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mardi, 05 juin 2007

Généralisation de l'économie informelle

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La généralisation de l'économie informelle et ses conséquences

Il était banal d’évoquer l’économie informelle dans les pays en développement. La croissan­ce fulgurante de ces pratiques dans les pays dé­veloppés signe la fin de la question sociale au sein des États et le re­tour d’un monde hé­té­rogène. Certains aspects se rapprochent des descriptions de l’historien F. Brau­del qui, dans “Ci­vilisation matérielle, Économie et Ca­pita­lis­me”, distingua la vie matérielle (les activités de production et d’échange de base), la vie é­co­no­mique et le capitalisme. Trois niveaux qui nous rap­prochent de ce que crée la mondiali­sa­tion.

L'informel en tant qu'illégal

Braudel décrivit par exemple certaines activi­tés illé­ga­les : « (A Londres) une population mi­sé­rable voit dé­filer devant elle les richesses des navires qui ac­costent (...) Le brigandage af­freux dont la Tamise est le théâtre (...) s’exer­ce sur toutes les espèces de propriétés commerciales. A ces chapardeurs qui opè­rent par bandes organisées... (s’ajoutent)... les gar­des de nuit, les déchargeurs, les matelots (...), les “alouettes de vase”, “fouilleurs de la ri­vière”» (Brau­del, 1979, Tome II, p.486).

Ces observations rappellent que le rapport à la loi est essentiel dans la dynamique de l’infor­mel. Les économies européennes articulent lé­gal et illégal. Par exemple, un chantier emploie des personnes dé­clarées et non déclarées. Des heures sont officielles et d’autres non. Si ces pra­tiques sont parfois propo­sées par l’emplo­yeur, souvent elles résultent d’une demande des employés eux-mêmes. L’État con­tem­po­rain laisse faire car le juridisme tatillon qui s’est dé­veloppé au cours des trente dernières années per­met d’enrichir certains et d’ap­pau­vrir les autres. La loi et ses applica­tions dépendent désormais de la position des per­sonnes ou des groupes qui commet­tent des illégalités.

Un premier enseignement est que le droit du tra­vail cesse de s’appliquer dans les ac­ti­vi­tés infor­mel­les. Certaines dispositions sont res­pectées (repos heb­domadaire par exem­ple), d’autres non. Ce flou vo­lontaire favorise le clientélisme des groupes do­mi­nants ainsi que la conception patrimoniale du pou­voir lé­gal. La prolifération d’activités informelles si­gni­fie simultanément que la corruption de mem­bres de l’administration se généralise et que des services sont rendus aux hommes po­li­tiques aptes à dé­clen­cher ou non l’action lé­ga­le. L’informel offre enfin une opportunité de spé­culation. Tout ce qui entoure les lieux de tra­fics illégaux perd de sa valeur. Des in­té­rêts privés, en relation avec les autorités publiques, rachètent à bas prix puis obtiennent le netto­yage de la zone pour accroître la valeur des bâ­timents ré­novés.

Un deuxième enseignement est que l’illégal fonc­tion­ne avec la loi du milieu, un code ma­fieux. Les ob­servations récentes établissent qu’il s’agit de plus en plus de codes privés ethni­ques puisque, dans les pays “dévelop­pés”, les nouveaux venus du vaste mon­de se groupent par ethnos.

Le développement des activités et pratiques in­­for­mel­les a un grand avenir puisqu’il ac­com­pagne les transformations dues à la mondia­li­sation.

Relations entre économie formelle et informelle

1 - La délocalisation engendre la sous-traitan­ce et les multiples formes d’emplois : perma­nent, tempo­rai­re, partiel, stages. Le travail “in­dépendant” est le lieu où désormais se che­vauchent les formes légales et non légales d’ac­tivités. La sous-traitance pacifie le climat so­cial de l’entreprise et dissout la question so­ciale traditionnelle, celle qui assimilait le social au monde ouvrier. Dans les périodes de réces­sion, les activités informelles ont moins de dé­bouchés (la de­mande chute) ; elles réduisent leurs commandes, en amont, aux entreprises du secteur légal. Une réces­sion affecte désor­mais simultanément les deux do­mai­nes.

2 - La part des ménages ne percevant que des re­ve­nus légaux ou formels diminue. Le nom­bre de ceux qui mélangent les diverses sor­tes de revenus ou  “spécialisent” l’un de leurs membres dans l’infor­mel croît inexora­ble­ment. Ainsi, toute réduction d’em­plois for­mels entraîne la baisse d’un nombre plus ou moins important d’emplois informels.

Le cercle vicieux à l’œuvre dans les pays “dé­ve­lop­pés” est donc le suivant : l’extension de l’é­conomie informelle incite les politiciens à ac­croître la fiscalité et les prélèvements obliga­toi­res sur l’économie for­melle. Il en résulte une poussée en faveur des délo­calisations et une augmentation des ménages parti­ci­pant à ti­tre de travailleur ou de consommateur au sec­teur informel. Les législations sociales sont de moins en moins utilisées et le poids de l’or­dre ma­fieux s’accentue. Ces réseaux favorisent la corrup­tion. Ainsi se délite l’État et renaît, au ni­veau de la vie matérielle et du capitalisme la lutte entre clans, familles, tribus, ethnies,... La guerre de tous contre tous.

L'informalité : un modèle en extension

L’informalité est un modèle en extension. Il est a­dapté à la croissance des villes et des ban­lieues, là où apparaissent de multiples activités susceptibles de procurer des ressources. Ce pro­cessus favorise l’ordre mafieux, nourrit l’en­richissement des mieux organisés et pro­lé­ta­rise les indépendants. La que­stion sociale est en voie de disparition puisque l’in­formalité dé­fi­nit les populations hétérogènes s’instal­lant dans les villes ; elle affecte maintenant les clas­ses moyennes appauvries par les consé­quen­ces du processus de mondialisation.

Puisque l’illégal et l’informel sont en rapport avec l’hétérogénéité des foules et les transfor­ma­tions dues à l’économie transnationale glo­ba­le, les classes dominantes ont une quiétude assurée. La disparition de tout corps social or­ga­nisé favorise le contrôle et l’exploitation des foules hétéroclites. Le renfor­ce­ment du pouvoir est une conséquence de la crois­san­ce de l’in­for­mel : les groupes dominants ont très bien as­similé cette situation. L’élargissement indé­fi­nie du pouvoir sera vérifiable dans les années à ve­nir. Les secteurs très actifs seront liés au con­trôle so­cial : vidéo-surveillance, écoutes, fi­chage, déla­tion; mais aussi : juges, policiers, gar­diens de pri­son, thérapeutes, assistants so­ciaux, pseudo-experts en sciences sociales. Le retour de l’obscurantisme et de l’inhumanité.

Jean DESSALLE.

Référence : Liane MOZÈRE : Travail au noir, in­for­malité : liberté ou sujétion ?, L’Har­mat­­tan, 147p., 1999.

06:05 Publié dans Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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