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jeudi, 12 septembre 2019

Quand la CIA étudiait la French theory: sur le travail intellectuel de démembrement de la gauche culturelle

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Quand la CIA étudiait la French theory: sur le travail intellectuel de démembrement de la gauche culturelle

Par Gabriel Rockhill 

Source The Philosophical Salon

On présume souvent que les intellectuels ont peu ou pas de pouvoir politique. Perchés au sommet d’une tour d’ivoire privilégiée, déconnectés du monde réel, mêlés à des débats académiques dénués de sens sur des détails infimes, ou flottant dans les nuées absconses de théories abstraites, les intellectuels sont souvent dépeints comme non seulement coupés de la réalité politique, mais comme incapables d’avoir un impact significatif sur elle. Ce n’est pas ce que pense la CIA.

En fait, l’agence responsable de coups d’État, d’assassinats ciblés et de manipulations clandestines des gouvernements étrangers ne croit pas seulement au pouvoir de la théorie, mais elle a consacré des ressources importantes pour qu’un groupe d’agents secrets étudient ce que certains considèrent comme la théorie la plus complexe et absconse jamais produite. En effet, dans un article de recherche intrigant écrit en 1985, et récemment publié avec des retouches mineures en raison du Freedom of Information Act, la CIA révèle que ses agents ont étudié la très complexe, avant-gardiste et internationale French theory, [ou théorie de la déconstruction, NdT] adossée aux noms de Michel Foucault, Jacques Lacan et Roland Barthes.

L’image d’espions américains se réunissant dans des cafés parisiens pour étudier assidûment et comparer leurs notes sur les écrits des grands prêtres de l’intelligentsia française choquera ceux qui présument que ce groupe d’intellectuels est constitué de sommités dont la sophistication éthérée ne pourrait jamais être saisie par un filet aussi grossier, ou qui, au contraire, les considèrent comme des charlatans colportant une rhétorique incompréhensible sans impact sur le monde réel ou presque. Cependant, cela ne devrait pas surprendre ceux qui connaissent l’investissement de la CIA, ancien et permanent, dans la guerre culturelle mondiale, y compris par le soutien à ses formes les plus avant-gardistes, qui a été bien documenté par des chercheurs comme Frances Stonor Saunders, Giles Scott-Smith, Hugh Wilford (et j’ai moi-même apporté ma propre contribution dans Radical History & the Politics of Art).

Thomas W. Braden, l’ancien superviseur des actions culturelles à la CIA, a expliqué avec franchise la puissance de l’offensive intellectuelle de l’Agence dans un compte rendu à destination de ses membres, publié en 1967 :

Je me souviens de l’immense joie que j’ai ressentie lorsque le Boston Symphony Orchestra [qui avait reçu l’appui de la CIA] a recueilli plus d’éloges pour les États-Unis à Paris que John Foster Dulles ou Dwight D. Eisenhower n’aurait pu en obtenir en une centaine de discours.

En aucune façon, il ne s’agissait d’une petite opération à la marge. En fait, comme Wilford l’a fort justement décrit, le Congrès pour la liberté de la culture (CCF), dont le siège social se trouvait à Paris et qui s’est par la suite avéré une organisation de façade de la CIA dans la partie culturelle de la guerre froide, était l’un des plus importants mécènes dans l’histoire universelle. Il soutenait une incroyable gamme d’activités artistiques et intellectuelles. Il avait des bureaux dans 35 pays, publiait des dizaines de magazines de prestige, était impliqué dans l’industrie du livre, organisait des conférences internationales de haut niveau ainsi que des expositions d’art, coordonnait des spectacles et des concerts et contribuait largement au financement de divers prix et bourses culturels, ainsi que d’organismes de soutien comme la Fondation Farfield.

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L' »Appareil » parisien : l’agent de la CIA et chef du CCF Michael Josselson (au centre) dans un déjeuner de travail avec John Clinton Hunt et Melvin Lasky (à droite)

La CIA comprend que la culture et la théorie sont des armes cruciales dans l’arsenal global qu’elle déploie pour protéger les intérêts étasuniens dans le monde entier. Le rapport de recherche de 1985, récemment publié, intitulé « France : Defection of the Leftist Intellectuals » (Défection des intellectuels de gauche en France) examine, sans aucun doute pour la manipuler, l’intelligentsia française et son rôle fondamental dans l’orientation des tendances qui à leur tour génèrent les orientations politiques. Le rapport suggère qu’il a existé un équilibre idéologique relatif entre la gauche et la droite dans l’histoire intellectuelle française, puis souligne le monopole de la gauche dans l’immédiat après-guerre (auquel, nous le savons, l’Agence était farouchement opposée) en raison du rôle clé des communistes dans la résistance au fascisme et de leur victoire finale. Bien que la droite, selon les mots de la CIA, ait été massivement discréditée en raison de sa contribution directe aux camps nazis, ainsi que de son programme globalement xénophobe, anti-égalitaire et fasciste, les agents secrets anonymes qui ont rédigé le plan d’étude constatent avec un vif plaisir son retour intellectuel depuis le début des années 1970 environ.

Plus précisément, les soldats camouflés de la culture applaudissent ce qu’ils considèrent comme un double mouvement qui contribue à ce que les cercles intellectuels détournent leurs critiques des États-Unis vers l’URSS. A gauche, il existait une désaffection intellectuelle croissante envers le stalinisme et le marxisme, un retrait progressif des intellectuels radicaux du débat public, et un mouvement théorique de prise de distance envers le socialisme et le Parti socialiste. Plus loin, à droite, les opportunistes idéologiques appelés Nouveaux philosophes ainsi que les intellectuels de la Nouvelle droite avaient lancé une campagne médiatique de critique du marxisme.

Tandis que d’autres tentacules de la CIA étaient impliqués dans le renversement de dirigeants démocratiquement élus, fournissant des informations et des financements à des dictateurs fascistes, soutenant les escadrons de la mort, l’état-major culturel parisien recueillait des données sur la manière dont le glissement du monde intellectuel vers la droite pourrait directement bénéficier à la politique étrangère américaine. Les intellectuels de gauche de l’après-guerre avaient ouvertement critiqué l’impérialisme américain. L’influence médiatique de Jean-Paul Sartre en tant que critique marxiste, et son action notable, en tant que fondateur de Libération, dans le dévoilement du dirigeant de la CIA à Paris ainsi que de dizaines d’agents infiltrés, étaient surveillées de près par l’Agence et considérées comme un très grave problème.

Par contraste, l’atmosphère anti-soviétique et anti-marxiste de l’ère néolibérale en cours d’émergence détournait l’attention du public et fournissait une excellente couverture pour les sales guerres de la CIA en rendant « très difficile pour quiconque de mobiliser parmi les élites intellectuelles une opposition significative à la politique des États-Unis en Amérique centrale, par exemple. » Greg Grandin, un des meilleurs historiens de l’Amérique latine, a parfaitement résumé cette situation dans The Last Colonial Massacre :

En plus des interventions visiblement désastreuses et mortelles au Guatemala en 1954, en République dominicaine en 1965, au Chili en 1973 et au Salvador et au Nicaragua au cours des années 1980, les États-Unis ont attribué des ressources financières stables et discrètes, et leur soutien moral aux États terroristes contre-insurgés. […] Mais l’énormité des crimes de Staline assure que ces histoires sordides, qu’elles soient convaincantes, approfondies, ou accablantes, ne perturbent pas le fondement d’une vision du monde où le les États-Unis jouent un rôle exemplaire dans la défense de ce que nous appelons aujourd’hui démocratie.

C’est dans ce contexte que les mandarins masqués saluent et soutiennent la critique implacable qu’une nouvelle génération de penseurs anti-marxistes comme Bernard-Henri Levy, André Glucksmann et Jean-François Revel lancent contre « la dernière clique d’intellectuels communistes » composée, selon les agents anonymes, de Sartre, Barthes, Lacan et Louis Althusser. Étant donné que ces anti-marxistes avaient penché à gauche dans leur jeunesse, ils fournissaient un modèle parfait auquel adosser des récits trompeurs qui confondent une prétendue prise de conscience politique personnelle avec la marche progressiste du temps, comme si la vie individuelle et l’histoire étaient simplement une question de maturité qui consiste à admettre que l’aspiration à une profonde transformation sociale vers l’égalité est une chose du passé, à l’échelle personnelle et à l’échelle historique. Ce fatalisme condescendant et omniscient ne sert pas seulement à discréditer les nouveaux mouvements, en particulier ceux dirigés par des jeunes, mais il interprète également les succès relatifs de la répression contre-révolutionnaire comme le progrès naturel de l’histoire.

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Le philosophe français anti-marxiste Raymond Aron (à gauche) et sa femme Suzanne en vacances avec l’agent infiltré de la CIA Michael Josselson et Denis de Rougemont (à droite)

Même les théoriciens qui n’étaient pas aussi opposés au marxisme que ces réactionnaires ont apporté une contribution significative à une atmosphère de désillusion envers l’égalitarisme transformateur, de prise de distance envers la mobilisation sociale et d’« enquête critique » dépourvue de point de vue politique radical. Ceci est extrêmement important pour comprendre la stratégie globale de la CIA dans ses tentatives puissantes et profondes de démanteler la gauche culturelle en Europe et ailleurs : reconnaissant qu’il était peu probable qu’on puisse l’abolir entièrement, la CIA a cherché à déplacer la culture de gauche d’une politique anti-capitaliste et résolument transformatrice vers une position réformiste de centre-gauche moins ouvertement critique des politiques étrangères et nationales étasuniennes. En fait, comme Saunders l’a démontré en détail, dans l’après-guerre l’Agence a influencé le Congrès maccarthyste pour qu’il soutienne et assure une promotion directe des projets de gauche qui permettaient d’attirer les producteurs et les consommateurs culturels à l’écart d’une gauche résolument égalitaire. En isolant et en discréditant cette dernière, la CIA aspirait aussi à fragmenter la gauche en général, laissant à ce qui restait du centre gauche un pouvoir et un soutien public minimaux en plus d’être potentiellement discrédité en raison de sa complicité avec la politique de droite, une question qui continue de tourmenter les partis institutionnalisés contemporains de gauche.

C’est dans cette lumière que nous devons comprendre le penchant de la CIA pour les récits de conversion et son profond intérêt pour les « marxistes repentis », un leitmotiv qui traverse le rapport de recherche sur la Déconstruction française. « Encore plus efficaces pour saper le marxisme », écrivent les taupes, « il y a ces intellectuels qui, comme de vrais croyants, se sont mis en tête d’appliquer la théorie marxiste aux sciences sociales, et qui ont fini par repenser et rejeter l’ensemble du corpus théorique. » Les agents citent en particulier la puissante contribution de l’École des Annales d’historiographie et le structuralisme (en particulier Claude Lévi-Strauss et Foucault) à la « démolition critique de l’influence marxiste dans les sciences sociales ». Foucault, identifié comme « le penseur le plus profond et le plus influent en France », est particulièrement applaudi pour ses éloges à l’endroit des intellectuels de la Nouvelle droite pour avoir rappelé aux philosophes que des « conséquences sanglantes » ont « découlé de la théorie sociale rationaliste des Lumières du XVIIIème siècle et de l’ère révolutionnaire ». Bien sûr, ce serait une erreur de juger la théorie ou la pratique politique d’un penseur sur une seule position ou un seul résultat, mais le gauchisme anti-révolutionnaire de Foucault et sa perpétuation du chantage au Goulag (c’est-à-dire l’affirmation selon laquelle les mouvements radicaux conquérants visant une transformation sociale et culturelle profonde ne font que ressusciter les traditions les plus dangereuses), sont parfaitement alignés avec les stratégies globales de guerre psychologique de l’Agence.

frenchtheorylivreLD.jpgL’interprétation de la French theory par la CIA devrait nous faire réfléchir, dans ce cas, à reconsidérer le vernis radical chic qui a accompagné en grande partie sa réception anglophone. Selon une conception étapiste d’une histoire progressiste (généralement aveugle à sa téléologie implicite), l’œuvre de figures comme Foucault, Derrida et d’autres théoriciens français d’avant-garde est souvent intuitivement associée à une forme de critique radicale et sophistiquée qui dépasse sans doute de loin tout ce que l’on trouve dans les traditions socialistes, marxistes ou anarchistes. Il est certainement vrai, et mérite d’être souligné que la réception anglophone de la French theory, comme John McCumber l’a souligné à juste titre, a eu d’importantes implications politiques en tant que pôle de résistance aux fausses neutralités politiques, aux formalismes techniques rassurants de la logique et du langage, ou au conformisme idéologique direct opérant dans la tradition philosophique anglo-américaine et soutenu par McCarthy. Cependant, les pratiques théoriques des philosophes qui ont tourné le dos à ce que Cornelius Castoriadis nommait la tradition de la critique radicale, (c’est-à-dire la résistance capitaliste et anti-impérialiste) ont certainement contribué à la mise à l’écart idéologique de la matrice de transformation sociale. Selon la CIA elle-même, la French theory post-marxiste a directement contribué au programme culturel de l’Agence consistant à entraîner la gauche vers la droite, tout en discréditant l’anti-impérialisme et l’anti-capitalisme, créant ainsi un environnement intellectuel dans lequel les projets impériaux pourraient être poursuivis sans l’entrave d’un examen critique sérieux des cercles intellectuels.

