feltin-Tracol

Né en 1966 à Gijón dans les Asturies, Carlos X. Blanco enseigne la philosophie. Lecteur assidu d’Oswald Spengler, de Ludwig Klages, de David Engels et de Robert Steuckers, il a signé plusieurs essais parmi lesquels La caballería espiritual. Un ensayo de psicología profunda (2018), Ensayos antimaterialistas (2021) ou La insubordinación de España (2021). Récemment fondées, les éditions La Nivelle publient enfin un court essai, Le virus du libéralisme, la traduction française de El virus del liberalismo. Un virus recorre el mundo (2021).

À rebours de la mode actuelle qui voit une droite nationale – identitaire européenne se fourvoyer dans l’adulation de Donald Trump, d’Elon Musk et du président argentin Javier Milei, Carlos X. Blanco conteste l’idéologie libérale sous ses différentes facettes mortifères en appliquant à sa réflexion « la méthode de l’analyse dialectique […], par essence, holistique et fonctionnelle ».

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Ainsi constate-t-il que « l’économie est libérée du pouvoir politique », ce qui favorise la propagation du « virus du libéralisme […], véritable parasite culturel, [qui] n’a pas de vie propre. Son activité vitale, car elle est toute de prédation et de reproduction, n’a pas de moteur propre ». Cependant, « ce virus a favorisé et profité de la dissolution de la communauté traditionnelle ». Il estime que « le monde d’aujourd’hui est un monde pornographique. C’est l’essence ultime et radicale du libéralisme et de l’expansion du mode de production capitaliste dans sa phase mondialiste ». Il cible aussi volontiers « la “ mondialisation “ [qui] n’est rien d’autre que le nom à la mode qui résume les tendances expansives, intrusives et destructrices du capitalisme à l’échelle planétaire ».

Selon l’auteur, « l’impérialisme américain est l’agent militaire de l’avant-garde et de la mondialisation forcée, entendue au sens strictement économique, la mondialisation exercée par le capital mondial ». Toutefois, « aujourd’hui, le libéralisme n’est pas exclusivement représenté par les États-Unis et leur cortège de satellites anglo-saxons et sionistes ». Bien avant la distorsion actuelle des relations transatlantiques sous les coups de butoir du trio Donald Trump – JD Vance – Marco Rubio, il devine que pour les États-Unis d’Amérique, « l’alliance actuelle avec l’Europe est purement conjoncturelle, et un jour viendra où elle sera rompue. L’ingérence des sionistes, des Russes et des Chinois, le conflit avec les forces plus expansionnistes de l’Islam, etc., y seront pour quelque chose ». La dissociation en cours est finalement la bienvenue, surtout si l’idéologie libérale « est la cause de la mort de l’Europe ».

L’échec pseudo-européen

Ces fortes considérations confirment un solide réalisme, en particulier sur le sort de la politogenèse européenne. L’Europe « est le jouet de l’américanisme et du sionisme. Elle n’a pas de véritable armée, et son économisme forcené empêche une éducation exigeante et disciplinée de ses citoyens pour une véritable Union fédérale européenne. » L’auteur rappelle avec une ironie cinglante que « cette même merveilleuse Union [...] a permis les génocides lors des guerres de l’ex-Yougoslavie. Cette même “ union de destin dans l’universel “ [...] a récemment couvert et dissimulé les vols secrets de la CIA ». Plus récemment, elle a annulé le second tour de l’élection présidentielle en Roumanie comme elle avait incité en 2016 à organiser un autre second tour pour l’élection du chef d’État autrichien.

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Il soutient en outre que « l’Union européenne est une union d’États, mais elle n’est pas du tout une union de peuples. États et peuples : deux catégories conceptuelles disjointes ». Il est toujours heureux de procéder à cette distinction salutaire. Peuples et États ne sont jamais synonymes ou interchangeables. L’État – peuple (et non l’État-nation) est rare si on prend le mot « peuple » dans son acception ethno-culturelle, à l’exception peut-être du cas de la République populaire démocratique de Corée. L’État – peuple dans un sens social (et plébéien) n’existe pas, y compris au temps du socialisme soviétique.

L’État peut susciter un peuple suivant une approche civique et contractuelle, c’est-à-dire un ensemble de citoyens égaux en droits et en devoirs, une collectivité politique qui gommerait les spécificités bio-culturelles. On trouve encore des États formés de plusieurs peuples, surtout en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Des peuples relèvent de plusieurs appartenances étatiques distinctes (des francophones vivent dans le Val d’Aoste italien, en Suisse romande, en Wallonie belge sans omettre, outre-Atlantique, les Francos et les Cajuns aux États-Unis, les Québécois, les Acadiens, les « Bois-Brûlés » et les Fransaskois au Canada).

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Entre les séparatismes régionaux qui minent l’Espagne et un étatisme centralisateur qui efface les différences historiques et populaires, Carlos X. Blanco adopte une troisième voie. « Ni un nationalisme espagnol jacobin, comme celui de l’UPyD [centristes centralisateurs] ou de Vox [droite nationaliste], ni un post-communisme sans Marx comme Podemos [l’équivalent espagnol de La France insoumise] (et donc sans une analyse actualisée du mode de production capitaliste en termes d’exploitation, de plus-value et d’aliénation) n’ont d’avenir à long terme. » Mieux, « l’État d’Espagne n’existe presque pas, d’après ce [que les politiciens installés] nous disent, c’est une sorte d’ONG “ qui veille à la solidarité “ entre les régions autonomes, et autres balivernes ». Les souverainismes nationaux et régionaux incarnent dorénavant de « vieilles idéologies ou des tactiques usées qui incitent à la méfiance, renforcent la partitocratie et profitent à une partie de l’oligarchie. Elles sont incapables de dépasser le cadre actuel : “ l’Espagne “ et “ l’Europe “ sont pensées en termes de catégories anciennes et vides. De plus, elles ignorent la géopolitique actuelle : un Islam en guerre civile, une africanisation de l’Europe, une réorganisation des puissances extracommunautaires (Chine, Russie, Inde, Brésil, etc.) qui rend dangereux notre partenariat avec les États-Unis, etc. ».

Par ailleurs, l’auteur décrit l’Union dite européenne comme l’« absorption centralisée despotique des souverainetés nationales, avec sa recherche perpétuelle de mécanismes pour empêcher de manière coercitive le protectionnisme économique de chaque État-nation, avec sa soumission désastreuse aux diktats mondialistes ». Pour lui, « ceux qui disent que l’Union européenne est un antidote à l’étatisme savent qu’ils mentent. L’Union européenne est une entité monstrueuse, une entité de signe clairement capitaliste et au service de la grande accumulation de la plus value. L’Union européenne n’est pas “ moins d’État “, ni au sens libéral, ni au sens anarchiste : c’est simplement le club des États-nations existants et l’instrument de quelques-uns d’entre eux avec la primauté desquels ils pourront exercer une sorte de néo-colonialisme sur les autres ».

Refondation néo-médiévale pour le XXIe siècle

Au début du XVIIIe siècle au moment de la terrible Guerre de Succession d’Espagne (1701 – 1714), Carlos X. Blanco aurait certainement été un austraciste ardent, c’est-à-dire un partisan espagnol du prétendant Charles de Habsbourg. Hostile à la dynastie des Bourbons restaurée en 1975, il déplore l’américanisation accélérée de la Couronne et de la vie politique espagnole. Il condamne en outre, d’une part, « le concept d’égalité (de tous les hommes) [qui] dissimule l’inégalité matérielle de l’espèce à tous égards, surtout en ce qui concerne la possession des moyens de production », et, d’autre part, au risque de passer pour un réactionnaire, « la démocratie, qui […] est strictement une forme de droit politique, [désormais ...] transplantée sur des terrains où le concept même dégénère ». Il en sort dès lors la « langue de coton » (titre d’un ouvrage de François-Bernard Huyghe paru en 1991), le politiquement correct et le wokisme.

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On décèle dans les analyses de Carlos X. Blanco (photo) des formulations qui se rapprochent de celles du Français Guy Debord dans La société du spectacle (1967), puis dans Commentaires sur la société du spectacle (1988). A-t-il lu Debord ? On peut le supposer comme il a dû s’intéresser aux écrits de Guillaume Faye. En effet, il affirme que « occidental et européen seront des termes mal assortis. Ils ne le sont pas déjà, mais la divergence ne fera que s’accentuer dans les décennies à venir ». Retrouver l’essence de l’Européen implique au préalable de récuser « le “ moderne “ [qui] était donc le processus de sécularisation du moi protestant ». L’apparition et l’expansion de l’individualisme a aboli « la véritable charité, c’est-à-dire l’amour de l’autre qui consiste à le considérer comme une partie de son propre sang et comme un aspect de la même communauté éthique organique ». Issu de la matrice réformée, prélude de la fétide idéologie des Lumières, l’individualisme a conçu le libéralisme, grand corrupteur des liens organiques communautaires. « Les assemblées et les synodes, les hiérarchies et les corps intermédiaires, les principes de subsidiarité et de droit naturel protégeaient l’homme de tout réductionnisme. Ils protégeaient l’individu du virus libéral. » En réponse, il insiste sur l’obligation impérieuse de redécouvrir le « féodalisme [qui] est un personnalisme par opposition à la réification capitaliste ». Il faut néanmoins faire attention quand on aborde cette notion historique. Karl Marx se trompe quand il parle de l’économie féodale. Féodalisme et féodalité s’inscrivent dans l’essence du politique, et non dans celle de l’économique, en établissant des liens synallagmatiques en dépit d’une forte hiérarchisation politico-sociale entre membres du clergé et/ou de la noblesse.

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À l’instar du philosophe russe Nicolas Berdiaeff, Carlos X. Blanco préconise le retour au Moyen Âge dans un contexte techno-scientifique avancé. « Ce que l’on appelle le Moyen âge, et sa continuité légitime, l’Empire de la Monarchie hispanique, fut un katechon, l’esprit de résistance et de recomposition de cette Unité spirituelle, qui est aussi une union politico-militaire, de l’Imperium. » On sait par Carl Schmitt que le katechon est le retardateur de l’avènement de l’Antéchrist. Il s’agit d’un facteur déterminant qui empêche le surgissement du chaos en grande politique. En se référant à la Monarchie hispanique, puissance à la fois tellurocratique et thalassocratique, qui surplombait divers peuples (dont les francophones arpitans de Franche-Comté et les locuteurs d’oïl picard des Pays-Bas), l’auteur fait-il une allusion implicite à une nouvelle Union des Armes ? En 1626, le roi d’Espagne Philippe IV tenta d’accélérer l'unité de ses couronnes et royaumes (Castille, Portugal, Pays-Bas, Aragon, Deux-Siciles, Franche-Comté et possessions ultra-marines d’Amérique, d’Afrique et d’Asie) sur les plans militaire et financier. Les réserves et autres réticences des assemblées provinciales paralysèrent et interrompirent finalement cette grande idée géopolitique inaboutie.

