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lundi, 07 octobre 2024

De Theodor Herzl au sionisme contemporain

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De Theodor Herzl au sionisme contemporain

Par Robert Steuckers

Jean Mabire, me dit-on, était fasciné par les « éveilleurs de peuple », Grundvigt, Petöfi, Pearse, etc. Par l’Abbé Cyriel Verschaeve mais aussi par le personnage juif viennois Theodor Herzl qui a lancé l’idée d’un retour à une terre pour les populations juives d’Europe centrale et orientale, et, au départ, ce n’était pas nécessairement la Palestine alors sous administration ottomane. Examinons d’abord le contexte dans lequel Herzl a évolué à Vienne à la fin du 19ème siècle : c’est tout d’abord le fameux « mouvement des nationalités » qui a animé toute l’Europe depuis l’effondrement des projets napoléoniens suite à la campagne désastreuse de Russie et à la bataille de Waterloo. L’émancipation par les idées universalistes des Lumières et de la révolution française ne fait plus recette. Les peuples entendent se libérer en adoptant des valeurs qui leur sont propres, dans des territoires matriciels, légués par leurs ancêtres, organisés par le droit coutumier (et non plus par les codes dérivés de l’idéologie des Lumières). Herzl nait dès lors dans un monde juif, travaillé lui aussi par les idées du « mouvement des nationalités ». Des penseurs juifs comme Léon Pinsker et Moses Hess ont pensé, sans succès, l’émancipation juive, l’hypothèse sioniste et la problématique des langues à adopter bien avant Herzl, de loin leur cadet.

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Moses Hess, né à Bonn en 1812, sera d’abord un compagnon de route de Karl Marx et de Friedrich Engels, les accompagnera dans leurs exils à Bruxelles puis à Paris. Il sera un théoricien du socialisme qui finira toutefois par critiquer l’idée marxienne de la « lutte des classes » pour le remplacer par la « lutte des peuples » voire la « lutte des races ». Hess, conscient que les populations juives ne seront jamais pleinement acceptées en Europe, théorisera un socialisme, non plus basé sur les idées révolutionnaires habituelles, mais sur des fondements scientifiques, biologiques, qui conduisent à rejeter l’universalisme, introuvable si on adopte une démarche scientifique, et à explorer les particularités réelles, tangibles, concrètes de chaque population. Pour ses lecteurs juifs, ce recours aux particularités ethniques (ou ethno-religieuses) implique une ré-immersion dans le judaïsme traditionnel. Hess développera toutefois un système de pensée plus complexe : le judaïsme est une « nationalité » (biologique) avant d’être une religion ; le modèle à suivre est celui du Risorgimento italien de Mazzini, parce que l’unification italienne confirme le primat de la nationalité sur les entités étatiques jugées par lui obsolètes, parce que dominées par l’étranger ou par des dynasties ; le judaïsme d’avant-garde mêlera, selon Hess, socialisme (national) et aspiration à la construction d’un Etat propre « sur la terre des pères » et, en attendant, les juifs peuvent, s’ils le souhaitent, se replier sur l’orthodoxie religieuse pour conserver leur identité profonde, tout en rejetant le « judaïsme réformiste » et libéral, lié aux idéaux éthérés des Lumières.

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Léon Pinsker, né en 1821 en Pologne russe, était médecin de profession. Son engagement intellectuel fut profondément influencé par l’antisémitisme pogromiste russe qui sévissait au 19ème siècle, surtout après l’attentat qui coûta la vie au Tsar Alexandre II, émancipateur des paysans et conquérant de l’Asie centrale. La violence des pogroms et la judéophobie (qu’il perçoit comme une maladie psychique héréditaire, perceptible dans toute l’Europe et pas seulement en Russie) le conduisent à rejeter le judaïsme assimilationniste et humaniste du mouvement libéral Haskala au profit d’une vision « auto-émancipatrice » qui réclamera l’avènement d’un « Etat juif » quelque part dans le monde. Ses idées trouveront un cénacle, en Roumanie et à Odessa, qui les discutera et cherchera à les faire avancer dans les esprits, le Chovevei Zion ou Chibbat Zion qui rejoindra les « Congrès sionistes » lancés par Herzl et sera dissous par les Bolchéviques dès qu’ils arriveront au pouvoir.

Telles sont les racines majeures du sionisme (il y en a d’autres) avant l’entrée en scène du personnage qui nous intéresse au premier plan aujourd’hui. Les ambitions du jeune Theodor Herzl étaient, au départ, de devenir un « écrivain allemand », auteur de pièces de théâtre populaires. Il se décarcassera de toutes les façons pour promouvoir ses œuvres et les faire jouer par les théâtres allemands et autrichiens : il ne connaîtra qu’un succès très mitigé. Il déménage en France en 1891 où il exerce la fonction de correspondant à Paris du quotidien viennois Die Neue Freie Presse. Mais le contexte social et politique, qu’il observe dans la capitale française en tant que journaliste politique, le force à réfléchir sur sa judéité : en 1892, le marquis de Morès, lors d’un meeting antisémite, « réclame l’expulsion de Rothschild de la Banque de France » et « l’interdiction aux étrangers et aux Juifs du sol français ». En même temps, le journal La libre parole d’Edouard Drumont, lancé en 1892, publie une série d’articles, signés « Lamasse », dénonçant « l’influence juive dans l’armée ». Drumont est provoqué en duel et est blessé. Pour le venger, le marquis de Morès défie le témoin adverse, le Capitaine Armand Mayer, qui sera mortellement blessé lors du duel. Tels furent les prémisses de l’affaire Dreyfus. Le ministre de la guerre, Charles de Freycinet, fustige la volonté des antisémites de dresser les officiers les uns contre les autres pour des raisons d’ordre confessionnels. Mais les admonestations du ministre ne diminuent pas la virulence antisémite qui secoue la France de l’époque. Drumont redouble de zèle, accuse les députés d’être soudoyés par Alphonse de Rothschild. Le député radical Auguste Burdeau le traîne en justice et c’est Théodor Herzl qui couvre le procès pour son journal viennois. Ensuite, la même année, le procès du scandale de Panama, suscite à nouveau les passions (antisémites) : la « Compagnie du Canal de Panama » a fait faillite en dépit du prestige de Ferdinand de Lesseps (artisan du Canal de Suez). L’ingénieur et son fils sont cités devant les tribunaux parisiens, de même que les financiers Jacques de Reinach et Cornélius Herz (naturalisé américain). Les deux banquiers sont de confession israélite. Herzl assiste au procès pour le compte de son quotidien. Drumont dénonce la corruption de nombreux parlementaires. C’est là que tout va basculer : Herzl constate que si aucun des administrateurs de la Compagnie n’est juif, la présence des deux banquiers de confession mosaïque déclenche la fureur des actionnaires floués et des masses.

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Il prendra ainsi conscience de sa judéité et abandonnera progressivement ses vues assimilationnistes, propres aux Juifs libéraux. Il hésite toutefois à se convertir, lui et ses enfants, pour échapper à la vindicte antisémite. Mais il ne franchit pas le pas : « J’offenserai mon père par cela » et « on ne doit pas abandonner le judaïsme quand il est attaqué ». La conversion totale est impossible, constate-t-il. Drumont est donc en quelque sorte le déclencheur de ce mouvement sioniste qui réussira finalement, le sionisme antérieur, balbutiant, n’étant qu’un jeu intellectuel, propre à quelques rêveurs lettrés que les Juifs de base, tant en Europe centrale et orientale qu’en France ou ailleurs en Occident, ne comprennent guère. A l’ouvrage pamphlétaire de Drumont, Le Testament d’un antisémite (1891), et à celui du boulangiste Gabriel Terrail (alias « Mermeix »), Les antisémites en France, Herzl estime qu’il faut apporter une réponse et, en même temps, trouver une solution originale à l’antisémitisme qu’ils propagent dans le public.  Herzl estime, suite à sa lecture attentive de la presse antisémite française, que les cataclysmes, que l’antisémitisme peut provoquer, seront finalement un « rude mais bonne épreuve ».

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En janvier 1893, Regina Friedlander propose à Herzl de diriger le journal Das Freie Blatt, organe de la ligue autrichienne contre l’antisémitisme. Il va toutefois décliner cette offre car, écrit son biographe Rozenblum (cf. infra), « il ne croit pas à l’efficacité des sempiternelles protestations contre les déchaînements antisémites ». Que faire alors ? Se fondre dans le peuple par le truchement de la conversion ? L’idée le stimule un moment. Avec le baron Leitenberger, de la ligue autrichienne contre l’antisémitisme, il concocte le plan d’aller trouver le pape pour lui demander d’aider les Juifs contre la hargne qui les poursuit partout, en échange de lancer, au sein de toutes les communautés israélites, un vaste plan pour pousser les Juifs à la conversion au christianisme.

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Les événements, qui se succèdent à un rythme effréné, le distraient encore du projet sioniste qu’il rumine en ses heures creuses. Ainsi, à la fin de l’été 1894, après avoir couvert le procès de l’anarchiste italien Sante Caserio qui avait poignardé à mort le Président de la République, Sadi Carnot, il retourne pour quelques semaines de vacances à Vienne. Dans la capitale de l’empire austro-hongrois, l’antisémitisme fait également recette : le maire de la ville, Karl Lüger, avait surfé sur la judéophobie latente du petit peuple viennois, déclenchant, dans la foulée, une série d’incidents et d’agressions hostiles à des personnalités juives dont Nothnagel, président de la ligue contre l’antisémitisme. Lüger, qui fut, au début de sa carrière, l’avocat des pauvres, avait été élu trois fois maire de Vienne sans obtenir l’aval de l’empereur. Sous pression du Pape Léon XIII, Lüger, qui se définissait comme « chrétien-social », finit par être nommé bourgmestre de la capitale autrichienne, qu’il gouvernera de main de maître, tout en lançant des projets urbanistiques grandioses qui ne furent que partiellement réalisés car la Grande Guerre rétrogradera la métropole impériale au rang de capitale d’un petit Etat alpin enclavé. Antisémite avéré qui fustigeait à la fois les banquiers, les immigrants juifs miséreux venus des ghettos du monde slave et les journalistes critiques de sa politique (étiquetés « juifs de l’encrier » / « Tintenjuden »), Lüger était parfaitement et machiavéliquement conscient de la portée de ses discours : il percevait l’antisémitisme comme un excellent tremplin électoral, comme une stratégie d’agitation efficace et comme un « sport aimé de la populace » (« Pöbelsport »).

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La double expérience de Herzl, la parisienne et la viennoise, confirment ses sentiments et ses appréhensions. Cela l’amène à commencer une longue enquête journalistique sur l’histoire des communautés juives en Russie, en Galicie (province austro-hongroise à l’époque), en Bohème et en Hongrie. Conclusion : « Les Juifs sont sortis matériellement du ghetto, mais l’enceinte de celui-ci continue de clôturer leur esprit. Le ghetto n’existe plus, mais il subsiste dans les mentalités ». Il tente de lancer une nouvelle pièce de théâtre, justement intitulée Le Ghetto, qui devra amorcer dans les esprits (juifs) une « politique juive ». Les thèmes qui ont mûri dans sa tête tourmentée apparaissent dans la pièce : l’idée d’une conversion personnelle ou collective est rejetée et les personnages explicitent sa pensée en phase de germination ; ainsi, le personnage du Rabbin Friedheimer s’exprime dans la pièce : « Nous jouissons de la protection des lois. Il est vrai qu’on nous regarde de nouveau de travers, comme autrefois, quand nous vivions dans le ghetto, mais les murailles n’en sont pas moins tombées ». Friedheimer plaide toutefois pour un judaïsme rabbinique et traditionnel et en chante les vertus, disparues ou du moins édulcorée depuis la grande vague d’émancipation. Le personnage Samuel Jacob, lui, cherche une solution autre, est conscient que le ghetto générait des « vices », qu’il déplore. Il veut le quitter ce ghetto, le visible comme l’invisible et meurt dans un duel, tué par son adversaire, un hobereau prussien. La pièce déplait car Herzl n’y aurait pas mis assez de personnages juifs sympathiques. Il le justifie par sa misanthropie viscérale.

Vient ensuite l’affaire Dreyfus, qui porte l’antisémitisme français au pinacle. La politique d’assimilation révolutionnaire, née en 1789, a fait faillite. Une fois de plus, c’est Drumont qui conforte Herzl dans ses convictions : dans un article de La libre parole, il appelle les Juifs « à retourner en Orient ». Dans le cadre de cette « affaire Dreyfus », Herzl rencontre Alphonse Daudet, antisémite, avec qui il a toutefois une discussion amicale. Daudet le dissuade d’écrire qui soit un enquête sur la condition juive mais plutôt un ouvrage qui ressemblerait à La case de l’Oncle Tom. La suggestion fait mouche chez Herzl. Il entend dès lors écrire un livre où, rappelle son biographe Rozenblum, « il ne s’agirait plus de susciter la compassion mais d’agir », de « ne plus retracer un itinéraire individuel mais de suggérer un projet collectif ». Pour étayer son projet, il va s’adresser au Baron Moritz de Hirsch, riche banquier philanthrope qui a fait fortune dans le financement des chemins de fer dans les Balkans, en Russie et en Turquie. Hirsch finance la formation professionnelle et technique de jeunes juifs de Galicie et de Bukovine, plus tard de Russie, appelés à émigrer dans le Nouveau Monde, notamment en Argentine, pour y fonder des colonies agricoles. Les adeptes de la société Hovevei Zion plaide pour l’envoi de ces jeunes émigrants en Palestine mais Hirsch refuse car il se doute bien que le Sultan ottoman ne cèdera en rien. Edmond de Rothschild, en revanche, finance les colonies juives de Palestine. Herzl constate que les colonies d’Argentine et du Brésil ne suscitent guère d’enthousiasme et demande audience à Hirsch pour lui expliquer son projet car « c’est avec des idées à la fois simples et extraordinaires qu’on touche les hommes ».  

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Herzl, face à son interlocuteur, n’y a pas été avec le dos de la cuiller. Véhément, il décrit le projet généreux du Baron Hirsch comme « complètement nuisible » car les bénéficiaires de sa philanthropie ne sont que des « mendiants » (des « Schnorer ») qui ne survivent dans leurs lointaines colonies sud-américaines ou canadiennes que grâce à sa générosité. L’entrevue avec Hirsch dévoile un trait de caractère de Herzl qui ne s’était jusque-là jamais manifesté : l’exaltation. Le petit dramaturge sans grand succès, le journaliste modéré, le juif timide qui avait envisagé de se convertir pour échapper aux fureurs antisémites, devient le plaideur enflammé qui veut convaincre des milliardaires, des diplomates et des ministres (et même le Kaiser !) à accepter l’idée d’une émigration générale des Juifs vers une « terre promise », afin qu’ils n’aient plus à subir un antisémitisme indéracinable. L’idée lui est venue de convoquer « un congrès juif international « afin d’insuffler de l’enthousiasme à un peuple peureux et démoralisé ». Herzl veut « éveiller ». Il entend s’adresser à de jeunes professionnels juifs ne trouvant pas d’emploi (pour diverses raisons dont l’antisémitisme) et dès lors déchus en un « prolétariat intellectuel » : « C’est avec eux », écrit Herzl, « que je formerai l’Etat-major et les cadres de l’armée destinée à repérer, à reconnaître et à édifier le futur pays ».

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C’est à Munich, dans les chambres du fameux Hôtel des Quatre Saisons (où siègera plus tard la Société Thulé !), que se tiendront de longues discussions entre Herzl, d’une part, le Rabbin Moritz Güdemann et le banquier berlinois Heinrich Meyer-Cohn, d’autre part, suite auxquelles le livre programmatique de Herzl commencera à s’esquisser. Le rabbin et le banquier sont tous deux très sceptiques et constatent qu’ils ont affaire à un exalté. Mais Herzl convaincra vaguement le rabbin, qui se ravisera, à défaut d’emporter l’enthousiasme du banquier berlinois. Rabbi Güdemann conseille alors à Herzl de lire un roman d’un utopiste juif, Theodor Hertzka, natif, lui aussi, de Pest en Hongrie. Ce roman s’intitule Eine Reise nach Freiland (« Un voyage au pays de la liberté »), édité en 1883 à Leipzig. Ce pamphlet, suivi d’un autre édité à Dresde en 1890 (Freiland, ein soziales Zukunftsbild / Pays de la liberté, une vision sociale de l’avenir) évoque des phalanstères agricoles formées d’hommes libres vivant d’une propriété collective. Préfiguration des kibboutzim, bien évidemment. Mais les tentatives d’appliquer les idées utopiques de Hertzka au Kenya, colonie britannique, ont tourné au fiasco. Herzl apporte des corrections à ce plan phalanstérien qui apparaissent plus rationnelles et donc plus réalisables. Il a conscience que son projet ne peut en rien relever de l’utopie mais du droit et de l’économie. Infatigable commis voyageur de sa propre idée, Herzl rencontre le Français Narcisse Leven, vice-président de l’Alliance israélite universelle, qui demeure aussi sceptique que Güdemann, mais lui donne quelques conseils : contacter le grand rabbin de France Zadoc Kahn, le colonel anglais Albert Goldsmid (qui a voulu affréter des bateaux pour reconquérir la Palestine) et surtout de lire les travaux de Léon Pinsker (cf. supra).

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Finalement, Herzl écrit son livre, Der Judenstaat, dont un résumé, avant publication, paraîtra à Londres dans les colonnes de Jewish Chronicle, le 17 janvier 1896. Le lendemain, la maison d’éditions viennoise Breitenstein accepte le manuscrit. L’idée sioniste est née, elle fera son chemin. Un journaliste viennois, Alexander Scharf, tente de le retenir : « Vous êtes un second Christ qui fera beaucoup de mal aux Juifs (…). Si j’étais Rothschild et si je ne savais qu’on ne peut vous acheter, je vous offrirais cinq millions pour ne pas publier votre pamphlet. Ou je vous ferais assassiner car vous allez causer un dommage irréparable ». Le 14 février 1896, Herzl apprend que les 500 premiers exemplaires des 3000 copies prévues sont mises en vente. Sa réaction ? « Maintenant ma vie prend peut-être un tournant ».

La parution de l’ouvrage ouvre la voie à l’organisation des premiers « Congrès sionistes » : Bâle (1897, 1898, 1899, 1901 et 1903), Londres (1900). Dès le premier congrès de Bâle en 1897, l’organisation sioniste mondiale est créée. Le 2 novembre 1898, Herzl est reçu en audience par le Kaiser à Jérusalem mais l’empereur Hohenzollern ne veut en aucun cas créer une rupture diplomatique avec les Ottomans. En 1899 se crée à Londres le Jewish Colonial Trust Limited, visant, à terme, à créer, dans l’esprit du sionisme naissant, des colonies juives dans des territoires sous tutelle britannique. Après la mort de Herzl, le 7ème Congrès sioniste de Bâle, rejette la proposition anglaise d’offrir un territoire aux Juifs en Afrique de l’Est. En 1903, une commission d’enquête envisage, mais sans lendemain, de fixer un peuplement juif au Sinaï.

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A partir de 1905, le second retour des juifs selon l’historiographie sioniste a lieu. Le premier s’était déroulé après 1881, soit après l’assassinat du Tsar Alexandre II par des nihilistes russes, adeptes du révolutionnaire radical Netchaïev (avec le soutien des services anglais ? On peut avancer l’hypothèse). Cette première migration vers les vilayets ottomans de Palestine était composée de sionistes avant la lettre, animés surtout par l’idée socialiste, souvent utopique. La seconde, de 1905, fait suite à la révolution avortée, déclenchée après la défaite russe face au Japon, soutenu à l’époque par les puissances anglo-saxonnes. Elle est essentiellement le fait de révolutionnaires radicaux issus des shetls (communautés) de l’empire tsariste, de cette vaste région comprenant la Biélorussie et l’Ukraine actuelles que l’on appelle parfois le Yiddishland. La troisième migration juive vers la Palestine viendra après la révolution bolchévique de 1917 et la guerre civile russe qui s’ensuivit : elle comprenait certes d’autres éléments sociaux-révolutionnaires mais aussi des mencheviks et des éléments de droite qui donneront naissance à la droite sioniste, puis à la droite israélienne, dont le théoricien principal fut Vladimir Zeev Jabotinsky, originaire de la communauté juive d’Odessa, italianiste de bon niveau et admirateur du fascisme italien, officier britannique dans la Jewish Legion pendant la première guerre mondiale et churchillien fascistoïde pendant l’entre-deux-guerres. La cinquième grande migration amène, après 1933 et 1938, des juifs de langue allemande qui quittent le Reich après la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes et l’Autriche et la Bohème-Moravie après l’Anschluss et l’annexion du pays des Sudètes. La sixième émigration a suivi la deuxième guerre mondiale et permis la création de l’Etat d’Israël.

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Après la mort de Theodor Herzl, survenue le 3 juillet 1904 en Basse-Autriche, on constate, en dépit de la fidélité de bon nombre de Juifs d’Allemagne au Reich de Guillaume II, un tropisme pro-britannique dans les milieux sionistes, avant et pendant la première guerre mondiale, à mettre en parallèle à un tropisme pro-sioniste au sein de l’élite anglaise, frottée à une idéologie bibliste induite par le protestantisme puritain.  Ainsi, Philipp Kerr, directeur de l’influente revue impérialiste britannique Round Table, influence le diplomate Mark Sykes, qui est à l’origine des accords dits « Sykes-Picot » de 1916, Picot étant son homologue français.  Sykes était ce que l’on peut appeler un « bibliste sioniste » anglais, rêvant de redonner aux Juifs le territoire qu’ils avaient perdu suite aux révoltes des années 70 et 135 contre l’empire romain, révoltes qui, selon le récit sioniste, avaient provoqué la dispersion des Juifs dans le monde méditerranéen, en Mésopotamie et ailleurs. Le raisonnement de Kerr est purement géopolitique et prend le relais de projets jadis encore confus d’intervention anglaise en Méditerranée orientale. L’une d’entre elle avait été couronnée de succès : le soutien aux Ottomans contre les Russes, les Bulgares et les Roumains avait permis de s’emparer de Chypre en 1878, afin de disposer d’une base proche du Canal de Suez, porte vers les Indes, creusé en 1869. En 1882, alliés singuliers des Ottomans auxquels ils taillent de sérieuses croupières sans coup férir, les Britanniques obtiennent le protectorat sur l’Egypte qui avait été rebelle depuis Mehmet Ali, ôtant à la France toute opportunité de contrôler à son profit la zone du Canal. La Palestine, si elle est judaïsée, serait un atout supplémentaire de l’empire dans cette région hautement stratégique.

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Pour Kerr, une Palestine judaïsée et sous tutelle britannique constituerait « une charnière entre trois continents » (Europe, Asie, Afrique), au point névralgique qui permet de surveiller la route vers les Indes. Pour le Sultan ottoman, qui craint, à juste titre, les visées russes sur les détroits et le soutien apporté par Saint-Pétersbourg aux Slaves révoltés des Balkans ottomans, l’accueil des réfugiés juifs « proto-sionistes » représente un apport de populations hostiles à la Russie pogromiste, ainsi que des cadres potentiels (médecins, ingénieurs) pour son empire moribond (« l’homme malade du Bosphore » selon Bismarck). La première réaction arabe-palestinienne, d’ampleur toutefois modeste, date d’avant le livre-manifeste de Herzl : de l’année 1891.

Les efforts de Kerr et de Sykes conduisent à la fameuse « Déclaration Balfour », du nom du ministre britannique qui l’a émise. Balfour promet aux sionistes la création d’un « foyer juif en Palestine », ce qui est différent de la promesse d’un « Etat juif », tel que formulé dans le livre de Herzl. Mais les Britanniques jouent sur deux tableaux : ils soutiennent simultanément les Hachémites du nord de la péninsule arabique et les sionistes engagés dans la Jewish Legion où servait le futur fascisant Vladimir Zeev Jabotinsky. Les Hachémites recevront les trônes d’Irak et de Jordanie (de Transjordanie dans le vocabulaire de l’empire britannique pendant l’entre-deux-guerres) mais n’obtiendront rien des Français en Syrie qui opteront pour un mandat à l’enseigne de l’idéologie républicaine, laïque et maçonnique qui entraînera la violente révolte druze entre 1925 et 1928. A Versailles, les Britanniques obtiennent un mandat sur l’Irak, la Transjordanie et la Palestine, tandis que les Français exercent leur propre mandat sur le Liban et sur une Syrie amputée en ultime instance de la région de Kirkouk et de Mossoul parce que les Anglais y avaient découvert des gisements de pétrole. Le sionisme est rapidement devenu un instrument de l’impérialisme britannique, en dépit de l’hostilité à l’Angleterre que cultiveront certains maximalistes à partir de 1931 (cf. infra).

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Dans la Palestine mandataire, les Britanniques vont tenter de faire cohabiter les Arabes palestiniens et les immigrants juifs venus pour l’essentiel d’Europe centrale et orientale. Les révoltes arabes, soutenue par le jeune Mufti de Jérusalem se succèdent, de même que les représailles sionistes : les troupes britanniques doivent maintenir l’ordre. Sous l’impulsion de Vladimir Zeev Jabotinsky, officier britannique finalement loyal, s’organise alors le « sionisme militarisé ». Pour éviter des troubles aux abords du Canal de Suez et des puits de pétrole irakiens, les Britanniques, sans pour autant abandonner leur idée d’un « foyer juif en Palestine » vont limiter l’immigration juive dans le territoire de leur mandat. En 1939, un « Papier blanc », émanant du Foreign Office, limite l’immigration à 75.000 âmes pendant les cinq années à venir, en dépit des innombrables candidatures juives à l’émigration hors d’une Europe centrale sous contrôle national-socialiste. Simultanément, les autorités britanniques mettent un frein au zèle potentiel des sionistes en restreignant l’accès des Juifs à la propriété foncière en Palestine mandataire.

La militarisation du sionisme commence très tôt : dès 1920, les immigrants juifs de Palestine forment la Haganah, ou Irgun Haganah (= « Organisation de Défense »). En 1931, les maximalistes sionistes se séparent de cette organisation pour former l’Irgun dont les objectifs ne sont plus de contenir l’agressivité des foules arabes mais d’opter pour une politique plus agressive, en opposition à un sionisme social-démocrate ou communisant plus conciliant à l’égard des Arabes et de la puissance mandataire. Un de leurs chefs fera carrière : Menahem Begin. Mais la politique pourtant musclée de l’Irgun ne fait pas longtemps l’unanimité : en 1940, alors que le Royaume-Uni est en guerre avec l’Allemagne et l’Italie, une fraction plus radicale encore fait sécession, le Lehi que les Anglais nommeront le « Stern Gang » ou le « gang à Stern », du nom son principal activiste, Avraham Stern, qui entend combattre frontalement les troupes britanniques stationnées en Palestine et en Transjordanie, tout en demandant l’aide de l’Italie mussolinienne et de l’Allemagne hitlérienne ! Stern est abattu sans autre forme de procès par les policiers britanniques en 1942.

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La mort de Stern ne met pas un terme à l’hostilité des « sionistes militarisés », inspirés par les théories de l’IRA irlandaise de Michael Collins, envers Londres. En mai 1941, se constitue le Palmach, organisation de combat regroupant 2000 hommes et femmes bien déterminés. Plus prudents que Stern et son Lehi, les militants du Palmach se bornent à quelques opérations coups de poing contre la présence britannique, tout en continuant une guerre d’usure contre la population palestinienne, annonçant l’expulsion des Arabes en 1947-48, que les Palestiniens nomment la Nakba (ou « catastrophe »). Dès le 10 octobre 1945, le Palmach reprend les hostilités en attaquant le camp de détention pour immigrants juifs clandestins d’Atlit, libérant 200 détenus qui rejoignent évidemment ses rangs.

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L’idéologie du « sionisme militarisé » ne provient pas de Herzl, utopiste exalté, mais de Max Nordau et de Vladimir Z. Jabotinsky. Max Nordau, également natif de Pest en Hongrie, avait organisé le premier congrès sioniste de Bâle avec Herzl en 1897. Il deviendra l’une des principales chevilles ouvrières des congrès ultérieurs. Orateur apprécié, il théorise l’abandon de la posture du « juif nerveux » ou « juif talmudique », être purement intellectuel, pour favoriser l’avènement, via le sionisme, d’un « juif de muscles » qui doit s’inspirer des principes hébertistes français ou des « sociétés de gymnastique » de l’Allemand Jahn (à l’époque napoléonienne dans le cadre de la nouvelle armée prussienne de 1813). Ceux qui le suivent fondent alors la société de gymnastique viennoise, l’Hakoah. Dans un premier temps, Nordau (de son vrai nom Maximilian Simon Südfeld), n’était pas nécessairement favorable à l’établissement des futurs émigrants sionistes en Palestine : il avait montré son intérêt pour le plan britannique d’installer les colonies sionistes en Ouganda. Le 19 décembre 1903 à Paris, un maximaliste, favorable à l’installation des Juifs en Palestine, Chaim Selig Louban, jeune juif de Russie, tire deux balles de revolver dans sa direction mais le rate. Sujet autrichien, il doit quitter dare-dare la France dès la déclaration de guerre en 1914 et se réfugie à Madrid. Après la guerre, il s’installe à Londres où il fait la connaissance de Chaim Weizmann, qu’il avait avant-guerre critiqué pour ses positions modérées, et de Vladimir Z. Jabotinsky. Jusqu’à sa mort en 1923, Nordau défendra des idées radicales, plus proches du futur national-socialisme que de la social-démocratie professée par la plupart des intellectuels juifs non communistes. Social-darwiniste, il défend le colonialisme européen et admet, en radicalisant Moses Hess (cf. supra), le bien fondé des théories raciales en vogue à son époque. Lecteur des ouvrages de l’Italien Cesare Lombroso, il développe, dans son sillage, une théorie intéressante sur la « dégénérescence », phénomène mortifère qui s’est révélé dans la littérature dès la fin du 19ème siècle et qui annonce, à terme, pour les décennies à venir, une catastrophe sans précédent pour la civilisation européenne. Les phénomènes de dégénérescence vont s’amplifier et provoquer la mort de nos cultures. Nordau évoque aussi le « parasitisme » et l’ « illusionnisme », maux dont souffre l’humanité, et qui doivent être vaincus par le savoir factuel et les principes social-darwinistes de solidarité (et non pas de lutte de tous contre tous).

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Jabotinsky a été son disciple, lui qui réclamait la constitution, en Palestine, d’un « mur de fer fait de baïonnette juives » contre les autochtones arabes. Il fait la connaissance de Herzl lors du sixième congrès sioniste, alors qu’à proximité de sa ville natale d’Odessa, un pogrom a lieu à Chisinau en Moldavie. Jabotinsky deviendra le porte-parole des Juifs de Russie en butte aux dérapages des foules dans l’empire des Tsars.  Actif dans l’empire ottoman, où les Juifs sépharades bien intégrés ne se soucient guère de l’idée sioniste, il passe ensuite en Egypte au service des Britanniques qui, en 1917, permettront la création de la Jewish Legion, au sein de laquelle il commandera une compagnie et participera à des combats dans la vallée du Jourdain. Déçu par les réticences britanniques à conserver des unités entièrement juives en Palestine mandataire, il crée le mouvement de jeunesse du Bétar et fonde le mouvement des « sionistes révisionnistes ». Le terme « révisionniste » désigne ici un maximalisme radical, hostile non pas tant au mandat britannique (Jabotinsky reste loyal au pays qui lui a donné le grade de capitaine en son armée) mais à la politique modérée de Weizmann et des gauches sionistes de Palestine. Par exemple, Jabotinsky entend étendre le territoire du futur « Etat juif » aux deux rives du Jourdain, ce que Weizmann juge totalement irréaliste. Jabotinsky rejette également le projet du sioniste Chaim Arlosoroff (1899-1933) qui avait conduit aux accords dits « Ha’avara » avec les nouvelles autorités nationales-socialistes, qui auraient permis aux Juifs d’Allemagne d’émigrer en Palestine tout en y favorisant l’importation de produits industriels allemands. A son retour d’Allemagne, Arlosoroff est assassiné.

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Petit à petit, sa fidélité initiale à ses patrons britanniques s’estompera et il prendra le commandement de l’Irgun, où militait Menahem Begin qui sera son successeur, après son décès fortuit aux Etats-Unis, où il cherchait à recruter des combattants juifs pour la cause sioniste.

Après la guerre sionisto-britannique qui fit rage en Palestine entre 1945 et 1948, l’Etat d’Israël est créé et fut gouverné jusqu’en 1977 par des majorités sociales-démocrates (« travaillistes »). En 1977, Menahem Begin accède au pouvoir suite à la victoire de la droite israélienne, rassemblée dans le Likoud. Ce fut la victoire posthume de Nordau et de Jabotinsky. Le sionisme le plus radical prend le gouvernail en Israël. Mais cette victoire des droites israéliennes qui connaîtra de multiples avatars, avec des dissidences religieuses souvent encore plus radicales, induit un certain nombre d’intellectuels et d’historiens israéliens à critiquer le narratif sioniste, devenu doctrine d’Etat.

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Benny Morris, Colin Shindler, Ilan Pappé et Shlomo Sand (francophone et par ailleurs spécialiste de Georges Sorel) sont les principales figures du mouvement que l’on appelle désormais « post-sioniste ». Pour eux, le sionisme est une construction idéologique arbitraire où certains intellectuels juifs du 19ème siècle ont cherché à imiter les nationalistes européens en imaginant une « essence de la judaïté » comme il y avait une « essence de la germanité » chez les post-romantiques allemands ou de la « russéité » chez les slavophiles russes. Shlomo Sand explique que cette essence est imaginée au départ du récit de Flavius Josèphe, écrivain latin de l’antiquité romaine, qui avait décrit l’exil des Juifs après la destruction du temple par les légions de Titus. Le récit sioniste évoque une Judée martyre et, par suite, un « peuple judéen » dispersé dans le monde antique qui résumerait entièrement le fait juif. Sand, en explorant l’histoire de la Palestine antique, démontre qu’il y avait une judaïté « hasmonéenne » hellénisée puis romanisée qui pratiquait la conversion forcée de tribus sémitiques voisines et ne pratiquait pas un monothéisme rigoureux. Cette population hasmonéenne n’a pas été dispersée. Ensuite, au-delà de l’école post-sioniste, la thèse d’Arthur Koestler sur la 13ème tribu tend à accréditer, suite à une conversion de masse, l’origine khazare de nombreux Juifs de Russie et d’Ukraine dont les ancêtres n’ont jamais vécu dans la Judée romaine. Une guerre culturelle sévit donc en Israël entre tenants du récit sioniste et historiens post-sionistes.

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Le sionisme a donc bel et bien été un instrument de l’empire britannique d’abord, de l’impérialisme américain ensuite, isolant le peuplement juif au Proche-Orient et le posant comme ennemi de tous les Etats arabes de la région. Israël a donc, de ce fait, une position que le célèbre historien anglais Arnold J. Toynbee qualifiait d’ « hérodienne », c’est-à-dire non sioniste selon le narratif sioniste, dans la mesure où les Hérodiens juifs de l’antiquité, hellénisés, romanisés et alliés de l’empire romain, s’alignaient sur la géopolitique implicite d’un empire situé à l’Ouest de la Méditerranée, comme le sera aussi l’empire britannique du début du 19ème siècle à 1956 (lors de l’affaire de Suez) et le seront ensuite les Etats-Unis qui, d’après l’historien et géopolitologue Luttwak se posent comme les continuateurs de la géopolitique romaine dans le bassin oriental de la Méditerranée, tout en sachant que les Romains puis les Byzantins avaient pour objectif d’empêcher l’empire perse, parthe ou sassanide de déboucher sur le littoral de la Grande Bleue.

La critique du sionisme doit immanquablement passer par une étude des travaux des historiens israéliens de l’école post-sioniste, très sévères à l’endroit de la « Nakba » subie par les Palestiniens en 1948. Sinon toute critique de ce filon idéologique juif risque bien de ne reposer que sur des slogans, des dérapages antisémites sans fondements, donnant raison, rétrospectivement, à Léon Pinsker qui les qualifiait de « maladies mentales incurables ».

Bibliographie :

Alain BOYER, Les origines du sionisme, PUF, Paris, 1988.

Franco CARDINI, Lawrence d’Arabia, Sellerio Editore, Palermo, 2019.

Maurice-Ruben HAYOUN, Le judaïsme moderne, PUF, 1989.

Serge-Allain ROZENBLUM, Theodor Herzl – Biographie, Kiron/Editions du Félin, Paris, 2001.

Shlomo SAND, Les mots et la terre – Les intellectuels en Israël, Champs/Flammarion, Paris, 2010.

Colin SHINDLER, The Triumph of Military Zionism – Nationalism and the Origins of the Israeli Right, I. B. Tauris, London, 2010.

Richard WILLIS, « The Hebrew Insurgency », in : History Today, Vol. 72, Issue 6, June 2022.

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Et les « Royals » devinrent british…

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Et les « Royals » devinrent british

Pendant la première guerre mondiale, la famille royale britannique, de souche allemande, est devenue les »Windsor »…

Xaver Warncke

Les Anglais tiennent beaucoup à leurs « Royals » et peu d’institutions sont aussi représentatives de la Grande –Bretagne que la famille royale. Mais il y a en fait tromperie sur l’étiquette en ce cas précis. Car la monarchie anglaise n’est pas aussi britannique qu’on ne le croit. Si l’on jette un regard plus pénétrant sur le cas de cette monarchie, celle-ci est bel et bien la seule et unique monarchie allemande qui existe encore en Europe. Alors que le dernier Empereur d’Allemagne a abdiqué en 1918.

Voici les faits : jusqu’à la moitié du 19ème siècle quatre lignées de la haute noblesse allemande se sont incrustées dans la famille régnante en Grande-Bretagne. Les historiens anglais le savent pertinemment bien : ils nous parlent, à ce propos, de « trois invasions » de la noblesse allemande sur l’île.

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La première de ces invasions fut celle de la Maison des Saxe-Cobourg-Gotha. Ce petit duché dans la région frontalière entre la Thuringe et la Franconie était dirigé par une lignée qui pratiqua une habile politique matrimoniale si bien qu’elle devint une dynastie de dimension européenne. En 1840, le Prince Albert de Saxe-Cobourg fut promis à sa cousine, la future Reine Victoria qui devint la régente de cet Empire britannique aux dimensions planétaires, comme nous le narrent les livres d’histoire. Albert resta toute sa vie dans l’ombre de son épouse mais conquit néanmoins le cœur des Britanniques. En témoignent aujourd’hui le « Royal Albert Hall », qui lui doit son nom,  et le monument qui lui est dédié à Hyde Park.

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Georges I.

Mais les politiques matrimoniales des lignées allemandes avaient commencé bien plus tôt sur l’île au-delà de la Manche. Déjà en 1714, les Guelfes du Hanovre s’étaient montrés très actifs en Angleterre. Ils prirent la succession de la dynastie des Stuarts. Cinq rois d’Angleterre, Georges I, Georges II, Georges III, Georges IV et Guillaume IV furent tout à la fois princes électeurs du Hanovre et y dirigèrent les affaires au nom d'une union personnelle guelfe-britannique. Il fallut attendre l’absence d’un héritier mâle et l’accession au trône de Victoria en 1837, pour assister à l’éclipse des Hanovriens et à la montée des Saxe-Cobourg.

Pour être complet, il faut évoquer deux autres lignées princières allemandes qui ont joué un rôle non moins glorieux dans l’histoire de la monarchie britannique. D’abord la lignée hessoise des Battenberg a poussé le Prince Philippe à devenir l’époux de la reine Elizabeth II, si bien qu’il est le grand-père des actuels princes William et Harry. Philippe descend également, côté paternel, de la Maison du Schleswig, une lignée parallèle de la Maison nord-allemande des Oldenbourg.

Pendant la Première Guerre mondiale, les liens qui unissaient depuis des siècles la haute noblesse européenne se sont dissous, au cours de ces quatre années de conflits entre les peuples. Le nom de Battenberg a ainsi cessé d’être accepté en Grande-Bretagne. Il fallait absolument que l’on traduise ce nom en « Mountbatten ».

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Cette transformation ne s’est pas bien passée. Elle ne témoigne pas de la tolérance que l’on prête généralement aux Britanniques. Les Battenberg jouissaient, avant la guerre, d’une très haute estime et avaient accumulé les mérites. Le Prince Ludwig-Alexander von Battenberg servait depuis 1868 dans la marine de guerre britannique et était devenu, à la fin de l’année 1912, amiral et premier Sealord. Il avait dès lors le grade le plus élevé de la Royal Navy.

Ludwig-Alexander von Battenberg avait œuvré à augmenter considérablement les capacités de la flotte britannique et l’avait préparée à une guerre future. Ce fut son grand mérite. Mais cela ne compta plus dès le déclenchement de la guerre en 1914, quand les Allemands devinrent soudain l’ennemi. Une campagne de presse anti-allemande d’une violence inouïe secoua le pays, activée, notamment, par le germanophobe le plus calamiteux de toute l’histoire anglaise : le ministre de la marine d’alors, Winston Churchill (dont le douteux palmarès fut, après la deuxième guerre mondiale, d’avoir ruiné l’Empire). Quoi qu’il en soit, Battenberg, qui n’avait rien à se reprocher, fut démis de toutes ses fonctions le 27 octobre 1914. Il dut même renoncer à son titre de prince et changer son nom.

Mais on ne se limita pas à ce lynchage. Georges V était sur le trône depuis 1910. Il était un homme assez affable mais, lui aussi, avait la marque de Caïn : il avait un nom d’origine allemande.

Le Roi était fort navré d’avoir dû, à son corps défendant, assister à la chute de Battenberg : c’est pourquoi il nomma l’homme tombé en disgrâce membre du « Conseil secret de la Couronne » (Privy Council) et lui conféra le titre de Marquis de Milford Haven. Bien sûr, cette initiative royale alimenta encore plus la rage germanophobe qui sévissait au Royaume-Uni. Le Times n’hésita pas à injurier la Maison royale en l’accusant d’être « déterminée par l’étranger ».

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Le cours ultérieur de la guerre fit que les choses devinrent pires encore. La situation s’aggrava en décembre 1916 avec l’accession aux affaires du premier ministre nationaliste David Lloyd George (tableau, ci-dessus). Lorsque Georges V convia le nouveau chef du gouvernement à présenter son rapport, Lloyd George aurait dit, ironiquement : « Je suis très impatient de savoir ce que mon petit ami allemand va me dire ». Le roi Georges entra alors dans une violente colère. « Il se peut que je ne donne pas l’impression d’être particulièrement authentique mais que je sois maudit si je suis un étranger », aurait-il dit en protestant.

Pendant un an, le Roi tint bon face à la pression de l’opinion publique mais il dut céder. Le 17 juillet 1917, il proclama qu’il abandonnait le nom de la dynastie des Saxe-Cobourg-Gotha pour adopter celui, qui sonne très anglais, de « Windsor ». Le nom était tiré d’un des lieux de résidence de la famille royale, le château de Windsor, construit au début du 14ème siècle dans le Comté de Berkshire situé à la lisière ouest de Londres.

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Le passé « allemand » de la dynastie britannique prenait ainsi fin de manière abrupte. De manière ostentatoire, toutes les bannières de guerre allemandes furent enlevées de la Chapelle Saint-Georges du château. Ce qui est plus important encore : par sa proclamation de juillet 1917, Georges V renonçait officiellement, pour lui et pour tous les descendants de la Reine Victoria, à son nom et à ses titres allemands. Ce ne fut qu’à ce moment-là que la campagne de presse prit fin. D’un jour à l’autre, l’atmosphère changea et Georges V fut à nouveau accepté.