Comme nous le savons grâce aux recherches sur le programme de guerre psychologique de la CIA, l’organisation n’a pas seulement cherché à contraindre des individus, mais elle a toujours voulu comprendre et transformer les institutions de production et de distribution culturelles. En effet, son étude sur la Déconstruction met en évidence le rôle structurel des universités, des maisons d’édition et des médias dans la formation et la consolidation d’un ethos politique collectif. Dans des descriptions qui, comme le reste du document, devraient nous inviter à penser de manière critique à la situation académique actuelle dans le monde anglophone et au-delà, les auteurs du rapport mettent au premier plan les méthodes par lesquelles la précarisation du travail universitaire contribue à la démolition de la gauche radicale. Si la gauche la plus résolue ne peut pas se procurer les moyens matériels nécessaires à l’exécution de son travail, ou si nous sommes plus ou moins subtilement contraints de nous plier à une conformité pour trouver un emploi, publier nos écrits ou acquérir un auditoire, alors les conditions structurelles pour une communauté de gauche radicale sont affaiblies. La professionnalisation de l’enseignement supérieur est un autre outil utilisé à cette fin, puisqu’il vise à transformer les gens en rouages technoscientifiques de l’appareil capitaliste plutôt qu’en citoyens autonomes pourvus d’outils fiables en vue de la critique sociale. C’est pourquoi les mandarins théoriciens de la CIA font l’éloge des efforts déployés par le gouvernement français pour « pousser les étudiants à suivre des cursus de commerce et de technologie ». Ils soulignent également les contributions de grandes maisons d’édition comme Grasset, des médias ainsi que la vogue de la culture américaine pour faire avancer leur matrice post-socialiste et anti-égalitaire.

Quelles leçons pouvons-nous tirer du document, en particulier dans le contexte politique actuel d’une offensive permanente contre les cercles de l’intelligence critique ? Pour commencer, cette enquête devrait être un rappel convaincant que si certains présument que les intellectuels sont impuissants, et que leurs orientations politiques sont impuissantes, ce n’est pas ce que pense l’organisation qui a été l’un des plus puissants courtiers de puissance dans la politique mondiale contemporaine. La Central Intelligence Agency, comme son nom l’indique ironiquement, croit au pouvoir de l’intelligence et de la théorie, et nous devrions prendre cela très au sérieux. En présumant que le travail intellectuel a peu d’influence sur le « monde réel », ou n’en a pas, nous ne nous bornons pas à dénaturer les implications pratiques du travail théorique, nous courons aussi le risque de nous aveugler dangereusement sur des projets politiques pour lesquels nous pouvons facilement devenir les ambassadeurs involontaires. Même s’il est vrai que l’Etat-nation et l’appareil culturel français fournissent une matrice publique beaucoup plus efficace pour les intellectuels que ce que l’on trouve dans de nombreux autres pays, le souci de la CIA de cartographier et de manipuler la production théorique et culturelle partout ailleurs devrait tous nous réveiller.

Deuxièmement, les courtiers de pouvoir actuel ont un intérêt direct à cultiver des cercles intellectuels dont l’acuité critique aura été assombrie ou aveuglée en encourageant les institutions fondées sur les intérêts des affaires et de la techno-science, en assimilant la gauche à l’anti-scientifisme, en mettant en corrélation la science avec une neutralité politique prétendue (mais fausse), en assurant la promotion de médias qui saturent les ondes de pratiques conformistes, en tenant la gauche la plus déterminée à l’écart des grandes institutions universitaires et des projecteurs, et en discréditant tous les appels à une transformation égalitaire et écologique radicale. Idéalement, ils cherchent à nourrir une culture intellectuelle de gauche neutralisée, immobilisée, apathique et limitée au fatalisme, ou à la critique passive des mobilisations de la gauche radicale. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous pourrions considérer l’opposition intellectuelle à la gauche radicale, qui prédomine dans l’université américaine, comme une position politique dangereuse : n’est-elle pas directement complice du programme impérialiste global de la CIA ?

Troisièmement, pour contrer cette offensive institutionnelle contre une culture de gauche affirmée, il est impératif de résister à la précarisation et à la professionnalisation de l’enseignement. Il est tout aussi important de créer des sphères publiques de débat réellement critique, offrant une matrice élargie à ceux qui reconnaissent qu’un autre monde est non seulement possible, mais est nécessaire. Nous devons aussi nous unir pour contribuer aux médias alternatifs, aux modèles d’éducation différents, aux contre-institutions et aux collectifs radicaux. Il est vital de favoriser précisément ce que les combattants secrets de la culture veulent détruire : une culture de gauche radicale et son vaste cadre institutionnel de soutien, un large ancrage public, une puissance médiatique conquérante et un pouvoir de mobilisation contagieux.

Enfin, les intellectuels du monde devraient s’unir pour reconnaître notre pouvoir et le saisir afin de faire tout ce que nous pouvons pour développer une critique systémique et radicale, égalitaire et écologiste, anti-capitaliste et anti-impérialiste. Les positions que l’on défend en cours ou en public sont importantes pour définir les termes du débat et tracer le champ des possibilités politiques. En opposition directe à la stratégie culturelle fragmentaire et polarisante de la CIA, par laquelle l’Agence a cherché à diviser et isoler la gauche anti-impérialiste et anti-capitaliste, tout en l’opposant à des positions réformistes, nous devrions fédérer et mobiliser en reconnaissant l’importance de travailler ensemble (dans toute la gauche, comme Keeanga-Yamahtta Taylor nous l’a rappelé récemment) pour cultiver les conditions d’une intelligentsia réellement critique. Plutôt que de proclamer ou de déplorer l’impuissance des intellectuels, nous devrions exploiter la capacité de dire les mots justes au pouvoir en travaillant ensemble et en mobilisant notre capacité à créer collectivement les institutions nécessaires à un monde de gauche culturelle. Car c’est seulement dans un tel monde, et dans les chambres d’écho de l’intelligence critique qu’il génère, que les vérités énoncées pourraient effectivement être entendues, et ainsi changer les structures mêmes du pouvoir.

Gabriel Rockhill

Note du Saker Francophone

- Des deux parties de cet article, la 1ère est de loin la plus intéressante 
car elle met en contexte le paysage intellectuel français très polarisé des
années 70. À titre personnel j'y vois par exemple un lien avec
l'affaire Marchais révélée par L'Express en 1980, pour laquelle les
explications de J.-F. Revel m'ont toujours semblé pour le moins évasives.
- Il est tout à fait possible que la CIA ait programmé le débordement
de la gauche marxiste classique par la French Theory (rien que le nom...),
et on peut également se dire que cette théorie aura ensuite
été laissée libre de poursuivre sa trajectoire pour s'attaquer au socle
intellectuel et anthropologique occidental, empêchant ainsi toute pensée
critique structurée. Une sorte de gestion du chaos intellectuel, en fait.
Vous savez, les régressives études de genre, décoloniales, intersectionnelles etc.
En ce sens, malgré la pauvreté finale de son article, Gabriel Rockhill
aurait doublement raison.
- Vous trouverez ici un bon texte de Yannick Jaffré sur Katehon complétant celui-ci.

Traduit par Stünzi, relu par San pour le Saker francophone

vendredi, 06 novembre 2015

Le déclin des intellectuels français

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Le déclin des intellectuels français

par Sudhir Hazareesingh

Source : Politico et http://www.les-crises.fr

Paris a cessé d’être un centre majeur d’innovation dans les sciences humaines et sociales.

Une des inventions les plus caractéristiques de la culture française moderne est «l’intellectuel».

En France, les intellectuels ne sont pas seulement des experts dans leurs domaines particuliers, comme la littérature, l’art, la philosophie et l’histoire. Ils parlent aussi en termes universels et l’on attend d’eux qu’ils donnent des conseils moraux sur des questions générales, sociales et politiques. En effet, les plus éminents intellectuels français sont des figures presque sacrées, qui devinrent des symboles mondiaux des causes qu’ils ont soutenues – ainsi la puissante dénonciation de l’intolérance religieuse par Voltaire, la vibrante défense de la liberté républicaine par Rousseau, l’éloquente diatribe de Victor Hugo contre le despotisme napoléonien, le plaidoyer passionné d’Émile Zola pour la justice pendant l’Affaire Dreyfus et la courageuse défense de l’émancipation des femmes par Simone de Beauvoir.

Par-dessus tout, les intellectuels ont fourni aux Français un sentiment réconfortant de fierté nationale. Comme le dit le penseur progressiste Edgar Quinet, non sans une certaine dose de fatuité bien gauloise : « La vocation de la France est de s’employer à la gloire du monde, pour d’autres autant que pour elle, pour un idéal qui reste encore à atteindre d’humanité et de civilisation mondiale. »

* * *

Cet intellectualisme français s’est aussi manifesté à travers un éblouissant éventail de théories sur la connaissance, la liberté et la condition humaine. Les générations successives d’intellectuels modernes – la plupart d’entre eux formés à l’École Normale Supérieure de Paris – ont très vivement débattu du sens de la vie dans des livres, des articles, des pétitions, des revues et des journaux, créant au passage des systèmes philosophiques abscons comme le rationalisme, l’éclectisme, le spiritualisme, le républicanisme, le socialisme, le positivisme et l’existentialisme.

bhlef01a3fcc74323970b.jpgCette fiévreuse activité théorique atteint son apogée dans les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale avec l’apparition du structuralisme, une philosophie globale qui soulignait l’importance des mythes et de l’inconscient dans la compréhension humaine. Ses principaux représentants étaient le philosophe Michel Foucault, homme de culture et d’influence, et l’ethnologue Claude Lévi-Strauss, tous deux professeurs au Collège de France. Parce qu’il partageait son nom avec celui d’une célèbre marque de vêtements américains, Lévi-Strauss reçut toute sa vie des lettres lui commandant des blue-jeans.

Le symbole suprême de l’intellectuel « Rive Gauche» fut le philosophe Jean-Paul Sartre, qui mena le rôle de l’intellectuel public à son paroxysme. L’intellectuel engagé avait le devoir de se consacrer à l’activité révolutionnaire, de remettre en cause les orthodoxies et de défendre les intérêts de tous les opprimés. Le rayonnement de Sartre tient beaucoup à sa manière d’incarner l’intellectualisme français et sa promesse utopique d’un avenir radieux : son ton radical et polémique et sa célébration de l’effet purificateur du conflit, son style de vie insouciant et bohème qui rejetait délibérément les conventions de la vie bourgeoise, et son mépris affiché pour les institutions établies de son époque, qu’il s’agisse de l’État républicain, du Parti communiste, du régime colonial français en Algérie ou du système universitaire.

Selon ses termes, il était toujours « un traître » – et cet esprit d’anticonformisme était au centre de l’aura des intellectuels français modernes. Et bien qu’il détestât le nationalisme, Sartre contribua inconsciemment à ce sentiment français de grandeur par son incarnation de la prééminence culturelle et intellectuelle, et par sa supériorité facile. En effet, Sartre était sans aucun doute une des figures françaises les plus célèbres du 20e siècle et ses écrits et polémiques furent ardemment suivis par les élites culturelles à travers le monde, de Buenos Aires à Beyrouth.