On le voit, Le virus du libéralisme montre une hostilité radicale envers la marchandisation du monde. Carlos X. Blanco tient une position essentielle dans l’actuel combat des idées. Un fascicule à méditer d’urgence !

  • Carlos X. Blanco, Le virus du libéralisme. Un virus s’abat sur le monde, Éditions La Nivelle, 2024, 71 p., 11,98 €.

Erdoğan est désormais seul

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Erdoğan est désormais seul

Alexander Douguine

Suite à l'arrestation du maire d'Istanbul, Ekrem İmamoğlu, de graves troubles ont éclaté et continuent de s'intensifier en Turquie. La crise s'aggrave. Mais pour analyser correctement la situation, plusieurs facteurs doivent être pris en compte.

Tout d'abord, le maire d'Istanbul, tout comme le maire d'Ankara, appartient à l'opposition libérale à Erdoğan. Il s'agit du Parti républicain du peuple (CHP), qui représente une alternative de gauche-libérale, laïque et généralement pro-européenne au parti d'Erdoğan, le Parti AK (Parti de la justice et du développement). Cette opposition est, en principe, orientée vers l'Occident et opposée à l'orientation islamique des politiques d'Erdoğan. En même temps, elle adopte une position assez hostile envers la Russie.

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Deuxièmement, Erdoğan lui-même a récemment commis plusieurs erreurs politiques très graves. La plus significative d'entre elles est son soutien à la prise de pouvoir à Damas par les militants d'al-Jolani. C'est une erreur fatale parce qu'en agissant ainsi, Erdoğan a infligé un coup sérieux — peut-être irréparable — aux relations turco-russes et turco-iraniennes. Maintenant, ni la Russie ni l'Iran ne viendront en aide à Erdoğan. La situation s'est déjà retournée contre lui, et la crise pourrait s'intensifier davantage.

Je ne crois pas que l'Iran ou la Russie soient impliqués de quelque manière que ce soit dans les troubles en Turquie. Plus probablement, c'est l'Occident qui essaie de renverser Erdoğan. Néanmoins, son erreur syrienne est significative. Beaucoup en Turquie n'ont pas seulement échoué à la comprendre, mais ont également condamné cette politique d'Erdoğan qui, comme nous le voyons maintenant, a conduit au génocide des Alaouites et d'autres minorités ethno-religieuses, y compris les chrétiens. En effet, seul un politicien extrêmement myope pourrait remettre le pouvoir en Syrie à al-Qaïda. Et bien qu'Erdoğan ait généralement été considéré comme un homme d'État prévoyant, cette erreur, à mon avis, le hantera longtemps.

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Un autre aspect est sa politique économique. La dévaluation de la lire, l'inflation galopante — tout cela sape une économie turque déjà fragile. Et bien sûr, ces échecs — tant en Syrie que dans l'économie — ainsi que le rapprochement d'Erdoğan avec l'Union européenne, avec les forces mondialistes, et son contact avec le chef du MI6, Richard Moore, poussent tous Erdoğan dans un piège. En conséquence, l'opposition libérale mais kemaliste (et donc nationaliste) en Turquie a saisi l'occasion de capitaliser sur ses échecs. Leur argument est : « Nous vous avions prévenus que ce qui s'était passé en Syrie serait une victoire pyrrhique, l'économie s'effondre, et nous avons une orientation plus forte vers l'Ouest qu'Erdoğan, sous lequel la Turquie ne sera jamais acceptée en Europe. »

Et puisque la Turquie a une démocratie fonctionnelle, Erdoğan n’a pas pu empêcher les populations d’Istanbul et d’Ankara de voter pour des leaders de l'opposition lors des élections municipales. En fin de compte, Erdoğan a décidé d'emprisonner le maire d'Istanbul. La question de savoir si c'était justifié ou non est presque sans importance — dans tout régime politique moderne, il est toujours possible de trouver des motifs pour emprisonner n'importe quel fonctionnaire (en politique moderne, il n'y a pas de personnes innocentes). La Turquie ne fait pas exception. Par conséquent, la question est uniquement celle de l'opportunité politique.

Erdoğan a décidé que les choses allaient mal pour lui et qu'il devait emprisonner son opposant le plus actif — Ekrem İmamoğlu. Pourtant, İmamoğlu est une figure affiliée à Soros, soutenue par des réseaux mondialistes, et Erdoğan n'aurait pu être soutenu dans cette démarche que s'il avait lui-même pris une position ferme contre cette faction liée à Soros. Cependant, comme l'avons déjà mentionné, Erdoğan avait précédemment poignardé dans le dos ses alliés — l'Iran et la Russie. Par conséquent, nous, Russes, ne pouvons pas le soutenir dans la situation actuelle. Et les Iraniens non plus.

C'est une situation très mauvaise pour Erdoğan. Tous ses opposants, profitant de ses erreurs accumulées au fil du temps, se sont soulevés en une même révolte — laquelle est une véritable révolution de couleur. Et ces kemalistes conservateurs, même alignés dans les forces armées, avec une orientation eurasienne — des militaires kémalistes qu'Erdoğan avait un jour accusés dans l'affaire toute fabriquée que fut "Ergenekon", et qui, en fait, l'avaient sauvé plus d'une fois (surtout lors de la tentative de coup d'État de 2016) — ne viendront plus à son secours.

En essence, Erdoğan se retrouve sans amis, ayant trahi tout le monde à plusieurs reprises. Je crois que sa situation est peu enviable. En même temps, nous devons garder une très grande prudence face aux manifestations en cours, car de la même manière que dans la plupart des révolutions de couleur, les mêmes organisateurs se tiennent derrière elles, y compris celle qui se déroule actuellement en Serbie. Au même temps, les mondialistes impliqués dans les manifestations sont une minorité — la majorité sont des gens ordinaires réellement mécontents de divers excès politiques au sein de la direction. Par conséquent, il y a aussi des raisons objectives à ce qui se passe — il semble qu'Erdoğan ait simplement épuisé sa marge d'erreur. Pourtant, il continue à faire des erreurs.

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Il est difficile de dire ce qui pourrait rectifier la situation. Peut-être qu'une certaine forme de gouvernement d'unité nationale kemaliste impliquant des islamistes modérés (comme des membres du propre parti d'Erdoğan) pourrait émerger. Dans ce contexte, la question se pose : que se passe-t-il avec Devlet Bahçeli, le leader du Parti du mouvement nationaliste turc et le principal allié d'Erdoğan ? Il y a même des rumeurs selon lesquelles il serait mort, ce que les autorités auraient soi-disant dissimulé. Je pense que ce ne sont que des théories du complot — mais cette figure de la politique turque a vraiment vieilli et s'est affaiblie. Erdoğan ne peut plus compter sur lui ou sur ses "Loups gris", autrefois puissants, de redoutables nationalistes radicaux turcs.

Donc, encore une fois, je répète : l'avenir d'Erdoğan et de son régime semble sombre. Cependant, bien sûr, nous préférerions avoir une Turquie souveraine avec une politique étrangère indépendante comme voisine — de préférence amicale, bien que nous soyons préparés même si elle nous devient hostile. La Russie est prête à toute éventualité.

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L'Amérique latine et la nouvelle politique américaine

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L'Amérique latine et la nouvelle politique américaine

Leonid Savin

Pendant plus de deux siècles, depuis la doctrine de Monroe, les États-Unis ont considéré l'Amérique latine comme leur arrière-cour, sont intervenus dans les affaires de la région et ont mené des interventions militaires sous divers prétextes. Ces effets se font encore sentir aujourd'hui, qu'il s'agisse des actions des gouvernements fantoches centrés sur Washington ou de la présence d'entités néocoloniales telles que le territoire associé de Porto Rico.

L'administration de Donald Trump ayant déjà émis un certain nombre de menaces et de déclarations très médiatisées à l'encontre des pays d'Amérique latine, il est nécessaire d'analyser quelles actions réelles les États-Unis peuvent mettre en œuvre et contre qui des mesures sévères peuvent être prises. Même si, bien sûr, il faut tenir compte du fait que Trump, tout en appliquant la rhétorique de la diplomatie préventive, peut aussi bluffer.

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Le Mexique et le Panama ont été les premiers à subir la pression de la Maison Blanche. Non seulement ce que l'on appelle l'impérialisme linguistique (en référence au décret de Donald Trump renommant le golfe du Mexique en golfe américain) a été appliqué au Mexique, mais aussi un avertissement d'utiliser la force militaire en cas d'invasion de migrants illégaux ou d'activités des cartels de la drogue. Plusieurs milliers de soldats supplémentaires ont été envoyés à la frontière. Le Mexique a été contraint d'accepter les propositions américaines et a déjà officiellement accepté, depuis février, l'envoi de forces spéciales pour aider l'armée mexicaine à lutter contre le crime organisé. Le 18 mars, un porte-missiles américain est entré dans les eaux du Golfe.

Le Panama, malgré l'indignation de ses dirigeants face à la possible annexion du canal, a également répondu aux demandes américaines de réduction de la présence chinoise en entamant le processus d'achat par un consortium BlackRock des actifs de la société hongkongaise CK Hutchison, qui possède plusieurs ports au Panama même, mais aussi en Europe.

Le reste de l'Amérique centrale et du Sud peut être divisé en trois groupes conventionnels. Le premier représente les opposants et les critiques de l'hégémonie américaine. Le deuxième est composé d'États qui adhèrent à l'équilibre. Le troisième est composé de pays qui coopèrent activement avec les États-Unis et qui n'ont donc pas à s'inquiéter. Au contraire, ils peuvent encore récolter quelques dividendes, comme le Salvador, où Nayib Bukele accepte déjà des prisonniers en provenance des États-Unis pour les héberger dans des prisons contre rémunération (officiellement des membres du groupe vénézuélien Tren de Aragua, et le Salvador a également demandé officiellement l'extradition des chefs du gang local MS-13).

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La première comprend sans aucun doute les pays du bloc ALBA, qui sont des partenaires stratégiques de la Russie - Cuba, le Nicaragua, le Venezuela et la Bolivie. En ce qui concerne les deux premiers, il est probable que les États-Unis poursuivent leur politique de sanctions. Dans le même temps, la Maison Blanche a proféré de nouvelles menaces contre toute coopération avec Cuba dans le domaine de la médecine, ce qui est un non-sens : ce domaine d'activité n'a jamais fait l'objet de sanctions pour des raisons humanitaires. Cela a provoqué la colère d'un certain nombre de pays de la région.

