dimanche, 17 novembre 2019
Alexander Markovics: La place de l’Europe dans un monde multipolaire – éléments d’une pensée populiste révolutionnaire
Alexander Markovics:
La place de l’Europe dans un monde multipolaire – éléments d’une pensée populiste révolutionnaire
Le monde multipolaire naissant est une révolution géopolitique. Elle marque non seulement un changement de paradigme par rapport au court moment unipolaire établi par les États-Unis après 1991, mais aussi la fin de l’hégémonie occidentale. Le processus de multipolarité en cours est en faveur des différentes civilisations et contre le projet libéral de mondialisation. Alors que la mondialisation tente d’unifier le monde sous un seul système politique, une seule idéologie et une seule civilisation, la multipolarité proclame la diversité des différents systèmes politiques, des différentes idéologies et des différentes civilisations.
La multipolarité et le moment populiste
La question se pose donc :« Quelle est la place de l’Europe dans ce monde multipolaire ? » La position actuelle de l’Europe est dans l’orbite des États-Unis. Après 70 ans d’atlantisme, l’Europe semble incapable d’exprimer ses propres intérêts géopolitiques. Mais comme Hölderlin l’a dit : « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve. » Le moment populiste a donné naissance à des mouvements comme les Gilets jaunes et les partis de toute l’Europe qui déclarent la guerre aux élites libérales. Mais même les mouvements et partis populistes manquent d’une stratégie conséquente contre le mondialisme et le libéralisme. Les attaques des mondialistes sont dirigées contre le cœur de la civilisation européenne. Le christianisme et ses églises sont profanés, les peuples se dissolvent dans les « eaux glacées du calcul égoïste » (dixit Karl Marx), la famille est défiée en tant qu’elle serait un instrument d’oppression, la différence des sexes est attaquée pour représenter le patriarcat dans l’idéologie dominante du genre, pendant que le transhumanisme veut même abolir l’humain pour libérer l’individu. Pour résumer le péril actuel : le libéralisme attaque sur plusieurs fronts. Or, les populistes ne décident de se battre que sur quelques-uns d’entre eux, surtout parce qu’ils ne comprennent pas l’importance de ces batailles. Jusqu’à présent, ils ne remettent en question que certains aspects de l’hégémonie libérale et n’ont pas une vue d’ensemble de la situation. Ils appellent à la fin des migrations massives, mais ne remettent pas en cause l’OTAN qui détruit la patrie des peuples du monde entier. Ils restent silencieux sur le problème du capitalisme qui détruit leur propre culture et leur religion chrétienne, tout en criant « N’islamise pas notre américanisation ! »
Les deux pères fondateurs de la pensée populiste révolutionnaire: Gramsci et Schmitt
Tous ces aspects de la guerre intellectuelle qui sévit actuellement en Occident nous montrent le gravite apocalyptique du moment historique que nous vivons. Il est donc plus important que jamais de prendre les armes et de choisir un camp. Dans le cas de l’Europe, nous pouvons choisir entre les élites actuelles et leur fin de l’Histoire, ou la cause des peuples et la continuation de l’Histoire. Ce qui fait actuellement défaut aux populistes de toute l’Europe, c’est une théorie révolutionnaire. Mais où peuvent-ils la trouver? Il faut d’abord regarder dans l’entre-deux-guerres où l’on retrouve l’intellectuel communiste Antonio Gramsci et le conservateur révolutionnaire allemand Carl Schmitt. Dans la pensée de Gramsci, nous pouvons examiner sa théorie de l’hégémonie afin de mieux comprendre comment fonctionne le régime libéral actuel. Si nous adaptons correctement les idées d’Antonio Gramsci, nous nous rendons compte que nous retrouvons l’idéologie libérale non seulement dans des phénomènes comme les migrations massives et la détérioration de la sécurité intérieure ou de l’économie capitaliste, mais aussi dans l’unipolarité géopolitique et surtout dans le domaine culturel. Par conséquent, une résistance contre l’hégémonie libérale sur l’Europe reste futile, si elle n’est dirigée que contre un aspect de celle-ci. Si le populisme ne vise qu’un ou deux aspects de l’hégémonie, il reste un exemple de plus de « modernisation défensive » et échouera à long terme, comme l’a déclaré la philosophe politique Chantal Mouffe. L’émergence du populisme signifie que le politique est revenu en Europe et que nous, Européens, pouvons choisir entre différents projets hégémoniques. Le libéralisme n’est qu’une possibilité. Un populisme révolutionnaire orienté autour des principes de la Quatrième Théorie Politique en est une autre. Telles sont les conditions intellectuelles préalables à une Europe souveraine dans un monde multipolaire.