* * *

La Rive gauche d’aujourd’hui n’est plus qu’un pâle reflet de cet éminent passé. À Saint-Germain-des-Prés, les boutiques de mode ont remplacé les entreprises de la pensée. En fait, à de rares exceptions près, comme le livre de Thomas Piketty sur le capitalisme, Paris a cessé d’être un centre majeur d’innovation en sciences humaines et sociales.

Les traits dominants de la production intellectuelle française contemporaine sont ses penchants superficiels et convenus (qu’incarne un personnage comme Bernard-Henri Lévy) et son pessimisme austère. Aujourd’hui, en France, les pamphlets en tête des ventes de littérature non-romanesque ne sont pas des œuvres offrant la promesse d’une nouvelle aube, mais de nostalgiques appels à des traditions perdues d’héroïsme, comme « Indignez Vous! » (2010) de Stéphane Hessel, et des monologues islamophobes et pleurnichards répercutant le message du Front national de Marine Le Pen sur la destruction de l’identité française.

Deux exemples récents sont « L’Identité Malheureuse » (2013) d’Alain Finkielkraut et « Le Suicide Français » d’Eric Zemmour (2014), tous deux imprégnés d’images de dégénérescence et de mort. L’œuvre la plus récente dans cette veine morbide est « Soumission » de Michel Houellebecq (2015), un roman dystopique qui met en scène l’élection d’un islamiste à la présidence française, sur fond d’une désintégration générale des valeurs des Lumières dans la société française.

* * *

Comment expliquer cette perte de repères française ? Les changements du paysage culturel environnant ont eu un impact majeur sur la confiance en soi française. La désintégration du marxisme à la fin du 20e siècle a laissé un vide qui n’a été rempli que par le post-modernisme.

Fourest-charia.jpgMais les écrits de gens comme Foucault, Derrida et Baudrillard aggravèrent le problème, par leur opacité délibérée, leur fétichisme du jeu de mots insignifiant et leur refus de la possibilité d’un sens objectif (la vacuité du post-modernisme est brillamment parodiée dans le dernier roman de Laurent Binet, « La septième fonction du langage », une enquête criminelle autour de la mort du philosophe Roland Barthes en 1980).

Mais la réalité française est elle-même loin d’être réconfortante. L’enseignement supérieur français, surpeuplé et sous-financé, part en lambeaux, comme l’indique le rang relativement bas des universités françaises dans le classement académique des universités mondiales de Shanghai. Le système est devenu à la fois moins méritocratique et plus technocratique, produisant une élite manifestement moins sophistiquée et intellectuellement créative que celle de ses prédécesseurs du 19e siècle et du 20e siècle : le contraste à cet égard entre Sarkozy et Hollande, qui peuvent à peine s’exprimer en français, et leurs prédécesseurs à la présidence, éloquents et cérébraux, est saisissant.

Sans doute la raison la plus importante de cette perte de dynamisme intellectuel française est le sentiment croissant qu’il y a eu un recul important de la puissance française sur la scène mondiale, dans ses dimensions basiquement matérielles, mais aussi culturelles. Dans un monde dominé politiquement par les États-Unis, culturellement par les sournois « Anglo-Saxons » et en Europe par le pouvoir économique de l’Allemagne, les Français luttent pour se réinventer.

Peu d’auteurs français contemporains – avec l’exception notable de Houellebecq – sont très connus hors de leurs frontières, pas même de récents prix Nobel comme Le Clézio et Patrick Modiano. L’idéal de la francophonie n’est qu’une coquille vide, et derrière ses beaux discours, l’organisation a peu de résonance réelle parmi les communautés francophones du monde.

Ceci explique pourquoi les intellectuels français semblent si sombres quant à leur avenir national et sont devenus d’autant plus égocentriques, et de plus en plus tournés vers leur passé national : comme l’historien français Pierre Nora l’a déclaré plus franchement, la France souffre « de provincialisme national ». Il est intéressant de noter, dans ce contexte, que ni l’effondrement du communisme dans l’ancien bloc soviétique, ni le printemps arabe, n’ont été inspirés par la pensée française – en opposition totale avec la philosophie de libération nationale qui a soutenu la lutte contre le colonialisme européen, qui fut façonnée de manière décisive par les écrits de Sartre et Fanon.

En effet, alors que l’Europe cafouille honteusement dans sa réponse collective à l’actuelle crise des réfugiés, force est d’admettre que la réaction qui a été le plus en accord avec l’héritage rousseauiste d’humanité et de fraternité cosmopolite des Lumières n’est pas venue de la France socialiste, mais de l’Allemagne chrétienne-démocrate.

Sudhir Hazareesingh est enseignant en sciences politiques au Balliol College, à Oxford. Son nouveau livre, « How the French think: an affectionate portrait of an intellectual people » [« Comment pensent les Français : un portrait affectueux d'un peuple intellectuel »], est publié par Allen Lane à Londres et Basic Books à New York. La version française est publiée par Flammarion sous le titre « Ce pays qui aime les idées ».

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

lundi, 18 mai 2015

Etes-vous un pseudo-intellectuel?

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Etes-vous un pseudo-intellectuel?

par Mathieu Bock-Côté

Ex: http://www.lefigaro.fr

FIGAROVOX/ANALYSE - Face au tollé engendré par sa réforme du collège, le ministre de l'Éducation nationale a traité ses opposants de «pseudo-intellectuels». Pour Mathieu Bock-Côté, cette accusation révèle qu'une certaine frange de la gauche ne s'est toujours pas réconciliée avec le pluralisme politique.


Mathieu Bock-Côté est sociologue (Ph.D). Il est chargé de cours à HEC Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal ainsi qu'à la radio de Radio-Canada. Il est l'auteur de plusieurs livres, parmi lesquels «Exercices politiques» (VLB, 2013), «Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois» (Boréal, 2012) et «La dénationalisation tranquille: mémoire, identité et multiculturalisme dans le Québec post-référendaire» (Boréal, 2007).


Êtes-vous un pseudo-intellectuel? L'accusation n'est pas neuve mais elle étonne chaque fois. Quand la gauche pontifiante constate que les intellectuels font dissidence, alors qu'elle les croyait à son service, elle les accuse d'être des pseudo-intellectuels. Autrement dit, ce sont des faussaires qui usurpent un beau titre pour se mettre au service de la réaction. C'est de cette manière que Najat Vallaud-Belkacem a exécuté les adversaires de sa réforme des programmes.

Quand la gauche pontifiante constate que les intellectuels font dissidence, alors qu'elle les croyait à son service, elle les accuse d'être des pseudo-intellectuels.

Cette accusation, elle vient souvent des intellectuels de gauche eux-mêmes. On se souviendra du mauvais sort fait à Raymond Aron, traité longtemps à la manière d'un pamphlétaire. Il avait beau être un des grands philosophes de son temps, on le traitait comme un prosateur sans envergure, seulement bon à donner un vernis théorique aux intérêts bien calculés de la bourgeoisie à laquelle il avait prêté serment.

C'était le temps du marxisme religieux. On distinguait alors ceux qui avaient été éclairé par la révélation révolutionnaire et les autres, encore empêtrés dans l'histoire avec ses contradictions et sa part tragique. Les premiers servaient l'humanité, ils travaillaient à l'éclairer et à l'émanciper, les seconds, consciemment ou non, justifiaient les privilèges des uns et la subordination des autres.

Mais le marxisme n'était pas qu'une morale surplombante distinguant entre les forces vives de l'humanité et son bois mort. Il se prenait aussi pour une science, ce qui assurait son surplomb théorique devant le commun des mortels. Une partie importante de la gauche intellectuelle a récupéré ces dernières années cette rhétorique et se permet d'exclure du domaine de la pensée ceux qui ne reprennent pas son jargon ou ses méthodes.

Une partie importante de la gauche intellectuelle a récupéré ces dernières années cette rhétorique et se permet d'exclure du domaine de la pensée ceux qui ne reprennent pas son jargon ou ses méthodes.

taubira-vengeresse-001.jpgAinsi, au fil des ans, Jean Sévillia, Alain Finkielkraut ou Marcel Gauchet ont été accusés successivement de pratiquer la contrefaçon intellectuelle. Le premier ne serait pas vraiment historien, les deux autres certainement pas philosophes. On a aussi fait le coup, au fil du temps à Pierre Manent, accusé d'avoir une connaissance sommaire des œuvres qu'il commente. Si de telles attaques n'étaient pas aussi mesquines, on dirait aisément qu'elles sont hilarantes.

La dernière accusation en date, c'est celle de polémiste. Elle consiste à transformer son contradicteur en aboyeur virulent, qui cherche la querelle pour la querelle, à moins qu'il ne se contente de provoquer cyniquement la bonne société pour augmenter sa visibilité médiatique. Éric Zemmour, qui est un écrivain politique de grand talent, a ainsi été réduit au statut d'histrion ne méritant même pas qu'on lui réponde. En attendant qu'on le fasse taire.

Souvent, les «pseudo-intellectuels» sont accusés d'être réactionnaires. Encore faudrait-il définir ce terme mais il sert moins à qualifier qu'à disqualifier son contradicteur. Il envoie le message suivant: vous êtes réactionnaire, alors pourquoi perdrais-je du temps à débattre avec vous? On parlera même de «penchants réactionnaires», à la manière de passions honteuses qu'un intellectuel bien élevé devrait refouler sans jamais les avouer.

Une certaine frange de la gauche ne s'est toujours pas réconciliée avec le pluralisme politique. Pour elle, la vérité et la justice coïncident toujours. Elle se présente comme le parti du bien.

D'ailleurs, une frange importante de la gauche psychiatrise ses adversaires. Ils seront au gré des querelles xénophobes, homophobes, transphobes, europhobes, islamophobes, et ainsi de suite. L'avantage, lorsqu'on diagnostic un trouble psychiatrique chez son adversaire, c'est qu'on n'a plus à lui répondre. Il a besoin d'une thérapie. Au mieux, on l'accusera de nostalgie. On le laissera alors radoter seul dans son coin, comme un grand-père sénile.

C'est la possibilité même du désaccord de fond qui semble inconcevable pour une femme comme Najat Vallaud-Belkacem. Pour elle, il va de soi que si quelqu'un a vraiment lu et compris sa réforme, il ne pourra que l'approuver. À moins qu'il ne milite consciemment contre le bien commun. Ce sera alors un salaud. C'est-à-dire un homme de droite. Ou qu'il ne comprenne rien à rien. Ce sera alors un idiot. Mais l'adversaire de bonne foi n'existe tout simplement pas.

Une certaine frange de la gauche ne s'est toujours pas réconciliée avec le pluralisme politique. Pour elle, la vérité et la justice coïncident toujours. Elle se présente comme le parti du bien. Les seuls contradicteurs légitimes qu'elle se reconnaitra seront ceux qui se couchent devant elle en se présentant simplement comme de simples ajusteurs comptables. Mais lorsqu'un intellectuel confesse un désaccord de fond, il n'est plus digne de considération.

Un homme «de droite» pourrait aisément reconnaître en Michel Foucault un authentique philosophe même s'il rejette son œuvre. De même, un homme «de gauche» devrait admettre la profondeur philosophique de l'œuvre d'un Julien Freund même s'il ne l'embrasse pas. Ceux qui réservent la philosophie pour leur camp témoignent en fait d'un fanatisme grave. Il est seulement triste de constater qu'on décide de temps en temps d'en faire des ministres.

jeudi, 05 septembre 2013

Intellectuels sous l'occupation

INTELLECTUELS SOUS L’OCCUPATION

 
Une réalité complexe

Pierre Le Vigan
Ex: http://metamag.fr
 
riding22.gifLe premier mérite de l’auteur, journaliste américain installé de longue date en France, c’est qu’il évite d’aborder une période compliquée avec des idées simples. Peu de périodes furent aussi compliquées que celle de l’Occupation. Alan Riding pose les bonnes questions : « Est-ce que le fait d’avoir travaillé sous l’Occupation était systématiquement une forme de collaboration ? » Des questions cruciales pour les intellectuels et artistes. 

