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mardi, 24 janvier 2012

Le Concordia : naufrage d’une société...

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Le Concordia : naufrage d’une société...

Par Claude Bourrinet

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On se souvient du naufrage du Joola, au Sénégal, le 26 septembre 2002. Cette catastrophe fit 1953 morts, et, comme d'autres désastres maritimes, notamment en Asie du Sud-Est, fut considéré comme un symbole de la misère et de l'infortune des pays sous développés.

La navigation, le pilotage de bateaux, les hommes d'équipage et la figure du capitaine, furent de tout temps, en Occident, les ingrédients métaphoriques du politique, de l'Etat, du gouvernement des hommes. Dans notre âge des masses et des transports mondialisés, l’image a pris une valeur emblématique encore plus prégnante, débordant le domaine du pouvoir. La tragédie du Titanic, déjà, en 1912, anticipait les propos de Paul Valéry sur la caducité des civilisations. Réputé insubmersible, comme la Belle époque, si confiante dans le progrès scientifique et technique, le paquebot avait sombré rapidement, surprenant un monde si afféré à ses plaisirs. On n’avait pas, non plus, manqué de dénoncer l’inorganisation du sauvetage, l’incompétence de certains officiers, et surtout l’injustice qui prévalut à la sélection des personnes à sauver. La troisième classe, celle des émigrés pauvres qui lorgnaient vers l’utopie américaine, fut sacrifiée au profit des classes supérieures. Bien plus, l’orchestre jouant une dernière valse avant le dénouement fatal symbolisait une Europe brillante qui allait s’abîmer dans la grande tuerie de 14, la fleur au fusil.

Le destin du Concordia, à moitié coulé un vendredi 13, date de la dégradation du triple A de certains pays, au large de l’île de Giglio, en Toscane, n’est pas sans présenter non plus une image de ce qu’est la société contemporaine. Comme pour le Titanic, comme si l’Histoire se mettait à bégayer, l’état d’impréparation, le manque d’organisation, l’incompétence des hommes d’équipage, immigrés sous payés venant des quatre coins du monde, le temps fort long mis pour prendre des décisions, le mensonge qui consistait, comme pour le Titanic, à faire croire à un exercice, étaient des paramètres aggravants. Sans compter la fuite du capitaine, dédaigneux de l’honneur des marins, qui enjoint de couler avec son navire ! La prétention d’une époque qui envoie des hommes dans l’espace et s’attaque à l’infiniment petit empêchait d’imaginer qu’un tel monstre marin pût être si fragile. Bien sûr, le nombre de morts n’égale pas celui du Joola ou du Titanic : le navire a eu la chance de s’échouer à quelques mètres du rivage. Et pour cause ! Car les circonstances mêmes du drame sont emblématiques. Il semblerait que le désir de se plier à une tradition, somme toute récente, celle de la révérence, de l’ « inchino », qui consiste à passer au plus près du village de Grosseto toutes sirènes hurlantes et tout feux allumés, ait été pour beaucoup dans la catastrophe.

Car nous sommes dans un scénario que l’on pourrait appeler postmoderne. L’époque est à l’hyper démocratisation, à l’utopie bas de gamme, au rêve low cost, au paradis de masse. Le monstre peut contenir 5000 passagers, un village important, une petite ville. Comme la prolifération des charters, des parcs d’attraction, des spectacles énormes à Bercy ou ailleurs, il correspond à la demande d’une société où la grosse classe moyenne s’est presque universalisée. On veut du luxe, de l’amusement pour une somme relativement modique. La société du spectacle populaire a colonisé la terre et la mer.

Est-ce un hasard si un naufrage pareil, aussi grotesque (n’étaient les quelques morts) a lieu exactement au moment où le système mondialisé de la consommation de masse s’effondre et annonce la fin d’un univers de pacotille et de fausseté marchande ? Les dieux ne se montrent pas, mais font signe…

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