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dimanche, 08 septembre 2013

L’oeuvre politique d’Alcuin à la cour de Charlemagne

L’oeuvre politique d’Alcuin à la cour de Charlemagne

Alcuin.jpg« Une rencontre entre deux grands hommes eut d’heureuses conséquences » écrit l’historien Pierre Racine  en introduction de son article sur Alcuin, paru dans le magnifique ouvrage de Jacques Le Goff, Hommes et Femmes du Moyen-Age. Il est vrai que la rencontre entre le moine northumbrien Alcuin et le roi des Francs Charles à Parme, en Italie aux alentours de 780, bouleversa les rapports entre l’Église et la royauté pippinide, et inaugura ce que les historiens appellent la « première renaissance carolingienne ». Bien que l’oeuvre d’Alcuin à la cour de Charlemagne ait de nombreux aspects, nous verrons ici les évolutions politiques qu’a connues le règne de Charlemagne, attribuées en grande partie à Alcuin mais également dues à la volonté propre du souverain.

Origine et formation

Alcuin naît en Northumbrie – région de York, en Angleterre – aux environs de 730. Issu sans doute de famille noble, Alcuin fait ses études à l’école de la cathédrale d’York en tant qu’élève d’Aelbert. Devenu bibliothécaire de l’école en 766, il est nommé maître d’école en 780 où il enseigne la littérature classique, la grammaire antique et les mathématiques, base du comput — calcul destiné à fixer la date des fêtes mobiles du calendrier ecclésiastique —, tout en subordonnant les sciences profanes à la Bible dont l’exégèse est selon lui la base du savoir. Cette même année, Alcuin fait la rencontre qui va changer sa vie, Charles, roi des Francs, à Parme. Impressionné par les qualités intellectuelles et la vivacité d’esprit de l’ecclésiastique, le roi l’invite à le suivre à la cour en 781.

Rôle politique

Alcuin va jouer un rôle majeur dans la politique carolingienne de cette fin du VIIIe siècle. De 782 à 796, il dirige l’école palatine où sont formés les enfants des nobles de l’entourage du roi. Dès son arrivée au service du souverain franc, il va célébrer en ce roi sacré le Christ Roi et Prêtre.

Déjà à la mort du pape Hadrien Ier fin 795, Alcuin voyait en le roi franc un « nouveau David », à la fois roi et prophète : « Le Christ, de nos jours, a concédé à son peuple comme rector (souverain) et doctor (professeur) un roi David de même virtus (mérite, valeur) et de même foi. »

Dans une autre lettre datée du 26 décembre 796, jour de l’accession de Léon III au trône pontifical, Alcuin, sur ordre de son maître Charles, déclare à l’intention du souverain pontife :

«Voici quelle est notre tâche. À l’extérieur, protéger, les armes à la main, avec le secours de la grâce divine, la sainte Église du Christ de l’invasion des païens et de la dévastation des infidèles; et à l’intérieur, défendre le contenu de la foi catholique. La vôtre, très saint Père, par la prière de vos mains levées au ciel à l’instar de Moïse, est d’aider notre armée jusqu’à ce que, par votre intercession, sous la conduite et par le don de Dieu, le peuple chrétien ait toujours la victoire sur les ennemis de son saint nom et que Notre Seigneur Jésus-Christ soit glorifié dans le monde entier. »

Alcuin prés.jpgCette lettre montre bien à quel point le pape, jusqu’alors souverain des âmes des chrétiens, est relégué au rang de simple puissance sacerdotale, n’ayant plus qu’un rôle de prière. Charles, de par son sacre, reçoit directement ses ordres de Dieu, et n’a donc aucune autre autorité au-dessus de lui. Le roi possède ainsi à la fois le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, car il a en charge et la sauvegarde de son royaume et le salut des âmes des chrétiens, rôle qui appartenait auparavant au souverain pontife. Dans les faits, Charlemagne profite de la faiblesse politique du pape Léon III, qui est d’ailleurs chassé de son trône par une révolte romaine, et qui ne se rétablit sur le Saint-Siège qu’avec l’intervention du roi franc.

Alcuin, dans de nombreuses lettres à son maître, l’exhortait à ne pas obéir aux autorités ecclésiastiques. Dans l’une de ces lettres, il précise l’ordre hiérarchique du monde chrétien:

« Trois dignités ont été jusqu’ici les plus élevées au monde. La première est la dignité apostolique qui donne le droit de gouverner en qualité de vicaire le siège du bienheureux Pierre, prince des apôtres. Comment celui qui le détient a été traité, je le sais par vous-même – il est question ici de la révolte contre Léon III. La deuxième est la dignité impériale avec l’administration séculière de la seconde Rome – Constantinople est le siège de l’empire d’Orient. Par quel acte impie le maître de l’Empire a été dépossédé non par des étrangers, mais par ses propres concitoyens, tout le monde le sait – Irène, veuve de l’Empereur Léon IV prit le pouvoir à la mort de son mari. Mais lorsque son fils Constantin VI devint majeur en 790, elle lui fit crever les yeux et le détrôna. La troisième est la dignité royale que Notre Seigneur Jésus-Christ vous a donnée en partage pour faire de vous le chef du peuple chrétien, plus puissant que le Pape et l’Empereur, plus remarquable par votre sagesse, plus grand par la noblesse de votre gouvernement. »

Il est flagrant ici qu’Alcuin place Charlemagne au-dessus des deux grandes autorités de l’époque, le Pape et l’Empereur. En réalité, la chose est plutôt évidente : le pape est faible et dépend entièrement du bon vouloir de Charlemagne pour conserver son trône, et le siège impérial d’Orient est vacant. Alcuin appelle alors son maître à remplir seul les deux fonctions de pape et d’Empereur : c’est la théocratie impériale que met en place Alcuin en suggérant à Charlemagne d’accéder à l’Empire, ce qui sera fait à la Noël 800.

Conclusion

Alcuin meurt abbé de Saint Martin de Tours — poste qu’il occupait depuis 796 — en 804, soit dix ans avant Charlemagne. Il a été question ici de l’influence d’Alcuin dans le domaine politique à la cour de Charlemagne : comment s’est peu à peu développée l’idée de théocratie impériale, remise en question de la théorie gélasienne – du nom du pape Gélase au Ve siècle – qui voulait la dualité du pouvoir entre temporel et spirituel ainsi que la primauté de ce dernier sur le premier. Cependant, à la mort de Charlemagne en 814, Louis, seul héritier de l’Empereur, va peu à peu perdre de l’influence et de son autorité auprès des ecclésiastiques en réaffirmant la doctrine gélasienne. L’Empereur sera même évincé du pouvoir par son fils Lothaire en 833.

Nicolas Champion

Sources :

  • CHELINI Jean, Histoire religieuse de l’Occident médiéval, Paris, Pluriel, 2010
  • GAUVARD Claude, Dictionnaire du Moyen Age, Paris, PUF, 2012
  • GUILLOT Olivier, RIGAUDIERE Albert, SASSIER Yves, Pouvoirs et institutions de la France médiévale, Paris, Armand Collin, 2011
  • LE GOFF Jacques, Hommes et Femmes du Moyen-Age, Paris, Flammarion, 2012