Il y avait, montre-t-il, une infinité de nuances ente la résistance franche et la collaboration assumée, nuances passant notamment par la résistance passive – le fait de publier le minimum – le retrait de la vie littéraire, ou un mélange de collaboration et de services rendus à la Résistance. « Les Parisiens auraient été surpris d’apprendre que certains écrivains célèbres, des musiciens, des cinéastes, qui travaillaient avec l’accord des Allemands, étaient en même temps engagés dans la Résistance. » Si l’attitude des intellectuels et artistes français fut rien moins que monolithique, l’attitude des Allemands fut elle-même souvent complexe, entre répression, intimidation et tentative de séduction des intellectuels. C’est pourquoi la résistance littéraire fut bien souvent plutôt une dissidence de l’intérieur qui n’inquiétait pas outre mesure l’occupant allemand. « A partir de 1942, aucun de ceux qui étaient impliqués dans le Comité national des écrivains ou dans les groupes plus petits du cinéma, des arts, de la musique ou du théâtre ne fut arrêté. Une explication plausible est que, tout en étant décidé à lutter contre la résistance armée, les Allemands accordaient peu d’importance à ces groupes. » 

Une réalité complexe difficilement conciliable avec  les stéréotypes trompeurs d’une France toute entière résistante mais aussi avec la nouvelle vulgate dévalorisante présentant les Français comme massivement compromis dans la collaboration. Un écart entre le réel et le discours qui explique le persistant malaise français quant à l’histoire de la période 1940-1944. Comme le disait Jean-Galtier Boissière : veni, vidi, Vichy. Nous ne nous en sommes pas encore tout à fait remis.

Alan Riding, Intellectuels et artistes sous l’Occupation. Et la fête continue, Flammarion-Champs-histoire, 442 pages, 12 E.

lundi, 12 novembre 2012

La France intellectuelle de Jules Monnerot

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La France intellectuelle de Jules Monnerot

Ex: http://www.juanasensio.com/


«L’illusion intellectuelle par excellence est l’illusion de l’intellectuel sur lui-même.»
Jules Monnerot, Inquisitions (José Corti, 1974), p. 54.


Comment serait-il aimé, voire, tout simplement, lu et commenté, ce penseur durablement ostracisé par une élite médiatico-politique qu'il n'est plus vraiment besoin de présenter, puisque non seulement Jules Monnerot a magnifiquement analysé la faillite de son surgeon le plus réussi, l'intellectuel, mais a en outre averti qu'il n'écrivait que s'il avait quelque chose à dire (1), au rebours donc des pratiques lamentables de cette même élite dont l'essence labile réside dans le fait de parler, écrire ou, simplement, se montrer, pour ne rien dire, écrire ou même, montrer ?
Comment Jules Monnerot ne serait-il pas réduit à quelques signes extérieurs qui, dans ce qui reste encore l'un des pays les plus idéologisés de notre planète, la France, ont valeur, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, de jugement et de condamnation intellectuelle, morale et même physique, sous une forme certes plus adoucie qu'à l'époque de l'Épuration, où n'étaient point rares les exécutions ?
Rions, a contrario, de la fausse intelligence et de la fausse bravoure d'un Richard Millet (paraît-il phalangiste lors de la Guerre du Liban, ce qu'aucune preuve historique ne vient conforter) ayant pignon sur rue, voix sur les plateaux de télévision et qui, lui, vend en quantité ses essais, à vrai dire de plus en plus affligeants, et affligeants, avant tout, pour celui qui se prétend le dernier écrivain de France, d'un point de vue littéraire.
Nous avons, en fin de compte, les proscrits et les penseurs que nous méritons, tous deux d'opérette, alors qu'un écrivain de talent comme Robert Brasillach, lui, a été expédié ad infernos, en toute bonne conscience n'en doutons point, par un jury de petits juges gris pâle.
Dès lors, nous ne pouvons que comprendre le mouvement d'humeur de Jules Monnerot qui, en préambule de son analyse remarquable du phénomène de décomposition de la vie intellectuelle française, s'étonne que son nom ne se trouve, «sauf erreur, en 1969, dans aucun dictionnaire français des auteurs ou des œuvres écrites» (Avertissement au lecteur, p. 7, en italiques).
Il n'est pas davantage acquis que son nom figure dans des dictionnaires plus récents, tant paraît scandaleuse à nos penseurs la position d'un auteur comme Monnerot : il pense, et il pense justement, méchamment, et sa pensée est une critique absolue de la non-pensée de nos penseurs.
Je me contenterai ici, n'étant point ce qu'il est convenu d'appeler un analyste politique ni même un historien des idées, d'éclairer durement quelques arêtes du texte de Monnerot, sur lesquelles je souhaite que les imbéciles à la vue courte et au cerveau atrophié se coupent mauvaisement, quitte à ce que la gangrène infecte une plaie à vif et que, à défaut de leur couper la tête, d'humanistes chirurgiens les privent de leur faculté de se déplacer.
Commençons par remarquer la façon, aussi méchante que drôle, dont Monnerot caractérise la nouvelle cléricature de l'intellectuel, laquelle n'a pu voir le jour, de même que le suffrage universel, qu'au moment où le christianisme, en tant que corps politico-théologique régissant la vie politique, sociale, morale et intellectuelle française, a été contraint de relâcher son emprise formidable.
L'homme ayant on le sait horreur du vide, il a bien fallu inventer un substitut à l'Église si, selon Monnerot, la «déchristianisation illustrait dans le fait l'axiome que Saint-Simon et Auguste Comte avaient répété toute leur vie : «Un système... ne peut être remplacé par la critique qui en fait apparaître les inconvénients.» Il s'agit en effet de deux fonctions psychologiques différentes. Le catholicisme avait été élaboré par plus de dix-neuf siècles de pensée et de charité. Il laissait derrière lui un immense manque à gagner affectif. La thématique socialiste, elle-même affectivisation du marxisme (2), lui-même philosophie à dominante affective (messianique) en dépit d'une indigence certaine, devait tomber dans un avenir qui n'était pas éloigné, comme une sorte de pluie bienfaisante sur ces landes affectives désertiques où ne poussaient, de place en place, que les affligeants cactus du progrès pour demain» (p. 12).
On constate qu'un polémiste, mais pouvions-nous l'ignorer en lisant un Bernanos, un Bloy ou un Boutang, est d'abord un écrivain de panache et surtout de talent. On constate aussi qu'un Philippe Muray n'a fait que développer, sans doute sans même le savoir, ces lignes tranchantes en quelques milliers de pages, bien souvent répétitives et, n'en déplaise à Maxence Caron, trop souvent faciles.
Jules Monnerot affirme qu'il faut dater «de l'avènement du suffrage universel l'époque où les idées politiques sont pratiquement frappées d'impuissance en politique» (p. 13) puisqu'il s'agit désormais «d'extraire des idées-forces (de la pensée conservatrice comme de l'autre), des thèmes intellectuellement assez sommaires et affectivement assez motivants, pour déterminer des individus incultes (comparés aux électeurs des précédents régimes), polarisés par des appétits ou des aversions élémentaires» (ibid.), les clercs, qui depuis les années 30, depuis qu'ils se sont défroqués, comme Julien Benda l'a si bien montré, sont devenus les véritables maîtres de l'intelligence, exerçant leur nouveau pouvoir sur les masses moutonnantes de ce qui ne portait pas encore le nom d'opinion publique.
Jules Monnerot choisit, pour illustrer cette idée d'un travestissement du pouvoir intellectuel (3) la figure de Renan, honnie par tant d'écrivains qui ne lui ont jamais pardonné sa palinodie intellectuelle, morale et spirituelle : «Il changera d'habit, mais non de ton, méritant de manière équivoque la révérence d'un auditoire déchristianisé en surface, qu'il devait rassurer sourdement par des gestes de prêtre» (p. 15).
Ainsi, les «desservants du nouveau culte ne portent plus d'ornements sacerdotaux. La soutane s'allège en redingote, avant de se raccourcir en veston» (pp. 15-6).
Cette idée du travestissement de la modernité, si chère aux yeux d'écrivains tels que Léon Bloy et Georges Bernanos, est constante, dans le livre de Monnerot, par exemple lorsqu'il aborde, dans des pages assez belles, la question de l'intellectuel en littérature, cette dernière étant définie, voici qui plairait à Roberto Calasso, comme «le surnaturel lorsqu'on n'y croit plus» (4), le fait «d'y avoir cru laiss[ant] un ancien frisson; et cet art [n'étant] que la possibilité de l'évoquer» (p. 19), puisque la «fonction spécifique de l'artiste du langage, de l'homme qui agit par le mot», est de «jouer des mots avec une telle habileté qu'il leur reste (aux mots) quelque chose des pouvoirs acquis au cours de leur usage premier, quelque chose du temps où les mots renvoyaient à la mort, à la vie, à l'ordre et au désordre» (ibid.).
Le faux écrivain, disons Jean-Paul Sartre sur le roman le plus connu duquel Monnerot écrit des pages terribles (cf. pp. 95-113) (5), évoque lui, au contraire, moins un usage second des mots (qui selon Monnerot est l'essence même de la littérature, à savoir «des mouvements de la sensibilité en l'absence de la chose», p. 19), qu'un usage frauduleux de ces mots au moyen de ce que j'ai appelé un langage vicié, de plus en plus facilité par les techniques de masse (6) dont un Serge Tchakhotine, avec Le Viol des foules par la propagande politique ou un Armand Robin avec le magistral La Fausse parole, ont donné des aperçus saisissants.
Pourtant, il serait faux de penser que Jules Monerrot place l'intellectuel moderne sous la seule lumière, ô combien crue, de l'imposture. Son analyse est plus subtile puisqu'il admet que l'intellectuel, «en même temps qu'il abuse, s'abuse. C'est un «auto-abusé». Il n'a point la stature du grand trompeur. Ce n'est pas Lucifer. Ce n'est même pas Protagoras qui voulait bien parler pour tromper les autres mais dont il était exclu que, ce faisant, il se trompât lui-même» (p. 36), peut-être parce que, comme l'écrit Monnerot en utilisant une comparaison savoureuse, l'intellectuel n'a pas la stature d'un Socrate, dont «la voix porte si loin parce qu'il y a eu la cigüe. Le whisky n'a pas les mêmes vertus» (p. 35), peut-être parce que seule l'exemplarité d'une vie, son témoignage direct, ne peuvent être contrefaits, si celui «qui est exposé, qui s'expose, est toujours autre chose qu'un professeur de morale» (p. 131), peut-être parce que l'intellectuel «s'affirme un simple justificateur» car, «professeur dans la vie, il est contre-professeur sur l'estrade», le «public populaire» étant de fait la «dupe des formes et marques extérieures de la compétence (une certaine phraséologie, l'autorité de la voix, l'assurance du maintien, tous les trucs enfin que confère une longue pratique)» et cette duperie étant escomptée «par les ordonnateurs et les metteurs en scène de la représentation théâtrale» (ibid.), ces «moutons privés [étant] des lions publics», les «surenchères verbales compens[ant] les timidités de la conduite» (p. 55).
«L'histoire des intellectuels, qui selon Monnerot se ramène, certes, à une série de faillites sur les deux plans qui leurs sont propres : celui de la justesse de la pensée par rapport à elle-même et celui de la justesse de la pensée par rapport au réel» (p. 62), est développée à l'aide d'exemples précis tout au long du deuxième chapitre du livre.
Selon l'auteur, quelque chose change à partir de la Seconde Guerre mondiale : «À cette époque la figure de l'Intellectuel se fige. Les traits s'en exagèreront après la deuxième guerre (sic) mondiale, ils ne changeront pas. Nous avons déjà l'éminent fonctionnaire qui est moralement de toutes les grèves et de toutes les révoltes, postalement de toutes les insurrections. Célébrateur rituel des défaites nationales, il hurle à la mort en toute sécurité. Quelles que soient l'outrance des exhibitions sur tréteaux, l'intensité des violences pétitionnaires, pour ce «rebelle à prix fixe», tout se passera comme si, outre ses émoluments, la société qu'il vilipende par principe, lui avait reconnu, comme à l'officier la propriété de son grade, le monopole de l'épithète morale, de la phrase révolutionnaire, de l'anathème inconséquent» (p. 85).
Ce sont bien évidemment les idéologies inhumaines du communisme (7) et de l'hitlérisme, leur lutte à mort et la défaite historique de la seconde, qui vont cristalliser, jusqu'à nos jours c'est une évidence, cette posture grotesque de l'intellectuel.
Il nous faut cependant revenir aux années trente : «La chronologie (l'existence joue de ces tours à l'essence) nous indique que l'effervescence antifasciste atteint son acmé au temps même de la Iejovtchina, la grande purge de Staline, et des plus célèbres procès de Moscou : après Zinoviev, Kamenev, Radek et Boukharine, pour ne parler que d'eux. Des cent trente-quatre membres du Comité central du P.C. de l'U.R.S.S., et des suppléants qui siégeaient au XVIIe congrès (1934), cent dix furent fusillés ou disparurent... Que ces victimes trouvent des pleureuses, ou qu'elles s'en passent ! L'intellectuel a toutes ses larmes retenues !» (p. 84).
Il les verse pourtant, ses larmes, notre intellectuel, mais sur les seules victimes, certes courageuses, qui ont lutté, au nom du communisme, contre la folie nazie. Les propos de Jules Monnerot sembleront dès lors, pour le lecteur contemporain, une dangereuse révision de l'histoire officielle de France, qui on le sait est parfaitement fausse, à tout le moins scandaleusement exagérée : le communisme nous a libéré du fascisme. Ainsi, les «condamnations à mort ou à la prison portées contre des écrivains réputés pro-hitlériens, alors que les intellectuels communistes florissaient (sic) à Paris, sont des crimes judiciaires, et doublement, puisque la société semblait soudain reconnaître à l'écrivain, pour le tuer, des responsabilités qu'elle lui refusait lorsqu'il n'était question que de le faire vivre. Mais ceux des intellectuels chez qui les sympathies pour le communisme et la haine du fascisme étaient récentes, se déchargeaient sur ces boucs émissaires d'un poids de culpabilité dont, par ce sacrifice humain, ils étaient délivrés» (p. 91).
Et Jules Monnerot, dans une page remarquable, d'évoquer le mécanisme qui, depuis que le communisme est devenu, dans l'esprit des Français, une idéologie fondamentalement moins délétère que le nazisme (alors que le bilan humain du communisme se chiffre, selon les estimations les plus prudentes, en dizaines de millions de morts), rejette en enfer tout personne qui oserait contester la bonté de ce fanatisme messianique laïcisé : «L'identité de nomination a pour fin d'étendre le même sentiment hostile à deux êtres artificiellement et abusivement identifiés. En ce sens la magie – c'est bien d'opérations magiques qu'il s'agit – a des effets réels. Car si ce transfert de haine réussit (faire passer par exemple sur la dernière en date des droites les sentiments de haine déjà investis sur les «droites» précédentes [...]), ce n'est qu'une question de moyens (les «mass media» ici sont déterminants), si ce transfert réussit, il a des effets réels, il motive des actes. Si l'on a réussi à lier par conditionnement de réflexes une épithète à des conduites hostiles, l'épithète, disons, de «fasciste», et ensuite à l'accoler à tel individu, il suffira par exemple de circonstances favorables pour que l'individu soit lynché par une foule à motivations «antifascistes». La chose n'est pas sans précédents. L'usure inévitable de l'épithète «fasciste», en dépit des malédictions rituelles de ceux qui s'appellent eux-mêmes des «mandarins», a amené nos publicistes sous contrôle «intellectuel» à y substituer progressivement l'épithète «d'extrême-droite». Mais cette dernière épithète ne tient que par le mot d'ordre. Trop abstraite, elle n'est pas assez «magique». On peut crier «fasciste assassin !» pour faire lyncher un homme; avec «d'extrême-droite assassin» on n'y parviendrait pas. Et c'est ainsi que d'insuffisance en incapacité, le mauvais logicien finit par n'être plus même un bon «publicitaire». Sur la voie déclive de l'inintelligence intellectuelle, on cherche en vain une ligne d'arrêt» (p. 123).
Des lignes qui n'ont pas vraiment perdu leur terrifiante actualité et qui me font dire que Jules Monnerot, hélas, s'est trompé sur un seul point, le plus important en fin de compte de sa démonstration : «Certes, l'Intellectuel n'a pas fini de nuire. Il peut nous montrer encore combien forte est la malfaisance des faibles. Mais nous le savions déjà. L'oraison funèbre par anticipation est aussi contraire aux lois du genre qu'aux convenances elles-mêmes. Mais peut-être, en ce qui les concerne, n'en est-il pas d'autre. Tout porte à croire qu'on ne célébrera pas le centenaire des Intellectuels en 1998» (p. 136).

