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vendredi, 24 janvier 2025

La cage d'acier de Weber et le néo-totalitarisme libéral-démocratique

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La cage d'acier de Weber et le néo-totalitarisme libéral-démocratique

par Tiberio Graziani

Source: https://www.ariannaeditrice.it/articoli/la-gabbia-d-accia...

Dans le contexte contemporain, caractérisé par l'omniprésence croissante des nouvelles technologies de la communication dans les processus de formation de l'opinion et de prise de décision, les réflexions sociologiques de Max Weber sur la « cage d'acier » s'avèrent être un outil fructueux pour comprendre les avertissements de ce que l'on peut définir comme les dérives du système néo-libéral-démocratique.

En effet, le lien entre rationalisation technocratique, éthique utilitariste et conformisme social et culturel, bien décrit par Weber, trouve aujourd'hui un nouveau souffle dans l'instrumentalisation croissante du phénomène de l'intelligence artificielle, la montée du politiquement correct et la transformation des démocraties occidentales en régimes présentant des traits de néo-totalitarisme.

L'intelligence artificielle : la face rationnelle de la cage d'acier

L'intelligence artificielle (IA), appliquée aux processus industriels, représenterait en quelque sorte l'apogée de la rationalisation théorisée par le penseur allemand. Il s'agit essentiellement d'une technologie qui promet - et permet - l'efficacité et l'optimisation, mais - si elle n'est pas gérée de manière critique et appropriée - au prix d'une aliénation croissante et généralisée. En effet, les décisions automatisées, basées sur des algorithmes, pourraient réduire la capacité de l'individu à influencer les résultats des processus sociaux : du point de vue de la critique du pouvoir, l'utilisation de ces algorithmes semble renforcer une structure bureaucratique qui se nourrit d'elle-même, contribuant à la création d'une « cage d'acier » numérique. Cette « cage d'acier » numérique, apparemment neutre, imposerait ainsi une logique instrumentale qui vide les valeurs humaines de leur sens, poussant les classes dirigeantes vers un contrôle de plus en plus prononcé, envahissant et déshumanisant des sociétés.

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L'IA - telle qu'elle est gérée actuellement - se présente comme un instrument supplémentaire de consolidation du pouvoir des classes dirigeantes des États les plus avancés sur le plan technologique et des groupes de pouvoir au sein des grandes sociétés financières et industrielles, produisant des inégalités structurelles dans les sociétés et les sphères de travail. L'accès aux technologies les plus avancées est réservé à quelques acteurs mondiaux, tandis que les citoyens ordinaires deviennent de simples rouages d'un système qu'ils ne semblent pas comprendre. La promesse de liberté, typique du discours néolibéral, se transforme en une forme d'« esclavage algorithmique », où la capacité d'autodétermination est de plus en plus limitée.

Le politiquement correct : symptôme du néo-État éthique occidental

Le politiquement correct, souvent perçu et surtout véhiculé comme un progrès civilisé, peut être interprété - dans le contexte de la critique du comportement social actuel et de l'évolution politique de la société occidentale - comme un symptôme concret de l'affirmation d'un État éthique occidental. Par un contrôle rigide du langage et de l'opinion, on tente de conformer la société à un ensemble de valeurs considérées comme universelles, mais qui reflètent en réalité l'idéologie des classes dirigeantes. Ce phénomène, loin d'être une forme d'émancipation, devient un instrument d'homologation culturelle.

L'imposition du politiquement correct ne restreint pas seulement la liberté d'expression, mais trahit une hétérogénéité des finalités. Les démocraties libérales, nées pour protéger le pluralisme et la diversité, finissent par adopter des pratiques totalisantes qui visent à éliminer la dissidence. C'est ainsi que se réalise une nouvelle forme de totalitarisme doux, dans lequel le consensus se construit par la pression sociale et l'isolement des « déviants », à travers, entre autres, des formes sophistiquées de mise au pilori médiatique (la fameuse « machine à boue »), l'attribution de liens, de relations et de comportements perçus comme embarrassants, socialement et politiquement répréhensibles, et même susceptibles d'être sanctionnés par la coercition.

