La bêtise au front de taureau tancée par Baudelaire dans un poème fameux a de beaux jours devant elle. Dans un récent article du Monde diplomatique, un folliculaire trotskyste s’en prend à “l’empire Bolloré” (c’est tendance) et, dans un amalgame aussi confus qu’inconsistant, attaque dans la foulée Hachette, Albin Michel et Gallimard, fleurons d’un capitalisme éditorial réprouvé¹. La maison fondée par Gaston au début du siècle dernier est jugée coupable de diffuser « des idéologies d’extrême droite, en termes de fonds littéraire et philosophique, nazi et fasciste, pétainiste et antisémite ». Pas moins. En clair, cet écrivaillon reproche à la maison d’édition d’avoir à son catalogue Heidegger, Jünger, Drieu la Rochelle, Chardonne, Morand, Jouhandeau, Boutang (dont on rappelle qu’il fut “maréchaliste et royaliste”) et bien entendu Céline². Sait-il que le catalogue Gallimard comprend une foultitude d’écrivains qui chérirent avec ferveur Staline, Castro ou Mao ? Ces écrivains qui se sont également fourvoyés seraient-ils plus acceptables que les autres ? Pour ce Torquemada au petit pied, l’éditeur seul ne doit pas être condamné. Il entend aussi dénoncer ceux qu’il appelle les “passeurs”, tel Pierre Assouline, coupable d’écrire sur ces auteurs dans la presse et sur son blog.

Il lui reproche aussi son roman Sigmaringen, « où l’auteur cultive l’ambiguïté comme d’autres la clarté ». Entendez : la complexité au lieu du simplisme. Est déjà suspect à ses yeux le fait que ce roman mette en scène « Pétain, Laval, leurs ministres, des miliciens, des collabos français et, bien sûr, le bon docteur Louis-Ferdinand Destouches, alias Céline ». Tant de bêtise confond. S’il existe dans le petit monde littéraire parisien un critique faisant preuve de jugements nuancés sur les écrivains, de quelque bord qu’ils soient, il s’agit bien de Pierre Assouline qu’on ne peut en outre suspecter de complaisance envers les auteurs fascistes³. Son livre sur Lucien Combelle est un modèle d’équité. C’est aussi l’honneur d’Assouline d’avoir défendu Richard Millet face à la meute.
M. Thierry Discepolo – c’est le nom de cet accusateur public – se révèle un… disciple des grands incriminateurs du passé². Et on aura compris que si ce personnage était seul aux manettes ne seraient édités que les écrivains dans la ligne. Internet a la mémoire longue et permet de comprendre les raisons de sa hargne. Il y a une dizaine d’années, Assouline avait éreinté de belle façon son bouquin4 (« Avec Discepolo, on n’est même plus dans la morale à gros sabots mais dans la moraline telle que Nietzsche la tournait en dérision. ») En plus d’être sectaire et inculte5, M. Discepolo a la rancune tenace…

- (1) Thierry Discepolo, « Ce que “Bolloré” fait aux livres, aux éditeurs et aux auteurs », Le Monde diplomatique, 9 mai 2025. [https://www.monde-diplomatique.fr]
- (2) Bien entendu il reproche aux éditions Laffont d’avoir republié Les Décombres alors même que cette publication devrait le satisfaire puisqu’il s’agit d’une édition ô combien critique. Sur la couverture, le nom de Rebatet n’est même pas mentionné en tant qu’auteur, la seule indication “Dossier Rebatet” étant apparemment moins embarrassante.
- (3) Pierre Assouline, « Qu’est-ce qu’un écrivain collabo ? » in Revue des deux mondes, mai-juin 2025.
- (4) La Trahison des éditeurs, Éd. Agone, 2017.
- (5) Dans un droit de réponse à un autre article diffamatoire, Antoine Gallimard relevait à juste titre que « Écrit à charge, non pour servir la vérité mais pour discréditer une maison d’édition dont l’existence séculaire lui est insupportable (tel est son vrai sujet), M. Discepolo instruit son réquisitoire sur une manipulation malveillante et injurieuse des faits. » (Le Monde diplomatique, avril 2021).
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