Notes
(1) «Le lecteur parvenu jusqu'à la fin m'a déjà excusé si, contrairement à une idée aujourd'hui reçue, mais qui pudiquement demeure informulée, je n'écris que si j'ai quelque chose à dire, et pour le dire», Jules Monnerot, La France intellectuelle (Éditions Raymond Bourgine, 1970, p. 135). Sans autre mention, toutes les italiques sont de Jules Monnerot lui-même.
(2) Il n'est sans doute pas inutile de rappeler que Jules Monnerot est l'auteur d'une Sociologie du communisme parue en 1949 et traduite en plusieurs langues, qui constitue un réquisitoire aussi implacable que documenté sur l'idéologie la plus meurtrière qu'ait connue, jusqu'à ce jour, l'humanité. Sans doute tenons-nous là l'explication majeure de l'occultation volontaire dans laquelle les mandarins français ont tenu (et continuent de tenir) les analyses de Jules Monnerot, et cela en dépit même du fait qu'un Julien Gracq a répété son admiration pour un livre tel que La poésie moderne et le sacré. Évoquons ce jugement sans appel de l'auteur sur ses contemporains si prudemment taiseux : «Une généralisation de la lâcheté sociologique telle que les paralogismes marxistes et communistes ne rencontrent pas du tout de résistance spécifique, reste encore improbable, en dépit des immenses efforts et moyens consacrés à ce résultat grandiose», Inquisitions, op. cit., p. 84.
(3) «Il faut chercher l'origine historique de l'emploi du mot clerc comme épithète que l'intellectuel s'applique à lui-même dans les années 1930 dans l'influence qu'eut encore Ernest Renan sur les hommes d'une génération, celle de Péguy. Renan effectivement avait été clerc : séminariste. Mais ne dépouillant point les manières du clerc qu'en définitive il avait voulu être, Renan, qui mène jusqu'à son terme une carrière universitaire et académique hors de pair, est l'incarnation historique par excellence du cléricalisme qui supprime Dieu et garde le prêtre, en sorte que le nouveau «clerc» hérite du prestige de l'homme consacré sans se refuser aucune des commodités de l'homme qui ne l'est pas. Ses manières rappellent au respect un peuple qui garde en lui l'archétype social de la hiérarchie catholique. L'intellectuel va naître» (p. 15).
(4) C'est la thèse de La poésie et le sacré (Gallimard, 1949), pp. 159-60 : «Quand, au lieu du sacré, il n’y a de plus en plus que l’officiel – risible, indifférent ou profitable mais jamais exaltant – les dispositions affectives et les situations vécues d’où il tire sa substance sont rejetées de l’autre côté. Les hommes en qui le sacré demande à être, tournent le dos à tout ce que conservent, que représentent et que signifient des religions qui ne sont plus que ritualisme, des ritualismes qui ne sont plus que le rempart de ce que le profane compte de plus vulgaire, refusent d’y participer. Ou «nous ne sommes pas au monde» ou «nous y sommes pour qu’il ne soit plus». Si, comme le voulait Sorel, les «renouveaux» sont des retours aux sources, si les grands fondateurs d’ordres catholiques – comme en un autre sens les réformateurs hérétiques – ont remagnétisé leur religion par le contact de vertus et de particularités originelles que leur vocation était de retrouver et de réinventer, de ce que les derniers avatars du romantisme font curieusement écho aux premières (?) manifestations de la religion, on pourrait peut-être inférer, non seulement que le surréalisme est symptôme d’un état de besoin, mais encore qu’il prend place dans une constellation qui pourrait peut-être apparaître un jour préreligieuse, c’est-à-dire religieuse. À travers les alternances de décomposition et de recomposition du sacré, ses sources surréelles, qu’elles bouillonnent ou qu’elles filtrent, ne tarissent pas»,
(5) C'est l'intégralité de cette analyse qu'il faudrait citer : «Sartre excelle donc dans cette forme spécialisée de la rhétorique qu'on nomme philosophie universitaire, et qui semble faite tout exprès pour qu'y brillent les talents littéraires les plus introvertis et abstraits. Il lui arrive constamment d'oublier de définir les notions, de préciser la portée et les limites des conventions, de passer sous silence les postulats implicites grâce auxquels il lui donne à lui-même, et aux lecteurs qu'il abuse par des procédés littéraires, l'illusion de démontrer ce qu'il affirme», p. 112.
(6) «On prévoit le temps où le pur consommateur, comme les enfants jouent au jeu de construction, en disposant dans tous les ordres possibles des éléments de films préfabriqués à cet usage, et en se les projetant successivement jusqu'à ce qu'il ait épuisé le nombre de combinaisons possibles, pourra se faire ses romans tout seul» (p. 21).
(7) Je cite, pour le plaisir, ces quelques lignes consacrées aux chrétiens progressistes : «Apparemment, en dépit d'expériences concluantes, comme celle des prêtres ouvriers, ils n'ont pas compris que la différence entre les communistes du XXe siècle et les barbares des cinq premiers siècles de notre ère, est que les barbares se convertissaient au christianisme, alors que les communistes au XXe convertissent les chrétiens en leur laissant (pour combien de temps ?) des rites», pp. 140-1.

mardi, 16 octobre 2012

The Disappearance of Public Intellectuals

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The Crisis of Education as a Public Good

The Disappearance of Public Intellectuals

by HENRY GIROUX
 

With the advent of Neoliberalism, we have witnessed the production and widespread adoption within many countries of what I want to call the politics of economic Darwinsim. As a theater of cruelty and mode of public pedagogy, economic Darwinism removes economics and markets from the discourse of social obligations and social costs.  The results are all around us ranging from ecological devastation and widespread economic impoverishment to the increasing incarceration of large segments of the population marginalized by race and class. Economics now drives politics, transforming citizens into consumers and compassion into an object of scorn.  The language of rabid individualism and harsh competition now replaces the notion of the public and all forms of solidarity not aligned with market values.  As public considerations and issues collapse into the morally vacant pit of private visions and narrow self-interests, the bridges between private and public life are dismantled making it almost impossible to determine how private troubles are connected to broader public issues. Long term investments are now replaced by short term profits while compassion and concern for others are viewed as a weakness.  As public visions fall into disrepair, the concept of the public good is eradicated in favor of Democratic public values are scorned because they subordinate market considerations to the common good.  Morality in this instance simply dissolves, as humans are stripped of any obligations to each other. How else to explain Mitt Romney’s gaffe caught on video in which he derided “47 percent of the people [who] will vote for the president no matter what”?[i] There was more at work here than what some have called a cynical political admission by Romney that some voting blocs do not matter.[ii]  Romney’s dismissive comments about those 47 percent of adult Americans who don’t pay federal income taxes for one reason or another, whom he described as “people who believe that they are victims, who believe the government has a responsibility to care for them, who believe that they are entitled to health care, to food, to housing, to you-name-it,”[iii] makes clear that the logic disposability is now a central feature of American politics.

As the language of privatization, deregulation, and commodification replaces the discourse of the  public good, all things public, including public schools, libraries, transportation systems, crucial infrastructures, and public services, are viewed either as a drain on the market or as a pathology.[iv]  The corrupting influence of money and concentrated power not only supports the mad violence of the defense industry, but turns politics itself into mode of sovereignty in which sovereignty now becomes  identical with policies that benefit the rich, corporations, and the defense industry.”[v]  Thomas Frank is on target when he argues that “Over the course of the past few decades, the power of concentrated money has subverted professions, destroyed small investors, wrecked the regulatory state, corrupted legislators en masse and repeatedly put the economy through he wringer. Now it has come for our democracy itself.”[vi]

Individual prosperity becomes the greatest of social achievements because it allegedly drives innovation and creates jobs. At the same time, massive disparities in income and wealth are celebrated as a justification for a survival of the fittest ethic and homage to a ruthless mode of unbridled individualism.  Vulnerable populations once protected by the social state are now considered a liability because they are viewed as either flawed consumers or present a threat to a right-wing Christian view of America as a white, protestant public sphere. The  elderly, young people, the unemployed, immigrants, and poor whites and minorities of color now constitute a form of human waste and are considered disposable, unworthy of sharing in the rights, benefits, and protections of a substantive democracy.  Clearly, this new politics of disposability and culture of cruelty represents more than an economic crisis, it is also speaks to a deeply rooted crisis of education, agency, and social responsibility.