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Totalitarisme et hétérogénéité des fins

La pensée démocratique néolibérale, qui met l'accent sur le marché, les droits individuels et le progrès technologique, semble donc incarner l'apogée de la modernité. Cependant, elle se révèle paradoxalement, dans son explicitation pratique, comme l'aboutissement du cycle historique libéral-démocratique. La recherche incessante de l'efficacité, liée à la concentration croissante du pouvoir économique et financier entre les mains de quelques groupes, comme l'a bien décrit Alessandro Volpi, a conduit à un système qui restreint de plus en plus la liberté réelle, transformant les citoyens en sujets d'un ordre rationalisé et globalisé, dans lequel le débat démocratique, là où il s'exerce encore, prend au mieux le caractère d'un simple rituel sclérosé, au pire, compte tenu de la virulence polarisante croissante qui le caractérise actuellement, d'une forme singulière de névrose.

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L'hétérogénéité des fins - le principe selon lequel des actions conçues et entreprises dans un but précis aboutissent plutôt à des résultats opposés impensables - est clairement évidente dans la pratique de la démocratie libérale contemporaine. Les démocraties, telles que nous les connaissons sur notre continent au moins depuis la Révolution française jusqu'à aujourd'hui, nées pour protéger l'individu de l'arbitraire du pouvoir, se sont transformées, en l'espace de quelques décennies, en systèmes qui contrôlent largement la vie des citoyens. Les mécanismes de surveillance, la censure implicite et la manipulation de l'information constituent quelques-uns des instruments d'un pouvoir qui ne se présente plus visiblement comme autoritaire, mais parodiquement paternaliste et salvateur, enveloppé dans une superstructure rhétorique empruntée aux réflexions de Popper.

La nécessité et l'urgence d'une nouvelle critique de la modernité

Raisonner sur la métaphore de la « cage d'acier » de Weber, actualisée au contexte d'aujourd'hui, permet de réfléchir aux dérives du modèle néolibéral-démocratique que nous connaissons actuellement. L'instrumentalisation de l'intelligence artificielle, le politiquement correct et la dynamique d'hétérogénéité des finalités sont des symptômes clairs de la trajectoire d'un système autoréférentiel qui semble se diriger vers l'effondrement.

Pour contenir et échapper à cette nouvelle forme de totalitarisme, il est nécessaire et urgent de retrouver la valeur de la pensée critique et la pratique de l'action collective. Ce n'est qu'en reformulant les rapports entre technologie, éthique et politique qu'il sera peut-être possible de construire un avenir qui ne soit pas dominé par la logique impersonnelle de la « cage d'acier », mais qui redonne une place centrale à l'être humain et à sa dignité.

Trumpisme et biopolitique

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Trumpisme et biopolitique

par Daniele Perra

Source : Daniele Perra & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/trumpismo-e-biopo...

J'ai déjà parlé du trumpisme comme d'une opération biopolitique « foucaldienne ». Je vais essayer de mieux expliquer ce concept. Tout d'abord, je pense qu'il est nécessaire de souligner l'importance des médias (en tant qu'instruments de la « production de pouvoir ») pour l'étude et l'analyse géopolitiques. Déjà Karl Haushofer, en 1928, face à l'impétuosité de la politique de masse, avait compris l'importance de porter les dynamiques géopolitiques à la connaissance de l'opinion publique, même si l'information devait nécessairement être de nature simplifiée et adaptée à l'orientation du public. En d'autres termes, Haushofer a compris avant d'autres que la représentation médiatique fait partie intégrante de la dimension géopolitique et qu'elle est un outil utile pour obtenir un soutien émotionnel (et donc non critique) à l'action.

La sphère de la communication revêt donc une importance fondamentale pour la géopolitique, et les médias eux-mêmes sont interprétés comme les instruments qui représentent la (géo)politique et le pouvoir.

