vendredi, 20 juin 2025
La rigueur d'une politique de retenue : pourquoi la Chine n’interviendra pas
La rigueur d'une politique de retenue : pourquoi la Chine n’interviendra pas
Source: https://dissident.one/de-brutaliteit-van-terughoudendheid...
Une question qui m’est posée à plusieurs reprises – récemment en lien avec Gaza ou l’Iran – est la suivante : pourquoi la Chine n’intervient-elle pas ? Ou, si elle ne participe pas directement sur le plan militaire, pourquoi ne cesse-t-elle pas au moins le commerce avec Israël ou ne soutient-elle pas l’Iran avec en fournissant des armes pour son autodéfense ?
Honnêtement, je n’ai pas de réponses simples, écrit Arnaud Bertrand. Et je mentirais si je prétendais en avoir. La règle de base est: quiconque affirme avoir une compréhension de la pensée stratégique des dirigeants chinois est un hâbleur. Ces stratégistes chinois ne lâchent rien – littéralement personne en dehors de leur cercle intérieur ne sait ce qu’ils pensent. Donc, toute personne dans les médias occidentaux citant des sources anonymes prétendument proches des délibérations secrètes qui se tiennent à Pékin diffuse probablement des absurdités. Même des employés de haut rang de Xinhua, l’agence de presse officielle de la Chine et porte-voix du Parti communiste, n’ont pas un accès privilégié aux délibérations de la direction du parti. Il est totalement exclu que des journalistes occidentaux en aient.
Ce que nous pouvons toutefois savoir – et cela pourrait être découvert par quiconque fait un peu de recherche – c’est l’histoire de la Chine et ce que le pays a lui-même rendu public au sujet de sa politique étrangère. Quiconque s’y intéresse sérieusement trouvera des réponses étonnamment claires.
Historiquement, la Chine a été impliquée dans précisément cinq conflits armés internationaux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale: la guerre de Corée (1950-1953), dans laquelle elle a combattu aux côtés de la Corée du Nord contre les États-Unis ; la guerre du Vietnam, où 300.000 soldats chinois ont soutenu le Nord-Vietnam ; la guerre de la frontière avec l’Inde en 1962, provoquée par des incursions indiennes dans des zones contestées comme l'Aksai Chin ; des conflits militaires avec l’Union soviétique à la fin des années 1960, par exemple lors de l’incident de l'Oussouri ; et la courte mais sanglante guerre contre le Vietnam en 1979, suite à l’invasion vietnamienne du Cambodge.
D’autres événements, comme la crise à Taïwan, l’invasion du Tibet en 1950-1951 ou les récents incidents frontaliers dans la vallée de Galwan avec l’Inde, sont considérés selon le droit international comme des différends internes ou locaux, et non comme des interventions militaires.
Le modèle est clair: la Chine n’intervient militairement que lorsque sa propre intégrité territoriale ou sa sécurité est menacée. Dans son histoire millénaire, elle n’a jamais mené d’intervention militaire en dehors de son environnement immédiat – surtout pas dans des conflits qui ne touchent pas directement à sa sécurité. Il est extrêmement improbable qu’un dirigeant chinois rompe ce schéma profondément ancré dans l’histoire.
Il est également intéressant de noter que deux des cinq guerres menées par la Chine l'ont été contre les États-Unis – et qu’elle a gagné dans les deux cas, malgré le fait qu’à l’époque, elle était encore l’un des pays les plus pauvres du monde. Un souvenir qui pourrait ne pas déplaire aux faucons chinois à Washington.
Cela nous amène aux principes. Au cœur de la politique étrangère chinoise se trouve un principe de stricte non-ingérence dans les affaires intérieures des autres États. Même lorsqu’il y a un agresseur évident, la Chine refuse toute ingérence, car cela violerait la souveraineté – même si moralement, elle prend le parti de la victime. Ce qui est souvent perçu comme un cynisme pragmatique dans la politique occidentale, est, dans la vision de la Chine, l’expression d’un principe cohérent : les principes s’appliquent, même quand cela ne leur profite pas.