De l’autre côté de la Manche et de la Mer du Nord, l’Empereur Guillaume II, lui aussi petit-fils de la Reine Victoria, commenta avec son sens personnel de l’humour les événements qui venaient de se dérouler en Angleterre : il proposa de changer le titre de la célèbre comédie de Shakespeare « Les joyeuses commères de Windsor » en « Les joyeuses commères de Saxe-Cobourg-Gotha ». A l’heure où j’écris ces lignes, cent ans se sont écoulés depuis la métamorphose des Saxe-Cobourg d’Angleterre en Windsor.

(article tiré de Zuerst, n°8-9/2017).

 

vendredi, 04 octobre 2024

L'équilibre géopolitique des puissances il y a 2500 ans

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L'équilibre géopolitique des puissances il y a 2500 ans

Les rapports de force géopolitiques en tranches chronologiques

Maxim Medovarov

Il y a exactement 2500 ans, en 477/476 avant J.-C., s'annonçaient de sérieux changements dans l'équilibre des forces sur le Vieux Continent. Alors que 500 ans plus tôt, Israël et la Chine étaient les leaders mondiaux, la situation s'était inversée. Les Juifs étaient désormais les sujets obéissants du gigantesque empire perse achéménide, à l'époque le plus grand de l'histoire en termes de superficie et de puissance. La Chine était toujours gouvernée par la dynastie Chou, descendante directe de Mu-wang, comme elle l'avait été 500 ans plus tôt, mais son pouvoir était désormais confiné au minuscule district de Loi, sur le Huang He central, au-delà duquel la prétention rituelle de Wang à être le Fils du Ciel ne signifiait plus rien. En 476 avant J.-C., il y a 2 500 ans, Jing-wang II mourut, remplacé par son fils Yuan-wang, ce qui coïncide étrangement avec la coupure abrupte des annales d'État de Chunqiu (Printemps et automnes). À partir de ce moment, il est d'usage de compter la période de transition vers l'ère des Royaumes combattants, caractérisée par des luttes de plus en plus vives entre les clans régionaux de princes (gongs) et de ducs (hou) pour l'hégémonie dans la région.

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Face au déclin apparent de la Chine, au chaos des cités-États en Inde et à la stagnation misérable de l'Égypte, de la Judée et de la Mésopotamie sous la domination perse, l'avantage des Iraniens semble indiscutable. Jamais la puissance perse n'avait été aussi forte et monolithique qu'il y a 2500 ans. Le roi Khshayarshya, appelé Xerxès par les Grecs, raconte avec arrogance dans des inscriptions comment il a éliminé les adorateurs du diable, les adorateurs des dévas. À la place des dévas sont apparus les dieux (pers. « baga »), un scénario repris littéralement par les Slaves. Même en dehors de l'Iran, sur le lac de Van, le roi perse a gravé une inscription retentissante : « Baga vazraka Auramazda, khwa mati sta baganam, khwa imam boom im ada, khwa avam asmanam ada, khwa martiyam ada, khwa shiyatim ada, martiakhya hya Khshayarsham khshayatiyam, akunaush aivam parunam shayatiyam. Adam Hshayarsha, hshayatiyyah vazraka, hshayatiyyah hshayatiyanam, hshayatiyyah dahyunam paruv zananam, hshayatiyyah ahyaya bumya va zrakaya duraiyyah, apiy Darayavahaush hshayatiyyahya, pucha Hahamanishya. ». « Ahuramadza est le grand dieu, le plus grand parmi les dieux, qui a créé la terre, qui a créé le ciel, qui a créé l'homme, qui a créé le bonheur pour l'homme, qui a créé le roi Xerxès, le roi de tout, le seul souverain de tout. Je suis Xerxès, grand roi, roi des rois, roi des rois, roi de tous les peuples de toutes origines, roi de cette terre, grande et vaste, fils du roi Darius, Achéménide ».

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Notons toutefois que la nouvelle idéologie royale des Achéménides n'est en aucun cas d'origine purement iranienne, indo-européenne. Dans ses inscriptions, Xerxès parle directement de la « grâce » monarchique qu'il répand sur les peuples conquis. Cette grâce - « kithen » - est un mot élamite, un terme clé de l'idéologie politique élamite. Il ne faut pas oublier que les Perses de l'époque de Darius et de Xerxès étaient un peuple à moitié mélangé avec des Élamites, et que l'élamite est restée la deuxième langue d'État avec le vieux-persan, les inscriptions royales étant gravées en deux et même trois langues (en tenant compte de l'akkadien en tant que langue de communication internationale du Moyen-Orient).

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Dans ses efforts pour répandre la lumière de son bon « kytene », le roi s'était heurté, deux ou trois ans auparavant, à la résistance acharnée de la coalition athénienne et spartiate, qui lui avait infligé de terribles défaites. En 477 avant J.-C., la guerre se poursuit. Cette année-là, Athènes, à peine remise de la conflagration perse, achève la construction du port du Pirée, centre de sa puissance navale, et le commandant Kimon débarque en Asie Mineure et lance une offensive contre les Perses sur le continent. Le grand poète grec Simonide de Kéos, qui avait inspiré les victoires athéniennes, trouve une nouvelle occupation : il se rend d'urgence en Sicile en tant qu'artisan de la paix. Les Grecs d'Italie, les colons de la Grande Grèce, ne se préoccupent pas encore beaucoup des affaires de leurs compatriotes de l'Est. Ils avaient leurs propres guerres intestines. En 477, le tyran syracusain Hieron prend d'assaut Locra à Rhegium et poursuit sa guerre contre le tyran argygentien Théron. C'est à ce moment-là que Simonide de Keos arrive et, grâce à son autorité poétique, réconcilie Hieron avec Theron en 476.

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À quelque 800 kilomètres au nord de leurs escarmouches, une guerre brutale et éprouvante opposait deux cités-états naines qui ne contrôlaient chacune que 500 km2 de territoire. La première ville s'appelait Veiès et était habitée par les Étrusques, bien qu'elle fût défendue par des troupes de tribus rurales alliées qui parlaient des dialectes latins: les Volsques et les Éques. La deuxième ville était la Rome latine. De Rome à Veiès, il n'y a que 18 kilomètres en ligne droite (par la route, c'est une fois et demie plus long). À mi-chemin, la petite rivière Cremère, sur la droite, se jette dans le Tibre. Un peu plus loin se trouve le grand village de Fidenae (Fidénes). C'est là qu'était extrait le sel, dont dépendait l'hégémonie géoéconomique de Rome ou de Veiès sur l'ensemble du bassin du Tibre. Depuis l'époque de Romulus, les Romains avaient fait la guerre à Veiès de temps à autre. Mais avec l'arrivée au pouvoir du clan des Fabiens (Fabii), ils s'y attaquèrent sérieusement. Les Fabii étaient une ancienne famille patricienne qui se considérait comme la descendante d'Hercule et qui était ainsi nommée en l'honneur de la fève (faba en latin). Ils étaient d'ardents partisans du pouvoir oligarchique de la noblesse à Rome, se disputaient désespérément et vicieusement les masses plébéiennes et finirent (probablement en 480) par tuer le commandant favori et invincible du peuple, le sauveur répété des Romains, Spurius Cassius. Ses enfants furent dégradés par les Fabii: de patriciens, ils furent contraints de devenir plébéiens. Les Fabii ont contrôlé le pouvoir à Rome pendant sept ans, occupant des postes de consul.

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Cependant, la haine populaire à l'égard des Fabii a atteint un tel niveau que les plébéiens ont refusé de combattre Veiès pour contrôler les gisements de sel. En 477, les Fabii ont décidé de faire la guerre contre le gré de leurs propres concitoyens, en envoyant tous les hommes adultes de leur clan à la guerre. Les historiens ultérieurs font état de 306 Fabii et de 4000 soldats auxiliaires, ce qui ressemble étrangement aux 300 Spartiates et aux 3900 soldats auxiliaires aux Thermopyles, trois ans plus tôt. En fait, la Rome de l'époque ne pouvait tout simplement pas compter sur des troupes aussi nombreuses (la population romaine totale atteignait à peine quelques milliers de personnes), et ces chiffres devraient donc être considérablement réduits. Cela n'affecte cependant pas l'essentiel de ce qui s'est réellement passé. Les Fabii de la famille des Vibulani (dont le nom dérive probablement d'un toponyme local) ont construit une fortification en bois près de l'embouchure de la Cremère, à 8 kilomètres de Veiès, et étaient bien retranchés, mais pour une raison quelconque, ils ont divisé leur armée entre la forteresse et la colline qui se trouvait à proximité. Les Étrusques de Veiès et leurs alliés italiques profitent de la médiocrité des frères Kaeso et Marcus Fabius Vibulanus, anciens consuls et généraux actifs (leur troisième frère Quintus avait été tué à Veiès trois ans plus tôt). Les Véiens prennent le retranchement à leur tour et massacrent les deux composantes des détachements fabiens. Ce jour-là, le 18 juillet 477 avant J.-C., il y a exactement 2500 ans, tous les hommes du clan des Fabii (qu'ils soient trente ou trois cents) sont tombés sur les rives de la Cremère. Seul l'adolescent Quintus le Jeune, fils de Marcus, resté à Rome, survécut. Les maigres et tragiques lignes de Tite-Live nous sont parvenues : « Fabii caesi ad unum omnes praesidiumque expugnatum. Trecentos sex perisse satis convenit, unum prope puberem aetate relictum, stirpem genti Fabiae dubiisque rebus populi Romani saepe domi bellique vel maximum futurum auxilium ».

Après la catastrophe, la redoute de la Cremère est détruite et les troupes du consul Menenius sont également vaincues. Les Étrusques pénètrent dans Rome, assiègent l'Esquilin et brûlent les villages des deux rives du Tibre. Bien qu'ils soient repoussés de la porte Colline et même expulsés de la rive gauche au cours de l'été 476, les objectifs de leur guerre ne sont pas atteints. Les Étrusques se retirèrent à Fidènes et au-delà de la Cremère, mais les Romains restèrent silencieusement dans leur ville et ne célébrèrent pas la victoire, faute de l'avoir obtenue. À ce stade, Rome n'a pas été en mesure de remporter la bataille du sel. Il lui faudra attendre encore quatre-vingts ans de guerre persistante et épuisante avec Veiès pour survivre, si brutale et parsemée de défaites fréquentes dues à des commandants sans talent, que les Romains n'ont jamais connue auparavant et à laquelle, en détruisant Veiès, seul Camillus, perçu par le peuple comme un faiseur de miracles et un demi-dieu, sera capable de mettre fin. Mais ce sera une autre époque. En attendant, il y a exactement 2500 ans, la moisson sanglante dans les champs de bataille du Latium, de la Sicile et de l'Ionie préparait le terrain pour le déclin des puissances majeures de l'époque comme l'Iran et la montée en puissance de nouveaux hégémons régionaux.

 

mercredi, 25 septembre 2024

Le Plan Dawes: le paiement des réparations allemandes après la première guerre mondiale

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Le Plan Dawes: le paiement des réparations allemandes après la première guerre mondiale

Bernhard Tomaschitz

L’occupation de la région de la Ruhr par des troupes françaises et belges s’était déjà étalée sur plus de dix-huit mois, lorsque le Plan Dawes entra en vigueur le 1 septembre 1924. Ce plan doit son nom au banquier et homme politique américain Charles G. Dawes. Il prévoyait le paiement par l’Allemagne des réparations aux Alliés, imposées par le Diktat de Versailles. Dans son préambule, ce plan stipulait que « les garanties, que nous proposons, sont de nature économique et non politique ».

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Les clauses du Plan Dawes prévoyaient, entre autres choses, que le paiement des réparations commence, la première année, par le versement d’un milliard de Reichsmark et, qu’au bout de cinq ans, le montant s’élèverait chaque année à deux milliards et demi de Reichsmark. On ne précisa aucun montant total, exactement comme dans les clauses du Traité de Versailles. Ce Diktat imposé au vaincu par les vainqueurs n’avait prévu qu’une somme de 20 milliards de Reichsmark que l’Allemagne devait payer avant avril 1920. Le montant exact des réparations allemandes devait être fixé par une commission interalliés.

En avril 1921, les Alliés décidèrent d’adopter le plan de paiement de Londres, élaboré par la dire commission. Selon ce plan, le montant total des réparations était fixé à 132 milliards de Reichsmark, ce qui correspond à quelque 700 milliards d’euro actuels. Ce montant correspondait à un compromis suggéré par la Belgique, tandis que les Français et les Italiens réclamaient bien davantage et les Britanniques nettement moins. Les Alliés avaient déclaré que ces 132 milliards de RM constituaient « une estimation minimale que tolèrerait l’opinion publique ».

Les difficultés économiques (à commencer par l’énorme inflation) firent que les exigences des ennemis de l’Allemagne s’avérèrent impossibles à satisfaire. Cela induisit la France à occuper la Ruhr en janvier 1923. Le Plan Dawes mit un terme à l’occupation de la Ruhr en 1925.

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Les Etats-Unis n’avaient exigé aucune réparation de l’Allemagne. Mais en élaborant ce Plan Dawes, ils poursuivaient des intérêts qui étaient bel et bien leurs. Ils voulaient s’assurer que les crédits, que les banques américaines avaient octroyés aux Alliés pendant la première guerre mondiale, soient effectivement remboursés grâce aux réparations payées par les Allemands. Sur le site des archives historiques du ministère américain des affaires étrangères, on peut lire : « Entretemps, un deuxième problème financier, issu de la guerre, créait des tensions entre les anciens Alliés. Tandis que les Etats-Unis avaient peu d’intérêt à exiger des réparations de l’Allemagne, ils étaient néanmoins bien décidés à se faire rembourser le montant de plus de 10 milliards de dollars qu’ils avaient prêtés aux Alliés pendant toute la durée de la guerre ».  La banque d’émission, la FED, avait calculé en 2012 que les dix milliards de dollars de l’époque correspondaient à 155 milliards actuels.

Pour avoir élaboré son plan de paiement pour les réparations dues par l’Allemagne, Dawes obtint en 1925 le Prix Nobel de la Paix (il était entretemps devenu le vice-président des Etats-Unis). Pendant de longues décennies, l’Allemagne continue à payer les réparations imposées suite à sa défaite de 1918. La dernière traite en fut payées en 2010, soit 92 ans après la fin de la première guerre mondiale.

(article tiré de Zur Zeit, Vienne, n°37/2024).

vendredi, 20 septembre 2024

Tucker Carlson et le syndrome Churchill

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Tucker Carlson et le syndrome Churchill

Nicolas Bonnal

Tucker Carlson discutant avec Darryl Cooper a dit courageusement que les conséquences de la victoire anglo-saxonne en 1945 ont été mauvaises pour nous – et pour les peules anglo-saxons, grand-remplacés et soumis à la tyrannie mondialiste-néo-communiste-antiraciste-écologiste ; et en même temps il a découvert le syndrome Churchill (voir le texte de McDonald sur Unz.com): c’est la rage d’anéantir le monde « pour en faire un lieu sûr pour la démocratie ». On a vu les résultats de l’intervention de Wilson en 1917-18: destruction de l’Europe encore chrétienne, impériale ou traditionnelle, avènement non des cosaques et du Saint-Esprit mais des bolchéviques et du communisme, et surtout préparation de la guerre suivante comme le devina Bainville (qui avait aussi pressenti «l’incendie à venir lié au sionisme», voyez mes textes). Un auteur italien traduit par notre ami Robert Steuckers, parlant de la nuisance anglaise, a parlé de retour de Grand Jeu dans ces préparatifs de guerre terminale contre la Russie. Je dirais qu’on a plutôt affaire au syndrome Churchill. 

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Churchill est l’homme politique le plus nul possible (voir le livre de John Charmley) sur le plan pratique, et qui ne se sentait à l’aise que dans des guerres totales et d’extermination contre les Allemands, qui étaient la cible de l’époque. Or sur ordre des néo-cons, beaucoup plus inspirés par Churchill que par Strauss, les hommes politiques nuls ou même obscènes que nous avons en Occident veulent se lancer dans une guerre éternelle de type orwellien contre la Russie ; dans l’espoir que ces chefs de guerre insensés seront célébrés par des foules toujours plus abruties. Ils oublient que Churchill fut jeté dehors par ses électeurs british en 1945, preuve sans doute que la satisfaction n’était pas à la hauteur des aspirations du chéri des journalistes.On va citer le capitaine Grenfell, auteur de Haine inconditionnelle, ami du romancier à clefs John Buchan, sur les buts aberrants de Churchill, car ce pseudo-conservateur se mit à déifier le stalinisme pour écraser l’hitlérisme (qui lui avait proposé dix fois la paix).

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Je cite la traduction de mes amis du Saker francophone :

« Mais, en supposant que la suppression par la force des tyrannies dans des pays étrangers constituât le devoir des Britanniques, pourquoi trouvait-on une autre tyrannie, partenaire des Britanniques dans ce processus? La tyrannie communiste, en Russie, était pire que la tyrannie nazie en Allemagne ; les conditions générales de vie du peuple russe étaient largement inférieures à celles des Allemands ; le travail de forçat en Russie était employé à grande échelle, en comparaison à la même pratique sur le sol allemand, la cruauté n’y avait rien à envier à celle du côté allemand, et de nombreux observateurs la décrivent même comme bien plus importante.

La technique répugnante des purges, des interrogatoires brutaux amenant à “confession”, et l’espionnage domestique généralisé était déjà à l’œuvre en Russie depuis des années avant qu’Hitler n’introduise ces mêmes méthodes en Allemagne, qu’il copia probablement de l’exemple russe. Mais M. Churchill encensait la Russie comme allié des plus bienvenus, quand elle se trouva embarquée dans la guerre. »

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Plus loin Grenfell souligne le bilan effrayant et ruineux de cette guerre pour l’Angleterre :

« Il s’était montré prêt à tout sacrifier pour parvenir à cette victoire, et les sacrifices consentis par lui laissèrent ses co-vainqueurs britanniques à moitié ruinés, rationnés, emprisonnés financièrement dans le camp de concentration de leur île, assistant à la désintégration de leur Empire, leur propre pays occupé par des soldats américains, et leur économie nationale dépendant de la charité étasunienne. Tout cela pour quoi ? Pour que les Allemands se vissent désarmés de manière permanente? À peine trois ou quatre années passées, nous suppliions les Allemands de se réarmer aussi rapidement que possible. »

C’est l’ambiance de 1984. Avec une guerre interminable à venir.

Grenfell a tout résumé : on a détruit le pays et l’Europe pour rien, pour se retrouver avec une URSS plus forte que jamais. Puis avec une Europe « anglo-américaine » (ils ont bon dos les Anglo-Saxons parfois…) plus belliciste que jamais…

Ce n’est pas un hasard si Orwell a écrit son 1984 pendant cette triste époque. Voyez l’enfant aux cheveux verts de Losey ; on est passé de l’Angleterre edwardienne maîtresse du monde vers 1900 à un pays prolétarisé et clochardisé y compris sur le plan culturel et sociétal. Et c’est Churchill et sa rage guerrière qui ont précipité tout cela. Mais puisqu’on vous dit qu’il a sauvé le monde et la paix…

Les nazis volaient des territoires ? Grenfell, qui n’est pas russophile pour un sou, remarque justement (et cela explique la claque de Kaliningrad…) :

« Pourtant, à Yalta, il accepta que des centaines de milliers de kilomètres carrés de territoire polonais (sans parler des territoires lettons, lituaniens ou estoniens) fussent accordés, sans l’aval des habitants, aux gâteurs d’âme, en désaccord flagrant de la Charte Atlantique que lui-même et le président des USA avaient claironné au monde au cours de la même guerre, et en déni flagrant de la déclaration de guerre britannique contre l’Allemagne de 1939, qui précisément garantissait l’inviolabilité du territoire polonais. En outre, les compensations accordées aux Polonais sous forme de territoire d’Allemagne orientale, et l’allocation de la moitié du reste de l’Allemagne à une occupation russe, eurent pour effet de supprimer la zone tampon historique entre Moscou et les pays bordant l’Atlantique. »

Et Grenfell d’ajouter justement :

« Aucune raison réaliste n’existait de considérer l’alliance de la Russie comme loyale et digne de confiance. »

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Sur Roosevelt, Grenfell rejoint les libertariens américains :

« On peut également admettre que le président Roosevelt, à cette époque, était dans un état d’hallucination fascinée quant à la pureté virginale des motivations du maréchal Staline… »

Revenons à la situation présente : nos élites s’inspirent et se réclament d’un homme politique opportuniste, belliqueux et corrompu, aussi incapable en temps de guerre qu’en temps de paix, et qui fut prêt à tout pour gagner une guerre déshonorante (un million de civils allemands carbonisés sous les bombes, quatorze millions de déplacés, etc.) et déplorable sur le plan des résultats (shoah, massacres, ruine, etc.).

Comprenez donc qu’ils vous affameront, vous priveront d’eau, d’électricité, de bagnole, de liberté (mais pas d’infos ou de vaccin…), mais qu’ils continueront dans leur aberration guerrière jusqu’au bout. Tout sera bon pour exterminer la Russie (ennemi de certains sur le long terme, revoir notre texte sur Emmanuel Todd et sur Nietzsche) qui a fièrement retrouvé sa place, une fois l’Allemagne écrasée.

Sources :

Nicolas Bonnal sur Amazon.fr

https://www.dedefensa.org/article/emmanuel-todd-et-le-con...

https://www.unz.com/article/the-carlson-cooper-podcast-a-...

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2024/09/16/l...

https://www.revuemethode.org/sf021722.html

1920 : Jacques Bainville explique Hitler et la Deuxième Guerre Mondiale - Les 4 Vérités Hebdo - La publication anti bourrage de crâne (les4verites.com)

https://www.amazon.fr/HITLER-VERSAILLES-PETITS-ESSAIS-HIS...

 

mardi, 17 septembre 2024

Tocqueville et la fabrication du pauvre britannique

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Tocqueville et la fabrication du pauvre britannique

Nicolas Bonnal

L’Angleterre et ses dominions orwelliens paraissent aujourd’hui les entités administratives  (il n’y a plus d’Etat) les plus totalitaires du monde; difficile de savoir quelle élite, locale ou globale, a décidé de l’édification du cauchemar british, carbonique ou antiraciste. Un épisode raconté par Tocqueville va nous rappeler qu’en la terre d’Utopie, de Bensalem (Bacon) et de 1984 tout a toujours indiqué un inquiétant cauchemar bien éloigné des libertés vantées ici ou là par les agents de l’Empire. Hugo semble s’en être rendu compte dans l’Homme qui rit, qui dénonce d’une façon inédite et géniale les méfaits de la kleptocratie la plus dure et résiliente du monde. Mais on y reviendra.

Les émeutes britanniques montrent que le pauvre anglais est toujours d’aussi mauvaise qualité. L’élite ne vaut guère mieux (Todd a expliqué pourquoi) mais ce n’est pas notre problème aujourd’hui. Là elles se sont trouvées un adversaire à leur hauteur ces élites britanniques, et c’est le pauvre anglais contre lequel elles s’acharnent depuis Hastings, et qui finira l’année numérisé, avant nous donc; car cette bataille de Hastings (1066 donc, avec son livre du Jugement dernier à la clé) est la bataille qui sert de modèle à la globalisation: une élite néo-féodale aura toute la terre, le reste crèvera. Guillaume avait fait détruire des centaines de villages pour étaler ses territoires de chasse. Il chassa aussi le clergé saxon avec l’aide papale (ce fut la première croisade en fait, et c’est dommage qu’on ne le comprenne pas) et une élite ORTHODOXE trouva refuge à Constantinople.

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Tolkien savait ces choses, et lui qui détestait les Normands et se concentrait sur le vieux génie saxon (voyez mon livre) avait compris que la dystopie et le monde moderne avaient lieu en Angleterre. Lisez enfin l’Homme qui rit de Hugo (l’Homme qui rit est l’ancêtre du Joker de Batman) qui décrit magnifiquement (plus grand roman du monde, a dit justement – tout arrive – Ayn Rand) le sort du pauvre dans l’île noire d’Hergé, mère de toutes les dystopies. Certains disent que l’élite possède encore 50% des terres britanniques, d’autres 85%. Elle a concentré sa population INDUSTRIELLE dans cinq villes depuis un siècle et demi comme dans ses dominions (90%  de la population australienne ou canadienne vit dans cinq ou six villes) et tout le monde est content-vacciné-numérisé-alcoolisé-connecté. Le contrôle du pauvre par la cruauté (toujours exemplaire) ou du britannique moyen par la presse et par les médias (voyez McLuhan) a toujours été sans égal. Le flegme britannique ou soumission imbécile aura fait le reste à travers les âges: voir les guerres fratricides contre une Allemagne qui ne demandait que la paix (cf. nos textes sur Grenfell et Churchill).

Mais pour être parfaite une élite diabolique doit aussi et surtout être humanitaire et progressiste (voyez Dorian Gray et son couple festif, homo, socialiste, amateur d’exotismes, collectionneur et anarchisant). Comme dit Trotski dans un texte célèbre que j’ai recensé, « pour chaque brigandage elle (l’élite bancaire US) sert un mort d’ordre humanitaire ». De ce point de vue le christianisme avec sa tartuferie ontologique et millénaire et ses capacités baroques à se transformer lui servira jusqu’au bout d’accompagnateur fidèle.

Elite la plus dure du monde, la féodalité british a toujours su y faire avec le paupérisme au point de cultiver son pauvre depuis la Réforme. Elle a créé le pauvre soumis, industriel, numérisé, absous et béni, pauvre qui n’a pas le droit de bouger de sa paroisse. Et elle l’a fait sous Elisabeth, au moment où Shakespeare (dix fois moins sulfureux et informé que Marlowe, mais c’est un autre problème) dessine la mondialisation dans la Tempête avec ses Caliban. C’est ce que nous explique Tocqueville donc dans son incroyable étude sur le paupérisme qui décrit en quelques pages le monde à venir du « mendiant ingrat », comme dit Léon Bloy :

« Mais je suis profondément convaincu que tout système régulier, permanent, administratif, dont le but sera de pourvoir aux besoins du pauvre, fera naître plus de misères qu'il n'en peut guérir, dépravera la population qu'il veut secourir et consoler, réduira avec le temps les riches à n'être que les fermiers des pauvres, tarira les sources de l'épargne, arrêtera l'accumulation des capitaux, comprimera l'essor du commerce, engourdira l'activité et l'industrie humaines et finira par amener une révolution violente dans l'État, lorsque le nombre de ceux qui reçoivent l'aumône sera devenu presque aussi grand que le nombre de ceux qui la donnent, et que l'indigent ne pouvant plus tirer des riches appauvris de quoi pourvoir à ses besoins trouvera plus facile de les dépouiller tout à coup de leurs biens que de demander leurs secours (1835). »

Il y a beaucoup de pauvres en Angleterre donc :

« Pénétrez maintenant dans l'intérieur des communes ; examinez les registres des paroisses, et vous découvrirez avec un inexprimable étonnement que le sixième des habitants de ce florissant royaume vit aux dépens de la charité publique. »

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Et de distinguer les deux charités, la traditionnelle (enfin, l’ancienne, la chrétienne) et la moderne:

« Il y a deux espèces de bienfaisances: l'une, qui porte chaque individu à soulager, suivant ses moyens, les maux qui se trouvent à sa portée. Celle-là est aussi vieille que le monde ; elle a commencé avec les misères humaines; le christianisme en a fait une vertu divine, et l'a appelée la charité.

L'autre, moins instinctive, plus raisonnée, moins enthousiaste, et souvent plus puissante, porte la société elle-même à s'occuper des malheurs de ses membres et à veiller systématiquement au soulagement de leurs douleurs. Celle-ci est née du protestantisme et ne s’est développée que dans les sociétés modernes. »

La deuxième charité est inédite et dangereuse (rappelons que c’est elle qui promeut depuis le théosophisme l’invasion de pays européens promis au brassage numérique des troupeaux de Laban – voyez mon livre sur Internet) :

« La première est une vertu privée, elle échappe à l'action sociale ; la seconde est au contraire produite et régularisée par la société. C'est donc de celle-là qu'il faut spécialement nous occuper. »

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Atelier du monde moderne. Voici comment Tocqueville décrit notre Angleterre (quel est son secret ? Voyez le Repaire du ver blanc, livre de Bram Stoker et film de Ken Russell avec l’inévitable-inquiétant-omniprésent Hugh Grant):

« Le seul pays de l'Europe qui ait systématisé et appliqué en grand les théories de la charité publique est l'Angleterre. A l'époque de la révolution religieuse qui changea la face de l'Angleterre, sous Henri VIII, presque toutes les communautés charitables du royaume furent supprimées, et comme les biens de ces communautés passèrent aux nobles et ne furent point partagés entre les mains du peuple, il s'ensuivit que le nombre de pauvres alors existants resta le même, tandis que les moyens de pourvoir à leurs besoins étaient en partie détruits. »

Conséquence : on fabrique du pauvre…

« Le nombre des pauvres s'accrut donc outre mesure, et Élisabeth, la fille de Henri VIII, frappée de l'aspect repoussant des misères du peuple, songea à substituer aux aumônes que la suppression des couvents avait fort réduites, une subvention annuelle, fournie par les communes. »

Pas besoin de communisme, même sacerdotal. Albion fabrique et contrôle son pauvre Made in England:

« Une loi promulguée dans la quarante-troisième année du règne de cette princesse dispose que dans chaque paroisse des inspecteurs des pauvres seront nommés; que ces inspecteurs auront le droit de taxer les habitants à l'effet de nourrir les indigents infirmes, et de fournir du travail aux autres. A mesure que le temps avançait dans sa marche, l'Angleterre était de plus en plus entraînée à adopter le principe de la charité légale. Le paupérisme croissait plus rapidement dans la Grande-Bretagne que partout ailleurs. »

Tocqueville rappelle aussi que la terre se concentre entre quelques mains (cf. l’Ukraine ou la France en ce moment d’extermination des paysans):

« Il arrive depuis un siècle, chez les Anglais, un événement qu'on peut considérer comme un phénomène, si l'on fait attention au spectacle offert par le reste du monde. Depuis cent ans, la propriété foncière se divise sans cesse dans les pays connus; en Angleterre, elle s'agglomère sans cesse. Les terres de moyenne grandeur disparaissent dans les vastes domaines, la grande culture succède à la petite. »

Tocqueville rappelle qu’il vaudrait mieux ne pas trop pousser tout le monde à l’oisiveté :

« Il y a pourtant deux motifs qui le portent au travail: le besoin de vivre, le désir d’améliorer les conditions de l’existence. L’expérience a prouvé que la plupart des hommes ne pouvaient être suffisamment excités au travail que par le premier de ces motifs, et que le second n’était puissant que sur un petit nombre. Or un établissement charitable, ouvert indistinctement à tous ceux qui sont dans le besoin, ou une loi qui donne à tous les pauvres, quelle que soit l’origine de la pauvreté, un droit au secours du public, affaiblit ou détruit le premier stimulant et ne laisse intact que le second. »

Résultats ? Avant la Ferme des Animaux donc, beaucoup de pauvres, surtout beaucoup de surveillants :

« Les Anglais ont été obligés de placer des surveillants des pauvres dans chaque commune. »

On crée une nouvelle classe, celle des assistés :

« Toute mesure qui fonde la charité légale sur une base permanente et qui lui donne une forme administrative crée donc une classe oisive et paresseuse, vivant aux dépens de la classe industrielle et travaillante. C'est là, sinon son résultat immédiat, du moins sa conséquence inévitable. Elle reproduit tous les vices du système monacal, moins les hautes idées de moralité et de religion qui souvent venaient s'y joindre. »

Un abaissement moral du pauvre et même du riche trop taxé (on le rassure : les ultra-riches ne le sont nulle part, taxés) en découle :

« Mais le droit qu'a le pauvre d'obtenir les secours de la société a cela de particulier, qu'au lieu d'élever le cœur de l'homme qui l'exerce, il l'abaisse. Le pauvre qui réclame l'aumône au nom de la loi est donc dans une position plus humiliante encore que l'indigent qui la demande à la pitié de ses semblables au nom de celui qui voit d'un même œil et qui soumet à d'égales lois le pauvre et le riche.

La charité légale laisse subsister l'aumône, mais elle lui ôte sa moralité. Le riche, que la loi dépouille d'une partie de son superflu sans le consulter, ne voit dans le pauvre qu'un avide étranger appelé par le législateur au partage de ses biens. »

Aucune gratitude à attendre (Léon Bloy a donc raison) :

« Le pauvre, de son côté, ne sent aucune gratitude pour un bienfait qu'on ne peut lui refuser et qui ne saurait d'ailleurs le satisfaire ; car l'aumône publique, qui assure la vie, ne la rend pas plus heureuse et plus aisée que ne le ferait l'aumône individuelle; la charité légale n'empêche donc point qu'il n'y ait dans la société des pauvres et des riches, que les uns ne jettent autour d'eux des regards pleins de haine et de crainte, que les autres ne songent à leurs maux avec désespoir et avec envie. »

Comme un implacable et méchant libéral (mot qui ne veut rien dire depuis des siècles) ou même libertarien (voyez mon recueil), Tocqueville explique donc :

« J'ai dit que le résultat inévitable de la charité légale était de maintenir dans l'oisiveté le plus grand nombre des pauvres et d'entretenir leurs loisirs aux dépens de ceux qui travaillent. »

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Les sceptiques pourront relire Jack London et sa description des pauvres londoniens (sic) victimes non pas du capitalisme mais de la charité trop bien ordonnée. Tocqueville écrit alors, comme un bon taoïste chinois:

« Si l'oisiveté dans la richesse, l'oisiveté héréditaire, achetée par des services ou des travaux, l'oisiveté entourée de la considération publique, accompagnée du contentement d'esprit, intéressée par les plaisirs de l'intelligence, moralisée par l'exercice de la pensée: si cette oisiveté, dis-je, a été la mère de tant de vices, que sera-ce d'une oisiveté dégradée acquise par la lâcheté, méritée par l'inconduite, dont on jouit au milieu de l'ignominie et qui ne devient supportable qu'à mesure que l'âme de celui qui la souffre achève de se corrompre et de se dégrader ? »

Et d’observer l’étendue des dégâts :

« Lisez tous les livres écrits en Angleterre sur le paupérisme ; étudiez les enquêtes ordonnées par le Parlement britannique ; parcourez-les discussions qui ont eu lieu à la Chambre les Lords et à celle des communes sur cette difficile question ; une seule plainte retentira à vos oreilles : on déplore l'état de dégradation où sont tombées les classes inférieures de ce grand peuple ! Le nombre des enfants naturels augmente sans cesse, celui des criminels s'accroît rapidement ; la population indigente se développe outre mesure ; l'esprit de prévoyance et d'épargne se montre de plus en plus étranger au pauvre ; tandis que dans le reste de la nation les lumières se répandent, les mœurs s'adoucissent, les goûts deviennent plus délicats, les habitudes plus polies, - lui, reste immobile, ou plutôt il rétrograde ; on dirait qu'il recule vers la barbarie, et, placé au milieu des merveilles de la civilisation, il semble se rapprocher par ses idées et par ses penchants de l'homme sauvage. »

Problème enfin : cette société de charité promeut le contrôle et la SURVEILLANCE (remarquez, c’est ce que fait la religion : Dieu t’espionne, te contrôle, puis te juge, peut-être avec Microsoft pour vérifier l’étendue et le nombre de tes péchés). Le pauvre n’a donc plus le droit de quitter sa commune.

« Or, comme dans un pays où la charité publique est organisée, la charité individuelle est à peu près inconnue, il en résulte que celui que des malheurs ou des vices rendent incapable de gagner sa vie est condamné, sous peine de mort, à ne pas quitter le lieu où il est né. S'il s'en éloigne, il ne marche qu'en pays ennemi ; l'intérêt individuel des communes, bien autrement puissant et bien plus actif que ne saurait l'être la police nationale la mieux organisée, dénonce son arrivée, épie ses démarches, et s'il veut se fixer dans un nouveau séjour, le désigne à la force publique qui le ramène au lieu du départ. Par leur législation sur les pauvres, les Anglais ont immobilisé un sixième de leur population. Ils l'ont attaché à la terre comme l'étaient les paysans du Moyen Age. »

Tocqueville vaticine ensuite une apocalypse qui est toujours à venir :

« Mais je suis profondément convaincu que tout système régulier, permanent, administratif, dont le but sera de pourvoir aux besoins du pauvre, fera naître plus de misères qu'il n'en peut guérir, dépravera la population qu'il veut secourir et consoler, réduira avec le temps les riches à n'être que les fermiers des pauvres, tarira les sources de l'épargne, arrêtera l'accumulation des capitaux, comprimera l'essor du commerce, engourdira l'activité et l'industrie humaines et finira par amener une révolution violente dans l'État, lorsque le nombre de ceux qui reçoivent l'aumône sera devenu presque aussi grand que le nombre de ceux qui la donnent, et que l'indigent ne pouvant plus tirer des riches appauvris de quoi pourvoir à ses besoins trouvera plus facile de les dépouiller tout à coup de leurs biens que de demander leurs secours. »

Conclusion :

« Je ne dirai point que ce désir universel et immodéré des fonctions publiques est un grand mal social ; qu’il détruit, chez chaque citoyen, l’esprit d’indépendance, et répand dans tout le corps de la nation une humeur vénale et servile ; qu’il y étouffe les vertus viriles ; je ne ferai point observer non plus qu’une industrie de cette espèce ne crée qu’une activité improductive et agite le pays sans le féconder : tout cela se comprend aisément. Mais je veux remarquer que le gouvernement qui favorise une semblable tendance risque sa tranquillité et met sa vie même en grand péril. »

On verra : le gouvernement travailliste est très capable de mettre la vie du pauvre anglais en péril pour des raisons climatiques (sauver le climat en tuant le pauvre donc) tout en revendiquant et en provoquant l’apocalypse nucléaire avec la Russie ? Comme dit Debord, « cette société n’a été que trop patiente jusque-là. »

Sources principales:

https://lesakerfrancophone.fr/le-syndrome-churchill-et-la...

https://www.amazon.fr/Tocqueville-politiquement-incorrect...

https://www.erudit.org/fr/revues/riac/1986-n16-riac02301/...

http://classiques.uqac.ca/classiques/De_tocqueville_alexi...

https://www.amazon.fr/grands-auteurs-traditionnels-Contre...

https://blogs.mediapart.fr/danyves/blog/220117/comment-tr...

lundi, 09 septembre 2024

Juin 1944, les Marocchinate sur l'île d'Elbe. Le drame d'Olimpia Mibelli Ferrini

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Crimes de guerre

Juin 1944, les Marocchinate sur l'île d'Elbe. Le drame d'Olimpia Mibelli Ferrini

par Eugenio Pasquinucci

Source: https://www.destra.it/home/storie-italiane-giugno-1944-le-marocchinate-dellisola-delba/

Je suis en vacances sur l'île d'Elbe et un jour je demande à une connaissance locale si je pourrais avoir des nouvelles de la vie d'Olimpia Mibelli Ferrini, dont on a décidé de donner le nom à une rue de Portoferraio.

« Nous savons tous qui était Olimpia et quelle était son histoire. Je connais l'un de ses fils, mais il n'est pas là ».

Olimpia était la figure féminine emblématique des tragiques journées de l'île d'Elbe en juin 1944, au cours desquelles s'est déroulée l'opération Brassard. À l'époque, plusieurs milliers de soldats des troupes coloniales françaises, sénégalais et nord-africains, marocains, tunisiens et algériens, débarquent le 17 juin 1944 sur les plages minées de Marina di Campo, sur l'île d'Elbe. Les 500 premiers sautent sur les mines, car ils sont considérés par les Alliés comme de la simple chair à canon, mais les autres se jettent sur les lieux de l'île en faisant usage du permis de viol et de pillage délivré aux troupes par le commandement français. Après avoir vaincu la résistance des quelques défenseurs italiens et allemands, les assaillants n'hésitent pas à s'emparer de tout ce qui leur tombe sous la main.

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Les maisons des insulaires furent dévalisées, les femmes presque toutes violées. De nombreuses femmes furent tuées suite aux violences subies par plusieurs soldats, certains hommes tentèrent de les défendre et furent tués à leur tour, dans certains cas également violés. Certaines femmes ont été sauvées parce qu'elles se sont échappées vers l'arrière-pays où elles ont été emmurées vivantes à l'intérieur de certaines maisons, avec une fissure dans le plafond qui leur permettait de respirer et d'obtenir de la nourriture.

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Olimpia était une blanchisseuse de Portoferraio, mariée à un soldat de la République Sociale Italienne, qui, face à la convoitise débridée de certains soldats nord-africains, leur a offert son corps à condition qu'ils laissent tranquilles des jeunes filles qui avaient été prises pour cible.

Son sacrifice a permis de préserver certaines de ces jeunes filles, dont certaines étaient encore des enfants, et cela est devenu un acte symbolique digne d'être rappelé jusqu'à aujourd'hui, alors que la tradition orale n'a jamais manqué de faire connaître cette tragédie.

Ainsi, au milieu des rues de Portoferraio, lieu consacré à la mémoire de Cosimo de' Medici et de Napoléon Bonaparte, il y aura un espace dédié à Olimpia Mibelli Ferrini.

L'opération Brassard fut un débarquement inutile dans l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, voulu par les Français dans l'espoir d'annexer plus tard l'île d'Elbe en même temps que la Corse. Les habitants de l'île d'Elbe, qui auraient dû accueillir les troupes alliées en libérateurs, étaient impatients de s'en débarrasser, au prix de plus de 200 viols, auxquels s'ajoutent les morts et les suicides, les avortements et les infections vénériennes qui s'ensuivirent.

Dans les mois qui suivirent, plusieurs enfants naquirent, dont les traits somatiques rappelaient indubitablement les viols de l'époque, mais que les habitants de l'île d'Elbe accueillirent dans leur communauté avec le même amour que celui qu'ils réservaient aux autres.

La consécration du sacrifice d'Olimpia se veut non seulement le souvenir d'une femme courageuse, mais aussi une sorte de réparation pour la mémoire qui a trop souvent été refusée à ces événements, auxquels il semble que les présidents de la République aient été particulièrement insensibles au cours des 80 dernières années.

lundi, 02 septembre 2024

Comment Tocqueville réfute la théorie de la conspiration

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Comment Tocqueville réfute la théorie de la conspiration

Nicolas Bonnal

Personne n’a expliqué le monde dit moderne et les siècles dits démocratiques mieux qu’Alexis de Tocqueville. On peut se demander alors ce que ce grand esprit terrassé par le césarisme plébiscitaire des Bonaparte (qui stérilisa l’esprit français, en particulier l’esprit aristocratique qui est celui de la Liberté – voir Jouvenel) pouvait penser de la théorie du complot pour expliquer l’histoire. Or il n’y a pas à se le demander, car il a bien répondu sur ce point dans sa correspondance, à un ami visiblement « d’extrême-droite », le sympathique comte de Circourt, qui lui parlait de l’inévitable et fastidieux jésuite Barruel, auteur du pensum sur les conspirations maçonniques et illuminées pendant la révolution (dans le genre je préfère Robison -Proofs of a Conspiracy against all the Religions and Governments of Europe, carried on in the Secret Meetings of Free-Masons, Illuminati and Reading Societies, etc., collected from good authorities (1797)- ou même le Napoléon de Walter Scott, ou même Dumas et Balsamo).

Sur la gesticulation politique au XIXe siècle, Debord avait écrit dans ses Commentaires :

La « conception policière de l’histoire était au XIXe siècle une explication réactionnaire, et ridicule, alors que tant de puissants mouvements sociaux agitaient les masses (1). »

Mais les masses allaient mener au socialisme, à l’étatisme, au fascisme et au nazisme, en attendant le mondialisme télévisé. Relisez Ortega Y Gasset qui révéla leur perversion dans Révolte.

