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mercredi, 06 août 2008

Bernd Rabehl: 70 ans !

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Bärbel RICHTER:

Hommage à Bernd Rabehl pour ses 70 ans !

Les conformistes de gauche disent de lui qu’il est un rénégat mais une seule chose le rebutait essentiellement: la partialité et le sectarisme dans lesquels se complaisaient volontairement tant de militants au siècle des idéologies. Bernd Rabehl s’est toujours frayé un chemin entre les contradictions du monde politique, entre les blocs idéologiques, soutenu en cette errance par un esprit de joueur inné. Ce goût de l’errance et du jeu lui est venu carrément dès le berceau. En 1944, en pleine guerre, sa mère demande le divorce. Son père, adjudant d’état-major dans les services médicaux de l’armée et féru de jeux de hasard, s’installe à l’Ouest après la guerre. Son ex-femme et ses enfants restent à l’Est, à Rathenow dans le Brandebourg. Cette décision du père marquera durablement l’itinéraire politique de Bernd Rabehl. Mais les impressions les plus marquantes de son enfance sont évidemment les bombardements nocturnes, les hurlements de sirènes et les signaux de la BBC, car sa mère écoutait en secret les “émetteurs ennemis”.

Le goût et le talent pour le théâtre de la politique, il les a acquis fort tôt, encouragé par ses professeurs. En 1948 déjà, quand beaucoup d’autres jeunes allemands de la zone soviétique refusaient de s’y engager, il adhère à la FDJ (le mouvement de jeunesse du régime). Il devient membre d’un groupe théâtral d’agitprop communiste et s’y taille une réputation de bon acteur. En  1949, il est présent lors de la cérémonie du 8 mai au cimetière militaire soviétique de Rathenow: le garçonnet de 11 ans est debout face aux formations d’honneur de l’armée rouge et des délégations du parti et des “comités d’entreprise”, ainsi que des “masses populaires” présentes bon gré mal gré. Il récite des poèmes d’Erich Weinert ou de Johannes R. Becher. Il chante dans le choeur “Karl-Marx”. C’est là qu’il apprendra l’hymne légendaire de la révolution bourgeoise, “Die Gedanken sind frei” (“Les idées sont libres”). Ce chant est resté depuis lors son chant favori.

En 1952, quand tous avaient finalement adhéré à la FDJ et renoncé à la confirmation chrétienne au profit de la “Jugendweihe” (“L’initiation de la jeunesse”), lui, las de tant de conformisme, par défi, opte pour la confirmation. Le prêtre luthérien explique au jeune confirmé que le Christ avait été un “combattant de la liberté”. Son choix n’eut aucune conséquence: personne ne lui en tint rigueur.

Le 17 juin 1953, lors du soulèvement des ouvriers berlinois contre le régime pro-soviétique, il apprend, sur les barricades, à connaître des communistes et des socialistes oppositionnels. Un camarade de classe disparaît pour dix ans dans un pénitencier car il avait été impliqué dans l’assassinat d’un espion de la STASI, connu de tous dans la ville. Rabehl, lui, arrache le portrait de Staline qui ornait sa classe. Après que le soulèvement populaire eut été écrasé, le socialisme du régime n’eut plus d’attrait pour lui. Plus tard, il suivit à la radio, captivé, les récits de l’insurrection hongroise et des grèves générales polonaises de 1956.

Enfant d’ouvrier  —sa mère travaille dans une équipe de nettoyage—  il peut achever ses études secondaires à l’ “Oberschule”. Pour sa composition de maturité (“Abitur”), il est libre de choisir le thème; il décide de parler de “la mort” et écrit une variation sur Walter Ulbricht et la mort de la RDA. Conséquence: le secrétaire du parti convoque l’ensemble des élèves de dernière année dans le grand auditorium de l’école. Il exige que Rabehl fasse son auto-critique. Mais au lieu de se rétracter, il dénie une fois de plus tout avenir à la RDA. Silence de mort dans la salle. La sanction est toutefois modérée: on ne lui donne pas son diplôme de fin de secondaire; il doit redoubler sa classe puis “faire ses preuves dans la production”. C’est là qu’il rencontre les anciens meneurs de la grève générale du 17 juin 1953. On lui interdit alors de s’inscrire en histoire et il ne reçoit l’autorisation de n’étudier que l’agronomie à la “Humboldt-Universität” de Berlin-Est. Quatre semaines après, il franchit la ligne de démarcation et s’installe à Berlin-Ouest.

L’édification du Mur de Berlin, en 1961, hérisse ce jeune homme qui, lui, avait encore eu le temps de franchir la ligne sans devoir essuyer de coups de feu. De nombreux jeunes, dont Rudi Dutschke, qu’il ne connaissait pas encore à l’époque, marchent vers le Mur pour protester. Lorsqu’ils tentent, avec un piolet, de jeter bas le Mur, la police militaire américaine intervient et disperse les jeunes manifestants.

Pendant l’automne de l’année 1961, Rabehl entame des études de sociologie, de philosophie et d’histoire d’Europe orientale à la “Freie Universität” de Berlin. Parmi ses professeurs, il y avait bon nombre de communistes dissidents, dont Otto Stammer; bien vite, Rabehl et Rudi Dutschke prennent contact avec la “Subversive Aktion”, qui gravitait autour de Dieter Kunzelmann. Leur but? Démasquer le caractère autoritaire et non démocratique de l’Etat et de la société par des provocations bien ciblées. En 1965, le groupe rejoint le SDS (les étudiants de la gauche extra-parlementaire), où il constituera la principale fraction. Dans les années cruciales de 1967 et 1968, Rabehl appartient au comité dirigeant du SDS.

Après l’attentat contre Dutschke en avril 1968, Rabehl tentera de maintenir le mouvement dans le sens où Dutschke l’avait voulu. Ce sera l’échec. L’opposition extra-parlementaire  (APO) se délite et se fractionne en sectes et groupuscules; une partie des militants “se militarisent”. Quant à Rabehl, il entame sa carrière d’enseignant universitaire.

Trente ans après, en 1998, d’anciens militants du SDS se réunissent à l’occasion d’un symposium et fixent leur ligne pour l’avenir: s’immerger dans la coalition socialiste-libérale, sous prétexte que c’est “une nécessité”. Rabehl n’admet pas cette démarche. Il choisit une fois de plus un chemin de traverse, une voie ardue, et commence à évoquer la dimension “nationale-révolutionnaire” de 68, que Dutschke et lui incarnaient tout particulièrement. Il prononce un exposé dans ce sens devant les étudiants nationaux-conservateurs de la Corporation “Danubia” de Munich. Rabehl venait alors de franchir le pas qui le mènera là où il se trouve aujourd’hui: dans l’espace de la dissidence la plus osée, en restant conséquent avec sa logique subversive et révolutionnaire mais en suscitant l’incompréhension de beaucoup. Rabehl n’a jamais été un rénégat: bien plutôt un dialecticien pragmatique. Le discours tenu à la Danubia de Munich, et la plupart de ses exposés, articles et essais prononcés ou publiés depuis 1998, se situent pourtant dans le même esprit que celui de la “Subversive Aktion”: ils ne dénoncent peut-être plus les mêmes ennemis qu’hier mais concentrent le tir sur les “camarades” de jadis qui se sont alignés sur l’une ou l’autre fraction de l’établissement.

Le 30 juillet 2008, Bernd Rabehl fêtera ses 70 ans. Ad multos annos!

Bärbel RICHTER.

(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°31-32/2008; trad. franç.: Robert Steuckers).