La question qui se pose est dès lors la suivante: respectez-vous la souveraineté d’un pays uniquement si vous êtes d’accord avec sa politique? Ou même si vous n’êtes pas d’accord? La Chine tente la dernière option. Elle maintient sa souveraineté, même si cela est difficile – par exemple dans le cas d’Israël ou de l’Iran.
Ce comportement crée une paradoxe: en n’intervenant pas, la Chine facilite la tâche aux autres États pour le faire à leur tour. Pourtant, la Chine croit que les principes prévalent par la crédibilité et l’exemplarité – pas par la force ou la contrainte. Une intervention sélective ferait de la Chine une nouvelle puissance hégémonique qui violerait à volonté les règles.
La Chine veut projeter une image d’un ordre mondial dans lequel un État peut exercer son influence sans recourir à la puissance militaire. Le modèle occidental – selon la contre-image chinoise – repose sur la violence, l’hypocrisie et les doubles standards. L’alternative chinoise: respecter les principes, faire preuve de patience et de retenue. L’objectif est la crédibilité à long terme, pas le gain à court terme.
La Chine rejette également toute politique de blocs. Le président Xi Jinping a répété à plusieurs reprises la condamnation de la pensée qui régentait le monde pendant la Guerre froide, avec l'établissement de zones d’influence et de la confrontation. Une aide militaire à l’Iran ou à Gaza placerait immédiatement la Chine dans un bloc anti-américain – exactement selon la logique bipolaire qu’elle veut éviter. Cela minerait non seulement la quête chinoise d’un ordre mondial multipolaire, mais aussi sa crédibilité en tant que puissance non-hégémonique – surtout dans le Sud, où elle est vue comme une alternative à la domination occidentale.
Une parabole historique de 288 av. J.-C. illustre la pensée stratégique de la Chine: deux royaumes chinois rivaux, Qin et Qi, se sont tous deux proclamés détenteurs de l'impérialité chinoise. Cependant, l’État le plus bienveillant, Qi, a perdu son avantage moral à cause de cette démarche – et a finalement été détruit par Qin. La leçon à retenir: celui qui agit en tant que co-hégémon perd son statut spécial.
Le multilatéralisme est également un principe central de la politique étrangère chinoise. La Chine vise à une véritable organisation multilatérale soutenue par l’ONU. Elle n’interviendra pas unilatéralement, même si le système est bloqué. Quiconque ignore le système de l’ONU détruit toute autorité qu’il pourrait utiliser pour le défendre.
Stratégiquement, la Chine évite également l’expansion excessive, qui a jadis conduit l’Union soviétique à sa chute et affaibli les États-Unis aujourd’hui. Plutôt que de gaspiller des ressources dans des interventions lointaines, la Chine se concentre sur le développement national – un modèle réussi qu’elle souhaite préserver. Des aventures militaires au Moyen-Orient donneraient aussi aux États-Unis des munitions pour lutter contre la présence chinoise en Asie de l’Est et autour de Taïwan – ce qui nuirait à Pékin.
La réunification avec Taïwan, objectif stratégique supérieur de la Chine, exige une image de stabilité et de supériorité – pas celle d’un hégémon agressif. Quiconque s’engage militairement partout dans le monde perd cette image.
En résumé : que ce soit d’un point de vue historique, principiel ou stratégique, tout milite en faveur de la non-intervention de la Chine. Cela irait à l’encontre de son identité politique, compromettrait sa crédibilité et mettrait en danger ses objectifs stratégiques. Reste à voir si cette approche sera plus efficace à long terme que les démonstrations de puissance occidentales. Mais c’est une alternative réaliste à un système qui se termine trop souvent par la violence, l’intervention et l’hypocrisie.
Et aussi douloureux que cela soit de voir l’inaction face à des tragédies humaines comme celle de Gaza, la tentative de la Chine de modeler un rôle différent en tant que grande puissance mérite au moins du respect. Peut-être même de l’admiration – pour la cohérence radicale et le courage de résister à la spirale de la violence.
12:30 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, chine, politique internationale | |
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