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Tocqueville n’a donc pas lu le légendaire et sulfureux Barruel ; et d’expliquer pourquoi :

« J’en ai toujours été détourné par l’idée que celui-ci avait un point de départ essentiellement faux. Sa donnée première est que la révolution française (il est permis de dire aujourd’hui européenne) a été produite par une conspiration. Rien ne me paraît plus erroné (2). »

Car on oublie que conspirer signifie respirer ensemble. Les Français voulaient tous ou presque cette abomination. Le voyageur Young révéla l’instantané fanatisme de leur révolution dans ses voyages.

Tocqueville fait ensuite une concession rhétorique :

« Je ne dis pas qu’il n’y eût pas dans tout le cours du dix-huitième siècle des sociétés secrètes et des machinations souterraines tendant au renversement de l’ancien ordre social. Au-dessous de tous les grands mouvements qui agitent les esprits se trouvent toujours des menées cachées. C’est comme le sous-sol des révolutions. »

Il n’y a pas besoin de théorie de la conspiration quand la théorie de la constatation fonctionne.

Mais Tocqueville rappelle l’essentiel. L’essentiel est qu’il n’y a pas besoin de théorie de la conspiration quand la théorie de la constatation fonctionne.  Les Français voulaient que ça saute, comme aujourd’hui ils veulent du Macron, du Reset, de la pénurie et des coupures de courant (oui, je sais, pas tous, mais la minorité de mécontents qui clique ne fait et ne fera pas la loi). Car on ne les refait pas les Français. La révolution-conspiration c’est quand la masse veut la même merde que l’élite. Aux mécontents de changer de pays.

Tocqueville ajoute superbement :

« Mais ce dont je suis convaincu, c’est que les sociétés secrètes dont on parle ont été les symptômes de la maladie et non la maladie elle-même, ses effets et non ses causes. Le changement des idées qui a fini par amener le changement dans les faits s’est opéré au grand jour par l’effort combiné de tout le monde, écrivains, nobles et princes, tous se poussant hors de la vieille société sans savoir dans quelle autre ils allaient entrer (3). »

Nouvelle société qui semblait inévitable. A cet égard Tocqueville souligne les caractères de la science historique :

« On dirait, en parcourant les histoires écrites de notre temps, que l’homme ne peut rien, ni sur lui, ni autour de lui. Les historiens de l’Antiquité enseignaient à commander, ceux de nos jours n’apprennent guère qu’à obéir. Dans leurs écrits, l’auteur paraît souvent grand, mais l’humanité est toujours petite. »

Notre écrivain ajoute :

 « Si cette doctrine de la fatalité, qui a tant d’attraits pour ceux qui écrivent l’histoire dans les temps démocratiques, passant des écrivains à leurs lecteurs, pénétrait ainsi la masse entière des citoyens et s’emparait de l’esprit public, on peut prévoir qu’elle paralyserait bientôt le mouvement des sociétés nouvelles et réduirait les chrétiens en Turcs (4). »

Cette doctrine de la fatalité me paraît juste : tout empire, à commencer par l’étatisme, le bellicisme humanitaire et la tyrannie informatique, et l’on n’y peut rien : théorie de la constatation.

C’est l’historien de l’Espagne Stanley Payne qui, désespéré par l’anesthésie de cet ancien grand peuple, dénonce la torpeur de ces temps post-historiques. Raison de plus pour rendre hommage à la liquidation de la théorie du complot par Tocqueville : la masse suit, quand elle ne la précède pas, la mauvaise volonté de son élite. Plus antiraciste, plus féministe, plus véganienne et plus écologiste qu’elle, plus cybernétisée même, elle exige du Reset.

Ma solution ? Un voilier dans les sublimes fjords du Chili (pays le plus vacciné au monde…).

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Notes:

1). Debord, Commentaires, XX.

2). Tocqueville, Correspondance, A M. LE COMTE DE CIRCOURT, Tocqueville, 14 juin 1852.

3). Ibid.

4). De la Démocratie en Amérique II, Première partie, CHAPITRE XX.

 

jeudi, 29 août 2024

Le polémiqueur - Les cinq meilleurs livres d'Ernst Nolte

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Le polémiqueur - Les cinq meilleurs livres d'Ernst Nolte

Source: https://www.freilich-magazin.com/kultur/der-streitbare-die-fuenf-besten-buecher-von-ernst-nolte

"Antisémite", "fasciste", "incendiaire intellectuel" - les critiques adressées à l'historien et philosophe Ernst Nolte (1923-2016) n'avaient pas de vocables assez durs pour mettre le public en garde contre ses écrits et ses travaux. Devenu célèbre pour son examen critique du nazisme et son rôle dans la «querelle des historiens» des années 1980, Nolte a créé les outils historico-politiques d'une nouvelle génération de la droite libérale et conservatrice. Mike Gutsing, rédacteur du magazine Freilich, a rassemblé les ouvrages les plus importants pour nous en dire quelques mots.

par Mike Gutsing

Le fascisme à son époque (1963)

Le premier ouvrage d'Ernst Nolte est aujourd'hui encore considéré comme un classique. Il avait déjà travaillé sur Le fascisme à son époque alors qu'il enseignait l'allemand, le latin et le grec au lycée à la fin des années 1950 et s'en était servi comme thèse de doctorat. Avec Der Faschismus in seiner Epoche, Nolte adopte une méthode de travail qui marquera toute son œuvre scientifique et qui compte encore aujourd'hui de nombreux adeptes dans et hors du milieu universitaire. Il interprète le phénomène de l'État nazi à partir de lui-même, analyse sa compréhension de lui-même et en déduit les particularités idéologiques. Jusqu'alors, le terme n'était connu que comme une auto-désignation du mouvement politique de Mussolini et comme un terme de combat de la gauche d'après-guerre, grâce à Nolte, le « fascisme » est devenu un terme d'analyse scientifique.

Contrairement à l'interprétation qu'en font ses contemporains, Nolte bouscule les schémas de pensée existants. Il affirme que le fascisme a été une réaction à certaines circonstances et crises historiques, et tente de mettre en lumière les similitudes et les différences entre les différents mouvements fascistes. L'idée selon laquelle les différentes formes de fascisme européen étaient des réactions au communisme soviétique russe est centrale. C'est notamment cette thèse qui a valu à l'ouvrage, et donc à Ernst Nolte, d'être sévèrement critiqué par les historiens.

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L'Allemagne et la guerre froide (1974)

Près de trente ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le monde était à nouveau sur le point de connaître une conflagration mondiale. Les puissances du bloc formé par les États-Unis d'Amérique et l'Union soviétique se sont réarmées après les efforts de détente des années 60 et se sont livrées à une course au monde jusqu'alors inédite. Dans son livre L'Allemagne et la guerre froide, Ernst Nolte a analysé comme personne d'autre les relations tendues entre les deux grandes puissances. Selon Nolte, le conflit mondial n'est pas seulement une lutte d'influence, de ressources et d'hégémonie, mais aussi un combat d'idéologies. Pour lui, les « démocraties occidentales » sont en concurrence permanente avec leurs alternatives, qui ont pris la forme du nazisme et du communisme au 20ème siècle.

Dans L'Allemagne et la guerre froide, Nolte étudie également les circonstances géopolitiques qui ont conduit à la division de l'Allemagne. En tant qu'historien, il était au cœur de l'actualité, la double décision de l'OTAN ayant donné à de nombreux Allemands de l'Ouest l'impression d'être devenus tout à coup la première tranchée de la guerre froide. Nolte établit également un parallèle avec Israël, une comparaison qui a suscité l'étonnement et parfois l'admiration de nombreux critiques contemporains pour sa méthode de travail.

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La guerre civile européenne (1987)

La fascination pour les pensées et les points de vue sous-jacents aux grandes évolutions du monde imprègne également l'œuvre la plus controversée de Nolte. Avec Der europäische Bürgerkrieg 1917-1945. Nationalsozialismus und Bolschewismus (La guerre civile européenne 1917-1945 - National-socialisme et bolchevisme ), il s'est propulsé au cœur de la querelle des historiens, exacerbée par le mouvement de 1968, sur la manière dont la recherche traite le national-socialisme. A sa critique centrale, selon laquelle l'historiographie de la RFA n'aurait pas dû adopter sans réflexion la perspective des puissances victorieuses, Ernst Nolte oppose dans ce livre un contraste en confrontant les deux adversaires de la « guerre civile ».

Avec sa thèse selon laquelle les camps de concentration nazis auraient été la réaction à l'archipel du Goulag des communistes, il fait tomber de son piédestal, selon de nombreux collègues, l'une des vaches sacrées de l'Allemagne d'après-guerre. Les recherches universitaires de Nolte sont perçues comme une attaque contre la souveraineté d'interprétation des intellectuels de la République fédérale d'Allemagne et interprétées comme une relativisation de l'Holocauste. Le conflit autour des déclarations de Nolte, souvent interprétées de manière délibérément erronée, continue d'assombrir le livre et son auteur. Il n'en reste pas moins un ouvrage de référence, non seulement pour les historiens spécialisés, mais aussi pour tous ceux qui souhaitent comprendre la pensée historique de Nolte.

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La pensée historique au XXe siècle (1991)

A propos de l'ouvrage publié au début des années 1990 , Geschichtsdenken im 20. Jahrhundert. De Max Weber à Hans Jonas, il y a peu à dire. Non pas parce que le livre est seulement faible en contenu ou même en qualité, mais parce qu'il semble à première vue être l'étape logique après les débats autour de son dernier grand ouvrage, La guerre civile européenne. Ses contemporains l'ont qualifié de « costume d'Arlequin assez abscons » que l'homme, alors âgé de 68 ans, avait revêtu. Pour Nolte, il s'agissait de trouver des personnes partageant les mêmes idées que lui, qu'il voulait à présent dénicher dans le passé après les avoir vainement recherchées dans le présent.

Les « penseurs de l'histoire », comme les appelle Nolte, sont une espèce rare d'intellectuels, même parmi les 39 grands penseurs de la fin du 19ème siècle et du 20ème siècle, qui n'est pas totalement révolu, ils ne sont qu'une poignée. Si vous souhaitez comprendre la pensée de Nolte, vous ne pouvez pas passer à côté de ce livre.

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Le troisième mouvement de résistance radicale : L'islamisme (2009)

Dans son œuvre tardive, Ernst Nolte a également cherché le point sensible. L'examen de l'islamisme, avec en toile de fond les attentats du 11 septembre 2001 et la guerre internationale contre la terreur, n'est pas vraiment extravagant. Pour lui, l'islamisme, troisième idéologie après le bolchevisme et le nazisme, s'oppose fondamentalement à la démocratie libérale. Nolte reste impassible dans cette évaluation, il considère que le système de valeurs occidental n'est pas moins menaçant pour l'existence des pays marqués par l'islam, comme c'est le cas dans l'autre sens.

Tout au long de sa vie, ses détracteurs ont reproché à Nolte de s'intéresser davantage aux idéologies qu'à la réalité. Mais c'est justement La troisième résistance radicale: l'islamisme qui nous montre que l'idéologie et la réalité ne forment pas un couple antagoniste. Dans ce livre, Ernst Nolte révèle une fois de plus une manière de penser au-delà des perspectives préconçues. Si ses résultats peuvent être contestables, la grande qualité de sa méthode de travail et la force d'innovation de sa pensée ne le sont pas.

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samedi, 24 août 2024

Apogée du Saint-Empire médiéval ?

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Saint Empire romain germanique

Apogée du Saint-Empire médiéval ?

Conrad II a inauguré le règne des Saliens. Il y a 1000 ans, il a été élevé au rang de roi/empereur romain-germanique

Wolfgang Kaufmann

Source: https://paz.de/artikel/hoehepunkt-der-mittelalterlichen-kaiserherrschaft-a12104.html

Le 13 juillet 1024, l'empereur romain-germanique Henri II meurt. Comme il n'avait pas de descendance, la dynastie des Ottoniens a pris fin avec lui (voir PAZ du 12 juillet).

Son successeur en tant que roi du royaume de Francie orientale fut élu il y a 1000 ans, le 4 septembre 1024, fils unique d'Henri de Spire et de son épouse Adélaïde de Metz, né vers l'an 990. Celui-ci régna ensuite sous le nom de Conrad II.

Conrad l'Ancien, comme on l'appelait également, était issu de la noble famille franque des Saliens, dont l'histoire remonte au 8ème siècle. L'empereur Othon Ier était son arrière-arrière-grand-père et la lignée de son épouse Gisèle de Souabe remontait jusqu'à Charlemagne. Le choix de Conrad ne résulte pas seulement de ses origines. Sa personnalité a également joué un rôle important dans ce choix. Il manquait certes d'éducation formelle, d'où son surnom insultant de « Rex Idiota », mais il compensait largement par son bon sens. De plus, Conrad a convaincu ses contemporains par son efficacité (Virtus) et sa droiture (Probitas).

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Séparation de l'État et du souverain

Dans l'ensemble, le passage de la dynastie ottonienne à la dynastie salique s'est déroulé sans grand bouleversement, d'autant plus que le nouveau roi a d'abord agi de manière très similaire à son prédécesseur. Il commença par parcourir les principales régions du royaume pendant plusieurs mois pour recevoir les hommages de la haute noblesse, puis se rendit en Italie où il fut couronné roi des Lombards en 1026. Le dimanche de Pâques 1027, Conrad et Gisèle furent couronnés empereurs par le pape Jean XIX dans la basilique Saint-Pierre de Rome, une cérémonie qui fut l'une des plus brillantes de tout le Moyen Âge, à laquelle assistèrent notamment le roi d'Angleterre et du Danemark, Knut le Grand, le roi de Bourgogne Rodolphe III et un grand nombre d'archevêques.

Au cours de la période qui suivit, Conrad imposa ses exigences de souveraineté malgré l'opposition des ducs Ernst de Souabe, Adalbero de Carinthie et Udalrich de Bohême, ainsi que du roi de Pologne Mieszko II. En outre, en 1033, il triompha dans la lutte pour la couronne royale de Bourgogne, devenue vacante après la mort de Rodolphe III. C'est ainsi qu'apparut pour la première fois l'idée d'une « triade de royaumes » réunissant les royaumes de Francie orientale et d'Allemagne, d'Italie et de Bourgogne.

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En décembre 1036, Conrad se rendit une seconde fois en Italie pour servir de médiateur dans le conflit qui opposait la petite noblesse locale à l'archevêque de Milan et à d'autres prélats. Ce faisant, il abandonna la ligne de la politique ecclésiastique des Ottoniens qu'il avait d'abord poursuivie. En effet, sa loi de mai 1037, qui garantissait à tous les vassaux l'hérédité de leurs fiefs et la protection contre leur retrait arbitraire, visait clairement les grands seigneurs féodaux, parmi lesquels figuraient aussi et surtout les évêques.

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A son retour d'Italie, Conrad II a célébré le Noël de l'année 1038 à Goslar. Les prochaines étapes de l'empereur furent Nimègue et Utrecht, où il mourut le 4 juin 1039, de manière relativement soudaine et inattendue, à l'âge d'environ 50 ans, probablement de la goutte. Sa dépouille fut suivie d'un cortège funèbre qui dura un mois pour se rendre à Spire, ville qui, sous Conrad, était passée du statut de pauvre « ville des vaches » à celui de métropole et dont la magnifique cathédrale devint finalement le lieu de sépulture de tous les empereurs saliens.

Parmi les legs les plus importants de Conrad II, outre la loi sur l'hérédité des fiefs qui marqua l'ascension de la chevalerie, on trouve l'abstraction de la notion d'État, la transpersonnalisation de l'Empire. Conrad défendait le point de vue selon lequel l'empire était une institution autonome, qui possédait également un caractère juridique autonome, non lié à la personne du souverain concerné. Cela semble incroyablement moderne si l'on considère que des siècles plus tard, à la haute époque de l'absolutisme, un roi français prétendait être l'État.

La relativisation par Conrad de son propre rôle de souverain, qui rappelle presque le célèbre mot de Frédéric le Grand selon lequel il est le premier serviteur de son État, était déjà illustrée par sa légendaire métaphore du bateau de l'été 1025. À cette époque, il rencontra à Constance des nobles de la ville italienne de Pavie qui, après la mort du prédécesseur de Conrad, Henri II, avaient rasé le palais royal et impérial sur place et défendirent cette action en arguant qu'ils n'avaient lésé aucun souverain. Ce à quoi Conrad répondit : « Si le roi est mort, l'empire demeure, tout comme demeure un navire dont le pilote est tombé ». Il ne fait donc aucun doute que les Paviens ont gravement péché.

Concentration du pouvoir chez l'empereur

Moins modeste était la tendance de Conrad à concentrer le pouvoir et à gouverner de bout en bout. Le règne du premier salien se caractérise par une centralisation des droits de souveraineté entre les mains du roi ou de l'empereur. Il contrôla si étroitement l'attribution des duchés que les ducs devinrent quasiment des vice-rois ou des gouverneurs. En même temps, il réussit à faire passer tous les ducs qui s'opposaient à sa politique non seulement pour des adversaires personnels, mais aussi pour des ennemis de l'État.

Conrad a agi de manière tout aussi cohérente vis-à-vis de l'Église impériale. Celle-ci avait le devoir d'assurer le « service royal ». Cela comprenait l'hébergement de la cour royale ainsi que la mise à disposition de troupes militaires. Comme pour le second état, Conrad ne tolérait pas d'opposition au premier. Le Salien n'hésitait pas à réprimander certains clercs récalcitrants, comme l'archevêque Aribert de Milan.

Pour toutes ces raisons, certains historiens considèrent les années de règne de Conrad comme l'apogée du Saint-Empire médiéval. Avec une durée d'un peu plus de cent ans, le règne des Saliens, dynastie fondée par Conrad, est à peu près aussi long que celui des Ottoniens qui l'ont précédé. La mort prématurée par cancer de l'empereur Henri V, qui n'avait pas d'enfant, à l'âge de 40 ans environ, mit fin à cette ère en 1125. Après un épisode d'une douzaine d'années, celui du règne de Lothaire III, de la lignée des Sipplinburger, la dynastie des Stauffer prit le relais, à commencer par Conrad III. Si ce dernier n'était pas un Salien, il descendait tout de même de Conrad II par lignée maternelle.

Cet article est tiré du dernier PAZ. Si vous souhaitez mieux connaître le journal, vous pouvez vous abonner ici pour une période d'essai de 4 semaines: https://paz.de/abo/probe-abo.html .

vendredi, 23 août 2024

Stand Watie, le Cherokee qui devint général confédéré

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Stand Watie, le Cherokee qui devint général confédéré

par Emiliano Calemma

Source: https://www.destra.it/home/storie-damerica-stand-watie-il-cherokee-che-divenne-generale-confederato/

Stand Watie est un nom qui ne dit pas grand-chose aux lecteurs italiens, mais son histoire est pleine de charme et une grande partie de sa vie se lit comme un véritable roman d'aventures. Parmi les plus belles.

Stand Watie appartenait à la tribu amérindienne des Cherokee et son nom d'origine était De-ga-ta-ga (Il se tient debout). Il est né en 1806 et a été dès son plus jeune âge un indigène « à contre-courant ». Les Cherokees, une tribu originaire de Géorgie, se sont divisés en deux factions opposées lorsque le gouvernement fédéral, après la découverte de riches gisements d'or sur le territoire des Cherokees, a demandé aux indigènes de se déplacer plus à l'ouest. Watie pense que la seule solution pour éviter le massacre de son peuple est de signer un traité et de se déplacer pacifiquement vers l'ouest, sur le territoire de l'actuel Oklahoma. La faction adverse, dirigée par John Ross, s'oppose à tout accord et jure de se venger de Watie. Ce dernier s'installe à l'ouest en 1837 avec une partie de la population cherokee, tandis que Ross reste dans les territoires d'origine. C'est un désastre. En 1838, l'armée fédérale entreprend l'expulsion forcée de Ross et de son peuple et sur les 15.000 Cherokees qui se mettent en route, 4000 meurent (le chemin parcouru s'appellera la « Piste des larmes »).

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Ross, qui a perdu sa femme lors de la traversée vers l'ouest, au lieu de rendre le gouvernement fédéral responsable de la tragédie, se retourne contre la famille Watie et c'est le frère, le cousin et l'oncle de Stand qui en pâtissent. Ce dernier devient alors un ennemi acharné de la faction Ross (pour des raisons personnelles évidentes) et du gouvernement fédéral (coupable d'avoir massacré les Cherokee malgré un accord spécifique). Il devient alors un leader politique reconnu au sein du Conseil tribal entre 1845 et 1861.

En 1861, lors du déclenchement de la fameuse guerre de sécession américaine, Stand Watie décide de se ranger du côté des États confédérés, déclarant que le véritable ennemi des indigènes est le gouvernement fédéral et non les États du Sud. De nombreuses autres tribus firent le même choix et l'armée confédérée put ainsi compter sur le soutien de la plupart des peuples Cherokee, Choctaw, Chickasaw, Seminole, Catawba et Creek.

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Stand Watie crée le premier régiment d'indigènes, les Cherokee Mounted Rifles, et assure dans un premier temps le contrôle des territoires indiens qui font partie de la Confédération, en garantissant l'ordre et la vigilance. Il est nommé colonel le 12 juillet 1861 et est élu chef de tous les Cherokees en 1862. Par la suite, il se distingue comme un vaillant commandant de terrain, doué d'une intelligence tactique et d'une grande audace. En mars 1862, lors de la bataille de Pea Ridge (Arkansas), alors que l'armée confédérée décide de battre en retraite, les hommes commandés par Watie capturent tout un bataillon d'artillerie de l'Union. De succès en succès, Watie devient général de brigade et est l'un des plus féroces combattants de l'armée confédérée. Ses troupes participent à 18 batailles et à d'innombrables affrontements armés, dont elles sortent presque toujours victorieuses.

Watie gagne le respect de tous les autres généraux par ses exploits : la capture du bateau à vapeur JR Williams et celle du convoi ferroviaire à Cabin Creek restent inoubliables aux États-Unis. Watie a tellement épousé la cause confédérée qu'il a refusé de reconnaître la victoire de l'Union et a maintenu ses troupes sur le champ de bataille pendant plus d'un mois, alors que le général Edmund Kirby Smith s'était déjà rendu à l'armée de l'Union.

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Malgré la capitulation finale signée par le général Lee à Appomattox, Watie fut le dernier général confédéré à déposer les armes, 75 jours après la signature.

À la fin de la guerre, Watie retourne dans son territoire indien et reconstruit son ancienne maison, que le gouvernement fédéral avait rasée en signe de disgrâce. Son dernier acte public fut de représenter les Cherokees du Sud lors des négociations du traité de reconstruction des Cherokees en 1866. Il n'y avait cependant pas grand-chose à négocier. Le nouveau gouvernement des États-Unis dépouille les Cherokees de toutes leurs possessions en échange de leur réadmission dans l'Union sans autre conséquence.

Stand Watie est mort dans sa maison de Honey Creek en 1871.

dimanche, 11 août 2024

La crise de l'Ossétie du Sud en 2008: la première guerre par procuration entre l'OTAN et la Russie

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La crise de l'Ossétie du Sud en 2008: la première guerre par procuration entre l'OTAN et la Russie

Filip Martens

Il y aura 16 ans, en août 2008, que la Russie a lancé sa première grande opération militaire extérieure du 21ème siècle. Cette opération a eu lieu après l'invasion de la région sécessionniste d'Ossétie du Sud par la Géorgie, État satellite des États-Unis. Au cours de cette opération, dix soldats de la paix russes ont été tués. Cela a marqué le début de la première guerre par procuration entre l'Occident et la Russie.

La guerre entre la Russie et la Géorgie a été la plus grande démonstration de la puissance militaire russe depuis la fin de la guerre froide. Pour la Russie, ce conflit revêt une importance particulière: il a non seulement marqué le début de la confrontation actuelle avec l'Occident, mais il a également conduit à une modernisation radicale de l'armée russe.

Après sa défaite pendant la guerre froide, qui a entraîné la désintégration de l'empire russe qu'était l'URSS, cette guerre a redonné confiance à la Russie. Elle a montré clairement qu'elle répondrait sans crainte à toute attaque occidentale contre ses intérêts dans l'ex-URSS.

La guerre peut être située dans le contexte de la stratégie américaine d'encerclement de la Russie. La guerre en Géorgie s'est avérée être un avant-goût de l'actuelle guerre russo-ukrainienne.

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Contexte

Les origines de la crise en Ossétie du Sud doivent être recherchées dans la période d'implosion de l'URSS. Des conflits anciens et profondément enracinés, qui avaient sommeillé pendant des décennies et avaient été de facto "gelés" par l'appareil d'État répressif, ont alors repris vie.

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L'Ossétie du Sud était jusqu'alors une province autonome au sein de la république soviétique de Géorgie. Avec une superficie de 3900 km² et 98.000 habitants en 1989, il s'agissait d'une petite région montagneuse du Caucase du Sud. L'Ossétie du Sud a mené une existence paisible jusqu'en 1989, lorsque Zviad Gamsachoerdia, président de la république soviétique de Géorgie, a proclamé le géorgien - qui appartient aux langues caucasiennes - langue officielle de toute la république soviétique. Il va sans dire que cela a provoqué des troubles en Ossétie du Sud. La demande subséquente à Gamsachoerdia de reconnaître l'ossète - qui appartient aux langues iraniennes - comme langue officielle dans sa province autonome n'a pas été acceptée.

En décembre 1990, la République soviétique de Géorgie a retiré son autonomie à la province d'Ossétie du Sud. Cette décision a ravivé les tensions historiques entre les Géorgiens et les Ossètes et a conduit à une guerre civile, qui a éclaté le 5 janvier 1991. Le 29 mai 1992, la république d'Ossétie du Sud a déclaré son indépendance. La guerre civile s'est terminée le 14 juillet 1992 par un cessez-le-feu et l'installation d'une force russe de maintien de la paix de 500 soldats, stationnée sur place avec l'accord de la Géorgie et de l'Ossétie du Sud. Les 16 années suivantes se sont déroulées dans la paix.

Le président Mikhaïl Saakachvili, marionnette de l'Occident

En 2003, les États-Unis ont porté au pouvoir en Géorgie l'avocat géorgien Mikhaïl Saakachvili, formé en France et aux États-Unis, à la faveur d'une révolution dite "de couleur" [1]. Saakashvili a été marié à la Néerlandaise Sandra Roelofs de novembre 1993 à octobre 2021. En tant que troisième président de la Géorgie indépendante, Saakashvili a mis en œuvre des réformes majeures. Il a également orienté le pays vers l'Occident et plus particulièrement vers les États-Unis.

Saakashvili a réformé l'armée géorgienne, auparavant mal organisée et sous-armée, en vue de l'adhésion de la Géorgie à l'OTAN (lire : déploiement dans des conflits étrangers) et de la reprise par la force du contrôle des régions renégates d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud. Les troupes géorgiennes ont été formées par les États-Unis dans le cadre du Georgia Train and Equip Program (GTEP) et du Georgia Sustainment and Stability Operations Program (GSSOP). La Géorgie a porté ses dépenses militaires à plus de 7% du PIB, ce qui est assez élevé. À titre de comparaison, aux Pays-Bas, ces dépenses étaient de 1,47% et 1,66% du PIB en 2022 et 2023, respectivement, alors que la norme de l'OTAN est de 2% du PIB. Le budget militaire de la Géorgie est passé de 18 millions de dollars en 2002 à 780 millions de dollars en 2007 [2] L'armée a été équipée par Israël (y compris d'avions espions sans pilote) et les États-Unis, tandis que 1000 à 1300 instructeurs militaires israéliens et américains se trouvaient en Géorgie. Les troupes géorgiennes ont participé à la Force d'occupation du Kosovo (KFOR) de l'OTAN dans la province serbe du Kosovo et aux guerres américaines en Irak et en Afghanistan.

Le précédent du Kosovo

En violation du droit international, les pays occidentaux ont déclaré l'indépendance de la province serbe du Kosovo, illégalement occupée par l'OTAN depuis 1999, le 17 février 2008. Pour prendre le contrôle de ce territoire serbe, l'OTAN avait mené une guerre d'agression tout aussi illégale contre la Serbie avec une force particulièrement importante. En effet, l'OTAN n'avait pas reçu l'autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU, pourtant nécessaire en vertu du droit international, ce qui fait de cette guerre une violation du droit international.

Le président Poutine a déclaré que l'indépendance illégale du Kosovo constituait un terrible précédent qui détruirait tout le système actuel des relations internationales. Il a également averti que cela pourrait revenir comme un boomerang dans la figure de l'Occident en renforçant les revendications d'indépendance des régions séparatistes d'Europe occidentale. C'est d'ailleurs pour cette raison que cinq États membres de l'UE - l'Espagne, la Slovaquie, la Roumanie, la Grèce et Chypre - refusent toujours de reconnaître le Kosovo en tant qu'État indépendant. M. Poutine a également laissé entendre que la Russie pourrait imiter l'Occident en appliquant la même logique aux revendications d'indépendance de l'Abkhazie, de l'Ossétie du Sud et de la Transnistrie, qui se sont séparées des anciennes républiques soviétiques de Géorgie et de Moldavie.

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L'Occident, hautain, a rejeté les critiques russes, déclarant catégoriquement que le précédent du Kosovo ne serait qu'un "événement unique" qui ne créerait "pas de précédent". En qualifiant également l'événement illégal du Kosovo d'"unique", l'hypocrisie typique de l'Occident a été une fois de plus mise en évidence : "Avec cette exception unique, l'Union européenne continue de défendre l'inviolabilité territoriale des États en vertu du droit international" [3], ce qui constitue un nouvel exemple de la politique de deux poids deux mesures pour laquelle l'Occident est si méprisé au niveau international.

La Russie a ensuite été davantage provoquée par l'Occident: en avril 2008, le sommet de l'OTAN à Bucarest a évoqué la perspective à long terme d'une adhésion à l'OTAN de la Géorgie et de l'Ukraine. La Russie a évidemment réagi négativement, car elle y voyait une menace.

Le 7 mai 2008, l'ancien premier ministre Dmitri Medvedev est devenu le nouveau président de la Russie. Il a nommé son prédécesseur Vladimir Poutine au poste de premier ministre.

La guerre des cinq jours (8-12 août 2008)

Le 7 août 2008, en fin de soirée, la Géorgie a annoncé une opération militaire visant à ramener l'Ossétie du Sud sous son contrôle. Vers 23 h 35, l'armée géorgienne a déjà commencé les tirs d'artillerie. En raison de l'imprécision particulièrement élevée de l'artillerie géorgienne, pratiquement aucune cible militaire n'a été touchée. Les civils d'Ossétie du Sud ont cependant fui en masse. Quelques heures plus tard, le 8 août 2008 à 2 h 30, une offensive terrestre a été lancée contre les 500 soldats russes chargés du maintien de la paix et les quelque 2500 soldats d'Ossétie du Sud. L'intention des Géorgiens était de s'emparer de la capitale de l'Ossétie du Sud, Tschinval, et du tunnel de Roki.

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Le tunnel de Roki est un tunnel situé à 2000 mètres d'altitude dans les montagnes du Caucase, qui fait partie de la route transcaucasienne et constitue la seule liaison terrestre entre l'Ossétie du Sud et la Russie. En s'emparant du tunnel de Roki, la Géorgie voulait isoler et forcer les forces de maintien de la paix russes en Ossétie du Sud à capituler, et bloquer l'approvisionnement des forces russes de maintien de la paix.

Le moment de l'offensive était très bien choisi : toute l'attention internationale était concentrée sur les 29ème Jeux olympiques de Pékin, qui devaient commencer le 8 août 2008 au soir, le président Medvedev était en vacances, le premier ministre Poutine était arrivé à Pékin le 7 août 2008 pour assister à l'ouverture des Jeux olympiques et à Pékin - qui a quatre heures d'avance sur la Géorgie en raison du décalage horaire - c'est donc au milieu de la nuit que l'offensive a commencé (lire : le premier ministre Poutine et tous les membres de la délégation russe étaient plongés dans un profond sommeil).

Le 8 août 2008, à 15 heures, les troupes géorgiennes s'étaient emparées d'une grande partie de Tschinval et de huit villages environnants. Cependant, le plan militaire géorgien a échoué. Le quartier général des forces russes de maintien de la paix à Tschinval n'a pas pu être pris. Et surtout, les Géorgiens n'ont pas réussi à s'emparer du tunnel de Roki, ce qui n'a pas empêché l'acheminement des renforts russes. De violents combats de rue ont fait rage à Tschinval, au cours desquels les troupes géorgiennes ont subi des pertes importantes. En outre, six chars et quatre véhicules blindés géorgiens ont été détruits.

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Surprise, la Russie réagit tardivement et maladroitement, mais avec une énorme puissance. Deux colonnes de chars ont été envoyées en Ossétie du Sud par le tunnel de Roki. Vers 18 heures, les chars russes encerclent Tschinval et bombardent les positions géorgiennes. L'aviation russe bombarde les troupes et l'artillerie géorgiennes, mais subit elle-même des pertes inattendues du fait des tirs antiaériens géorgiens. Dans la soirée, les troupes géorgiennes sont chassées de Tschinval.

Après avoir dégagé les troupes russes et sud-ossètes assiégées à Tschinval, l'armée russe a avancé de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie vers la Géorgie. La Russie a éliminé les défenses antiaériennes géorgiennes, acquis la supériorité aérienne sur la Géorgie et coulé un navire géorgien en mer Noire. Après le 10 août 2008, l'armée géorgienne s'est effondrée et a été désarmée par les Russes.

La contre-réaction réussie de la Russie a surpris à la fois les États-Unis et la Géorgie. L'armée géorgienne a été détruite en seulement cinq jours (du 8 au 12 août 2008). Bien que les vieux chars soviétiques de l'armée russe aient souffert de nombreuses pannes et que les troupes russes aient manqué d'armes avancées et de moyens de communication militaires solides, le moral élevé des troupes a permis une victoire rapide.

La guerre entre la Russie et la Géorgie s'est terminée par un cessez-le-feu négocié par l'UE. Le 26 août 2008, deux jours après la fin des Jeux olympiques de Pékin et deux jours avant le 8ème sommet annuel de l'Organisation de coopération de Shanghai [4] au Tadjikistan, la Russie a reconnu l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. La Chine a envoyé un million de dollars d'aide humanitaire à l'Ossétie du Sud, gravement dévastée, ce pourquoi la Russie a publiquement remercié la Chine.

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La guerre a révélé les nombreux problèmes de l'armée russe et a conduit à l'élaboration d'un plan d'amélioration. La victoire sur la Géorgie n'est pas due à la puissance de combat de l'armée, mais à la qualité personnelle de ses troupes. Au cours des années suivantes, la Russie a procédé à d'importantes réformes de son armée.

Pour la première fois depuis la chute de l'URSS, la Russie riposte activement aux pressions occidentales. Les tensions n'ont fait qu'augmenter au cours des années suivantes, mais la Russie a de plus en plus riposté. En effet, les projets d'expansion de l'OTAN vers l'Est constituent une menace directe pour la sécurité de la Russie.

Contexte géopolitique : un bouclier antimissile américain contre la Russie

On peut se demander pourquoi les États-Unis ont ordonné à un petit pays comme la Géorgie (3,8 millions d'habitants en 2008) d'attaquer une superpuissance comme la Russie (143 millions d'habitants en 2008). C'est à peu près la même chose que si le Grand-Duché de Luxembourg envahissait l'Allemagne ou la France. On ne savait que trop bien que la Russie riposterait durement et avec certitude. La seule surprise était que cela se produise si rapidement.

Cependant, cette attaque géorgienne contre la Russie est beaucoup moins absurde d'un point de vue géopolitique. En effet, depuis plusieurs années, les États-Unis ont fait de tous les voisins de la Russie - y compris la Géorgie - des États satellites, une sorte d'encerclement de la Russie. Dans le même temps, les Américains mettaient en place un bouclier antimissile chez les voisins occidentaux de la Russie - en l'occurrence la Pologne et la République tchèque - censé intercepter les missiles nucléaires de l'Iran, que le président américain George Bush Jr avait qualifié d'"État voyou". Cependant, un rapport de la CIA datant de 2003, qui n'a fait surface qu'en 2007, concluait déjà que l'Iran ne pouvait pas produire d'armes nucléaires et ne représentait absolument aucun danger pour l'Occident. Le bouclier antimissile américain était donc manifestement dirigé contre la Russie.

Il va sans dire que la Russie était farouchement opposée à ce bouclier antimissile, ce qui a rendu l'adoption du bouclier par les États-Unis quelque peu difficile sur le plan politique, car les craintes russes semblaient fondées. Toutefois, l'attaque géorgienne, à première vue insensée, et la contre-réaction militaire russe certaine ont donné aux États-Unis l'occasion de critiquer vivement la Russie sur la scène internationale, mais aussi et surtout ... finalement et maintenant sans aucune réfutation de la part d'autres pays, de faire passer le bouclier antimissile et de resserrer encore davantage les liens avec les voisins de la Russie. Ainsi, dès le 14 août 2008, soit deux jours à peine après la guerre, les Américains ont conclu un accord final avec la Pologne sur l'installation sur le territoire polonais d'une partie du bouclier antimissile américain et sur le renforcement de la coopération militaire polono-américaine. La mainmise des États-Unis sur l'Europe a donc été considérablement renforcée par la guerre de cinq jours. Et cela n'augurait rien de bon pour l'avenir, même à l'époque...

En outre, l'invasion de l'Ossétie du Sud par la Géorgie a montré aux États-Unis jusqu'où ils pouvaient aller dans les territoires ex-soviétiques. Les Américains ont pu se faire une idée des capacités de défense de la Russie : comment la Russie réagissait, si elle disposait de ressources suffisantes pour le faire, comment l'armée russe gérerait l'invasion et de combien de temps elle aurait besoin pour le faire.

En outre, les États-Unis et l'OTAN souhaitaient que la question de l'Ossétie du Sud soit résolue afin que la Géorgie puisse adhérer à l'OTAN. En effet, le traité de l'OTAN stipule qu'un pays qui ne contrôle pas pleinement son territoire ne peut pas adhérer à l'OTAN.

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La chute de Saakashvili

Depuis le 1er octobre 2021, Mikhaïl Saakachvili purge en Géorgie une peine de six ans de prison pour agression physique aggravée et corruption. En outre, des enquêtes sont en cours contre lui pour enrichissement illégal, cambriolage, violation de la constitution, entrée illégale dans le pays et usage illégal de la force contre des journalistes, des hommes politiques et des manifestants pacifiques. Pour cela, Saakashvili risque encore cinq à huit ans de prison.

Fait remarquable, le bureau du procureur de Géorgie a invité trois experts internationaux hautement qualifiés à évaluer les preuves dans les affaires pénales contre Saakashvili : Paul Coffey (ancien chef de la division de la criminalité organisée et de l'extorsion du ministère américain de la justice), Moshe Lador (ancien procureur d'Israël) et Geoffrey Nice (procureur général adjoint du Tribunal pénal international des Nations unies pour l'ex-Yougoslavie). Selon leur évaluation, les preuves étaient suffisantes pour engager des poursuites pénales contre Saakashvili [5].

Bien que Saakashvili soit aujourd'hui en prison, son héritage toxique se fait encore sentir. En effet, il est très difficile de réparer les crimes de son règne sur la Géorgie.

Prélude à la guerre russo-ukrainienne

La guerre des cinq jours de 2008 n'est pas d'une ampleur comparable à la guerre russo-ukrainienne. Mais comme la Géorgie à l'époque, l'Ukraine est également un État satellite des États-Unis. Contrairement à la guerre de cinq jours, qui ressemblait davantage à un test, l'intention réelle des États-Unis avec la guerre par procuration en Ukraine est d'épuiser la Russie - en termes de main-d'œuvre, de finances, d'économie et d'équipement militaire - et, de préférence, de la désintégrer.

Les États-Unis n'ont pas réussi à faire de la Géorgie un État anti-russe. Tout d'abord, le peuple géorgien n'était pas favorable à un conflit avec la Russie. Le pays était truffé d'une élite pro-occidentale dont les actions étaient contraires aux intérêts de la Géorgie. En outre, les Géorgiens et les Russes partagent plus de 200 ans d'histoire commune ainsi que la foi orthodoxe. Ces facteurs ont évidemment une influence durable. Il était donc impossible d'opposer les Géorgiens à la Russie.

En revanche, l'Occident a réussi à creuser un fossé entre la Russie et l'Ukraine après la deuxième révolution colorée ukrainienne en 2014 [6], en installant à Kiev un régime d'apparatchiks complaisants, qui s'est manifesté comme un adversaire enragé de la Russie en termes d'idéologie, de religion et d'interprétation de l'histoire commune russo-ukrainienne. En outre, les États-Unis et l'OTAN ont considérablement armé et entraîné l'armée ukrainienne, transformant l'Ukraine en un bastion anti-russe.

Cela n'a été possible qu'en raison des conditions culturelles et historiques. En effet, il existe deux cultures très différentes en Ukraine.

Primo, la Galicie orientale et la Wolhynie, à l'extrême ouest de l'Ukraine, étaient des régions orthodoxes jusqu'au XVIe siècle. Depuis lors, ces régions sont passées à l'Église catholique tout en conservant leurs rites orthodoxes. Elles appartiennent à l'Église catholique byzantine et sont également appelées uniates - anciens orthodoxes unis à Rome. En conséquence, ils se sont orientés vers l'Occident et ont développé une hostilité à l'égard de la Russie. En Galicie orientale et en Wolhynie, un nationalisme extrémiste s'est développé dans l'entre-deux-guerres et pendant la Seconde Guerre mondiale, collaborant avec l'Allemagne et commettant d'atroces meurtres de masse contre la minorité ethnique polonaise. La domination occidentale sur l'Ukraine s'appuie également sur ces régions. Il n'y a rien de tel en Géorgie.

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Deuxièmement, le reste de l'Ukraine - y compris le Donbass, la Crimée, la Novorossiya [7] et la Malorossiya [8] - est un territoire orthodoxe russophone, dont les habitants sont traditionnellement orientés vers la Russie. La capitale Kiev et la région environnante sont également russophones.

Lorsque les États-Unis parlent de droits de l'homme, ils parlent en fait de droits miniers. Les Américains alimentent la question des droits de l'homme avec l'intention réelle de mettre la main sur les ressources naturelles du pays en question. Les États-Unis ont mis le feu à l'Ukraine parce qu'ils veulent mettre la main sur les ressources naturelles du Donbass et de la Sibérie. Le président Poutine et l'armée russe s'y opposent.

Le président russe de l'époque, M. Medvedev, a déclaré à l'occasion du 15ème anniversaire de la guerre des cinq jours en 2023: "Il y a exactement 15 ans, la Russie a réagi de manière décisive à la lâche attaque contre Tschinval et a expulsé l'agresseur. Derrière l'idiot Saakashvili se cachait l'Occident collectif, qui tentait déjà à l'époque d'enflammer la situation à proximité immédiate des frontières de la Russie. (...). Aujourd'hui, les États-Unis et leurs vassaux (...) mènent à nouveau une guerre criminelle (...) pour tenter de faire disparaître la Russie de la surface de la terre. L'ensemble du système de l'OTAN se bat pratiquement ouvertement contre nous. Nous disposons de suffisamment de troupes pour mener à bien toutes les tâches de l'opération militaire spéciale. Comme en août 2008, nos ennemis seront écrasés et la Russie parviendra à la paix selon ses propres termes. La victoire est à nous !" [9].