Under such circumstances, to cite C. W. Mills, we are seeing the breakdown of democracy, the disappearance of critical intellectuals, and “the collapse of those public spheres which offer a sense of critical agency and social imagination.”[vii]  Since the 1970s, we have witnessed the forces of market fundamentalism strip education of its public values, critical content, and civic responsibilities as part of its broader goal of creating new subjects wedded to consumerism, risk-free relationships, and the destruction of the social state.  Tied largely to instrumental purposes and measurable paradigms, many institutions of higher education are now committed almost exclusively to economic goals, such as preparing students for the workforce. Universities have not only strayed from their democratic mission, they seem immune to the plight of students who have to face a harsh new world of high unemployment, the prospect of downward mobility, debilitating debt, and a future that mimics the failures of the past.   The question of what kind of education is needed for students to be informed and active citizens is rarely asked.[viii]

Within both higher education and the educational force of the broader cultural apparatus– with its networks of knowledge production in the old and new media– we are witnessing the emergence and dominance of a powerful and ruthless, if not destructive, market-driven notion of education, freedom, agency, and responsibility. Such modes of education do not foster a sense of organized responsibility central to a democracy. Instead, they foster what might be called a sense of organized irresponsibility–a practice that underlies the economic Darwinism and civic corruption at the heart of American and, to a lesser degree, Canadian politics.

The anti-democratic values that drive free market fundamentalism are embodied in policies now attempting to shape diverse levels of higher education all over the globe. The script has now become overly familiar and increasingly taken for granted, especially in the United States and increasingly in Canada.  Shaping the neoliberal framing of public and higher education is a corporate-based ideology that embraces standardizing the curriculum, top-to-down governing structures,  courses that promote entrepreneurial values, and the reduction of all levels of education to job training sites. For example, one university is offering a master’s degree to students who commit to starting a high-tech company while another allows career officers to teach capstone research seminars in the humanities. In one of these classes, the students were asked to “develop a 30-second commercial on their ‘personal brand.’”[ix]

Central to this neoliberal view of higher education is a market-driven paradigm that  wants to eliminate tenure,  turn the humanities into a job preparation service, and reduce most faculty to the status of part-time and temporary workers, if not simply a new subordinate class of disempowered educators.  The indentured service status of such faculty is put on full display as some colleges have resorted to using “temporary service agencies to do their formal hiring.”[x] Faculty in this view are regarded as simply another cheap army of reserve labor, a powerless group that  universities are eager to exploit in order to increase the bottom line while disregarding the needs and rights of academic laborers and the quality of education that students deserve.

giroux3.jpgThere is no talk in this view of higher education about shared governance between faculty and administrators, nor of educating students as critical citizens rather than potential employees of Wal-Mart.  There is no attempt to affirm faculty as scholars and public intellectuals who have both a measure of autonomy and power. Instead, faculty members are increasingly defined less as intellectuals than as technicians and grant writers. Students fare no better in this debased form of education and are treated either as consumers or as restless children in need of high-energy entertainment—as was made clear in the recent Penn State scandal. Nor is there any attempt to legitimate higher education as a fundamental sphere for creating the agents necessary for an aspiring democracy. This neoliberal corporatized model of higher education exhibits a deep disdain for critical ideals, public spheres, and practices that are not directly linked to market values, business culture, the economy, or the production of short term financial gains.   In fact, the commitment to democracy is beleaguered, viewed less as a crucial educational investment than as a distraction that gets in the way of connecting knowledge and pedagogy to the production of material and human capital.

Higher Education and the Crisis of Legitimacy

In the United States, many of the problems in higher education can be linked to low funding, the domination of universities by market mechanisms, the rise of for-profit colleges, the intrusion of the national security state, and the lack of faculty self-governance, all of which not only contradicts the culture and democratic value of higher education but also makes a mockery of the very meaning and mission of the university as a democratic public sphere.  Decreased financial support for higher education stands in sharp contrast to increased support for tax benefits for the rich, big banks, the Defense Budget, and mega corporations.  Rather than enlarge the moral imagination and critical capacities of students, too many universities are now wedded to producing would-be hedge fund managers, depoliticized students,  and creating modes of education that promote a “technically trained docility.”[xi]  Strapped for money and increasingly defined in the language of corporate culture, many universities are now “pulled or driven principally by vocational, [military], and economic considerations while increasingly removing academic knowledge production from democratic values and projects.”[xii]

College presidents are now called CEOs and speak largely in the discourse of Wall Street and corporate fund managers while at the same time moving without apology or shame between interlocking corporate and academic boards. Venture capitalists scour colleges and universities in search of big profits to be made through licensing agreements, the control of intellectual property rights, and investments in university spinoff companies. In this new Gilded Age of money and profit, academic subjects gain stature almost exclusively through their exchange value on the market. It gets worse as exemplified by one recent example. BB&T Corporation, a financial holdings company, gave a $1 million gift to Marshall University’s business school on the condition that Atlas Shrugged by Ayn Rand [Paul Ryan’s favorite book] be taught in a course.   What are we to make of the integrity of a university when it accepts a monetary gift from a corporation or rich patron demanding as part of the agreement the power to specify what is to be taught in a course or how a curriculum should be shaped?  Some corporations and universities now believe that what is taught in a course is not an academic decision but a market consideration.

Not only does neoliberalism undermine  both civic education and public values and confuse education with training,  it also treats knowledge as a product, promoting a neoliberal logic that views schools as malls, students as consumers, and faculty as entrepreneurs. It gets worse.  As Stanley Aronowitz points out, [t]he absurd neoliberal idea that users should pay for every public good from parks and beaches to highways  has reached education with a vengeance”[xiii] as more and more students are forced to give up attending college because of skyrocketing tuition rates.  In addition, thousands of students are now saddled with debts that will bankrupt their lives in the future. Unfortunately, one measure of this disinvestment in higher education as a public good can be seen in the fact that many states such as California are spending more on prisons than on higher education.[xiv]  Educating low income and poor minorities to be engaged citizens has been undermined by an unholy alliance of law and order conservatives, private prison corporations, and prison guard unions along with the rise of the punishing state, all of whom have an invested interest in locking more people up, especially poor minority youth, rather than educating them.  It is no coincidence that as the U.S., and Canada to a lesser degree, disinvests in the institutions fundamental to a democracy, it has invested heavily in the rise of the prison-industrial complex, and the punishing-surveillance state.  The social costs of prioritizing punishing over educating is clear in one shocking statistic provided by a recent study which states that  “by age 23, almost a third of Americans or 30.2 percent have been arrested for a crime…that researches say is a measure of growing exposure to the criminal justice system in everyday life.”[xv]

Questions regarding how education might enable students to develop a keen sense of prophetic justice, utilize critical analytical skills, and cultivate an ethical sensibility through which they learn to respect the rights of others are becoming increasingly irrelevant in a market-driven and militarized university.  As the humanities and liberal arts are downsized, privatized, and commodified, higher education finds itself caught in the paradox of claiming to invest in the future of young people while offering them few intellectual, civic, and moral supports.

If the commercialization, commodification, and militarization of the university continue unabated, higher education will become yet another one of a number of institutions incapable of fostering critical inquiry, public debate, human acts of justice, and public values. But the calculating logic of the corporate university does more than diminish the moral and political vision and practices necessary to sustain a vibrant democracy and an engaged notion of social agency. It also undermines the development of public spaces where matters of dissent, critical dialogue, social responsibility, and social justice are pedagogically valued– viewed as fundamental to providing students with the knowledge and skills necessary to address the problems facing the nation and the globe. Such democratic public spheres are especially important at a time when any space that produces “critical thinkers capable of putting existing institutions into question” is under siege by powerful economic and political interests.[xvi]

Higher education has a responsibility not only to search for the truth regardless of where it may lead, but also to educate students to make authority and power politically and morally accountable while at the same time sustaining “the idea and hope of a public culture.”[xvii]  Though questions regarding whether the university should serve strictly public rather than private interests no longer carry the weight of forceful criticism they did in the past, such questions are still crucial in addressing the purpose of higher education and what it might mean to imagine the university’s full participation in public life as the protector and promoter of democratic values.

What needs to be understood is that higher education may be one of the few public spheres left where knowledge, values, and learning offer a glimpse of the promise of education for nurturing public values, critical hope, and a substantive democracy.  It may be the case that everyday life is increasingly organized around market principles; but confusing a market-determined society with democracy hollows out the legacy of higher education, whose deepest roots are moral, not commercial. This is a particularly important insight in a society where the free circulation of ideas are not only being replaced by ideas managed by the dominant media, but where critical ideas are increasingly viewed or dismissed as banal, if not reactionary. Celebrity culture and the commodification of culture now constitute a powerful form of mass illiteracy and increasingly permeate all aspects the educational force of the wider cultural apparatus. But mass illiteracy does more than depoliticize the public, it also becomes complicit with the suppression of dissent.  Intellectuals who engage in dissent and “keep the idea and hope of a public culture alive,”[xviii] are often dismissed as irrelevant, extremist, or un-American. Moreover, anti-public intellectuals now dominate the larger cultural landscape, all too willing to flaunt co-option and reap the rewards of venting insults at their assigned opponents while being reduced to the status of paid servants of powerful economic interests.  At the same time, there are too few academics willing to defend higher education for its role in providing a supportive and sustainable culture in which a vibrant critical democracy can flourish.

These issues, in part, represent political and pedagogical concerns that should not be lost on either academics or those concerned about the purpose and meaning of higher education. Democracy places civic demands upon its citizens, and such demands point to the necessity of an education that is broad-based, critical, and supportive of meaningful civic values, participation in self-governance, and democratic leadership. Only through such a formative and critical educational culture can students learn how to become individual and social agents, rather than merely disengaged spectators,  able both to think otherwise and  to act upon civic commitments that “necessitate a reordering of basic power arrangements” fundamental to promoting the common good and producing a meaningful democracy.

Dreaming the Impossible

Reclaiming higher education as a democratic public sphere begins with the crucial project of challenging, among other things, those market fundamentalists, religious extremists, and rigid ideologues who harbor a deep disdain for critical thought and healthy skepticism, and who look with displeasure upon any form of education that teaches students to read the word and the world critically. The radical imagination in this discourse is viewed as dangerous and a dire threat to political authorities. One striking example of this view was expressed recently by former Senator Rick Santorum who argues that there is no room for intellectuals in the Republican Party. Needless to say, education is not only about issues of work and economics, but also about questions of justice, social freedom, and the capacity for democratic agency, action, and change, as well as the related issues of power, inclusion, and citizenship. These are educational and political issues, and they should be addressed as part of a broader effort to re-energize the global struggle for social justice and democracy.

If higher education is to characterize itself as a site of critical thinking, collective work, and public service, educators and students will have to redefine the knowledge, skills, research, and intellectual practices currently favored in the university. Central to such a challenge is the need to position intellectual practice “as part of an intricate web of morality, rigor and responsibility” that enables academics to speak with conviction, use the public sphere to address important social problems, and demonstrate alternative models for bridging the gap between higher education and the broader society.  Connective practices are key: it is crucial to develop intellectual practices that are collegial rather than competitive, refuse the instrumentality and privileged isolation of the academy, link critical thought to a profound impatience with the status quo, and connect human agency to the idea of social responsibility and the politics of possibility.

