Mathieu Bock-Côté est sociologue (Ph.D). Il est chargé de cours à HEC Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal ainsi qu'à la radio de Radio-Canada. Il est l'auteur de plusieurs livres, parmi lesquels «Exercices politiques» (VLB, 2013), «Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois» (Boréal, 2012) et «La dénationalisation tranquille: mémoire, identité et multiculturalisme dans le Québec post-référendaire» (Boréal, 2007).
Êtes-vous un pseudo-intellectuel? L'accusation n'est pas neuve mais elle étonne chaque fois. Quand la gauche pontifiante constate que les intellectuels font dissidence, alors qu'elle les croyait à son service, elle les accuse d'être des pseudo-intellectuels. Autrement dit, ce sont des faussaires qui usurpent un beau titre pour se mettre au service de la réaction. C'est de cette manière que Najat Vallaud-Belkacem a exécuté les adversaires de sa réforme des programmes.
Quand la gauche pontifiante constate que les intellectuels font dissidence, alors qu'elle les croyait à son service, elle les accuse d'être des pseudo-intellectuels.
Cette accusation, elle vient souvent des intellectuels de gauche eux-mêmes. On se souviendra du mauvais sort fait à Raymond Aron, traité longtemps à la manière d'un pamphlétaire. Il avait beau être un des grands philosophes de son temps, on le traitait comme un prosateur sans envergure, seulement bon à donner un vernis théorique aux intérêts bien calculés de la bourgeoisie à laquelle il avait prêté serment.
C'était le temps du marxisme religieux. On distinguait alors ceux qui avaient été éclairé par la révélation révolutionnaire et les autres, encore empêtrés dans l'histoire avec ses contradictions et sa part tragique. Les premiers servaient l'humanité, ils travaillaient à l'éclairer et à l'émanciper, les seconds, consciemment ou non, justifiaient les privilèges des uns et la subordination des autres.
Mais le marxisme n'était pas qu'une morale surplombante distinguant entre les forces vives de l'humanité et son bois mort. Il se prenait aussi pour une science, ce qui assurait son surplomb théorique devant le commun des mortels. Une partie importante de la gauche intellectuelle a récupéré ces dernières années cette rhétorique et se permet d'exclure du domaine de la pensée ceux qui ne reprennent pas son jargon ou ses méthodes.
Une partie importante de la gauche intellectuelle a récupéré ces dernières années cette rhétorique et se permet d'exclure du domaine de la pensée ceux qui ne reprennent pas son jargon ou ses méthodes.
Ainsi, au fil des ans, Jean Sévillia, Alain Finkielkraut ou Marcel Gauchet ont été accusés successivement de pratiquer la contrefaçon intellectuelle. Le premier ne serait pas vraiment historien, les deux autres certainement pas philosophes. On a aussi fait le coup, au fil du temps à Pierre Manent, accusé d'avoir une connaissance sommaire des œuvres qu'il commente. Si de telles attaques n'étaient pas aussi mesquines, on dirait aisément qu'elles sont hilarantes.
La dernière accusation en date, c'est celle de polémiste. Elle consiste à transformer son contradicteur en aboyeur virulent, qui cherche la querelle pour la querelle, à moins qu'il ne se contente de provoquer cyniquement la bonne société pour augmenter sa visibilité médiatique. Éric Zemmour, qui est un écrivain politique de grand talent, a ainsi été réduit au statut d'histrion ne méritant même pas qu'on lui réponde. En attendant qu'on le fasse taire.
Souvent, les «pseudo-intellectuels» sont accusés d'être réactionnaires. Encore faudrait-il définir ce terme mais il sert moins à qualifier qu'à disqualifier son contradicteur. Il envoie le message suivant: vous êtes réactionnaire, alors pourquoi perdrais-je du temps à débattre avec vous? On parlera même de «penchants réactionnaires», à la manière de passions honteuses qu'un intellectuel bien élevé devrait refouler sans jamais les avouer.
Une certaine frange de la gauche ne s'est toujours pas réconciliée avec le pluralisme politique. Pour elle, la vérité et la justice coïncident toujours. Elle se présente comme le parti du bien.
D'ailleurs, une frange importante de la gauche psychiatrise ses adversaires. Ils seront au gré des querelles xénophobes, homophobes, transphobes, europhobes, islamophobes, et ainsi de suite. L'avantage, lorsqu'on diagnostic un trouble psychiatrique chez son adversaire, c'est qu'on n'a plus à lui répondre. Il a besoin d'une thérapie. Au mieux, on l'accusera de nostalgie. On le laissera alors radoter seul dans son coin, comme un grand-père sénile.
C'est la possibilité même du désaccord de fond qui semble inconcevable pour une femme comme Najat Vallaud-Belkacem. Pour elle, il va de soi que si quelqu'un a vraiment lu et compris sa réforme, il ne pourra que l'approuver. À moins qu'il ne milite consciemment contre le bien commun. Ce sera alors un salaud. C'est-à-dire un homme de droite. Ou qu'il ne comprenne rien à rien. Ce sera alors un idiot. Mais l'adversaire de bonne foi n'existe tout simplement pas.
Une certaine frange de la gauche ne s'est toujours pas réconciliée avec le pluralisme politique. Pour elle, la vérité et la justice coïncident toujours. Elle se présente comme le parti du bien. Les seuls contradicteurs légitimes qu'elle se reconnaitra seront ceux qui se couchent devant elle en se présentant simplement comme de simples ajusteurs comptables. Mais lorsqu'un intellectuel confesse un désaccord de fond, il n'est plus digne de considération.
Un homme «de droite» pourrait aisément reconnaître en Michel Foucault un authentique philosophe même s'il rejette son œuvre. De même, un homme «de gauche» devrait admettre la profondeur philosophique de l'œuvre d'un Julien Freund même s'il ne l'embrasse pas. Ceux qui réservent la philosophie pour leur camp témoignent en fait d'un fanatisme grave. Il est seulement triste de constater qu'on décide de temps en temps d'en faire des ministres.