Le Venezuela représente un cas particulier car, en plus des sanctions, il existe une réelle menace de recours à la force. Bien entendu, le retrait des producteurs de pétrole américains (Trump a interdit à Chevron de travailler au Venezuela) nuira davantage à l'économie vénézuélienne. Et les nouvelles règles migratoires aux États-Unis, qui criminalisent effectivement les détenteurs de passeports vénézuéliens, aggraveront encore les relations entre les pays. Mais ce n'est pas une raison pour intervenir militairement.

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Le différend territorial avec la République coopérative de Guyane, dont un tiers du territoire appartient au Venezuela selon le référendum de 2023, pourrait être un prétexte à une intervention militaire américaine. La direction de l'US Southern Command s'est déjà exprimée sur l'assistance militaire à la Guyane, et étant donné les intérêts directs d'Exxon-Mobil dans le pays, le lobbying pourrait être impliqué à différents niveaux.

Précédemment, Juan Sarate, membre du National Endowment for Democracy des États-Unis, a mené une politique de déstabilisation à l'égard du Venezuela. Il est connu pour être lié à l'actuel secrétaire d'État Marco Rubio, qui s'oppose également au gouvernement chaviste de Nicolas Maduro. Étant donné que certaines parties de la Guyane sont devenues une zone grise de facto, toutes sortes de provocations pourraient y être menées.

La Colombie accueille déjà des bases américaines et Washington a déjà utilisé le pays pour effectuer des sorties de sabotage à perpétrer dans le Venezuela voisin. Mais sous la présidence de Gustavo Petro, les relations avec le gouvernement Maduro se sont normalisées. En outre, la Colombie a refusé d'accorder aux États-Unis l'espace aérien pour leurs avions militaires. Et Trump a imposé des droits de douane de 25 % sur tous les produits colombiens. Compte tenu de la situation complexe dans plusieurs régions du pays en raison des groupes paramilitaires, les États-Unis ont une raison formelle d'intervenir (encore une fois, la lutte contre le trafic de drogue), mais il n'y a pas encore de signaux clairs pour justifier une telle opération.

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L'Équateur a jusqu'à présent suivi l'exemple des États-Unis. Mais des élections présidentielles sont prévues le 13 avril, où le magnat de la banane Daniel Noboa (photo, ci-dessus) tentera de l'emporter. Le président et candidat Daniel Noboa a pris l'avantage au premier tour dans les hautes terres, où se trouve notamment la capitale Quito, tandis que la chef de file de l'opposition Luisa Gonzalez l'a emporté dans les provinces côtières, où l'insécurité est un problème central. Les voix étant à peu près également réparties, le second tour sera une bataille pour les électeurs de Leonidas Isa, qui arrive en troisième position.

Suite à l'ouverture l'année dernière du port en eau profonde de Chancay au Pérou, qui a été lié aux investissements chinois, Washington considère le Pérou comme un allié de son adversaire. Cette nouvelle porte d'entrée, reliant l'Asie du Sud et l'Amérique du Sud, sape le contrôle des États-Unis sur les communications maritimes.

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Au Pérou, le gouvernement de Dina Boluarte (photo, ci-dessus) a imposé un état d'urgence de 30 jours à Lima et Callao depuis le 18 mars. L'armée et la police ont commencé à patrouiller conjointement dans les rues. Dans ce cas, le gouvernement a pris cette décision après l'assassinat du chanteur Paul Flores du groupe Harmony 10, tué lorsque plusieurs personnes ont ouvert le feu sur le bus du groupe Cumbiambera qui circulait sur l'avenue de l'Indépendance à San Juan de Lurigancho.

Le problème est interne, mais comme souvent dans l'histoire, les États-Unis peuvent l'utiliser à leur avantage.

La Bolivie entretient des relations froides avec les États-Unis, mais pourrait à nouveau susciter l'intérêt de Washington en raison de ses gisements de lithium, de gaz naturel et d'autres minéraux. Des élections devant avoir lieu cette année, le département d'État tentera probablement de gérer le processus électoral. Une intervention militaire ouverte dans ce pays est techniquement difficile, car elle impliquerait le territoire de certains de ses voisins.

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Quant au Chili, le président Gabriel Borich a récemment qualifié d'« inacceptables » les propos de Trump concernant Zelensky (dictateur sans élections), se plaçant en défenseur de la junte de Kiev. Cela peut sembler étrange, car Borich s'est auparavant aligné sur la politique de Washington. Cependant, son comportement devient compréhensible si l'on considère le contexte de la confrontation entre les mondialistes libéraux dirigés par George Soros, les Rothschild et d'autres personnages de ce type et les conservateurs tels que Donald Trump lui-même. Borich est sans aucun doute en phase avec les politiques de Soros ; il est un pion du projet libéral mondialiste.

Par ailleurs, la ministre de l'intérieur du Chili de 2022 à 2025, Carolina Toa, qui a démissionné pour se présenter à la présidence en novembre, représente également des intérêts mondialistes et est liée aux structures de Soros et à la BlackRock Corporation.

Par conséquent, Trump pourrait avoir des questions désagréables à poser aux autorités chiliennes actuelles.

Les dirigeants brésiliens ne sont pas en bonne position. Non seulement le pays a cédé le rôle de leader du Sud à l'Inde au niveau mondial, mais la politique de Lula da Silva n'a pas été cohérente ces derniers temps (on se souvient du récent blocage de l'entrée du Venezuela dans le groupe des BRICS). En outre, l'ancien président Jair Bolsonaro a donné le coup d'envoi de sa campagne électorale en organisant un rassemblement à Rio de Janeiro le week-end dernier, qui a attiré environ un demi-million de personnes. Bolsonaro est connu pour être un conservateur et un bon ami de Donald Trump, dont il obtiendra certainement le soutien politique. Mais on ne peut pas dire que la situation soit critique, car Lula coopère lui aussi avec les États-Unis sur divers fronts, notamment en matière de défense et de sécurité.

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Le président argentin Javier Milei a une position plutôt pro-américaine et pro-Trump, il continuera donc à mener des politiques favorables à Washington.

Dans le contexte de l'évolution de la politique étrangère américaine, il convient également de noter que les critères d'évaluation se transforment eux aussi. Si au début du 20ème siècle, l'influence américaine dans la région était évaluée à travers le prisme des intérêts économiques (la United Fruit Company), dans la seconde moitié du 20ème siècle, l'idéologie a pris la première place et des projets tels que le plan Condor ont été réalisés en raison de la crainte de la propagation du communisme et de l'émergence de systèmes politiques alternatifs (en particulier après la révolution cubaine de 1959). Ces craintes se sont aujourd'hui estompées et Trump semble se préoccuper davantage des questions économiques, ce qui est plus proche de la stratégie du début du siècle dernier. Par conséquent, sa politique dans ce pays s'intéressera avant tout à la présence de la Chine et à la menace directe que représente la frontière mexicaine.

De quand date la crise de l’Occident?

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De quand date la crise de l’Occident?

Claude Bourrinet

Source: https://www.facebook.com/profile.php?id=100002364487528

Parallèlement à mon étude de Julien Gracq, déjà bien avancé, et qui occupera probablement mes soirées, je vais m'atteler à une autre tâche, bien plus rude, qui risque, si Dieu me prête encore assez de vie, de meubler les quelque dix ans qui viennent, peut-être ce qui me reste avant de mourir, avec un peu de chance.

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Cette recherche aura pour noyau Perlesvaus, aussi appelé Li Hauz Livres du Graal, roman "arthurien' violent, sombre, magnifique, publié anonymement au tournant des XIIe et XIIIe siècles. Ce récit ouvre une plaie sanglante dans la civilisation que l'on considère pourtant comme l'un des sommets de l'Europe, entre le Roman et le Gothique (termes et concepts, du reste, forgés au XIXe siècle). Quelque chose se passe alors dans le champ littéraire, comme un symptôme morbide. Il me semble que la crise s'ouvre en 1140 (voire avant, mais il s'agit-là de la prise en considération d'une maladie qui va plonger l'Europe dans des angoisses profondes et vitales), avec le heurt frontal entre Saint Bernard et Abélard, et semble se refermer, pour verser dans autre chose, un autre Occident, au début du XIVe siècle, avec la mystique rhénane et Dante.

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Quelques lignes d'Alain de Libéra m'ont confirmé dans mon choix, car il dit, en substance, que les fractures subies dans les expressions les plus hautes de la culture, comme la philosophie, ou, surtout, la théologie, se retrouvent, pour ainsi dit naïvement, naturellement, en littérature, dans un domaine qui, a priori, ne concerne que les « gens du commun », les « illettrés » (qui ne sont pas versés dans les « arts »intellectuels, ce qui ne signifie pas qu’ils ne sachent ni lire, ni écrire), mais qui, par ce fait même, reçoivent plus facilement, en imagination ou en leur sensibilité, les secousses qui mettent en péril la société. De fait, cette vocation de la littérature à jouer le rôle d’un sismographe civilisationnel a toujours été avérée, d’Homère à Julien Gracq. Et, à tout prendre, les blessures sanglantes, parfois mortelles, de notre humanité, surtout intérieure, s’explicitent mieux, en langage simple et accessible, dans le royaume des Lettres, que dans les réduits fortifiés de la technicité langagière et conceptuelle.

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Entre Saint Bernard et le couple Eckhart-Dante, existe un principe commun : c’est le choix conscient de la nature, et d’un lien direct entre l’âme (ou plutôt l’esprit) et le coeur, et le rejet plus ou moins affirmé de la dialectique et des « jongleries » verbales propres aux techniciens de l’« organon » aristotélicien. Au début, il s’agit de sauver un mysticisme d’épanchement, lyrique, tel qu’on le rencontre par exemple dans les Confessions de Saint-Augustin. Durant le large siècle et demi qui sépare Saint Bernard d’Eckhart et de Dante, la philosophie a émergé de façon plus ou moins autonome, néanmoins censurée par la Sorbonne. Non que le théologien ne passe par les arts libéraux comme propédeutique à l’étude très longue de la science de Dieu, mais l’horizon n’était pas celui d’une recherche du bonheur individuel, et surtout à la portée de tous. Les théologiens étaient une caste de spécialistes se plaçant au service des pouvoirs civils et ecclésiastique, pour permettre que le Salut de tous fût possible.

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En revanche, le Maître qu’était Eckhart « oublie » le jargon scolastique, la technicité langagière, et s’adresse en termes très simples, « enthousiasmant », en langue vernaculaire, aux béguines (et à d’autres « laïcs » … ou moines), à des gens qui n’ont pas fait d’études autres que d’apprendre à lire et à écrire (et encore!) ; et pourtant, ses sermons sont d’une profondeur fascinante.

