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vendredi, 04 mai 2012

Sarkozy ou la diplomatie de l'éléphant / Interview du journaliste Gilles Delafon par Pascal Boniface

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Sarkozy ou la diplomatie de l'éléphant

Interview du journaliste Gilles Delafon par Pascal Boniface

Révélatrice des lacunes des différents prétendants ou d'une appréciation insignifiante de son importance, l'action diplomatique est la dernière roue du carrosse dans cette campagne présidentielle. Le paradoxe est d'autant plus surprenant que notre pays est engagé militairement comme jamais sur les théâtres extérieurs (Afghanistan, Libye, Côte d'Ivoire) et de façon  diplomatique mais ostentatoire (n'excluant pas l'action de terrain) dans différentes autres zones chaudes (Liban, Tunisie, Syrie, Iran, Palestine, Mali-Niger). Politique arabe, défense des droits de l'homme, préservation d'intérêts économiques, lutte contre le terrorisme, sauvegarde du fait israélien, suivisme américain sont autant de lièvres qui paraissent poursuivis... 

 
Mais y a-t-il un plan de chasse et une logique entre les acteurs:  les politiques (Kouchner, Juppé) et les conseillers néo-conservateurs type Levitte , BHL ou Yves Roucaute (ancien dirigeant de l’UNEF et de l’Union des étudiants communistes devenu président du conseil scientifique de l’Institut National des Hautes Etudes de Justice et de Sécurité et conseiller privilégiés de Claude Guéant). Oui, Nicolas Sarkozy. Comment? C'est ce que révèle l'entretien mené, sur le site de l'IRIS, par Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques, avec Gilles Delafon, à l'occasion de la sortie de son ouvrage, "Le règne du mépris" aux éditions du Toucan.
Flavia Labau
 

Pascal Boniface et Gilles Delafon
 
"Pascal Boniface: A propos de Nicolas Sarkozy vous évoquez à la fois « sa vision à courte vue des enjeux stratégiques, sa religion du tout médiatique » mais vous reconnaissez son « surprenant sens politique et son volontarisme énergique ». Qu’est-ce qui l’emporte et quelle politique étrangère cela produit ?
 
Gilles Delafon : Tout le monde le reconnaît, son volontarisme et son énergie ont souvent donné l’impulsion nécessaire à une vraie mobilisation, de l’Union européenne ou de la communauté internationale. Mais cela ne suffit pas à constituer une vraie stratégie diplomatique. Définir une politique, c’est d’abord tracer un objectif à long terme, évaluer les moyens nécessaires pour l’atteindre, tisser des alliances, mesurer les chances de succès et appréhender les différentes conséquences. 
 
Or là, comme le dit fort justement un diplomate que j’ai interviewé « Nicolas Sarkozy est un homme de réflexes, pas de réflexions ». Cela donne une politique de « coups », montés dans l’instant, à la va vite, sans tenir compte du passé et en se fichant de l’avenir. Cela produit une politique étrangère sans réelle cohérence, dont le but premier est d’agir sur l’émotion de l’électeur pour exister et engranger des gains électoraux. 
 
Pascal Boniface : Vous parlez d’un « pacte faustien » que Kouchner aurait agréé en acceptant le Quai d’Orsay en 2007.
 
Gilles Delafon : Dépité par le mépris des socialistes à son égard, Kouchner a cédé son insolente popularité pour les seuls ors et lambris du ministère dont il rêvait. Il savait pertinemment que la politique étrangère de la France serait dirigée depuis l’Elysée, par le secrétaire général Claude Guéant et par le conseiller diplomatique Jean-David Lévitte. Mais son orgueil l’a emporté sur ses préventions. Du coup, du rôle de ministre il n’aura eu que l’illusion. Il a passé son temps à avaler des couleuvres en découvrant des actions qui se faisaient sans lui. Et il a fait payer cash à ses collaborateurs ses humiliations et ses frustrations, avant de sortir par la petite porte.
 
Pascal Boniface : Selon vous Nicolas Sarkozy a assujetti la politique étrangère aux faits divers pour adopter une « diplomatie de l’émotion ».
 
Gilles Delafon : Nicolas Sarkozy n’avait aucune vision du monde à son arrivée à l’Elysée, mais une parfaite connaissance de la société qui l’a élu. Tout à son obsession d’agir, il a alors assujetti la politique étrangère aux exigences du fait divers. Le cas de Florence Cassez en est le criant exemple. Il a reçu ses parents une dizaine de fois alors que certains ambassadeurs étrangers n’ont pas eu le loisir d’une simple audience. Les décisions n’étaient plus dictées que par l’émotion et la télévision. C’est ce que j’appelle la « Star’Ac diplomatie », qui voit les intérêts stratégiques du pays sacrifiés sur l’autel d’une compassion sans résultats. La meilleure preuve de l’indigence de cette « diplomatie de l’émotion » c’est qu’il l’a abandonné depuis. 
 
Pascal Boniface : Peut-on dire qu’on a assisté à une montée en puissance de jeunes diplomates néo-conservateurs au Quai d’Orsay ?
 
Gilles Delafon : C’est ce qui m’a le plus surpris. En fait, un vrai courant néoconservateur, sensible aux thèses des théoriciens américains, existait déjà au Quai d’Orsay dès le lendemain des attentats du 11 septembre. Mais ces diplomates là s’étaient faits discrets pendant la guerre en Irak, puisque Jacques Chirac président menait alors l’opposition planétaire à ce conflit. L’arrivée d’un Nicolas Sarkozy les a décomplexés. L’ex-ministre de l’Intérieur avait une approche sécuritaire de la diplomatie et son conseiller Claude Guéant pratiquait ce que j’appelle une « diplomatie de flic ». Naturellement, bon nombre de ces diplomates se sont retrouvés à la cellule diplomatique. Paradoxe, il y avait donc des neocon à l’Elysée alors qu’il n’y en avait plus à la Maison Blanche d’Obama." 
 

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