Notes:

[1] Les révolutions de couleur portent des noms différents selon les pays. La version géorgienne a été baptisée "révolution des roses". Un an plus tard, la "révolution orange" a eu lieu en Ukraine

[2] En 2022, il était tombé à 1,869 % du PIB.

[3] Réunion du Conseil des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne du 18 février 2008.

[4] C'est-à-dire une organisation eurasienne de coopération politique, économique et sécuritaire. Plus précisément, cela comprend l'échange de renseignements et la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. En 2008, la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan en étaient membres. Aujourd'hui, l'Inde, le Pakistan, l'Iran et la Biélorussie en sont également membres.

[5] Déclaration du bureau du procureur de Géorgie, datée du 1er octobre 2021.

[6] La première révolution colorée ukrainienne a eu lieu en 2004 et est appelée "révolution orange". La deuxième révolution ukrainienne de 2014 est appelée "révolution de Maïdan".

[7] C'est-à-dire la Nouvelle Russie. Cette région comprend le sud de l'Ukraine.

[8] C'est-à-dire la Petite Russie. Cette zone comprend le nord-est de l'Ukraine (y compris la capitale Kiev).

[9] Compte télégraphique de Dmitri Medvedev, daté du 8 août 2023.

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mardi, 30 juillet 2024

Les racines trotskistes du néoconservatisme

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Les racines trotskistes du néoconservatisme

Filip Martens

L'idéologie néoconservatrice a gagné une influence croissante sur la politique mondiale à partir du début des années 1980. Cependant, malgré son nom trompeur, le néoconservatisme n'est pas du tout conservateur, mais plutôt une idéologie gauchiste qui a détourné le conservatisme américain. Bien que le néoconservatisme ne puisse être rattaché à aucun penseur en particulier, le philosophe politique Leo Strauss (1899-1973) et le sociologue Irving Kristol (1920-2009) sont largement considérés comme ses pères fondateurs.

Les fondateurs du néoconservatisme

Leo Strauss est né dans une famille juive de la province allemande de Nassau. Il a été un sioniste actif pendant ses années d'études dans l'Allemagne de l'après-Première Guerre mondiale. Strauss a émigré en Grande-Bretagne en 1934 et aux États-Unis en 1937, où il a d'abord été affecté à l'université Columbia de New York. De 1938 à 1948, il est professeur de philosophie politique à la New School for Social Research de New York et de 1949 à 1968 à l'université de Chicago.

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À l'université de Chicago, Strauss a enseigné à ses étudiants que la laïcité américaine signifiait sa propre destruction : en effet, l'individualisme, l'égoïsme et le matérialisme sapaient toutes les valeurs et la moralité et ont conduit à un chaos massif et à des émeutes aux États-Unis dans les années 1960. Pour lui, la solution réside dans la création et l'entretien de mythes religieux et patriotiques. Strauss soutenait que les mensonges blancs étaient autorisés pour maintenir la cohésion de la société et la diriger. Par conséquent, selon lui, les mythes posés et non prouvés par les politiciens étaient nécessaires pour donner aux masses un but, ce qui conduirait à une société stable. Les hommes d'État doivent donc créer des mythes inspirants et forts, qui ne doivent pas nécessairement correspondre à la vérité. Strauss a ainsi été l'un des inspirateurs du néoconservatisme qui a émergé dans la politique américaine des années 1970, bien qu'il ne se soit jamais engagé dans la politique active et qu'il soit toujours resté un universitaire.

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Irving Kristol (photo) est le fils de juifs ukrainiens qui ont émigré à Brooklyn, New York, dans les années 1890. Dans la première moitié des années 1940, il était membre de la Quatrième Internationale de Léon Trotski (1879-1940), le dirigeant bolchevique juif exilé par Staline en URSS, qui a combattu Staline avec ce mouvement communiste rival. De nombreux intellectuels juifs américains de premier plan ont rejoint la Quatrième Internationale.

Kristol était également membre des influents «  New York Intellectuals », un collectif d'écrivains et de critiques littéraires juifs trotskistes de New York, également anti-stalinien et anti-URSS. Outre Kristol, ce groupe comprenait Hannah Arendt, Daniel Bell, Saul Bellow, Marshall Berman, Nathan Glazer, Clement Greenberg, Richard Hofstadter, Sidney Hook, Irving Howe, Alfred Kazin, Mary McCarthy, Dwight MacDonald, William Phillips, Norman Podhoretz, Philip Rahy, Harold Rosenberg, Isaac Rosenfeld, Delmore Schwartz, Susan Sontag, Harvey Swados, Diana Trilling, Lionel Trilling, Michael Walzer, Albert Wohlstetter et Robert Warshow. Nombre d'entre eux ont étudié au City College of New York, à l'université de New York et à l'université de Columbia dans les années 1930 et 1940. Ils vivaient principalement dans les quartiers de Brooklyn et du Bronx. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ces trotskistes ont de plus en plus pris conscience que les États-Unis pouvaient être utiles dans la lutte contre l'URSS qu'ils détestaient. Certains d'entre eux, comme Glazer, Hook, Kristol et Podhoretz, ont par la suite développé un néoconservatisme qui a conservé l'universalisme trotskiste et le sionisme.

Kristol a commencé par être un marxiste convaincu au sein du parti démocrate. Il a été un disciple de Strauss dans les années 1960. Leur néoconservatisme a continué à croire en l'ingénierie sociale marxiste du monde : les États-Unis devaient agir au niveau international pour répandre la démocratie parlementaire et le capitalisme. C'est pourquoi Kristol était un fervent partisan de la guerre américaine au Viêt Nam. Strauss et Kristol ont également rejeté la séparation libérale de l'Église et de l'État, la société laïque conduisant à l'individualisme. Ils ont remis la religion au service de l'État.

Kristol a diffusé ses idées en tant que professeur de sociologie à l'université de New York, par une chronique dans le Wall Street Journal, par les magazines qu'il a fondés, The Public Interest et The National Interest, et par l'influent hebdomadaire néocon The Weekly Standard, fondé par son fils William Kristol en 1995 (qui a été financé jusqu'en 2009 par la société de médias News Corporation du magnat Rupert Murdoch, puis par le Clarity Media Group du milliardaire Philip Anschutz).

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Kristol a également participé au Congrès pour la liberté de la culture, fondé et financé par la CIA en 1950. Cette organisation anti-URSS active dans environ 35 pays publiait le magazine britannique Encounter, que Kristol a cofondé avec l'ancien poète et écrivain marxiste britannique Stephen Spender (1909-1995) (photo). Spender était très attiré par le judaïsme en raison de son héritage partiellement juif et était également marié à la pianiste de concert juive Natasha Litvin. Lorsque l'implication de la CIA dans le Congrès pour la liberté de la culture a été révélée à la presse en 1967, Kristol s'en est retiré et s'est engagé dans le groupe de réflexion néoconservateur American Enterprise Institute.

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Kristol a également édité le mensuel Commentary avec Norman Podhoretz (né en 1930) (photo) de 1947 à 1952. Podhoretz est le fils de marxistes juifs originaires de Galicie qui se sont installés à Brooklyn. Il a étudié à l'université de Columbia, au Jewish Theological Seminary et à l'université de Cambridge. De 1960 à 1995, Podhoretz a été rédacteur en chef de Commentary. Son essai influent de 1963 intitulé « My Negro Problem - And Ours » (Mon problème nègre - et le nôtre) préconise un mélange racial complet des races blanche et noire, car pour lui, « la fusion totale des deux races est l'alternative la plus souhaitable ».

De 1981 à 1987, Podhoretz a été conseiller auprès de l'Agence américaine d'information, un service de propagande américain dont l'objectif est de surveiller et d'influencer les opinions publiques et les institutions étatiques étrangères. En 2007, Podhoretz a reçu le Guardian of Zion Award, un prix annuel décerné par l'université israélienne Bar-Ilan à un grand défenseur de l'État d'Israël.

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Les autres grands noms de cette nouvelle idéologie sont Allan Bloom, l'épouse de Podhoretz, Midge Decter (photo), et l'épouse de Kristol, Gertrude Himmelfarb. Bloom (1930-1992) est né dans une famille juive de l'Indiana. À l'université de Chicago, il a été fortement influencé par Leo Strauss. Plus tard, Bloom est devenu professeur de philosophie dans plusieurs universités. Le futur professeur Francis Fukuyama (né en 1952) a été l'un de ses étudiants. La journaliste et écrivaine féministe juive Midge Rosenthal (1927-2022) - qui a changé son nom de famille en Decter - a été l'une des fondatrices du groupe de réflexion néoconservateur Project for the New American Century et a également siégé au conseil d'administration du groupe de réflexion néoconservateur Heritage Foundation. L'historienne juive Gertrude Himmelfarb (1922-2019), née à Brooklyn, était une trotskiste active pendant ses études à l'université de Chicago, au Jewish Theological Seminary et à l'université de Cambridge. Elle a ensuite été active au sein du groupe de réflexion néoconservateur American Enterprise Institute.

Les racines trotskistes du néoconservatisme

Le néoconservatisme est considéré à tort comme « de droite » en raison du préfixe « néo », qui suggère à tort une nouvelle pensée conservatrice. Au contraire, de nombreux néoconservateurs ont un passé d'extrême gauche, notamment dans le trotskisme. En effet, la plupart des néocons sont issus d'intellectuels juifs trotskistes d'Europe de l'Est (principalement de Pologne, de Lituanie et d'Ukraine). L'URSS ayant interdit le trotskisme dans les années 1920, il est compréhensible qu'ils soient devenus actifs aux États-Unis en tant que groupes de pression anti-URSS au sein du parti démocrate de gauche et d'autres organisations de gauche.

Irving Kristol a défini un néocon comme « un progressiste affecté par la réalité ». Cela signifie qu'un néocon est quelqu'un qui change de stratégie politique pour mieux atteindre ses objectifs. En effet, dans les années 1970, les néocons ont troqué le trotskisme pour le libéralisme et ont quitté le Parti démocrate. En raison de leur forte aversion pour l'URSS et l'État-providence, ils ont rejoint l'anticommunisme des Républicains pour des raisons stratégiques.

En tant qu'ancien trotskiste, le néoconservateur Kristol a continué à promouvoir des idées marxistes telles que le socialisme réformiste et la révolution internationale par le biais de la construction de nations et de régimes démocratiques imposés militairement. En outre, les néocons défendent des revendications progressistes telles que l'avortement, l'euthanasie, l'immigration de masse, la mondialisation, le multiculturalisme et le capitalisme de libre-échange. Les États-providence sont également considérés comme superflus, bien que les peuples occidentaux eux-mêmes préfèrent que la sécurité sociale qu'ils ont durement acquise continue d'exister. Les néoconservateurs brandissent donc des scénarios catastrophe exagérés - tels que le vieillissement et la mondialisation - pour inciter la population à massacrer le secteur public et les services sociaux. Ils cherchent pour cela le soutien des forces politiques libérales-capitalistes. Le terme « piège de la pauvreté » , qui désigne les chômeurs qui ne vont pas travailler parce que les coûts qu'ils engendrent diluent leurs revenus légèrement supérieurs, a également été inventé par les néoconservateurs.

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Ces concepts sont au cœur de la philosophie néoconservatrice. En 1979, le magazine Esquire a qualifié Irving Kristol de « parrain de la nouvelle force politique la plus puissante d'Amérique : le néoconservatisme ». Cette année-là, Peter Steinfels a également publié son livre « The Neoconservatives : The Men Who Are Changing America's Politics » (Les néoconservateurs : les hommes qui changent la politique américaine), qui met en évidence l'influence politique et intellectuelle croissante des néoconservateurs.

Le magazine mensuel Commentary a succédé au magazine Contemporary Jewish Record, supprimé en 1944, et a été fondé en 1945 par l'American Jewish Committee. Son premier rédacteur en chef, Elliot Ettelson Cohen (1899-1959), était le fils d'un commerçant juif de la Russie tsariste. Sous sa direction, Commentary a ciblé la communauté juive traditionnellement très à gauche, tout en cherchant à faire connaître les idées des jeunes intellectuels juifs à un public plus large. Norman Podhoretz, devenu rédacteur en chef en 1960, a donc affirmé à juste titre que Commentary réconciliait les intellectuels juifs trotskystes radicaux avec l'Amérique libérale et capitaliste. Commentary s'est engagé contre l'URSS et a pleinement soutenu les trois piliers de la guerre froide : la doctrine Truman, le plan Marshall et l'OTAN.

Ce magazine sur la politique, la société, le judaïsme et les questions socioculturelles a joué un rôle de premier plan dans le néoconservatisme depuis les années 1970. Commentary a transformé le trotskisme juif en néoconservatisme et est le magazine américain le plus influent du dernier demi-siècle parce qu'il a profondément changé la vie politique et intellectuelle américaine. Après tout, l'opposition à la guerre du Viêt Nam, au capitalisme qui la sous-tendait et, surtout, l'hostilité à Israël lors de la guerre des Six Jours en 1967 ont suscité l'ire du rédacteur en chef Podhoretz. Commentary a donc présenté cette opposition comme anti-américaine, anti-libérale et antisémite. C'est ainsi qu'est né le néoconservatisme, qui défend farouchement la démocratie libérale et s'oppose à l'URSS et aux pays du tiers-monde qui luttent contre le néocolonialisme. Les élèves de Strauss - dont Paul Wolfowitz (°1943) et Allan Bloom - soutenaient que les États-Unis devaient lutter contre le « Mal » et répandre la démocratie parlementaire et le capitalisme, considérés comme le « Bien », dans le monde entier.

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Ils ont également fait croire à la population américaine qu'il existait un danger - fictif - lié à l'islam, sur la base duquel ils préconisaient une intervention américaine au Proche-Orient. Mais surtout, les néocons prônent un soutien massif et inconditionnel des États-Unis à Israël, au point que le conservateur traditionnel Russel Kirk (1918-1994) a un jour affirmé que les néocons confondaient la capitale des États-Unis avec Tel-Aviv. En fait, selon Kirk, il s'agit là de la principale distinction entre les néocons et les premiers conservateurs américains. Dès 1988, il a averti que le néoconservatisme était très dangereux et belliqueux. La guerre du Golfe de 1990-1991, menée par les États-Unis, lui a immédiatement donné raison.

Les néoconservateurs recherchent explicitement le pouvoir pour faire passer leurs réformes dans l'espoir d'améliorer la qualité de la société. Ce faisant, ils sont tellement convaincus de leur bon droit qu'ils n'attendent pas que leurs interventions bénéficient d'un large soutien, même dans le cas de réformes radicales. Le néoconservatisme est donc une utopie marxiste d'ingénierie sociale.

Les néoconservateurs dans l'opposition au président Richard Nixon

Dans les années 1970, le néoconservatisme est apparu comme un mouvement de résistance à la politique du président Nixon. En effet, le républicain Richard Nixon (1913-1994) et Henry Kissinger (1923-2023) - conseiller à la sécurité nationale en 1969-1975 et secrétaire d'État en 1973-1977 - ont mené une politique étrangère totalement différente en établissant des relations avec la Chine maoïste et en entamant une détente avec l'URSS. En outre, Nixon a également mené des politiques sociales et a aboli l'étalon-or, faisant en sorte que les dollars ne soient plus échangeables contre de l'or.

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Nixon et Kissinger profitent de l'escalade des tensions et des conflits frontaliers entre l'URSS et la Chine pour établir des relations avec la Chine dans le plus grand secret en 1971, après quoi Nixon devient le premier président américain à se rendre en Chine maoïste en février 1972. Mao Zedong semble très impressionné par Nixon. Craignant une alliance sino-américaine, l'URSS cède alors aux pressions américaines en faveur de la détente. Nixon et Kissinger transforment le monde bipolaire - l'Occident contre le bloc communiste - en un équilibre multipolaire des pouvoirs. Nixon se rend à Moscou en mai 1972 et négocie avec le dirigeant soviétique Brejnev des accords commerciaux et deux traités historiques de limitation des armements (SALT I et ABM). L'hostilité de la guerre froide a été remplacée par la détente, qui a permis de désamorcer les tensions. En conséquence, les relations entre l'URSS et les États-Unis se sont considérablement améliorées à partir de 1972. Un programme quinquennal de coopération spatiale était déjà en place à la fin du mois de mai 1972. Il a débouché sur le projet d'essai Apollo-Soyouz en 1975, dans le cadre duquel un Apollo américain et un Soyouz soviétique ont effectué une mission spatiale commune.

La Chine et l'URSS renforcent alors leur soutien au Nord-Vietnam, à qui l'on conseille d'entamer des pourparlers de paix avec les États-Unis. Bien qu'au départ, Nixon ait encore sérieusement intensifié la guerre au Sud-Vietnam en attaquant également les pays voisins, le Laos, le Cambodge et le Nord-Vietnam, il a progressivement retiré ses troupes et Kissinger a pu conclure un accord de paix en 1973. En effet, Nixon avait compris que pour que la paix soit couronnée de succès, l'URSS et la Chine devaient être impliquées.

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Nixon était en outre convaincu que des politiques gouvernementales raisonnables pouvaient bénéficier à l'ensemble de la population. Il a transféré des pouvoirs fédéraux aux États, augmenté l'aide alimentaire et sociale et stabilisé les salaires et les prix. Les dépenses de défense sont passées de 9,1% à 5,8% du PNB et le revenu moyen des ménages a augmenté. En 1972, la sécurité sociale a été considérablement élargie en garantissant un revenu minimum. Nixon est devenu très populaire grâce à ses politiques socio-économiques réussies. En conséquence, il est réélu en novembre 1972 avec l'une des plus grandes victoires électorales de l'histoire des États-Unis : à l'exception du Massachusetts et de Washington DC, il remporte la majorité dans tous les États américains.

En réaction à l'écrasante victoire de Nixon, la faction centriste Coalition for a Democratic Majority (CDM) a été créée au sein du Parti démocrate en décembre 1972 à l'instigation du sénateur démocrate Henry Jackson (1912-1983), qui avait tenté sans succès de remporter l'investiture démocrate pour l'élection présidentielle. Le CDM soutenait que les Démocrates devaient revenir à une position plus large et centriste pour vaincre les Républicains. Le CDM a également attiré des membres du Parti socialiste trotskiste d' Amérique et en particulier de son aile jeunesse, la Young People's Socialist League (Ligue socialiste des jeunes).

Cependant, malgré le nombre considérable de membres et le soutien du CDM, Jackson n'a pas réussi à obtenir l'investiture démocrate lors des primaires présidentielles démocrates de 1976. Certains membres du CDM, principalement non juifs - dont Les Aspin, Lloyd Bentsen, Tom Foley, Samuel Huntington, William Richardson et James Woolsey - participeront plus tard aux gouvernements Carter (1977-1981) et Clinton (1993-2001), tandis que de nombreux autres, principalement juifs - Daniel Bell, Midge Decter, Nathan Glazer, Jeanne Kirkpatrick, Charles Krauthammer, Irving Kristol, Joshua Muravchik, Michael Novak, Richard Perle, Richard Pipes, Norman Podhoretz, Benjamin Wattenberg et Paul Wolfowitz - sont devenus néocons et ipso facto républicains et ont participé à l'organisation de propagande de la CIA , le Congress for Cultural Freedom, aux principaux groupes de réflexion néocons et aux gouvernements Reagan (1981-1989), Bush sr. (1989-1993) et -Bush Jr. (2001-2009). On est donc passé d'intellectuels juifs trotskistes au sein du parti démocrate à des néocons au sein du parti républicain. Les néocons constituaient auparavant un mouvement d'opposition au sein du Parti démocrate, qui était farouchement anti-URSS et rejetait la détente avec l'URSS de Nixon et Kissinger. Les hommes d'affaires néoconservateurs ont fourni d'énormes sommes d'argent aux groupes de réflexion et aux revues néoconservateurs.

En 1973, les Straussiens ont exigé que les États-Unis fassent pression sur l'URSS pour que les Juifs soviétiques puissent émigrer. Cependant, le secrétaire d'État Kissinger - bien que juif lui-même - a estimé que la situation des Juifs soviétiques n'avait rien à voir avec les intérêts américains et a donc refusé de s'adresser à l'URSS à ce sujet. Le sénateur Henry Jackson a sapé la détente par l'amendement Jackson-Vanik de 1974, qui subordonnait la détente à la volonté de l'URSS de permettre aux Juifs soviétiques d'émigrer. Jackson a été critiqué au sein du parti démocrate pour ses liens étroits avec l'industrie de l'armement et son soutien à la guerre du Viêt Nam et à Israël. Sur ce dernier point, il a également reçu un soutien financier considérable de la part de milliardaires juifs américains. Plusieurs associés de Jackson, comme Elliot Abrams (né en 1948), Richard Perle (né en 1941), Benjamin Wattenberg (1933-2015) et Paul Wolfowitz, deviendront plus tard des néoconservateurs de premier plan.

Kissinger n'a pas non plus apprécié les demandes persistantes d'aide américaine de la part d'Israël, qualifiant le gouvernement israélien de « bande de malades » : « Nous avons opposé notre veto à huit résolutions au cours des dernières années, nous leur avons donné quatre milliards de dollars d'aide (...) et nous sommes toujours traités comme si nous n'avions rien fait pour eux ». Plusieurs enregistrements de la Maison Blanche datant de 1971 montrent que le président Nixon avait lui aussi de sérieux doutes sur le lobby israélien à Washington et sur Israël.

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Kissinger a empêché Israël de détruire la 3ème armée égyptienne encerclée dans le Sinaï pendant la guerre du Kippour de 1973. Alors que même l'URSS n'osait pas durcir son discours pro-arabe, il a réussi à déloger l'Égypte du camp soviétique et à en faire un allié des États-Unis, affaiblissant considérablement l'influence soviétique au Proche-Orient.

Nixon, quant à lui, poursuit ses réformes sociales. En février 1974, par exemple, il met en place une assurance maladie basée sur les cotisations des employeurs et des employés. Cependant, il doit démissionner en août 1974 en raison du scandale du Watergate, qui a débuté en juin 1972 et qui consiste en une série de « révélations » médiatiques sensationnelles qui durent plus de deux ans et qui mettent en très grande difficulté plusieurs responsables du gouvernement républicain et, finalement, le président Nixon lui-même.

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Le Washington Post, en particulier, a considérablement terni le blason de l'administration Nixon (1969-1974) : les rédacteurs en chef Howard Simons (1929-1989) et Hirsch Moritz « Harry » Rosenfeld (1929-2021) ont organisé très tôt la couverture extraordinaire de ce qui allait devenir le scandale du Watergate, en mettant les journalistes Bob Woodward (né en 1943) et Carl Bernstein (né en 1944) sur l'affaire. Sous l'œil bienveillant du rédacteur en chef Benjamin Bradlee (1921-2014), Woodward et Bernstein ont émis de nombreux soupçons à l'encontre de l'administration Nixon en s'appuyant sur des « sources anonymes ».

Simons est né dans une famille juive d'Albany, dans l'État de New York, et a obtenu un diplôme de journalisme à l'université de Columbia. Rosenfeld est issu d'une famille de juifs allemands qui s'est installée dans le Bronx, un quartier de New York, en 1939. Les parents juifs de Bernstein étaient membres du Parti communiste américain et ont été surveillés par le FBI pour activités subversives pendant 30 ans, ce qui a donné lieu à un dossier du FBI de plus de 2500 pages. Pendant des décennies, Woodward a été accusé d'exagérations et de fabrications dans ses reportages, notamment en ce qui concerne ses « sources anonymes » dans le cadre du scandale du Watergate.

Cette offensive médiatique contre l'administration Nixon a donné lieu à une intense enquête judiciaire et le Sénat a même créé une commission d'enquête qui a commencé à citer des fonctionnaires à comparaître. En conséquence, Nixon doit licencier plusieurs hauts fonctionnaires en 1973 et finit par être lui-même mis en cause, bien qu'il n'ait rien à voir avec les cambriolages et les pots-de-vin qui sont à l'origine du scandale du Watergate. À partir d'avril 1974, on spécule ouvertement sur la destitution de Nixon, et lorsque celle-ci menace effectivement de se produire au cours de l'été 1974, il démissionne lui-même le 9 août. Le secrétaire d'État Kissinger a prédit durant ces derniers jours que l'historiographie se souviendrait de Nixon comme d'un grand président et que le scandale du Watergate ne serait qu'une note de bas de page.

Le vice-président Gerald Ford (1913-2006) succède à Nixon. Les néoconservateurs ont exercé une pression considérable sur Ford pour qu'il nomme George Bush père (1924-2018) comme nouveau vice-président, mais Ford leur a déplu en choisissant le plus modéré Nelson Rockefeller (1908-1979), ex-gouverneur de l'État de New York. Comme, malgré la démission de Nixon, le Parlement et les médias continuaient à s'efforcer de le traduire en justice, Ford accorda à Nixon une grâce présidentielle en septembre 1974 pour son rôle présumé dans le scandale du Watergate. Malgré l'énorme impact de ce scandale, ses racines n'ont jamais été dévoilées. Nixon a clamé son innocence jusqu'à sa mort en 1994, même s'il a admis avoir commis des erreurs de jugement dans la gestion du scandale. Il passera les 20 dernières années de sa vie à redorer son blason.

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En octobre 1974, Nixon est atteint d'une phlébite potentiellement mortelle, pour laquelle il doit être opéré. Le président Ford vient lui rendre visite à l'hôpital, mais le Washington Post - une fois de plus - juge nécessaire de se moquer de Nixon gravement malade. Au printemps 1975, la santé de Nixon s'améliore et il commence à travailler sur ses mémoires, bien que ses avoirs soient dévorés, entre autres, par d'importants frais de justice. À un moment donné, l'ex-président Nixon n'a plus que 500 dollars sur son compte en banque. À partir d'août 1975, sa situation financière s'améliore grâce à une série d'interviews pour une émission de télévision britannique et à la vente de sa maison de campagne. Son autobiographie « RN : The Memoirs of Richard Nixon » , publiée en 1978, est devenue un best-seller.

Des dirigeants chinois comme Mao Zedong et Deng Xiaoping sont restés reconnaissants à Nixon pour l'amélioration des relations avec les États-Unis pendant des années et l'ont invité à plusieurs reprises en Chine. Ce n'est qu'au milieu des années 80 que Nixon a réussi à redorer son blason après des voyages au Proche-Orient et en URSS, commentés par les médias sous pression.

Le président Ford et Kissinger ont poursuivi la détente de Nixon en signant, entre autres, les accords d'Helsinki avec l'URSS. Et en 1975, alors qu'Israël continuait à refuser de faire la paix avec l'Égypte, Ford suspendit toute aide militaire et économique américaine à Israël pendant six mois, sous les vives protestations des néoconservateurs. Il s'agit là d'un véritable creux dans les relations israélo-américaines.

La montée du néoconservatisme

Les néoconservateurs tels que Donald Rumsfeld (1932-2021), chef de cabinet de la Maison Blanche, Dick Cheney (°1941), conseiller présidentiel, le sénateur Jackson et son assistant Paul Wolfowitz ont qualifié l'URSS de « Mal » pendant l'administration Ford (1974-1977), bien que la CIA ait affirmé qu'il n'y avait pas de menace de la part de l'URSS et qu'aucune preuve n'avait pu être trouvée. La CIA a donc été accusée - entre autres par le professeur néoconservateur straussien Albert Wohlstetter (1913-1997) - d'avoir sous-estimé les intentions menaçantes de l'URSS.

Le Parti républicain a subi une lourde défaite lors des élections générales de novembre 1974 en raison du scandale du Watergate, ce qui a permis aux néocons de gagner en influence au sein du gouvernement. En 1975, alors que William Colby (1920-1996), directeur de la CIA, refuse toujours de laisser un groupe d'étude ad hoc composé d'experts extérieurs refaire le travail de ses analystes, Rumsfeld fait campagne avec succès auprès du président Ford pour obtenir un remaniement en profondeur du gouvernement. Le 4 novembre 1975, plusieurs ministres et hauts fonctionnaires modérés ont été remplacés par des néoconservateurs lors de ce « massacre d'Halloween ». Entre autres, Colby a été remplacé par Bush père à la tête de la CIA, Kissinger est resté secrétaire d'État mais a perdu son poste de conseiller à la sécurité nationale au profit du général Brent Scowcroft (1925-2020), James Schlesinger a été remplacé par Rumsfeld au poste de secrétaire à la défense, Cheney a pris la place vacante de Rumsfeld au poste de secrétaire général de la Maison Blanche et John Scali a cédé sa place d'ambassadeur à l'ONU à Daniel Moynihan (1927-2003). Par ailleurs, sous la pression des néoconservateurs, le vice-président Rockefeller annonce qu'il ne sera pas le colistier de Ford lors de l'élection présidentielle de 1976.

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Le nouveau chef de la CIA, Bush père, a formé le groupe d'étude anti-URSS Team B , dirigé par le professeur juif d'histoire russe Richard Pipes (1923-2018), afin de « réexaminer » les intentions de l'URSS. Tous les membres de l'équipe B étaient a priori hostiles à l'URSS. Pipes a inclus Wolfowitz dans l'équipe B sur les conseils de Richard Perle - alors assistant du sénateur Jackson . Le rapport très controversé de ce groupe d'étude, publié en 1976, prétendait avoir établi « une poursuite ininterrompue par l'URSS de l'hégémonie mondiale » et « un échec des services de renseignement ».

Rétrospectivement, l'équipe B s'est avérée avoir complètement tort sur toute la ligne. Après tout, l'URSS n'avait pas de « PIB en augmentation avec lequel elle acquiert de plus en plus d'armes », mais sombrait lentement dans le chaos économique. Une prétendue flotte de sous-marins nucléaires indétectables par radar n'a jamais existé non plus. Grâce à ces pures fabrications, les Straussiens ont convaincu les États-Unis d'une menace fictive de la part du « Mal ». Le rapport de l'équipe B a été utilisé pour justifier des investissements massifs (et inutiles) dans l'armement, qui ont commencé à la fin de l'administration Carter et ont explosé sous l'administration Reagan.

Dans la perspective de l'élection présidentielle de 1976, les néoconservateurs ont proposé l'ex-gouverneur de Californie et ex-démocrate (!) Ronald Reagan (1911-2004) comme alternative à Ford, à qui l'on reprochait, entre autres, sa détente vis-à-vis de l'URSS et la suspension de l'aide à Israël. Malgré cela, Ford réussit à se faire désigner comme candidat républicain à l'élection présidentielle. Lors de l'élection présidentielle proprement dite, il a perdu contre le démocrate Jimmy Carter (°1924).

Au sein du parti républicain infiltré par les néocons, le groupe de réflexion American Enterprise Institute a vu le jour dans les années 1970. Celui-ci comptait des intellectuels néocons influents tels que Nathan Glazer (1923-2019), Irving Kristol, Michael Novak (1933-2017), Benjamin Wattenberg et James Wilson (1931-2012). Ils ont influencé l'électorat traditionnellement conservateur des républicains, en associant le fondamentalisme protestant croissant au néoconservatisme. En conséquence, le protestant Reagan est devenu président en 1981 et a immédiatement nommé une série de néoconservateurs (tels que John Bolton, Rumsfeld, Wolfowitz, Doug Feith, William Kristol, Lewis Libby et Elliot Abrams). Bush père est devenu vice-président.

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La détente est remplacée par une politique étrangère agressive et farouchement anti-URSS, qui s'appuie fortement sur la doctrine Kirkpatrick décrite par l'ex-marxiste et ex-démocrate ( !) Jeane Kirkpatrick (1926-2006) dans son article très remarqué « Dictatorships and Double Standards » ( Dictatures et doubles standards) paru dans Commentary en 1979. Cet article impliquait que, bien que la plupart des gouvernements dans le monde soient et aient toujours été des autocraties, il serait possible de les démocratiser à long terme. Cette doctrine Kirkpatrick devait principalement servir à justifier le soutien aux dictatures pro-américaines dans le tiers-monde.

De nombreux immigrés du bloc de l'Est sont devenus actifs dans le mouvement néoconservateur. Ils étaient également de farouches opposants à la détente avec l'URSS et considéraient le progressisme comme supérieur. Podhoretz a d'ailleurs critiqué très sévèrement les partisans de la détente au début des années 1980.

Le peuple américain se voyait alors présenter une menace soviétique encore plus grande : l'URSS serait à la tête d'un réseau terroriste international et serait donc à l'origine d'attaques terroristes dans le monde entier. Une fois de plus, la CIA a rejeté ces allégations comme étant absurdes, mais a continué à diffuser la propagande du « réseau international de terreur soviétique ». Les États-Unis ont donc dû réagir. Les néocons sont devenus des révolutionnaires démocratiques : les États-Unis soutiendraient les forces internationales pour changer le monde. Ainsi, dans les années 1980, les mudjaheddin afghans ont été largement soutenus dans leur lutte contre l'URSS et les Contras nicaraguayens contre le gouvernement sandiniste d'Ortega. En outre, les États-Unis se sont lancés dans une course aux armements avec l'URSS, ce qui a toutefois entraîné d'importants déficits budgétaires et une augmentation de la dette publique : en effet, la politique de défense de Reagan a augmenté les dépenses de défense de 40 % en 1981-1985 et a triplé le déficit budgétaire.

La montée en puissance des néoconservateurs a conduit à des années de Kulturkampf aux États-Unis. En effet, ils ont rejeté la culpabilité de la défaite au Viêt Nam, ainsi que la politique étrangère de Nixon. En outre, ils s'opposent à l'action internationale active des États-Unis et à l'identification de l'URSS au « Mal ». La politique étrangère de Reagan a été critiquée comme étant agressive, impérialiste et belliqueuse. En outre, les États-Unis ont été condamnés par la Cour internationale de justice en 1986 pour crimes de guerre contre le Nicaragua. De nombreux Centraméricains ont également condamné le soutien de Reagan aux Contras, le qualifiant de fanatique exagéré qui a passé sous silence les massacres, la torture et d'autres atrocités. Le président nicaraguayen Ortega a un jour exprimé l'espoir que Dieu pardonne à Reagan sa « sale guerre contre le Nicaragua ».

Les néoconservateurs ont également influencé la politique étrangère de l'administration Bush père qui a suivi. Par exemple, Dan Quayle (né en 1947) était alors vice-président et Cheney secrétaire à la défense, avec Wolfowitz comme assistant. Wolfowitz s'est opposé à la décision de Bush en 1991-1992 de ne pas déposer le régime irakien après la guerre du Golfe de 1990-1991. Lui et Lewis Libby (né en 1950), dans un rapport de 1992 au gouvernement, ont suggéré des attaques « préventives » pour « empêcher la création d'armes de destruction massive » - déjà à l'époque ! - et d'augmenter les dépenses de défense. Cependant, les États-Unis étaient aux prises avec un énorme déficit budgétaire dû à la course à l'armement de Reagan.

Sous l'administration Clinton, les néocons ont été repoussés vers les think tanks, où une vingtaine de néocons se réunissaient régulièrement, notamment pour discuter du Proche-Orient. Un groupe d'étude néocons dirigé par Richard Perle et comprenant Doug Feith et David Wurmser a rédigé le rapport contesté « A Clean Break : A New Strategy for Securing the Realm » (Une rupture nette : une nouvelle stratégie pour sécuriser l'Etat) en 1996. Ce rapport conseillait au nouveau Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou de mener une politique agressive à l'égard de ses voisins : arrêt des négociations de paix avec les Palestiniens, destitution de Saddam Hussein en Irak et attaques « préventives » contre le Hezbollah libanais, la Syrie et l'Iran. Ainsi, selon ce rapport, Israël devait chercher à déstabiliser en profondeur le Proche-Orient pour résoudre ses problèmes stratégiques, mais le petit Israël n'était pas en mesure de faire face à une entreprise d'une telle ampleur.

En 1998, le groupe de réflexion néoconservateur Project for the New American Century a écrit une lettre au président Clinton pour lui demander d'envahir l'Irak. Cette lettre a été signée par une série de néoconservateurs de premier plan : Elliott Abrams, Richard Armitage, John Bolton, Zalmay Khalilzad, William Kristol, Richard Perle, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz et Robert Zoellick. Cela montre une fois de plus que ces idées ne sont certainement pas sorties de nulle part lorsque l'administration Bush Jr. est entrée en fonction.

L'obsession des néocons pour le Proche-Orient s'explique par leur sionisme. Après tout, de nombreux néocons sont d'origine juive et se sentent liés à Israël et au parti Likoud. Les néoconservateurs pensent en outre que dans le monde unipolaire de l'après-guerre froide, les États-Unis doivent utiliser leur puissance militaire pour éviter d'être eux-mêmes menacés et pour répandre la démocratie parlementaire et le capitalisme. Le concept de changement de régime vient également d'eux.

Bien que les présidents Reagan et Bush père aient déjà adopté les idées néoconservatrices, le néoconservatisme n'a réellement triomphé que sous le président George Bush fils (°1946), dont la politique étrangère et militaire a été entièrement dominée par les néoconservateurs. Au cours de l'été 1998, Bush junior, sur l'intercession de Bush père, a rencontré son ancienne conseillère pour les affaires soviétiques et d'Europe de l'Est, Condoleeza Rice, dans la propriété de la famille Bush dans le Maine. C'est ainsi que Rice a conseillé Bush père en matière de politique étrangère pendant sa campagne électorale. La même année, Wolfowitz a également été recruté. Un véritable groupe consultatif de politique étrangère, largement issu des gouvernements de Reagan et de Bush père, s'est constitué au début de l'année 1999. Le groupe dirigé par Rice comprenait également Richard Armitage (né en 1945, ex-ambassadeur et ex-agent secret), Robert Blackwill (né en 1939, ex-conseiller pour les affaires européennes et soviétiques), Stephen Hadley (né en 1947, ex-conseiller pour la défense), Lewis Libby (ex-collaborateur des départements d'État et de la défense), Richard Perle (conseiller du département de la défense), George Schultz (né en 1920-2021, ex-collaborateur du département de la défense). George Schultz (1920-2021, ex-conseiller du président Eisenhower, ex-ministre du Travail, du Trésor et des Affaires étrangères, professeur et homme d'affaires), Paul Wolfowitz (ex-conseiller des départements d'État et de la Défense), Dov Zakheim (né en 1948, ex-conseiller du département de la Défense), Robert Zoellick (né en 1953, ex-conseiller et ex-vice-secrétaire d'État). Bush Jr. voulait ainsi pallier son manque d'expérience à l'étranger. Ce groupe de conseillers en politique étrangère a été surnommé « Vulcains » pendant la campagne électorale de 2000.

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Après la victoire de Bush, presque tous les Vulcains ont été nommés à des postes importants dans son administration : Condoleeza Rice (photo - conseillère à la sécurité nationale et plus tard secrétaire d'État), Richard Armitage (secrétaire d'État adjoint), Robert Blackwill (ambassadeur et plus tard conseiller à la sécurité), Stephen Hadley (conseiller à la sécurité), Lewis Libby (chef de cabinet du vice-président Cheney), Richard Perle (à nouveau conseiller au ministère de la défense), Paul Wolfowitz (vice-ministre de la défense puis président de la Banque mondiale), Dov Zakheim (à nouveau conseiller au ministère de la défense), Robert Zoellick (représentant présidentiel pour la politique commerciale puis vice-ministre des affaires étrangères).

D'autres néoconservateurs ont également été nommés à des postes de haut niveau : Cheney est devenu vice-président, tandis que Rumsfeld est redevenu secrétaire à la défense, John Bolton (né en 1948) secrétaire d'État adjoint, Elliot Abrams membre du Conseil de sécurité nationale et Doug Feith (né en 1953) conseiller présidentiel en matière de défense. En conséquence, la politique étrangère et militaire des États-Unis était entièrement alignée sur les intérêts géopolitiques d'Israël. Wolfowitz, Cheney et Rumsfeld ont été les moteurs de la « guerre contre le terrorisme », qui a conduit à l'invasion de l'Afghanistan et de l'Irak.

Avec le rapport Clean Break de 1996 (cf. supra), le plan de la politique étrangère de l'administration Bush Jr. avait déjà été conçu cinq ans avant son entrée en fonction. De plus, les trois principaux auteurs de ce rapport - Perle, Feith et Wurmser - étaient actifs au sein de cette administration en tant que conseillers. Une restructuration du Proche-Orient semblait désormais beaucoup plus réaliste. Les néoconservateurs l'ont présentée comme si les intérêts d'Israël et des États-Unis coïncidaient. La partie la plus importante du rapport était l'élimination de Saddam Hussein comme première étape de la transformation du Proche-Orient hostile à Israël en une région plus favorable à Israël.

Plusieurs analystes politiques, dont le paléoconservateur Patrick Buchanan, ont souligné les fortes similitudes entre le rapport « Clean Break » et les faits du 21e siècle : en 2000, le dirigeant israélien Sharon a fait exploser les accords d'Oslo avec les Palestiniens par sa visite provocatrice sur le mont du Temple à Jérusalem, en 2003 les États-Unis ont occupé l'Irak, en 2006 Israël a mené une guerre (ratée) contre le Hezbollah, et en 2011 la Syrie était gravement menacée par les sanctions occidentales et les groupes terroristes soutenus par les États-Unis. À cela s'ajoute la menace permanente d'une guerre contre l'Iran.

À partir de 2002, le président Bush Jr. a affirmé qu'un « axe du mal » composé de l'Irak, de l'Iran et de la Corée du Nord représentait un danger pour les États-Unis. Cet axe devait être combattu par des guerres « préventives ». Les Straussiens prévoyaient d'attaquer l'Afghanistan, l'Irak et l'Iran dans une première phase (réformer le Proche-Orient), la Libye, la Syrie et le Liban dans une deuxième phase (réformer le Levant et l'Afrique du Nord) et la Somalie et le Soudan dans une troisième phase (réformer l'Afrique de l'Est). Podhoretz a également énuméré cet éventail de pays à attaquer dans Commentaire . Le principe d'une attaque simultanée contre la Libye et la Syrie a été conçu dès la semaine qui a suivi les événements du 11 septembre 2001. Il a été exprimé publiquement pour la première fois par le secrétaire d'État adjoint John Bolton le 6 mai 2002 dans son discours intitulé « Beyond the Axis of Evil » (Au-delà de l'axe du mal). L'ancien commandant en chef de l'OTAN, le général Wesley Clark, l'a réaffirmé le 2 mars 2007 lors d'une interview télévisée, au cours de laquelle il a également montré la liste des pays qui seraient successivement attaqués par les États-Unis au cours des années suivantes. L'attaque simultanée contre la Libye et la Syrie a effectivement eu lieu en 2011 : la Libye a été détruite par une attaque de l'OTAN dirigée par les États-Unis et la Syrie a été entraînée dans une guerre dévastatrice de plusieurs années par plusieurs groupes terroristes soutenus par les États-Unis.

Bush Jr. n'a pas réussi à obtenir une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies pour envahir l'Irak en raison de l'opposition farouche de plusieurs pays. Cela a même conduit à une crise diplomatique à la fin de 2002 et au début de 2003. Les néoconservateurs considéraient la guerre d'Irak comme un terrain d'essai : les États-Unis allaient tenter d'installer une démocratie parlementaire en Irak afin de réduire l'hostilité des Arabes à l'égard d'Israël. Podhoretz a plaidé avec véhémence dans Commentary pour le renversement de Saddam Hussein et a fait l'éloge du président Bush Jr, qui a également annulé le traité de limitation des armements ABM avec la Russie. Toutefois, le fiasco des États-Unis en Irak a fait perdre de l'influence au néoconservatisme, qui est devenu beaucoup moins dominant dans la deuxième administration de Bush Jr.

