Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 03 février 2011

Une passion pour Wagner

 Tetralogie-a-Richard-Wagner-et-Guy-Cassiers.jpg

Une passion pour Wagner...

wagner-adler.jpgPar Jean-Gilles Malliarakis

Ex: http://www.insolent.fr

Ce 14 janvier à 6 heures du matin, une queue deux fois plus longue que d'habitude, en dépit du froid, rassemblait les passionnés de musique. L'opéra Bastille ouvrait les dernières réservations de la saison pour Siegfried et pour le Crépuscule des Dieux. Le chef-d’œuvre final de la Tétralogie n’avait pas été représenté à Paris depuis plus d'un demi-siècle.

Il semble juste aux connaisseurs de sortir le maître de Bayreuth de son injuste ostracisme, au moment où, en revanche, notre franco-tunisien ministre de la Culture décide d'y maintenir le cuirassier Destouches dit Louis-Ferdinand Céline.

Comparons donc le grand génie musical à son contemporain, dont la mémoire demeure impunie, Karl Marx, autre révolutionnaire. On se doit ainsi d'évoquer la question, scabreuse par excellence, du lourd traité antisémite de Marx intitulé "la Question juive". Insupportable aujourd'hui, à la vérité. À l'époque, la plupart des socialistes succombent à la mythologie anti-Rothschild. Wagner, hélas, malgré l'humanisme profond qui se dégage de ses livrets d'opéra, n'échappe pas entièrement aux préjugés anticapitalistes de son temps. Auteur de quelques pages regrettables dans ce registre, alors très banal, on lui doit reconnaître le mérite de s'en être tenu à la musique, croyant régler son compte à Mendelsohn. La plupart des musiciens juifs semblent lui avoir pardonné depuis, qui ont fourni d'admirables interprétations.

Tout cela pour dire que ni à la vérité Marx, ni donc encore moins Wagner, décédés l'un comme l'autre en 1883, ne sauraient, ni l'un ni l'autre, être tenus pour responsables de la noirceur du XXe siècle. Un peu moins vrai pour Karl Marx, cependant, et pour son ami Engels, qui eussent pris quelque plaisir, semble-t-il, à l'idée de trucider les bourgeois, et les démocrates. "Avoir compté Staline au nombre de ses admirateurs ne rend pas Marx responsable du Goulag", voilà sans doute ce que professera en ronchonnant un Pierre Bergé, nouvel actionnaire du "Monde" et président, par ailleurs, des "Amis", très parisiens, politiquement si corrects, "du Ring" wagnérien.

Pendant une trop longue période, l'œuvre de Wagner avait été proscrite du répertoire sur les rives de la Seine. Puis on a consenti à nouveau à la présenter au public. On a pris bien soin, pendant de trop longues années, d'en discréditer la dimension scénique. Nous avons subi de la sorte pendant des décennies des Lohengrin de carton-pâte, des Parsifal en fausses chemises brunes façon "cabaret cuir" de Hambourg. Le sommet fut atteint à l'époque du règne fâcheux de M. Mortier, où nous vîmes représenter un Tristan et Iseut de gay pride et/ou de télé réalité. Les deux héros passaient à l'acte sur scène, cependant que l'on nous révélait une "affaire" entre le jeune homme et le roi. Bill Clinton était enfoncé : sa Monika devenait un garçon.

Heureusement la bave de tous les crapauds n'a jamais réussi à enfermer le fleuve immense du génie musical et poétique wagnérien dans la misère de tels pastiches réducteurs et profanateurs.

En comparaison de tant de souvenirs, plutôt pénibles, les fautes de goût, bien réelles, de la dernière production de "l'Or du Rhin" en 2009 nous auront ont paru presque vénielles. Mieux vaut par conséquent ne pas même en énumérer la liste. Évoquons plutôt un vrai bonheur lyrique, une très belle direction d'orchestre, quelques voix de haute école, une Erda inoubliable, un Alberich très convaincant et des Filles du Rhin de grand talent, malgré des costumes fâcheux. Quelques semaines plus tard, la "Walkyrie", interprétée triomphalement et pratiquement sans faute, revenait sur les lieux du crime.

Que retenir dès lors, de cette introduction à la fresque dramatique et sacrée de l'Anneau du Nibelung ?

Osons le dire, d'abord : même en temps que révolutionnaire, Wagner se révèle supérieur à Marx, son contemporain presque exact. Concordance des dates. 1813-1883 pour le compositeur et dramaturge de génie ; 1818-1883 pour le chancre du British Museum. Le "Manifeste" est écrit en 1848 ; "l'Art dans la Révolution" date de 1849.

À la différence de son cadet, le beau Richard prend part aux événements de l'insurrection qui se voulait libératrice et que l'État prussien écrasera pour empêcher une unification démocratique de l'Allemagne.

On me saura gré, j'imagine, de ne pas chercher à tirer argument de ce que Marx a inspiré, mais non breveté, les systèmes totalitaires de Staline et de Mao Tsé-toung.

Richard Wagner fait le coup de feu sur les barricades. Karl Marx s'enferme dans sa bibliothèque.

En 1867 Das Kapital. En 1869 Rheingold à Munich.

Ce qui les sépare ne s'appelle pas seulement poésie, action, amour. Sur ce dernier terrain, les passions successives du musicien le brûlent comme un feu, le ténia du socialisme les amalgames chez lui, sa maîtresse vivant à domicile, dans son impudique pot-au-feu.

Il s'agit donc aussi, et d'abord, de deux vues du monde. À balles réelles pour l'un ; par procuration pour l'autre.

L'un comme l'autre expriment, dira-t-on, le même dégoût de ce qu'on appelle l'argent-roi. Mais de l'argent d'un roi, le poète saura construire à Bayreuth le temple du sublime.

Il reste encore à le découvrir, dans sa vérité. (1)

Note

(1)  cf. Richard Wagner, sa vie, ses idées, son oeuvre par Guido Adler, aux  Editions du Trident (cliquez ici)

11:47

00:10 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, allemagne, richard wagner, 19ème siècle, opéra | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les commentaires sont fermés.