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dimanche, 11 juin 2023

Wokisme et déconstruction

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Wokisme et déconstruction

par Alberto Giovanni Biuso

Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/25657-alberto-giovanni-biuso-wokismo-e-decostruzione.html

Les phénomènes collectifs qui portent le nom de cultures woke et cancel (ceux qui, par exemple, génèrent l'abattage de statues de poètes et de penseurs au nom de principes contemporains) peuvent apparaître et être quelque peu bizarres et fanatiques.

Leur nature s'exprime par quelques éléments très clairs: la victimisation élevée au rang de principe méthodologique; la tendance fortement censurante à l'égard de tout ce que les "éveillés" considèrent comme l'expression du Mal absolu; l'aspiration à faire tabula rasa de tout le passé de l'humanité, dont ils estiment devoir réécrire les vicissitudes comme s'il s'agissait d'une page blanche; une dimension fortement médiatisée, très éloignée du sentiment commun à la grande majorité des gens; l'attention consécutive que le wokisme reçoit des médias et des institutions bien qu'il constitue un phénomène circonscrit à une niche; l'analogie singulière avec le fanatisme de la "révolution culturelle" maoïste, qui voulait elle aussi anéantir toute la culture chinoise; la nature profondément américaniste et puritaine de la cancel culture, qui, tout en se présentant souvent sous un aspect "gauchiste" - comme diraient les Français - est en réalité l'exact opposé des traditions les plus fécondes de la gauche, telles que la liberté d'expression, la libération par rapport à tout fondamentalisme religieux, la primauté des questions collectives sur les désirs individuels.

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Au contraire, les cultures Woke et Cancel représentent un mélange bizarre de certaines expressions de la culture de "droite" dans ses composantes individualistes et libérales et de la culture de "gauche" dans ses composantes tout aussi individualistes qui tendent à transformer sémantiquement et juridiquement certains désirs individuels légitimes, issus de contextes historiques très précis, en droits naturels.

Tout cela va de soi. Mais il y a quelque chose de plus profond dans le wokisme. C'est en fait aussi l'un des résultats sociaux et culturels les plus significatifs du postmodernisme et du déconstructionnisme. Deux positions philosophiques, qui ces dernières décennies, se sont établies principalement aux États-Unis d'Amérique.

Né également de la vulgarisation par Jacques Derrida de la très fine lecture heideggérienne de Nietzsche, le déconstructionnisme compte parmi ses autres "pères" européens Deleuze et, en partie, Foucault. Ces perspectives philosophiques sont complexes et articulées, mais dans la lecture politique simpliste qu'elles ont reçue aux États-Unis (et, par rebond, en Europe), elles sont devenues des philosophies organiques du libéralisme de salon, avec leur primauté du flux sur la substance des entités, des événements et des processus (qui est également incontestable); et surtout avec leur apologie du désir individuel et avec leur destruction tendancielle de la rationalité classique (et donc aussi scientifique).

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Le déconstructionnisme européen conserve une tendance à l'obscurité expressive et à ce que les Français appellent la "préciosité" (en référence à Molière), c'est-à-dire une sorte de snobisme fondé sur la conviction infondée d'être "le meilleur".

Les éléments problématiques du déconstructionnisme philosophique sont amplifiés démesurément dans le wokisme politique, à commencer par les éléments génétiques que le premier a transmis au second.

Tout d'abord, une tendance anthropocentrique cachée ou même niée, qui est évidente chez d'autres philosophes qui ont contribué au déconstructionnisme. Il s'agit surtout de Sartre, pour qui en dehors de l'humain il n'y a pas d'existence ou, s'il y en a une, elle ne vaut pas la peine d'être étudiée, et de Lévinas, qui ne conçoit de dialogue qu'entre les humains et non de l'humain avec le monde, avec le cosmos; monde et cosmos considérés comme substantiellement inexistants puisque "l'autre de l'être, c'est l'homme en tant qu'il n'est pas l'être". On comprend que le seul être qui compte est l'être humain" (Pierre Le Vigan, in Déconstruction ?, numéro 55 de Krisis, avril 2022, p. 22).

Anthropocentrisme qui, dans certaines tendances déconstructionnistes, évolue presque inévitablement vers l'artificialisme comme apogée des capacités humaines à remplacer le matériel par le numérique, et vers le transhumanisme comme remplacement du réel par le virtuel, sous la forme que Jean Baudrillard a précisément indiquée à travers le concept/dispositif du simulacre, c'est-à-dire un monde où le réel est un moment du faux (Debord), où la frontière entre ce qui arrive et ce qui est inventé tend à s'estomper.

C'est là une des racines de l'ingénierie sociale qui est constitutive à la fois du déconstructionnisme et du transhumanisme et qui a trouvé une mise en œuvre très claire dans l'affaire Cov id19. En effet, il s'agissait, et il s'agit toujours, d'une infodémie, d'une épidémie essentiellement médiatique, qui "a permis de déployer au niveau mondial le récit de la "pandémie meurtrière" qui doit servir de mythe fondateur à une dictature sanitaire et informatique mondiale en cours d'élaboration" (Lucien Cerise, ibid., p. 94).

L'expression et la forme de ce mythe fondateur du déconstructionnisme sanitaire et social sont la dissonance cognitive, l'obscurantisme anti-biologique, l'élimination des différences, l'hypermoralisme à caractère religieux.