La politique étrangère de Bush Jr. a été très fortement critiquée au niveau international, notamment par la France, l'Ouganda, l'Espagne et le Venezuela. Par conséquent, l'antiaméricanisme a fortement augmenté pendant sa présidence. L'ancien président démocrate Jimmy Carter a également critiqué Bush pendant des années pour une guerre inutile « basée sur des mensonges et des interprétations erronées ». Malgré cela, Podhoretz a encouragé les États-Unis à attaquer l'Iran en 2007, même s'il était bien conscient que cela augmenterait de manière exponentielle l'anti-américanisme dans le monde.

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Certains groupes de réflexion néoconservateurs

Les néoconservateurs veulent répandre la démocratie parlementaire et le capitalisme à l'échelle internationale, même dans les régions instables et même par la guerre. L'American Enterprise Institute (AEI), la Heritage Foundation (HF) et le défunt Project for the New American Century (PNAC) sont/étaient les principaux groupes de réflexion à cet égard. Détail important, les bureaux de l'American Enterprise Institute, du Project for the New American Century et du magazine néocon The Weekly Standard se trouvaient dans le même bâtiment.

L'American Enterprise Institute (AEI)

Fondé en 1938, l'AEI prône la réduction des services gouvernementaux, le libre marché, la démocratie libérale et une politique étrangère active. Ce groupe de réflexion a été fondé par des dirigeants de grandes entreprises (dont Chemical Bank, Chrysler et Paine Webber) et est financé par des entreprises, des fondations et des particuliers. Aujourd'hui encore, le conseil d'administration de l'AEI est composé de dirigeants de multinationales et de sociétés financières, dont AllianceBernstein, American Express Company, Carlyle Group, Crow Holdings et Motorola.

Jusque dans les années 1970, l'AEI n'avait que peu d'influence sur la politique américaine. En 1972, cependant, l'AEI a créé un département de recherche et, en 1977, l'arrivée de l'ex-président Gerald Ford a incité plusieurs hauts responsables de son administration à rejoindre l'AEI. Ford a également donné à l'AEI une influence internationale. Plusieurs éminents néoconservateurs, comme Irving Kristol, Gertrude Himmelfarb, Michael Novak, Benjamin Wattenberg et James Wilson, ont alors commencé à travailler pour l'AEI. Dans le même temps, les ressources financières et les effectifs de l'AEI ont augmenté de manière exponentielle.

Dans les années 1980, plusieurs collaborateurs de l'AEI ont rejoint l'administration Reagan, où ils ont défendu une position anti-URSS très dure. Entre 1988 et 2000, l'AEI s'est enrichie de John Bolton (alors haut fonctionnaire de Reagan), Lynne Cheney (née en 1941, épouse de Dick Cheney), Newt Gingrich (né en 1943, président de la Chambre des représentants en 1995-1999), Frederick Kagan (né en 1970, fils du cofondateur de la PNAC, Donald Kagan), et d'autres membres de l'AEI, fils du cofondateur du PNAC Donald Kagan), Joshua Muravchik (°1947, alors chercheur au think tank pro-israélien Washington Institute for Near East Policy) et Richard Perle (conseiller du ministère de la défense en 1987-2004), tandis que le financement continuait d'augmenter.

L'AEI a pris une importance particulière depuis l'entrée en fonction de l'administration Bush Jr. En effet, plusieurs employés de l'AEI faisaient partie de cette administration ou travaillaient en coulisses pour elle. D'autres fonctionnaires ont également entretenu de bons contacts avec l'AEI. Ce think tank s'est toujours intéressé de près au Proche-Orient et a donc été étroitement impliqué dans les préparatifs de l'invasion de l'Irak et de la guerre civile qui s'en est suivie. L'AEI a également ciblé l'Iran, la Corée du Nord, la Russie, la Syrie, le Venezuela et les mouvements de libération comme le Hezbollah. Dans le même temps, elle prône un rapprochement avec des pays aux intérêts similaires, tels que l'Australie, la Colombie, la Géorgie, la Grande-Bretagne, Israël, le Japon, le Mexique et la Pologne.

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Heritage Foundation (HF)

La HF a été fondée en 1973 par Joseph Coors (1917-2003), Edwin Feulner (°1941) et Paul Weyrich (1942-2008) en raison du mécontentement suscité par la politique de Nixon. Ce faisant, ils souhaitaient explicitement orienter les politiques publiques dans une direction différente. L'entrepreneur Coors a soutenu le gouverneur californien, puis le président américain Reagan. Avec 250.000 dollars, il a également fourni le premier budget annuel du nouveau groupe de réflexion. Feulner et Weyrich sont conseillers de députés républicains. En 1977, l'influent Feulner prend la tête du HF. En émettant des conseils politiques - une tactique alors totalement nouvelle dans le monde des think tanks de Washington - il suscite l'intérêt du pays pour le HF.

Le HF a été l'un des principaux moteurs de l'essor du néoconservatisme, principalement axé sur le libéralisme économique. Le terme « héritage » fait référence à la pensée juive-protestante et au libéralisme. Ce groupe de réflexion promeut donc le marché libre, la réduction des services publics, l'individualisme et une défense forte. Le HF est financé par des entreprises, des fondations et des particuliers.

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L'administration Reagan a été fortement influencée par « Mandate for Leadership », un livre publié en 1981 par le HF sur la réduction des services publics. Également influencés par le HF, les États-Unis ont commencé à soutenir activement les groupes de résistance anti-URSS dans le monde entier et les dissidents du bloc de l'Est. L'expression « Empire du mal » utilisée pour décrire l'URSS à cette époque provient également du HF.

Le HF a également fortement soutenu la politique étrangère du président Bush Jr et son invasion de l'Irak. Plusieurs employés du HF ont d'ailleurs occupé des postes dans son administration, comme Paul Bremer (°1941) qui est devenu gouverneur de l'Irak occupé. Fin 2001, le HF a créé la Homeland Security Task Force, qui a tracé les grandes lignes du nouveau département de la sécurité intérieure.

Lorsque Donald Trump a annoncé sa candidature à l'investiture républicaine pour la présidentielle de 2016 en juin 2015, le HF s'est d'abord retourné contre lui. Dès juillet 2015, le président de Heritage Action - l'organisation de défense des intérêts politiques du HF - a déclaré sur la chaîne de télévision Fox News : « Donald Trump est un clown. Il devrait se retirer de la course ». En août 2015, Stephen Moore, économiste à la HF, a critiqué les positions politiques de Trump. En décembre 2015, Kim Holmes, vice-président de la HF, s'est opposé à la candidature de Trump, critiquant ses partisans comme étant « une classe aliénée » qui s'agite contre les décideurs politiques libéraux-progressistes et les institutions qu'ils contrôlent.

Lorsque Trump a obtenu l'investiture républicaine et que l'élection présidentielle a approché, la HF a changé de stratégie. Elle a commencé à envoyer des courriels à des candidats potentiels à des postes dans l'appareil gouvernemental au cas où Trump deviendrait président. Par le biais de questionnaires, la HF souhaitait évaluer leur intérêt pour une nomination au sein d'une éventuelle administration Trump. L'e-mail demandait également que les questionnaires remplis et un CV soient renvoyés à la HF avant le 26 octobre 2016, soit environ une semaine avant l'élection présidentielle.

Suite à la victoire effective de Trump à l'élection présidentielle, la HF a gagné en influence sur la composition de son gouvernement, ainsi que sur ses politiques. La chaîne de télévision CNN a rapporté qu'« aucune autre institution à Washington n'a une influence aussi énorme sur la composition du gouvernement ». Selon CNN, cette influence disproportionnée du HF est survenue alors que les autres think tanks néoconservateurs continuaient à s'opposer à Trump pendant l'élection présidentielle, tandis que le HF s'est finalement mis à soutenir Trump, ce qui lui a permis d'infiltrer son mouvement.

Au moins 66 employés et anciens employés de la HF ont été nommés dans l'administration Trump (2017-2021). En outre, des centaines d'autres personnes sélectionnées par la HF ont été nommées à des postes de haut niveau dans des agences gouvernementales. En janvier 2018, la HF a affirmé que l'administration Trump avait déjà intégré 64% des 334 politiques proposées par la HF.

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En avril 2023, le président du HF, Kevin Roberts, a créé le Projet 2025 pour fournir au candidat républicain à la présidence de 2024 un cadre idéologique et une main-d'œuvre pour son gouvernement potentiel. Le Projet 2025 comprend un ensemble de propositions politiques - 922 pages - visant à réformer la fonction publique. Il affirme que, sur la base de l'article II de la Constitution américaine, l'exécutif est sous le contrôle direct du président. Il propose une purge complète de l'appareil gouvernemental au cours de laquelle des dizaines de milliers d'employés de l'État seraient licenciés pour leur inutilité politique. De nombreux experts juridiques ont déclaré que cela porterait atteinte à l'État de droit, à la séparation des pouvoirs, à la séparation de l'Église et de l'État et aux droits civils. Le projet 2025 a utilisé une rhétorique belliqueuse et un langage apocalyptique pour décrire ce « plan de bataille ».

Bien que la HF soit considéré comme très controversée et fortement critiquée dans le monde politique américain depuis de nombreuses années, son impact sur les politiques publiques en a fait historiquement l'un des groupes de réflexion américains les plus influents, tant aux États-Unis qu'à l'étranger.

Projet pour le nouveau siècle américain (PNAC)

Fondé en 1997 par le New Citizenship Project, le PNAC vise l'hégémonie internationale des États-Unis. Il voulait y parvenir par la force militaire, la diplomatie et les principes moraux. Le rapport de 90 pages du PNAC intitulé « Rebuilding America's Defences » (Reconstruire les défenses de l'Amérique), publié en septembre 2000, constate l'absence d'un « événement catastrophique et catalyseur comme un nouveau Pearl Harbor » et énumère quatre objectifs militaires : protéger les États-Unis, gagner de manière convaincante plusieurs guerres, jouer le rôle de gendarme international et réformer l'armée. Le PNAC a exercé un lobbying très intense auprès des responsables politiques américains et européens pour défendre ces objectifs.

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Parmi les 25 membres fondateurs du PNAC figurent John Bolton (haut fonctionnaire sous Reagan et Bush père), Jeb Bush (gouverneur de Floride et frère du président Bush fils), Dick Cheney (chef de cabinet de la Maison Blanche sous Ford et secrétaire à la défense sous Bush père), Elliot Asher Cohen (président de la Commission européenne) et le président de la Commission européenne (président de la Commission européenne). ), Elliot Asher Cohen (né en 1956, professeur de sciences politiques), Midge Decter (journaliste, écrivain et épouse de Podhoretz), Steve Forbes (directeur du magazine Forbes), Aaron Friedberg (professeur de relations internationales), Francis Fukuyama (professeur de philosophie, de sciences politiques et de sociologie), Donald Kagan (professeur d'histoire), Zalmay Khalilzad (membre du personnel des départements d'État sous Reagan et de la défense sous Bush sr. ), William Kristol (rédacteur en chef du magazine néocon The Weekly Standard), John Lehman (secrétaire à la marine sous Reagan et homme d'affaires), Lewis Libby (assistant au département d'État sous Reagan et à la défense sous Bush père), Norman Podhoretz (rédacteur en chef du magazine néocon Commentary), Dan Quayle (vice-président sous Bush père), Donald Rumsfeld (secrétaire général de la Commission européenne), Donald Rumsfeld (chef de cabinet de la Maison Blanche et secrétaire à la défense sous Ford, conseiller présidentiel sous Reagan et conseiller au ministère de la défense sous Bush sr.) et Paul Wolfowitz (assistant au ministère de la défense sous Ford et conseiller aux ministères de l'État sous Reagan et de la défense sous Bush sr.). Plus tard, Richard Perle (conseiller au ministère de la défense de 1987 à 2004) et George Weigel (célèbre publiciste catholique progressiste et commentateur politique) ont également rejoint le groupe.

Le PNAC est une organisation très controversée parce qu'elle prône la domination américaine sur le monde, l'espace et l'internet au 21e siècle. La contre-réaction est venue avec le B. Russells Tribunal et From the Wilderness. Fondée en 2004 par le philosophe culturel Lieven De Cauter (Katholieke Universiteit Leuven, Belgique), entre autres, l'initiative citoyenne BRussells Tribunal s'oppose à la politique étrangère des États-Unis. Elle rejette donc le PNAC et l'occupation américaine de l'Irak. Le BRussells Tribunal a également dénoncé la campagne d'assassinat contre les universitaires irakiens et la destruction de l'identité culturelle de l'Irak par l'armée américaine. From the Wilderness affirme que le PNAC veut conquérir le monde et que les attentats du 11 septembre 2011 ont été délibérément autorisés par des membres du gouvernement américain dans le but de conquérir l'Afghanistan et l'Irak et de restreindre les libertés aux États-Unis.

Dans son célèbre ouvrage « La fin de l'histoire et le dernier homme » paru en 1992, le professeur et cofondateur du PNAC Francis Fukuyama affirmait qu'après la disparition de l'URSS, l'histoire était finie et que désormais le capitalisme et les démocraties parlementaires triompheraient. Ce livre a justifié l'invasion de l'Irak par l'administration Bush Jr. et a également été l'une des principales sources d'inspiration du PNAC. Cependant, Fukuyama, dans son livre de 2006 intitulé « America at the Crossroads : Democracy, Power and the Neoconservative Legacy » (L'Amérique à la croisée des chemins : la démocratie, le pouvoir et l'héritage des néoconservateurs), a dénoncé les personnes au pouvoir à la Maison Blanche. Il affirme que les États-Unis perdent leur crédibilité et leur autorité sur la scène internationale à cause de la guerre en Irak.

Dans le monde entier, et en particulier au Proche-Orient, cette guerre a fortement alimenté l'anti-américanisme. En outre, les États-Unis n'avaient pas de plan de stabilisation pour l'Irak occupé. Fukuyama a également affirmé que la rhétorique de l'administration Bush Jr. sur la « guerre internationale contre le terrorisme » et sur la « menace islamique » était largement exagérée. Néanmoins, Fukuyama reste un néoconservateur convaincu qui souhaite une démocratisation mondiale sous l'égide des États-Unis. Il a toutefois reproché à l'administration Bush Jr. son unilatéralisme et sa guerre « préventive » pour répandre la démocratie libérale. Il a ainsi négligé le changement de régime pratiqué auparavant par les États-Unis. Fukuyama souhaite donc poursuivre la politique étrangère néoconservatrice de manière réfléchie, sans susciter la peur ou l'anti-américanisme dans d'autres pays.

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A partir de 2006, l'activité du PNAC s'est éteinte. En décembre 2006, l'ancien directeur Gary Schmitt (né en 1952) a déclaré sur la chaîne de télévision BBC News que le PNAC n'avait jamais eu vocation à « exister éternellement » et qu'il avait « déjà fait son travail » car « notre opinion a été adoptée ». La mission du PNAC étant ainsi accomplie, il a été remplacé en 2009 par le nouveau think tank Foreign Policy Initiative. Ce FPI avait pour principaux objectifs de contrer le courant isolationniste du Parti républicain sous l'administration Obama (2009-2017) et de maintenir le parti focalisé sur les guerres américaines en Afghanistan et en Irak.

Le FPI a été fondé par Robert Kagan, William Kristol et Daniel Senor (né en 1971). Paul Singer, un milliardaire des fonds spéculatifs né en 1944 dans une famille juive du New Jersey, était le principal donateur du FPI.

Le FPI préconise un engagement militaire accru des États-Unis dans la guerre en Afghanistan, une nouvelle guerre contre l'Iran et l'annulation par le ministère de la défense d'un contrat de 572 millions de dollars avec l'exportateur d'armes russe Rosoboronexport. En ce qui concerne la guerre en Syrie, le FPI a proposé que les États-Unis imposent une zone d'exclusion aérienne partielle, arment les groupes islamistes et déploient des missiles antiaériens Patriot déployés en Turquie contre les forces aériennes syriennes dans les provinces d'Idlib et d'Alep, dans le nord-ouest du pays. Il s'est également opposé à l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014.

Le FPI, destiné dès le départ à être de toute façon temporaire, a été supprimé à la fin de l'administration Obama en 2017 car sa mission - faire en sorte que le Parti républicain défende les guerres au Proche-Orient pendant cette administration (cfr. supra) - était accomplie. De plus, l'arrivée prochaine de l'administration Trump a provoqué une division parmi les fondateurs du FPI sur ce qui devait être réalisé durant ce règne. En effet, si le donateur Singer a adopté une position anti-Trump lors de l'élection présidentielle de 2016, il a toutefois immédiatement changé d'avis après la victoire de Trump : avec 25 autres milliardaires, il a fait don d'un million de dollars pour son investiture en tant que président. Kagan et Kristol, en revanche, sont restés virulemment anti-Trump et ont même quitté le Parti républicain. Par conséquent, le FPI n'était plus utile à Singer et il a décidé de réduire son don au FPI à un montant très faible, après quoi le FPI a conclu qu'il ne servait à rien de continuer.

Quelques figures de proue des néocons

Elliot Abrams est né dans une famille juive de New York en 1948 et est le gendre de Norman Podhoretz. Abrams a travaillé comme conseiller en politique étrangère auprès des présidents républicains Reagan et Bush Jr. Pendant l'administration Reagan, il a été discrédité pour avoir dissimulé les atrocités commises par les régimes pro-américains en Amérique centrale et par les Contras au Nicaragua. Abrams a finalement été condamné pour avoir dissimulé des informations et fait de fausses déclarations à la Chambre des représentants des États-Unis. Sous l'administration Bush Jr, il a été conseiller présidentiel pour le Proche-Orient et l'Afrique du Nord et pour la diffusion de la démocratie dans le monde. Selon le journal britannique The Observer, M. Abrams a également participé à la tentative de coup d'État manquée contre le président vénézuélien Hugo Chavez en 2002.

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Né en 1953, Jeb Bush (photo) est issu de la riche famille d'entrepreneurs protestants Bush, dont sont issus les présidents Bush Sr (son père) et Bush Jr (son frère). Jeb Bush a cofondé le Projet pour le nouveau siècle américain en 1997. De 1999 à 2007, il a été gouverneur de Floride avec le soutien des Latinos cubains et non cubains, ainsi que de la communauté juive de Floride.

Sioniste protestant Dick Cheney est né au Nebraska en 1941. Après des études à l'université de Yale et à l'université du Wisconsin, il commence à travailler pour le conseiller présidentiel Donald Rumsfeld en 1969. Au cours des années suivantes, Cheney occupe divers autres postes à la Maison Blanche avant de devenir conseiller du président Ford en 1974. En 1975, il devient chef de cabinet de la Maison Blanche.

En tant que secrétaire à la défense de l'administration Bush père, Cheney a mené la guerre du Golfe de 1990-1991 contre l'Irak, installant des bases militaires en Arabie saoudite. Après 1993, il s'engage dans l'American Enterprise Institute et le Jewish Institute for National Security Affairs. En 1995-2000, Cheney a dirigé le géant de l'énergie Halliburton.

Sous Bush Jr, Cheney a été vice-président de 2000 à 2008 et a réussi à faire nommer Rumsfeld au poste de secrétaire à la défense. En revanche, il n'a pas réussi à faire nommer Wolfowitz à la tête de la CIA (cfr infra). Pour justifier les guerres en Afghanistan et en Irak, Cheney a largement contribué au développement du concept de « guerre contre le terrorisme » et aux fausses accusations d'armes de destruction massive. Cheney a été le vice-président le plus puissant et le plus influent de l'histoire des États-Unis. Avec Rumsfeld, il a également mis au point un programme de torture pour les prisonniers de guerre. Cheney a également exercé une grande influence sur la fiscalité et le budget. Après sa démission, il a vivement critiqué les politiques de sécurité de l'administration Obama.

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Doug Feith (photo) est né à Philadelphie en 1953. Il est le fils d'un homme d'affaires juif sioniste, Dalck Feith, qui a émigré de Pologne vers les États-Unis en 1942. Après des études à l'université de Harvard et à l'université de Georgetown, Feith est devenu professeur de politique de sécurité à cette dernière. Il a également écrit des articles très pro-israéliens pour Commentary et le Wall Street Journal, entre autres. Feith s'est opposé avec véhémence à la détente avec l'URSS, au traité de limitation des armements ABM et à l'accord de paix de Camp David entre l'Égypte et Israël. Il a en outre défendu intensément le soutien des États-Unis à Israël.

En 1996, Feith a fait partie des auteurs du rapport controversé « A Clean Break : A New Strategy for Securing the Realm » , qui formulait des recommandations politiques agressives à l'intention du Premier ministre israélien de l'époque, M. Netanyahu. En 2001, Feith est devenu conseiller en matière de défense du président Bush Jr. En 2004, il a été interrogé par le FBI, qui le soupçonnait d'avoir transmis des informations classifiées au groupe de pression sioniste AIPAC. Aujourd'hui, Feith est associé au think tank Jewish Institute for National Security Affairs, qui prône une alliance étroite entre les États-Unis et Israël.

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Né en 1947 dans le New Jersey, Steve Forbes (photo) a été nommé par le président Reagan en 1985 à la tête des stations de radio de la CIA Radio Free Europe et Radio Liberty, qui diffusaient la propagande américaine en différentes langues dans le bloc de l'Est pendant la guerre froide. Reagan a augmenté le budget de ces stations de radio anti-URSS et les a rendues plus critiques à l'égard de l'URSS et de ses États satellites.

Le pro-israélien Forbes a cofondé le Project for the New American Century en 1997 et siège au conseil d'administration de la Heritage Foundation. Il prône le libre-échange, la réduction des services publics, des lois sévères sur la criminalité, la légalisation des drogues, le mariage homosexuel et la réduction de la sécurité sociale. Il est aujourd'hui à la tête de son propre magazine, Forbes Magazine.

Le professeur juif de politique internationale Aaron Friedberg (né en 1956) a cofondé le Project for the New American Century en 1997 . De 2003 à 2005, il a été conseiller en matière de sécurité et directeur de la planification politique auprès du vice-président Cheney.

Nathan Glazer est né en 1923 d'immigrants juifs originaires de Pologne. Au début des années 1940, il a étudié au City College de New York, qui était alors un foyer trotskiste anti-URSS. C'est là que Glazer a fait la connaissance de plusieurs trotskystes juifs d'Europe de l'Est, dont Daniel Bell (1919-2011), Irving Howe (1920-1993) et Irving Kristol.

Glazer a été un haut fonctionnaire des gouvernements Kennedy (1961-1963) et Johnson (1963-1969). Il est devenu professeur de sociologie à l'université de Californie en 1964 et à l'université de Harvard en 1969. Avec son collègue Daniel Bell, professeur de sociologie - l'un des intellectuels juifs les plus importants de l'après-guerre aux États-Unis - et Irving Kristol, Glazer a fondé l'influente revue The Public Interest en 1965. Glazer était également un fervent défenseur du multiculturalisme.

Donald Kagan (1932-2021) est issu d'une famille juive de Lituanie, mais a grandi à Brooklyn, New York. Le trotskiste Kagan est devenu néocon dans les années 1970 et a été l'un des fondateurs du Project for the New American Century en 1997. Il a été professeur d'histoire à l'université Cornell puis à l'université de Yale.

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L'Afghan Zalmay Khalilzad (né en 1951) (photo) a étudié à l'université américaine de Beyrouth et à l'université de Chicago. C'est dans cette dernière université qu'il a rencontré l'éminent stratège nucléaire, conseiller présidentiel et professeur Albert Wohlstetter, qui l'a introduit dans les cercles gouvernementaux. Khalilzad est marié à Cheryl Benard (°1953), féministe juive et analyste politique. Il a fondé la société de conseil en affaires internationales Khalilzad Associates à Washington, travaillant pour des entreprises de construction et d'énergie.

De 1979 à 1989, Khalilzad a été professeur de sciences politiques à l'université de Columbia. En 1984, il a travaillé pour Wolfowitz au département d'État et, de 1985 à 1989, il a été conseiller du gouvernement sur la guerre soviétique en Afghanistan et la guerre Iran-Irak. Pendant cette période, Khalilzad travaille en étroite collaboration avec le stratège Zbigniew Brzezinski, qui a mis au point le soutien des États-Unis aux mudjaheddin afghans. En 1990-1992, il a travaillé au ministère de la défense.

Khalilzad a cofondé le Project for a New American Century en 1997. En 2001, il a été conseiller du président Bush Jr. et membre du Conseil national de sécurité. Khalilzad a été ambassadeur en Afghanistan de 2002 à 2005, en Irak de 2005 à 2007 et auprès des Nations unies de 2007 à 2009.

Jeane Kirkpatrick (1926-2006), protestante née dans l'Oklahoma, a étudié les sciences politiques à l'université de Columbia et à l' Institut français des sciences politiques. Influencée par son grand-père marxiste, Kirkpatrick est alors membre de la Young People's Socialist League (l'aile jeunesse du Parti socialiste trotskiste d'Amérique). À l'université de Columbia, elle est fortement influencée par le marxiste juif Franz Neumann (1900-1954), professeur de sciences politiques, qui avait auparavant milité au sein du SPD en Allemagne.

À partir de 1967, Kirkpatrick enseigne à l'université de Georgetown. Dans les années 1970, elle rejoint le Parti démocrate, où elle travaille en étroite collaboration avec le sénateur Henry Jackson. Cependant, Kirkpatrick est désenchantée par les démocrates en raison de leur détente vis-à-vis de l'URSS. Sa doctrine Kirkpatrick, qui tolère le soutien des États-Unis aux dictatures du tiers-monde et prétend qu'il peut conduire à la démocratie à long terme, est devenue célèbre grâce à son article « Dictatorships and Double Standards » (Dictatures et doubles standards) paru dans Commentary en 1979. Le président républicain Reagan l'a donc nommée membre du Conseil national de sécurité et ambassadrice auprès des Nations unies en 1981. En tant qu'ambassadrice à l'ONU, Kirkpatrick, fortement pro-israélienne, s'est opposée à toute tentative de résolution du conflit israélo-arabe. En 1985, elle démissionne et redevient professeur à l'université de Georgetown. Kirkpatrick a également été associée à l'American Enterprise Institute.

Né à New York en 1952, William Kristol est le fils du parrain néocon juif Irving Kristol et de l'historienne Gertrude Himmelfarb. Kristol a d'abord enseigné à l'université de Pennsylvanie et à l'université de Harvard. De 1981 à 1989, il a été chef de cabinet du secrétaire d'État William Bennet dans l'administration Reagan et, de 1989 à 1993, chef de cabinet du vice-président Dan Quayle dans l'administration Bush. Le surnom de « cerveau de Dan Quayle » qu'il a reçu à ce dernier poste indique que Kristol a exercé une influence considérable.

Kristol est actif dans plusieurs organisations néocons. Par exemple, il a fondé le magazine néocon The Weekly Standard en 1995. En 1997, il a cofondé le Project for the New American Century et a, bien entendu, défendu l'invasion de l'Irak. Depuis des années, M. Kristol plaide avec véhémence en faveur d'une attaque américaine contre l'Iran et, en 2010, il a critiqué l'« approche tiède » du président Obama à l'égard de l'Iran. Il a également soutenu activement la guerre américaine contre la Libye en 2011.

De 2003 à 2013, M. Kristol a été commentateur politique à Fox News. En 2014, il a créé le podcast « Conversations with Bill Kristol », dans lequel il a des conversations approfondies avec des universitaires et des personnalités publiques sur la politique étrangère, l'économie, l'histoire et la politique, entre autres sujets.

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Jusqu'en 2016, Kristol a été rédacteur en chef de The Weekly Standard, qui a cessé d'exister en 2018. Sa disparition est due à un conflit entre ses rédacteurs anti-Trump et le propriétaire pro-Trump Clarity Media Group. En revanche, The Washington Examiner, l'autre magazine néocon de Clarity Media Group, a adopté la position souhaitée par son propriétaire, tandis que certains des abonnés du Weekly Standard ont également fait défection vers The Washington Examiner. En conséquence, Clarity Media Group a décidé d'arrêter The Weekly Standard.

Kristol est ensuite devenu rédacteur en chef du site d'information et d'opinion The Bulwark, lancé en 2018, qui se concentre sur les néocons au sein du Parti républicain. Kristol est également membre du conseil d'administration du Comité d'urgence pour le leadership d'Israël, un groupe de pression néocon qui s'oppose aux députés critiques à l'égard d'Israël.

Né en 1942 à Philadelphie, l'homme d'affaires John Lehman a été secrétaire à la marine (1981-1987) sous l'administration Reagan. Depuis lors, il a été actif dans plusieurs groupes de réflexion néoconservateurs, dont le Project for the New American Century, la Heritage Foundation, le Committee on the Present Danger, ...

Lewis Libby (né en 1950) est issu de la riche famille de banquiers juifs Leibowitz du Connecticut. Son père a changé le nom de famille d'origine Leibowitz en Libby. Après avoir étudié les sciences politiques à l'université de Yale et le droit à l'université de Columbia, son ami Paul Wolfowitz, professeur à Yale, s'est lancé dans une carrière juridique. Libby a travaillé pour Wolfowitz au département d'État de 1981 à 1985 et au département de la défense de 1989 à 1993.

En 1997, Libby a cofondé le Project for the New American Century (Projet pour le nouveau siècle américain). Pendant la campagne électorale de Bush Jr, il a fait partie du groupe consultatif néoconservateur Vulcans. En 2001, Libby devient conseiller du président Bush Jr. ainsi que chef de cabinet et conseiller du vice-président Cheney. Il était considéré comme le plus ardent représentant du lobby israélien au sein de l'administration Bush Jr. Le ministre britannique des affaires étrangères Jack Straw a même déclaré à propos de l'implication de Libby dans les négociations israélo-palestiniennes : « C'est à se demander s'il travaille pour les Israéliens ou pour les Américains chaque jour ».

En 2005, Libby a démissionné après avoir été cité à comparaître pour parjure, fausses déclarations et obstruction à l'enquête judiciaire sur l'affaire Plame. En 2007, Libby a été reconnu coupable et condamné à 2,5 ans de prison, 400 heures de travaux d'intérêt général et 250.000 dollars d'amende. La peine de prison a toutefois été remise par le président Bush Jr.

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Le catholique libéral Michael Novak (1933-2017) (photo), issu d'une famille d'origine slovaque, a étudié la philosophie et l'anglais au Stonehill College, la théologie à l'Université pontificale grégorienne de Rome et l'histoire et la philosophie de la religion à l'Université de Harvard. Ses écrits progressistes sur le concile Vatican II, auquel il a assisté en tant que journaliste, ont été très critiqués par les catholiques conservateurs. Ils lui ont toutefois valu la sympathie du théologien protestant Robert McAfee, qui l'a aidé à obtenir un poste de professeur à l'université de Stanford en 1965.

De 1969 à 1972, Novak est doyen de l'université d'État de New York. En 1973-1976, il a travaillé pour la Fondation Rockefeller avant de devenir professeur d'études religieuses à l'université de Syracuse. Depuis 1978, il était également associé à l'American Enterprise Institute. Ses publications portent sur le capitalisme, la démocratisation et le rapprochement entre protestants et catholiques. Dans les années 1970, Novak a également été membre du conseil d'administration de la Coalition for a Democratic Majority, une faction néocon au sein du parti démocrate, qui tentait d'influencer les politiques du parti.

Sous l'administration Reagan, M. Novak a siégé à la Commission des droits de l'homme des Nations unies au nom des États-Unis en 1981-1982 et, en 1986, il a dirigé la délégation américaine à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE). En 1987-1988, M. Novak a été professeur à l'université de Notre-Dame.

Joshua Muravchik est né à New York en 1947, fils d'un éminent socialiste juif. De 1968 à 1973, il a été président national de la Ligue trotskiste des jeunes socialistes. Muravchik appartenait au groupe d'intellectuels marxistes qui se sont transformés en néoconservateurs dans les années 1960 et 1970.

Muravchik (photo ci-dessous) a étudié au City College de New York et à l'université de Georgetown. De 1975 à 1979, il a été l'assistant de trois députés démocrates, dont Henry Jackson. En 1977-1979, il est également à la tête de la faction Coalition for a Democratic Majority, fondée par Jackson, au sein du Parti démocrate. Au milieu des années 1980, il a été chercheur au Washington Institute for Near East Policy, un groupe de réflexion pro-israélien. Depuis 1992, il est professeur assistant à l'Institute of World Politics, une université privée de Washington spécialisée dans les questions de sécurité, de renseignement et de politique étrangère. Parallèlement, il a travaillé comme chercheur à l'American Enterprise Institute de 1987 à 2008 et à l'université John Hopkins de 2009 à 2014.

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La plupart des travaux de M. Muravchik ont porté sur la défense d'Israël et la promotion d'une attaque « préventive » des États-Unis contre l'Iran. En ce qui concerne l'Iran, il a affirmé que « notre seule option est la guerre ».

Richard Perle est né dans une famille juive à New York en 1941, mais a grandi en Californie. Après avoir étudié les sciences politiques à l'université de Californie du Sud, à la London School of Economics et à l'université de Princeton, Richard Perle a travaillé pour le sénateur démocrate Henry Jackson de 1969 à 1980, pour lequel il a rédigé l'amendement Jackson-Vanik qui conditionnait la détente avec l'URSS à la possibilité pour les Juifs soviétiques d'émigrer. Perle a également mené l'opposition aux pourparlers de désarmement du gouvernement Carter avec l'URSS. En 1987, il a critiqué le traité de désarmement INF de l'administration Reagan avec l'URSS, ainsi qu'en 2010 le renouvellement par l'administration Obama du traité de limitation des armements START avec la Russie.

Perle a été régulièrement accusé de travailler pour Israël et même de l'espionner. Dès 1970, le FBI l'a surpris en train de discuter d'informations classifiées avec un membre de l'ambassade d'Israël. En 1983, il a été révélé qu'il avait reçu d'importantes sommes d'argent pour servir les intérêts d'un fabricant d'armes israélien.

Perle a travaillé comme conseiller du ministère de la défense de 1987 à 2004 et est membre de plusieurs groupes de réflexion néoconservateurs, dont l'American Enterprise Institute, le Project for the New American Century et l'Institut juif pour les affaires de sécurité nationale. Il a également ardemment défendu l'invasion américaine de l'Irak et, en 1996, il a été l'un des auteurs du rapport controversé « A Clean Break : A New Strategy for Securing the Realm » (Une rupture nette : une nouvelle stratégie pour sécuriser l'Etat), qui contenait des conseils politiques pour le Premier ministre israélien de l'époque, M. Netanyahu.

L'historien controversé Richard Pipes (1923-2018) est le fils d'un homme d'affaires juif polonais. La famille Pipes a immigré aux États-Unis en 1940. Après avoir étudié au Muskingum College, à l'université Cornell et à l'université Harvard, Pipes a enseigné l'histoire russe à l'université Harvard de 1950 à 1996. Il a également écrit pour Commentary. Dans les années 1970, Pipes a critiqué la détente avec l'URSS et a été conseiller du sénateur Henry Jackson. En 1976, Pipes a dirigé le groupe d'étude controversé Equipe B , chargé d'examiner les capacités et les objectifs géopolitiques de l'URSS. En 1981-1982, il a été membre du Conseil national de sécurité. Pipes a également été membre du think tank néocon Committee on the Present Danger pendant de nombreuses années.

9780812968644.jpgCependant, les travaux de Pipes sont controversés dans le monde universitaire. Ses détracteurs affirment que ses travaux historiques visent uniquement à qualifier l'URSS d'« Empire du mal ». En outre, il a écrit sans ambages sur les soi-disant « hypothèses tacites » de Lénine, tout en ignorant complètement ce que Lénine a réellement dit. Pipes est en outre accusé d'utiliser les documents de manière sélective: ce qui correspond à ses attentes est décrit en détail et ce qui ne correspond pas à ses attentes est tout simplement passé sous silence. L'écrivain et intellectuel russe Alexandre Soljenitsyne a également qualifié le travail de Pipes de « version polonaise de l'histoire russe ».

Daniel Senor (né en 1971) est issu d'une famille juive d'Utica (État de New York) et a été conseiller du ministère de la défense, conseiller présidentiel et chercheur au Council on Foreign Relations. En 2009, il a cofondé le think tank néocon Foreign Policy Initiative avec Robert Kagan et William Kristol. M. Senor est actuellement rédacteur d'opinion au New York Post, au New York Times, au Wall Street Journal, au Washington Post et à l'ancien magazine néocon The Weekly Standard.

Dan Quayle est né dans l'Indiana en 1947. Il est le petit-fils du riche et influent magnat de la presse Eugene Pulliam. Après avoir étudié les sciences politiques à l'université DePauw et le droit à l'université de l'Indiana, Dan Quayle a siégé à la Chambre des représentants des États-Unis à partir de 1976. De 1989 à 1993, il a été vice-président de Bush père. Le banquier d'affaires Quayle a cofondé le Projet pour le nouveau siècle américain en 1997. Il siège par ailleurs dans divers conseils d'administration de grandes entreprises, est directeur de la banque Aozora au Japon et président de la division Global Investments de la société d'investissement Cerberus Capital Management.

Donald Rumsfeld (1932-2021), né dans l'Illinois, a été pilote naval et instructeur de vol dans la marine américaine de 1954 à 1957. Il a ensuite été employé de deux chambres des représentants (jusqu'en 1960) et banquier d'affaires (jusqu'en 1962), après quoi il est devenu député républicain. En 1969-1972, Rumsfeld est conseiller présidentiel de Nixon. En 1973, il est ambassadeur auprès de l'OTAN à Bruxelles.

Rumsfeld devient chef de cabinet de la Maison Blanche sous le président Ford en 1974. À son instigation, Ford procède à un remaniement en profondeur de son gouvernement en novembre 1975 (ce qui sera surnommé plus tard le « massacre d'Halloween »). Rumsfeld devient secrétaire à la défense. Il met fin au déclin progressif du budget de la défense et renforce les armements nucléaires et conventionnels des États-Unis, sapant ainsi les négociations SALT du ministre des affaires étrangères Kissinger avec l'URSS. Rumsfeld s'est appuyé sur le rapport controversé de l'équipe B de 1976 pour construire des missiles de croisière et un grand nombre de navires de guerre.

Après l'arrivée au pouvoir de l'administration démocrate Carter en 1977, Rumsfeld a brièvement enseigné à l'université de Princeton et à l'université Northwestern de Chicago avant d'occuper des postes à responsabilité dans le monde des affaires. Sous Reagan, il a été conseiller présidentiel pour le contrôle des armements et les armes nucléaires en 1982-1986 et envoyé présidentiel pour le Proche-Orient et le traité sur le droit international de la mer en 1982-1984. Dans l'administration Bush père, Rumsfeld a été conseiller au ministère de la défense de 1990 à 1993. En 1997, il a cofondé le Projet pour le nouveau siècle américain.

Sous la présidence de Bush Jr, Rumsfeld est à nouveau secrétaire à la défense de 2001 à 2006, où il domine la planification des invasions de l'Afghanistan et de l'Irak. Il est tenu pour responsable, tant aux États-Unis qu'au niveau international, de la détention de prisonniers de guerre sans la protection des conventions de Genève, ainsi que des scandales de torture et d'abus qui ont suivi à Abou Ghraib et Guantanamo. En 2009, Rumsfeld a même été qualifié de criminel de guerre par la Commission des droits de l'homme des Nations unies.

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Benjamin Wattenberg (1933-2015) (photo) est issu d'une famille juive de New York. En 1966-1968, il a travaillé comme assistant et rédacteur de discours pour le président Johnson. En 1970, avec le politologue, spécialiste des élections et conseiller présidentiel Richard Scammon (1915-2001), il a élaboré la stratégie qui a permis aux démocrates de remporter les élections générales de 1970 et au républicain Richard Nixon de redevenir président en 1972. Dans les années 1970, Wattenberg a été conseiller du sénateur démocrate Henry Jackson. Il a également travaillé comme haut fonctionnaire pour les présidents Carter, Reagan et Bush père. Il a également été associé à l'American Enterprise Institute.

Professeur de sciences politiques James Wilson (1931-2012) a enseigné à l'université de Harvard de 1961 à 1987, à l'université de Californie de 1987 à 1997, à l'université Pepperdine de 1998 à 2009, puis au Boston College. Il a également occupé divers postes à la Maison Blanche et a été conseiller de plusieurs présidents américains. Wilson était également affilié à l'American Enterprise Institute.

Paul Wolfowitz, né en 1943 à Brooklyn, New York, est le fils d'immigrants juifs originaires de Pologne. Son père, Jacob Wolfowitz (1910-1981), professeur de statistiques et membre de l'AIPAC, soutenait activement les Juifs soviétiques et Israël. Wolfowitz a d'abord étudié les mathématiques à l'université Cornell dans les années 1960, où il a rencontré le professeur Allan Bloom et a également été membre du groupe étudiant secret Quil and Dragger. Pendant ses études de sciences politiques à l'université de Chicago, il a fait la connaissance des professeurs Leo Strauss et Albert Wohlstetter, ainsi que des étudiants James Wilson et Richard Perle.

En 1970-1972, Wolfowitz a enseigné les sciences politiques à l'université de Yale, où Lewis Libby était l'un de ses étudiants. Par la suite, il a été assistant du sénateur Henry Jackson. En 1976, Wolfowitz fait partie du groupe d'étude anti-URSS controversé Equipe B pour « réexaminer » les analyses de la CIA sur l'URSS. De 1977 à 1980, Wolfowitz est employé par le ministère de la défense. En 1980, il devient professeur de relations internationales à l'université John Hopkins.

Dans l'administration Reagan, Wolfowitz devient employé du Département d'Etat en 1981 sur l'intercession de John Lehman. Il rejette fermement le rapprochement de Reagan avec la Chine, ce qui le met en conflit avec le secrétaire d'État Alexander Haig (1924-2010). En 1982, le New York Times prédit donc le remplacement de Wolfowitz au département d'État. Mais c'est l'inverse qui se produit en 1983 : Haig - qui est également en conflit avec le ministre de la défense Caspar Weinberger (1917-2006), à moitié juif et virulemment anti-URSS - est remplacé par le néoconservateur George Schultz et Wolfowitz est promu assistant de Schultz pour les affaires de l'Asie de l'Est et du Pacifique. Lewis Libby et Zalmay Khalilzad sont devenus les associés de Wolfowitz. En 1986-1989, Wolfowitz a été ambassadeur en Indonésie.

Au cours de l'administration Bush père, Wolfowitz a été secrétaire adjoint à la défense sous la direction du secrétaire Cheney, avec Libby comme assistant. Ils ont donc été étroitement impliqués dans la guerre contre l'Irak en 1990-91. Wolfowitz regrette vivement que, dans cette guerre, les États-Unis se soient limités à la reconquête du Koweït et n'aient pas poussé jusqu'à Bagdad. Libby et lui continueront à faire pression tout au long des années 1990 pour une attaque « préventive » et unilatérale contre l'Irak.

De 1994 à 2001, Wolfowitz est à nouveau professeur à l'université John Hopkins, où il propage ses opinions néoconservatrices. En 1997, il a cofondé le Project for a New American Century.

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Wolfowitz divorce de sa femme Clare Selgin en 1999 et entame une relation avec une employée britannico-libyenne de la Banque mondiale, Shaha Ali Riza (photo), qui lui vaudra des ennuis en 2000 et en 2007 (cfr infra). Pendant la campagne électorale de Bush Jr. en 2000, Wolfowitz faisait partie du groupe consultatif de politique étrangère de Bush, les Vulcains. Lors de l'administration suivante de Bush Jr, Wolfowitz a été nommé à la tête de la CIA, mais cette nomination a échoué parce que son ex-femme, dans une lettre adressée à Bush Jr, a qualifié sa relation avec une ressortissante étrangère de risque pour la sécurité des États-Unis. Il n'est redevenu secrétaire adjoint à la défense qu'entre 2001 et 2005, sous la direction de Rumsfeld.