Connection also means being openly and deliberately critical and worldly in one’s intellectual work. Increasingly, as universities are shaped by a culture of fear in which dissent is equated with treason, the call to be objective and impartial, whatever one’s intentions, can easily echo what George Orwell called the official truth or the establishment point of view. Lacking a self-consciously democratic political focus, teachers are often reduced to the role of a technician  or functionary engaged in formalistic rituals, unconcerned with the disturbing and urgent problems that confront the larger society or the consequences of one’s pedagogical practices and research undertakings. In opposition to this model, with its claims to and conceit of political neutrality, I argue that academics should combine the mutually interdependent roles of critical educator and active citizen. This requires finding ways to connect the practice of classroom teaching with the operation of power in the larger society and to provide the conditions for students to view themselves as critical agents capable of making those who exercise authority and power answerable for their actions. Such an intellectual does not train students solely for jobs, but also educates them to question critically the institutions, policies, and values that  shape their lives, relationships to others, and myriad connections to the larger world.

I think Stuart Hall is on target here when he insists that educators also have a responsibility to provide students with “critical knowledge that has to be ahead of traditional knowledge: it has to be better than anything that traditional knowledge can produce, because only serious ideas are going to stand up.”[xix] At the same time, he insists on the need for educators to “actually engage, contest, and learn from the best that is locked up in other traditions,” especially those attached to traditional academic paradigms.[xx]  It is also important to remember that education as a utopian project is not simply about fostering critical consciousness but also about teaching students to take responsibility for one’s responsibilities, be they personal, political, or global. Students must be made aware of the ideological and structural forces that promote needless human suffering while also recognizing that it takes more than awareness to resolve them. This is the kind of intellectual practice that Zygmunt Bauman calls “taking responsibility for our responsibility,”[xxi] one that is attentive to the suffering and needs of others.

Education cannot be decoupled from what Jacques Derrida calls a democracy to come, that is, a democracy that must always “be open to the possibility of being contested, of contesting itself, of criticizing and indefinitely improving itself.”[xxii]  Within this project of possibility and impossibility, education must be understood as a deliberately informed and purposeful political and moral practice, as opposed to one that is either doctrinaire, instrumentalized, or both. Moreover, a critical pedagogy should be engaged at all levels of schooling. Similarly, it must gain part of its momentum in higher education among students who will go back to the schools, churches, synagogues, and workplaces in order to produce new ideas, concepts, and critical ways of understanding the world in which young people and adults live. This is a notion of intellectual practice and responsibility that refuses the insular, overly pragmatic, and privileged isolation of the academy.  It also affirms a broader vision of learning that links knowledge to the power of self-definition and to the capacities of students to expand the scope of democratic freedoms, particularly those that address the crisis of education, politics, and the social as part and parcel of the crisis of democracy itself.

In order for critical pedagogy, dialogue, and thought to have real effects,  they must advocate the message that all citizens, old and young, are equally entitled, if not equally empowered, to shape the society in which they live. This is a message we heard from the brave students fighting tuition hikes and the destruction of civil liberties and social provisions in Quebec and to a lesser degree in the Occupy Wall Street movement.  If educators are to function as public intellectuals, they need listen to young people all over the world who are insisting that the relationship between knowledge and power can be emancipatory, that their histories and experiences matter, and that what they say and do counts in their struggle to unlearn dominating privileges, productively reconstruct their relations with others, and transform, when necessary, the world around them. Simply put, educators need to argue for forms of pedagogy that close the gap between the university and everyday life. Their curricula need to be organized around knowledge of those communities, cultures, and traditions that give students a sense of history, identity, place, and possibility. More importantly, they need to join students in engaging in a practice of freedom that points to new and radical forms of pedagogies that have a direct link to building social movements in and out of the colleges and universities.

Although there are still a number of academics such as Noam Chomsky, Angela Davis, Stanley Aronowitz, Slavoj Zizek, Russell Jacoby, and Cornel West who function as public intellectuals, they are often shut out of the mainstream media or characterized as marginal, even subversive figures. At the same time, many academics find themselves laboring under horrendous working conditions that either don’t allow for them to write in an accessible manner for the public because they do not have time—given the often almost slave-like labor demanded of part-time academics and increasingly of full-time academics as well—or they retreat into a highly specialized, professional language that few people can understand in order to meet the institutional standards of academic excellence. In this instance, potentially significant theoretical rigor detaches itself both from any viable notion of accessibility and from the possibility of reaching a larger audience outside of their academic disciplines.

Consequently, such intellectuals often exist in hermetic academic bubbles cut off from both the larger public and the important issues that impact society. To no small degree, they have been complicit in the transformation of the university into an adjunct of corporate and military power. Such academics have become incapable of defending higher education as a vital public sphere and unwilling to challenge those spheres of induced mass cultural illiteracy and firewalls of jargon that doom critically engaged thought, complex ideas, and serious writing for the public to extinction. Without their intervention as public intellectuals, the university defaults on its role as a democratic public sphere capable of educating an informed public, a culture of questioning, and the development of a critical formative culture connected to the need, as Cornelius Castoriadis puts it, “to create citizens who are critical thinkers capable of putting existing institutions into question so that democracy again becomes society’s movement.”[xxiii]

Before his untimely death, Edward Said, himself an exemplary public intellectual, urged his colleagues in the academy to directly confront those social hardships that disfigure contemporary society and pose a serious threat to the promise of democracy.  He urged them to assume the role of public intellectuals, wakeful and mindful of their responsibilities to bear testimony to human suffering and the pedagogical possibilities at work in educating students to be autonomous, self-reflective, and socially responsible. Said rejected the notion of a market-driven pedagogy, one that created cheerful robots and legitimated organized recklessness and illegal legalities.  In opposition to such a pedagogy, Said argued for what he called a pedagogy of  wakefulness and its related concern with a politics of critical engagement. In commenting on Said’s public pedagogy of wakefulness, and how it shaped his important consideration of academics as public intellectuals, I begin with a passage that I think offers a key to the ethical and political force of much of his writing. This selection is taken from his memoir, Out of Place, which describes the last few months of his mother’s life in a New York hospital and the difficult time she had falling to sleep because of the cancer that was ravaging her body. Recalling this traumatic and pivotal life experience, Said’s meditation moves between the existential and the insurgent, between private pain and worldly commitment, between the seductions of a “solid self” and the reality of a contradictory, questioning, restless, and at times, uneasy sense of identity. He writes:

‘Help me to sleep, Edward,’ she once said to me with a piteous trembling in her voice that I can still hear as I write. But then the disease spread into her brain—and for the last six weeks she slept all the time—my own inability to sleep may be her last legacy to me, a counter to her struggle for sleep. For me sleep is something to be gotten over as quickly as possible. I can only go to bed very late, but I am literally up at dawn. Like her I don’t possess the secret of long sleep, though unlike her I have reached the point where I do not want it. For me, sleep is death, as is any diminishment in awareness. ..Sleeplessness for me is a cherished state to be desired at almost any cost; there is nothing for me as invigorating as immediately shedding the shadowy half-consciousness of a night’s loss than the early morning, reacquainting myself with or resuming what I might have lost completely a few hours earlier. I occasionally experience myself as a cluster of flowing currents. I prefer this to the idea of a solid self, the identity to which so many attach so much significance. These currents like the themes of one’s life, flow along during the waking hours, and at their best, they require no reconciling, no harmonizing. They are ‘off’ and may be out of place, but at least they are always in motion, in time, in place, in the form of all kinds of strange combinations moving about, not necessarily forward, sometimes against each other, contrapuntally yet without one central theme. A form of freedom, I like to think, even if I am far from being totally convinced that it is. That skepticism too is one of the themes I particularly want to hold on to. With so many dissonances in my life I have learned actually to prefer being not quite right and out of place.[xxiv]

It is this sense of being awake, displaced, caught in a combination of diverse circumstances that suggests a pedagogy that is cosmopolitan and imaginative–a public affirming pedagogy that demands a critical and engaged interaction with the world we live in mediated by a responsibility for challenging structures of domination and for alleviating human suffering.  As an ethical and political practice, a public pedagogy of wakefulness rejects modes of education removed from political or social concerns, divorced from history and matters of injury and injustice. Said’s notion of a pedagogy of wakefulness includes “lifting complex ideas into the public space,” recognizing human injury inside and outside of the academy, and using theory as a form of criticism to change things.[xxv] This is a pedagogy in which academics are neither afraid of controversy or the willingness to make connections that are otherwise hidden, nor are they afraid of making clear the connection between private issues and broader elements of society’s problems.

For Said, being awake becomes a central metaphor for defining the role of academics as public intellectuals, defending the university as a crucial public sphere, engaging how culture deploys power, and taking seriously the idea of human interdependence while at the same time always living on the border — one foot in and one foot out, an exile and an insider for whom home was always a form of homelessness. As a relentless border crosser, Said embraced the idea of the “traveler” as an important metaphor for engaged intellectuals. As Stephen Howe, referencing Said, points out, “It was an image which depended not on power, but on motion, on daring to go into different worlds, use different languages, and ‘understand a multiplicity of disguises, masks, and rhetorics. Travelers must suspend the claim of customary routine in order to live in new rhythms and rituals … the traveler crosses over, traverses territory, and abandons fixed positions all the time.’”[xxvi]  And as a border intellectual and traveler, Said embodied the notion of always “being quite not right,” evident by his principled critique of all forms of certainties and dogmas and his refusal to be silent in the face of human suffering at home and abroad.

Being awake meant refusing the now popular sport of academic bashing or embracing a crude call for action at the expense of rigorous intellectual and theoretical work. On the contrary, it meant combining rigor and clarity, on the one hand, and civic courage and political commitment, on the other. A pedagogy of wakefulness meant using theory as a resource, recognizing the worldly space of criticism as the democratic underpinning of publicness, defining critical literacy not merely as a competency, but as an act of interpretation linked to the possibility of intervention in the world. It pointed to a kind of border literacy in the plural in which people learned to read and write from multiple positions of agency; it also was indebted to the recognition forcibly stated by Hannah Arendt that “Without a politically guaranteed public realm, freedom lacks the worldly space to make its appearance.”[xxvii]

For public intellectuals such as Said, Chomsky, Bourdieu, Angela Davis, and others, intellectuals have a responsibility to unsettle power, trouble consensus, and challenge common sense.  The very notion of being an engaged public intellectual is neither foreign to nor a violation of what it means to be an academic scholar, but central to its very definition.  According to Said, academics have a duty to enter into the public sphere unafraid to take positions and generate controversy, functioning as moral witnesses, raising political awareness, making connections to those elements of power and politics often hidden from public view, and reminding “the audience of the moral questions that may be hidden in the clamor and din of the public debate.”[xxviii]  At the same time, Said criticized those academics who retreated into a new dogmatism of the disinterested specialist that separates them “not only from the public sphere but from other professionals who don’t use the same jargon.”[xxix] This was especially unsettling to him at a time when complex language and critical thought remain under assault in the larger society by all manner of anti-democratic forces.

g9781612050560.jpgThe view of higher education as a democratic public sphere committed to producing young people capable and willing to expand and deepen their sense of themselves, to think the “world” critically, “to imagine something other than their own well-being,” to serve the public good, and to struggle for a substantive democracy has been in a state of acute crisis for the last thirty years.[xxx]  When faculty assume, in this context, their civic responsibility to educate students to think critically, act with conviction, and connect what they learn in classrooms to important social issues in the larger society, they are often denounced for politicizing their classrooms and for violating professional codes of conduct, or, worse, labelled as unpatriotic.[xxxi] In some cases, the risk of connecting what they teach to the imperative to expand the capacities of students to be both critical and socially engaged may costs academics their jobs, especially when they make visible the workings of power, injustice, human misery, and the alterable nature of the social order. What do the liberal arts and humanities amount to if they do not teach the practice of freedom, especially at a time when training is substituted for education?  Gayatri Spivak provides a context for this question with her comment: “”Can one insist on the importance of training in the humanities in [a] time of legitimized violence?”[xxxii]

In a society that remains troublingly resistant to or incapable of questioning itself, one that celebrates the consumer over the citizen,  and  all too willingly endorses the narrow values and interests of corporate power, the importance of the  university as a place of critical learning, dialogue, and social justice advocacy becomes all the more imperative.  Moreover, the distinctive role that faculty play in this ongoing pedagogical project of democratization and learning, along with support for the institutional conditions and relations of power that make it possible, must be defended as part of a broader discourse of excellence, equity, and democracy.