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Quant à Dante il opte en grande partie pour l’italien, nous livre un immense poème théologique, métaphysique, épique, qui jette les bases de l’homme moderne, et disserte sur les préoccupations mondaines comme un philosophe. Ces deux grands penseurs n’ont pas pour autant abandonné le latin, langue de l’Europe, mais ont « oublié » le langage de l’université, pour transmettre leur Sagesse.

Il s’agit de savoir ce qui est en jeu dans ce pont entre deux périodes de l’histoire européenne, qui paraissent pourtant bien éloignées l’une de l’autre. Qu’a-t-on voulu « sauver », au moment où la ville « dénature » l’homme, où l’argent, truchement aliénant entre les producteurs, les consommateurs, semble être la transmutation dans le domaine économique de l’inflation technicienne du savoir, où l’aristocratie paraît dépossédée de son pouvoir, et où les fondements mystiques de l’âge roman ont été ravalés à des considérations parfois sécularisées, dont le thomisme, l’averroïsme, et certaines productions littéraires, traduisent la mauvaise conscience, ou le consentement à une vision « terrestre » de l’humanité (pour être plus précis, il s’agit en l’occurrence d’une vision qui part de l’homme pour se diriger vers Dieu). Un retournement des sens, de l’oeil, de l’âme, s’est produit durant ces deux siècles. Lequel ?

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Les décès dus au fentanyl aux États-Unis et les tensions avec le Mexique et la Chine

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Les décès dus au fentanyl aux États-Unis et les tensions avec le Mexique et la Chine

Peter W. Logghe

Source: https://www.facebook.com/peter.logghe.94

Il est évident pour tout observateur que les États-Unis, sous la présidence de Donald Trump, sont progressivement entrés en conflit ouvert avec la Chine et le Mexique. Il est clair que cela a beaucoup à voir avec le flot de migration illégale passant par le Mexique pour se diriger vers les États-Unis, et que les tensions géopolitiques et économiques avec la Chine expliquent également beaucoup de choses. Mais cela a également un rapport avec le fentanyl, une drogue synthétique aux conséquences dévastatrices, surtout aux États-Unis (mais aussi chez nous).

Selon un document du Central Washington Fentanyl Task Force Report, plus de 110.000 Américains auraient perdu la vie en 2023 à la suite d'une overdose, dont 75.000 seraient directement liés à l'utilisation de fentanyl. Bien que les chiffres pour 2024 montrent déjà une légère baisse du nombre de décès dus à des overdoses, le fentanyl reste la principale cause de décès chez les 18 à 44 ans aux États-Unis.

La Chine et le Mexique jouent un rôle important dans la question du fentanyl – Trump intensifie la lutte

Un rapport du Congrès américain, publié en 2024, a révélé que la Chine est le principal producteur de composants chimiques pour le fentanyl. 97% de ces composants chimiques proviennent d'entreprises chinoises. Les États-Unis parlent de "guerre chimique" de la part de la Chine, car le régime communiste chinois subventionne la production de ces composants et ne fait rien pour arrêter la production de fentanyl.

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Mais il y a aussi le Mexique, bien sûr. Ce pays d'Amérique centrale est devenu le hub du fentanyl. Les produits sont expédiés de la Chine vers le Mexique, où les cartels de Sinaloa et de Jalisco les composent pour en faire du fentanyl pur et veillent à ce qu'ils entrent aux États-Unis par la frontière mexicaine. En 2023, les autorités américaines auraient intercepté 101.493 livres de fentanyl pur, suffisantes pour tuer plusieurs fois tous les citoyens des États-Unis. Les produits chimiques utilisés pour fabriquer le fentanyl ont également été massivement interceptés par les États-Unis.

Le président Donald Trump a récemment décidé de considérer les cartels mexicains de la drogue comme des organisations terroristes. Une décision aux conséquences considérables: cette décision donne aux agences américaines, telles que la CIA et l'armée, le pouvoir d'attaquer ces cartels immédiatement et partout. Apparemment, des drones MQ-9 de la CIA survolent déjà certaines zones du Mexique pour repérer des laboratoires illégaux.

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Le gouvernement japonais réfléchit à la migration de travail: l'Allemagne comme exemple négatif

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Le gouvernement japonais réfléchit à la migration de travail: l'Allemagne comme exemple négatif

Tokyo. Il n'y a pas que le vice-président américain J.D. Vance qui considère la politique d'immigration allemande comme suicidaire. Le gouvernement japonais voit également l'Allemagne comme un exemple négatif en matière d'immigration.

Cela a été clairement exprimé ces jours-ci lors des discussions sur l'accueil et l'intégration des travailleurs étrangers au Japon, qui ont eu lieu lors de la 21ème session du cabinet japonais. Le gouvernement à Tokyo souhaite promouvoir la migration de travail vers le Japon avec des programmes spéciaux – tout en évitant à tout prix les erreurs de l'Allemagne. Une grande importance est accordée, par exemple, aux compétences linguistiques des postulants. Des plafonds doivent également être fixés pour le nombre d'étrangers admis.

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Cependant, même cette politique d'immigration relativement prudente n'est pas sans controverse au sein du gouvernement. Minoru Kiuchi (photo), responsable, au sein du cabinet du Premier ministre Ishiba, de la sécurité économique notamment, a exprimé, après la réunion ministérielle, sur X, ses inquiétudes quant aux conséquences de la migration – en faisant surtout référence à l'Allemagne comme un exemple dissuasif. En Allemagne, qui mène une "politique active d'accueil des étrangers", on constate une augmentation de la criminalité et des problèmes sociaux ainsi qu'une fracture au sein de la société, a-t-il écrit.

Kiuchi a appelé à "analyser en profondeur et avec soin les problèmes de ces pays" avant que le Japon ne prenne ses propres décisions en matière de politique migratoire. Il est nécessaire d'évaluer l'efficacité de la politique de ces pays et ensuite de "gagner le consensus du public" (mü).

Source: Zu erst, mars 2025.

jeudi, 27 mars 2025

L'essor de l'Asie: une restauration de l'ordre naturel du monde

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L'essor de l'Asie: une restauration de l'ordre naturel du monde

Brecht Jonkers

Source: https://brechtjonkers.substack.com/p/the-rise-of-asia-a-r...

L'essor de l'Asie n'est pas un phénomène nouveau. C'est la restauration de l'ordre naturel du monde.

Le graphique ci-dessous est encore imparfait et ce, d'une manière qui profite encore fortement à l'Occident, car il s'étend jusqu'à l'année 1700 et ne montre donc pas à quel point la période de domination économique mondiale de la Chine et de l'Inde a été incroyablement longue.

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Mais il met en avant quelques aspects cruciaux. La Chine a été la puissance économique mondiale dominante pendant la majeure partie de l'histoire humaine enregistrée, jusqu'à bien loin dans le 19ème siècle. Le seul concurrent qu'elle ait jamais eu était l'Inde, par exemple sous les règnes des Moghols. Aucune autre nation n'a jamais été même proche de la Chine et de l'Inde à leur apogée jusqu'à il y a moins de 150 ans.

La seule façon pour l'Occident de soumettre ces deux puissances orientales a été par des injections excessives de violence. Comme l'a dit Samuel Huntington, la « supériorité occidentale dans l'application de la violence organisée » était ce qui leur a permis de conquérir le monde au 19ème siècle.

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Les guerres de l'opium ont été le point crucial et pivot de l'histoire récente de la Chine, démarrant le Siècle de l'Humiliation et causant l'effondrement de la Chine au profit de l'Europe et, plus tard, de l'Amérique. Alors que les Européens se souviennent à peine que ces deux conflits ont eu lieu, étant conditionnés à oublier tout ce que notre société a fait de mal (à part l'Holocauste); pour la Chine, les guerres de l'opium ont été un moment charnière qui détermine pratiquement tout ce qui s'est passé depuis 1839: du vol de Hong Kong et de Macao à la période d'occupation japonaise, jusqu'à la sécession en cours de la province satellite américaine de Taïwan.

C'est une force motrice interne qui se trouve dans l'esprit de chaque homme d'État chinois, du programme d'industrialisation rapide de Mao Zedong, aux réformes économiques de Deng Xiaoping, jusqu'à l'expansion des capacités de défense chinoises par Xi Jinping. C'est le « Plus jamais ça » qui forme un pilier de la conscience nationale chinoise, que les Occidentaux échouent continuellement à comprendre.

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L'Inde a subi un sort encore pire. L'économiste renommée Utsa Patnaik (photo) a calculé qu'en raison de l'occupation coloniale britannique directe, l'Inde a été dépouillée de 45 trillions de dollars de richesse entre 1765 et 1938. Les estimations conservatrices, comme celle du journal World Development, évaluent l'excès de mortalité à 50 millions de victimes causées directement par la politique coloniale britannique entre 1891 et 1920 seulement. Une période qui n'a duré que 40 ans. Des dommages de proportions apocalyptiques, dont l'Inde ne s'est même pas entièrement remise jusqu'à ce jour.

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Dans les deux cas, la Grande-Bretagne était le principal coupable et la force motrice derrière la destruction de l'Inde et de la Chine. Et même alors, comme le montrent les statistiques, l'Empire britannique n'a jamais atteint la puissance économique dont l'un ou l'autre de ces deux espaces civilisationnels asiatiques jouissait à son apogée. Britannia peut prétendre avoir régné sur les mers, mais elle n'a certainement jamais réussi à dominer les tableaux de score historiques.

Seuls les États-Unis ont jamais réussi à être un challenger, et un vainqueur temporaire, dans la compétition avec la Chine pour le titre d'hégémon économique. Mais ce temps est déjà passé, et la Chine est de nouveau au sommet. Comme l'histoire humaine nous l'a montré, c'est ainsi que les choses devraient être.

mercredi, 26 mars 2025

Georgescu non et Imamoglu oui ? Erdogan se fiche des subtilités électorales et ne pense qu'à la Grande Turquie

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Georgescu non et Imamoglu oui ? Erdogan se fiche des subtilités électorales et ne pense qu'à la Grande Turquie

Enrico Toselli

Source: https://electomagazine.it/georgescu-no-e-imamoglu-si-erdo...

Un gouvernement inéluctablement démocratique fait arrêter le candidat de l’opposition ayant le plus de chances de gagner les élections. Et l’empêche de se porter candidat. Pendant ce temps, il bloque aussi le parti qui soutient le candidat. Et que font les eurodingues de Bruxelles ? Cela dépend. Dans un cas, celui de Georgescu en Roumanie, ils soutiennent l’arrestation et l’annulation de la candidature, au nom de la démocratie, ça va sans dire. Dans l’autre cas, celui d’Imamoglu en Turquie, on s’indigne du comportement antidémocratique d’Erdogan.