La dissonance cognitive prend de multiples formes. Au niveau sociologique, par exemple, la double injonction d'accueillir le monde islamique en Europe et de combattre sans merci le patriarcat masculin, deux injonctions manifestement incompatibles entre elles. Au niveau sanitaire et climatique, la dissonance consiste aussi à éliminer la santé par la santé, en induisant un état permanent d'anxiété, de stress et de dépression au nom de la protection contre un virus.

La forme la plus flagrante de l'obscurantisme anti-biologique est la négation pure et simple de l'existence réelle et innée du masculin et du féminin, réduits à une construction purement sociale et culturelle qu'il faut démanteler de toutes les façons, dès les premières années d'école. Il n'y aurait même pas lieu de s'attarder sur cette pathologie évidente - croire que les hommes et les femmes n'existent pas - si elle n'était pas sérieusement soutenue dans divers forums.

Une pathologie qui constitue une preuve supplémentaire et évidente du rejet déconstructionniste et woke de la différence au nom de l'un, d'une identité de remplacement qui doit éliminer toute diversité ontologique, éthique, politique, au nom des valeurs et d'une égalité réduite à la pure uniformité de l'identique: "Philosophiquement, c'est un processus d'abolition du multiple, dans tous les sens du terme et à tous les niveaux de l'existence, pour aller vers toujours plus d'unité normative. (...) Il s'agit d'organiser volontairement l'unité du monde sur la base d'une hallucination collective" (Cerise, ibid., p. 95).

L'outil principal que l'idéologie woke déploie pour atteindre cet objectif est le langage: de l'utilisation du schwa et de l'astérisque à des stratégies plus complexes visant en tout cas à nier l'existence de tout ce qui pourrait constituer une différence sexuelle entre les humains. Et ce de manière cohérente, puisque le déconstructionnisme nie qu'une nature humaine soit donnée, existe, agisse.

L'éliminer en rendant impossible toute restitution linguistique est l'essence du néo-langage dont George Orwell énonce les principes dans les annexes de son célèbre 1984. Par conséquent, les pratiques woke deviennent des formes d'effacement de toute la culture humaine, puisqu'elle est presque entièrement le produit des hommes Homo sapiens, qui sont considérés comme l'origine et la cause efficiente de tous les maux.

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Le déconstructionnisme woke est exactement cela: une barbarie qui prend des formes rarement vues dans l'histoire des sociétés; un analogue pourrait être les militants d'ISIS qui ont démoli "les idoles", les statues de Bouddha, en Afghanistan.

Ce n'est donc pas un hasard si le dernier élément de la taxinomie que je propose ici consiste à "réactiver sur un nouveau terrain, celui de l'hyper-moralisme wokiste, le vieux fanatisme religieux" (Pierre-André Taguieff, p. 63). Taguieff ajoute que contre cette apologie de l'ignorance, il faut activer la gaieté de la science, qui germe aussi d'une gaieté du scepticisme à l'égard de toute vérité et de toute valeur absolues. S'y opposer au nom et sous la forme de la liberté, car "nous voulons que puisse à nouveau s'épanouir, partout en Europe, un débat d'idées ouvert, sans inquisition, sans fanatisme, sans procès d'intention" (David L'Épée, ibid., p. 56), redonnant un sens et une fonction émancipatrice à l'école et à l'université, de plus en plus réduites à des lieux d'endoctrinement moralisateur selon les modes que l'agenda libéral impose aux sociétés occidentales. En effet, l'ignorance n'est pas la "force" - comme le dit le slogan de 1984 - mais l'outil qui produit des esclaves.

Il faut donc agir et penser pour les libertés réelles, contre le fantôme de la liberté pour laquelle "en apparence, je pense et je fais ce que je veux, mais cela doit rester à l'intérieur du cadre circonscrit par les médias, qui définissent le nouveau discours sacré. Transgresser la parole médiatique revient à transgresser un tabou, et cela créé une malaise immédiat, de même nature que la contestation de la parole du prêtre ou du chaman dans une société traditionnelle" (Cerise, ivi, p. 100).

Nous terminons en rappelant une évidence taboue pour l'idéologie woke: la différence (non pas la hiérarchie, qui est à rejeter, mais précisément la différence) entre le masculin et le féminin.

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Paul B. Preciado est un militant néo-féministe espagnol, auteur d'un manifeste contre tout "stéréotype de genre" et qui constitue, en même temps, une apologie de l'anus, "zone érogène commune à tous les humains sans différence de sexe, orifice non discriminant et marqueur d'égalité", qui "s'impose comme le nouveau 'centre universel contrasexuel'". D'où cet éloge déconstructionniste de l'anus, socle d'un universalisme enfin libéré de l'emprise des normes hétérosexuelles (...). Se situer par-delà le pénis et le vagin, organes de la différence des sexes, dont il faut cependant souligner qu'il ne s'agit que de 'constructions sociales'" (Taguieff, p. 60). Une telle version analocentrique du monde en dit long sur l'absence totale d'humour qui est une autre des limites de la vision woke de la société.

Tout cela contredit tellement la réalité - la réalité qui existe et se produit, au-delà de toute abstraction déconstructionniste - que c'est finalement insoutenable. Le politiquement correct et la cancel culture voudraient "faire coexister islamisme et gauchisme, féminisme et anti-racisme, relativisme axiologique et néo-puritanisme, et ces contradictions ne sont sans doute pas promises à la vie éternelle" (Yannick Jaffré, p. 11). Même la philosophie de l'anus de Preciado et d'autres ne résistera pas à l'épreuve du temps, fondée sur les rêves d'un visionnaire qui seront déconstruits et annulés par une métaphysique capable de respecter le réel, tout le réel, le réel de la différence.

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