Wolfowitz a profité des événements du 11 septembre 2001 pour reprendre immédiatement sa rhétorique sur les « armes de destruction massive » et les attaques « préventives » contre les « terroristes ». Dès lors, Rumsfeld et lui ont préconisé d'attaquer l'Irak à chaque fois que l'occasion se présentait. La CIA n'ayant pas donné suite à ses affirmations sur les « armes de destruction massive irakiennes » et le « soutien de l'Irak au terrorisme », elle a créé le groupe d'étude Office of Special Plans (OSP ) au sein du ministère de la défense afin de « trouver » des preuves. Cet OSP a rapidement devancé les agences de renseignement existantes et est devenu la principale source de renseignements du président Bush Jr sur l'Irak, sur la base d'informations souvent douteuses. Cette situation a donné lieu à des accusations selon lesquelles l'administration Bush Jr. créait des renseignements pour amener le parlement à approuver l'invasion de l'Irak.

En 2005, Wolfowitz a été nommé avec succès par le président Bush Jr. au poste de président de la Banque mondiale. Cependant, Wolfowitz s'est rendu impopulaire en procédant à une série de nominations néoconservatrices controversées et en faisant adopter des politiques néoconservatrices au sein de la Banque mondiale. Sa liaison avec Shaha Ali Riza, employée de la Banque mondiale, a également suscité la controverse, les règles internes de la Banque mondiale interdisant les relations entre les cadres et le personnel. En outre, Wolfowitz avait accordé à Riza une promotion assortie d'une augmentation de salaire disproportionnée en 2005. Enfin, en 2007, Wolfowitz a été contraint de démissionner de son poste de président de la Banque mondiale. Il est ensuite devenu chercheur à l'American Enterprise Institute.

Conclusion

Le néoconservatisme est né de l'inimitié virulente des trotskystes juifs qui avaient fui l'Europe de l'Est occupée par l'URSS stalinienne et la Russie. Ils venaient principalement du territoire de l'ancien empire polono-lituanien (Pologne, Ukraine et Lituanie). Ces immigrants juifs se sont principalement installés dans les quartiers new-yorkais de Brooklyn et du Bronx dans les années 1920 et 1930. Aux États-Unis, ils ont formé une communauté très soudée par le biais d'amitiés, de relations professionnelles et de mariages. Certains ont également unifié leurs noms de famille, par exemple « Horenstein » est devenu Howe, « Leibowitz » est devenu « Libby », « Piepes » est devenu « Pipes » et « Rosenthal » est devenu « Decter ». Leurs enfants étudient en masse au City College de New York et forment le groupe trotskiste New York Intellectuals.

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Pour lutter contre Staline depuis son exil mexicain, le dirigeant bolchevique en exil Léon Trotski a formé un mouvement communiste rival, la Quatrième Internationale. Détestant le stalinisme, un certain nombre d'intellectuels juifs américains importants de la gauche radicale se sont rassemblés autour de Trotsky dans les années 1930, y compris les jeunes communistes Irving Howe, Irving Kristol et Albert Wohlstetter. Dans les années 1960, ils ont troqué leur trotskisme contre le néoconservatisme.

Ainsi, les principaux idéologues du néoconservatisme sont des marxistes qui se sont réorientés. Les dénominations ont changé, mais les objectifs sont restés les mêmes. En effet, les thèses libérales du néoconservatisme soutiennent tout autant l'universalisme, le matérialisme et l'utopie de l'ingénierie sociale, puisque le marxisme et le libéralisme reposent sur les mêmes fondements philosophiques. Les communistes étaient donc à New York plutôt qu'à Moscou pendant la guerre froide. Le néoconservatisme a également rendu la religion à nouveau utile à l'État.

Le néoconservatisme a été transformé en un véritable mouvement par Irving Kristol et Norman Podhoretz. Ce mouvement néoconservateur peut être décrit comme une famille élargie basée en grande partie sur les réseaux sociaux informels créés par ces deux parrains.

Les néoconservateurs sont des impérialistes démocratiques qui veulent changer la société et le monde. De plus, leur messianisme et leur volonté de répandre la démocratie parlementaire et le capitalisme dans le monde entier sont diamétralement opposés au véritable conservatisme. En effet, les vrais conservateurs n'ont aucune prétention universelle et défendent un non-interventionnisme et un isolationnisme honorables. De plus, les néoconservateurs veulent convertir leur soutien actif à Israël, si nécessaire, en interventions militaires dans des pays qu'ils considèrent comme dangereux pour leurs intérêts et ceux d'Israël.

L'idéal néoconservateur du multiculturalisme implique une immigration massive. Or, les cultures ont des valeurs, des normes et des lois différentes. Ainsi, pour permettre l'interaction sociale, un dénominateur commun est nécessaire. Par conséquent, l'objectif final n'est pas le multiculturalisme mais le monoculturalisme : les néocons veulent donc créer un être humain uniforme et unitaire.

Parmi les néocons, il y a remarquablement beaucoup d'intellectuels. Ils ne constituent donc pas un groupe marginal, mais forment au contraire le cadre intellectuel de la politique étrangère américaine. Cependant, le président Richard Nixon a eu une approche très différente des deux superpuissances que sont la Chine et l'URSS, par rapport à tous les autres présidents américains de l'après-guerre, à l'exception du président John Kennedy (1917-1963), qui a lui aussi cherché à mettre fin à la guerre froide. À la fureur des néoconservateurs, il a noué des relations avec la Chine et a considérablement amélioré les relations avec l'URSS. Aux États-Unis, Nixon a décentralisé le gouvernement, mis en place la sécurité sociale et lutté contre l'inflation, le chômage et la criminalité. Il a également aboli l'étalon-or, tandis que sa politique en matière de salaires et de prix a constitué la plus grande intervention gouvernementale en temps de paix de l'histoire des États-Unis.

Les néocons ont détesté la détente des années 1970 : ils craignaient de perdre leur ennemi préféré, l'URSS. Après la démission de Nixon à la suite du scandale du Watergate, ils ont donc affirmé que la CIA produisait des analyses beaucoup trop optimistes sur l'URSS. Le remaniement gouvernemental de 1975 dont ils ont été les instigateurs a placé George Bush père à la tête de la CIA, après quoi il a mis sur pied l'équipe B, a priori déjà hostile à l'URSS, pour produire une « évaluation alternative » des données de la CIA. Le rapport controversé et totalement erroné de l'équipe B affirmait à tort que la CIA avait tort.

Bien que le secrétaire d'État Henry Kissinger ait rejeté le rapport de l'équipe B, le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld l'a néanmoins diffusé comme une étude « fiable ». Rumsfeld a ainsi sapé les négociations sur la limitation des armements des années suivantes (c'est-à-dire pendant l'administration Carter, de 1977 à 1981). En outre, le rapport de l'équipe B a également servi de base à l'explosion inutile du budget de la défense sous l'administration Reagan.

Lors d'un voyage en Grande-Bretagne en 1978, l'ex-président Nixon a déclaré à propos du scandale du Watergate : « Certains disent que je n'ai pas bien géré la situation et ils ont raison. J'ai tout gâché. Mea culpa. Mais passons à mes réalisations. Vous serez là en l'an 2000 et nous verrons comment je suis considéré à ce moment-là » ...

Avec la chute du mur de Berlin en 1989, le totalitarisme n'a certainement pas été vaincu. Au contraire, il a pris une autre forme - d'apparence conservatrice - et s'est emparé de l'Europe et de l'Amérique du Nord. Les plaidoyers de néoconservateurs de premier plan comme Norman Podhoretz et William Kristol en faveur du Parti républicain, le rejet des politiques du président Obama et l'infiltration de l'appareil de pouvoir autour du président Trump montrent clairement que les néoconservateurs veulent réintégrer le gouvernement américain. Après tout, leur objectif final reste une attaque contre l'Iran et la domination mondiale des États-Unis. La lutte pour notre liberté sera donc longue !

Références :

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GREEN (K.), Jew and Philosopher - The Return to Maimonides in the Jewish Thought of Leo Strauss, Albany, State University of New York Press, 1993, pp. XIV + 278.

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SAUNDERS (F.), The Cultural Cold War, New York, New Press, 1999, p. 419.

WALD (A.), The New York Intellectuals : The Rise and Decline of the Anti-Stalinist Left from the 1930s to the 1980s, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1987, pp. 456.

WEDEL (J.), Shadow Elite : How the World's New Power Brokers Undermine Democracy, Government and the Free Market, New York, Basic Books, 2009, pp. 283.

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jeudi, 25 juillet 2024

Romanité sacrée et religion d'État

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Romanité sacrée et religion d'État

Par Luca Leonello Rimbotti

Source: https://www.centroitalicum.com/romanita-sacra-e-religione-dello-stato/

Bonaiuti et Pettazzoni, deux bâtisseurs d'identité

Les civilisations se mesurent aussi et surtout à la manière dont elles abordent la question de l'identité. Les institutions vitales et grandissantes ont dans l'identification des caractères nationaux et populaires l'une de leurs fonctions les plus importantes. Au contraire, comme chacun le constate à notre époque, les sociétés en désintégration ne font que se prosterner devant l'autre, confondre ou même effacer les traces du long chemin commun, donnant naissance à ce sentiment de culpabilité ou Selbsthass (haine de soi), dans lequel Freud trouvait déjà des preuves de l'effondrement consciencieux des peuples et des individus. La recherche du sacré, l'excavation de dépôts mémoriels collectifs, l'effort de protection et de valorisation des symboles de l'histoire, sont autant de motifs de croissance, d'une culture qui se diffuse et se renforce, enrichissant la vie et la vie politique d'un savoir commun.

C'est sous le signe de la confrontation et, le cas échéant, du conflit bénéfique, que se déploie l'activité d'une Kultur créatrice. Le retour à la source de l'individuation s'accompagne de la volonté de s'opposer au lent déclin des valeurs, préférant vivre un coucher de soleil lumineux plutôt qu'une ruine sans honneur. La société contemporaine a aussi besoin du sacré. Surtout la société contemporaine, qui est quotidiennement marquée par les attaques d'une massification toujours plus plébéienne, à l'enseigne de ce cosmopolitisme matérialiste et ennemi du mythe qui a tout nivelé et privé de sens.

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Lorsque, par exemple, Ernesto Bonaiuti (photo) - le prêtre moderniste, excommunié en 1926 et relevé de ses fonctions d'enseignant à partir de 1929, notamment pour avoir refusé de prêter serment au régime fasciste - professait la nécessité d'étudier la religion comme un fait en soi et non comme un acte de foi, il réalisait en réalité une opération culturelle de grande importance: la réintroduction de la prise en charge du sacré dans la société. Malgré les accusations de l'Eglise (et indirectement du régime, qui devient son allié seulement à partir de 1929), Bonaiuti n'a pas véhiculé la sécularisation, mais a lancé une conception du sacré qui devait être autre chose que le confessionnalisme.

Contre le temporalisme papal, devait passer l'idée de la religion comme fait social. Ce n'est pas rien. La « sécularisation des sciences religieuses », dans la perspective de Bonaiuti, devait conduire à la libération des énergies liées au sacré, tout en les inscrivant dans des catégories politiques et non cléricales. Sur ce point, non pas paradoxalement, mais tout naturellement, l'hérétique Bonaiuti croise la lecture historique faite par le fascisme.

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La rédaction des Accords du Latran, si elle contraignit l'Italie à certaines servitudes (instruction religieuse dans les écoles, lois sur le mariage, favoritisme au profit des instituts catholiques, subventions, privilèges : en un mot, l'« étatisation » du catholicisme), au point qu'il y eut des moments de grave rupture idéologique (comme par exemple dans le cas de Giovanni Gentile), en revanche, elle ne contraignit pas beaucoup le régime.

L'indépendantisme fasciste à l'égard de l'Eglise (dont témoignent les tensions avec l'Action catholique vers 1931), s'inspirait des déclarations de Mussolini lui-même qui, dans certains discours prononcés quelques mois après la Conciliation, avait affirmé la supériorité historique de Rome sur le christianisme, proclamant que la parole du Christ, sans l'union avec la Ville éternelle, qui en élargissait le message, serait restée une modeste affaire de sectarisme levantin: seule Rome, comme Paul de Tarse l'avait bien deviné, ferait d'une hérésie juive la religion de l'État romain universel. Cela mettait à mal le récit de la continuité entre la communauté chrétienne primitive et l'Église, qui apparaissait ainsi beaucoup plus romaine que catholique.

Certains historiens ont insisté sur le fait que Bonaiuti, officiellement « persécuté » par le régime fasciste, était en fait son soutien idéologique sur le point fondamental de la primauté politique de l'État sur la confession. Bonaiuti le « persécuté », qui écrivait pourtant dans des journaux fascistes (peut-être en signant de ses seules initiales, mais, de fait, il écrivait bel et bien dans ces journaux) comme le « Corriere Padano » du féal de Bottai Nello Quilici, ou dans « La Stampa » dirigée par des pontes comme Malaparte et Augusto Turati, ce Bonaiuti icône de l'antifascisme posthume, disait des choses étonnamment dans la ligne, et il ne tarissait pas d'éloges sur le régime. D'ailleurs :

Les Accords du Latran étaient aussi présentés, presque paradoxalement, comme un encouragement à la liberté de recherche, une persuasion que Bonaiuti nourrissait, au moins par moments, même en privé.

Selon lui, dans les mots du leader du fascisme prenait forme « l'action unificatrice de Rome » et le rêve d'une primauté italienne renouvelée dans les sciences religieuses [1].

Ce jugement, au lieu d'opposer le régime à l'histoire et à la morale, l'inclut pleinement parmi les facteurs de consolidation non seulement de l'identité religieuse, mais aussi de la fonction historique, élevée à la dimension universelle.

On connaît d'ailleurs les arguments de Mussolini à cette époque sur la possibilité pour le fascisme de profiter de la visibilité mondiale garantie par le catholicisme romain, dont l'« impérialisme » éthique aurait pu facilement être flanqué de ce que l'on appelait pour l'instant l'« impérialisme spirituel » de l'Italie fasciste.

Quoi qu'il en soit, le fait que « l'historien “hérétique” ait pris le parti de l'État fasciste contre les prétentions ecclésiastiques », réveillant également l'intérêt de Gentile, signifie que l'histoire enregistre souvent des cas de convergence de vues politiques et idéales, même de la part de sujets provenant de milieux différents, ou divisés par des jugements divergents sur de simples détails.

Bonaiuti, en effet, ne s'oppose même pas à la polémique sur le nouveau paganisme germanique, qu'il considère, à l'instar de la majorité de la culture fasciste, comme un fragment moderne de la Réforme luthérienne, qui a trouvé dans la polémique antiromaine le point d'appui de sa propre révolte. C'est précisément dans la proposition d'une centralité renouvelée de la romanitas, opposée à la paganitas nationale-socialiste, que Bonaiuti s'est trouvé aux côtés de ceux qui (pas nécessairement depuis les rivages clérico-fascistes) différenciaient l'Italie romaine du nouveau Reich naissant, dont le racisme remontait directement à Luther et à la constitution ethnique ancestrale du germanisme, jugée immuable, ce qui lui permettait d'affirmer

la permanence inaltérable des caractéristiques primitives de la spiritualité collective germanique à travers les siècles, et donc sa résurgence impétueuse et incontestée dans les idéaux et les programmes du nazisme [2].

Ce qui, à vrai dire, était plutôt un argument fort des néo-païens emmenés par Rosenberg : le national-socialisme comme vecteur d'une identité raciale inaltérable. Dans ce sillage, la même guerre d'Éthiopie de 1935-36, insérée par Bonaiuti dans la tradition de Dante sur l'empire comme « moyen providentiel » pour la rédemption de l'humanité, fut jugée positivement, au point de se joindre à la condamnation de la Société des Nations à Genève, accusée par le prêtre moderniste d'être un repaire calviniste qui s'efforçait de s'opposer à l'avancée légitime de la nouvelle Italie vers l'empire. A l'avènement de celui-ci, en mai 1936, Bonaiuti ne manqua pas de revendiquer les justes titres de la romanitas renouvelée de Mussolini, en se référant directement à saint Augustin et à son éloge de la Rome césarienne et de son « expansion providentielle ». Sur ce point, il faut le dire, Bonaiuti s'est trouvé aux côtés de l'Église qui, à l'instar de la puissante Curie milanaise, s'est distinguée en bénissant les Chemises noires en partance pour l'Abyssinie, où elles allaient non pas imposer un régime brutal, mais y apporter la lumière de Rome, chrétienne et fasciste, « par laquelle le Christ est romain », pourrait-on dire, à la suite d'Alighieri.

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Les études historico-religieuses comme moment essentiel de revigoration d'une idéologie identitaire radicale. C'est aussi le cas d'un autre grand interprète du sacré dans l'histoire moderne, Pettazzoni (photo, ci-dessus), académicien d'Italie depuis 1933.

Avec ce grand connaisseur des spiritualités anciennes (de la Sardaigne primitive à la Grèce, à l'Iran et au Japon), l'importance de la religion en tant que fait national est confirmée. Chaque peuple emprunte son propre chemin vers le sacré selon les coordonnées de sa spécificité. Une sorte de « religion d'État », qu'il  s'agisse du shintoïsme japonais, de la paganitas hellénique ou du zoroastrisme, des phénomènes qui portent à chaque fois les stigmates d'une culture, non reproductible dans son unicité. L'objectif scientifique de Pettazzoni était de conjuguer la religiosité d'État avec celle du salut individuel, afin de rendre compte de ces grandes religions politiques dont les civilisations du passé ont témoigné. À commencer, pour nous Occidentaux, par le culte impérial augustéen, auquel la fusion avec le christianisme opérée par Constantin allait générer dans la « religion de l'homme » la qualification d'un pouvoir supplémentaire, donné par une « religion officielle de l'État ». Comme pour le shintoïsme, Rome pourrait donc voir le culte privé élevé au rang de doctrine civile et de dogme d'État. De ces aspects, ignorant délibérément les apories historiques, Pettazzoni a relevé la caractéristique du communautarisme et de l'offrande héroïque de soi, cette énergie de l'esprit intérieur qui fait de l'homme un prêtre de la patrie et un témoin du sacrifice volontaire.

Même, en ces temps de projection faustienne vers l'illimité, Pettazzoni préfigure un régime fasciste capable d'assumer ces héritages romano-païens, de dépasser le confessionnalisme injecté par le Concordat, et d'espérer une Italie ramenée aux héroïsmes des pères, comme cela se passe au Japon en ces années de mysticisme surhumaniste. Le dépassement du christianisme et sa dilution espérée dans un système de religiosité nationale, à préférer au radicalisme d'un certain national-socialisme néo-païen, devaient, selon le savant, donner vie à quelque chose qui puisse orienter l'Italie vers le culte de la sacralité de la lignée divine: si le christianisme universel semblait refroidir les instincts nationaux-populaires, la « religion d'État », qui connaissait les voies de la collectivité, les libérait positivement [3].

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Comme Giuseppe Tucci (photo), l'autre grand orientaliste de l'époque et son jeune collègue enseignant à La Sapienza, Pettazzoni devait envisager de dépasser le christianisme par le chrisme d'un paganisme renouvelé, afin de générer cette religion de l'État populaire qui aurait en son centre la mystique héroïque « de la mort en armes ».

L'éthique héroïque du Japon impérial, incarnée dans le code guerrier traditionnel, était considérée comme un objectif que les Italiens de l'époque pouvaient atteindre: « Le Buscidô propose un idéal qui a des racines solides même dans cette mère des héros qu'est l'Italie et que tous les grands peuples connaissent » [4].

Cela aurait donné à la guerre de l'Axe, alors en cours, le visage d'un « acte liturgique » qui avait sa source originelle dans le « patrimoine civique-religieux archaïque ».

De cette manière, les connotations archaïques du millénarisme historique, consacré aux énergies énigmatiques de la création, qui, comme dans le zoroastrisme iranien, interprétait la vie comme une lutte inépuisable, auraient été ravivées : « la lutte humaine n'est qu'un épisode de la lutte cosmique entre le principe du bien et le principe du mal » [5].

Des formulations aussi grandioses paraissent incompréhensibles aujourd'hui, en raison de la domination débordante de la pensée séculière et mécaniste. Ces conceptions seraient les filles de mondes lointains et mythologiques, et pour la plupart, narcotisés par les fumées cosmopolites, elles peuvent sembler les divagations d'esprits enfiévrés. Le fait que des génies de premier plan, versés dans l'étude scientifique des faits anthropologiques, se soient consacrés à elles semble un paradoxe. En effet, il n'est pas rare que, lorsqu'une culture vaincue montre ses facettes faites d'une puissance imaginative rendue inerte par le temps, elle apparaisse totalement incompréhensible à une postérité inculte, qui se rassemble autour d'elle dans l'incrédulité.

Notes:

[1] Matteo Caponi, Il fascismo e gli studi storico-religiosi : appunti sul discorso pubblico di Ernesto Bonaiuti e Raffaele Pettazzoni, in Paola S. Salvatori (ed.), Il fascismo e la storia, Scuola Normale Superiore, Pisa 2020, pp. 169-170.

[2] Ernesto Bonaiuti, Paganesimo, germanesimo, nazismo, Bompiani, Milan 1946, p. 7. Mais la première version de ce texte remonte à l'avant-guerre. Cf. également la récente réédition du même titre, BookTime, Milan 2019.

[3] Cf. Caponi, cité, p. 181 : « Comme on pouvait le lire dans un volume de propagande de 1942, le fascisme était appelé à s'approcher de l'esprit japonais ».

[4] Giuseppe Tucci, Il Buscidô [1942], in Sul Giappone. Il Buscidô e altri scritti, Edizioni Settimo Sigillo, Rome 2006, p. 86.

[5] Raffaele Pettazzoni, La religione di Zarathustra [1920], Arnaldo Forni Editore, éd. anast. 1979, Bologne, p. 86.

Le jacobitisme ou légitimisme écossais

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Le jacobitisme ou légitimisme écossais

A propos des jacobites

Enric Ravello Barber

Source: https://euro-sinergias.blogspot.com/2024/07/jacobimo-el-legitimismo-escoces-ye.html

Robert le Bruce - le roi écossais rendu célèbre par le film Braveheart - était mort sans enfant, il n'avait qu'une fille de sa première épouse, enlevée à l'âge de 10 ans par le roi d'Angleterre et emprisonnée dans un couvent. Elle a cependant pu retourner sur la terre de ses pères après la victoire écossaise de Bannockbrun. Installée en Écosse, elle épouse quelques années plus tard Walter le Stward qui, à sa mort, laisse à son fils Robert II (1371-1390) l'héritage, inaugurant ainsi une dynastie qui sera la plus décisive pour le destin de l'Écosse: les Stuart.

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C'est une descendante de Robert II Stward, la célèbre Marie, Reine d'Écosse, qui, éduquée en France, changea le nom de Stward en celui, plus francisé, de « Stuard » par lequel la dynastie serait désormais connue. Marie Stuart (1542-1587), sans doute la plus célèbre des reines écossaises, est une catholique convaincue et fière de l'indépendance et de la souveraineté de son pays, ce qui lui vaut des problèmes et des heurts avec sa cousine, la puissante reine d'Angleterre Élisabeth I, anglicane et farouchement anticatholique.

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Marie d'Écosse - comme on l'appelait aussi - dut faire face à des révoltes contre elle, principalement organisées par des nobles écossais protestants. Elle est contrainte d'abdiquer en faveur de son fils Jacques Ier Stuart et de s'enfuir. S'installant en Angleterre, elle cherche la protection d'Élisabeth Ire. Son caractère impulsif avait permis à Marie de revendiquer le trône d'Angleterre avant son exil, et de nombreux catholiques anglais la considéraient comme la reine légitime au plus fort des conflits interreligieux et anticatholiques en Angleterre. Élisabeth Ire la considéra donc comme une menace et la confina dans divers palais et châteaux à l'intérieur du pays ; dix-huit ans plus tard, elle la fit décapiter sous l'inculpation de conspiration.

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Le fils de Marie Stuart avait été proclamé roi d'Écosse, après son exil, à l'âge de un an. Devenu majeur en 1567, il règne sous le nom de Jacques VI d'Écosse. Mais le destin et la légitimité dynastique font qu'il hérite non seulement du trône écossais de sa mère, mais aussi, par droit légitime, de celui de sa tante Élisabeth Ire et qu'il est proclamé roi d'Angleterre en 1603 sous le nom de Jacques Ier (tableau, ci-dessous). C'est le premier moment d'unité entre l'Écosse et l'Angleterre.

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Le Pays de Galles faisait partie du royaume anglais depuis la mort de son dernier roi Owain Glyn Dwr en 1416 et le roi d'Angleterre était également roi d'Irlande. En réalité, si l'on s'en tient strictement aux faits, c'est un roi et une dynastie écossais qui réunissent le royaume d'Angleterre dans sa couronne, ce qui en fait une « annexion » écossaise plutôt qu'une unification anglaise, mais la différence démographique et économique entre les deux pays est énorme et le roi installe sa cour à Londres, de sorte que le pouvoir royal se déplace vers l'Angleterre. Le prochain et dernier acte d'unité sera l'union des parlements en 1707, qui accentuera encore cette domination anglaise.

Jacques VI - Jacques Ier pour les Anglais - se proclame « Rex Britanniae Magnae et Franciae et Hibernae » (roi de Grande-Bretagne, de France et d'Irlande). La France était un titre nostalgique de l'ancienne revendication de l'Empire angevin anglo-français, mais la Grande-Bretagne était un terme inventé par Jacques VI lui-même, faisant clairement référence à son désir d'unifier la plus grande des îles britanniques.

Contrairement à sa mère, Jacques VI-I est protestant - ce qui facilite son accession au trône d'Angleterre - mais, en raison du passé de sa dynastie, il est accueilli avec espoir par les nombreux catholiques anglais accablés par leur sort sous le règne d'Élisabeth Ire. Jacques Ier n'abrogea pas les lois anti-catholiques, même s'il est vrai que c'est sous la pression des catholiques. De plus, c'est lui - également roi d'Irlande - qui, en 1603, a lancé la campagne de colonisation de l'Ulster par les protestants anglais et surtout écossais afin d'étouffer les révoltes des catholiques irlandais, donnant naissance à un problème qui s'est aggravé au cours des siècles suivants et qui est encore actif aujourd'hui.

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À sa mort, son fils Charles Ier Stuart (tableau, ci-dessus), également protestant et accusé par le Parlement de tendances autoritaires, lui succède. Arrêté, il est décapité sur ordre du Parlement; après son exécution, l'Angleterre - et non l'Écosse - est devenue une république dirigée par le « puritain anglican » britannique Oliver Cromwell, tristement célèbre pour de nombreuses choses, dont le projet de génocide contre les Irlandais.

Après la mort de Cromwell, l'Angleterre a restauré la monarchie avec une continuité dynastique sous la forme de Charles II - fils de l'ancien et qui avait conservé le trône écossais depuis la mort de son père - également protestant.

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Le monarque suivant à monter sur le trône est son fils Jacques VII, et c'est là que le problème se pose: Jacques II-VII, également un Stuart, est - contrairement à ses prédécesseurs et comme son ancêtre Marie Stuart - un catholique militant, ce qui contraste avec la grande majorité de ses sujets anglais (anglicans) et une grande partie des Écossais (presbytériens). Le Parlement anglais, à majorité protestante, n'accepte pas ce Stuart et la « Glorieuse Révolution » éclate contre lui. Le Parlement nomme reine sa fille protestante et son mari, le protestant néerlandais Guillaume d'Orange, de la dynastie électorale allemande du Hanovre. Jacques II-VII part en exil et le nouveau couple royal est également reconnu en Écosse - à la demande des nobles presbytériens. Par la revendication des droits.

En Écosse, où Jacques II sera le dernier roi à porter le titre de roi d'Écosse, utilisé depuis l'unification du royaume en 843 par Kenneth MacAlpin - le roi qui a réuni Pictes et Écossais dans le royaume d'Albe. Une grande partie de la population écossaise ne reconnaît pas les nouveaux monarques anglo-néerlandais.

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Le soutien à la Maison Stuart est écrasant dans les Highlands, la région où l'héritage celtique, la confession catholique et la langue gaélique sont les plus forts. Les Highlanders se mobilisent militairement pour défendre la légitimité des Stuart. Désormais, les aspirants Stuart se battront pour reconquérir le trône écossais - théoriquement le trône anglais aussi, mais dans ce cas, les chances et les soutiens sont quasi nuls - et s'appelleront désormais « Jacobites », en référence à Jacques II. C'est là que le jacobitisme, Na Seumasaich en gaélique écossais, est véritablement né; la lutte pour la restauration des Stuart a duré de nombreuses années mais n'a jamais atteint son but.

Face à cette lutte pour les trônes, un affrontement entre Hanovriens et Jacobites s'engage, dont l'une des premières batailles est celle de Killercranke, au cours de laquelle le Highlander Rob Roy, entré dans la légende, fait partie du contingent jacobite. Mais Jacques II ne parvient pas à défendre sa cause et s'exile en France, où il meurt en 1701. Les Hanovre deviennent rois d'Angleterre.

En 1706, le Parlement écossais reconnaît les Hanovre comme rois. En 1707, l'union des parlements anglais et écossais est approuvée, entraînant de facto l'absorption du parlement écossais par le parlement anglais, le nouveau parlement unitaire ayant son siège permanent à Londres. C'est à partir de ce moment que l'on peut parler d'unification de l'État britannique. Dès lors, les jacobites, opposés à cette union que les presbytériens avaient soutenue en Écosse, associent la lutte pour la légitimité écossaise à la lutte pour l'indépendance de l'Écosse.

Depuis lors, l'histoire de l'Écosse a vu s'aiguiser la guerre entre les Highlanders jacobites et les « tuniques rouges » hanovriennes.

Jacques II avait eu un fils et successeur, Jacques III (1688-1756), qui, en 1708, quitta son exil français pour reconquérir le trône d'Écosse. Il débarque avec une armée franco-écossaise de 5000 hommes et ses premiers succès l'amènent à se proclamer Jacques VIII d'Écosse - sans la moindre référence à ses prétentions au trône d'Angleterre en tant que Jacques III - manifestant ainsi sa volonté d'être le roi d'une Écosse indépendante. Cependant, ses erreurs stratégiques entraînent sa défaite et il abdique en faveur du dernier espoir jacobite, son fils Charles Edward Stuart (1766-1788), également connu sous le nom de Bonnie Charlie, « le jeune prétendant » ou « le jeune gentleman ».

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Charles « Bonnie » Edward Stuart (tableau ci-dessus) avait des capacités militaires bien supérieures à celles de son père. À la tête d'une armée de 8000 hommes, il pénètre dans l'arrière-pays anglais, prend Manchester et arrive aux portes de Londres, mais il manque de troupes et surtout d'artillerie pour prendre la capitale britannique. Il décide de se replier sur Édimbourg et, de là, de maintenir et de défendre son trône d'une Écosse indépendante. L'Angleterre passe à l'offensive et des batailles s'ensuivent, la bataille de Flakrik Muir, le 19 juillet 1746, étant la dernière victoire jacobite. L'Angleterre n'a aucun mal à couvrir ses lourdes pertes, ce que l'armée écossaise jacobite ne peut faire.

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Le 16 avril de la même année, la dernière bataille de Culloden a eu lieu, le jour le plus triste de l'histoire écossaise. L'armée jacobite subit une lourde défaite et le général anglais victorieux gagne le surnom de « boucher de Culloden ». Les Jacobites, coiffés de bérets bleus, vêtus de vareuses blanches et, pour beaucoup d'entre eux, de leur kilt de clan, ont été écrasés par les Redcoats dans ce qui fut à ce jour la dernière grande bataille sur le sol britannique.

La défaite a laissé une profonde mémoire collective, le célèbre chanteur américain d'origine (partiellement) écossaise, Elvis Presley a cherché et trouvé le nom de ses ancêtres qui s'étaient battus du côté jacobite. 

Après la défaite, les Anglais pratiquent une sale politique de la terre brûlée dans toute l'Écosse. En 1746, Bonnie Prince Charlie s'embarque pour l'exil français. Le jacobitisme est terminé.

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Certains de ses partisans se réfugient à Naples, en France, en Prusse, en Pologne et dans la Russie de Pierre le Grand, qui les avait soutenus. Ils sont les moins nombreux, la grande majorité reste en Écosse. Des années plus tard, Henry Benedict Stuart (1788-1807) (portrait, ci-dessus), second fils de Jacques III, frère de Bonnie Charlie, et archevêque catholique d'York, revendique le trône d'Angleterre - sous le nom d'Henry IX - et d'Écosse - sous le nom d'Henry I - mais ne fait pas de véritable tentative. C'est l'épilogue d'une histoire qui s'est déjà achevée.

De par sa nature politique et dynastique, le jacobitisme a également une présence collatérale dans les autres territoires de la monarchie britannique.

En Irlande (Seacaibíteachas, Na Séamusaig, en gaélique irlandais), son influence sur le mouvement nationaliste-catholique ultérieur est historiquement contestée. S'il est vrai qu'il bénéficiait d'un certain soutien protestant, celui-ci était numériquement très faible dans l'île d'émeraude, et s'il est également vrai que le jacobitisme doit être compris dans le contexte d'affrontements dynastiques, il est indubitablement vrai que, comme le dit l'historien Vincent Morely, « le jacobitisme en Irlande soulignait l'origine milésienne (celtique) des Stuarts, leur loyauté envers le catholicisme et envers l'Irlande en tant que royaume indépendant ». Les poètes irlandais, en particulier dans le comté de Munster, appelaient les Stuart « taoiseach na nGaoidheal », c'est-à-dire « les chefs des Gaëls ».

En Angleterre et au Pays de Galles - qui, rappelons-le, fait partie du royaume d'Angleterre - le jacobitisme n'avait que peu de soutien, et celui qu'il avait était associé aux Tories, parce qu'ils étaient d'accord sur l'idée d'une monarchie de droit divin. Mais ce sont ces mêmes conservateurs qui, en 1701, ont adopté l'Act of Settlement, en vertu duquel aucun catholique ne pouvait accéder au trône d'Angleterre.

Le jacobitisme est l'un des grands mouvements légitimistes de l'Europe moderne. En ce sens, on peut établir des similitudes avec l'austriacisme dans la guerre de succession de la monarchie espagnole et même avec le carlisme ultérieur - ainsi qu'avec la Vendée contre-révolutionnaire française.

https://www.youtube.com/watch?v=YEDy3vEX8Ms

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dimanche, 30 juin 2024

70 ans de coups d'État organisés par la CIA au Guatemala

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70 ans de coups d'État organisés par la CIA au Guatemala

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitika.ru/article/70-let-organizovannogo-cru-perevorota-v-gvatemale

Arbenz_Guzman.jpgAprès la victoire de Jacobo Arbenz (photo) aux élections de 1951, le Guatemala a commencé à mettre en œuvre diverses réformes. Il est révélateur qu'à l'époque, le Guatemala ait voté à l'ONU contre l'Union soviétique, mais la politique intérieure, malgré la rhétorique d'Arbenz sur son désir d'aligner le pays sur les États capitalistes développés, était orientée vers le social. Le fait est qu'au Guatemala, comme dans plusieurs pays d'Amérique centrale, une grande partie des terres appartenait aux latifundios, et le gouvernement a commencé à acheter les parcelles inutilisées et à les donner à la population indigène.

Du point de vue de l'économie de marché, ces mesures sont censées accroître la productivité des terres agricoles. Mais du point de vue des intérêts américains, pas du tout. En effet, d'immenses territoires au Guatemala appartenaient à l'entreprise américaine United Fruit Company, qui utilisait divers stratagèmes pour éviter de payer des impôts. Sur les 220.000 hectares que possédait la société, seuls 15% étaient cultivés ; le reste était en friche et donc soumis au décret 900 sur la réforme agraire de 1952.

Grâce à des contacts directs au sein de l'administration de la Maison Blanche, comme c'est le cas pour les grandes entreprises américaines en général, la société a lancé une campagne de relations publiques musclée contre le président guatémaltèque Arbenz, le présentant comme un ardent communiste. À cette fin, la United Fruit Company a engagé Edward Bernays, un célèbre spécialiste des relations publiques et auteur des livres Propaganda et Shaping Public Opinion, qui a commencé à promouvoir le mythe de la menace communiste. Les États-Unis étant guidés par la doctrine Monroe et considérant l'Amérique latine comme leur arrière-cour, l'affaire prend une tournure géopolitique.

En 1953, la CIA s'est impliquée et a commencé à planifier un coup d'État au Guatemala. On sait que plus d'une centaine d'agents du service de renseignement américain ont participé à l'élaboration de l'opération et que le budget total a été estimé entre cinq et sept millions de dollars américains.

Ce plan contenait une liste de personnes qui devaient être physiquement éliminées après un coup d'État réussi. Malheureusement, c'est ce qui s'est produit par la suite.

Inspiré par le renversement réussi du Premier ministre iranien démocratiquement élu, Mossadeq, le président américain Dwight Eisenhower a accepté avec joie le plan de coup d'État. En novembre 1953, Eisenhower a remplacé l'ambassadeur au Guatemala par John Purefoy, qui a réprimé les mouvements démocratiques en Grèce et facilité la montée au pouvoir des hommes-satellites américains.

Gough_Whitlam_1972_(cropped).jpgLe même modèle sera utilisé près de 20 ans plus tard, lorsque l'ancien ambassadeur des États-Unis en Indonésie, Marshall Green, qui avait participé à l'organisation d'un coup d'État contre Suharto en 1965, sera envoyé d'urgence en Australie pour écarter du pouvoir le Premier ministre Hugh (Gough) Whitlam (photo), qui avait engagé des réformes politiques et était sur le point d'adhérer au mouvement des non-alignés.

Fait révélateur, Arbenz n'a pu être évincé que lors de la troisième tentative, bien qu'il l'ait appris à l'avance et qu'il l'ait annoncé dans les médias pour tenter d'empêcher un coup d'État. Néanmoins, les États-Unis ont poursuivi leurs activités subversives sous le nom d'opération PBHistory, en recourant à la fois à des opérations psychologiques et à des interventions directes. Après avoir obtenu le soutien d'un petit groupe de rebelles qui se trouvaient à l'étranger, les États-Unis ont lancé, le 18 juin 1954, une intervention militaire, imposé un blocus naval et procédé à un bombardement aérien du Guatemala.

Les dirigeants guatémaltèques ont tenté de soulever la question de l'inadmissibilité de l'agression armée à l'ONU, en soulignant le rôle du Nicaragua et du Honduras, qui étaient à l'époque des marionnettes obéissantes des États-Unis et d'où étaient envoyés les saboteurs. Un débat a eu lieu au Conseil de sécurité des Nations unies, où l'Union soviétique s'est ralliée à la position du Guatemala et a opposé son veto à la proposition américaine de soumettre la question à l'Organisation des États américains (qui était une autre entité contrôlée par Washington). Lorsque la France et la Grande-Bretagne ont répondu à la proposition du Guatemala de mener une enquête approfondie, les États-Unis ont opposé leur veto, ce qui constituait un précédent d'alliés militaires et politiques ne se soutenant pas les uns les autres. Alors que des discussions étaient en cours pour savoir qui et comment enquêter (les États-Unis ont délibérément retardé le processus), le coup d'État était en fait déjà terminé.

Il convient de noter que l'avantage militaire était du côté du gouvernement officiel: il n'a perdu que quelques morts, tandis que de l'autre côté, plus d'une centaine de rebelles et d'agents de la CIA ont été tués et capturés, et plusieurs avions de guerre américains ont été abattus.

Malgré les appels des partis de gauche à ne pas démissionner de la présidence et à continuer à résister (d'ailleurs, parmi les militants politiques de gauche de l'époque dans le pays se trouvait le médecin argentin Ernesto Guevara, qui s'est rendu au Mexique et y a rejoint les révolutionnaires cubains - il a tiré une sérieuse leçon des actions du gouvernement guatémaltèque, et son expérience a probablement contribué plus tard à empêcher l'intervention des États-Unis à Cuba après la victoire de la révolution). Le 27 juin 1954, Arbenz a tout de même démissionné. Le colonel Diaz, qui avait auparavant soutenu Arbenz, est devenu chef du gouvernement pendant une courte période.

Castillo_Armas.jpgMais les États-Unis ne se satisfont pas de cette option et intronisent Carlos Castillo Armas (photo), un ancien officier de l'armée guatémaltèque en exil depuis 1949 après une tentative de coup d'État ratée. À partir de ce moment, des purges politiques et des persécutions ont commencé dans le pays. La réciproque n'étant pas vraie, une guerre civile a éclaté dans le pays.

Dans le même temps, les États-Unis ont soutenu activement la dictature et ont contribué à la création d'escadrons de la mort chargés de l'assassinat ciblé des opposants politiques et de toute personne suspecte. Parmi ces personnes suspectes se trouvaient des villages entiers de Mayas, considérés comme loyaux envers les rebelles de la guérilla. On estime que plus de 200.000 civils ont été tués, mais ce chiffre est probablement beaucoup plus élevé.

En outre, la Maison Blanche était convaincue, sur la base d'une autre expérience de coup d'État réussi, que ce mécanisme était tout à fait acceptable pour des opérations visant à renverser des régimes indésirables pour les États-Unis, où qu'ils se trouvent. Cela a eu des conséquences considérables dans le monde entier.

Les États-Unis ont d'ailleurs reconnu leur culpabilité dans la violence au Guatemala et dans les pays d'Amérique centrale. En mars 1999, Bill Clinton a présenté des excuses officielles au peuple guatémaltèque, déclarant que "soutenir les agences militaires et de renseignement qui ont perpétré la violence et la répression généralisée était une erreur, et que les États-Unis ne devaient pas la répéter".

Mais comme l'ont montré les décennies suivantes, il ne s'agissait que d'un euphémisme d'ordre diplomatique. Les États-Unis continuent de soutenir des régimes répressifs, l'ex-Ukraine en étant un excellent exemple. Mais aujourd'hui, ils ne le font plus sous couvert de lutte contre la "menace communiste", mais contre la "menace d'agression et d'invasion de l'Europe par la Russie".

 

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mercredi, 19 juin 2024

Pourquoi l'Angleterre a-t-elle réussi ?

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Pourquoi l'Angleterre a-t-elle réussi?

Mikhail Deliaghine

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/perche-linghilterra-ha-avuto-successo

L'accession de la Grande-Bretagne au leadership mondial (en surmontant tous les concurrents et obstacles - des Pays-Bas, de l'Espagne et de la France à la Chine et à l'Inde), son maintien à long terme de son leadership et son maintien d'un rôle mondial malgré l'effondrement de son empire (signalé par le tristement célèbre Brexit) est une leçon d'une importance historique mondiale.

Ce pays (contrairement à la Russie, aux États-Unis, à la Chine et à l'Inde) n'a jamais disposé de ressources exceptionnelles. Le charbon était important, mais pas tant que cela. Même au début du XVIIIe siècle, l'Angleterre n'avait pas la puissance coloniale de l'Espagne, ni la puissance militaire de la France, ni la puissance économique des Pays-Bas. Minée par une succession de révolutions et de guerres, politiquement instable et déchirée par des conflits religieux, elle était pauvre.

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Pourquoi, en moins d'un siècle, a-t-elle acquis une puissance destructrice et est-elle devenue non seulement le "maître des mers", mais aussi "l'atelier du monde", le pionnier de la révolution industrielle, la locomotive du développement technologique et social mondial ?

Le facteur clé de la supériorité stratégique britannique est la capacité de l'élite britannique à utiliser les structures de réseau existantes (ou créées par elle), qu'il s'agisse de banques, de pirates des mers, de francs-maçons ou de sociétés marchandes. Leurs fondements ont été transformés en un sujet d'action stratégique : un groupe stable au sein de l'élite, uni par des intérêts à long terme et capable de reproduire son influence.