Et les médias suivent les directives des eurodingues. On minimise les manifestations de protestation en Roumanie et on met bien en exergue celles qui se déroulent en Turquie. Où, évidemment, Erdogan s’en fiche, malgré les répercussions sur la bourse et le change, pour bien clarifier que les spéculateurs internationaux sont toujours prêts à faire comprendre de quel côté ils se trouvent.

Imamoglu, maire d'Istanbul, avait sans aucun doute de bonnes chances de s'imposer aux élections prévues en 2028, même si, dans trois ans, il peut se passer n'importe quoi. Mais Erdogan a une vision du monde, et de la Turquie, qui ne dépend pas de la conjoncture électorale. Il veut reconstituer l'empire ottoman et ne peut pas se contenter de méditer les subtilités des règles électorales.

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Il est d’ailleurs en bonne compagnie. Peu d'États de l'Union européenne ont reçu un mandat des électeurs pour faire la guerre contre la Russie et pour voler les économies des familles européennes. Mais à Bruxelles, ils se fichent des électeurs et agissent uniquement pour rendre heureux les marchands de mort.

Erdogan, pour sa part, s'engage à renforcer le rôle de la Turquie. Et il réussit. Parfois en utilisant l'Azerbaïdjan comme bras armé ou comme instrument pour des accords économiques – des confrontations avec l'Arménie aux accords avec l'Europe pour le gaz – parfois en utilisant les jihadistes comme en Syrie, parfois en intervenant directement comme en Libye.

Une politique à large spectre, qui implique les pays turcophones d’Asie centrale et qui prévoit la plus totale ambiguïté dans les relations avec Moscou et Pékin, et même avec Tel Aviv : de grandes menaces publiques contre le boucher israélien, puis des accords économiques en sous-main.

Tout est bon pour rendre à nouveau grande la Turquie. Un slogan déjà utilisé? Oui, mais peu importe à Erdogan. Qui veut être le maître de la Méditerranée. D’ailleurs, si ses adversaires sont Tajani et Ursula von der Leyen, le match se gagne facilement.

Protestations en Turquie: Erdogan sous pression

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Protestations en Turquie: Erdogan sous pression

Source: https://report24.news/proteste-in-der-tuerkei-erdogan-unt...

Le président Recep Tayyip Erdogan a fait arrêter son plus grand rival politique, le maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu. Cela a entraîné des manifestations dans plusieurs villes. Des centaines de manifestants ont été arrêtés. La Turquie est confrontée à des troubles de masse contre le "sultan du Bosphore", dont la position s'affaiblit lentement.

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La situation en Turquie est tendue. L'arrestation du maire d'Istanbul Ekrem Imamoglu (photo) a déclenché des manifestations à l'échelle nationale, rappelant les grandes manifestations de 2013, lorsque les citoyens s'étaient soulevés contre la destruction du parc Gezi. Dans la nuit de samedi, le ministère de l'Intérieur a signalé que 343 personnes avaient été arrêtées dans plusieurs villes, dont Istanbul et Ankara. Ces mesures ont été justifiées par l'argument de la nécessité de maintenir l'ordre public. Cependant, la réalité est beaucoup plus complexe et soulève des questions sur les droits démocratiques en Turquie.

Les manifestations, qui ont commencé le 19 mars, ne sont pas seulement une réaction à l'arrestation d'Imamoglu, mais reflètent un mécontentement plus profond face à la situation politique et économique du pays. Le maire a été arrêté chez lui sous des accusations de terrorisme et de corruption, ce que beaucoup considèrent comme une action politiquement motivée. "Il y a une grande colère. Les gens sortent spontanément dans la rue. Certains jeunes sont politisés pour la première fois", a déclaré Yuksel Taskin, député du Parti républicain du peuple (CHP), considéré comme social-démocrate, à propos des développements actuels.

Imamoglu, considéré comme un rival sérieux du président Recep Tayyip Erdogan, était prévu comme candidat de son parti, le CHP, pour les prochaines élections présidentielles de 2028, qui se tiendront le 23 mars. Son arrestation pourrait être interprétée comme une tentative de réduire l'opposition politique et de renforcer le contrôle sur l'opinion publique. "Je constate aujourd'hui lors de mon interrogatoire que mes collègues et moi sommes confrontés à des accusations et à des diffamations inimaginables", a déclaré Imamoglu lors de son interrogatoire par la police.

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Les accusations portées contre lui sont graves : diriger une organisation criminelle, corruption et soutien au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), lequel est interdit. Ces accusations sont non seulement juridiquement mais aussi politiquement explosives. Elles visent à discréditer Imamoglu et ses partisans et à manipuler la perception publique. Le fait que l'Université d'Istanbul ait déclaré un jour avant son arrestation que son diplôme était invalide renforce l'impression qu'il s'agit bien d'une manœuvre politique. En Turquie, seuls les titulaires d'un diplôme universitaire peuvent se porter candidat à des fonctions politiques.

La réaction du gouvernement aux manifestations est tout aussi préoccupante. Le ministre de l'Intérieur, Ali Yerlikaya, a annoncé que des centaines de comptes sur les réseaux sociaux avaient été identifiés et que 37 utilisateurs avaient été arrêtés pour "publications provocatrices incitant à des crimes et à la haine". Cela montre que le gouvernement s'attaque non seulement aux manifestants, mais aussi à la libre expression par voie numérique. Les restrictions sur les plateformes sociales sont un autre signe de la répression croissante en Turquie.

Les manifestations ne sont pas seulement un signe de mécontentement face à l'arrestation d'Imamoglu, mais aussi un signe de la frustration généralisée face à la situation économique et sociale du pays. "Le sentiment d'être piégé dans tous les domaines – économique, social, politique et même culturel – est déjà largement répandu", a déclaré le journaliste et auteur Kemal Can. Ces sentiments sont profondément enracinés dans la population et pourraient conduire à un tournant dans le paysage politique de la Turquie.

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Le CHP, qui se situe dans la tradition laïque et kémaliste du fondateur de l'État Mustafa Kemal Atatürk, a appelé ses partisans à manifester pacifiquement et a souligné que les arrestations sont politiquement motivées. Le parti se considère comme responsable de représenter la voix des citoyens et de lutter contre les mesures répressives du gouvernement. Les événements actuels pourraient servir de coup de fouet pour de nombreux citoyens qui se sont jusqu'à présent tenus à l'écart de la politique.

La question qui se pose désormais est de savoir si ces manifestations peuvent conduire à un mouvement plus large qui transformerait fondamentalement les relations politiques en Turquie. Le gouvernement d'Erdogan, orienté vers le grand empire ottoman, composé de l'islamiste AKP et de l'islamo-nationaliste MHP, a déjà montré qu'il était prêt à réprimer toute forme d'opposition d'une main de fer. Cependant, la colère des citoyens pourrait être un facteur imprévisible qui déréglerait les calculs politiques du gouvernement.

D'un autre côté, il convient de considérer qu'Erdogan ne s'est pas fait beaucoup d'amis en Occident (notamment au sein de l'OTAN, des États-Unis et de l'UE) avec sa politique grande-ottomane et ambivalente. Un changement vers un président pro-occidental "plus fiable" comme Imamoglu pourrait jouer en faveur de l'alliance militaire transatlantique. Dans ce cas, la Turquie pourrait assumer des rôles au Moyen-Orient et dans le Caucase pour le compte des États-Unis, qui souhaitent également se concentrer davantage sur l'Asie de l'Est – la Chine et la Corée du Nord.

L'APEC et la géoéconomie à la chinoise

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L'APEC et la géoéconomie à la chinoise

Leonid Savin

Le 35ème sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC), composé de 21 pays d'Amérique du Nord, d'Amérique du Sud et d'Asie du Sud-Est, qui s'est tenu au Pérou en novembre 2024, a montré que l'équilibre des pouvoirs évoluait rapidement. On constate que les États-Unis perdent de leur influence, même s'ils tentent par divers moyens de maintenir leur hégémonie.

L'APEC elle-même est une plateforme qui correspond à la description du libéralisme classique. En fait, même si l'on lit les déclarations et les énoncés adoptés, ils peuvent s'inscrire dans le cadre des énoncés des dirigeants américains.

Par exemple, la déclaration ministérielle générale indique que « nous reconnaissons le rôle important d'un écosystème numérique favorable, ouvert, équitable, non discriminatoire, plus sûr et plus inclusif qui facilite le commerce, ainsi que l'importance d'instaurer la confiance dans l'utilisation des technologies de l'information et de la communication (TIC). Nous encourageons les pays à intensifier leurs efforts pour faire progresser la transformation numérique. Dans le cadre de l'accord avec l'AIDEN, nous travaillerons ensemble pour faciliter la circulation des données, en reconnaissant l'importance de la protection de la vie privée et des données personnelles, et en renforçant la confiance des consommateurs et des entreprises dans les transactions numériques ».

Un vrai style "Maison Blanche".

Le 16 novembre, la déclaration de Machu Picchu a été publiée, avec les signatures des dirigeants des nations participantes, y compris des puissances rivales telles que les États-Unis et la Chine.

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Le document souligne également la nécessité d'un commerce équitable, transparent et prévisible, sans discrimination, et de promouvoir l'interconnexion de la région à différents niveaux. Il a également décidé d'organiser les prochains sommets de 2025 à 2027, respectivement en Corée, en Chine et au Viêt Nam, ce qui démontre le rôle de l'Asie du Sud-Est dans les affaires de l'APEC pour les trois prochaines années.

Cependant, il y a eu des nuances. En particulier, l'initiative B3W (Build Back Better World), lancée par Joe Biden en 2021, n'a pas été mentionnée du tout dans les documents du sommet. Pourtant, ses objectifs affichés sont assez proches des documents de l'APEC.

Cela confirme une fois de plus que ce projet géoéconomique américain a lamentablement échoué, même si les représentants de la Maison Blanche et du département d'État tentent occasionnellement d'utiliser ce récit pour exercer une influence en Amérique latine et dans la région indo-pacifique.

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La Chine, en revanche, est apparue comme un leader clair et un acteur constructif. Il ne s'agissait pas seulement de la photo de famille symbolique des dirigeants des pays, avec Xi Jinping au centre du premier rang à côté de l'hôtesse du forum, Dina Boluarte, et le président américain Joe Biden modestement rangé dans les marges du deuxième rang. Le 15 novembre, les présidents péruvien et chinois ont inauguré le grand port de Chancay (photo, ci-dessous), sur la côte pacifique, à 70 kilomètres de Lima.

