samedi, 14 juin 2025
États-Unis: la ligne de faille de la régression civile
États-Unis: la ligne de faille de la régression civile
par Andrea Zhok
Source : Andrea Zhok & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/stati-uniti-la-li...
Les affrontements en cours aux États-Unis entre ceux qui contestent les mesures préconisées par l'ICE (Immigration and Customs Enforcement) et les forces de l'ordre envoyées par le président Trump représentent d'ores et déjà une ébauche de cette "deuxième guerre civile américaine" qui plane depuis longtemps à l'horizon.
Si cela devait dégénérer en un conflit civil total ou s’éteindre, ce seront les prochaines semaines qui le révéleront, mais il est toutefois important d’en observer dès aujourd'hui la signification radicale.
Il ne s’agit pas simplement de protester contre une législation préconisant un durcissement contre l’immigration clandestine.
Les lignes politiques en jeu ici sont, de façon assez claire, les héritières directes des lignes de contraste qui avaient émergé juste avant la Guerre de Sécession (1861-1865).
Lors de la Guerre de Sécession, le Sud, agricole, était lié à une vision politique et économique intrinsèquement conservatrice, tellurique, identitaire, tandis que le Nord, industriel ou en voie d’industrialisation, se projetait dans une dimension progressiste, en rapide mutation.
Concernant la question des relations interethniques, la divergence n’a pas pu être plus nette: le Sud restait ancré dans une perspective où l’esclavage résidentiel et héréditaire jouait un rôle économique fondamental, alors que le Nord, grâce à la rapide industrialisation, continuait d’attirer une large population migrante venue d’Europe, ce qui faisait sa richesse.
Dans la seconde moitié du 19ème siècle, l’esclavage était un anachronisme, et les rapports de force entre zones urbaines industrielles et zones rurales penchaient entièrement en faveur des premières. La suprématie du Nord était évidente.
Mais un siècle et demi plus tard, la dynamique de l’urbanisation industrielle, devenue économie financière, est en crise ; la libre circulation de la main-d’œuvre, depuis toujours une caractéristique des États-Unis, pose plus de problèmes que la contribution économique des travailleurs à bas coût ne peut en résoudre.
En ce moment, les fronts de la Guerre de Sécession se retrouvent, mais avec de nouvelles fonctions historiques.
La ligne de fracture aujourd’hui n’est plus aussi nette entre le Nord et le Sud géographiques, mais entre grandes zones urbaines, liées à l’internationalisation financière et avec un électorat majoritairement démocrate, et la campagne profonde, qui cherche à recevoir une protection économique et à retrouver une identité perdue, et qui vote principalement pour le parti républicain.
Que cette fracture soit objectivement profonde et perçue comme telle aux États-Unis est évident.
On le voit dans la radicalisation de l’affrontement institutionnel, où par exemple la maire de Los Angeles et le gouverneur de Californie alimentent constamment une rhétorique de "démocratie contre dictature", soutenant de facto le caractère subversif et anticonstitutionnel des décisions de la présidence.
Et Trump a tout intérêt à renverser ces accusations, en accusant à son tour les institutions californiennes de se livrer à des activités subversives et insurrectionnelles.
Cette fracture se propage rapidement dans toutes les grandes villes du pays: Seattle, Chicago, Philadelphie, etc., où les autorités démocrates soutiennent cette lecture-là d’un "choc des civilisations".
Je doute que des acteurs politiques ayant des ambitions de faire carrière, tels que les maires, les gouverneurs, les députés, etc., soient prêts à un affrontement risqué au moment où Trump pourrait rappeler l'Insurrection Act, qui donne au président le pouvoir d’utiliser l’armée et la garde nationale pour des missions de police.
Mais il n’est pas du tout certain qu’une fois évoquée dans une partie de la population l’image d’un affrontement vital, entre conceptions différentes de la civilisation, où il n’y a pas de place au compromis avec l’adversaire, on puisse faire rentrer le troupeau dans l’enclos.
Si nous étions ailleurs, les médias parleraient tous d’une "révolution de couleur" contre le pouvoir établi et pour les valeurs de liberté et de démocratie.
Mais par rapport aux "révolutions de couleur" habituelles dans d’autres pays, ici, il manque un élément déterminant: le rôle que joue le financement de telles activités, sous une coordination orchestrée par les Américains eux-mêmes. (On peut seulement imaginer ce qui arriverait ici si, comme en 2014 en Ukraine, un équivalent russe ou chinois de l’ancienne porte-parole du Département d’État américain, Victoria Nuland, distribuait vivres et argent liquide, ou haranguait la foule des insurgés à Los Angeles...)
16:11 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : actualité, états-unis, los angeles, californie | |
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Commentaires
Il faut aussi tenir compte de la forte minorité des latinos (majoritaire dans certains Etats, au moins relativement, comme en Californie ou en Floride), catholiques, très attachés à leurs pays d'origine (dont le Mexique, ancien possesseurs de terres volées par les Yankees en 1848), ne portant pas toujours dans leur coeur la civilisation WASP, parfois refusant d'apprendre l'anglais (lire l'essai d'Huntington : Wo are you ? de 2004, me semble-t-il). Personnellement, je me réjouis de la révolte de catholiques, qui plus est souvent très conservateurs et croyants. D'un point de vue européen, et Français, en respectant les principes machiavéliens, nous devrions être enchantés que notre principal ennemi s'enferre dans une guerre civile qui, je l'espère, le fera éclater en quelques morceaux, en l'affaiblissant. Nous respirerons alors.
Écrit par : Claude Bourrinet | samedi, 14 juin 2025
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