lundi, 07 décembre 2015
Les sept péchés capitaux de la diplomatie française
Les sept péchés capitaux de la diplomatie française
« La fin des illusions est une illusion. Mais on peut toujours améliorer ses illusions ». Au moment où le président de la République, François Hollande procède à un aggiornamento de sa politique étrangère sur le dossier syrien (Cf. son discours du 16 novembre 2015 devant le Congrès réuni à Versailles), il est utile de s’interroger sur les raisons de cette (r)évolution. Les signes avant-coureurs de l’impasse dans laquelle se fourvoyait la France étaient pourtant perceptibles, depuis au moins deux à trois ans, pour celui qui acceptait de regarder la réalité en face. De façon schématique, et si l’on s’en tient aux leçons de l’expérience, la diplomatie française conduite par Laurent Fabius sous l’autorité de François Hollande a péché au moins à sept titres.
PREMIER PÉCHÉ : L’AVEUGLEMENT (« Errare humanum est. Perseverare diabolicum »)
A maints égards, le dossier syrien constitue un cas d’école de l’aveuglement sur une grave crise diplomatique de nos élites formés dans les meilleures écoles de la République (ENA, Normale Sup, HEC, X…), celles qui peuplent le tiers des cabinets ministériels. Deux exemples concrets illustrent cet aveuglement. D’une part, comment peut-on soutenir contre toute évidence avec une constance qui mérite louange le « ni Daech, ni Bachar » ? La sécurité de la France passe par le choix entre deux moindres maux. Les attentats du 13 novembre 2015 en fournissent la preuve éclatante. D’autre part, « cessons enfin de prétendre qu’il y a une opposition modérée en Syrie. Il y avait bien une opposition civile en 2011, mais elle a quitté le pays. Les Américains ont aussi tenté d’aider à la constitution d’un camp modéré, sans y parvenir. Mais tout cela est illusoire ». Ceci relève de la méthode Coué.
DEUXIÈME PÉCHÉ : L’HYPERCOMMUNICATION (« La parole est d’argent, le silence est d’or »)
Nous sommes entrés dans l’univers de la com’passion. Les décideurs parlent trop : le président de la République, le premier ministre, le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius qui communique tous azimuts. Ses ambassadeurs sont contraints de se plier à toutes les exigences de son nouveau graal, la diplomatie numérique. A tel point que l’on se demande si la communication ne tient pas lieu de diplomatie avec les errements que l’on sait. A tel point que l’on se demande si la communication n’est pas inspirée par l’immédiateté politicienne plutôt que par le souci de solutions durables. A tel point que l’on se demande si la politique de communication omniprésente ne remplace pas la réflexion stratégique de long terme indispensable à la cohérence de toute action. « La communication tue la communication » (Philippe Labro).
TROISIÈME PÉCHÉ : L’EXCLUSION (« Exclure, c’est radicaliser », Bertrand Badie)
Alors que « le propre de la diplomatie est de chercher à réduire ce qui sépare et, essentiellement, les conflits ainsi que leur cortège de drames » (Bertrand Badie), Laurent Fabius n’a de cesse de se situer dans une démarche d’antidiplomatie visant à sanctionner, à exclure des acteurs incontournables du drame syrien que sont l’Iran et la Russie. Tout ceci nous conduit dans une impasse diplomatique. Au lieu d’être acteur des évolutions dans la région, nous sommes cantonnés au rôle peu enviable de spectateur impuissant. Au lieu de peser sur le cours des négociations, nous les subissons en feignant de les organiser. Faute d’en finir avec son angélisme rafraichissant, Laurent Fabius, notre ministre des Affaires étrangères deviendra vite étranger à toutes les affaires du monde. Il restera dans l’Histoire comme l’inventeur d’une nouvelle branche de la diplomatie : la patadiplomatie.
QUATRIÈME PÉCHÉ : L’IMPRÉVISION (« Gouverner, c’est prévoir »)
Crée en 1974 par Michel Jobert, le centre d’analyse et de prévision (CAP) a pour mission de fournir au ministre des Affaires étrangères des études indépendantes accompagnées d’options pour l’avenir. Bernard Kouchner le transforme en direction de la prospective (DP) alors que Laurent Fabius la fait évoluer en centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS). Au lieu de fournir une pensée iconoclaste au ministre, à fronts renversés de la pensée orthodoxe des services, le CAPS va au-devant de ce qu’il pense pour le conforter dans ses idées. Ses travaux frappent par leur manque de clairvoyance (« vue exacte, claire et lucide des choses ») qui débouche sur un défaut de préscience (« faculté ou action de prévoir des évènements à venir »). Il suffit de prendre connaissance de la dernière livraison des Carnets du CAPS intitulée : « Question (s) d’Orient (s) ».