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La part de l'entreprise logistique chinoise COSCO Shipping dans ce projet est de 60%. En d'autres termes, la Chine détient une part de contrôle. L'investissement total s'élève à 3,4 milliards d'USD.

La capacité prévue du nouveau port est de 1 million d'EVP (équivalent vingt pieds, une mesure conventionnelle de la capacité de fret) par an à court terme et de 1,5 million d'EVP à long terme. Selon le Global Times, la construction des principales installations portuaires s'est achevée au début de l'année, avec plus de 80% du projet réalisé.

Pour la Chine, le lancement d'une nouvelle plate-forme de transport en Amérique latine peut réduire considérablement les coûts logistiques (jusqu'à 20%) et les délais de livraison (23 jours). Auparavant, les marchandises en provenance de Chine étaient expédiées vers le Mexique ou le Panama, d'où elles rejoignaient l'Amérique du Sud. Désormais, la Chine a la possibilité de livrer directement en Amérique du Sud et le Pérou devient une zone de transit supplémentaire pour les pays voisins de la région: l'Équateur, la Colombie, la Bolivie, le Chili et le Brésil, et, à travers ces pays, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay.

En plus des marchandises en provenance de Chine, le Pérou sera en mesure d'augmenter ses exportations, qui ont connu une croissance significative ces dernières années. L'année dernière, le Pérou a vendu pour 23 milliards d'USD de marchandises à la Chine, quadruplant ainsi ses revenus par rapport à 2009. Cela signifie plus de production, plus d'emplois et plus de devises pour acheter les biens dont le Pérou a besoin. Environ 90% des exportations péruviennes vers la Chine sont constituées de ressources naturelles.

Et la Chine est désormais intéressée par l'augmentation de leur volume. Il convient de noter que le Pérou et le Chili sont des leaders dans l'exploitation du cuivre. Quant à la Bolivie voisine, elle possède d'importantes réserves de lithium.

Globalement, la catégorie des principaux produits exportés du Pérou vers la Chine comprend les scories et les cendres de minerai (19,8 milliards de dollars), le cuivre (1,18 milliard de dollars), les résidus, les déchets de l'industrie alimentaire, les fourrages (733 millions de dollars), les fruits comestibles, les noix, les écorces d'agrumes, les melons (282,3 millions de dollars), les poissons, les crustacés, les mollusques, les invertébrés aquatiques (336,9 millions de dollars), combustibles minéraux, huiles, produits de distillation (258,8 millions de dollars) - tels sont les chiffres à l'horizon 2023.

De toute évidence, une telle avancée de l'initiative chinoise Belt and Road va à l'encontre du désir de Washington de mener sa propre politique et de dire aux pays d'Amérique latine avec qui commercer. C'est pourquoi ils ont immédiatement commencé à critiquer le projet sur le terrain.

Laura Richardson, un général à la retraite qui a récemment dirigé le commandement sud des États-Unis, s'est inquiétée du fait que le port pourrait être utilisé pour amarrer des navires de guerre chinois. Mme Richardson s'est également opposée à la proposition de construire un port chinois dans le sud de l'Argentine.

Foreign Policy cite également des analystes péruviens anonymes qui affirment que le port soulève des préoccupations plus sérieuses que la concurrence des grandes puissances. La construction des routes et des voies ferrées nécessaires à l'acheminement des marchandises vers le port aurait pris du retard.

Cela dit, il est évident que ces problèmes peuvent être résolus et que la Chine, en collaboration avec le Pérou, s'y attaquera. En outre, le port lui-même, en tant que nouvelle plaque tournante, servira d'exemple pour les autres pays, qui pourront voir ce que la Chine peut faire et le comparer à ce que font les États-Unis.

Ce qui est intéressant, c'est que la Chine utilise une approche purement géoéconomique, que les États-Unis eux-mêmes ont déjà promue par le passé. Cette approche n'a rien à voir avec l'idéologie et le « hard power », qui sont plutôt pratiqués par Washington. L'approche de Pékin est pragmatique et ne pose aucune exigence politique supplémentaire, ce qui la rend plus attrayante que celle des États-Unis.

Article original de Leonid Savin :

https://orientalreview.su/2025/02/21/apec-and-chinese-sty...

mardi, 25 mars 2025

Le rôle de l'Allemagne: de puissance économique à puissance militaire?

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Le rôle de l'Allemagne: de puissance économique à puissance militaire?

Elena Fritz

Source: https://www.pi-news.net/2025/03/deutschlands-rolle-von-de...

L'Allemagne doit devenir la pointe de lance militaire de l'Europe

Le Bundestag a brisé le frein institutionnel qui empêchait tout endettement – une modification constitutionnelle qui ouvre la voie à un fonds de 500 milliards d'euros. Objectif officiel : investissements dans la défense et les infrastructures. Mais ceux qui lisent entre les lignes reconnaissent le véritable plan : l'Allemagne doit devenir la pointe de lance militaire de l'Europe. À une époque où l'UE se voit comme le dernier bastion du modèle hégémonique américain et où Donald Trump pourrait couper les liens transatlantiques, Berlin mise sur l'armement plutôt que sur la diplomatie. Est-ce le début d'une nouvelle guerre froide – ou la préparation à une confrontation directe ?

Les avertissements concernant une guerre entre la Russie et l'UE ne sont pas nouveaux – mais depuis la victoire de Trump, les spéculations s'intensifient. L'homme de la Maison Blanche n'a que peu d'envie de jouer le garant de la sécurité de l'Europe. Bruxelles réagit en paniquant: l'UE doit devenir l'“Arche de Noé” de l'ancien ordre mondial – avec la puissance militaire, le pouvoir des entreprises et la “soft power” comme armes. Pourtant, la réalité est décevante: sans la puissance industrielle des États-Unis, cela reste un tigre en papier. Si même les mises en oeuvre nécessitent vingt ans de discussions, combien de temps faudra-t-il pour créer une armée européenne? La réponse tombe sans appel: trop longtemps pour dissuader la Russie.

Le Grand Jeu : La Russie, les États-Unis et la peur de l'effondrement de l'UE

Une rapprochement entre Moscou et Washington serait le cauchemar des élites de l'UE. Sans la menace russe comme ciment, des pays comme la Hongrie, l'Italie ou même l'Allemagne pourraient suivre à nouveau leurs propres voies – notamment dans le secteur de l'énergie. Déjà, la dépendance à l'égard du gaz russe est un secret de polichinelle, néanmoins les sanctions se poursuivent. Un jeu perfide : hostilité à l'extérieur, affaires à l'intérieur. Mais si Trump redistribue les cartes, cet équilibre fragile pourrait basculer – et plonger l'UE dans le chaos et la division.

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Avec le fonds de 500 milliards, l'Allemagne montre les dents. Le message est clair : nous ne laisserons plus les États-Unis nous mener à la baguette et ne serons plus freinés par Bruxelles. Mais les coûts de ce réarmement sont astronomiques – alors que la souveraineté s'amenuise. Car une puissance militaire européenne signifie moins de contrôle par le niveau national, plus de dépendance envers la bureaucratie dysfonctionnelle de l'UE. L'industrie allemande est peut-être riche, mais sans unité avec la France ou la Pologne, cela demeure un rêve coûteux. Et qui paiera à la fin ? Le contribuable – tandis que le danger d'une escalade militaire grandira.

Pour la Russie, la réarmement de l'Europe est une provocation. L'opération militaire en Ukraine devait mettre l'Occident en difficulté stratégique – au lieu de cela, le Kremlin voit maintenant une UE qui s'arme. Les 500 milliards de l'Allemagne sont un signal clair: l'Occident ne mise pas sur la détente, mais sur la confrontation. Moscou va réagir – avec une pression militaire, des manœuvres diplomatiques et la patience d'une grande puissance qui sait que le temps est souvent le meilleur allié. Les prochaines années pourraient amener l'Europe au bord du gouffre.

Conclusion: réarmement ou diplomatie ?

L'Allemagne entre dans l'arène des puissances militaires – mais à quel prix ? Le fonds est une montagne de dettes qui étrangle tous les élans potentiels de la jeunesse, tandis que l'UE instrumentalise ses citoyens pour des jeux de pouvoir géopolitiques. Au lieu de paix et de souveraineté, nous risquons la guerre et la dépendance. Mais il existe une alternative : la diplomatie.

Une Europe qui mise sur le dialogue plutôt que sur l'escalade pourrait créer une nouvelle architecture de sécurité – indépendamment de Washington, mais aussi sans confrontations inutiles avec Moscou. Le rôle de l'Allemagne en tant que moteur économique de l'Europe pourrait être utilisé pour ouvrir des espaces de négociation, plutôt que de tracer de nouvelles lignes de front. Pourtant, cette possibilité est à peine prise au sérieux à Berlin. Au lieu de cela, nous nous dirigeons vers un avenir où la militarisation et la vanité géopolitique pourraient plonger le continent dans le chaos.

La question est dès lors la suivante : voulons-nous vraiment des canons au lieu de beurre ? Ou n'est-ce pas le moment de concevoir une véritable politique de paix européenne – au-delà des jeux de pouvoir géopolitiques et sans loyauté de vassal envers Washington ou Bruxelles ? La réponse ne se trouve pas chez les bureaucrates, mais en nous.

La fin de la démocratie en Europe et la nouvelle forme de coercition

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La fin de la démocratie en Europe et la nouvelle forme de coercition

par Andrea Zhok

Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/30106-andr...

Avec le vote du Parlement européen en faveur du plan de réarmement (419 OUI, 204 NON, 46 abstentions), je pense que nous pouvons dire que, symboliquement, à partir d'aujourd'hui, la démocratie en Europe a disparu ; déjà flétrie depuis un bon bout de temps, nous constatons amèrement, aujourd'hui, que les pétales secs sont tombés.

Elle n'a pas été remplacée, comme beaucoup le craignaient, par une dictature.

L'histoire prend toujours des formes différentes et surprenantes.

Non, cette fois, la démocratie a été submergée par la conquête, de l'intérieur, des institutions et des médias par l'oligarchie financière et ses bailleurs de fonds.

La manœuvre de contournement est désormais achevée.

Les canaux permettant à la population de s'exprimer de manière politiquement significative ont tous été fermés ou neutralisés. Cela s'est fait en partie en modifiant les lois électorales, en partie en rendant le processus démocratique contestable uniquement par ceux qui disposaient de fonds importants, en partie en occupant le système médiatique à tous les niveaux (et en expulsant ceux qui ne se pliaient pas aux ukases), et en partie en supprimant la nature de tiers que revêtait le système judiciaire, qui est désormais largement politisé.

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Les coups peuvent maintenant se succéder de manière de plus en plus violente et effrontée. Contourner les débats parlementaires par des décrets est déjà et sera de plus en plus la nouvelle norme. Tout comme le fait d'empêcher les personnes extérieures de participer au débat public d'abord, aux processus électoraux ensuite.