Mais le chemin pour parvenir à cette capacité a été semé d'embûches.

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La première étape a été l'auto-extinction de l'élite féodale lors de la guerre des Roses blanche et rouge (1455-1487). Le déficit de l'élite a créé un mécanisme social unique : la noblesse anglaise, contrairement à la noblesse continentale, était un espace patrimonial ouvert désormais aux riches marchands et paysans. Les marchands, les plus avantagés par la guerre, ne rejoignent pas la noblesse de manière exceptionnelle et moyennant paiement, mais rejoignent ses rangs légalement et en masse. En s'appuyant sur cette nouvelle noblesse, l'absolutisme s'est appuyé à la fois sur les marchands et sur les riches paysans, élargissant ainsi sa base sociale à une échelle inimaginable à l'époque. Cette noblesse s'est développée à partir du marché, au lieu d'y être hostile (comme la noblesse continentale).

Le développement du capitalisme en l'absence de résistance féodale a détruit la paysannerie en tant que classe sociale (comme elle a été éliminée près d'un demi-millénaire plus tard lors de l'"annulation" de la Grande Dépression aux États-Unis, contrairement à la collectivisation soviétique), plaçant le village sur une base capitaliste.

La répression prolongée et impitoyable des pauvres et leur extermination, l'encouragement et la défense totale de la richesse ont façonné le caractère national anglais - respectueux des lois, obstiné, fier de son pouvoir en tant que tel, respectueux des droits de ses compatriotes et refusant tous les autres. La richesse est devenue un facteur de compétitivité du pays, bien illustré par la parabole de la pelouse anglaise qu'il faut tondre tous les jours pendant 300 années consécutives.

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Le développement du capitalisme, sans se heurter à la résistance des seigneurs féodaux, crée une communauté d'intérêts fondamentale entre des forces politiques opposées, leur permettant d'éviter les affrontements frontaux au nom d'un objectif commun : le profit. À la fin du XVIIe siècle, un État civil s'est ainsi constitué, non pas affaibli mais renforcé par les luttes politiques internes.

L'unité patriotique de l'élite managériale et commerciale s'est faite autour d'un intérêt stratégique commun : l'utilisation commune de l'État comme outil de la concurrence extérieure. La réalisation même de cette unité a facilité le compromis systématique et la résolution des conflits internes par le biais d'un mécanisme politique universel : l'expansion extérieure commune.

La collaboration entre les factions belligérantes a permis la création d'un mécanisme financier unique : une banque centrale privée. Son paradoxe et son importance résident dans le fait que n'importe lequel de ses engagements (billets de banque), à partir du moment où il est émis, est en fin de compte une dette de l'État envers son détenteur, mais peut être émis sans le consentement de l'État.

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La création de la Banque d'Angleterre est une fraude vertigineuse (le capital est versé à un faible taux, ce qui permet aux fondateurs de réaliser un bénéfice immédiat de 140 %), justifiée par un changement qualitatif du caractère de l'État : implicitement, le roi est inclus dans les fondateurs avec une part importante.

Par conséquent, son abandon du pouvoir politique absolu (suite à la Glorieuse Révolution) s'est accompagné de sa prise de possession (avec la fondation de la Banque d'Angleterre) par un certain pouvoir économique. De cette manière, le fameux "système d'équilibre des pouvoirs" en politique a reçu un complément harmonieux, quoique secret, en économie.

La noblesse, ayant cédé une partie du pouvoir politique au capital commercial et financier, a repris en retour une partie du pouvoir économique et, au lieu de lutter contre le capital, a fusionné avec lui dans un mécanisme unique de pouvoir économique ("combinaison politique", comme l'académicien Andrei Fursov a appelé l'union des princes et des boyards de la principauté de Moscou).

Cela a rendu possible la création de la dette publique en tant qu'instrument de développement. Alors que dans les monarchies ordinaires, le crédit de l'État plaçait le monarque devant un choix douloureux : rembourser la dette ou mettre le créancier en prison, en Angleterre, l'État, en la personne du Parlement, était crédité par le monarque lui-même, en la personne de la Banque d'Angleterre. En conséquence, la dette était parfaitement remboursée et accumulait tous les capitaux libres de l'époque (comme, jusqu'à récemment, la dette des États-Unis), garantissant le pouvoir de l'État et le réarmement technique rapide de l'Angleterre au cours de la révolution industrielle. Tout le monde pouvait construire des machines à vapeur, mais seule l'Angleterre avait les moyens d'en équiper de nombreuses usines.

La création d'une banque centrale privée était la privatisation d'un nouveau type d'État : l'État de Machiavel (formalisé par la paix de Westphalie plus d'un siècle après que le génie florentin l'ait conçu), séparé du monarque en tant qu'institution publique plutôt que privée. En Angleterre, cette privatisation a eu lieu presque au moment de sa création et est devenue un facteur de pouvoir futur, car les privatiseurs se sont perçus comme faisant partie intégrante de l'Angleterre, sans autre identité que celle de l'Angleterre (en dépit de leur composition ethnique et même confessionnelle variée).

Le rôle exceptionnel de la science est tout aussi important. Au cours des longs et terribles cataclysmes sociaux du Moyen Âge, toutes les institutions sociales ont été irrémédiablement discréditées. Le roi, les églises, l'aristocratie, les tribunaux, le parlement, les marchands ont tous commis des crimes impensables et leurs représentants étaient inaptes à jouer le rôle d'arbitre dans les conflits d'intérêts à l'intérieur du pays : personne ne les croyait.

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Et comme l'accomplissement de cette fonction était nécessaire à la société, l'arbitre devint l'homme de lettres, classe alliant l'intelligence à l'indépendance due au détachement des litiges quotidiens. L'appel du pouvoir à l'autorité des savants est devenu un facteur de formation de la morale publique, en tant que reconnaissance par le pouvoir de la vérité indépendante de lui. C'est aussi la reconnaissance de la valeur indépendante du savoir, même s'il n'est pas appliqué.

L'autorité des scientifiques a rendu les autorités réceptives à l'application des réalisations scientifiques, y compris dans le domaine de l'ingénierie sociale, qui a permis aux Britanniques de régner sur des colonies colossales dans le passé et leur permet d'influencer le monde dans le présent.

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dimanche, 16 juin 2024

L'Entente, croquemitaine géopolitique

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L'Entente, croquemitaine géopolitique

Alexander Shirokorad

Source: https://geoestrategia.es/noticia/42768/historia/la-entente-no-es-el-primer-monstruo-geopolitico.html

Voilà que, 120 ans plus tard, un article paraît dans le Telegraph, signé par les ministres des affaires étrangères britannique et français, David Cameron et Stéphane Sejourné.

"Il n'est pas moins important pour nous aujourd'hui que pour nos prédécesseurs de mettre de côté les vieilles différences et d'établir une longue amitié, que nous célébrons aujourd'hui non seulement comme un rappel de l'"entente cordiale", mais aussi comme "un aperçu de la future Entente", déclarent les ministres à l'unanimité.

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Soldats français et nord-africains à Odessa, mars 1919.

Je voudrais rappeler que l'année dernière, lors d'une visite officielle à Paris, le roi d'Angleterre Charles III a commenté le "consentement cordial" en prononçant un discours au château de Versailles : "Les liens qui unissent nos peuples sont innombrables. Ils représentent la force vitale de notre accord sincère, inspiré par mon arrière-arrière-grand-père, le roi Édouard VII. Nous avons tous la responsabilité de renforcer nos amitiés afin qu'elles soient prêtes à relever les défis du 21ème siècle".

Comme on le voit, la tendance à recréer l'Entente est assez sérieuse, malgré la réputation ternie de cette structure géopolitique. Rappelons que pendant un certain temps, la Russie a également rejoint l'Entente, ce qui n'a pas empêché l'Angleterre et la France de soutenir les groupes d'opposition des grands-ducs et des députés de la Douma depuis 1915. Ce n'est pas un hasard si c'est l'officier de renseignement britannique, le lieutenant Oswald Rayner, qui a abattu Grigori Raspoutine.

Dans un article du Daily Telegraph, les ministres des affaires étrangères britannique et français, David Cameron et Stéphane Sejourné, appellent donc à la formation d'une "Entente renouvelée" pour lutter contre la Russie.

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Le 23 décembre 1917, un accord franco-britannique sur la division de la Russie en sphères d'influence est conclu à Paris. Depuis 70 ans, les historiens soviétiques répètent à la population que l'Entente n'a envoyé ses troupes en Russie que pour ramener l'ancien régime, remettre les usines aux capitalistes et leurs biens aux propriétaires terriens.

Mais le ministre britannique de la guerre, Winston Churchill, a été très franc : "Ce serait une erreur de croire que, pendant la guerre civile en Russie, nous avons combattu pour une cause blanche. Au contraire, les Blancs se sont battus pour nos intérêts".

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Soldats géorgiens à Sotchi (1918).

Notons qu'en 1918-1920, la Grande-Bretagne et la France ont aidé les Blancs, puis ont maintenu leur neutralité ou leur ont joué de mauvais tours. Mais il n'y a pas eu un seul cas où les troupes de l'Entente se sont battues contre les séparatistes. La situation de l'été 1918 en est un exemple. Les nationalistes géorgiens s'emparent de Sotchi et de Touapse. Anton Denikin, qui commandait alors l'armée des volontaires, se mit en colère et expulsa les Géorgiens de Sotchi. Cependant, l'Angleterre menace l'armée des volontaires d'une guerre si elle continue à avancer vers le sud.

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Octobre 1919. L'armée occidentale du lieutenant général Prince Avalov (photo) avance vers Riga. Les Anglo-Français transfèrent d'urgence des armes aux États baltes. L'escadre anglo-française ouvre le feu sur les troupes d'Avalov qui avancent. Une batterie d'artillerie hippomobile se précipite alors au bord de l'eau et tire à bout portant sur les croiseurs de l'Entente.....

Aujourd'hui, un monument a été inauguré sur la base navale lettone, avec une longue liste de "héros de l'Entente" tombés au combat, "victimes de la terreur blanche". N'est-il pas vrai qu'il n'y a rien à ajouter ?

En effet, l'Angleterre et la France n'ont pas eu besoin de la Russie tsariste, dénikinienne, soviétique ou autre. En 1918-1920, l'objectif de l'Entente était de désintégrer la Russie en autant d'États "indépendants" que possible. Je ne peux pas deviner comment, mais l'histoire des États baltes aurait pris un chemin complètement différent si l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie étaient devenues des républiques soviétiques non pas en 1940, mais en 1922.

Naturellement, l'objectif de l'Entente était une banale rapine. Personnellement, je considère que la campagne britannique "pour les zipuns" en Russie a été dans l'ensemble un succès. Ainsi, l'intervention britannique s'est amortie au moins une fois et demie grâce à l'exportation massive de pétrole, de minerais, d'or, de fourrures, au détournement de navires à vapeur, etc.

Mais surtout, l'Entente a donné naissance au prédateur traité de Versailles.

Immédiatement après la conférence de Versailles, le maréchal français Ferdinand Foch a déclaré : "Versailles n'est pas la paix, mais un armistice de 20 ans". Et lors de la conférence elle-même, le Premier ministre britannique Lloyd George a dit au Premier ministre français Georges Clemenceau, qui voulait inclure les terres habitées par les Allemands en Pologne : "Ne créez pas une nouvelle Alsace-Lorraine". Ainsi, le maréchal français et le Premier ministre britannique ont prédit avec précision le moment (1939) et la raison (Pologne) du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Dans le même temps, l'Angleterre et la France reprochaient exclusivement à leurs adversaires le déclenchement de la Première Guerre mondiale.

Mais au début de la conférence de Versailles, dans les quatre empires, à la fin de 1919, les dirigeants responsables du déclenchement de la guerre ont été exécutés ou ont fui le pays. Des personnes qui s'étaient opposées à la guerre à l'automne 1914 sont arrivées au pouvoir.

Alors pourquoi l'Entente n'accepterait-elle pas le plan de paix proposé par Lénine en novembre 1917 "sans annexions ni indemnités" ? Comment le caporal retraité Adolf Hitler aurait-il fini ses jours dans ce cas ? Artiste moyen ? Chef d'un parti d'une centaine ou de deux marginaux ?

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Supposons que le 9 novembre 1923 à Munich, lors de la fusillade lors d'une manifestation nazie, Hitler n'aurait pas été légèrement blessé, mais tué. Il existe d'ailleurs une version selon laquelle le garde blanc Scheubner-Richter (photo) aurait recouvert le Führer de son corps. Et alors ? Il n'y aurait donc pas eu de Seconde Guerre mondiale ? Bien sûr qu'il y en aurait eu une, mais avec un autre Führer : Ernst Röhm, Joseph Goebbels ou quelqu'un d'autre.

Et s'il y avait eu une unification des socialistes et des communistes aux élections de 1932, ils auraient obtenu 37,3 % des voix, alors que les nazis n'en auraient obtenu que 33 %. Ernst Thälmann serait peut-être devenu chancelier du Reich et les Juifs n'auraient pas été dans des camps de concentration, mais au Reichstag et au gouvernement. Mais la Seconde Guerre mondiale aurait quand même eu lieu.

Ainsi, jusqu'en 1934, les sociaux-démocrates autrichiens considèrent l'Anschluss comme leur principal objectif. À la fin des années 1920, Thälmann affirme que Hitler ne s'oppose que verbalement à l'Angleterre et à la France, mais qu'il est en réalité leur protégé.

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Ernst Thälmann (photo) déclare officiellement : "L'Allemagne soviétique ne paiera pas un pfennig de réparations.... Nous, communistes, ne reconnaissons aucune annexion forcée d'un peuple ou d'une partie d'un peuple à un autre État-nation, nous ne reconnaissons aucune frontière tracée sans le consentement de la majorité réelle de la population..... Nous, les communistes, sommes contre le démembrement territorial et le pillage de l'Allemagne effectués sur la base du traité de Versailles qui nous a été imposé par la force".

Ainsi, même si les communistes et les socialistes avaient gagné en Allemagne, la Seconde Guerre mondiale aurait quand même eu lieu. Mais dans ce cas, l'issue aurait certainement été différente.

Avec le traité de Versailles, les États de l'Entente ont jeté les bases d'une nouvelle Grande Guerre. C'était une conséquence inévitable des processus historiques. Mais toutes sortes de Hitler, Pilsudski, Mussolini, Thälmann, von Papen, Antonescu et autres ont été des accidents historiques. Ils ne pouvaient que modifier légèrement l'élan de la guerre et le cours des hostilités. Mais personne n'a pu les empêcher.

Et aujourd'hui, pour faire revivre l'Entente, il est nécessaire de porter un puissant coup de propagande aux mythes occidentaux. Il n'est pas nécessaire d'inventer quoi que ce soit. L'Entente a commis un crime monstrueux contre l'Allemagne, la Russie, la Chine, l'Indochine et d'autres pays d'Asie et d'Afrique.

La vérité sur les atrocités commises par l'Entente au 20ème siècle peut, sinon arrêter, du moins compliquer sa renaissance en 2024.

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Les vanités du gaullisme et du souverainisme

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Les vanités du gaullisme et du souverainisme

Nicolas Bonnal

Il y a un mantra souverainiste en France en ce moment, lié au désespoir d’une petite partie de l’opinion (la majorité reste hypnotisée ou anesthésiée). Evidemment il est platonicien et ne risque pas d’accoucher dans la réalité.

On nous répète donc qu’en sortant de l’Europe on résoudrait tous nos problèmes. Or il me semble que cette Europe techno-jacobine dirigée par les Delors, les Breton et les Lagarde elle a été bien francisée. C’est Varoufakis qui me le fit comprendre dans son livre sur le minotaure (européen). Il écrivait même que la surclasse de hauts fonctionnaires français désirait entrer dans l’euro pour profiter du boom immobilier (celui des résidences secondaires notamment) qui s’ensuivrait.

Je ne vois pas en plus en quoi les énarques, Asselineau, Florian, Dupont-Aignan, etc., qui totalisent 1% à chaque élection (je sais, elles sont truquées…) et désirent le Frexit (on ne pouvait pas trouver un mot plus sexy et franchouillard que celui calqué sur le raté Brexit – voir Todd – des Britanniques, qui n’a profité qu’à la City, à l’inflation et aux migrants, comme annoncé par Valérie Bugault ?) dirigeraient la France mieux que les confrères énarques qui veulent rester européens. Tous énarques, tous souverainistes !

le_coq_heretique_autopsie_de_lexception_francaise-71933-264-432.jpgLa France c’est depuis des centaines d'années un coq hérétique, un pays centralisé, autoritaire, avec une armée de fonctionnaires, un administration qui marche plus ou moins bien, et depuis peu une dette et une immigration qui sont incontrôlables. Sur le reste on relira mon Coq hérétique (qui fut référencé par le Figaro, VA et par mon ami Laughland) et mes textes sur Marx (et son armée de fonctionnaires) ou Gobineau. Tiens, redonnons cet extrait, de Gobineau dans sa lettre à Tocqueville :

« Vous avez admirablement montré que la révolution française n’avait rien inventé et que ses amis comme ses ennemis ont également tort de lui attribuer le retour à la loi romaine, la centralisation, le gouvernement des comités, l’absorption des droits privés dans le droit unique de l’État, que sais-je encore ? L’omnipotence du pouvoir individuel ou multiple, et ce qui est pire, la conviction générale que tout cela est bien et qu’il n’y a rien de mieux. Vous avez très bien dit que la notion de l’utilité publique qui peut du jour au lendemain mettre chacun hors de sa maison, parce que l’ingénieur le veut, tout le monde trouvant cela très naturel, et considérant, républicain ou monarchique, cette monstruosité comme de droit social, vous avez très bien dit qu’elle était de beaucoup antérieure à 89 et, de plus, vous l’avez si solidement prouvé, qu’il est impossible aujourd’hui, après vous, de refaire les histoires de la révolution comme on les a faites jusqu’à présent. Bref, on finira par convenir que le père des révolutionnaires et des destructeurs fut Philippe le Bel. »

Et il résume, assez génialement je dois dire, le présent perpétuel des Français (Lettre de Téhéran, le 29 novembre 1856) :

"Un peuple qui, avec la République, le gouvernement représentatif ou l’Empire, conservera toujours pieusement un amour immodéré pour l’intervention de l’Etat en toutes ses affaires, pour la gendarmerie, pour l’obéissance passive au collecteur, à l’ingénieur, qui ne comprend plus l’administration municipale, et pour qui la centralisation absolue et sans réplique est le dernier mot du bien, ce peuple-là, non seulement n’aura jamais d’institutions libres, mais ne comprendra même jamais ce que c’est. Au fond, il aura toujours le même gouvernement sous différents noms… ".

La sortie de l’Europe ? Je lui souhaite du plaisir à la France avec ses casseroles de retraités, de branchés, de bobos, d’immigrés, de fonctionnaires, de chômeurs, de dettes, de DOM-TOM,  de règlements, et de sous-culture étatisée ad vitam…

Mais voyons pour le gaullisme. Le problème c’est déjà que tous s’en réclament : les huns et les autres si j’ose dire. Et la Marine à la peine  (qui se rapproche de Leyen maintenant, via Meloni, féminisme oblige), et le macaron, et les républicains, et les gauchistes, qui oublient que cette référence un peu usée tout de même a créé le parti (UDR, RPR qu’importe) qui a cautionné toutes les gabegies européennes, migratoires et socialistes. L’accélération de la chute française date moins de Mitterrand que de Chirac et son néo-gaullisme d’opérette (Chirac ridiculisa le pauvre Todd et sa fracture sociale) qui visait la Russie (réécoutez-le, bon Dieu) lors de la pitoyable reprise des essais nucléaires en 1996.

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Mais allons au fond et succinctement, quitte à choquer les ânes sensibles :

La surestimation du gaullisme certes ne frappe pas assez les bons esprits qui sont surtout des esprits distraits. Car De Gaulle, c’est la Libération et la Grandeur de la France, De Gaulle, c’est la prospérité et la voix de la France libre (bis), De Gaulle, c’est une époque bénie… Or dans les années soixante toute l’Europe en voie de destruction se développait. Elle était vraiment décadente cette Europe, quoiqu’en pense le poireau Aron. La vraie révolution culturelle avait lieu en Occident et pas en Chine : c’est le marxiste Eric Hobsbawn qui nous l’a démontré dans son âge des extrêmes. Sur les ratages du gaullisme pendant la guerre, lire et méditer l’indispensable Kerillis, lui-même héros de guerre, journaliste et expert militaire.

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En fait le gaullisme repose sur une hypnose collective proche de celle de 1789, de Napoléon ou de la République dont le Général se réclama toujours. Le Français adore être hypnotisé (comme l’Anglo-Saxon sa parèdre) et Macluhan le décrit très bien (la Galaxie Gutenberg, Edition Biblis, p. 399-408) dans ses chapitres sur le nationalisme, basés sur l’extraordinaire historien US Carleton Hayes.

Je n’ai aucune envie de m’étendre sur cette question qui mériterait un bon livre  – un de plus… Mais au moins rappelons les faits principaux :

– De Gaulle, c’est une Résistance et une Libération bâclées : voyez par exemple le livre de Kerillis, De Gaulle dictateur (mal titré hélas). De Gaulle c’est une malédiction portée sur l’extrême-droite collabo et une sanctuarisation de la Résistance dont se réclament tous les escrocs qui nous gouvernent. Ses Mémoires de guerre sont le livre de chevet jamais lu de chaque président. De Gaulle c’est aussi l’oubli de la trahison et de la désertion des communistes qui se sont chargés ensuite de l’épuration qui ne cessera jamais. J’aime la courageuse expression d’Audiard : « je suis un antigaulliste du 18 juin ». On brûle ses films ?

– De Gaulle, c’est aussi la trahison des pieds noirs et la perte brutale, sanglante et bâclée de l’Algérie (voyez les livres publiés par mon éditeur Dualpha notamment celui de Manuel Gomez). Le gâchis a été total, et on en paiera toujours le prix.

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– De Gaulle, c’est les Trente Glorieuses (disparition des paysans et mauvais traitements des ouvriers) et la destruction de la France rurale traditionnelle, la transformation et l’américanisation d’un Hexagone mué en France défigurée pour reprendre le titre d’une émission célèbre de Michel Péricard (photo), lui-même gaulliste. Comparez Farrebique et Biquefarre. Voyez mon livre sur la destruction de la France au cinéma.

– De Gaulle, c’est aussi le début de l’interminable immigration africaine qui suit la décolonisation ratée – Audiard s’en moque dans son libertaire et jubilatoire Vive la France. Les cinéastes ont bien vu les maléfices en œuvre sous de Gaulle : voyez Weekend ou Deux ou trois choses de Godard sans oublier Alphaville ; voyez Play Time de Jacques Tati, le début de Mélodie en sous-sol…

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– Sur le plan des Français, on voit une détérioration du matériel humain: société de consommateurs, d’assistés, de téléphages et d’automobilistes. L’enlaidissement du pays modernisé entraîne l’enlaidissement des gens, la fin de l’élégance parisienne et le déclin de la culture française. Voyez Debord qui rejoint Pierre Etaix ou Jacques Tati. Et ne parlons pas de mai 68, de l’explosion de la pornographie et de la destruction finale de Paris sous Pompidou, ancien laquais de Rothschild (pour ceux qui se plaindraient de l’autre). De Gaulle nous laissa aussi Chirac et Giscard…

– Déclin de la culture? Lisez mon livre sur la comédie musicale. Paris enlaidi cesse d’influencer ou d’inspirer les créateurs américains. Eric Zemmour – et j’y reviendrai – en parle très bien dans son livre sur la Mélancolie française: Malraux a tourné le dos à la France traditionnelle (Chirac aussi avec ses arts premiers) et africanisé notre culture. Sinistre politique de l’Etat culturel livré au gauchisme (dixit Debré lui-même) via les MJC.

– Enfin sur le plan de la vie politique, on souffre de cette catastrophique constitution et des éternels effets du scrutin majoritaire. On a Macron et on le garde. On a créé la constitution la plus dangereuse du monde et on continue de la défendre…

– Politique étrangère ? On a gardé l’Otan, l’Europe : quant à la politique arabe… Le Québec libre aussi aura fait long feu. Le tiers-mondisme diplomatique héritier pathétique de la décolonisation ne mena nulle part. Mais il énervait les Américains…

– On relira avec intérêt notre texte sur Michel Debré qui voyait l’effondrement français arriver avec cette Cinquième. De Gaulle œuvra en destructeur ET en fantôme.

images.jpgMais De Gaulle comprit le piège ; et j’ai décrit cette prise de conscience du premier concerné, le général lui-même. Je me cite alors :

De Gaulle échoue – mais il en ressort qu’on ne pouvait qu’échouer. Sur le referendum – sa porte de sortie comme on sait – nous sommes clairement informés (citation déjà reprise par Philippe Grasset) :

«J’expose au Général que le but de ma visite est de préciser les conditions qui peuvent permettre le succès, du référendum. Interruption du Général : « Je ne souhaite pas que le référendum réussisse. La France et le monde sont dans une situation où il n’y a plus rien à faire et en face des appétits, des aspirations, en face du fait que toutes les sociétés se contestent elles-mêmes, rien ne peut être fait, pas plus qu’on ne pouvait faire quelque chose contre la rupture du barrage de Fréjus. Il n’y aura bientôt plus de gouvernement anglais; le gouvernement allemand est impuissant ; le gouvernement italien sera difficile à faire; même le président des Etats-Unis ne sera bientôt plus qu’un personnage pour la parade.

Le monde entier est comme un fleuve qui ne veut pas rencontrer d’obstacle ni même se tenir entre des môles. Je n’ai plus rien à faire là-dedans, donc il faut que je m’en aille et, pour m’en aller, je n’ai pas d’autre formule que de faire le peuple français juge lui-même de son destin (p.112). »

On répète parce que c’est merveilleux :

« Je n’ai plus rien à faire là-dedans, donc il faut que je m’en aille et, pour m’en aller, je n’ai pas d’autre formule que de faire le peuple français juge lui-même de son destin. »

Allez, on se rassure : l’héritier Debré fit 1% des voix aux présidentielles de 1981.

md31460760742.jpgC’est Douglas Reed, l’auteur de la Controverse de Sion qui avait dit une très bonne chose sur la France après l’opération tragi-comique de Suez en 56 : c’est la terre du fiasco récurrent.

 « La France n’avait pas plus à perdre, malheureusement, que la dame dans la chanson de soldat qui « avait encore oublié son nom » : par sa révolution, la France restait la terre du fiasco récurrent, à jamais incapable de se relever de l’abattement spirituel où elle se trouvait. Pendant 160 ans, elle essaya toutes les formes de gouvernement humainement imaginables et ne trouva de revigoration et de nouvelle assurance dans aucune. »

Et en route pour un énième front républicain des gauchistes au service du pouvoir financier…

Sources principales :

https://www.dedefensa.org/article/tocqueville-et-gobineau...

https://www.dedefensa.org/article/debre-et-le-general-fac...

Cliquer pour accéder à Douglas%20Reed%20-%20La%20Controverse%20de%20Sion.pdf

https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/europeenn...

 

mercredi, 22 mai 2024

Athènes et Sparte

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Athènes et Sparte

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/atene-e-sparta/

J'ai toujours pensé, et je continue à penser, que la guerre du Péloponnèse représente un modèle, un paradigme, éternellement valable pour comprendre les relations et les conflits entre les puissances.

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Ce n'est pas une grande idée, d'ailleurs. D'éminents politologues se sont toujours penchés avec un intérêt particulier sur le conflit entre Athènes et Sparte afin de mieux comprendre les comparaisons et les affrontements entre les puissances contemporaines. De Carl Schmitt à McKinder en passant par Haushofer, ils y ont vu l'éternel affrontement entre la Terre et la Mer. Entre des puissances éminemment mercantiles et thalassocratiques, et d'autres articulées sur la Terre et fondées sur la force des hommes.

Jusqu'à Donald Kagan. Qui, soit dit en passant, est le père de Robert et Frederich, deux des idéologues néocons les plus actifs. Très écoutés par l'administration Biden. Notamment parce que Robert est le mari de Victoria Nuland.

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Donald Kagan, à Yale, a consacré une grande partie de sa vie universitaire à l'étude de la guerre du Péloponnèse. Un travail monumental. Totalement, ou presque, centré sur un point précis. Pourquoi, à la fin, Athènes, l'Athènes démocratique, puissance mercantile et thalassocratique, a-t-elle perdu ? Pourquoi a-t-elle été vaincue par Sparte ?

La question, bien sûr, n'était pas purement académique. Les États-Unis se sont presque toujours considérés comme la nouvelle Athènes. Et, en effet, ils présentent toutes les caractéristiques d'une puissance thalassocratique. Celle-ci tend à contrôler le commerce et les routes commerciales. Et à brouiller les cartes, pour empêcher d'autres, une puissance d'un autre style, une nouvelle Sparte, d'unifier, et de contrôler, la Terre.

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Se demander, comme le faisait le vieux Kagan, pourquoi Athènes a perdu contre Sparte, c'était se demander quelles erreurs Washington devait éviter pour réussir à vaincre l'URSS.

Les choses se sont alors déroulées comme nous le savons tous. La puissance économique, le soft power des États-Unis, a mis à genoux une puissance soviétique épuisée. Avec des dirigeants vieux et fatigués. Et l'URSS a implosé en plusieurs fragments. La partie a été considérée comme terminée.

L'effondrement de l'URSS n'a cependant pas signifié la fin de la Russie. Celle de l'idéologie soviétique, bien sûr, qui, soit dit en passant, était déjà une sorte de cadavre. Mais la Russie est autre chose. Une réalité géopolitique avec laquelle il fallait tôt ou tard composer.

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Et aujourd'hui, le Grand Jeu a repris. Sans l'affrontement idéologique qui l'avait couvert, ou du moins voilé, dans un passé récent. Car, à moins d'avoir les oreilles bouchée à l'émeri, il est évident qu'il n'y a plus de conflit entre l'idéologie marxiste-léniniste et la démocratie libérale. Et d'ailleurs, la réalité d'aujourd'hui conduit à penser que, même dans le passé, cette antithèse ne servait qu'à masquer la dure réalité. Un jeu entre puissances. Entre terre et mer. Comme à l'époque d'Athènes et de Sparte.

Mais aujourd'hui, Sparte n'existe plus.

La Russie, bien sûr. La grande puissance qui s'étend entre l'Europe et l'Asie, la rivale de toujours de Londres d'abord, de Washington aujourd'hui.

Mais en arrière-plan, l'affrontement avec la Chine se dessine de plus en plus clairement. Cette dernière, d'économique qu'elle était, devient de plus en plus menaçante sur le plan stratégique. Et dans un avenir proche, facilement, cet affrontement glissera vers la dimension militaire.

Et puis il y a l'Inde. Un autre géant économique et démographique. Dont la puissance militaire est en pleine croissance. Et qui, malgré la politique prudente de Modi, commence à agacer de plus en plus les Etats-Unis. A tel point que, cette semaine encore, l'administration Biden est allée jusqu'à menacer Delhi de sanctions. Si elle ne rompt pas sa coopération avec Téhéran pour la construction d'un grand port et d'une plate-forme commerciale à Chabahar. Une menace à laquelle l'Inde a répondu par un silence très... significatif.

Trop de Sparte pour une seule Athènes. Qui ne se rend manifestement pas compte qu'elle est de plus en plus isolée. Cécité... dangereuse. et, d'une certaine manière, folie arrogante.

Cette même arrogance qui, selon Thucydide, a poussé les dieux à abandonner Athènes.

lundi, 20 mai 2024

La révolution ratée de Karl Polanyi

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La révolution ratée de Karl Polanyi

L'ordre mondial libéral s'effondre à nouveau

par Thomas Fazi

Source: https://www.sinistrainrete.info/neoliberismo/28032-thomas...

Peu de penseurs du 20ème siècle ont eu une influence aussi durable et profonde que Karl Polanyi. « Certains livres refusent de disparaître : ils sont rejetés par le vent, mais émergent à nouveau et restent à flot », observait Charles Kindleberger, historien de l'économie, à propos de son chef-d'œuvre The Great Transformation (La grande transformation). Cela reste plus vrai que jamais, 60 ans après la mort de Polanyi et 80 ans après la publication du livre. Alors que les sociétés continuent de se débattre avec les limites du capitalisme, le livre reste sans doute la critique la plus acerbe du libéralisme de marché jamais écrite.

Né en Autriche en 1886, Polanyi a grandi à Budapest dans une famille bourgeoise germanophone et prospère. Bien que cette dernière soit nominalement juive, Polanyi s'est rapidement converti au christianisme ou, plus précisément, au socialisme chrétien. Après la fin de la Première Guerre mondiale, il s'installe dans la Vienne « rouge », où il devient rédacteur en chef de la prestigieuse revue économique Der Österreichische Volkswirt (L'économiste autrichien), et l'un des premiers critiques de l'école économique néolibérale, ou « autrichienne », représentée notamment par Ludwig von Mises et Friedrich Hayek. Après la conquête de l'Allemagne par les nazis en 1933, les opinions de Polanyi ont été socialement ostracisées et il a déménagé en Angleterre, puis aux États-Unis en 1940. Il écrit La grande transformation alors qu'il enseignait au Bennington College dans le Vermont.

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Polanyi a entrepris d'expliquer les transformations économiques et sociales massives dont il avait été témoin au cours de sa vie: la fin du siècle de « paix relative » en Europe, de 1815 à 1914, et la descente subséquente dans la tourmente économique, le fascisme et la guerre, qui était toujours en cours au moment de la publication du livre.

Il attribue ces bouleversements à une cause fondamentale : la montée du libéralisme de marché au début du 19ème siècle - la conviction que la société peut et doit être organisée par des marchés autorégulés. Pour lui, cela ne représentait rien de moins qu'une rupture ontologique avec une grande partie de l'histoire de l'humanité. Avant le 19ème siècle, insistait-il, l'économie humaine avait toujours été « encastrée » dans la société: elle était subordonnée à la politique locale, aux coutumes, à la religion et aux relations sociales. La terre et le travail, en particulier, n'étaient pas traités comme des marchandises, mais comme des parties d'un tout articulé: la vie elle-même.

En postulant la nature supposée « autorégulatrice » des marchés, le libéralisme économique a renversé cette logique. Non seulement il séparait artificiellement la « société » et « l'économie » en deux sphères distinctes, mais il exigeait également la subordination de la société, de la vie elle-même, à la logique du marché autorégulateur. Pour Polanyi, cela « ne signifie rien d'autre que le fonctionnement de la société en plus du marché ». Au lieu d'intégrer l'économie dans les relations sociales, les relations sociales sont intégrées dans le système économique ».

La première objection de Polanyi était d'ordre moral et était inextricablement liée à ses convictions chrétiennes: il est tout simplement erroné de traiter les éléments organiques de la vie - les êtres humains, la terre, la nature - comme des marchandises, des biens produits pour la vente. Un tel concept viole l'ordre « sacré » qui a régi les sociétés pendant la majeure partie de l'histoire de l'humanité. « Inclure [le travail et la terre] dans le mécanisme du marché revient à subordonner la substance même de la société aux lois du marché », affirmait Polanyi. En ce sens, il était ce que nous pourrions appeler un « socialiste conservateur »: il s'opposait au libéralisme de marché non seulement pour des raisons de répartition, mais aussi parce qu'il « s'attaquait au tissu social », en brisant les liens sociaux et communautaires et en générant des formes d'individus atomisés et aliénés.

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Cela renvoie au deuxième niveau de l'argumentation de Polanyi, qui était plus pratique: les libéraux de marché auraient pu vouloir séparer l'économie de la société et créer un marché totalement autorégulé, et ils ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour y parvenir, mais leur projet était toujours voué à l'échec. Un tel projet ne pouvait tout simplement pas exister. Comme il l'écrit au début de son livre: « Notre thèse est que l'idée d'un marché qui s'ajuste de lui-même implique une utopie grossière. Une telle institution ne pourrait exister longtemps sans anéantir la substance humaine et naturelle de la société; elle détruirait physiquement l'homme et transformerait son environnement en désert ».

Les êtres humains, selon Polanyi, réagiront toujours aux conséquences sociales dévastatrices des marchés débridés et lutteront pour re-subordonner l'économie, dans une certaine mesure, à leurs besoins matériels, sociaux et même « spirituels ». C'est la source de son argument du « double mouvement » : puisque les tentatives de séparer l'économie de la société suscitent inévitablement une résistance, les sociétés de marché sont constamment façonnées par deux mouvements opposés. Il y a le mouvement d'expansion constante du marché et le mouvement opposé qui résiste à cette expansion, en particulier en ce qui concerne les marchandises « fictives », principalement le travail et la terre.

    « Les tentatives visant à séparer l'économie de la société suscitent inévitablement des résistances ».

Cela conduit au troisième niveau de la critique de Polanyi, qui démonte la vision libérale orthodoxe de l'essor du capitalisme. C'est précisément parce que l'économie de marché n'a rien de naturel, qu'elle est en fait une tentative de bouleverser l'ordre naturel des sociétés, qu'elle ne peut jamais émerger spontanément, ni s'autoréguler. Au contraire, l'État était nécessaire pour imposer les changements dans la structure sociale et la pensée humaine qui permettraient une économie capitaliste compétitive. La séparation proclamée entre l'État et le marché est une illusion, a déclaré Polanyi. Les marchés et le commerce des marchandises font partie de toutes les sociétés humaines, mais pour créer une « société de marché », ces marchandises doivent être soumises à un système plus large et plus cohérent de relations de marché. Cela ne peut se faire que par la coercition et la réglementation par l'État.

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« Le laissez-faire n'a rien de naturel ; les marchés libres n'auraient jamais pu voir le jour en laissant les choses suivre leur cours », écrit-il. « Le laissez-faire a été planifié... [il a été] imposé par l'État ». Polanyi faisait référence non seulement à « l'énorme augmentation de l'interventionnisme continu, organisé et contrôlé par l'État », nécessaire pour appliquer la logique du marché, mais aussi à la nécessité de la répression étatique pour contrer la réaction inévitable - le contre-mouvement - de ceux qui supportent les coûts sociaux et économiques de la perturbation: les familles, les travailleurs, les agriculteurs et les petites entreprises exposés aux forces perturbatrices et destructrices du marché.

En d'autres termes, le soutien des structures étatiques - pour protéger la propriété privée, contrôler les relations mutuelles entre les différents membres de la classe dirigeante, fournir des services essentiels à la reproduction du système - était la condition politique préalable au développement du capitalisme. Pourtant, paradoxalement, la nécessité du libéralisme de marché pour le fonctionnement de l'État est aussi la principale raison de son attrait intellectuel durable. C'est précisément parce qu'il ne peut y avoir de marchés purement autorégulateurs que ses défenseurs, tels que les libertariens contemporains, peuvent toujours affirmer que les échecs du capitalisme sont dus à l'absence de marchés véritablement « libres ».

Pourtant, même les ennemis idéologiques de Polanyi, les néolibéraux comme Hayek et Mises, étaient bien conscients que le marché autorégulateur était un mythe. Comme l'a écrit Quinn Slobodian, leur objectif n'était pas de libérer les marchés mais de les protéger, de vacciner le capitalisme contre la menace de la démocratie, en utilisant l'État pour séparer artificiellement l'« économique » du « politique ». En ce sens, le libéralisme de marché peut être considéré comme un projet politique autant qu'économique : une réponse à l'entrée des masses dans l'arène politique à partir de la fin du 19ème siècle, à la suite de l'extension du suffrage universel - une évolution à laquelle la plupart des libéraux militants de l'époque s'opposaient avec véhémence.

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Ce projet a été poursuivi non seulement au niveau national, mais aussi au niveau international, par la création de l'étalon-or, qui était une tentative d'étendre la logique du marché prétendument autorégulé (mais en réalité imposé) aux relations économiques entre les pays. Il s'agissait d'une des premières tentatives mondialistes visant à marginaliser le rôle des États-nations - et de leurs citoyens - dans la gestion des affaires économiques. L'étalon-or subordonnait effectivement les politiques économiques nationales aux règles inflexibles de l'économie mondiale. Mais il protégeait également le domaine économique des pressions démocratiques qui se développaient à mesure que le suffrage se répandait en Occident, tout en offrant un outil très efficace pour réguler le travail.

Cependant, l'étalon-or a imposé des coûts si importants aux sociétés, sous la forme de politiques déflationnistes destructrices, que les tensions créées par le système ont fini par imploser. Nous avons d'abord assisté à l'effondrement de l'ordre international en 1914, puis à nouveau à la suite de la Grande Dépression. Cette dernière a déclenché le plus grand contre-mouvement antilibéral que le monde ait jamais connu, les nations cherchant différents moyens de se protéger des effets destructeurs de l'économie mondiale « autorégulée », allant même jusqu'à embrasser le fascisme. En ce sens, selon Polanyi, la Seconde Guerre mondiale a été une conséquence directe de la tentative d'organiser l'économie mondiale sur la base du libéralisme de marché.

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La guerre était toujours en cours lorsque le livre a été publié. Pourtant, Polanyi reste optimiste. Il pensait que les transformations violentes qui avaient secoué le monde au cours du siècle précédent avaient préparé le terrain pour l'ultime « grande transformation »: la subordination des économies nationales et de l'économie mondiale à la politique démocratique. Il appelait ce système le « socialisme », mais sa compréhension du terme différait considérablement du marxisme traditionnel. Le socialisme de Polanyi n'était pas seulement la construction d'une société plus juste, mais « la poursuite de cet effort pour faire de la société une relation typiquement humaine entre les gens, relation qui, en Europe occidentale, a toujours été associée aux traditions chrétiennes ». En ce sens, il a également mis l'accent sur le « caractère territorial de la souveraineté » - l'État-nation - comme condition préalable à l'exercice d'une politique démocratique.

Selon Polanyi, un rôle accru du gouvernement ne doit pas nécessairement prendre une forme oppressive. Au contraire, il affirmait que libérer les êtres humains de la logique tyrannique du marché était une condition préalable pour « atteindre la liberté non seulement pour quelques-uns, mais pour tous » - la liberté pour les gens de commencer à vivre plutôt que de se contenter de survivre. Les régimes de capitalisme social et de social-démocratie mis en place après la Seconde Guerre mondiale, bien qu'ils soient loin d'être parfaits, ont représenté un premier pas dans cette direction. Ils ont partiellement démarchandisé le travail et la vie sociale et créé un système international qui a facilité des niveaux élevés de commerce international tout en protégeant les sociétés des pressions de l'économie mondiale. En termes polanyiens, l'économie a été, dans une certaine mesure, « réintégrée » dans la société.

Mais cela a fini par générer un autre contre-mouvement, cette fois de la part de la classe capitaliste. Depuis les années 1980, la doctrine du libéralisme de marché a été ressuscitée sous la forme du néolibéralisme, de l'hypermondialisation et d'une nouvelle attaque contre les institutions de la démocratie nationale, le tout avec le soutien actif de l'État. Pendant ce temps, en Europe, une version encore plus extrême de l'étalon-or a été créée: l'euro. Les économies nationales ont à nouveau été contraintes de s'enfermer dans une camisole de force. Tout comme les précédentes itérations du libéralisme de marché, cet ancien et nouvel ordre a appauvri les travailleurs et dévasté notre capacité industrielle, nos services publics, nos infrastructures vitales et nos communautés locales. Polanyi aurait affirmé qu'un retour de bâton était inévitable - et c'est d'ailleurs ce qui s'est produit depuis la fin des années 2010, bien que même les soulèvements populistes de la dernière décennie n'aient pas réussi à remplacer le système par un nouvel ordre.