Le pouvoir tellurique, Katehon Europa et l’État-nation
Dans le domaine de la géopolitique, les populistes doivent redécouvrir l’opposition de Carl Schmitt entre terre et mer. Schmitt met en évidence le lien entre la puissance maritime et les idées progressistes, et d’autre part le lien entre la puissance terrestre et le conservatisme. Comme Alain de Benoist l’a encore formulé en se référant à Zygmunt Baumann, la puissance de la mer essaie de tout transformer en état liquide, donc elle « liquéfie » le capital et les migrants pour les laisser circuler comme la mer.Pour résister à la mondialisation, l’Europe a besoin de devenir un « Katehon Europa », sur le modèle du concept inventé par Carl Schmitt de grand espace européen uni, afin qu’il puisse se dresser contre l’Antichrist. À bien des égards, cela signifie que l’Europe doit revenir à ses racines géopolitiques. Tout d’abord, elle doit reconnaître que l’État-nation, en tant qu’enfant de la modernité, a) n’est plus en mesure d’assurer sa sovereniteet b) n’est pas un protecteur du peuple, mais un agent des intérêts bourgeois.
Le sujet de la pensée populiste: le peuple
Le développement d’une pensée populiste révolutionnaire nécessite de mettre l’accent sur le sujet du peuple. Contrairement à la nation, le peuple n’est pas une communauté artificielle, mais un organisme historique. Il ne s’agit pas d’individus isolés, mais de personnes qui trouvent leur place au sein de la communauté. Alors que les nations ne connaissent qu’une humanité politiquement accentuée au-dessus d’elles et trouvent leur conclusion logique dans l’état actuel du monde, les différents peuples sont des pensées de Dieu comme le conclut Herder. Au-dessus des peuples, nous ne trouvons que les civilisations, composées de différents peuples partageant la même religion, la même histoire et le même espace commun. Chaque peuple isolé est condamné à être liquidé par l’Occident, mais unis comme une civilisation, ils peuvent contrer la tempête.
La multipolarité et le Heartland distribué
Il est donc impératif qu’une civilisation européenne unie forme un empire commun au sens traditionaliste afin de garantir la paix au niveau national et de défendre sa souveraineté face à l’assaut mondialiste. De plus, la montée des civilisations russo-eurasienne, chinoise et iranienne-chiite a prouvé ce qu’Alexandre Douguine appelle le Heartlanddistribué. Il n’y a pas qu’un seul Heartlandcomme l’envisage Halford Mackinder, mais plusieurs. En tant qu’Européens, nous en avons un, l’un d’entre eux, notre Heartlandspécifique de l’Europe. Cela signifie que nous devons abandonner le « fardeau de l’homme blanc », le messianisme libéral des droits de l’homme, la (post-) modernité, le progrès et les Lumières. Nous devons nous confronter à la xénophobie. Ce n’est que lorsque nous aurons abdiqué notre arrogance et nos superstitions que nous pourrons prendre place parmi les civilisations égales et revenir à notre héritage chrétien traditionnel. Si les populistes européens tirent les fruits de ces leçons, en laissant de côté les différences entre la gauche et la droite et en formulant un programme révolutionnaire dirigé contre la mondialisation et le libéralisme dans toutes ses dimensions, ils peuvent gagner. La multipolarité dans sa dimension intellectuelle et géopolitique est la clé pour rendre à l’Europe son destin. Mais comme dans toute lutte de libération, les Européens eux-mêmes doivent faire le premier pas pour sortir de l’hégémonie occidentale.
La fin du césarisme: réflexion et autocritique comme clés de la multipolarité européenne
Une théorie révolutionnaire doit permettre non seulement aux populistes de toute l’Europe de faire la différence entre ami, ennemi et ennemi principal, mais aussi de créer une stratégie pour libérer l’Europe du libéralisme. Une théorie sophistiquée permet également l’autocritique et met fin au césarisme insouciant au sein des mouvements et partis populistes. Des exemples tragiques de gouvernements populistes qui échouent à cause du césarisme comme en Italie et en Autriche appartiendraient au passé.
Multipolarité: les civilisations unies contre le mondialisme
Comme on peut le voir, la multipolarité offre de grandes chances de lutter contre les forces de la mondialisation pour mettre fin à leur avancée. Nous en avons été témoins sur le champ de bataille syrien, où la Russie et l’Iran ont empêché la chute du Président Bachar al-Assad et la montée de l’État islamique. Au Venezuela, la Russie et la Chine ont réussi à aider le Président Maduro à résister à la déstabilisation et au changement de régime orchestré par les États-Unis. Si nous considérons ce potentiel d’un front anti-impérialiste composé de différentes civilisations unies contre la mondialisation, il serait logique que l’Europe s’y joigne aussi à long terme. Il est donc impératif pour l’Europe de laisser l’Occident derrière elle et de former son propre pôle dans l’ordre mondial multipolaire à venir.
Source : Fluxing
00:29 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théorie politique, sciences politiques, politologie, philosophie politique, europe, affaires européennes | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Les commentaires sont fermés.