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samedi, 07 mai 2016

Le surfing du phénix

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Le surfing du phénix

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
 

labre13656-gf.jpgComme j’ai récemment contribué à un livre intitulé « Comprendre le conservatisme », je me suis intéressé à d’autres contributions que la mienne. C’est ainsi que j’ai été amené à me plonger dans un livre de Roger Scruton, Fools, Frauds and Firebrands. Ouvrage formidable qui retrace les délires des intellectuels proches de mai 68. Formidable parce qu’il m’a fait mesurer dans quel asile d’aliénés j’ai été plongé durant mes études à l’université de Genève, période où, précisément, on parlait de Foucault, Deleuze, Derrida, et autres membres de cette tribu montée sur un bateau qui n’était même pas ivre, sa coque raclant laborieusement des restes de marxisme et de freudisme. Je vois encore un « camarade » m’expliquant, les yeux brillants, à quelles hauteurs sublimes il avait accédé grâce à un livre de Louis Althusser,  Lire le capital  (de Marx). Fasciné je m’étais promis d’accéder aussi à ces hauteurs mais n’y parvins jamais. Ou plutôt, comme Zarathoustra redescendant de la montagne où il avait cru pouvoir contempler Dieu, je découvris qu’il n’y avait rien derrière le discours cryptique, amphibologique, dément, d’Althusser qui devait d’ailleurs étrangler sa femme en 1980.

J’étais très déçu. Je me réjouissais de pouvoir rendre un culte à une pensée mystérieuse et infiniment profonde. L’idée de révérer un grand penseur, immense, comme on dit aujourd’hui, m’avait fasciné. Marx était l’Eternel des armées révolutionnaires et Althusser son prophète.

Plus une société est individualiste et nourrit la déréliction, plus elle nourrit la nostalgie de participer à une grande totalité, comme un phénix joue dans les zéphyrs d’une nouvelle journée.

Cette nostalgie d’une grande totalité peut devenir totalitaire comme j’ai essayé de le montrer dans un livre sur Rousseau qui, lui aussi, aimait se sentir porté par les zéphyrs du lac de Bienne.

scrumYqL._SX309_BO1,204,203,200_.jpgLe prophète ou, pour mieux dire, le faux prophète, fait miroiter la perspective de rejoindre une grande totalité sans avoir à passer par la mort. On peut dire que la modernité a été fascinée par cette perspective. Comment ne pas être emporté par la nostalgie de devenir phénix ?

Max Weber a examiné la structure du faux prophétisme et a découvert qu’elle comprend un intermédiaire  (prophète, shaman, medium) entre une totalité cosmique et les simples mortels. Par ses prières et incantations, cet intermédiaire permet à ce mortel de retrouver un sentiment d’inclusion dans un grand tout. Il se sentait exclu, tremblant de froid dans quelque Sibérie et voilà que, grâce à un shaman, il se sent participer à plus grand que lui. Mais il y a participation et participation.

La participation recherchée dans la modernité n’inclut pas la mort et, par-là, elle n’est pas crédible. Même sans croire au Christ, on peut le voir. Si participation il y a, avant la mort, avant la vieillesse, avant les handicaps, tout cela adviendra inéluctablement là après de grands vols « phénixiens ». Le parapente c’est chouette, mais difficile avec l’arthrose et à 80 ans.

Il y a plus. Pour participer aux souffles cosmiques  comme un parapentiste, il faut mesurer la force et la direction des vents. Depuis la révolution scientifique du 17ème siècle cette mesure se fait par la découverte de forces dans l’histoire, dans la psyché et, récemment, par des recherches sur le cerveau qui, à n’en pas douter, vont nous permettre de surfer sur nos neurones. La science, à son corps défendant, a fait miroiter un futur où l’humanité pourrait enfin planer sur les forces économiques, politiques ou psychiques qui la gouvernent. Ce miroitement vient d’un miroir aux alouettes.

Le phénix est un oiseau qui, lorsqu’il sent la mort venir, construit un bûcher d’herbes aromatiques et s’y laisse brûler. Puis il renaît de ses cendres. Même lui, symbole de l’immortalité, savait qu’il faut mourir d’abord. Nous, modernes, ne le savons plus et avons du chemin à parcourir pour retrouver la sagesse du phénix.

Jan Marejko, 4 mai 2016

00:05 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, jan marejko | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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