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Le résultat est que, comme il y a un siècle, les contradictions inhérentes à l'« ordre libéral international » conduisent à nouveau à l'effondrement du système et à une escalade dramatique des tensions internationales. Si Polanyi vivait aujourd'hui, il ne serait probablement pas aussi optimiste qu'il l'était lorsqu'il a publié son livre. Nous sommes certainement au milieu d'une nouvelle « grande transformation », mais l'avenir qu'il annonce ne pourrait être plus éloigné de l'ordre international démocratique et coopératif qu'il envisageait.

A propos de l'auteur : Thomas Fazi est chroniqueur et traducteur pour UnHerd. Son dernier livre est The Covid Consensus, coécrit avec Toby Green.

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Darya Douguina: Le platonisme politique de l'empereur Julien

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Le platonisme politique de l'empereur Julien

Daria Douguina

Source: https://www.geopolitika.ru/el/article/o-politikos-platonismos-toy-aytokratora-ioylianoy

Résumé

Cet article traite de la réalisation de la philosophie politique du néoplatonisme de l'empereur Flavius Claudius Julianus. Son règne n'était pas une tentative de restauration ou de rétablissement du paganisme, mais plutôt une tentative d'établir une métaphysique et des thèmes religieux entièrement nouveaux, qui ne cadraient ni avec le christianisme, qui n'avait pas encore acquis une plate-forme politique solide, ni avec le paganisme, qui perdait rapidement son pouvoir d'antan. La catégorie centrale de la philosophie politique de Julien est l'idée d'un « médiateur », le « Roi-Soleil », qui incarne une forme et une fonction métaphysiquement nécessaires pour le monde, à l'instar du « philosophe-gemon » de Platon, qui relie les mondes intelligible et matériel.

Selon le principe platonicien de l'homologie du métaphysique et du politique, Julien voit le Soleil comme un élément de la hiérarchie universelle, assurant le lien entre le monde intelligible et le monde matériel, ainsi que la figure politique du dirigeant, le roi, qui, dans la philosophie politique de Julien, devient le traducteur des idées. Julien devient le traducteur des idées dans le monde non éclairé, qui est éloigné de l'Un.

L'objectif principal de cet article est de reconstruire la philosophie politique de l'empereur Julien et de trouver sa place dans le paysage de l'enseignement néoplatonicien. Le règne court mais illustre de Julien fut une tentative de construire une Platonopolis universelle basée sur les principes de l'État de Platon. Nombre des principes développés dans la philosophie politique de Julien seront finalement absorbés par le christianisme, remplaçant l'édifice croulant de l'antiquité.

Introduction

Les historiens du platonisme tardif adoptent souvent l'approche selon laquelle le néoplatonisme n'inclurait pas le niveau politique dans sa sphère d'intérêt et serait exclusivement contemplatif, se concentrant sur l'Un apophatique (En), la hiérarchie des émanations et les pratiques théurgiques. Ce point de vue est soutenu, en particulier, par l'historien allemand du platonisme, Ehrhardt [Ehrhardt, 1953]. Cette position est critiquée à plusieurs reprises dans Platonopolis : Platonic Political Philosophy in Late Antiquity de Dominic O'Meara [O'Meara, 2003]. L'empereur Julien (331 ou 332-363), qui a non seulement proposé une version développée de la théorie politique néoplatonicienne, mais a également pris un certain nombre de mesures décisives en vue de son application pratique dans l'administration de l'empire, est l'un des arguments décisifs à cet égard.

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Partie principale

L'empereur Flavius Claudius Julianus, représentant de l'école néoplatonicienne de Pergame, est l'image d'un platonicien qui a non seulement réfléchi à la nécessité pour un philosophe d'être un homme politique, mais qui a également été, pendant une période brève mais très vivante, en tant qu'empereur de l'Empire romain, un empereur qui a incarné dans sa propre forme le projet politique de l'État idéal de Platon. Cette combinaison d'un culte élevé de la vie contemplative et d'un service politique est rare (il y a eu très peu d'hégémons philosophes dans l'histoire de l'Empire romain - l'un d'entre eux étant Marc Aurèle, un penseur qui, à bien des égards, a inspiré Julien). « Les rêveurs de ce genre se trouvent rarement parmi les princes : c'est pourquoi nous devons l'honorer [l'empereur Julien] », [Duruy, 1883] - observe l'historien français Victor Duruy. Une différence frappante par rapport à ses prédécesseurs serait son obsession très réelle pour la philosophie, dont l'expression la plus élevée était, aux yeux de Julien lui-même, les enseignements néoplatoniciens. Le jeune empereur est particulièrement fasciné par Jamblique (245/280 - 325/330), un représentant de l'école syrienne du néoplatonisme. L'école de Pergame, dont Julien était lui-même issu, était une sorte de ramification de l'école syrienne, et Jamblique y était considéré comme une autorité incontestée.

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Pour Julien, Jamblique était le modèle du « secret et de la perfection » [Julien, 2016], et il trouvait dans ses écrits « la seule sagesse parfaite que l'homme puisse découvrir ». Cependant, le biographe de Julien, Jacques Benoist-Méchin [Benoist-Méchin, 2001], observe que Julien ne se contente pas de reprendre et de reproduire les enseignements de Jamblique, mais qu'il les complète et les développe, en élaborant la doctrine de l'élément médian (« monde intermédiaire »), le Roi Soleil (en trois dimensions), détaillant ainsi le paysage métaphysique de la philosophie néoplatonicienne.

L'hypostase la plus élevée du Soleil était le Soleil apophatique, identique à l'Un (En) de Plotin. Le Soleil intermédiaire était la Lumière métaphysique, qui relie les mondes perçus mentalement (noétiques) à l'univers. Enfin, le troisième aspect du Soleil était le Soleil du monde corporel visible, qui représentait la limite inférieure des émanations du Principe absolu.

Pour Julien, la question de la connexion entre le monde théorique et le monde matériel (c'est-à-dire le problème du « Soleil du milieu ») devient la question principale. Il y cherche une réponse à la fois ontologique et politique. Pour lui, comme pour tout platonicien, les niveaux politique et ontologique sont liés et homologues. Le médiateur, le Soleil pour Julien, est une figure à la fois métaphysique et politique, le roi (à propos du Soleil, Julien utilise les noms - roi -  seigneur - lord, et les verbes garder - je suis gardien, seigneur, et diriger/conduire - je gère, je dirige, j'avance). Les parallèles entre le Soleil et la figure du souverain imprègnent l'ensemble de l'hymne « Au Roi-Soleil ». Par exemple : "Le Soleil est l'un des hommes les plus importants et les plus puissants de l'humanité". « Les planètes mènent autour de lui [le Soleil] une danse ronde, gardant leurs distances, comme autour de leur roi » [Julian, 2016]. Tout comme le Soleil, le dieu Soleil, agit comme un traducteur d'idées dans le monde sensuel, l'empereur-philosophe est le compagnon, l'escorte du roi Soleil. Il est le « compagnon » (suiveur) que Julien appelle lui-même au début de l'hymne [ibid]. Dans chaque souverain, note Julien dans son traité « Sur les actes du souverain et du royaume », il doit y avoir « un serviteur et un voyant du roi des dieux [Hélios] ». [C'est également du roi Hélios que proviennent la sagesse et la connaissance, ainsi que la substance, adoptées par Athéna, la déesse patronne de la ville et des États: dans la conception de Julien, le Soleil apparaît également comme le fondateur de Rome : Julien prend pour preuve le mythe selon lequel l'âme de Romulus est descendue du Soleil.  « L'étroite convergence du Soleil et de la Lune <...> a rendu possible la descente de son âme sur terre et son ascension de la terre après la destruction de la partie mortelle de son corps par le feu de la foudre » [ibid.].

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L'unité de la Lumière conçue métaphysiquement, symbolisée par le Soleil, imprègne tout le système de la philosophie de Julien. Selon la vision néoplatonicienne, l'unité est toujours apophatique et ne peut être atteinte que tangentiellement. La forme la plus élevée de l'unité est accessible par l'unité, par la communion avec l'Un. Ainsi, l'univers semble concentré, attiré par l'Un, mais sans jamais l'atteindre. Par ailleurs, le statut suprême du Roi-Soleil chez Julien est apophatique. La nature de la lumière provient de cette obscurité apophatique du Soleil invisible et de là, elle imprègne tous les autres niveaux de la création. L'État, compris comme un empire, c'est-à-dire le rassemblement de la multitude des peuples dans l'unité, est un genre. Il n'est pas l'unité elle-même ni la Lumière elle-même, mais la volonté de l'atteindre, le mouvement vers elle. De même que l'âme ou l'essence du roi descend des sphères supérieures, de même le royaume lui-même tend vers le roi comme source, ce qui donne à la politique sa grâce générative.

Julien s'est fixé la tâche presque impossible de réaliser l'idéal platonicien du roi philosophe dans le contexte de l'Empire romain réel du 4ème siècle, au milieu de la puissance et de l'influence toujours croissantes du christianisme, pour devenir le « compagnon » du Soleil, qui serait le garant de la justice (droiture). « Son principal moteur était un sens des responsabilités aussi fort que celui du philosophe sur le trône, Marc Aurèle, que le philosophe idolâtrait. » [Zalinsky, 2016].

Pendant l'année et demie de son règne impérial (et avant d'être César en Gaule pendant plusieurs années), Julien, guidé par les principes de la politique platonicienne (comme le note à juste titre Walter Hyde, « Julien mettait la théorie platonicienne en pratique » [Hyde, 1843]), il tenta d'harmoniser le système politique avec l'idéal philosophique fixé par la tradition philosophique platonicienne [Athanasiadis, 1981], et y parvint en partie.

Un homme politique accompli apparaît également comme un chef militaire doué (brillantes victoires en Gaule sur les Germains, commandement efficace de l'armée jusqu'à sa mort - jusqu'à la bataille finale contre les Perses, au cours de laquelle l'empereur fut tué), et un réformateur radical de la foi païenne, qui perdait de sa force face à l'avènement de la nouvelle religion chrétienne, encore obscure (à l'époque, elle était fragmentée par d'innombrables sectes, rameutant des foules qui se battaient violemment entre elles). Julien n'était pas seulement un souverain laïc, il essayait aussi d'incarner l'image idéale du philosophe-roi dans sa vision ontologique - universelle - du monde, en stricte conformité avec les lois symboliques du néoplatonisme. La tolérance religieuse affichée par Julien reposait également sur des convictions philosophiques profondes. Il ne s'agit pas d'un simple rejet de la christianisation de l'empire au profit de la laïcité, ni même d'une substitution d'une religion à une autre. Dans la pensée de Julien, la foi, la religion, le pouvoir - le domaine de l'opinion (la gloire) - doivent être subordonnés à l'autorité suprême, le roi de l'univers, « celui autour duquel tout est ». Mais cette soumission ne pouvait être formelle, car toute la structure hiérarchique de l'autorité souveraine - le Roi-Soleil - était ouverte par le haut, c'est-à-dire générationnelle. Dans la structure de la philosophie néoplatonicienne, on ne peut être sûr que d'un mouvement vers l'Un, mais pas de l'Un lui-même, qui est inatteignable. Par conséquent, le modèle politique de Julien représentait le début d'un « empire ouvert », où l'impératif était la poursuite de la sagesse, mais pas la sagesse elle-même, parce qu'en fin de compte elle ne pouvait être incorporée dans aucun ensemble de doctrines - non seulement chrétiennes, mais aussi païennes. Mais la conclusion de cette ouverture était à l'opposé des tendances séculaires de l'ère moderne : la sainteté et le principe de la lumière doivent prévaloir, et c'est l'impératif de la philosophie politique de Julien, sauf que cette règle ne peut être fixée dans des lois immuables. Le sens de la Lumière, c'est qu'elle est vivante. Et donc l'empire ouvert et son souverain doivent être vivants. C'est ici que le sens même de la philosophie, son sens le plus profond, est rétabli. La philosophie est l'amour de la sagesse, le mouvement vers elle. C'est la recherche de la Lumière, pour servir le Roi Soleil, pour l'accompagner. Mais si l'on formalise cette sagesse, ce n'est plus de la philosophie, c'est du sophisme. C'est sans doute ce qui éloigne Julien du christianisme. S'enfermant dans une doctrine stricte, l'agenouillement de l'empire ouvert... est remplacé par un code aliéné, et l'empire se ferme ainsi par le haut, perdant sa sainteté globale au profit d'une seule version possible de la religion. Le domaine de l'opinion (la gloire) est consciemment le domaine du relatif, du contingent. Il doit être orienté en direction du Soleil, auquel cas l'opinion devient orthodoxie (ortho-glorieuse), « opinion juste », mais qui n'est encore qu'une opinion.

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Ce qui est intéressant dans le destin de Julien, c'est qu'il n'avait pas d'ambition particulière pour le pouvoir, qu'il s'occupait surtout de philosophie et qu'il était impressionné par les rituels de nature théurgique. Julien était avant tout un philosophe et ce n'est qu'en raison de la fatalité du destin, des présages et de la voie choisie pour lui par le souverain Hélios. Dans son « éloge de Julien », Livanius observe : « il ne cherchait pas la domination, mais la prospérité des cités » [Libanius, 2014], et plus tôt, l'orateur note que s'il y avait eu un autre candidat au trône à l'époque de Julien qui aurait pu revitaliser l'hellénisme, Julien aurait « constamment évité le pouvoir ». Julien était un philosophe, condamné par la Divine Providence à la descente, à la réprobation, et sa mission avait donc un caractère créatif et sotériologique. Il était condamné à devenir un souverain en raison de sa nature philosophique, un compagnon du Soleil.

La « place médiane » du Soleil, dont nous avons parlé plus haut, son leadership correspond à la position du philosophe-roi dans l'état idéal. Comme le Soleil, dans sa propre activité créatrice, qui crée ou orne de nombreuses espèces ("car une espèce (eidos), il l'a perfectionnée, d'autres, il les a produites, d'autres encore, il les a ornées, d'autres, enfin, il les a éveillées [dans la vie et l'identité], de sorte qu'il n'y a pas d'espèces (eidoi) qui ne soient pas des espèces dans la vie et l'identité, de sorte qu'il n'y a pas une seule chose qui, en dehors de la puissance créatrice émanant du Soleil, ait pu surgir ou naître » [Julian, 2016]); le philosophe donne aux possessions leur juste démarcation. Lui, « l'intermédiaire », est le passeur de la connaissance véritable de la nature secrète des choses et l'organisateur de l'ordre sur la base de cette connaissance véritable. Le Soleil y est également associé par Julien à Apollon (1), qui a établi sur toute la terre des divinations qui donneront aux hommes la vérité divinement inspirée. L'empereur croit également que le Soleil-Apollon est le géniteur du peuple romain, ce qui ajoute à la doctrine politique de Julien le statut de « sélection divine » des Romains.

Le Soleil-Zeus apparaît également comme le détenteur de l'autorité royale. Et même le dieu des mystères nocturnes Dionysos, qui devient chez Julien une autre incarnation du Soleil, le Soleil-Dionysos, est interprété comme une continuation du même principe directeur au plus profond des mondes matériels. Zeus, Apollon et Dionysos, selon Julien, marquent les trois moments du demi-dieu politique qu'est le souverain parfait. En tant que Zeus, il gouverne le monde. En tant qu'Apollon, il rédige les lois et fait respecter l'axe vertical sacré dans l'empire solaire. En tant que Dionysos, il protège les religions, les cultes et les arts, supervise les mystères et ordonne les liturgies.

Certains éléments suggèrent que l'image du Soleil médiateur a tellement impressionné l'empereur que, lorsqu'il a réformé l'armée, il a remplacé l'inscription chrétienne sur les armoiries impériales, « En Tuto Nika », par une inscription mithriaque « Sol invictus ». Il est évident que l'image de Mithra est prise ici comme une métaphore philosophique, et non comme une indication que c'est le mithraïsme qui a inspiré les réformes politico-religieuses de Julien. Sol Invictus est le Roi-Soleil lui-même dans sa nature originelle généralisée. Il pourrait servir de dénominateur commun aux différentes images religieuses - dans l'esprit de la synthèse néoplatonicienne ou de celle du néoplatonicien Proclus qui l'appellera plus tard « théologie platonicienne » [Proclus, 2001].

Dans le cas de cette substitution de Sol Invictus à In hoc signo vinci, qui est parfois interprétée comme l'exemple le plus clair de « restauration païenne », nous pouvons voir autre chose: non pas la substitution d'un culte à un autre, mais l'invocation d'une source philosophique commune à diverses religions et croyances. De même que l'empire rassemble les peuples et les royaumes, une sainteté impériale totale élève toutes les formes privées à une source généalogique. Après tout, la croix est aussi un symbole solaire et, dans l'emblème impérial, elle était étroitement associée à l'épisode de la victoire militaire et à l'épanouissement politique de Rome sous Constantin.

Conclusion

L'ère julienne a été une tentative de construction d'un empire mondial - une Platonopolis: En véritable platonicien, il tente de couvrir et de réformer tous les domaines - religieux (2) (introduction des rites de pénitence, de la charité, moralisation par Julien des cultes païens officiels, décret de tolérance), dans la vie du palais (rationalisation du personnel de la cour, invitation de philosophes, rhéteurs et prêtres nobles au palais, rétablissement du Sénat dans sa position et son autorité antérieures) et dans l'économie (rétablissement du droit civil des municipalités de percevoir des impôts au profit des cités). Mais le cours de l'histoire était déjà prédéterminé. Le christianisme, tout en reprenant certains éléments de l'hellénisme (notamment en incorporant la doctrine de la royauté platonicienne et en assimilant les meilleurs éléments de la mystique et de la théologie néoplatoniciennes), démolit irrémédiablement l'édifice croulant de l'antiquité.

L'historien Inge observe que Julien « a été conservateur quand il n'y avait plus rien à conserver » [Inge, 1900]. L'époque de Julien est révolue et un nouveau souverain vient au monde. Désormais, la sainteté impériale et la mission métaphysique de l'empereur étaient interprétées dans un contexte chrétien étroit - comme la figure du possesseur (possessor), le « conservateur/katechon », dont la sémantique était déterminée par la structure de l'eschatologie chrétienne, où l'empereur orthodoxe, tel qu'interprété par Jean Chrysostome, était considéré comme le principal obstacle à l'avènement de l'Antéchrist. Mais même dans cette notion de « possesseur », on peut voir de lointains échos de l'ontologie politique du Roi-Soleil, puisque dans le monde byzantin, l'empire devient également un phénomène métaphysique et acquiert ainsi un caractère philosophique. Mais il s'agit désormais d'une version essentiellement réduite du platonisme politique, plus privée et dogmatiquement définie par la portée universelle de la philosophie politique de l'empereur Julien.

Notes:

(1) Dans la « Politeia » de Platon, Apollon occupe également une position centrale : c'est lui qui est identifié dans le livre IV comme le seul véritable législateur. Les lois de l'État idéal, selon Socrate, doivent être promulguées non pas sur la base de « capacités préexistantes » ou de la volonté unique d'un individu, mais sur la base d'un principe divin transcendant. Ainsi, les lois de l'État peuvent être comprises comme des prophéties delphiques qui, dans l'image d'un État idéal, auraient le monopole de l'interprétation par le philosophe-roi.

(2) La religion païenne s'est considérablement affaiblie au quatrième siècle. Zelinsky, dans son ouvrage « L'Empire romain », note qu'à l'époque de Julien, « la vue du plus grand temple du monde antique, le temple d'Apollon à Delphes, provoquait la consternation ». « Julien, désireux d'entendre la voix des oracles de Delphes, y envoya ses oracles, la dernière Pythie se montrant digne de ses prédécesseurs. La réponse fut triste :

«Είπατε τω βασιλήι , χαμαί πέσε δαίδαλος αυλά, Ουκέτι Φοίβος έχει καλύβαν ου μαντίδα δάφνην, ου παγάν λαλεούσαν, απέσβετο και λάλον ύδωρ» {stm. « Dis au roi : les riches cours ont été démolies, Phoebus n'a plus de hutte, ni de laurier de prophète, ni de fontaine qui gargouille, et l'eau méliorative a été battue », Nouvelle traduction grecque, N. Kazantzakis }

(Cité dans : Zelinsky F.F. Roman Empire. op. cit. p.425).

Bibliographie

Julien l'Apostat. M. : Molodaya gvardiya, 2001. 74 p.

Zelinsky F.F. L'Empire romain. Saint-Pétersbourg : Aelteia, 2016. 488 p.

Libanius. Discours. Saint-Pétersbourg : Quadrivium, 2014. volume I. 760 p.

Proclus. Théologie platonicienne. SPb : Letny Sad, 2001. 624 c.

Julien. La collection complète des créations. SPb : Quadrivium, 2016. 1088 c.

Athanassiadi P. Julian : An Intellectual Biography. Oxford : Clarendon Press, 1981. 245 p.

Bowersock G. Julian the Apostate, Londres, 1978. 152 p.

Duruy V. Annuaire de l'Association pour l'encouragement des études grecques en France // Revue des Études Grecques. 1883. vol. 17. p. 319-323.

Ehrhardt A. La philosophie politique du néo-platonisme // Mélanges V. Arangio-Ruiz, Naples, 1953.

Gardner A. Julian Philosopher and Emperor and the Last Struggle of Paganism Against Christianity, London : G.P. Putnam's Son, 1895. 464 p.

Hyde W. Emperor Julian // The classical weekly. 1843. Vol. 37. No. 3.

Inge W.R. The Permanent Influence of Neoplatonism upon Christianity // The American Journal of Theology. 1900. Vol. 4. No. 2.

O'Meara D.J. Platonopolis : Platonic Political Philosophy in Late Antiquity, Oxford : Clarendon Press, 2003. 264 p.

Veyne P. L'Empire Gréco-Romain, Paris : Seuil, 2005. 876 p.

Traduction éditée par Rigas Akraios

à partir d'ici : http://publishing-vak.ru/file/archive-philosophy-2018-2/4...

jeudi, 09 mai 2024

Sur le pantouranisme

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Sur le pantouranisme

Filip Martens

Touran était le nom que les peuples iraniens donnaient à l'Asie centrale dans l'Antiquité. Le pan-touranisme vise à réunir tous les peuples turcs et autres peuples altaïques en une seule unité politique et/ou culturelle sous le nom de Touran. Cette unité couvre une vaste région qui s'étend de la Turquie à l'océan Arctique, en passant par le Caucase, le nord-ouest de l'Iran et l'Asie centrale. Pour certains pan-turanistes, elle inclut également l'ancienne Europe ottomane du sud-est, ce qui témoigne clairement d'un irrédentisme.

L'émergence du pan-turanisme

Cette idéologie est apparue à la fin du siècle dernier parmi les officiers nationalistes ottomans et l'intelligentsia. Ils voulaient réunir tous les peuples turcs dans une entité politique s'étendant du Bosphore aux montagnes de l'Altaï. À partir de 1911 environ, le terme « Touran » a été utilisé pour englober tous les peuples turcs, c'est-à-dire y compris ceux qui se trouvaient en dehors du Touran historique (c'est-à-dire en Asie centrale).

Pendant la Première Guerre mondiale, l'élite nationaliste ottomane a propagé ce pan-touranisme parmi les peuples turcs de la Russie tsariste pour les inciter à se révolter et pour annexer le Caucase et l'Asie centrale.

Après la Première Guerre mondiale et la guerre d'indépendance turque qui s'ensuivit, Mustafa Kemal Atatürk fonda la république de Turquie. Il encourage le pan-touranisme pour remplacer l'identité ottomane-islamique de la population par une identité turco-laïque. Désormais, ce n'est plus la religion (l'islam sunnite) mais la nation qui doit assurer l'unité.

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Interdiction du pan-touranisme en URSS

Les peuples turcs représentent environ 10% de la population de la jeune URSS, ce qui en fait le deuxième groupe ethnique après les peuples slaves. Ils habitaient le « ventre mou » de l'URSS, c'est-à-dire les régions vulnérables du Caucase et de l'Asie centrale où se trouvaient de riches ressources pétrolières, notamment dans la région azerbaïdjanaise de Bakou et la région kazakhe d'Emba.

La révolution d'octobre a suscité le nationalisme et le séparatisme parmi les peuples turcs (et les autres peuples non russes) de l'URSS. La révolution a transformé l'empire russe centralisé en un État fédéral et a également conduit à la création d'une série de républiques soviétiques et de régions autonomes fondées sur des critères ethniques. La république kémaliste de Turquie, qui venait d'émerger de l'Empire ottoman moribond, a exercé un effet d'attraction sur les peuples turcs d'URSS. La Turquie a également manifesté un vif intérêt mutuel pour les « peuples frères » d'URSS.

Il n'est pas surprenant que le 10ème congrès du parti communiste de l'URSS, en 1921, ait condamné le pan-touranisme comme « une tendance au nationalisme démocratique bourgeois ». En raison de la menace que le pan-touranisme représentait pour l'URSS, la propagande soviétique en a fait une étiquette politique terrifiante. Le pan-touranisme a été l'accusation la plus couramment utilisée dans la répression sévère des élites des peuples turcs en URSS dans les années 1930.

Tentative allemande de balkanisation de l'URSS à l'aide du pan-touranisme

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Turquie est restée officiellement neutre, les guerres précédentes ayant entraîné des pertes territoriales considérables et d'énormes souffrances. Sur le plan idéologique, cependant, le national-socialisme allemand et le kémalisme turc présentent de fortes similitudes. En outre, l'Allemagne a été le principal partenaire commercial de la Turquie dans les années 1930. Le 18 juin 1941, quatre jours avant le début de l'opération Barbarossa, l'Allemagne et la Turquie signent un pacte de non-agression.

L'opération Barbarossa est une tentative allemande de destruction de la Russie. Cette invasion à grande échelle de l'URSS visait à l'éliminer en tant que superpuissance concurrente, en annexant certains pays et en en colonisant d'autres, en expulsant et en soumettant en partie la population, ainsi qu'en s'emparant des produits agricoles et des matières premières.

Bien que la Turquie n'ait jamais participé à la guerre, elle a d'abord travaillé en étroite collaboration avec l'Allemagne. La Turquie a fourni des renseignements et vendu de grandes quantités de chrome à l'Allemagne. La Turquie a également fourni un plan de propagande pan-turc, qui a été très utile à l'Allemagne dans les régions occupées de l'URSS. L'Allemagne a ainsi recruté des « Osttruppen » pour la Wehrmacht (environ 250.000 hommes) et pour la Waffen-SS (environ 8000 hommes) parmi les soldats soviétiques prisonniers de guerre, originaires des peuples turcs d'URSS.

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En échange, l'Allemagne promet de rendre indépendants les territoires habités par les peuples turcs en URSS. Ces États turcs feront partie de la sphère d'influence de la Turquie. Il n'est donc pas exagéré de dire que la Turquie était un « pays neutre de l'Axe » pendant la (première moitié de la) Seconde Guerre mondiale.

Ces bonnes relations entre l'Allemagne et la Turquie ont toutefois fait disparaître les bonnes relations entre la Turquie et l'URSS, qui remontaient à la guerre d'indépendance turque. L'URSS, alors nouvellement créée, avait fourni de grandes quantités d'armes et financé les forces kémalistes de Mustafa Kemal Atatürk.

Au cours de l'été 1942, alors que l'armée allemande avance vers Stalingrad et le Caucase, la Turquie considère la guerre avec l'URSS comme presque inévitable. Les Soviétiques ont mené une attaque ratée contre l'ambassadeur allemand en Turquie en février 1942 et ont également coulé le navire roumain SS Struma dans les eaux territoriales turques. L'armée turque positionne des centaines de milliers de soldats à la frontière orientale dans le but de s'emparer du Caucase du Sud, et en particulier des riches champs pétrolifères de Bakou.

1944 : Le pan-touranisme est interdit en Turquie

Après la conquête/reconquête par les Alliés de toute l'Afrique du Nord en novembre 1942-mai 1943 et du sud de la Russie en février 1943, de bonnes relations se développent entre la Turquie et les Alliés libéraux (États-Unis et Grande-Bretagne). La Turquie a reçu une aide financière et militaire de leur part. Le président américain Roosevelt, le premier ministre britannique Churchill et le président turc Inönü ont discuté de la participation de la Turquie à la guerre du côté des Alliés lors de la deuxième conférence du Caire en décembre 1943. Le pan-touranisme a été interdit par Inönü au printemps 1944. Les partisans du pan-touranisme ont été emprisonnés. En août 1944, lorsque l'invasion des Balkans par les Alliés a commencé et que la défaite allemande était inévitable, la Turquie a rompu toutes ses relations avec l'Allemagne.

Le 23 février 1945, la Turquie déclare finalement la guerre à l'Allemagne (et au Japon) car la conférence de Yalta (4-11 février 1945) stipule que seuls les pays officiellement en guerre contre l'Allemagne et le Japon au 1er mars 1945 seront admis au sein des Nations unies naissantes. Il s'agissait donc d'un acte purement symbolique. Les troupes turques n'ont jamais participé à la guerre.

La guerre s'est terminée par la destruction complète de l'Allemagne et la prise de Berlin par l'Armée rouge. Le 24 octobre 1945, la Turquie a signé la Charte des Nations unies en tant que l'un des 51 États fondateurs.

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L'après-URSS

L'implosion de l'URSS en 1991 a créé de nouvelles opportunités pour le pan-touranisme. Les républiques soviétiques du Kazakhstan, de l'Ouzbékistan, du Kirghizstan, du Turkménistan et de l'Azerbaïdjan, habitées par des Turcs, sont devenues indépendantes. Les républiques russes du Tatarstan, de Bachkirie, de Tchouvachie, de Yakoutie, de Khakassie et de Touva, également habitées par des peuples turcs, sont restées dans le giron de la Russie.

Les pan-touranistes prônent l'unification - essentiellement culturelle - des différents États turcs. Le 12 juillet 1993, la Turquie, les nouveaux États turcs et certaines républiques russes ont créé l'Organisation internationale de la culture turque. Il s'agit d'une organisation de coopération culturelle. Le 3 octobre 2009, la Turquie, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Kirghizstan et l'Azerbaïdjan ont créé l'Organisation des États turcs. Il s'agit d'un organe consultatif entre les États turcophones.

Dans la Turquie contemporaine, le pan-touranisme est un élément important de l'idéologie du Parti du mouvement nationaliste (MHP), dont le mouvement de jeunesse est connu sous le nom de « Loups gris ». Cette dernière organisation porte le nom d'une louve grise - appelée Asena - qui, dans le mythe d'origine préislamique des peuples turcs et altaïques, a conduit les tribus prototurques en voie de disparition hors des étendues sauvages de Sibérie et d'Asie centrale. Asena est utilisée comme symbole par les loups gris.

Le pan-touranisme, une menace pour la Russie, la Chine et l'Iran

Bien que le pan-touranisme ne vise pas explicitement l'éclatement de la Russie, dans le cas d'une union politique de tous les territoires turcs, il y contribue largement de facto. Après tout, une proportion importante des minorités russes sont turques. Il va sans dire que la Russie s'oppose au pan-touranisme. Si les anciennes républiques soviétiques turques et les républiques russes habitées par des Turcs devaient s'unir à la Turquie, ce serait au détriment de la Russie et de la sphère d'influence russe. En effet, la Russie est traditionnellement le principal partenaire commercial de ces régions: toutes les infrastructures de transport les relient à la Russie. En outre, le pan-touranisme revendique également la Crimée - anciennement habitée par les Tatars de Crimée - et d'autres territoires russes qui sont stratégiquement importants pour la Russie.

La Chine et l'Iran s'opposent également au pan-touranisme. En effet, la province chinoise du Xinjiang - appelée Turkestan oriental par les pan-touranistes - est habitée par des minorités turques, à savoir des Ouïghours, des Kazakhs, des Kirghizes, des Ouzbeks et des Tatars. Environ 18% de la population iranienne appartient à des minorités turques, principalement des Azerbaïdjanais, des Qashqai et des Turkmènes.

mercredi, 08 mai 2024

Marx et le Lumpenproletariat

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Marx et le Lumpenproletariat

par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2024/05/01/marx-och-trasproletariatet/

Le 1er mai, il est de tradition d'écrire un texte sur le mouvement ouvrier et le socialisme, souvent sur Karl Marx et sur Friedrich Engels. Par coïncidence, le texte de cette année portera sur le point de vue des deux hommes à barbe sur ce que l'on appelle le "prolétariat en haillons" (le Lumpenproletariat). Dans les premiers temps du mouvement ouvrier, il y a eu un débat sur son potentiel révolutionnaire. L'anarchiste Bakounine le décrivait comme « la fleur du prolétariat », « la populace, presque insensible à la civilisation bourgeoise », et qualifiait son potentiel révolutionnaire d'important. Derrière cette évaluation, on peut percevoir la psychologie et l'équation personnelle de Bakounine, dont certains aspects sont réapparus sous une forme banalisée dans le contexte de la gauche de 1968.

Face à Bakounine, on est tenté de poser Karl Marx, décrit par Bakounine comme le pire des deux mondes, à la fois le monde juif et le monde allemand. Il y avait là un élément de confusion conceptuelle, Bakounine et Marx semblant parler en partie de groupes sociaux différents lorsqu'ils évoquaient le Lumpenproletariat. Quoi qu'il en soit, pour Marx, le "prolétariat en haillons" n'était en aucun cas une fleur, mais plutôt une masse d'ordures moralement et socialement en décomposition. Dans son langage gothique habituel, il parle, dans Le dix-huitième Brumaire de Louis Bonaparte, de « oisifs ruinés, aux moyens d'existence et à la descendance équivoques [...] d'éléments abandonnés et aventureux de la bourgeoisie [...], de vagabonds, de soldats réformés, de taulards libérés, de forçats évadés, d'escrocs, de lazzarone, de pickpockets, de faux-monnayeurs, de prostituées, de tenanciers de bordels, de portefaix, de littérateurs, de proxénètes, de chiffonniers, de tire-laine, de plafonneurs, de mendiants, bref... » : toute cette masse indéterminée, hétéroclite, errante, que les Français appellent la Bohème. «  Dans ce contexte, il est intéressant de noter l'affinité sociale et mentale que Marx a soulignée entre les « voyous » du prolétariat en haillons et les « voyous » que Napoléon III et les capitalistes financiers, les parasites, étaient enclins à se trouver les uns les autres. Ceci est susceptible d'être pertinent également dans les analyses des strates hautes et basses du « transferiat » et de l'alliance entre « Brahmanes, ilotes et dalits ».

La définition du Lumpenproletariat donnée par Marx a varié. Il s'agit tantôt des restes des couches précapitalistes, tantôt des couches moralement inférieures composées de « criminels, vagabonds et prostituées », tantôt d'un terme collectif désignant des groupes fondamentalement différents. Paradoxalement, il partageait l'opinion de la bourgeoisie selon laquelle le Lumpenproletariat était une classe dangereuse. Cela est en partie lié à son anthropologie et à l'accent mis sur la capacité de lutte disciplinée que l'on y trouve. Elle est également liée à sa compréhension de la réalité matérielle du Lumpenproletariat, de ses « conditions de vie ». Ils étaient habitués à vivre de l'aumône, d'une manière ou d'une autre, de la part des autorités. Les Lumpenprolétaires pouvaient donc parfois être entraînés par un mouvement révolutionnaire, mais ils étaient tout aussi susceptibles d'être achetés par la réaction. Il faut également mentionner ici le conflit latent entre la classe ouvrière et les nombreux ragamuffins (va-nus-pieds) qui la parasitent de facto (comparez avec la catégorie des bandits antisociaux de Hobsbawm).

Engels a également tracé une ligne de démarcation claire entre la classe ouvrière et le Lumpenproletariat, et a mis en garde contre les alliances avec ce dernier. Il a écrit, de manière moins politiquement correcte, que « le Lumpenproletariat, ce ramassis d'éléments désintégrés de toutes les classes, qui établit son quartier général dans chaque grande ville, est le pire de tous les alliés possibles. C'est un appendice corvéable et totalement éhonté. Si, pendant la Révolution, les ouvriers français ont écrit « Mort aux voleurs » sur leurs maisons, et en ont même abattu beaucoup, ce n'est pas par enthousiasme pour la propriété, mais parce qu'ils ont jugé à juste titre nécessaire de tenir cette bande à distance ».

Les avertissements de Marx et Engels ont longtemps été pris au sérieux par le mouvement ouvrier, souvent au point de se stériliser plutôt que de s'allier au prolétariat. Cependant, un changement peut être identifié en relation avec les tendances de 1968, bien que la fascination pour les « éléments de désintégration » de différentes sortes remonte au moins à l'avant-garde de l'entre-deux-guerres. Herbert Marcuse était un représentant de la nouvelle vision du Lumpenproletariat, Frantz Fanon en était un autre (bien que sa définition soit en fait plus proche de celle de Bakounine).

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Herbert Marcuse et Frantz Fanon

Fanon est moins intéressant ici que Marcuse et que la nouvelle gauche à laquelle il est associé ; nous pouvons y noter comment les strates sociales, qui n'étaient pas elles-mêmes des travailleurs, étaient incapables de faire la distinction entre « pauvres » et « classe ouvrière ». Une tendance à associer ses propres couches psychologiques primitives à des couches sociales perçues comme primitives est également perceptible, notamment dans le contexte de 1968. Debord et Becker-Ho, par exemple, ont identifié des éléments de "vie précapitaliste" et des idéaux guerriers dans l'« argot ». Mais ce qui a dominé, c'est que des strates et des individus au psychisme déséquilibré ont romantisé des couches sociales auxquelles ils attachaient des espoirs irréalistes. A notre époque, c'est devenu autre chose que le naïf « laissez partir les prisonniers, c'est à nous » des années 70, car une dimension ethnique s'y est ajoutée. Les classes moyennes anémiées romantisent et projettent leurs propres impulsions non seulement sur de petits groupes de clochards et de « voleurs » autochtones, mais aussi sur d'importantes strates démographiques d'origine non européenne. Le Lumpenproletariat de Marx se confond aujourd'hui en grande partie avec ses fuidhirs.

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Guy Debord et Alice Becker-Ho

Nous pouvons constater que la « gauche » établie a renversé Marx; il s'agit de classes moyennes, y compris de bureaucrates qui font rarement partie de la classe ouvrière et qui ne peuvent donc pas reconnaître la différence entre « pauvres » et « classe ouvrière ». En même temps, ce sont les classes moyennes qui sont en partie en conflit d'intérêt avec la classe ouvrière autochtone au sens large, ce qui rend tentant de s'allier à la fois symboliquement et en réalité avec leurs autres rivaux. Les tendances psychiques infantiles et primitives que nous pouvons identifier chez Marcuse sont toujours présentes dans ces strates moyennes, ce qui signifie qu'elles sont facilement projetées sur les strates ethno-sociales. Dans l'ensemble, il s'agit d'un cocktail puissant qui, d'une part, mélange les cartes et défend les strates lumpenprolétariennes en tant que « classe ouvrière » et, d'autre part, réduit au silence ou légitime les comportements lumpenprolétariens. Dans le même temps, la sous-classe indigène et sa vulnérabilité sont souvent rendues invisibles; elles ne s'intègrent pas dans les nouveaux récits.

En conclusion, nous notons que le « Lumpenproletariat » est en fait un concept du 19ème siècle. Il a pu être utile pour saisir les tendances et les pièges du jeune mouvement ouvrier, mais la situation est aujourd'hui quelque peu différente. La « réaction », que Marx et Engels craignaient, de voir les Lazzarone se vendre à un autre, plutôt que de défendre violemment la papauté, la classe inférieure ethnicisée d'aujourd'hui échange des transferts contre des votes en faveur de la social-démocratie. Le facteur ethnique, qui apparaît chez Marx dans plusieurs contextes comme primordial par rapport à la classe, signifie également que nous avons affaire à quelque chose de nouveau. Quoi qu'il en soit, ceux qui le souhaitent peuvent utiliser Marx et Engels pour contrer les tentatives récurrentes d'assimiler la « classe ouvrière » à des éléments purement lumpenprolétariens. Leur perspective reste un point de départ fructueux pour comprendre la relation entre les classes inférieures ethnicisées et certaines classes moyennes. La distinction faite par Evola entre deux tendances anti-bourgeoises constitue un complément utile. L'une aspire à quelque chose de plus élevé que le bourgeois, l'autre à quelque chose de plus bas.

jeudi, 25 avril 2024

Nous et les Perses

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Nous et les Perses

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/noi-e-i-persiani/

L'Iran. Iran... il est facile de dire Iran aujourd'hui. Sur toutes les lèvres, cité à l'envi. Mais combien savent vraiment, même parmi les experts, ce qu'est l'Iran ? Et combien son histoire séculaire a contribué à notre civilisation ? À la civilisation occidentale/hespériale, je veux dire. Celle que l'on fait commencer généralement par la Grèce. Et les Iraniens, sous la forme des Perses, ne sont que marginalement inclus dans notre récit scolaire. Ils sont surtout représentés comme des ennemis. Un peu comme des extraterrestres.

L'une des mystifications de l'histoire opérée, surtout récemment, par nous... les Occidentaux.

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Je me souviens d'un roman de Gore Vidal, un excentrique et brillant écrivain américain d'origine vénitienne Création. Il m'a révélé pour la première fois que les Perses n'étaient pas les "barbares" arrêtés aux Thermopyles par le courageux Léonidas et ses trois cents guerriers. Il s'agissait d'une civilisation très ancienne. Et, à bien des égards, l'une de nos matrices.

L'Athènes de Périclès. Le génie d'Ictinos et de Phidias. Mais elle est venue après la Persépolis achéménide. Dont elle a imité les bâtiments et les temples. En utilisant toutefois du marbre. Et non du bois et du stuc comme dans la capitale de l'empire perse.

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Démocrite, le philosophe que nous considérons comme le premier théoricien de l'atomisme, était originaire d'Abdère. Mais, comme son maître Leucippe, il semble avoir voyagé loin. Peut-être jusqu'en Inde. Plus probablement jusqu'en Perse. Où il avait rencontré les idées de Gosala, un élève de Mahavira le Jiaina (statue, ci-dessus), surnommé "le mangeur d'atomes". Pendant des siècles, l'empire perse a été le trait d'union entre la civilisation grecque et l'Orient. Une chaîne de transmission d'idées, de philosophies, de modèles artistiques et culturels.

La Perse n'était pas considérée comme étrangère par les Grecs. Au contraire, elle était leur voisine. Avec lequel on pouvait se confondre, certes. Mais elle n'en était pas moins une source d'échanges continus dans tous les domaines.

Juste quatre souvenirs, des fragments, jetés au hasard. Dire que l'Iran n'est pas, et n'a jamais été, quelque chose de lointain et d'étranger. Tout au long de son histoire complexe. Pleine de contradictions.

C'est un autre visage de notre propre civilisation.

Lisez Rumi. Vous y trouverez d'extraordinaires consonances artistiques et spirituelles avec Dante et Cavalcanti. Qui, lui non plus, ne l'a pas connu. Mais l'atmosphère culturelle et spirituelle était similaire. Si ce n'est identique.

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Lisez Nezami. Ferdowsi le céleste. Lisez Shah Nameh, le Livre des Rois. Et vous y trouverez Alexandre le Grand, transformé en figure mythique. De l'épos iranien.

Puis, vous vous arrêtez à l'image déformée que nous transmettent les médias. Et qui pourrait, d'une certaine manière, être résumée dans le film de Snyder "The 300". Basé sur le roman graphique du génial Frank Miller.

Les Perses sont l'ennemi absolu. Barbares, corrompus, despotiques.

L'horrible Orient contre notre civilisation démocratique.

Ce n'était pas le cas. Cela n'a jamais été le cas. Et ce n'est pas non plus le cas aujourd'hui.