CINQUIÈME PÉCHÉ : LA SOUS-INFORMATION (« Bien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés, ils deviennent des sujets », Alfred Sauvy)
L’information est la fonction principale dévolue aux diplomates. Ce rôle est d’autant plus important dans les périodes de crise comme celle prévalant en Syrie. Or, que décide Alain Juppé en mars 2012 ? De fermer l’ambassade de France à Damas, privant notre pays d’un canal d’information et de discussion irremplaçable avec le régime de Bachar Al-Assad, si critiquable soit-il ! Cette décision n’est pas remise en cause par son successeur qui en rajoute. Laurent Fabius ordonne aux services de renseignement français de cesser toute forme de relations avec leurs homologues syriens. Quand on sait le poids de la communauté du renseignement dans les pays autoritaires, on imagine le résultat. Or, les Allemands conservent ce canal ouvert en dépit des vicissitudes de la diplomatie. La France est ainsi contrainte d’agir en aveugle.
SIXIÈME PÉCHÉ : LE MORALISME (« Il faut que cesse enfin la double morale des diplomates », Bismarck)
Dès sa prise de fonctions, Laurent Fabius fait de la diplomatie économique sa priorité, situation économique de la France oblige. Il est vrai qu’il attache, du moins en paroles moins dans les actes, une égale importance à la diplomatie des droits de l’homme, rappelant à qui veut l’entendre que la France est la patrie des droits de l’Homme. Or, où situe-t-il le curseur entre ces deux impératifs contradictoires ? La réponse n’est pas évidente à deviner tant notre condamnation des violations des droits de l’homme est à géométrie variable. Il n’est qu’à voir notre exigence avec les uns (Russie) et notre mansuétude avec les autres (Arabie Saoudite) sans parler de nos grands discours sur la démocratie et les élections que nous tenons uniquement quand les résultats nous conviennent. Tout ceci est une aimable plaisanterie d’une rare hypocrisie !
LE SEPTIÈME PÉCHÉ : L’EXCÉS DE ZÈLE (« Pas de zèle », Talleyrand)
Talleyrand avait coutume d’inciter ses services à la prudence qu’il résumait pas la formule « pas de zèle ». Il rejoignait ainsi le bon sens populaire qui incite à ne pas confondre vitesse et précipitation. François Mitterrand disait qu’il fallait donner du temps au temps. Les armes du diplomate sont la pensée, la raison, la mesure et la retenue. La diplomatie ne se résume pas à une posture. Au fil des années, la politique étrangère de la France au Proche et au Moyen-Orient est devenue incompréhensible et la diplomatie, qui en est la traduction quotidienne, est devenue brouillonne et inaudible. Or, si Laurent Fabius excelle dans le commentaire à chaud de l’actualité, il pèche par son déficit de réflexion de long terme sur des problématiques globales « Et si on revenait aux vraies causes pour trouver les vrais remèdes ? » (Bertrand Badie). Là est la question fondamentale !
L’ÉTRANGE DÉFAITE
A toute chose malheur est bon. Les attentats du 13 novembre 2015 contraignent le président de la République à ajuster sa politique étrangère, le ministre des Affaires étrangères sa diplomatie. Si le Quai d’Orsay se livrait à un exercice d’introspection sur sa politique en Syrie depuis le début des « révolutions arabes » – ce que dans le langage militaire on qualifie de retex pour retour d’expérience -, il mettrait en évidence les causes de l’aveuglement de la Maison des bords de Seine. La crise syrienne devrait être enseignée dans les écoles diplomatiques comme l’exemple de tout ce qu’il ne faut pas faire. A la manière d’un Marc Bloch se penchant à chaud sur les causes de l’effondrement de 1940, il y aurait largement matière à disserter sur la genèse de l’étrange défaite.
Guillaume Berlat
- Source : Proche&Moyen-Orient (Suisse)
00:05 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique internationale, diplomatie, france, europe, affaires européennes | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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