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La « géopolitique critique » (née dans les années 1980) étudie en effet le contenu des médias afin de comprendre les intérêts particuliers et le « pouvoir réticulaire/circulaire » des médias. En effet, les représentations spatiales du pouvoir jouent un rôle décisif dans la compréhension des stratégies politiques. En même temps, il faut reconnaître que, assez souvent, ce qu'on appelle le « journalisme géopolitique » devient lui-même un instrument de pouvoir et/ou un producteur de propagande. Par propagande, nous entendons la production délibérée et systématique de représentations médiatiques stéréotypées dans le but de manipuler, sélectionner ou dissimuler des faits et des phénomènes et d'orienter l'opinion publique par des sujets politiques et/ou économiques représentant les centres de pouvoir (pensons aux cas emblématiques de l'Ukraine et de la Palestine).

Or, cette utilisation « stratégique » des médias a historiquement toujours existé. Pendant ce qu'on appelle le « Grand Jeu » ou le « Tournoi des ombres » (la « guerre froide » du 19ème siècle entre la Grande-Bretagne et la Russie en Asie centrale), par exemple, les journaux britanniques n'ont jamais cessé de décrire l'Empire tsariste comme une entité maléfique. Ou encore, plus anciennement (même à l'époque médiévale), la façon dont les émissaires papaux décrivaient Frédéric II. 

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Cette « utilisation stratégique » a connu une fortune remarquable à l'époque du totalitarisme et, bien qu'elle n'ait jamais cessé, elle a connu une évolution très particulière avec l'avènement d'Internet. En effet, si les médias traditionnels ont une approche verticale (choix, formation et couverture des « nouvelles » par le haut), Internet a une approche horizontale dans laquelle les nouvelles, en apparence, circulent de manière plus fluide et plus libre. En réalité, la multiplication des médias et des plateformes sociales ne correspond pas à une réelle plus grande liberté d'information. Les entreprises qui contrôlent les flux du réseau, pour la plupart (du moins les principales), sont basées aux États-Unis et appartiennent à d'imposantes concentrations industrielles avec des intérêts considérables directement liés à la politique et à la guerre (qui de la politique est la continuation par d'autres moyens, Clausewitz docet). En ce sens, comme les agences de notation, les ONG, les fonds d'investissement, les groupes de pression, les plateformes sociales (Facebook, X, etc.) produisent aussi du pouvoir. Et elles le font d'une manière très particulière. Celles-ci, en effet, comme la finance transnationale, réduisent les espaces et les distances en ce sens qu'elles permettent au pouvoir de s'exercer même dans des sphères extrêmement éloignées de son centre réel. Ce faisant, le réseau exerce un pouvoir fluide capable d'une expansion illimitée.

Par conséquent, à l'ère du capitalisme/impérialisme numérique, le trumpisme s'impose avant tout comme un processus de restructuration du système de pouvoir nord-américain : un processus de substitution entre anciennes et nouvelles oligarchies industrielles dont les intérêts géopolitiques à long terme ne divergent que partiellement (le « méchant “ russe est remplacé par le "super-vilain" iranien ou chinois). Cependant, ce processus de restructuration nécessite ce qui a été décrit précédemment comme un « soutien émotionnel fondé sur une base non critique », bourré de propagande (souvent « visionnaire »). Voici donc l'alignement presque total des plateformes sociales nord-américaines sur l'intérêt stratégique du centre et la création d'un supposé « espace nouveau ou renouvelé » produit par l'interaction entre les « nouvelles/anciennes puissances » qui se stratifient et se solidifient dans l'imaginaire de l'Occident collectif.

 

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Dominique de Villepin, notre Victor Hugo

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Dominique de Villepin, notre Victor Hugo

par Claude Bourrinet

Villepin, c'est bien joli, et l'homme ne manque ni de talent oratoire, ni de caractère, ni de courage face à la meute sioniste, mais il est, hélas, l'un des pires symptômes de la civilisation française, qui a pris aux Romains l'art de faire vibrer l'air de pathos et d'inanités sonores, mais sans persévérer dans la force. Villepin aurait peut-être été, en d'autres temps, Danton, ou Robespierre (qui avaient la force), ou même peut-être de Gaulle.