Despite the growing public recognition that market fundamentalism has fostered a destructive alignment among the state, corporate capital, and transnational corporations, there is little understanding that such an alignment has been constructed and solidified through a neoliberal disciplinary apparatus and corporate pedagogy produced in part in the halls of higher education and through the educational force of the larger media culture.  The economic Darwinism of the last thirty years has done more than throw the financial and credit system into crisis; it has also waged an attack on all those social institutions that support critical modes of agency, reason, and meaningful dissent.  And yet, the financial meltdown most of the world is experiencing is rarely seen as part of an educational crisis in which the institutions of public and higher education have been conscripted into a war on democratic values. Such institutions have played a formidable, if not shameless role, in reproducing market-driven beliefs, social relations, identities, and modes of understanding that legitimate the institutional arrangements of cut-throat capitalism.  William Black calls such institutions purveyors of a “criminogenic environment”—one that promotes and legitimates market-driven practices that include fraud, deregulation, and other perverse practices.[xxxiii]  Black claims that the most extreme pedagogical expression of such an environment can be found in business schools, which he calls “fraud factories” for the elite.[xxxiv]

There seems to be an enormous disconnect between the economic conditions that led to the current financial meltdown and the current call to action by a generation of young people and adults who have been educated for the last several decades in the knowledge, values, and identities of a market-driven society.  Clearly, this generation will not solve this crisis if they do not connect it to the assault on an educational system that has been reduced to a lowly adjunct of corporate interests and the bidding of the warfare state.

Higher education represents one the most important sites over which the battle for democracy is being waged. It is the site where the promise of a better future emerges out of those visions and pedagogical practices that combine hope, agency, politics, and moral responsibility as part of a broader emancipatory discourse. Academics have a distinct and unique obligation, if not political and ethical responsibility, to make learning relevant to the imperatives of a discipline, scholarly method, or research specialization. But more  importantly, academics as engaged scholars can further the activation of knowledge, passion, values, and hope in the service of forms of agency that are crucial to sustaining a democracy in which higher education plays an important civic, critical, and pedagogical role.  If democracy is a way of life that demands a formative culture, educators can play a pivotal role in creating forms of pedagogy and research that enable young people to think critically, exercise judgment, engage in spirited debate, and create those public spaces that constitute “the very essence of political life.”[xxxv]

Finally, I want to suggest that while it has become more difficult to imagine a democratic future, we have entered a period in which young people all over the world are protesting against neoliberalism and its pedagogy and politics of disposability. Refusing to remain voiceless and powerless in determining their future, these young people are organizing collectively  in order  to create the conditions for societies that refuse to use politics as an act of war and markets as the measure of democracy. They are taking seriously the words of the great abolitionist Frederick Douglas who bravely argued that freedom is an empty abstraction if people fail to act, and “if there is no struggle, there is no progress.”

Their struggles are not simply aimed at the 1% but also the 99 percent as part of a broader effort to get them to connect the dots, educate themselves, and develop and join social movements that can rewrite the language of democracy and put into place the institutions and formative cultures that make it possible. Stanley Aronowitz is right in arguing that “The system survives on the eclipse of the radical imagination, the absence of a viable political opposition with roots in the general population, and the conformity of its intellectuals who, to a large extent, are subjugated by their secure berths in the academy. [At the same time,] it would be premature to predict that decades of retreat, defeat and silence can be reversed overnight without a commitment to what may be termed  ‘a long march’ though the institutions, the workplaces and the streets of the capitalist metropoles.”[xxxvi]

The current protests in the United States, Canada, Greece, and Spain make clear that this is not–indeed, cannot be–only a short-term project for reform, but a political movement that needs to intensify, accompanied by the reclaiming of public spaces, the progressive use of digital technologies, the development of public spheres,  the production of new modes of education, and the safeguarding of places where democratic expression, new identities, and collective hope can be nurtured and mobilized.  A formative culture must be put in place pedagogically and institutionally in a variety of spheres extending from churches and public and higher education to all those cultural apparatuses engaged in the production and circulation of knowledge, desire, identities, and values. Clearly, such efforts need to address the language of democratic revolution rather than the seductive incremental adjustments of liberal reform. This suggest not only calling for a living wage, jobs programs, especially for the young, the democratization of power, economic equality, and a massive shift in funds away from the machinery of war and big banks  but also a social movement that not only engages in critique but makes hope a real possibility by organizing to seize power.  There is no room for failure here because failure would cast us back into the clutches of authoritarianism–that while different from previous historical periods–shares nonetheless the imperative to proliferate violent social formations and a death-dealing blow to the promise of a democracy to come.

Given the urgency of the problems faced by those marginalized by class, race, age, and sexual orientation, I think it is all the more crucial to take seriously the challenge of Derrida’s provocation that “We must do and think the impossible. If only the possible happened, nothing more would happen. If I only I did what I can do, I wouldn’t do anything.”[xxxvii]  We may live in dark times as Hannah Arendt reminds us, but history is open and the space of the possible is larger than the one on display.

Henry A. Giroux holds the Global TV Network chair in English and Cultural Studies at McMaster University in Canada. His most recent books include: “Take Back Higher Education” (co-authored with Susan Searls Giroux, 2006), “The University in Chains: Confronting the Military-Industrial-Academic Complex” (2007) and “Against the Terror of Neoliberalism: Politics Beyond the Age of Greed” (2008). His latest book is Twilight of the Social: Resurgent Publics in the Age of Disposability,” (Paradigm.)


Notes.

[i] David Corn, “Secret Video: Romney Tells Millionaire Donors What He Really Thinks of Obama Voters,” Mother Jones (September 17, 2012). Online: http://www.motherjones.com/politics/2012/09/secret-video-romney-private-fundraiser

[ii] Naomi Wolf, “How the Mitt Romney Video Killed the American Dream,” The Guardian (September 21, 2012). Online: http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2012/sep/21/mitt-romney-video-killed-american-dream?newsfeed=true

[iii] Corn, “Secret Video,” http://www.motherjones.com/politics/2012/09/secret-video-romney-private-fundraiser

[iv] George Lakoff and Glenn W. G Smith, “Romney, Ryan and the Devil’s Budget,” Reader Supported News, (August 22, 2012). Online:

http://blogs.berkeley.edu/2012/08/23/romney-ryan-and-the-devils-budget-will-america-keep-its-soul/

[v] João Biehl, Vita: Life in a Zone of Social Abandonment (Los Angeles: University of California Press, 2005). These zones are also brilliantly analyzed in Chris Hedges and Joe Sacco, Days of Destruction, Days of Revolt (New York: Knopf, 2012).

[vi] Thomas Frank, “It’s a rich man’s world: How billionaire backers pick America’s candidates,”

Harper’s Magazine (April 2012). Online: http://harpers.org/archive/2012/04/0083856

[vii]. C. Wright Mills, The Politics of Truth: Selected Writings of C. Wright Mills, (New York: Oxford University Press, 2008), p. 200.

[viii]. Stanley Aronowitz, “Against Schooling: Education and Social Class,” Against Schooling, (Boulder, CO: Paradigm Publishers, 2008), p. xii.

[ix]. Ibid, Kate Zernike, “Making College ‘Relevant’,” P. ED 16.

[x] Scott Jaschik, “Making Adjuncts Temps—Literally,” Inside Higher Ed (August 9, 2010). Online: http://www.insidehighered.com/news/2010/08/09/adjuncts

[xi] Martha C. Nussbaum, Not For Profit: Why Democracy Needs The Humanities, (New Jersey: Princeton University Press, 2010), p. 142.

[xii] Greig de Peuter, “Universities, Intellectuals, and Multitudes: An Interview with Stuart Hall”, in Mark Cote, Richard J. F. Day, and Greig de Peuter, eds.,Utopian Pedagogy: Radical Experiments against Neoliberal Globalization, (Toronto: University of Toronto Press, 2007), p. 111.

[xiii]. Ibid., Aronowitz, Against Schooling, p. xviii.

[xiv] Les Leopold, “Crazy Country: 6 Reasons America Spends More on Prisons Than On Higher Education,” Alternet, (August 27, 2012). Online

http://www.alternet.org/education/crazy-country-6-reasons-america-spends-more-prisons-higher-education?paging=off. On this issue, see also the classic work by Angela Davis: Are Prisons Obsolete? (New York: Open  Media, 2003) and Michelle Alexander, New Jim Crow: Mass Incarceration in the Age of Colorblindness (New York: New Press, 2012).

[xv] Erica Goode, “Many in U.S. Are Arrested by Age 23, Study Finds,” New York Times (December 19, 2011), p. A15.

[xvi]. Cornelius Castoriadis, “Democracy as Procedure and democracy as Regime,” Constellations 4:1 (1997), p. 5.

[xvii] George Scialabba, What Are Intellectuals Good For? (Boston: Pressed Wafer, 2009) p. 4.

17. Ibid. .

[xix]. Greig de Peuter, Universities, Intellectuals and Multitudes: An Interview with Stuart Hall,” in Mark Cote, Richard J. F. Day, and Greig de Peuter, eds.  Utopian Pedagogy: Radical Experiments Against Neoliberal Globalization (Toronto: University of Toronto Press, 2007), p. 113-114.

[xx]. De Peuter, Ibid. P. 117.

[xxi]. Cited in Madeline Bunting, “Passion and Pessimism,” The Guardian (April 5, 2003). Available online: http:/books.guardian.co.uk/print/0,3858,4640858,00.html.

[xxii]. Giovanna Borriadori, ed., “Autoimmunity: Real and Symbolic Suicides–A Dialogue with Jacques Derrida,” in Philosophy in a Time of Terror: Dialogues with Jurgen Habermas and Jacques Derrida (Chicago: University of Chicago Press, 2004). P. 121.

[xxiii]. Cornelius Castoriadis, “Democracy as Procedure and Democracy as Regime,” Constellations 4:1 (1997), p.  10.

[xxiv]. Edward Said, Out of Place: A Memoir  (New York: Vintage, 2000), pp. 294-299

[xxv]. Said, Out of Place, p. 7.

[xxvi]. Stephen Howe, “Edward Said: The Traveller and the Exile,” Open Democracy (October 2, 2003). Online at: www.opendemocracy.net/articles/ViewPopUpArticle.jsp?id=10&articleId=1561.

[xxvii]. Hannah Arendt, Between Past and Future: Eight Exercises in Political Thought (New York: Penguin, 1977), p. 149.

[xxviii]. Edward Said, “On Defiance and Taking Positions,” Reflections On Exile and Other Essays (Cambridge: Harvard University Press, 2001), p. 504.

[xxix]. Edward Said, Humanism and Democratic Criticism (New York: Columbia University Press, 2004), p. 70.

[xxx]. See, especially, Christopher Newfield, Unmaking the Public University: The Forty-Year Assault on the Middle Class (Cambridge: Harvard University Press, 2008).

[xxxi]. See Henry A. Giroux, “Academic Unfreedom in America: Rethinking the University as a Democratic Public Sphere,” in Edward J. Carvalho, ed.,  “Academic Freedom and Intellectual Activism in the Post-9/11 University,” special issue of Work and Days 51–54 (2008–2009), pp. 45–72. This may be the best collection yet published on intellectual activism and academic freedom.

[xxxii] Gayatri Chakravorty Spivak, “Changing Reflexes: Interview with Gayatri Chakravorty Spivak,” Works and Days, 55/56: Vol. 28, 2010, p. 8.

[xxxiii]. Bill Moyers, “Interview with William K. Black,” Bill Moyers Journal (April 23, 2010).

Online at:  http://www.pbs.org/moyers/journal/04232010/transcript4.html

[xxxiv]. Moyers, “Interview with William K. Black.”

[xxxv]. See, especially, H. Arendt, The Origins of Totalitarianism, 3rd edition, revised (New York: Harcourt Brace Jovanovich, 1968); and J. Dewey, Liberalism and Social Action [orig. 1935] (New York: Prometheus Press, 1999).

35.  Ibid, Aronowitz, “The Winter of Our Discontent,” p. 68.

[xxxvii]  Jacques Derrida, “No One is Innocent: A Discussion with Jacques About Philosophy in the Face of Terror,” The Information Technology, War and Peace Project, p. 2 available online: http://www.watsoninstitute.org/infopeace/911/derrida_innocence.html