Qu'elle ait été planifiée de la manière dont elle s'est réellement déroulée ou qu'elle se soit simplement produite, l'affaire de la pandémie a représenté de facto la répétition générale de la militarisation de la société et de l'information : une sorte de loi martiale sans guerre.

Ce tournant avait été précédé de nombreuses étapes intermédiaires, de nombreuses plaintes sur l'inefficacité du rythme lent de la politique, des rituels de la démocratie.

Puis, depuis 2022, la guerre russo-ukrainienne est devenue l'occasion de planter les derniers clous dans le cercueil de la démocratie.

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Désormais, il faut s'attendre à ce que les étapes soient de plus en plus rapides.

Entre la grande expropriation des ressources publiques de la crise des subprimes (2008-2011) et la grande expropriation des ressources publiques de la crise du Cov id (2020-2022), une dizaine d'années se sont écoulées. Aujourd'hui, et ce n'est que trois ans plus tard, nous passons à une troisième expropriation colossale au nom de l'urgence guerrière.

Le résultat de ce glissement est transparent et très clair.

Des piliers sociaux fondamentaux comme le système de santé et le système des pensions seront écrasés.

Pour parer le coup, une grande partie de l'épargne privée restante sera drainée des citoyens vers des actifs autres (assurances privées, pensions privées, etc.).

L'immobilier privé, là où, comme en Italie, il est encore important, deviendra d'abord le collatéral nécessaire à la mise en place des financements indispensables pour répondre aux besoins incontournables (santé, études des enfants, survie hors de la sphère productive).

La dernière étape sera bien sûr la soustraction même des biens immobiliers, qui deviendront au contraire le collatéral pour le déboursement de prêts rémunérés par les groupes financiers.

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À la fin du processus, les citoyens endettés de diverses manières seront en fait enchaînés, même s'ils sont formellement libres : conditionnés et soumis au chantage à chaque étape. Fin du processus? Jamais!

L'endettement économique irréversible sera la nouvelle forme de coercition. Il ne s'agit plus des modèles désuets de soumission violente, d'esclavage, mais d'un système propre, contractuellement sans exception, et pourtant bien plus rigoureux et détaillé que toute relation serviteur-maître du passé.

Qu'il soit alors décidé d'envoyer les débiteurs/coupables (Schuld) pour être la chair fraîche de la guerre ou le rouage à vie d'une multinationale, ce seront des détails.

C'est l'avenir qui frappe à la porte, et les espaces où il est encore possible de réagir - s'il y en a encore - se referment rapidement.

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Platon, Aristote et le destin de la civilisation occidentale

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Platon, Aristote et le destin de la civilisation occidentale

Le libéralisme et le communisme sont tous deux des produits de la tradition anti-platonique. Pour restaurer la civilisation, nous devons revenir aux fondations métaphysiques de Platon et d'Aristote.

Alexander Douguine

Platon est pour la civilisation russe et également pour la civilisation traditionnelle de l'Occident aussi important que les Upanishads pour l'Inde ou Confucius pour la Chine. La théologie chrétienne est basée sur Platon. Sans lui, sans ses théories, ses termes, sa langue, rien n'est compréhensible dans notre héritage.

D'ailleurs, la philosophie islamique, le soufisme (en terres arabes et ailleurs) et la doctrine chiite (avant tout le chiisme rouge) sont également construits sur Platon. Certains étaient appelés péripatéticiens, mais en réalité, ils reposaient sur le néoplatonisme. Platon est central dans la tradition intellectuelle islamique à ses apogées.

La Kabbale juive n'est rien d'autre qu'une doctrine néoplatonique introduite au Moyen Âge dans la religion juive. Scholem soutient qu'elle était étrangère au judaïsme traditionnel précédent, où presque aucune trace de la théorie des émanations n'est trouvée, sauf pour quelques groupes mystiques (peut-être influencés plus tôt).

Platon est le fondement métaphysique de notre civilisation. Mais cela ne signifie pas qu'Aristote doit être abandonné. Proclus, Simplicius et d'autres néoplatonistes ont inclus Aristote dans le contexte platonicien. La lecture correcte d'Aristote est celle d'Alexandre d'Aphrodise et de Brentano.

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Ainsi, Aristote est le deuxième pilier le plus important de notre héritage intellectuel. En perdant une connaissance et une compréhension profondes de ces deux hautes figures, nous nous coupons des racines de notre identité en tant que civilisation. Rien dans la philosophie, la religion et la vie elle-même ne peut être compris correctement sans ces deux phares de la pensée.

Nous n'avons aucune idée des éléments qui seraient purement sémitiques dans nos religions monothéistes - dans toutes les trois. Le sémitisme a déjà été profondément retravaillé par l'hellénisme (où le platonisme et Aristote ont joué un rôle crucial). Tout l'esprit sémitique que nous connaissons aujourd'hui est une version hellénisée de celui-ci.

La modernité et le déclin de l'Occident ont commencé avec l'abandon de Platon et d'Aristote et de leur héritage. C'est là que Démocrite est réapparu. L'atomisme et l'externalisme, aussi connu sous le nom de matérialisme, étaient des hérésies philosophiques grecques ressuscitées du passé présocratique.

La modernité est anti-platonicienne et anti-aristotélicienne. Mais pro-Démocrite. Démocrite est la racine commune du communisme et du libéralisme. Ainsi, l'alternative au communisme et au libéralisme ne peut être que le retour à Platon et à Aristote. C'est pourquoi le platonisme politique est si important.

La Grande-Bretagne est un morceau de l'Occident profondément empoisonné, toxique et en décomposition. C'est un démon mourant. Déjà sénile et faible mais toujours vindicatif, agressif, violent, stupide et ensauvagé, comme le sont habituellement les vieilles personnes de mauvais aloi.

Le nouveau 1776 est la seule solution. Pour les États-Unis, je veux dire.

Le Royaume-Uni essaie d'entraîner MAGA dans l'abîme. Je ne leur ferais pas confiance.

La pandémie teslaphobe est une invention typique du MI6, mise en œuvre par Soros et ses réseaux.

La modernité et le déclin de l'Occident ont commencé avec l'abandon de Platon et d'Aristote et de leur héritage. C'est là que Démocrite est réapparu. L'atomisme et l'externalisme, aussi connu sous le nom de matérialisme, étaient des hérésies philosophiques grecques ressuscitées du passé présocratique.

L'externalisme est l'approche qui nous domine lorsque nous convenons que la réalité est placée à l'extérieur de la conscience et non à l'intérieur. Platon et Aristote (ce dernier s'il est correctement interprété) ont supposé que la réalité est interne. Ce qui est purement "externe" n'est que matière dépourvue de toute qualité et donc elle égale à rien.

La modernité a commencé avec le nominalisme niant l'internalisme et affirmant l'externalisme. C'est pourquoi la modernité est totalement erronée. Incurable.

L'Etat vrai et la politique organique selon Othmar Spann - Rétrospective et essai de réactualisation

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L'Etat vrai et la politique organique selon Othmar Spann - Rétrospective et essai de réactualisation

Entretien avec Robert Steuckers

Entretien paru préalablement dans le n°16 (janvier 2025) de la revue Les Ecrits de Rome (Laval, France), dirigée par Louis Marguet et Louis Furiet (contact: ecritsderome@gmail.com)

Sociologue et philosophe, Othmar Spann fut l’une des principales figures de ladite « révolution conservatrice » en Autriche. Pourriez-vous d’abord rappeler la nature de cette nébuleuse ? À quel courant Spann appartenait-il en son sein ?

S’il fallait résumer en quelques mots la nature de la nébuleuse que fut (et reste) la « révolution conservatrice » dans les pays germanophones, je dirai qu’elle constitue un ensemble, assez varié, de réactions philosophiques et politiques qui entendaient rejeter tous les linéaments du libéralisme occidental, revenir à l’équilibre diplomatique de l’ère bismarckienne (avec de bons rapports avec la Russie) et à l’efficacité de l’Obrigkeitsstaat (la forme d’Etat démocratique et parlementaire mais assortie de pouvoirs régaliens forts, que l’on qualifierait d’illibéral aujourd’hui). A cela s’ajoute, l’expérience traumatisante de la première guerre mondiale et surtout de la défaite et de la disparition imposée de cet Obrikeitsstaat qui avait sorti l’Allemagne, au 19ème siècle, de la misère impolitique où elle avait longtemps végété.

Il ne faut pas oublier que l’Allemagne est un pays bi-confessionnel, catholique et protestant-luthérien : Spann, dans ce contexte, est catholique et entend donc penser un système politique, économique et social qui correspond à l’idéal communautaire des traditions catholiques, souvent rurales. Son influence s’exercera principalement sur les réseaux jungkonservativ, selon la classification d’Armin Mohler, bien que l’impact de son oeuvre, rigoureuse, puisse se repérer bien au-delà des catégories habituelles où l’on range les auteurs appartenant au filon RC.

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Spann décrivait l’État comme un tout « organique », auquel il appliquait le célèbre principe aristotélicien, repris par Thomas d’Aquin, selon lequel totum ante partes, le tout précède les parties. Peut-on dire que la sociologie de Spann s’appuyait au fond sur une philosophie aristotélico-thomiste ? Et si oui, pourquoi le choix d’une telle philosophie ?

Bien sûr, Spann pose son œuvre comme une réponse solide à la modernité, qui a commencé à la Renaissance et a culminé avec la Révolution française. Il choisit une terminologie particulière, qui déroute un peu le lecteur d’aujourd’hui, en opposant la pensée politique individualiste (qu’il entend combattre) à la pensée politique universaliste (qu’il veut promouvoir, entendant par « universalisme » la définition qu’en fit Aristote).

L’individualisme selon Spann est donc ce que la plupart des autres critiques de la modernité appellent le libéralisme, tant dans sa version classique/modérée que dans sa version gauchiste (selon l’usage anglo-saxon du terme « liberal »). L’individualisme selon Spann à des racines profondes remontant à la Renaissance, moment historique où l’homme se détache et se libère de tous les liens sociaux qui existaient au moyen-âge, époque des guildes et des corporations, des ordres de chevalerie et des ordres monacaux, sous le baldaquin théologico-philosophique qu’était la scolastique (c’est-à-dire la pensée d’Aristote revue et christianisée par Saint Thomas d’Aquin). Il déplore la destruction de l’esprit médiéval et surtout des liens corporatifs qui équilibraient les sociétés européennes.