De Gaulle fascinait non par la peur qu'il inspirait, mais par son cabotinage grandiloquent. Les Français étaient pendus au petit écran, comme des mouches, quand il apparaissait, logeant à peine dans le cadre, qu'il outrepassait presque. Car la puissance du Grand Charles résidait surtout dans son verbe, c'est-à-dire dans le vent qu'il expirait, et qui frisait les crânes déjà creux des Français, lesquels n'aspiraient qu'au repos des braves gens.

Cependant, De Gaulle garda en main le gouvernail de la France durant dix ans. Les discours emphatiques et étincelants, c'est surtout beau et bon quand on a, avec la toge, les armes. Donc le pouvoir. Villepin fut premier ministre des Affaires étrangères de Chirac pendant seulement deux ans. Certes, il tint tête aux Américains, comme l'on sait, en 2003, à l'occasion de l'invasion criminelle de l'Irak, et il faut lui en être reconnaissant. Cependant, si l'Allemagne n'avait pas refusé de se joindre aux envahisseurs yankee, cette posture aurait-elle été possible ? L'axe, si plein d'espérances (on a rêvé, alors !) Berlin - Moscou - Paris, est d'abord une initiative allemande. Le chancelier Schröder était très proche des Russes, et l'Allemagne avait beaucoup à gagner à la persistance d'un lien privilégié avec un pays qui lui octroyait des matières premières à volonté et à bon marché. On voit actuellement les conséquences ruineuses de la politique inverse. Il paraît que la diplomatie française a quelque peu traîné des pieds, et s'est laissée persuader. Le ver était dans le fruit. Il ne faut pas oublier que Chirac eut la lâcheté de suivre l'Otan, sans mandat de l'ONU, dans son agression criminelle de la Serbie, en 1999, et qu'à cette occasion, qui ne fut pas la dernière, un tsunami de propagande nauséabonde se déversa sur le pays. Et il aura suffi de l'intrusion d'un agent américain et furieusement sioniste, Sarkozy, pour vider notre politique étrangère comme un poulet. Entre-temps, Villepin a commémoré en grandes pompes, envoyant pour ce faire le Charles-de-Gaulle à l'embouchure de la Tamise, le désastre de Trafalgar, tandis que la misérable Alliot-Marie était projetée en mission sur le plateau d'Austerlitz, sans flonflons ni trompettes.

Villepin fait irrésistiblement penser à Lamartine, à Hugo, à Camus, et à tant de nos Grandes Âmes, qui, pour le monde, sont fâcheusement emblématiques de notre nation. Des enfileurs de poncifs pompeux et des brasseurs de mots vagues et creux, qui ne tourneboulent le coeur que parce qu'ils portent dans les nuages les sanglots de l'émotion (et me voilà moi-même à filer, comme eux, des métaphores foireuses !).

Le problème, avec ce type de chansons, c'est qu'elles sont des chansons, des airs que l'on fredonne en rêvant. La morale, c'est bien, ça soude une grande partie du monde, qui n'est, au fond, pas si méchant que ça, et surtout ça fait pleurer Margot. Une Margot qui pose son petit derrière sur le siège de la balançoire, mais qui n'a pas les pieds sur terre. On a peine à créditer un chef d'Etat qui condamnerait le "pouvoir", la puissance contraignante, voire meurtrière, pour assurer, quand il en est besoin, l'indépendance, ou l'autorité du pays.

Un chef d'Etat incapable de faire la guerre n'est pas digne de ce nom. Poutine a pris ses responsabilités, et la Russie est bien gouvernée. Nous sommes bien d'accord qu'il y a des limites à ne pas dépasser si l'on veut rester une nation qui aura sa place dans le concert des nations civilisées, ce qui n'est pas le cas d'Israël. Mais mettre sur le même plan l'Etat hébreu et l'Etat russe, c'est commettre une faute impardonnable de la part d'un homme qui, apparemment, ambitionne les plus hautes fonctions.

A moins que ce ne soit de la pure propagande électoraliste, et qu'il ne veuille pas se brouiller avec certaines officines de gauche plus ou moins russophobes.

Encore une fois, il vaut mieux Villepin que rien du tout, ou, pire, que ces veules chacals qui pullulent dans les médias, et déshonorent la France en soutenant un criminel tel que Netanyahou, ou bien qui rampent comme des bêtes dressées devant le maître américain.

Mais, finalement, ce qui sauva De Gaulle, qui avait été élevé du temps de Déroulède et de Barrès, c'était son cynisme. Il avait, tout de même, le sens des réalités, et n'hésitait pas à employer, quand il le fallait, les pires moyens, même les plus immoraux. Si l'on est intelligent, de cette intelligence du monde qui tente d'éviter de verser dans la bouillie sentimentale, une intelligence cruelle, certes, et même dégueulasse, il faut reconnaître que la rude réalité humaine n'est pas un système binaire, où il serait aisé de trouver la voie du Bien, en s'opposant au Mal. Cela, il faut le laisser aux gobeurs de propagande, et aux journalistes.

Le monde d'aujourd'hui et de toujours: la géopolitique d'un océan à l'autre

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Le monde d'aujourd'hui et de toujours: la géopolitique d'un océan à l'autre

Alberto Hutschenreuter

Source: https://nomos.com.ar/2025/01/06/el-mundo-de-hoy-y-de-siem...

La géopolitique n'a jamais quitté la scène mondiale, malgré l'hypocrisie des puissances occidentales qui ont tenté de la faire oublier.

L'ironie du sort veut que, plus de trente ans après avoir décrété la « fin de la géopolitique », ce soit précisément la géopolitique qui menace aujourd'hui la mondialisation et la possibilité de construire un ordre international.

Cela démontre que le volontarisme est de peu d'effet face aux régularités de l'histoire; et nous rappelle, d'une certaine manière, le moment où, à la fin des années 1920, fut signé le Pacte Briand-Kellog ou Traité de renonciation à la guerre (illustration, ci-dessous), un accord qui, selon le polémiste français Gaston Bouthoul, équivalait à ce que les médecins signent un document proclamant la fin des maladies.

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Les excès de l'idéalisme en politique internationale conduisent souvent à ce genre de déclarations ou d'aspirations, jusqu'à ce que le mur solide de la réalité s'y oppose et rétablisse l'équilibre.

La géopolitique n'a jamais eu bonne réputation, car elle a été associée à l'annexion de territoires, à la capture de régions riches en ressources, à des sphères ou blocs d'influence, à des « frontières vivantes », à des intentions ou ambitions cachées de la part d'États de se développer au détriment de la sécurité d'autres États, entre autres choses.

Ce discrédit de la discipline a été amplifié par le fait que le régime allemand des années 1930, révolutionnaire d'un point de vue géopolitique, l'a transformée en une méthode basée sur le sol et la race, orientée vers la guerre. C'est sans doute dans ce contexte que la réputation de la géopolitique a été ternie.

Après la Seconde Guerre mondiale, le terme est abandonné, mais non sa pratique. Après tout, qu'est-ce que la guerre froide si ce n'est un affrontement mondial pour contrôler les espaces sis entre des blocs idéologiques et géostratégiques rigides ?

Avec la fin du bipolarisme, la géopolitique semblait avoir disparu en même temps que le conflit qui a dominé la majeure partie du 20ème siècle. De plus, la mondialisation a rapidement « géo-économisé » les relations internationales, laissant peu de place aux phénomènes de rupture. La géopolitique n'a pas disparu, bien sûr, mais elle a acquis un sens presque « sur mesure ». Tout devient alors géopolitique: du paysage financier aux phénomènes climatiques. Par exemple, on a parlé de la « géopolitique de Katrina », comme si l'ouragan obéissait aux logiques politico-territoriales des États.

Or, dans ce monde, il s'est produit des événements où l'interaction entre les intérêts politiques, les territoires et la puissance, c'est-à-dire les composantes qui définissent et animent la géopolitique, était catégorique.

Il a fallu un événement profondément géopolitique, impliquant directement un acteur puissant à l'histoire territoriale marquée (la Russie), pour que des experts autorisés commencent à parler du « retour de la géopolitique ».