En même temps, il constate l’irruption de la dissolution individualiste dans la sphère politique, laquelle dissolution se repère chez Hobbes (où l’Etat n’assure qu’une simple protection, finalement très théorique), dans le volontarisme qui entend dépasser par la volonté tout ce qui s’oppose à l’individu, dans le culte du génie qui se suffit à lui-même et débouche sur une forme de titanisme, dans le mythe de Robinson Crusoé qui fait miroiter l’idéal d’une autonomie totale, sans société, comme le voudra, quelques siècles plus tard, Margaret Thatcher (« There is no society »).  

Le néolibéralisme, qui triomphe de nos jours est l’exact contraire de la société néo-médiévale espérée par Spann. Celui-ci, catholique, croit en une réalité suprasensible, métaphysique et spirituelle, existant séparément de la réalité matérielle et hissée au-dessus de cette dernière, le matériel n’étant que le reflet imparfait de cette réalité suprasensible (il y a beaucoup de platonisme chez Spann !). L’Etat vrai, en ce sens, doit être conforme aux lois divines. Telle est bien la raison fondamentale qui a poussé Spann à reprendre et à actualiser le corpus médiéval scolastico-thomiste.

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Othmar Spann est aussi connu pour sa réflexion sur l’ « État vrai », qu’il opposait aux abstractions individualistes des Modernes reposant notamment sur les théories de l’ « état de nature » et du « contrat social ». Qu’entendait-il par cette expression d’« État vrai » ?

L’Etat vrai de Spann dérive de sa définition de la société, laquelle, pour lui, est un tout dont les parties ne sont pas à proprement parler « autonomes et indépendantes » mais sont, en une certaine façon, les organes d’un Tout. Les parties existent parce qu’elles sont nécessaires à la totalité/à l’holicité (Ganzheit). L’Etat vrai, pour faire simple, doit donc promouvoir, protéger, renforcer les liens entre ces organes et faire éclore les potentialités de cette unité organique, vivante et dynamique.

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Il n’y a donc plus d’  « Etat vrai » selon Spann : il s’agit de le reconstituer en évinçant les formes d’individualisme qui ont sapé l’Etat vrai antérieur, médiéval et corporatif. Ces formes d’individualisme sont l’anarchisme (dont les effets négatifs sont évidents), le machiavélisme (qui utilise la société à des fins triviales, pour satisfaire des ambitions ou des fringales de pouvoir déséquilibrantes), l’idéologie du « droit naturel » et du contrat (jusnaturalisme). Cette dernière idéologie a introduit dans l’histoire européenne 1) l’absolutisme éclairé où les parties délèguent leur pouvoir à un monarque (légitime ou non) et 2) la démocratie libérale, où les parties délèguent leur pouvoir à des mandataires. L’illusion de la « liberté individuelle », sans plus aucun lien social/communautaire, conduit à l’instauration d’un « Etat faux », qui est minimal, réduit à une association vaguement protectrice (protection qui, aujourd’hui, 74 ans après la mort de Spann, s’avère totalement illusoire), avec un droit qui n’autorise qu’un minimum de limitations à la liberté, ce qui permet, notamment aux sphères économiques, usurocratiques et autres, de dresser des factures léonines et contraignantes, acceptées par les tribunaux au nom de contrats qui ne tiennent jamais compte du principe « res sic stantibus », de se livrer à des captations de rente, etc.

L’irruption permanente de ferments de l’individualisme dans la chose politique détache celle-ci du réel, reflet des lois divines, lesquelles lois impliquent la Ganzheit, l’holicité, des sociétés. Si cette holicité de facture divine est absente, donc si l’Etat n’est pas « vrai »,  nous débouchons sur « un monde asocial d’atomes mus par leurs seules pulsions, sans responsabilité et sans liens enracinés (Spann parle plus spécifiquement de Rückbindung).

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D’autres dangers guettent la « véracité de la chose politique fondée sur les lois divines » : un mauvais usage de la notion d’holicité ou de communauté fait que l’on voit, dans tout « Etat faux », émerger des totalités partielles - les catholiques, les protestants, les végétariens, les ouvriers (au sens marxiste du terme), les animalistes, les espérantistes, etc.- qui bétonnent un éparpillement démesuré. L’ « Etat vrai » postule un principe d’intégration qui hiérarchise les valeurs et les priorités, avec, pour objectif, la stabilité sociale, l’harmonie, la justice-équité : les communautés ou Stände (états) peuvent regrouper les travailleurs manuels, les travailleurs hautement qualifiés, les gérants efficaces de l’économie vraie, les fonctionnaires indispensables, les militaires, les dignitaires de l’église, les enseignants (avec un Stand particulier pour ce que Spann appelle les « enseignants créatifs », correspondant peu ou prou aux philosophoi de la pensée platonicienne). Dans un tel « Tout », chacun doit pouvoir réaliser le meilleur de lui-même.

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L’élite d’un tel « Etat vrai » doit être « staatsgestaltend », soit « façonneuse d’Etatité », donner forme en permanence à la chose politique, ce qui fait de la notion spannienne de l’Etat vrai une notion dynamique et non statique (comme on le lui a parfois reproché, à tort). Autre aspect intéressant de la vision de l’Etat vrai chez Spann : la définition de l’économie qui doit être un moyen et non une fin, ein Mittel für Ziele, un moyen pour atteindre des objectifs définis avec clarté, constance et précision. Il n’y a donc pas de primat de l’économie dans l’Etat vrai. Une telle primauté est indice d’Etat faux. Spann demande à faire barrage au tout-économique (comme le fera aussi Carl Schmitt) et à refuser l’ « économicisation de la vie » (ce qui équivaut au slogan « ni capitalisme ni marxisme »). Spann est donc plus actuel que jamais car il refuse anticipativement ce à quoi nous assistons aujourd’hui où plus aucun frein n’est posé au tout-économique. Celui-ci ne vise aucun but sublime, idéal, ne cherche pas à promouvoir de « hautes valeurs », ne constitue jamais un plus d’ordre axiologique tel la stabilité sociale (on le voit du thatchérisme au macronisme, et aussi avec les outrances du gauchisme écolo dans l’Allemagne de Merkel à Scholz et Baerbock). Le tout-économique ne recherche que des profits sectoriels voire individuels à court terme. L’Etat faux où règne le tout-économique et où s’impose l’ « économicisation de la vie » ne connait pas la planification à long terme donc déstabilise dangereusement la chose politique.

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Sa pensée de l’« État vrai » le conduisit logiquement à prôner un État autoritaire de type corporatiste. Comment vit-il le régime corporatif fondé par le chancelier Dollfuss (photo, ci-dessus) en 1934 ? Peut-on dire que ce dernier a été influencé par la pensée de Spann ?

Il prônait certes un Etat autoritaire et corporatiste dans une Autriche mutilée après le Traité du Trianon, coupée qu’elle était des ressources agricoles de la Hongrie et de la Croatie et des atouts industriels de la Bohème. Il a appuyé la Heimwehr, le mouvement qui entendait soutenir le petit Etat autrichien résiduaire, au départ en s’appuyant résolument sur les nationaux-socialistes, en bout de course en cherchant un compromis avec le pouvoir en place à Vienne. Explorer les vicissitudes historiques de l’Autriche de l’entre-deux-guerres dépasserait le cadre de ce modeste entretien. On peut dire que Spann, et son principal disciple Walter Heinrich, ont animé quantité de manifestations liées au mouvement Heimwehr, avant et après leur rupture avec le national-socialisme.

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En revanche, ses théories ont inspiré bon nombre de penseurs catholiques italiens, lié au fascisme, dont Carlo Costamagna (photo). De plus, l’influence directe de Spann sur un Etat européen est dûment attestée dans la Slovaquie de Monseigneur Tiso, où un disciple local de Spann, Stefan Polakovic, a exercé une influence directe sur le fonctionnement du pays, au cours de ses six petites années d’existence. En France, les cercles de Spann ont exercé une influence directe sur certains autonomistes alsaciens, dont Hermann Bichler. Une étude plus approfondie du contexte centre-européen et du catholicisme allemand permettrait de répondre de manière plus exhaustive à votre question. Il faudra s’y atteler car il est impossible de comprendre une pensée, en n’étudiant qu’elle seule et en ignorant la complexité de son contexte.

Enfin, les nationaux-socialistes, après avoir cherché un temps à la récupérer, comprirent rapidement que la pensée du philosophe autrichien était incompatible avec la leur. Ce dernier fut arrêté le jour même de l’Anschluss. Qu’est-ce qui, dans sa pensée politique, rebutait le plus les intellectuels du NSDAP : sa dimension spiritualiste – inconciliable avec le racisme biologique –, ou sa vision même de l’État, qui différait de la conception totalitaire des dirigeants nazis ?

Ne nous livrons pas à ces manichéismes imbéciles qui marquent certaines écoles historiques francophones qui traitent de l’Allemagne, de l’Europe centrale ou des mouvements quiritaires européens, en montrant une fascination inversée pour le nazisme et en voulant tout ramener à lui, en commettant quantité d’anachronismes. Ainsi, ce qui leur plait est absous de toute compromission avec le nazisme, ce qui leur déplait est nazifié à outrance. Triste mentalité. Spann, pour parler vrai, a coopéré étroitement avec les nationaux-socialistes à partir de 1928-1929, soutenant notamment une association fondée par Alfred Rosenberg, Die Nationalsozialistischen Gesellschaft für die deutsche Kultur, dont il sera exclu en 1931 (sans doute à cause de l’anticatholicisme de Rosenberg). Il a animé les cercles du Hakenkreuzlertum à l’Univerité de Vienne et organisé des stages de formation pour les cadres NS en Autriche. Il voyait le NS comme un mouvement (qui n’était alors nulle part au pouvoir) dont la dynamique aurait été capable de faire advenir l’Etat corporatif, soit l’Etat vrai de ses vœux. La rupture viendra immédiatement après la dissolution du mouvement NS autrichien, suite à des violences démesurées et à l’attentat qui coûta la vie au Chancelier Dollfus. Spann ne pouvait plus travailler en Autriche en se réclamant ouvertement de la NSDAP allemande. Par ailleurs, des maximalistes, en Allemagne, se mirent à traquer les intellectuels catholiques au sein des instances du parti. Carl Schmitt en fit les frais en 1936. Spann a critiqué les conceptions raciales du national-socialisme à partir de 1934, selon des modalités que l’on retrouve chez d’autres auteurs tels Ludwig-Ferdinand Clauss et Julius Evola. L’homme est, pour ces auteurs, un être spirituel avant d’être un être simplement biologique, mais cette spiritualité intrinsèque doit être en harmonie avec une forme somatique chaque fois particulière (nordique chez les uns, bédouine chez le Clauss qui étudie les tribus du désert du Néguev, etc.). Chaque spiritualité a sa forme somatique particulière.

Bibliographie :