En fait, l'annexion par la Russie de la péninsule ukrainienne de Crimée en 2014 a ramené la géopolitique au centre des débats. Depuis, les études sur la discipline se sont multipliées. La géopolitique est « revenue ».

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Mais à proprement parler, la géopolitique n'a jamais vraiment disparu. Si nous jetons un regard plus critique et réfléchi sur les événements qui se sont déroulés depuis les années 1990, nous nous rendons compte que la géopolitique est présente dans tous ces événements. Par exemple, l'expansion de l'OTAN et l'attaque du terrorisme transnational sur le territoire le plus sûr du monde, en ce funeste 11 septembre, sont des événements dans lesquels la relation entre l'intérêt politique et le territoire est évidente. Alors que le premier a représenté un déplacement de pays et de moyens militaires vers des zones russes de plus en plus stratégiques, le second a été la conséquence d'une orientation territoriale globale du terrorisme de nouvelle génération.

En outre, non seulement la géopolitique n'a jamais disparu, mais de nombreux nouveaux thèmes ont contribué à sa pluralisation. C'est le cas du segment ou plan numérique, l'une des « nouvelles territorialités » qui s'ajoute aux anciennes, bien que, contrairement à elles, il s'agisse d'un champ incommensurable. Son utilisation à des fins pernicieuses permet finalement aux États de se dédouaner de leur responsabilité pour des actions menées contre d'autres, grâce à la prolifération de hackers patriotes, globaux et « souverains ».

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L'espace extra-atmosphérique est un autre territoire « nouveau mais ancien ». Ce qui est nouveau dans ce « domaine », comme le soulignent les experts américains Dave Baiocchi et William Welser, c'est sa « démocratisation ». Cela signifie qu'en plus de la prolifération des missions spatiales, l'actuelle course à l'espace n'est pas seulement le fait des États. La technologie a rendu l'espace plus accessible que jamais, permettant à de nouveaux acteurs d'y entrer.

À côté de ces réalités, le vitalisme géopolitique se manifeste dans de nombreuses autres situations: des mouvements des puissances dans l'océan Arctique et le continent Antarctique, à la projection régionale, continentale et mondiale de la Chine. Il comprend également l'acquisition d'espaces environnementaux propres par des puissances qui ont presque épuisé les leurs, l'ouverture de nouvelles routes commerciales (comme celle de l'Arctique), le développement de politiques de préservation des espaces maritimes - qui, dans la pratique, reflètent des logiques de pouvoir et de contrôle de la part des puissances, ce que l'on appelle la « diplomatie de la défense » -, la projection vers des régions riches en ressources anciennes et nouvelles, et le développement d'une culture de la sécurité, la projection vers des régions riches en minerais anciens et nouveaux (comme le lithium et les terres rares), l'endiguement multidimensionnel perpétré par les États-Unis contre la Chine, la configuration possible de blocs technologiques ou d'interintelligence artificielle (BI-IA), la revitalisation territoriale possible du terrorisme (en envisageant, par exemple, un scénario de chaos en Syrie), le renouveau du « navalisme » et de la « géopolitique sous-marine ».

Enfin, dans les « deux guerres et demie » en cours dans le monde - en Ukraine, au Moyen-Orient et autour de la plaque indo-pacifique (cette dernière centrée sur la rivalité croissante entre la Chine et les Etats-Unis) - la prééminence de la géopolitique et même les causes de ces guerres ont des racines politico-territoriales.

Comme la guerre et d'autres phénomènes, la géopolitique ne revient pas, tout simplement parce qu'elle n'a jamais vraiment disparu. Par conséquent, au-delà des processus d'interaction sociale et du déclin apparent de l'anarchie internationale, conséquence de l'émergence de nouveaux acteurs et de l'avancée presque inéluctable de la technologie, il est impératif de penser le monde du point de vue des intérêts, des territoires et de la puissance - en particulier pour un « pays-continent » comme l'Argentine, un acteur doté de vastes extensions terrestres, maritimes, aériennes et numériques, mais qui ne dispose pas encore de la puissance nationale nécessaire pour protéger ce statut privilégié.

17:52 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, géopolitique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook