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dimanche, 14 janvier 2024

Fin de la droite et de la gauche, triomphe du turbocapitalisme

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Fin de la droite et de la gauche, triomphe du turbocapitalisme

Diego Fusaro

Source: https://geoestrategia.es/noticia/42063/opinion/fin-de-la-derecha-y-la-izquierda-triunfo-del-turbocapitalismo.html

En suivant les "aventures de la dialectique", comme les appelait Merleau-Ponty, le passage au turbocapitalisme (ou capitalisme absolu-totalitaire) peut être interprété comme la transition historique d'une forme de capitalisme caractérisée par la présence de deux classes (bourgeoise et prolétarienne) à une forme inédite de capitalisme "post-classe", qui ne se distingue plus par l'existence de classes au sens strict (en tant que subjectivité in se et per se) et qui, en même temps, se caractérise par une inégalité maximale. Ce processus évolutif a également déterminé la raison profonde de l'obsolescence de la dichotomie gauche-droite, "deux mots désormais inutiles".

Par capitalisme "post-classe", c'est-à-dire littéralement "sans classe", il ne faut pas entendre un mode de production dépourvu de différences individuelles et collectives en matière de connaissance, de pouvoir, de revenu et de consommation. En effet, ces différences augmentent de manière exponentielle dans le contexte de la cosmopolitisation néolibérale (dont le mot d'ordre est précisément le slogan "Inégalités"). Mais pas en formant, en soi et pour soi, des "classes" en tant que subjectivités conscientes et porteuses de différences culturelles et idéelles. Car en tant que "classes", en soi et par soi, ni le Serviteur national-populaire ni le Seigneur mondial-élitiste ne peuvent être pris en considération. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, au moment où - à Berlin, en 1989 - le capital commence à devenir plus classiste que jamais et à donner lieu à des inégalités plus radicales qu'auparavant, les classes comprises comme des groupes dotés d'une "en-soi-ité" et d'une "pour-soi-ité" seront éclipsées. Plus concrètement, les prolétaires ne cessent pas d'exister et augmentent même en nombre, du fait de la concentration de plus en plus asymétrique du capital. Mais ils ne possèdent plus la "conscience de classe" antagoniste et, à proprement parler, le prolétariat lui-même devient un "précariat", condamné à la flexibilité et au nomadisme, à la mobilité et à la rupture de tout lien solide, en fonction des nouveaux besoins systémiques du turbo-capitalisme. La classe bourgeoise, quant à elle, perd sa conscience malheureuse et, avec elle, sa condition matérielle d'existence. Elle se prolétarise et, depuis 1989, plonge progressivement dans l'abîme de la précarité.

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Tant que le système capitaliste, dans sa phase dialectique, était caractérisé par la division en deux classes et deux espaces politiques opposés, il était, dès le départ, intrinsèquement, fragile. En effet, il était traversé par des contradictions et des conflits, qui se manifestaient dans la conscience bourgeoise malheureuse, dans les luttes prolétariennes pour la reconnaissance du travail, dans les utopies futuristes de réorganisation du monde et enfin dans le programme "rédempteur" de la gauche (qu'elle soit socialiste-réformiste ou communiste-révolutionnaire). D'un point de vue hégélien, le capital se trouve dans son propre être-autre-que-soi, dans son propre éloignement de soi qu'il doit dialectiquement "surmonter" afin de pouvoir coïncider pleinement avec lui-même sous la forme d'un dépassement de sa propre négation.

Le Capital, comme la Substance dont parle Hegel, coïncide avec le mouvement de dépossession de soi et avec le processus de devenir autre-que-soi-avec-soi. Il s'agit donc de l'égalité auto-constitutive après la division. Pour le dire encore avec Hegel, il s'agit de devenir égal à soi-même à partir de son propre être-autre. Son essence n'est pas la Selbständigkeit abstraite, l'égalité immobile avec elle-même, mais le "devenir égal à soi-même" : l'identité "avec soi-même" n'est pas donnée, mais est atteinte comme résultat du processus. C'est pourquoi, à l'instar de l'Esprit théorisé par Hegel, le Capital peut aussi être compris comme das Aufheben des/seines Andersseyns, "le dépassement de son propre être-autre". En se développant au rythme de son propre Begriff, c'est-à-dire - selon la Science de la Logique - comme une réalité ontologique en développement dialectique, le capitalisme produit un dépassement à la fois des classes antagonistes, de la dichotomie gauche-droite et, en perspective, de tout autre élément dialectique capable de menacer sa reproduction.

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En particulier, ce processus, sur la pente qui va de 1968 à 1989 et de là à aujourd'hui, se développe - comme l'a montré Preve - en subsumant sous le capital toute la sphère des antagonismes et des contestations, tant de la part de la droite (traditionalisme culturel in primis et protestations de la petite bourgeoisie contre la prolétarisation), que - surtout - de la part de la gauche, qu'elle soit démocratique, socialiste ou communiste (réformisme keynésien, pratiques redistributives, welfarisme, praxis révolutionnaire, utopie de la réorganisation égalitaire de la société). La droite et la gauche sont dialectiquement "dépassées" (aufgehoben), au sens hégélien du terme. Elles se transforment en parties abstraitement opposées et concrètement interchangeables de la reproduction capitaliste. Ils apparaissent comme des pôles qui, alternant dans la gestion du statu quo, nient l'alternative. Et ils trompent les masses sur l'existence d'une pluralité qui, en réalité, a déjà été résolue pour toujours dans le triomphe prédéterminé du parti unique articulé du turbo-capitalisme.

C'est pourquoi le dépassement du binôme gauche-droite ne doit être compris ni comme le simple résultat d'une "trahison" des leaders de la gauche, ni comme une subtile tentative contemporaine de la droite radicale d'infiltrer le "monde des gentils". Au contraire, il s'agit d'un processus en acte co-essentiel à la logique dialectique du développement du capital. Et en synthèse, l'incapacité à interpréter correctement le contexte réel constitue l'erreur des tentatives herméneutiques encore généreuses et naïves du vieux marxisme survivant, encore guidées par la prétention illusoire de superposer au turbo-capitalisme les contours du cadre dialectique précédent maintenant dissous, tombant ainsi dans le théâtre de l'absurde; un théâtre de l'absurde sur la scène duquel on continuerait à représenter le conflit entre la bourgeoisie et le prolétariat, et par conséquent, on pourrait "refonder" la gauche par un retour au passé injustement oublié (alors que la vérité crue est que le conflit réellement existant, aujourd'hui, est celui entre "le haut" et "le bas", entre le "haut" de l'oligarchie financière et le "bas" des classes moyennes et des travailleurs, de plus en plus réduits à la misère).

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La gauche ne peut se refonder principalement pour deux raisons: a) le cadre historique a muté (ce qui nécessite donc de nouveaux paradigmes philosophico-politiques qui comprennent et contestent opérationnellement la mondialisation capitaliste et le néolibéralisme progressiste); b) elle héberge depuis son origine dans une partie d'elle-même - comme l'a montré Michéa - un double vulnus fondamental : 1) la conception du progrès comme rupture nécessaire avec les traditions et les liens antérieurs, c'est-à-dire l'élément décisif qui le conduira infailliblement à adhérer au rythme du progrès néolibéral; et 2) l'individualisme hérité des Lumières, qui conduit nécessairement à la monadologie concurrentielle néolibérale. La défense de la valeur individuelle contre la société d'Ancien Régime s'inverse dans l'individualisme capitaliste et son anthropologie monadologique, de même que le renversement en bloc des traditions génère l'intégration de l'individu non plus dans la communauté égalitaire, mais dans le marché mondial des biens de consommation.

Le fondement du capitalisme absolu-totalitaire, dans le contexte socio-économique, n'est plus la division entre la bourgeoisie de droite et le prolétariat de gauche. Et ce n'est même pas, politiquement, l'antithèse entre la droite et la gauche. Le nouveau fondement du capitalisme mondial est la généralisation non-classiste et omni-homologisante de la forme marchandise dans toutes les sphères du symbolique et du réel. C'est précisément parce qu'il est absolu et totalitaire que le capitalisme surmonte et résout - au sens capitaliste du terme - les divisions qui menacent sa reproduction de diverses manières. C'est pourquoi le turbo-capitalisme n'est ni bourgeois ni prolétarien. Il n'est pas non plus de droite ou de gauche. En fait, il a dépassé et résolu ces antithèses, valables et opérantes dans sa phase dialectique précédente.

Avec l'avènement du turbo-capitalisme, le prolétariat et la bourgeoisie sont "dépassés" et "dissous" - non pas "in se" et "per se" (en soi et pour soi), dirait-on avec Hegel - dans une nouvelle plèbe post-moderne de consommateurs individualisés et résilients, qui consomment des marchandises avec une euphorie stupide et supportent avec une résignation désenchantée le monde subsumé sous le capital, c'est-à-dire un monde de plus en plus inhabitable écologiquement et déshumanisé anthropologiquement. D'où la société de Narcisse, le dieu postmoderne des selfies, des "autoportraits" de gens tristes qui s'immortalisent en souriant.

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De même, droite et gauche sont "dépassées" et "dissoutes" dans une homogénéité bipolaire, articulée selon la désormais perfide alternance sans alternative d'une droite néolibérale peinte en bleu et d'une gauche néolibérale peinte en fuchsia. Ils ne se battent pas pour une idée différente et peut-être opposée de la réalité, fondée sur des ordres de valeurs différents et sur leurs Weltanschauungen irréconciliables. Au contraire, ils rivalisent pour réaliser la même idée de la réalité, celle décidée souverainement par le marché et le bloc oligarchique néolibéral, par rapport à laquelle ils jouent désormais le rôle de simples majordomes, bien que dans une livrée de couleur différente. Au sommet, sur la passerelle de contrôle, il y a une nouvelle classe post-bourgeoise et post-prolétarienne, qui n'est ni de droite ni de gauche, ni bourgeoise ni prolétarienne. C'est la classe du patriciat financier cosmopolite qui, plus précisément, est de droite en économie (compétitivité sans frontières et marchandisation intégrale du monde), de centre en politique (alternance sans alternative du centre-droit et du centre-gauche également néolibéraux), et de gauche en culture (ouverture, dérégulation anthropologique et progressisme comme philosophie du plus jamais ça).

En bref, la transition vers la nouvelle figure du capitalisme absolu-totalitaire se développe le long d'une trajectoire qui nous suit de 1968 au nouveau millénaire, en franchissant la date fondatrice de 1989. En effet, de 1968 à nos jours, le capitalisme a dialectiquement "surmonté" (aufgehoben) la contradiction qu'il avait lui-même provoquée dans la phase antithétique-dialectique, représentée par le double nœud d'opposition entre bourgeoisie et prolétariat, et entre droite et gauche. Ainsi, le capitalisme actuel absolu-totalitaire se caractérise: d'une part, par l'éclipse du lien symbiotique entre les deux instances de la "conscience malheureuse" bourgeoise et des "luttes pour la reconnaissance du travail servile" prolétariennes ; et d'autre part, par l'élimination de la polarité entre la droite et la gauche, désormais convertie en deux ailes de l'aigle néolibéral. Le turbo-capital a "dépassé" ces antithèses, propres au moment de l'"immense puissance du négatif" (c'est-à-dire de l'être-autre-de-soi), et les a "subsumées" sous lui-même, en reconquérant sa propre identité avec lui-même à un niveau plus élevé que dans la phase thétique, comme le fruit du passage par son propre auto-étranglement.

lundi, 25 septembre 2023

L'artériosclérose politique incurable des droitards et des gauchistes

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L'artériosclérose politique incurable des droitards et des gauchistes

par Andrea Zhok

Source : Andrea Zhok & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-inguaribile-arterosclerosi-politica-di-destri-e-sinistri

Pour reprendre un chemin vertueux dans ce pays (=l'Italie), une multitude de conditions doivent mûrir, mais nous pouvons commencer par les plus fondamentales, en attendant plus.

Une condition préalable minimale pour comprendre quoi que ce soit du monde contemporain devrait être l'abandon définitif, complet et sans hésitation ni indécision de l'appareil politique oppositionnel du 20ème siècle.

Il y a un effondrement systématique des facultés d'analyse chaque fois que les mécanismes à ressort de la condamnation des "fascistes" à gauche et des "communistes" à droite sont déclenchés.

Dès que quelqu'un, à gauche, voit se profiler des traits qui évoquent les schémas "antifa", tout l'appareil des réactions à ressort y associées est activé (racistes ! xénophobes ! intolérants ! obscurantistes ! etc.) et immédiatement apparaît devant les yeux, comme dans les images de Gestalt, toute la figure du squadriste fasciste brutal contre lequel, par définition, on ne peut pas argumenter, mais seulement s'armer.

Et la capacité réflexive s'effondre au niveau du gibbon.

Dès que quelqu'un à droite voit se profiler un trait qui rappelle plus ou moins latéralement les schémas "anticommunistes" avec leurs réactions réflexes (paupéristes ! bouffeurs de curés ! matérialistes sordides ! expropriateurs ! etc.), immédiatement la figure du garde rouge du goulag apparaît à l'horizon, les lèvres s'arquent de dégoût et une dose de rodenticide est souhaitée.

Et la capacité réflexive est réduite à celle d'un pitbull.

Cela paraît incroyable, mais ces réflexes conditionnés fonctionnent encore et font des dégâts terrifiants, permettant la survie d'une "gauche" unie seulement par l'antifascisme le plus vil et d'une droite unie seulement par l'anticommunisme le plus pathétique.

Et cela ne s'applique pas seulement à la gauche ou à la droite standard, mais aussi à ceux qui se considèrent comme des consciences critiques.

On ne peut pas entendre des gens respectables qui, face aux débordements de Meloni, sautent sur l'occasion en craignant le "danger fasciste", parce qu'entre un rabotage sur la souveraineté et un rabotage de la culture nationale, notre dame de Garbatella intercale quelques clichés décisionnistes.

On n'entend pas les gens sérieux s'insurger à un moment donné contre le "danger communiste" qu'incarnerait Klaus Schwab (sur la base du "vous n'aurez rien et vous serez heureux").

Ce sont bien là des signes d'infantilisme, de régression anale, d'incapacité à retirer de sa bouche la tétine réconfortante du 20ème siècle.

Une règle sûre aujourd'hui pour déterminer que quelqu'un ne sait pas de quoi il parle ou écrit est de le voir jouer la carte de l'anticommunisme ou de l'antifascisme.

Ce sont des signes d'artériosclérose politique qui bloquent complètement la prise de conscience du monde réel qui nous entoure.

19:52 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : actualité, andrea zhok, gauche, droite | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 21 septembre 2023

Contre les "progressistes"

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Contre les "progressistes"

Carlos x. Blanco

Le lecteur connaît déjà une série d'écrits de ma part, certains déjà anciens, tous destinés à dénoncer une grave imposture. L'imposture de ce qu'on appelle aujourd'hui "gauche", "progressisme", "éveil" (woke), etc. C'est toute une galaxie d'activistes, de leaders, d'enseignants, d'écrivains, de "penseurs" qui s'arrogent la possession absolue de la vérité et qui exercent de manière hégémonique et parfois totalitaire le pouvoir de censure ("culture de l'annulation" ou "cancel culture"). Les moins avisés ne peuvent manquer de remarquer un fait fondamental, qui s'impose d'emblée comme une réponse immédiate à la question suivante : qu'ont en commun des personnages et des approches aussi variés, apparemment si contradictoires entre eux ? Le capital. Le capital les finance et les met en œuvre.

Le progressisme, la "nouvelle gauche" post-moderne et "réveillée" se caractérise par :

(a) Un anti-marxisme forcené. La plupart d'entre eux font un usage partiel, ignorant ou tordu de l'héritage théorique ou scientifique de Marx et Engels. Ils nient le concept de classe et donc de lutte des classes. Ils le dénaturent en le subordonnant au concept de lutte identitaire (racialisée, sexiste, ethnique). Ils tentent de nous faire avaler un ragoût toxique: ils disent que l'identité ( ?), souvent indéfinie, est plus importante que la conscience de classe et l'exploitation d'une classe sur une autre. Ainsi, sous un habillage prétendument progressiste, ils reviennent aux pires méthodes du suprémacisme. Une race autrefois opprimée et asservie doit maintenant être la maîtresse de nos destinées. Un "genre" autrefois opprimé et exploité doit maintenant être privilégié. Un peuple ou une nation prétendument colonisé(e) dans le passé doit maintenant mettre ses bottes sur les nations autrefois dominantes. L'infantilisme et le crypto-fascisme de cette nouvelle gauche sont vraiment effrayants. Elle admet que le Blanc, le mâle, l'Européen, l'Espagnol, l'habitant du présent, possède une tache générique, un péché originel qui doit être lavé en raison des outrages commis par ses ancêtres et congénères il y a plusieurs siècles ou décennies. Ce suprémacisme qui fait porter aux populations d'aujourd'hui la "culpabilité" des exactions et des génocides du passé est intolérable. Un tel enfantillage nous conduit dans les ténèbres, et plus encore si l'on considère que la perspective de classe est délibérément occultée. C'est une classe exploitée (et en tant que classe, elle est multiraciale et composée de personnes des deux sexes) qui doit s'élever contre l'exploiteur. C'est le capitalisme qui produit le rêve de la raison et tous ses monstres, y compris le racisme, le colonialisme des peuples ou l'aliénation des femmes.

b) L'absence absolue de remise en cause du régime capitaliste dans sa version néo-libérale. De forts soupçons pèsent sur la gauche identitaire, post-moderne ou woke, anti-ouvrière, bourgeoise, financée par les grandes fondations d'ingénierie sociale, qui étendent leurs tentacules partout, y compris dans les partis politiques, les universités, les gestionnaires culturels, etc. Beaucoup d'argent a été investi pour enterrer la théorie de la valeur travail, le cœur du marxisme, dans l'oubli. La lutte idéologico-culturelle a été déconnectée de la lutte syndicale et de la lutte pour la souveraineté économique.

En Espagne, cela se voit très bien : qui finance toute cette pléthore de sites web et de plumes qui se consacrent à voir le fascisme partout, sauf chez Soros, chez les GAFAM, chez les fonds vautours et les banques habituelles? Qui se consacre à distribuer des cartes de fasciste ou de progressiste, selon le cas, comme s'il s'agissait du jugement divin à la fin des temps? Le système néolibéral paie 90% de ce qui est écrit sur le "progressisme". Je lis déjà de multiples articles de gauchistes (c'est ainsi qu'ils se présentent) assimilant Marx et le "travaillisme" au fascisme. Il en va de même pour les tentatives d'"annulation" d'autres auteurs qui, sans être strictement marxistes, défendent, avec d'authentiques marxistes, une perspective souverainiste espagnole (M. Gullo, Pedro Baños, etc.).

Il faut dénoncer la pseudo-gauche qui tente de nous refiler l'Agenda 2030 et le "monde sans frontières". De même, les gourous de la mort du travail et les partisans de l'oisiveté et de la "soupe universelle". Le marxisme espagnol doit être reconstruit dans une perspective souverainiste, au moyen d'un État du travail qui réalise une insubordination, c'est-à-dire qui se réindustrialise avec le protectionnisme et la déconnexion programmée (Gullo, S. Amin, Fusaro).

lundi, 11 septembre 2023

Au-delà de la gauche et de la droite: l'avenir de l'antimondialisme

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Au-delà de la gauche et de la droite: l'avenir de l'antimondialisme

Brecht Jonkers

Discours tenu lors du colloque de l'association Feniks, Anvers, 10 septembre 2023

Bonjour,


"Au-delà de la gauche et de la droite, contre le mondialisme" est un slogan que l'on retrouve dans les publications de Feniks. Un slogan qui non seulement indique clairement ce à quoi l'organisation s'oppose dans la société, mais qui porte également un message qui transcende les divisions traditionnelles de notre paysage politique.


Pourquoi ce slogan m'interpelle-t-il ? Permettez-moi tout d'abord d'évoquer mon parcours politique personnel. J'ai été fasciné par la politique dès mon plus jeune âge et j'ai été actif dans les cercles de gauche, en particulier dans les cercles marxistes, pendant de nombreuses années. Dans ce cadre, je me suis principalement plongé dans les développements politiques internationaux et ce que l'on appelle la géopolitique. L'invasion de la Libye par l'OTAN et ses conséquences désastreuses m'ont fortement incité à me consacrer davantage à l'étude de l'impérialisme, en particulier du rôle des alliances occidentales telles que l'OTAN. Pour reprendre les mots de Lénine, l'impérialisme est le stade le plus élevé du capitalisme, et la contradiction entre l'impérialisme et ses victimes est la contradiction la plus importante au niveau mondial. 

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En étudiant et en évaluant les luttes de différents pays et cultures pour leur individualité et leur souveraineté, je me suis souvent heurté à l'étrange contradiction entre les sociétés occidentales et le Sud global. Dans la plupart des pays, préserver et protéger sa propre culture est quelque chose de logique, de fondamental et d'évident. Dans des pays comme la Belgique, c'est étrangement différent. Qu'est-ce que notre propre culture ? Souvent, il y a fondamentalement peu de différences dans la société entre, disons, la Belgique, l'Allemagne, l'Angleterre ou même les États-Unis. La mondialisation, et en particulier le rôle des États-Unis, a mis en place une sorte de superstructure sur le corps de notre société, une superstructure de valeurs libérales, dites de marché libre, et de pensée unitaire cosmopolite.

En Europe, l'idée de défendre les valeurs traditionnelles a souvent été monopolisée par ce que l'on appelle la droite, mais d'une manière qui n'est généralement pas trop profonde. Du côté droit de l'opposition traditionnelle, on observe souvent une peur exagérée de "l'étranger", des locuteurs non natifs, des personnes de couleur différente et des autres religions. Mais on passe souvent à côté de l'essentiel : le fait que les traditions sont écrasées par le système libéral-capitaliste cosmopolite et les changements socioculturels qui l'accompagnent.


D'autre part, la gauche passe souvent complètement à côté de cette dimension culturelle. Les gens de gauche ont toujours osé remettre en question la nature économique de ce système et ses conséquences antisociales, bien qu'ils ont de moins en moins osé le faire de manière fondamentale au cours des 30 dernières années. Mais le lien qui existe entre le caractère unique de la culture et la société est souvent complètement oublié. Il est presque hors de question, dans ces milieux-là,  de poser des questions sur les valeurs traditionnelles, les questions éthiques et la souveraineté nationale des nations, parce qu'il s'agit, après tout, de thèmes qui font l'objet d'une pensée "de droite". 


Ce type de division rigide entre de telles thématiques n'existe pas du tout dans la plupart des pays du monde. Les partisans cubains de Castro ont tendance à être extrêmement patriotiques, les communistes chinois ont des valeurs traditionnelles fortes et respectent les traditions confucéennes et bouddhistes de leur pays, et les politiciens musulmans conservateurs de Malaisie, par exemple, ont souvent des programmes économiques qui sont plus à gauche que ceux du social-démocrate européen moyen. L'adhésion obstinée à la pensée gauche-droite, qui remonte au 18ème siècle, est pernicieuse pour la capacité à nommer correctement les problèmes et à formuler des solutions.


Les exemples que j'ai cités ne sont bien sûr que des illustrations. Je ne plaide pas ici pour l'adoption de systèmes comme s'il s'agissait d'un modèle de société belge. Le fait est qu'il est possible de lutter simultanément contre des concepts de "droite" tels que le marché libre libéral, la politique d'austérité, l'obsession de la privatisation et les interventions impérialistes à l'étranger, ainsi que contre des idées de "gauche" telles que l'élimination de la religion de la vie publique, l'idéologie du genre, l'accent excessif mis sur les identités LGBT et la "citoyenneté mondiale" sans racines et sans base traditionnelle ou nationale.


En fait, cela devrait aller de soi. En fait, ces thèmes dits "de droite" et "de gauche" sont déjà combinés et promus par les propagandistes du capitalisme libéral et du mondialisme. "Le capitalisme débridé combiné à la "liberté" personnelle de se réfugier dans la drogue, le sexe ou toute autre forme de distraction, c'est ce qu'on appelle souvent le "socialement libéral mais économiquement conservateur". Une société qui permet à peu près tout tant que cela ne touche pas aux profits que peuvent faire ceux qui sont au sommet. Ce que nous appelons la droite a trop souvent repris aujourd'hui l'opposition libérale "progressiste" aux identités traditionnelles et à la religion organisée, et vice versa, l'idée d'une sorte de modèle occidental supérieur qui doit être propagé au reste du monde même contre sa propre volonté est maintenant aussi fortement présente à gauche.


Face à cela, il faut créer une réponse qui dépasse le vieux schéma gauche-droite. Le problème ne réside pas dans le migrant lui-même, mais dans le système qui a fait de la migration un commerce de plusieurs milliards de dollars. Le problème ne réside pas non plus dans le Flamand blanc hétérosexuel, mais dans le système qui le prive de sa sécurité d'emploi, de son système de retraite et même de sa sécurité de base. Les préjugés qui existent tant à gauche qu'à droite font obstacle à une solution fondamentale aux problèmes de la société. 


Il devrait être possible de combiner la justice sociale et l'humanité économique avec la préservation et la protection de ses propres valeurs traditionnelles et de la souveraineté nationale du pays. En fait, c'est ainsi que les partis socialistes ont fonctionné pendant des décennies, avant de céder la place au vague programme progressiste des dernières décennies.


Nous vivons dans un monde en mutation extrêmement rapide. La structure de la politique mondiale mise en place après la fin de la guerre froide se désintègre. À la place d'un modèle unipolaire dominé par les États-Unis et soutenu par l'OTAN, un ordre multipolaire a émergé. Un monde dans lequel chaque civilisation a la possibilité de se développer selon sa propre identité et ses propres normes et valeurs. C'est exactement ce que les pays d'Europe ont aujourd'hui l'occasion de faire : remettre leur individualité à l'honneur et s'éloigner de la vision déracinée de la société que nous impose l'élite néolibérale. Le consumérisme capitaliste et l'individualisme cosmopolite ne sont pas la culture de ce pays, ni même de ce continent. Il s'agit d'une structure imposée d'en haut qui peut, et doit, être brisée.


C'est pourquoi je me sens attiré par les initiatives de Feniks et par leur message "au-delà de la gauche et de la droite". La principale contradiction politique se situe entre l'impérialisme, aujourd'hui déguisé en mondialisme, et le reste du monde. Cette lutte transcende l'opposition dépassée dans laquelle notre système politique est encore trop souvent enfermé.

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La boutique de Feniks, pour toutes commandes: https://www.feniksvlaanderen.be/webwinkel

 

mercredi, 09 août 2023

L'insaisissable catégorie libérale du totalitarisme

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L'insaisissable catégorie libérale du totalitarisme

Diego Fusaro

Source: https://posmodernia.com/la-escurridiza-categoria-liberal-del-totalitarismo/

Parmi les catégories philosophico-politiques qui rencontrent le plus de succès dans l'ordre du discours néolibéral, tant à droite qu'à gauche, figure celle de "totalitarisme", en particulier dans le sens conceptualisé jadis par Hannah Arendt dans son ouvrage Les origines du totalitarisme (1951). À travers cette catégorie, c'est toute l'histoire du "petit siècle" qui est réinterprétée de manière tératomorphique comme une succession de gouvernements despotiques et génocidaires, rouges et bruns, ennemis de la société ouverte prônée par Popper. L'horreur du siècle court serait cependant déterminée par le happy end capitaliste de la Fin de l'Histoire (brevetée par Fukuyama) et le triomphe de la liberté universelle (traduite en termes réels par celui du libre marché planétaire). Toute l'histoire humaine se déroulerait ainsi dans l'ordre néolibéral, assumé de manière tout sauf idéologiquement neutre, comme la fin (end) et comme la fin (finalité) de l'histoire en tant que telle - selon le double sens du terme grec τέλος.

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Le haut degré idéologique de ce récit apparaît quel que soit le point de vue dans lequel on l'observe. Tout d'abord, le vingtième siècle, qui fut - comme le rappelle Badiou - le "siècle des passions politiques", se résout entièrement dans le règne sinistre de la terreur et du génocide, des goulags et des barbelés des camps d'extermination; des horreurs bien présentes, ça va sans dire, mais qui ne peuvent certainement pas conduire à ignorer tout ce qui a été différent et mieux produit pendant le "siècle court". Grâce à l'identification, loin d'être neutre, entre 20ème siècle et Totalitarisme, il ne reste en effet aucune trace de la passion utopique pour le dépassement de la prose du capitalisme, ni des conquêtes sociales des classes laborieuses, ni même des acquis en termes de droits et de pratiques démocratiques obtenus grâce au cadre des États-nations souverains. Selon le théorème "publicitaire" des nouveaux philosophes - eux-mêmes célébrés en leur temps comme un produit commercial de l'industrie culturelle - le Goulag devient la vérité de toute aspiration authentiquement socialiste. Et, synergiquement, les barbelés d'Auschwitz deviennent la vérité de toute défense de l'État national, de la souveraineté et de la tradition.

En plus d'hypothéquer la dimension utopique ouverte à la projection de futurs meilleurs, la rhétorique antitotalitaire remplit une fonction apologétique à l'égard du présent lui-même. En effet, elle suggère que, bien que rempli de contradictions et d'injustices, l'ordre néolibéral est toujours préférable aux horreurs totalitaires rouges et brunes qui ont envahi le "siècle court". Ainsi, le présent réifié n'est plus combattu en raison des contradictions qui le sous-tendent (exploitation et misère, inégalités et hémorragie constante des droits); il est au contraire défendu contre le retour possible du fascisme et du communisme.

La victoire du rapport de force capitaliste (Berlin, 1989) peut ainsi être idéologiquement élevée au rang de fait définitif de la Weltgeschichte. Cette dernière, après l'"immense puissance du négatif", mènerait son propre processus autotélique de mise en œuvre de la libre circulation des marchandises et des personnes commercialisées. Celui qui, sans réfléchir, ne reconnaît pas l'identification entre la liberté et le libre marché, entre la démocratie et le capitalisme, en essayant peut-être même de faire revivre le rêve éveillé d'une meilleure liberté et d'un exode hors de la cage d'acier du techno-capital sans frontières, sera donc ostracisé et vilipendé comme "totalitaire", "antidémocratique" et "illibéral" ; ou, dirait Popper, comme "ennemi de la société ouverte" qui, soit dit en passant, est l'une des sociétés les plus fermées de l'histoire, si l'on considère le degré d'exclusion socio-économique, en termes de droits fondamentaux et de nécessités de base, auquel un nombre croissant d'êtres humains sont condamnés.

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La rhétorique antitotalitaire fonctionne à plein régime grâce à son activation symétrique par la droite bleue et la gauche fuchsia. La première accuse la gauche - dans tous ses gradations et dans toutes ses couleurs - d'être de connivence avec la "folie totalitaire rouge" du maoïsme et du stalinisme. Elle veille donc à ce qu'elle reste attachée au dogme néolibéral, sans ouverture possible à un plus grand contrôle politique du marché et à d'éventuelles extensions des droits sociaux, pratiques qui sont elles-mêmes immédiatement pointées du doigt comme un retour au totalitarisme rouge. De manière analogue, la gauche fuchsia accuse la droite bleue d'être en permanence tentée par la "folie totalitaire noire ou brune", mussolinienne ou hitlérienne. Elle veille ainsi à ce que la néo-droite libérale reste toujours aussi attachée au credo néo-libéral, en délégitimant immédiatement comme "fascisme" toute tentative de re-souverainisation de l'Etat national, de résistance à la globalisation marchande et de protection des identités culturelles et traditionnelles des peuples. Cela révèle, une fois de plus, comment la droite et la gauche ont introjecté le noyau du fondamentalisme néolibéral, selon lequel - dans la syntaxe de Hayek - toute tentative politique de contrer la libre concurrence et le marché déréglementé conduit inexorablement au "chemin vers la servitude".

En vertu de cette logique néolibérale, qui réciproquement est logique de surveillance (et qui reconfirme donc la fonction déployée aujourd'hui par le clivage droite-gauche comme simple simulacre idéologique au profit de la classe dominante), la droite bleue et la gauche fuchsia se garantissent mutuellement leur propre pérennité stable dans le périmètre de la matrice libérale politiquement correcte de la Pensée Unique. Celle-ci focalise l'ennemi suprême sur l'État souverain keynésien et régulateur de l'économie, l'identifiant automatiquement au totalitarisme rouge et brun ou, plus rarement, à l'ens imaginationis du "totalitarisme rouge-brun". Et comme résultat de tout ce processus, le capitalisme lui-même réapparaît, de plus en plus ennobli et légitimé idéologiquement: en effet, aujourd'hui il est présenté - tant par la droite que par la gauche - comme le royaume de la liberté, comme le meilleur des mondes possibles, ou en tout cas comme le seul possible dans le temps de désenchantement qui reste après les atrocités des totalitarismes rouge et brun.

vendredi, 28 juillet 2023

Costanzo Preve : dix ans après sa mort

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Costanzo Preve : dix ans après sa mort

par Federico Roberti

Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/costanzo-preve-a-dieci-anni-dalla-scomparsa

Ceux qui nient la nature humaine, et qui le font à partir de la "gauche", convaincue qu'il s'agit d'un concept conservateur et réactionnaire (confondant ainsi l'utilisation idéologique du concept avec sa pertinence philosophique et ontologique), ne comprennent malheureusement pas que le caractère générique même de la nature humaine est le principal facteur empêchant la stabilisation d'une dictature manipulatrice, qu'elle soit inspirée par le matérialisme dialectique de Staline ou par le fondamentalisme sioniste-protestant de Bush. Si l'homme n'était pas une entité naturelle générique, dans laquelle la créativité et la réaction à l'oppression sont des éléments non seulement historiques mais enracinés dans la structure anthropologique la plus profonde, je ne parierais même pas dix euros sur les possibilités des mouvements de résistance.

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Costanzo Preve [1]

En Italie, la classe dirigeante est soumise aux pouvoirs forts. Et elle prospère en les servant, en prétendant gouverner et administrer la chose publique de manière autonome. Forte parce que le peuple n'a même pas le courage d'admettre qui est le véritable responsable. Elle doit être considérée comme une noblesse fidèle au roi, qui suit ses ordres ; elle est seulement divisée en deux factions qui s'affrontent à la cour pour la suprématie: la "droite" et la "gauche", y compris une grande partie du pouvoir judiciaire.

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Deux conceptions de la subordination et de la vente au détriment des citoyens s'affrontent. Les "barons", la droite, veulent agir comme des seigneurs féodaux, afin qu'en tant que vassaux, ils puissent disposer d'une certaine autonomie sur leurs fiefs, et abattre le peuple aussi bien à leur profit qu'au nom du roi. Les "mandarins", la gauche et les magistrats, veulent exécuter les souhaits prédateurs des pouvoirs forts en tant que fonctionnaires "sages" et parvenir ainsi à vivre vénérés et forts, sans trop se salir les mains avec des vols personnels. On ne sait pas laquelle des deux factions est la pire pour les gens ordinaires, qui feraient bien de ne pas se ranger du côté de l'une ou de l'autre. Les gesticulations suite au C ovid, et les fraudes biomédicales structurelles en général, montrent comment, dans certains cas, les mandarins peuvent être encore plus zélés et donc encore plus nocifs, en déchirant la constitution et la loi et en opprimant le peuple, que les barons qui veulent établir un droit de prédation même pour eux-mêmes alors qu'ils sont des prédateurs pour le roi.

Francesco Pansera [2]

Pour Costanzo Preve, l'être en tant que métaphore de la communauté n'est compréhensible qu'à travers la pratique philosophique et c'est la prémisse indispensable à toute praxis politique. La praxis doit être associée à la théorie pour dépasser le nihilisme de la technocratie, alors que le cirque médiatique ne fait la part belle qu'aux philosophies inoffensives pour les oligarchies au pouvoir. Il y a donc une philosophie où l'on s'affranchit des modes, où l'on rompt avec les simplismes pour fonder la vérité. Une vérité qui n'est ni fabriquée ni possédée, mais que l'on peut approcher sans jamais en faire sa propriété personnelle.

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En s'éloignant volontairement des stéréotypes et des fausses vérités propagées par le cirque médiatique, la philosophie devient l'activité véridique d'une communauté humaine qui se fixe des objectifs ontologiques. Chez Costanzo Preve, il y a coprésence de plusieurs registres linguistiques parce que la philosophie ne doit pas s'enfermer dans des niches spécialisées ; c'est le voyage autour de l'être humain et donc les philosophes doivent enseigner l'écoute et que la critique est un moyen de s'humaniser et de se retrouver entre semblables.

La politique n'existe que si l'être humain pense et définit sa propre nature, dans un travail de l'esprit qui peut être inhibé par la déconstruction des corps intermédiaires de la démocratie. Le nihilisme technocratique, idéologiquement athée et anti-communautaire, élève son péan à l'individualisme pour démanteler la politique et ses pratiques communautaires et réduire l'être humain à un atome consommateur qui ne perçoit pas la nécessité de la communauté sous ses formes plurielles.

LE DIALOGUE

La politique n'est possible qu'à travers un chemin de recherche commun où la dialectique n'est pas considérée comme une division mais comme une pratique communautaire et, en tant que telle, déjà une pratique politique. À l'inverse, le bavardage est le symptôme d'un manque d'être, il n'est donc pas une simple opération médiatique mais l'expression de la pathologie qui corrompt le corps social. Le bavardage consolide l'insignifiance de la parole et enseigne que si la pensée est impuissante, le Pouvoir peut tout. Ses propos sont la reproduction du système dominant qui gouverne par le biais d'un bavardage perpétuel dont le caractère infondé n'est pas un obstacle à sa diffusion mais plutôt un facteur déterminant qui le favorise. En effet, "le bavardage est la possibilité de tout comprendre sans appropriation préalable de la chose à comprendre" (cf. Martin Heidegger, "L'Être et le temps, l'essence du fondement").

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Le bavardage forme des personnalités indifférentes et des troupeaux dociles, des plèbes qui se dispersent parmi les signifiants circulant dans le système et deviennent l'objet du Pouvoir. Il réduit la vie en communauté à une simple banalité, particularité propre aux animaux, alors que le dialogue est communauté et n'appartient qu'aux êtres humains. Le cirque médiatique forme les individus à l'exercice du bavardage pour les priver de pensée utopique-révolutionnaire et de praxis politique ; sans distinction entre droite et gauche, il est aujourd'hui essentiellement unifié dans son rôle de passivation du corps social. Des agents d'influence (influencers) sont engagés pour détourner l'attention du présent et de ses monstrueuses contradictions vers le vide du bavardage. La régression vers celui-ci est l'instrument le plus efficace pour pousser les individus et les groupes dans l'imaginaire publicitaire de la consommation et du désir de consommation illimitée ; le désengagement de la pensée devient désengagement de la politique, avec l'effet non accidentel de légitimer la concentration de la richesse dans des oligarchies qui gèrent le discours public, tandis que les peuples plébéiens restent sujets et précaires, attendant que les miettes tombent de la table des privilégiés.

L'opération de recherche de la vérité par le dialogue est difficile et suscite des résistances auxquelles est liée, aujourd'hui, la censure perpétrée par des agents d'influence pour pousser les dissidents politiquement incorrects vers une position d'invisibilité sociale. Cependant, la vérité demeure et se révèle au fil du temps.

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Le dialogue n'est pas un simple échange de significations, mais une rencontre intégrale dont l'issue est imprévisible, à condition que les participants soient disposés à parler franchement et soient préparés à l'éventualité que leurs thèses soient contredites, voire niées. L'expérience dialogique peut avoir lieu si les sujets s'orientent à quitter les amarres de leurs propres opinions et, en traversant la mer instable de la confrontation, arrivent à de nouveaux ports, à de nouvelles solidités conceptuelles.

L'activité de dialogue est une communication dans l'écoute, qui implique de longues temporalités et opère dans un cadre amical. Le dialogue est une formation, car face à la résistance qui peut émerger de l'intérieur, on ne se dérobe pas, mais on se prépare à l'écouter avec l'intention de se connaître soi-même ; le dialogue est un champ de bataille, non seulement avec l'interlocuteur, mais surtout avec soi-même.

DROITE/GAUCHE

L'insignifiance de la droite et de la gauche est la condition en laquelle se déploie la comédie politique à l'époque du capitalisme absolu. Devenue autonome de toute contrainte éthique, elle dissimule derrière des images, des slogans et des phrases chocs la vacuité conceptuelle des deux camps. Son but ultime, improcratique, est de reformuler la vérité sur la nature humaine, qui doit perdre la capacité de calculer par la pensée et donc de tracer la ligne.

La dichotomie fictive et politiquement correcte droite/gauche sert à masquer la dichotomie réelle entre oligarchie dominante et démocratie en déclin ; il faut masquer la réalité en neutralisant les questions qui peuvent collectivement faire prendre conscience de cette nouvelle dichotomie. La dichotomie gauche/droite ne sert pas seulement à masquer l'arrogance oligarchique mais aussi l'incapacité réelle des professionnels de la politique à prendre des décisions souveraines et stratégiques. La seule empathie que l'on peut désormais leur trouver est l'exhibitionnisme puéril avec lequel ils tentent de gagner la sympathie et l'approbation de la plèbe.

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Si la politique est le lieu où les oppositions sont habilement créées pour normaliser le mal, la gauche et la droite jouent le rôle de vestales de la tragédie de la mondialisation. L'homologation entre les deux camps favorise la désertification de l'imaginaire culturel, la pensée évoluant dans des limites étroites qui confirment le modèle de société actuel. Face à l'impossibilité de soupçonner que le présent n'est pas tout, les comportements consuméristes et nihilistes se renforcent, où la possibilité de choix, le libre arbitre, concerne les biens et les expériences "consommables" mais pas son propre destin ni celui de la communauté de référence ; on ne peut choisir que les moyens d'atteindre les fins permises par le Pouvoir, en compensant par des formes de narcissisme exaspéré la menace confusément perçue du néant qui se dessine.

Droite et gauche sont les moyens par lesquels le capitalisme absolu gagne chaque liturgie électorale quels que soient les résultats des partis en lice, dans une œuvre pérenne de réduction de la démocratie à un ritualisme formel sans substance où s'affirme une sorte de dictature du Centre. Le minus-pegging et le evil-minorism, qui se font passer pour des théories politiques, ne sont en réalité que des instruments pour conjurer le chômage des classes politiques professionnelles. Cette homologation, symptôme d'une pensée stagnante qui a nécrosé la dialectique, devra affronter (et dans certains cas, affronte déjà) les contradictions de la cage d'acier dans laquelle elle veut enfermer les peuples ; bientôt, il ne sera plus possible de contourner le déclin de la Planète, la prolétarisation des classes moyennes, la misère anthropologique et surtout la concentration sans précédent du pouvoir et de la richesse. Alors que les contradictions dormantes remontent à la surface, l'élaboration d'une alternative politique, dotée d'une mémoire historique, ne peut être différée ; en effet, sauver la mémoire n'est pas un acte neutre mais un choix qui dénonce l'anomie du présent et l'urgence d'une projectualité renouvelée.

Parce que la mondialisation libérale-capitaliste n'est pas le dernier mot de l'histoire et que la libre pensée est dans l'essence naturelle de l'homme.

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AU-DELÀ DE LA DROITE ET DE LA GAUCHE

Au-delà de la droite/gauche, il y a la communauté, où s'affirme la valeur d'usage et non la valeur d'échange. Une révolution métaphysique et ontologique doit partir d'une vision intégrale de l'être humain, afin que toute réforme économique et politique éventuelle ne soit pas la proie de régressions.  Ce n'est qu'en identifiant le problème premier de l'Occident libéral, à savoir l'oubli de son fondement ontologique, que l'on peut comprendre que la tragédie éthique d'aujourd'hui, prétendument irréversible selon les chantres du capital, exige le courage d'une métaphysique en phase avec son temps.

Au-delà de la droite/gauche, le rôle de "marionnettiste" dans le jeu d'oppositions que joue le capitalisme absolu doit être démasqué pour que le conflit soit horizontal et non vertical et que soit occultée la véritable opposition entre démocratie et oligarchie. Si le demos n'a que le droit formel de voter, il ne décide pas mais est victime de manœuvres oligarchiques qui neutralisent sa capacité de décision en manipulant l'information et en réduisant son éducation à une formation professionnelle. Les oligarchies au pouvoir vident la démocratie, ne permettant que la survie de l'institution juridique formelle afin d'éviter l'émergence de conflits. Le demos doit agir en intervenant dans les luttes internes des dominants pour ouvrir une brèche qui peut devenir le début d'une transformation si les dominés ont les outils pour décoder ces luttes et s'il existe des projets politiques alternatifs.

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Au-delà de la droite/gauche, il y a ce que Costanzo Preve appelle le "communautarisme démocratique", dans lequel le sujet humain n'est pas privé de son individualité mais vit l'esprit communautaire dans la conscience de son essence sociale. Face à la société des besoins induits qui ne reconnaît aucun fondement commun et atomise l'individu dans la solitude, le sujet humain du communautarisme démocratique définit ses propres besoins authentiques avec la médiation du logos et s'émancipe parce qu'il découvre que la réalité historique est posée par l'homme et peut donc être transformée. Dans ce cadre, l'économie répond aux besoins authentiques des personnes librement associées et ne vise pas à satisfaire les appétits du marché.

Au-delà de la droite/gauche, la religion n'est pas une malformation de la culture humaine mais exprime le besoin profond de participer à un destin commun. Si Dieu est une métaphore de la communauté, l'athéisme du capitalisme absolu voudrait banaliser la religion comme résidu de résistance à l'individualisme économique.

Dans le contexte chrétien, Jésus a été condamné à mort parce qu'il voulait ramener la mesure et la justice là où régnait la concentration oligarchique des richesses, le représentant comme le symbole de l'aspiration jamais assouvie à l'égalité solidaire. Aujourd'hui, l'Église, qui a fait taire la signification révolutionnaire de la figure de Jésus, n'a de visibilité que si elle contribue à la pacification sociale par des activités de soutien aux plus démunis. L'aversion pour le christianisme et les religions en général se fait non pas au nom de la liberté mais au nom du capital, et la sécularisation n'est pas le triomphe de la rationalité contre l'irrationalité de la foi, mais le processus de remplacement d'un clergé traditionnel par un nouveau clergé médiatique dont la fonction est de légitimer les oligarchies dominantes en faisant triompher les canons de l'extériorité et de l'apparence.

Au-delà de la droite/gauche, le communautarisme représente une alternative viable au capitalisme absolu et mondialisé s'il ne se réduit pas à un organicisme conformiste où la communauté prévaut sur le sujet humain indépendamment de sa volonté et de son caractère, avec des arguments ambigus qui ne peuvent être acceptés par les esprits libres auxquels il faut d'abord s'adresser. En ce sens, la communauté représente le seuil d'interaction entre l'individu concret et l'humanité, elle est le lieu où se rencontrent la liberté et la solidarité. "Une liberté sans solidarité est une illusion narcissique destinée à disparaître lorsque la fragilité matérielle de l'homme oblige même l'individu le plus réticent à entrer en relation avec ses semblables. La solidarité sans liberté est une contrainte humanitaire extrinsèque...", déclare Costanzo Preve.

Au-delà de la droite/gauche, face à l'usage irrépressible des réseaux sociaux, au culte de l'image et à l'idolâtrie de l'iconique sans contenu, la démocratie de proximité soutient le contact direct entre les sujets humains, la tension tonique des regards et des paroles sans laquelle la participation n'est qu'une brève parenthèse de peu de sens dans le flux de la vie quotidienne.  La participation directe renforce l'unité et la dialectique, tandis que la distance de la dimension virtuelle structure des relations dans lesquelles les sujets peuvent plus facilement se soustraire aux tensions et aux doutes, faisant disparaître la responsabilité communautaire et politique. La politique et l'éthique communautaires ne peuvent s'affirmer que dans des relations participatives, où le dialogue neutralise les éventuels titanismes, narcissismes et autres formes de nihilisme.

Au-delà de la droite/gauche, le capitalisme absolu abrutit les masses populaires avec ce nouvel opium du peuple qu'est le consumérisme, alors que la conscience malheureuse et la souffrance vécues par les masses elles-mêmes sont des sources d'inspiration indispensables et des préalables à une projectualité politique commune. L'aliénation est médicalisée pour en faire un état permanent qu'il faut apprendre à supporter, en s'adaptant à un état de nihilisme passif. Si le capitalisme absolu cultive l'impuissance du sujet humain, dans le nouvel humanisme prôné par Costanzo Preve, on calcule la limite de tout besoin. De cet humanisme, la philosophie, la religion, l'art et la science sont des fondements désintéressés, désengagés de l'idéologie totalitaire du profit et de la plus-value, des activités permanentes du sujet humain en tant qu'être à la fois naturel et social.

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Au-delà de la droite/gauche, le communautarisme démocratique est la réponse à la réification que le capitalisme absolu fait de la nature humaine, réduite à une simple entité à utiliser en fonction du marché, dans un processus transversal qui affecte toutes les classes sociales auxquelles il applique un pouvoir d'homogénéisation qui non seulement homogénéise les goûts mais aussi passivise les tempéraments, provoquant des passions tristes et débilitantes. L'être humain étant déterminé dans l'espace et le temps, l'espace géographique illimité de la mondialisation ne permet pas une réelle participation. Au contraire, la démocratie de proximité exige des espaces de participation factuelle rationnellement gérables, faute de quoi elle n'est qu'une forme sans substance. La participation est aussi inextricablement liée à l'éducation en tant que véhicule, un long voyage, pour arriver à la capacité de rechercher les raisons de chaque événement ; seule une éducation libérée du conditionnement du pouvoir dominant, qui ne se confond pas avec un conformisme imposé d'en haut, peut former la personne en développant pleinement les capacités de chaque individu. Tout ordre démocratique se mesure à la capacité de la communauté, et pas seulement de la communauté scolaire et/ou académique, à être éducative à l'égard des citoyens qui la composent.

Au-delà de la droite/gauche, le communautarisme démocratique de Costanzo Preve n'envisage pas le dépassement dialectique marxien de l'État, mais plutôt son renforcement, dans la mesure où il doit devenir le garant des formes médiatiques à travers lesquelles le citoyen participe à la communauté. L'État est l'institution qui permet la défense et la mémoire des identités culturelles et linguistiques, nourrissant une forme de patriotisme où "patrie" signifie les identités mentionnées ci-dessus, qui ne doivent pas être effacées pour en faire au contraire le ciment de la communauté et de sa liberté, rejetant toute tentative d'imposer une domination idéocratique comme l'actuel "parapluie protecteur" des États-Unis sur l'Italie et l'ensemble de l'Europe.

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Droite/gauche est une dichotomie qui survit aujourd'hui comme une fiction et une tragicomédie, dans un interrègne marqué par des doses de plus en plus massives de violence publique et privée, parce que ce qui est ancien ne veut pas disparaître ; le début d'un "nouveau monde" n'est possible qu'en abandonnant la logique sectaire des alignements et en acceptant de comprendre la nécessité de se libérer de l'assujettissement au stéréotype.

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La grande limite de l'époque contemporaine est le refus généralisé de s'engager, mais cela ne doit pas justifier l'inaction. Au contraire, il est nécessaire de sortir des chaînes de la plainte, chacun s'engageant dans les limites de ses possibilités à construire une alternative politique crédible. Avec ses écrits, adressés à tous ceux qui veulent échapper à l'anomie, Costanzo Preve a osé rouvrir la chaîne des "pourquoi" ; les destinataires ne peuvent plus être les soi-disant militants, mais toutes les personnes qui veulent réfléchir et comprendre, indépendamment de la façon dont elles sont ou ne sont pas placées dans le théâtre politique. L'appartenance n'est rien, la compréhension est tout.

* Front de la dissidence Émilie-Romagne

* Cet essai est une reprise libre du contenu de "Pratica filosofica e politica in Costanzo Preve", écrit par Salvatore Bravo et publié par Editrice Petite Plaisance en 2021.

NOTES

[1] "Marx inattuale", Bollati Boringhieri, Turin 2004, p. 161.

[2] https://menici60d15.wordpress.com/2023/07/10/baruffe-di-c...

samedi, 22 juillet 2023

Robert Havemann et la tendance rouge-verte

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Robert Havemann et la tendance rouge-verte

par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2023/07/12/robert-havemann-och-den-rodgrona-tendensen/

L'idéologie hégémonique du socialisme réel de l'Europe de l'Est était le marxisme-léninisme, ce qui n'excluait pas certaines tendances idéologiques et culturelles inattendues. Pour le meilleur ou pour le pire, le marxisme oriental était une protection contre le développement décrit par Michel Clouscard par les termes libéralisme-libertaire et capitalisme de la séduction, aujourd'hui mieux connu sous le nom de "capitalisme woke".

ulfmodin.pngUlf Modin a décrit dans son livre sur la RDA comment l'héritage culturel européen était valorisé et comment l'américanisation était évitée ; en Roumanie, en Corée du Nord et en Albanie, une vision protochronique de l'histoire a été développée où les racines profondes du propre peuple ont été soulignées. Enver Hoxha, par exemple, affirmait fièrement que le sang des Albanais n'avait jamais été mélangé à celui des conquérants ; il s'élevait également contre "les comportements, les goûts et le mode de vie dégénérés du monde bourgeois-révisionniste pourri". En Allemagne de l'Est, il y a même eu une politique eugénique réelle et efficace, visant à faciliter la fondation d'une famille par les étudiantes, notamment par le biais d'allocations familiales élevées et ciblées.

Vers la fin de l'existence des États socialistes réels, des tendances idéologiques intéressantes se sont manifestées: en Union soviétique, même avant la chute du système, il existait un environnement intellectuel "néo-ruraliste", partiellement accepté par le système, avec des éléments néo-orthodoxes, écologiques et conservateurs. Il a ensuite influencé le nationalisme postérieur à la chute du Mur. Des tendances partiellement similaires peuvent être identifiées en Allemagne de l'Est, en particulier l'évolution de Rudolf Bahro (1935-1997), qui est passé d'un marxisme relativement orthodoxe à une position verte comportant des aspects ésotériques et nationaux. Robert Havemann (1910-1982) est également intéressant dans ce contexte, mais pas pour les mêmes raisons que Bahro.

Robert-Havemann+Ein-deutscher-Kommunist-Rückblicke-und-Persektiven-aus-der-Isolation.jpgBahro et Havemann ont tous deux été membres du parti pendant un certain temps et ont d'abord été considérés comme des opposants loyaux. Havemann, un peu plus âgé, avait participé à un mouvement de résistance antifasciste pendant la guerre mondiale et était un chimiste réputé en RDA. Bahro n'a pas eu un parcours aussi spectaculaire que Havemann, mais il a travaillé pendant plusieurs années dans les cénacles des cadres est-allemands. Étant donné que la question du climat est aujourd'hui liée à une "grande remise à zéro" ayant des connotations managériales et totalitaires, Bahro et Havemann sont tout à fait pertinents. Ils ont également abordé la question de la relation entre un véritable système socialiste ou capitaliste d'État et la crise écologique.

L'approche de Havemann était originale. Son objectif était une société presque anarchiste dans laquelle l'État socialiste réel s'était effondré, mais il avait une attitude relativement positive à l'égard du potentiel des communistes du parti pour y contribuer. Bahro s'est développé dans une direction légèrement différente, avec l'espoir d'un "prince vert" et le désir d'organiser les communistes en dehors de l'appareil du parti. Havemann développe ses arguments dans Morgen, un livre datant de 1980. Il y décrit la crise écologique, avec des aspects tels que la crise des matières premières, les émissions, l'explosion démographique et la famine, comme une crise existentielle pour l'humanité. Havemann se réfère au Club de Rome et écrit que les lecteurs verront de leur vivant la fin d'une "civilisation industrielle obsédée par la croissance". Il cite également Lao-Tseu et affirme que "lorsque les gens ne craignent pas ce qui est terrible, ce qui est le plus terrible de tout se produit".

Havemann s'est ensuite demandé si le capitalisme ou un véritable socialisme pouvait résoudre la crise écologique. Il écrit que dans les sociétés historiques, la stagnation a été la norme, le capitalisme qui a émergé en Europe est une anomalie avec sa croissance constante. Les conditions de cette évolution sont l'interaction d'un certain nombre de "caractéristiques ethnologiques, historiques, économiques, géographiques et culturelles extrêmement improbables" (comparez ici le "mode de production germanique" décrit par le jeune Marx). Cependant, sa conclusion est que le capitalisme ne peut pas résoudre la crise parce qu'il dépend d'une croissance constante: "sans croissance constante, le capitalisme est condamné". D'où, entre autres, la société de consommation.

Robert-Havemann+Fragen-Antworten-Fragen-Aus-der-Biographie-eines-deutschen-Marxisten.jpgSon analyse du socialisme réel n'est pas beaucoup plus positive, y compris le fait qu'il y dit qu'il ne s'agit pas de socialisme. Il a également abordé la question des prix parfois chaotiques dans le socialisme réel, en comparant des analyses similaires de Mises et de Hayek. Dans un tel système, "les prix ne correspondent pas à la valeur", surtout lorsqu'il existe aussi, pour des raisons politiques, un système de prix bas subventionnés pour certains biens. Dans la compétition entre le socialisme réel et le capitalisme, la consommation et les prix jouent un rôle central, de même que la croissance. "Bientôt, nous aurons rattrapé l'Occident".

Havemann estime néanmoins que les États socialistes réels sont mieux placés que leurs concurrents capitalistes pour se réformer et faire face à la crise écologique. La condition préalable est qu'ils puissent réaliser le socialisme et la démocratie. Pour Havemann, une discussion ouverte est essentielle, ce qui, à la lumière de son analyse matérialiste historique du socialisme réel en tant que société de classe, semble quelque peu idéaliste. Mais il a également développé un argument sur l'importance de l'espoir pour les êtres humains, un argument qui a fait penser à Ernst Bloch et qui a débouché sur une utopie.

L'utopie de Havemann rappelle les Nouvelles de nulle part de William Morris, un avenir où les grandes villes, la société de consommation et l'État ont disparu. Les grandes villes sont encore là comme des ruines destinées à décourager, et les gens vivent de manière plus dispersée. Même l'État s'est progressivement désintégré, il n'y a "plus d'État, plus de gouvernement, plus de police... juste la gestion des choses". Il n'y a pas non plus d'obligation de travailler en Utopie, ce qui ne veut pas dire que les gens ne travaillent pas. Au contraire, ils consacrent beaucoup de temps à la culture et à l'éducation. Les biens de consommation ont une "durée de vie énorme", ils sont produits pour durer longtemps. La production est fortement automatisée, mais il n'est pas question de "communisme de luxe entièrement automatisé" (la dégénérescence anthropologique qui rend un tel idéal possible venait juste de commencer lorsque Havemann a écrit son utopie). Il n'y a pas non plus d'armée, et presque pas de voitures, de trains ou d'avions. Le tourisme existe, mais les gens aiment le voyage et prennent leur temps.

Il convient de noter que certaines idées contemporaines se sont glissées dans l'utopie de Havemann. Par exemple, il a consacré beaucoup d'espace à l'avenir de l'amour et de la sexualité. Il affirme que dans l'utopie, aucune sexualité n'est taboue, y compris l'inceste (bien qu'il décrive la plupart des homosexualités historiques comme le résultat d'un stress social et d'une anomalie). De même, la jalousie disparaît lorsqu'aucun bien ne peut être hérité du père à l'enfant. Les enfants sont élevés dans de grands villages d'enfants et la religion a disparu d'elle-même (bien que Havemann ait été plus compréhensif à l'égard de la religion que beaucoup de vrais socialistes et qu'il ait été ouvert à la coopération avec les croyants).

9783596234721-de-300.jpgEn tant qu'utopie, il s'agit d'une version actualisée de Morris, où il apparaît rapidement que Havemann n'avait pas la même âme artistique que l'Anglais. Elle souffre des mêmes problèmes que Morris en termes d'exécution et, comme mentionné ci-dessus, contient également des éléments moins attrayants. En même temps, la différence avec le "Great Reset" est évidente: Havemann recherchait un socialisme et une démocratie authentiques plutôt qu'une politique climatique imposée d'en haut. Il est tout à fait possible que l'écologie et la démocratie soient en réalité des entités incompatibles, mais pour Havemann, elles ne l'étaient pas. En même temps, son travail contient des analyses intéressantes. Par exemple, il décrit la scission entre les sociaux-démocrates et les communistes comme un désastre historique, tout comme l'émergence de petites sectes radicales qui ont éloigné du communisme des personnalités de valeur. Citant Togliatti, il décrit l'objectif comme une "unité de la diversité" dans laquelle les différents groupes de gauche pourraient coopérer tout en ayant des différends sur différentes questions. Pour cela, il faut d'abord "savoir clairement où se situent les fronts de la lutte révolutionnaire dans la société d'aujourd'hui". Ces fronts ne se situent pas, par exemple, entre les communistes et les sociaux-démocrates ou entre les religieux et les athées. À notre époque, la même question se pose pour les divers groupes qui s'opposent aux mondialistes, à la "gauche", au libéralisme, au Léviathan et à tout ce qu'ils choisissent d'appeler leurs adversaires. Eux aussi doivent essayer d'identifier les fronts de lutte et de créer une sorte d'"unité de la diversité".

Dans l'ensemble, Havemann est intéressant en tant qu'exemple de la manière dont certains marxistes ont évolué vers une position verte dès l'époque du socialisme réel. Ce qui est aujourd'hui une rhétorique vague a souvent été exprimé ouvertement par Havemann, y compris l'objectif et le conflit entre la bureaucratie et la liberté. Le fait qu'une "grande remise à zéro" ait également des connotations de classe devient évident à la lecture de Havemann. En même temps, il y a des domaines qu'il a moins abordés qu'un Linkola ou un Kaczinsky, notamment la relation entre la psychologie et l'écologie. Par exemple, l'anthropologie de Havemann, avec ses éléments de tabula rasa et d'optimisme général, est une expression de ce que Kaczinsky définit comme le gauchisme. Son analyse de la société de consommation était également relativement superficielle par rapport à la droite plus authentique. Quoi qu'il en soit, Havemann est intéressant du point de vue de l'histoire des idées ; il serait également une connaissance potentiellement enrichissante pour la génération de Greta Thunberg, car il a si clairement souligné le conflit entre la bureaucratie et la liberté.

A propos de l'auteur : Joakim Andersen

Joakim Andersen tient le blog Oskorei depuis 2005. Il a une formation universitaire en sciences sociales et une formation idéologique en tant que marxiste. Au fil des ans, l'influence de Marx a été complétée par Julius Evola, Alain de Benoist et Georges Dumezil, entre autres, car le marxisme manque à la fois d'une théorie durable de la politique et d'une anthropologie. Aujourd'hui, Joakim ne s'identifie à aucune étiquette, mais considère que la fixation, entre autres, sur le conflit imaginaire entre la "droite" et la "gauche" occulte les véritables enjeux de notre époque. Son blog s'intéresse également à l'histoire des idées et aime présenter des mouvements étrangers à un public suédois.

 

mercredi, 05 juillet 2023

Contre les lectures "de droite" et "de gauche" des émeutes en France

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Contre les lectures "de droite" et "de gauche" des émeutes en France

par Andrea Zhok

Source : Andrea Zhok & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/contro-le-letture-di-destra-e-di-sinistra-delle-rivolte-in-francia

Dans l'analyse des émeutes en France (qui se sont un moment étendues à Lausanne), une interprétation trompeuse des événements continue d'être obstinément répétée. On continue d'opposer deux lectures, traditionnellement associées à la "gauche" et à la "droite".

La première est une lecture économiste qui voit dans la révolte une contestation de sa propre condition de pauvreté et d'exploitation.

La seconde est une lecture ethnico-culturelle qui voit dans la révolte une contestation de la civilisation et de la culture autochtones par une autre culture importée, liée aux immigrés.

Le fait d'utiliser ces deux interprétations comme opposées et alternatives est un exemple de plus qu'aujourd'hui les catégories cultivées unilatéralement par la droite et la gauche sont obsolètes et inutiles. C'est aussi un signe de la pauvreté catégorielle de plus en plus répandue que refuse de sortir des schémas abstraitement simplifiés.

Beaucoup de choses restent cachées et occultées par l'adoption de cette double lecture.

Tout d'abord, cette lecture clivée s'aveugle sur le fait que l'argent, la réussite économique, dans les sociétés telles que celles du capitalisme libéral moderne, représente la première forme de reconnaissance sociale. Quelqu'un est reconnu comme un représentant à part entière et légitime de la société dans la mesure où il dispose d'un certain revenu. Si le fait d'être du côté de l'échec économique, de la pauvreté relative, coïncide plus ou moins avec le fait d'être d'origine non autochtone (immigrée), il est clair que l'on s'identifiera comme un groupe en état d'infériorité stable, comme "autre" sur le plan ethnique ou religieux (même si cette raison est contingente).

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Deuxièmement, cette lecture à double face ne tient pas compte du fait que, dans nos sociétés, l'argent n'est pas essentiellement un moyen de subsistance, mais un moyen (et un symbole) de pouvoir. Dans la configuration des valeurs des démocraties libérales, ce n'est jamais la pauvreté absolue qui pose problème, mais bien la pauvreté relative. Il est significatif que ces révoltes soient généralement encouragées par des immigrés de la deuxième génération. (C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ce stade de dégradation n'est pas encore apparu en Italie : nous avons principalement encore affaire à des immigrés de la première génération). Les immigrés de la première génération sont issus de contextes de valeurs différents qui les amènent à se focaliser sur la pauvreté absolue, paramètre sur lequel le passage d'un pays en voie de développement à un pays industrialisé représente généralement un progrès : il y a moins de chances de mourir de faim dans les banlieues que dans les régions pauvres d'Afrique du Nord. Mais une fois les "valeurs" occidentales assimilées, être clairement du côté des perdants dans la joyeuse compétition libérale est simplement perçu comme une injustice inacceptable.

Troisièmement, cette lecture oublie un autre fait fondamental, apparu depuis longtemps dans les analyses socio-économiques, à savoir que le système de valeurs basé sur le modèle compétitif de l'Homo Oeconomicus, c'est-à-dire sur l'individu guidé de manière univoque par la maximisation de son intérêt personnel, crée systématiquement et nécessairement des "parasites de la règle" (free riders).

En fait, les règles sociales ont deux natures possibles : elles peuvent être des règles guidées par le profit ou des règles guidées par une valeur commune (des règles morales).

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Dans les modèles libéraux-démocratiques, les règles guidées par le profit sont prépondérantes, constituent presque un monopole, et ces règles disent en gros qu'il est utile pour tout le monde de respecter certaines règles (il est utile de payer des impôts parce qu'ainsi il y a des services publics, il est utile de payer le ticket de bus parce qu'ainsi il y a un service de transport public, etc.). Seulement, si la motivation est l'utilité, il se peut que mon utilité soit encore accrue si je peux me soustraire à la règle en privé: si je ne paie pas d'impôts, les services continuent d'exister parce que d'autres paient, et je n'ai que des avantages. Je ne suis donc incité à suivre les règles fondées sur le profit que tant que les préjudices que je peux subir en les violant sont pires que les avantages que j'en retire. Mais cela a une conséquence immédiate: moins j'ai à perdre, plus je serai enclin à violer ces règles. Cela signifie que les violations des règles fondées sur le profit dans une société libérale auront tendance à exploser là où il y a plus de personnes ayant peu ou rien à perdre.

En même temps, les règles basées sur le profit qui caractérisent l'Occident entrent en conflit - en perdant fatalement - avec les règles morales qui dépendent d'une tradition ou d'une base communautaire. Ceci est particulièrement important dans les contextes populaires, et d'autant plus dans les contextes populaires ayant une ascendance culturelle extra-libérale (par exemple islamique, mais valable pour toutes les religions et toutes les cultures communautaires).

Les règles de l'utile peuvent être sereinement violées s'il est utile de le faire. Les règles morales, en revanche, vous définissent en tant que personne, définissent votre statut, et ne peuvent être violées en fonction de l'opportunité. Cela crée une double voie : d'une part, "nos" règles du sous-groupe marginal, inviolables et souvent renforcées par des sanctions drastiques, et d'autre part, les règles du "système", négociables et fondamentalement fictives.

C'est ici que l'arrière-plan extra-occidental (extra-libéral) se superpose à nouveau à la réalité contingente de ces groupes hors caste.

Les immigrés de la deuxième génération vivent généralement dans un contexte de valeurs partagées. D'une part, la tradition dont ils sont issus, communautaire et religieuse, ajoutée au contexte communautaire forcé dans lequel ils vivent dans les quartiers de banlieue, leur fournit une dimension d'appartenance et des règles morales à respecter au sein de leur propre groupe, dans leurs propres quartiers. (Il ne faut pas imaginer des choses particulièrement élaborées, mais toutes ces sous-cultures de banlieue génèrent des codes et des règles de loyauté et de coexistence interne, dont la violation est sanctionnée non pas par les tribunaux, mais par des moyens beaucoup plus brutaux). D'autre part, l'exposition à la culture libérale dominante dans laquelle ils sont immergés crée un espace de règles fictives (les lois de l'État) auxquelles ils ne reconnaissent aucune autorité et que toute personne capable de les violer avec profit est encouragée à le faire.

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C'est dans ce contexte que l'extrémisme islamique que nous avons vu à l'œuvre dans les attentats en France, au Royaume-Uni, en Belgique, en Espagne, etc. peut également émerger en tant que sous-produit. Dans ce cas, un islam de retour assume le rôle d'une réglementation interne de la communauté, fondée sur l'éthique, par opposition aux règles fictives de l'État. Mais il serait faux de penser que nous sommes confrontés ici à un contraste entre la "religion islamique" et les "valeurs occidentales". Ceux qui alimentent cette lecture en imaginant une réédition de la confrontation "christianisme contre islam" créent à nouveau, peut-être involontairement, une fausse lecture qui amplifie le facteur ethnoculturel pour éliminer le facteur socio-économique.

L'erreur originelle réside dans une idéologie occidentale spécifique, alimentée de manière instrumentale parce qu'elle est économiquement utile: cette idéologie imagine qu'il n'existe pas vraiment de différences culturelles, ethniques, traditionnelles ayant une signification autonome ; elle imagine qu'elles se dissoudront toutes automatiquement dès qu'elles entreront en contact avec la culture universaliste de l'Occident, posée comme "supérieure". Cette idéologie suffisante et présomptueuse a promu, et continue de promouvoir, les mécanismes de migration comme un bien économique (et à court terme, ils le sont) destiné à produire une société harmonieuse enrichie par des vibrations multiculturelles. Cette vision irénique, présomptueuse et hypocrite balaie systématiquement un fait fondamental, à savoir que précisément dans nos sociétés, les mécanismes de la concurrence marchande génèrent structurellement la fragmentation, l'exclusion et l'exploitation, et que l'immigration sert principalement de tampon pour atténuer cette dynamique au profit des autochtones ("Vous voulez avoir une pension ? Nous avons besoin de sang jeune pour travailler sans prétention". "Vous voulez que votre enfant ait les mêmes perspectives que vous ? Nous avons besoin de quelqu'un pour ramasser les tomates et vider les fosses d'aisance sans se faire remarquer").

Bien sûr, il s'agit de solutions fictives et momentanées, qui ne changent rien à la tendance structurelle du système, qui va vers la concentration du pouvoir et de l'argent dans quelques mains et vers la prolétarisation de couches de plus en plus larges de la population.

Mais le capitalisme - et les sociétés démocratiques libérales dont il est la colonne vertébrale - vit à court terme et pour le court terme. Et tout le reste n'est qu'ennui, jusqu'à ce qu'ils brûlent votre voiture.

lundi, 26 juin 2023

Andrea Zhok, "Au-delà de la droite et de la gauche" (Il Cerchio, 2023)

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Andrea Zhok, "Au-delà de la droite et de la gauche" (Il Cerchio, 2023)

Compte rendu de Venceslav Soroczynski

Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/25758-venceslav-soroczynski-andrea-zhok-oltre-destra-e-sinistra-il-cerchio-2023.html

On sait qu'il y a essentiellement deux façons de voter: avec les enfants et sans les enfants. Lorsqu'on est parent, on manipule délicatement le bulletin de vote, on entre dans l'isoloir comme dans les églises d'autres religions mystérieuses, on lit les noms pensivement et on fait son choix le cœur sur la main. Le vote, après avoir commis l'imprudence de confier un enfant à la réalité, semble avoir plus de poids dans l'histoire de l'humanité. C'est pourquoi, dans ces moments-là, l'idée fulminante et insoutenable de Flaiano selon laquelle, si l'on n'est pas de gauche à vingt ans et de droite à cinquante ans, on n'a rien compris à la vie, ne nous vient même pas en aide. C'est une plaisanterie, bonne pour les années soixante-dix, mais désormais inadaptée. Aujourd'hui, au contraire, on est, mais seulement par instinct, de gauche à cinquante ans et de droite à quatre-vingts ans, étant donné qu'à vingt ans, on sait publier une vidéo sur TikTok et qu'à cinquante ans, quelqu'un est encore engagé dans un stage gratuit.

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L'aphorisme de Flaiano, cependant, a toujours du sens et est très clair: quand on est jeune, on vote pour révolutionner; quand on est vieux, pour conserver. Parfois, l'impulsion persiste et l'on continue à croire que la gauche est progressiste et la droite modérée.

Mais l'impulsion est la grande erreur, c'est la croyance, c'est l'exercice d'une confiance inexplicable, voire infondée. En effet, les résultats des dernières élections suggèrent que le calcaire fidéiste est en train de fondre, mais ils laissent aussi le soupçon que le corps électoral est passé d'une erreur à l'autre: lorsque nous votons, nous nous trompons. Nous n'en faisons pas une seule de bonne. Mais pourquoi ? Parce que nous ignorons une grande partie de la géographie, une longue période de temps, une grande partie de la réalité.

Ce qu'Andrea Zhok tente de faire avec ce court essai, c'est de combler ces lacunes: de nous expliquer, patiemment, avec des mots compréhensibles, dans un texte qui n'est pas du tout maniable, que la droite et la gauche ne sont que des "simulacres".

Zhok est professeur de philosophie, donc obstinément attiré par la recherche de la clarté, de la vérité, des relations de cause à effet. Et de temps en temps, cela ne nous fait pas de mal non plus de nous plonger dans cette chose curieuse et peu fréquentable qu'est la réalité. C'est pourquoi, au lieu de lire les journaux les plus populaires et les plus distrayants de notre époque, je me suis jeté sur "Au-delà de la droite et de la gauche", comme quelqu'un qui se noie dans l'information mais qui passe à côté de la vue d'ensemble.

L'auteur part d'une analyse historique qui explique comment le "progressisme", depuis le 19ème siècle, a été l'expression du besoin de la bourgeoisie de changer, de progresser afin de se défaire des privilèges de la propriété foncière. Mais, sous le couperet de la révolution industrielle, les classes populaires, les paysans, les enfants, les mères, ont fini. Ainsi, le progrès pour les uns signifie déjà la régression pour les autres. En effet, l'auteur souligne que ses effets n'ont été positifs que pour un dixième des personnes concernées, tandis que pour les neuf autres, les conditions se sont dégradées. Le progressisme devient donc déjà libéral-capitaliste.

Dès lors, le Manifeste de Marx et Engels ne pouvait qu'être critique à son égard, affirmant qu'il ne suffit pas de progresser dans le sens du changement, mais qu'il faut corriger les erreurs du passé, tout en préservant sa valeur - aujourd'hui, nous dirions "ses valeurs". Ainsi, si le progressisme est une impulsion névrotique ou cynique au profit de certains, le progrès est le résultat d'une action réfléchie au profit de tous.

51uUcjWjmQL.jpgLe progressisme critiqué par Marx est un progressisme libéral, qui supporte mal les contraintes car il n'a pas de temps à perdre: il doit chercher de nouveaux marchés et accumuler du capital. Il nage bien dans la société liquide qui est telle d'un point de vue social, identitaire, anthropologique. Le socialisme scientifique perd sa connotation historique originelle et se disperse dans le sens scientifique de la science naturelle. Ce que la science rend possible est autorisé, surtout si cela sert le capital, indépendamment des dispositions naturelles de l'individu. Aujourd'hui encore, l'"expert" influence l'opinion des masses, tandis que l'intellectuel n'est pas écouté. Il est impossible de ne pas évoquer, à cet égard, les paroles lumineuses de Thomas Stearns Eliot : "Où est la sagesse que nous avons / Perdue dans la connaissance / Où est la connaissance que nous avons / Perdue dans l'information" (The Rock, 1934).

Ainsi, dans les pays "avancés", la gauche et la droite copient les pires modèles, qui érodent la qualité et la quantité des services publics essentiels, sous prétexte d'alléger la machine étatique. Les droits sociaux, sous prétexte d'augmenter la flexibilité. Comme le dit l'auteur, gauche et droite sont devenues de simples variantes du progressisme libéral (rappelons d'ailleurs que Gianni Agnelli avait laissé entendre qu'en Italie, seule la gauche pouvait faire des réformes de droite. Et, de fait, quelques années plus tard, c'est le gouvernement PD/socialiste de Renzi qui a dépriorisé les protections inscrites à l'article 18 du Statut des travailleurs).

Zhok affirme qu'il y a maintenant une véritable attaque contre la nature humaine, une attaque visant à éliminer toute institution non négociable, y compris la famille : "... tout lien de caractère affectif stable représente un problème du point de vue du capital, parce qu'il rend le comportement de l'individu dépendant d'une contrainte étrangère aux exigences du marché". Et si l'on considère que "... la famille est le lieu principal où se déchargent toutes les tensions et contradictions du monde, où elles s'amortissent, et où elles cherchent, laborieusement, une solution. Les familles, surtout celles qui fonctionnent bien, sont donc des lieux de travail intensif, de travail sur les attentes, sur la communication, sur la construction des motivations, sur le sens de l'existence", on comprend bien la dévastation sociale que la thèse laisse présager.

L'auteur poursuit en nous donnant des exemples de la manière dont le progressisme libéral sape les institutions sociales et les institutions intimes de l'individu : la gestation pour autrui, qui commence à ressembler à une rente de plus ; la fluidité des genres, qui rend désormais les identités biologiques floues, fuzzy, adaptables, flexibles, précaires; le "féminisme de la deuxième vague", qui n'a plus pour objectif propre l'égalité, mais vise à identifier l'autre sexe comme sujet exploiteur: ce n'est donc pas la nouvelle société libérale qui est source d'injustice, mais un homme qui est dans le rouage de la structure.

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Le livre dit beaucoup plus, diagnostiquant ainsi précisément un malaise dont le symptôme est corroboré par le fait qu'après tout, nous ne votons pas: nous achetons des marchandises. Selon Debord, "toute la vie des sociétés où règnent les conditions modernes de production se présente comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était vécu directement a reculé dans une représentation" (La société du spectacle, 1967). Nous choisissons des images, nous achetons des billets pour des monologues, en fait "le spectacle est le contraire du dialogue" (Debord encore). Alors, où en sommes-nous ? J'ai le sentiment que, pendant la décennie de distraction, le navire a simplement fait un lent virage à droite. La politique intérieure - parce que la politique étrangère, nous le savons maintenant, n'est rien d'autre que l'exécution des ordres des États-Unis - est de droite.

Et cette droite est soit libérale, soit libéraliste, soit fasciste. En matière de politique fiscale, elle est libérale : pour les parts de revenus même très élevées, le contribuable peut appliquer une flat tax violemment inconstitutionnelle - et ce n'est pas un fait théorique: simplement, ceux qui ont plus paient proportionnellement moins. En matière de politique de santé, soit on est libéral (s'il a des moyens matériels, le malade peut payer une visite privée pour 150 euros ; s'il n'en a pas, il attend 14 mois pour une visite), soit on est fasciste (soit vous vous injectez une substance inefficace et potentiellement toxique, soit vous renoncez à votre salaire et vous rejoignez les rangs des sans-protection de la loi Zan). Je n'ai donné que quelques exemples.

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La politique italienne, dans ses grands choix, se déplace sur des rails de tramway et le conducteur du tramway ne peut pas tourner à gauche ou à droite quand il le souhaite. Le conducteur du tramway, pour les choses importantes, doit suivre la route de fer dont le concepteur se trouve de l'autre côté de l'Atlantique et nous regarde comme on regarde un allié dont on peut se passer. Ce dans quoi nous sommes impliqués n'est pas la guerre de la Russie contre l'Ukraine : c'est la guerre des États-Unis contre toute l'Europe. Ils nous ont pris l'approvisionnement en matières premières bon marché, les marchés de débouchés pour les produits de luxe italiens, les touristes qui avaient l'habitude de dépenser davantage sur nos plages et dans nos montagnes. Ils nous ont pris tout cela, et peut-être pour des décennies. Et ils s'efforcent de nous priver de l'industrie manufacturière chinoise.

Comme l'a admirablement écrit le même auteur il y a quelque temps, "nous ne sommes pas sous le parapluie de l'OTAN, nous sommes le parapluie de l'OTAN". À mon avis, elle agit comme la mafia, c'est-à-dire qu'elle vient vous voir et vous dit : "Vous avez besoin de quelqu'un pour vous protéger de ceux qui veulent mettre le feu à votre magasin". Il se trouve que si vous ne payez pas sa "protection", votre magasin est effectivement incendié, mais c'est la mafia elle-même qui a fait cela. Ce "modèle d'entreprise" est le même que celui qui a été appliqué à l'Italie chaque fois qu'elle a voulu se passer de la protection imposée par le bloc d'intérêts basé aux États-Unis et au Royaume-Uni, depuis l'assassinat de Mattei.

Nous ne pouvons certainement pas ignorer l'avertissement de Machiavel, qui a observé que dès qu'une personne "populaire" s'élevait au rang des "seigneurs" dans le gouvernement de Florence, elle affaiblissait ses revendications révolutionnaires, car elle se rendait compte des réalités de la République : "Et comme il était monté à cette place et qu'il voyait les choses de plus près, il connut les désordres d'où ils provenaient et les dangers qui en résultaient et la difficulté d'y remédier ... et il devint immédiatement d'un autre esprit et d'une autre pensée" (Discorsi, I, 47). Et manifestement, même à notre époque, une force politique, tant qu'elle est dans l'opposition, peut facilement critiquer l'action des gouvernants, mais lorsqu'elle en vient à comprendre les véritables rapports de force, elle finit par reproduire la politique précédente.

Cela ne signifie pas qu'il faille baisser les bras, mais qu'il faut au moins avoir la lucidité de juger un parti non pas lorsqu'il est dans l'opposition, mais lorsqu'il gouverne. Et surtout, que nous avons encore une chance : donner confiance à ceux qui ne sont ni de droite ni de gauche, parce qu'ils ne sont pas encore "montés à cette place".

 

lundi, 08 mai 2023

La gauche otaniste

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La gauche otaniste

Carlos X. Blanco

L'OTAN est une organisation militaire dotée de nombreuses "ailes", extensions et franchises. Nous avons vu l'Union européenne se mettre à son service, surtout après l'intervention militaire spéciale de la Russie en Ukraine. Les meneurs et les fonctionnaires "pro-européens", même sans uniforme, se plient volontiers aux exigences du haut commandement, exécutent les ordres - très obligeamment - et se tiennent à la disposition de Washington. Josep Borrell est déjà un "général civil", un porte-parole du bellicisme américain, un homme "pentagonal" et otaniste.

Une "aile" de l'OTAN dont on parle moins est la gauche révisionniste (représentée en Espagne par Podemos, Más País et la nouvelle entité "Sumar"). Il est tout à fait possible de parler désormais d'une gauche otaniste. Il s'agit d'une gauche très répandue en Occident, et en particulier en Espagne, une gauche qui rejette ses origines idéologiques: "L'OTAN n'est pas faite pour desdébutants". Vous en souvenez-vous ? Moi, pour des raisons d'âge, je m'en souviens parfaitement. Je me souviens de l'arnaque du référendum. Il y avait, dans cette soi-disant "transition", une refus tranché et majoritaire au sein du peuple espagnol contre une organisation guerrière et belliciste dont la raison d'être et l'utilité pour la défense nationale étaient plus que discutables.

Avec une certaine dose de terrorisme médiatique et les manigances typiques du PSOE, l'Espagne a rejoint une telle organisation, signant des chèques en blanc et laissant son dos méridional à découvert : ce dos à découvert reste un danger, par lequel pénètrent les maux les plus nocifs pour l'Espagne: il a un nom. Il s'agit du Royaume du Maroc. L'OTAN a lavé le visage des Espagnols avec le soi-disant européanisme et a délivré un prétendu certificat d'occidentalisme: avec un visage lavé et une coiffure fraîchement peignée... mais avec l'arrière-train à découvert.

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Les décennies passent et, au-delà du PSOE, dont la praxis néolibérale ne fait plus aucun doute, dans ce pays qui est le nôtre, si usé par les menteurs et les bonimenteurs, les "penseurs de la gauche otaniste" ont émergé. L'un d'entre eux, digne d'intérêt, est Santiago Alba (photo). Ce monsieur est l'un des fondateurs du site web rebelión.org, et l'inspirateur du parti politique Podemos depuis ses tout débuts.

Dans le quotidien Público [https://blogs.publico.es/dominiopublico/46548/no-a-la-otan-si-a-que/], Don Santiago s'étonne du fait qu'il puisse y avoir des gauchistes qui ne soutiennent pas l'OTAN. En tant que philosophe, il connaît le pouvoir de l'utilisation des mots, du choix des termes et de l'appropriation d'un "récit". Cet auteur représente parfaitement la gauche otaniste : cette étrange position de ceux qui affirment que le capitalisme est certes mauvais mais qu'il n'y a pas d'alternative à la puissance abusive et hégémonique de son gendarme, les Etats-Unis. Les gendarmes du monde ont créé l'OTAN, vient nous dire la gauche otaniste, et, ma foi, nous n'aimons pas beaucoup cette organisation. Mais quelle est l'alternative, l'"autocratie" de Poutine ? D'une manière ou d'une autre, Don Santiago parle ainsi.

Nous devons parler la langue du gendarme Biden, selon le conseil de M. Alba: ne parlons pas de "guerre en Ukraine", mais d'"invasion russe" (je cite M. Alba: "donner l'illusion que c'est l'Alliance qui assiège et menace les villes ukrainiennes"). L'article de M. Alba ne tient pas compte de l'ensemble du contexte - manifestement agressif - qui conduit l'OTAN à outrepasser ses compétences dans tous les sens du terme : au-delà des limites territoriales pour lesquelles elle a été conçue, au-delà de la limite stratégique de sécurité convenue avec la Russie il y a des années, au-delà des besoins défensifs des pays membres.... En dehors de la prudence et du bon sens. L'OTAN a déclaré la guerre à la Russie par procuration. Officiellement, l'OTAN aide un pays envahi. Le pays envahi, partie intégrante de la civilisation russe depuis des siècles, est cependant un territoire où l'Occident collectif a - précédemment - forcé un changement de régime, au profit des ultra-nationalistes et des nazis anti-russes, ce qui l'arrange bien pour compléter l'"encerclement" de la Russie.

Le langage de la gauche "correcte", alignée sur le gendarme mondial, M. Biden, et sur les autres "pentagonaux", doit insister sur la dénonciation de la volonté néo-impériale de Poutine. Santiago Alba a peur d'une volonté néo-impériale, celle de la "Troisième Rome" moscovite, et il s'est plutôt habitué à l'autre volonté d'empire, celle de Biden et du Pentagone. C'est celle devant laquelle l'auteur otaniste dit que nous devons nous incliner. C'est du moins celle que nous connaissons en Occident et qui nous guide. C'est aussi celui de la gauche. Alba demande : "Que fait la Russie, par exemple, en Syrie, au Mozambique, au Mali, en Libye, pour se défendre contre l'OTAN ?

Il s'avère que certains empires ont le droit d'être omniprésents. Mais les interventions ponctuelles d'autres empires, la Russie ou la Chine, doivent être immédiatement remises en cause. Faut-il chercher des chiffres pour comparer le nombre de porte-avions, de bases militaires dans le monde, de troupes déployées à l'étranger ? La différence est écrasante : les États-Unis l'emportent dans toutes les statistiques. C'est l'empire interventionniste et omniprésent : ils sont sur toutes les mers, sur tous les continents. La présence extérieure de la Russie, au-delà des pays satellites rattachés ou territorialement contigus à la Fédération, est rare, ponctuelle, limitée. De son côté, la présence militaire de la Chine, au-delà de la défense de ses eaux et frontières juridictionnelles, est très limitée. Dans cet article, Don Santiago maintient une équidistance inacceptable. Cette équidistance rappelle les années de plomb, des années où un camp tue et tire, et où l'autre tombe sous les coups en entendant, de la bouche de son propre bourreau, le refrain : "asseyons-nous et négocions !"

Don Santiago, avec sa gauche otaniste, condamne à mort toute une trajectoire idéologique d'opposition à l'empire yankee, de lutte contre le cadre agressif et belliciste de l'OTAN, de pacifisme conscient et réaliste, de défense active de la multipolarité, de lutte au nom des peuples, des nations qui ne veulent pas continuer à être des colonies des États-Unis ou les acolytes d'une armée omniprésente et génocidaire. Il ne s'agit pas d'aimer Poutine, ni d'adhérer à son "récit". Il s'agit pour nous de dénoncer clairement l'existence d'une gauche otaniste, l'une des "jambes" sur lesquelles repose l'empire du néolibéralisme.

lundi, 30 janvier 2023

Si la "droite" a raison - à l'avenir, la pensée globaliste devra se combiner avec l'affirmation de soi localiste

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Neue Züricher Zeitung (NZZ)

Commentaire d'un lecteur

Si la "droite" a raison - à l'avenir, la pensée globaliste devra se combiner avec l'affirmation de soi localiste

L'Occident a longtemps réussi à exercer une domination politique, idéologique et technologique sur le monde. Aujourd'hui, il est confronté à de puissants rivaux extérieurs et au relativisme culturel qui sévit en son sein. Le réalisme et l'autolimitation sont de mise.

Heinz Theisen

Après l'échec de l'utopie visant l'égalité matérielle, les aspirations de la gauche se sont déplacées vers l'égalité culturelle et biologique. Sous le signe de l'arc-en-ciel, la diversité et l'égalité sont censées se compléter au sein de "l'humanité unique" - comme autrefois la liberté et l'égalité au sein des sociétés nationales.

La puissance de cette nouvelle idéologie provient de sa coalition avec le capitalisme mondial. L'appel à l'ouverture des frontières unit les acteurs économiques mondiaux et les moralistes à la pensée globaliste. La libre immigration est pour les uns ce que l'externalisation est pour les autres.

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Déconstruction du propre

Tous deux sacrifient pour cela l'affirmation de soi des communautés circonscrites, de la famille, de l'État-nation et de la culture. D'où la déconstruction, qui les caractérise, de toute identité originale, et leur haine de la culture occidentale, qui est la plus réussie et donc la plus inégalitaire. L'ordre du "monde unique" est attribué dans le grand reset à un centralisme numérisé d'instances mondiales.

La critique du manque de rationalité des intérêts ne s'adresse pas à un zèle religieux de substitution qui satisferait des aspirations profondes au bien. Non, ce manque de rationalité est critiquable parce qu'il s'agit d'un christianisme frelaté tant que son idéal d'universalité n'est pas associé au réalisme de la subsidiarité. L'amour du lointain risque de prendre le pas sur l'amour du prochain.

Lorsque les sociaux-démocrates danois veulent garantir l'État social en durcissant le droit d'asile, est-ce de gauche ou de droite ?

Le relativisme culturel de l'Occident était la condition préalable à son universalisme politique, jusqu'à justifier l'intervention dans des milieux culturels étrangers. Au sein de la société, les luttes culturelles étaient également programmées. Les valeurs et les structures occidentales étaient considérées comme transférables à satiété à d'autres cultures et, inversement, aux immigrés issus de cultures étrangères.

La coalition tricolore en Allemagne n'est pas le fruit du hasard. Un libéralisme galvaudé occupe une place centrale dans cette coalition arc-en-ciel. Il exige, jusque dans les rôles sexuels, la dissolution de toutes les formes d'identité communautaire au profit des identités individuelles. L'absence de limites est revendiquée même par rapport face aux contraintes naturelles.

Le moralisme de l'ouverture universelle revendique à son tour l'absoluité. Les positions opposées à ce Bien, posé comme tel, sont considérées comme mauvaises et ne méritent que d'être combattues. Toute forme d'affirmation de soi est considérée comme "de droite", la polarisation des sociétés suit son cours.

Les attaques venant du lointain sur tout ce qui est prochain et du futur sur le présent expliquent aisément les contre-mouvements furieux, observables de Trump au Brexit en passant par Le Pen et l'AfD. Mais ceux-ci ne constituent que des contre-pensées tant qu'ils ne proposent pas leur propre récit réaliste. Sans une compréhension plus profonde de la culture propre d'un terreau local/national, la volonté de le protéger ne peut être justifiée que par des peurs et des ressentiments. Et sans une reconstruction des éléments les meilleurs et les plus unificateurs de notre culture - comme en particulier l'histoire chrétienne bimillénaire de l'Europe - un sentiment de colère génère un rejet massif et renforce la polarisation.

Le mondialisme utopique délocalisé/délocalisant menace de générer des contre-extrémismes nationalistes et régressifs. L'État-nation n'est pas une fin en soi, comme le pensent certains romantiques identitaires. Il peut lui-même devenir l'agent d'un centralisme bureaucratique et détruire les petites communautés. Mais il n'y a aucune raison de le diaboliser tant qu'il agit de manière défensive et qu'il reste principalement axé sur l'affirmation de ses propres valeurs.

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Démondialisation et nouvelle multipolarité

Dans un monde multipolaire composé de grandes puissances comme les Etats-Unis, la Chine et la Russie, les nations européennes sont trop petites pour pouvoir assurer seules leur sécurité et leur prospérité. La voie médiane et praticable entre le mondialisme et le nationalisme résiderait dans un aménagement de l'espace entre les acteurs, dont la structure et la taille résulteraient de leur capacité à résoudre les problèmes.

En Europe, cela pourrait se faire dans le cadre d'une Union qui connaitrait ses limites à l'extérieur et à l'intérieur. Plus de diversité à l'intérieur permettrait plus d'unité et de force à l'extérieur, face aux adversaires que sont la Russie, la Chine et ceux du monde islamique. Il ne s'agit pas de sortir de cette Union, mais de la transformer en une "Europe qui protège" (Macron) - jusqu'à un marché unique européen qui sache exiger la réciprocité dans les échanges avec la Chine.

La guerre d'agression de Poutine a mis fin à tous les rêves mondialistes et multilatéraux. La déconnexion de la Chine, opérée dans le cadre de la pandémie, qui a placé le pays hors des contextes internationaux, et les sanctions décrétées contre la Russie ont renforcé les tendances à la déglobalisation qui étaient déjà en germe dans la pandémie. La rivalité, qui s'est déchaînée dans l'économie mondiale, exige une plus grande protection de la classe moyenne contre les tendances oligopolistiques. Les pertes de prospérité sont inévitables, mais une meilleure délimitation de ce ressac permettrait de garder et de consolider l'ordre.

D'autant plus que les valeurs woke de l'Occident, qui glissent de plus en plus vers un extrémisme débridé, suscitent plutôt le dégoût dans les cultures traditionnelles ailleurs dans le monde. Alors que les démocraties libérales font preuve d'une très grande tolérance à l'égard de l'islam, l'islamisme, de son côté, se montre intransigeant. Dans leur propre culture, les conservateurs culturels affirment que leur culture doit demeurer dominante, et dans l'espace de la culture étrangère, ils respectent sa primauté. De cette manière, même des cultures incompatibles pourraient coexister pacifiquement.

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La droite et la gauche se confondent

La préoccupation centrale de la "droite", des traditionalistes aux nationalistes, est l'auto-affirmation de ce qui lui est propre. Ce récit permettrait également au conservatisme de sortir de son dilemme consistant à toujours s'opposer aux nouveautés des autres.

La "lutte contre la droite" déclarée par beaucoup semble être menée avec d'autant plus d'acharnement qu'elle passe à côté du sujet. Lorsque les sociaux-démocrates danois veulent garantir l'État social en durcissant le droit d'asile, est-ce là une position de gauche ou de droite? Un libéral qui défend l'égalité des sexes contre la charia est-il libéral ou conservateur? De même, une protection accrue du commerce de détail par une taxation minimale d'Amazon à l'échelle européenne serait à la fois de gauche, libérale et de droite.

Face à tout ce qui doit être affirmé et préservé en termes de progrès social et d'émancipation, l'affirmation de soi est également une préoccupation incontournable pour la gauche et les libéraux. Le conservatisme ne signifie donc pas l'exaltation du passé, mais la reconnaissance des nécessités pour faire face à la réalité. On peut aussi appeler cela du "protectionnisme".

Avec la guerre d'agression menée par la Russie, le nationalisme connaît une renaissance, si ce n'est au profit de sa propre nation, il le connaît via le soutien à l'Ukraine. Les pacifistes verts sont devenus du jour au lendemain les plus fervents partisans de la livraison d'armes. Si les anciens objecteurs de conscience du gouvernement allemand, comme le chancelier et le vice-chancelier, défendent l'autodétermination nationale des Ukrainiens, ils peuvent difficilement la refuser à leur propre pays. Les mondialistes seront confrontés à un Canossa similaire lorsque les flux migratoires toucheront les quartiers aisés et commenceront à submerger les éthiciens de la pensée qui y vivent.

Mais en fin de compte, les contradictions entre les mondialistes et les protectionnistes devront être transformées en réciprocité, comme dans le cas du conflit entre le capital et le travail dans l'économie sociale de marché. Les sociétés vieillissantes ont besoin à la fois d'immigration et d'État social. Une migration maîtrisée nécessite des formes contrôlées d'ouverture et des formes différenciées de protection.

Les avantages comparatifs en termes de coûts du libre-échange sont indispensables au développement de la prospérité. Des compromis peuvent être trouvés sur les limites de la concurrence mondiale en faveur des qualités locales. Leur recherche commence dès lors que des discours ouverts sont tenus sur les limites de l'ouverture.

Heinz Theisen est professeur émérite de sciences politiques à l'Université catholique de Rhénanie du Nord-Westphalie à Cologne.

lundi, 24 octobre 2022

Le point de fusion entre progressisme et capitalisme

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Le point de fusion entre progressisme et capitalisme

par Marcello Veneziani

Source : Marcello Veneziani & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/il-punto-di-fusione-progressita-con-il-capitale

Quand a eu lieu le passage de la gauche du contre-pouvoir au pouvoir, de la Place publique au Palais des gouvernants ? Que s'est-il passé pour qu'une force antagoniste du Capital devienne la Garde rouge du Capital et fasse partie intégrante de la classe dirigeante ? Nous le répétons souvent, mais le passage clé nous échappe. Les indices de surface sont nombreux et trop familiers : à l'est, l'échec des expériences communistes, à l'ouest, l'effondrement de l'État-providence ; au niveau intellectuel, le déclin de Marx et de l'idée de Révolution, et au niveau social, l'inclusion de militants, d'agents et de fonctionnaires de gauche dans l'appareil public, le secteur privé et le système judiciaire, l'école, l'université, l'édition et le divertissement. Une inclusion qui, en plus des effets politiques et idéologiques bien connus, a également entraîné l'inévitable "gentrification" de la classe progressiste et la revalorisation subséquente de l'establishment.

Nous pouvons également périodiser ce processus : il s'est produit après 1968, tout au long des années 1970, puis s'est étendu dans les années suivantes jusqu'à intégrer et interpénétrer les pouvoirs et les institutions. L'avantage est réciproque : au Capital, il a donné une "bonne conscience" éthique et une légitimation culturelle au niveau de l'émancipation et de la défense des droits de l'homme et du citoyen ; et à la Gauche, il a donné un pouvoir d'influence et d'interdiction, et un leadership culturel et civil.

Mais tout cela n'explique toujours pas la raison centrale de l'union entre la gauche et le capital, la soudure de deux hégémonies, la soudure entre le pouvoir économique et le pouvoir culturel. Qu'est-ce qui a provoqué cette convergence ? C'est le but commun de remplacer le monde commun fondé sur la réalité par le monde uniforme fondé sur les désirs induits ; le désir d'un nouveau monde pour la gauche et de nouveaux marchés pour le capital.

Comment ce changement s'opère-t-il ? En effaçant, en méprisant et en brisant les liens, les frontières, les limites. Ce que la gauche appelle émancipation, libération, progrès ; et dans le jargon capitaliste, ils appellent ces phénomènes, le développement, la consommation, la modernisation. Le mot clé, commun à ces deux pôle, est le déracinement, où l'identité se dissout : le déraciné est alors considéré comme un homme libre qui n'a pas d'attaches ou d'affiliations, qui est fluide dans un monde liquide, projeté dans ses désirs plutôt qu'amarré à son héritage et à sa nature ; connecté à son époque et au web mais déconnecté de son lieu et de ses liens communautaires. Il devient ainsi un citoyen du monde, un homme sans frontières (y compris sexuelles), un individu émancipé et global, selon le rêve convergent de l'internationalisme de gauche et de la mondialisation capitaliste.

Le monde à démolir n'est pas nommé pour ce qu'il est - la réalité des liens religieux et civils, familiaux et communautaires - mais est renommé en termes négatifs comme racisme, fascisme, homo-transphobie, anti-féminisme.

Cette convergence a une répercussion sociale précise : déclarer la guerre au monde commun, à la réalité, à la nature, au contexte dans lequel l'homme a toujours vécu, signifie rompre avec les peuples et partir des élites, soit des oligarchies économiques et financières, politiques et intellectuelles, ennemies du sentiment commun, des racines et des liens populaires. C'est la rébellion des élites sur laquelle un sociologue américain lucide, Christopher Lasch, a écrit en 1994, faisant écho à la rébellion des masses d'Ortega y Gasset (1930).

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Dans son ouvrage, Lasch a noté ce que des observateurs italiens très pointus de bords idéologiques opposés comme Augusto Del Noce et Pierpaolo Pasolini avaient déjà saisi: les manifestants, les révolutionnaires et les gauchistes radicaux ont déclaré la guerre au capitalisme mais ont ensuite combattu le patriotisme, la religion et la famille traditionnelle, croyant frapper au cœur et à l'arrière du capitalisme. Au lieu de cela, leur combat était entièrement fonctionnel au capitalisme, qui voulait briser ces mêmes digues et se débarrasser de ces liens qui faisaient obstacle à l'établissement d'une société entièrement éradiquée, composée désormais d'individus solitaires, proies faciles du consumérisme. Même Marx avait expliqué dans le Manifeste qu'avec le capitalisme "toutes les relations sociales stables et fixes, avec leur cortège de conceptions et d'idées traditionnelles et vénérables, sont dissoutes". Par obtusion, présomption ou mauvaise foi, la gauche a ignoré le Manifeste de Marx (qui n'est pas un auteur réactionnaire) et est devenue le tueur à gages en charge de liquider la société traditionnelle, avec la bénédiction du capital... Si les croyants, les membres de la famille, les patriotes sont effacés, il ne reste que les consommateurs de marchandises et d'idéologies. "On ne s'affranchit de la tradition que pour se plier à la tyrannie de la mode", note Lasch dans l'essai Against Mass Culture (maintenant publié en Italie par Eleuthera).

La liberté consiste à choisir entre des marques, des produits, "des opinions et des idéologies préemballées conçues par des faiseurs d'opinion" ; le processus se fera, notait Lasch il y a trente ans, en "détruisant la mémoire collective, en remplaçant l'autorité responsable par un nouveau star system", aujourd'hui nous dirions avec les influenceurs et les usines de consensus manipulés. Il restera comme une gratification illusoire dont parle Lasch dans La culture du narcissisme : c'est le nouvel opium du peuple, réduit à un seul format devant le miroir (ou un smartphone).

Lasch a appelé à une alliance pour résister à l'assimilation, au déracinement et à la modernisation forcée. Pour Simone Weil, celui qui est déraciné déracine ; pour Lasch, "le déracinement déracine tout, sauf le besoin de racines".

C'est donc là que réside la fusion du gauchisme et du capital : dans la dissolution des liens naturels, religieux et communautaires que l'on fait passer pour une émancipation et une libération de l'emprise de monstres. Ils vous enlèvent tout et vous disent ensuite : vous avez moins de fardeaux et de contraintes, maintenant vous êtes libres de courir. Ils vous disent aussi où aller, quoi acheter et quelle route prendre.....

jeudi, 11 août 2022

L'Occident libéral et la Russie fasciste? Slavoj Zizek, un pop-philosophe perdu dans la jungle des concepts

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L'Occident libéral et la Russie fasciste? Slavoj Zizek, un pop-philosophe perdu dans la jungle des concepts

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2022/08/09/liberaali-lansi-ja-fasistinen-venaja-kasitteissa-sekoilevan-pop-filosofin-politiikkaa/

Slavoj Žižek, un philosophe pop "freudo-marxiste", a publié un article sur le site Project Syndicate dans lequel il se demande ce que la gauche "éveillée" (=woke) et la droite alternative ont en commun.

Selon l'auteur, le conflit en Ukraine montre que les divisions politiques qui ont défini notre siècle sont fondamentalement fausses. Selon Žižek, le Kremlin représente la "droite alternative" et l'Europe le "système libéral politiquement correct", mais les deux camps combattent le système capitaliste mondial.

Le précédent remue-méninges de Žižek sur la défense de l'OTAN et de l'Ukraine n'a pas seulement suscité l'admiration des libéraux occidentaux, mais aussi des critiques justifiées. Maintenant, le Slovène essaie de prétendre qu'il n'y a pas tant de différence entre les deux camps dans le jeu géopolitique. Au final, il ne réussit qu'à rendre les choses plus compliquées.

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Žižek commence par évoquer le psychologue canadien Jordan Peterson (ci-dessus), qui a précédemment condamné l'opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine, mais qui en est venu depuis à défendre la Russie "métaphysiquement". Se référant aux journaux intimes de Dostoïevski, Peterson a affirmé que "l'individualisme hédoniste de l'Europe occidentale est inférieur à la spiritualité collective russe".

Selon Žižek, Peterson accepte la définition du Kremlin de la civilisation occidentale libérale comme étant "dégénérée". Le Canadien décrit le postmodernisme comme "une variante du marxisme qui cherche à détruire les fondements de la civilisation chrétienne". Vu sous cet angle, la guerre en Ukraine est "un concours entre les valeurs chrétiennes traditionnelles et une nouvelle forme de décadence communiste".

Pour Žižek, l'adoption par Peterson d'une "position pro-russe mais anticommuniste" indique une orientation politique plus large. En Europe, cette ligne est représentée par le Hongrois Viktor Orbán, qui tente de créer un terrain d'entente entre l'euro-atlantisme et le nationalisme, dénonçant de manière populiste les "mondialistes", tout attendant peut-être le retour de Trump?

Žižek estime que le même esprit peut être observé aux Etats-Unis. Selon lui, "de nombreux représentants du parti républicain" ont refusé de soutenir l'Ukraine. J.D. Vance, candidat républicain au Sénat dans l'Ohio, soutenu par Donald Trump, a déclaré qu'il est "insultant et stratégiquement stupide d'allouer des milliards de ressources à l'Ukraine tout en ignorant les problèmes de notre propre pays".

Dans la même veine, Matt Goetz, membre républicain de la Chambre des représentants de Floride, menace de couper l'aide américaine à l'Ukraine si son parti prend le contrôle de la Chambre en novembre.

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Les différences entre les démocrates et les républicains sont-elles vraiment si grandes, et la ligne de politique étrangère définie par l'appareil d'État permanent, l'"État profond", changerait-elle si les républicains arrivaient au pouvoir ? J'en doute, il s'agit probablement de faire du tapage et de marquer des points pour faire éclore une fausse opposition. Les deux parties sont également d'accord sur la Chine, et l'administration Trump elle-même a parlé d'un "choc des civilisations".

Malgré l'anticommunisme de Peterson, il s'attaque à la principale conséquence du capitalisme mondial. Žižek se réfère à Marx et Engels, qui ont écrit, il y a plus de 150 ans, dans le premier chapitre du Manifeste du Parti communiste, l'impact du capitalisme destructeur bourgeois sur les cultures populaires :

"La bourgeoisie a détruit toutes les relations féodales, patriarcales, idylliques partout où elle est arrivée au pouvoir..... Toutes les relations périmées, rouillées et les vieilles idées et opinions chères qui les accompagnaient se dissolvent, tout ce qui vient d'être formé vieillit avant de pouvoir être dissous, tout ce qui est traditionnel et permanent disparaît, tout ce qui est sacré est profané, et les gens sont enfin forcés de regarder leur position dans la vie et leurs relations les uns avec les autres avec des yeux ouverts".

Les théoriciens culturels de la nouvelle gauche, qui continuent de concentrer leur critique sur "l'idéologie et la pratique patriarcales", ignorent cette observation. Pourtant, la critique du patriarcat a atteint son apothéose précisément au moment historique où le modèle social traditionnel a perdu sa position hégémonique, c'est-à-dire lorsqu'il a été remplacé par un individualisme de marché capitaliste et sans racines.

De tels "gauchistes" sont des moutons déguisés en loups, prétendant être des révolutionnaires radicaux alors qu'ils ne font que protéger le système capitaliste dominant, ultra-libéral, sous-entend également Žižek - bien qu'il ne soit pas meilleur, étant lui-même un nazi pro-occidental.

En tout état de cause, l'effondrement des relations sociales et des formes traditionnelles est déjà bien entamé: tous les aspects de l'identité humaine dans la société moderne sont une question de choix. La nature (et la nature humaine) est également de plus en plus soumise aux manipulations technologiques.

Néanmoins, la "guerre civile" que Peterson voit se dérouler en Occident est, selon Žižek, une chimère, un conflit entre deux versions du même système capitaliste mondial : elle oppose "l'individualisme libéral débridé" au "conservatisme néo-fasciste", qui "cherche à combiner le dynamisme capitaliste avec les valeurs et les hiérarchies traditionnelles".

Cela nous amène aux stigmatisations qui volent à qui mieux mieux et aux confrontations féroces entre internautes sur les champs de bataille des médias sociaux. Si vous êtes du côté de l'UE et des États-Unis et que vous souhaitez une extension de l'ordre libéral, vous êtes une "bonne personne" selon le récit des médias grand public. Si vous êtes positif, ou même neutre, à l'égard de la Russie de Poutine, vous êtes un troll, fauteur de fake news; un "fasciste" eurasien, noir jais - ou du moins rouge-brun.

Mais en regardant un peu plus objectivement, en Occident, l'"herméneutique" politiquement correcte, le wokisme, a remplacé la lutte des classes en créant une élite libérale qui prétend protéger les minorités ethniques et sexuelles en danger, simplement pour détourner l'attention de la prise de pouvoir économique et politique de ses propres membres.

Dans le même temps, cette diversion de la cabale bancaire centrale permet aux populistes de la droite alternative de se présenter comme les défenseurs des "vraies gens", contre les élites du monde des affaires et de l'"État profond". Tout cela n'est-il qu'une grande pièce de théâtre et dans quelle mesure les différences idéologiques sont-elles réelles dans un monde qui s'écroule sous nos yeux ? Trump, Biden, Poutine et Orbán ont tous également fait la promotion des vaccins pendant la crise sanitaire.

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Žižek en conclut donc que les différents partis font partie du même système et qu'ils s'affrontent sur un tas de ferraille. Selon le penseur slovène, les guerres culturelles ont remplacé la lutte des classes comme moteur de la politique : aucun des deux camps, selon lui, ne défend les exploités, ni même ne s'intéresse à la classe ouvrière.

Le philosophe pop lui-même semble être perplexe face à la situation actuelle. Il confond également les concepts en qualifiant le conservatisme de "néo-fasciste", alors que c'est précisément cette conscience traditionnelle qui combat le néo-fascisme moderne en Ukraine et tente (plutôt sans succès) de défendre les peuples indigènes en Europe.

Žižek est heureux de répéter les mantras de la néo-gauche pseudo-radicale, dans laquelle toute forme de "conservatisme" - et peut-être aussi de "socialisme aux caractéristiques chinoises" ? - est grossièrement considéré comme du "fascisme" (il laisse de côté le fascisme arc-en-ciel du capitalisme libéral et les néonazis d'Ukraine, mais c'est désormais une condition préalable pour maintenir une carrière et une réputation dans les institutions occidentales).

Il est douteux que Žižek ou Peterson soient assez intelligents pour comprendre - et encore moins pour expliquer - les processus en cours de changement géopolitique et économique visant à construire un nouvel ordre mondial non occidental. L'Asie et le Sud global attendent-ils leur tour sous les feux de la rampe ? Pendant un certain temps encore, l'Occident, derrière le nouveau rideau de fer numérique, fera rage contre l'extinction de cette lumière.

samedi, 30 juillet 2022

Au-delà de la droite et de la gauche

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Au-delà de la droite et de la gauche

par Andrea Zhok

Source : Andrea Zhok & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/oltre-destra-e-si...

Le nouveau terrain politique qui nous est offert doit partir de la reconnaissance du caractère désormais obsolète et trompeur de l'opposition historique entre la droite et la gauche. Ce rejet ne doit pas être compris comme une mode à suivre, mais comme le fait que nous comprenons bien les enjeux de la fin d'une époque. La droite et la gauche ont toujours été des oppositions sans identité stable : depuis leur origine dans la Révolution française, la droite et la gauche ont eu des rôles et des incarnations très différents. Il existe des identités théoriques telles le socialisme, le communisme, le libéralisme, le traditionalisme, le conservatisme catholique, le naturalisme chrétien, etc. etc., mais il n'y a pas d'identité de "droite" ou de "gauche", sauf dans la contingence d'expressions journalistiques plus ou moins vagues.

Au cours des trente dernières années, tant les partis de droite autoproclamés que les partis de gauche autoproclamés ont contribué à alimenter et à renforcer un modèle de société libéral et mondialiste. Les deux camps ont contribué à l'adoption de stratégies qui ont liquéfié le tissu social, déraciné les individus et sapé le fonctionnement des familles et des communautés territoriales. Tous deux ont contribué aux processus de privatisation des biens et services publics sans tenir compte des intérêts stratégiques nationaux ; tous deux ont soutenu la cession de la souveraineté à des organismes supranationaux ; tous deux ont accompagné l'érosion du bien-être et ont sapé la protection du travail ; tous deux ont soutenu une modernisation cosmétique de l'enseignement public qui a provoqué son effondrement. Tous deux ont soutenu la transition progressive d'un ordre démocratique à un ordre technocratique, où la souveraineté est déléguée à des élites opaques de personnes autoproclamées "compétentes".

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Cette convergence substantielle de la gauche et de la droite, qui a été possible en raison de leurs identités, qui sont in fine intrinsèquement ténues, a été une véritable manœuvre de camouflage, une tromperie pour dissimuler leurs lignes dominantes à l'électorat. Bien sûr, tout ce qui a grandi dans l'ombre de forces qui se considéraient comme de droite ou de gauche n'est pas à rejeter, et tous les protagonistes individuels qui se sont reconnus comme tels n'étaient pas non plus de mauvaise foi. Tant à droite qu'à gauche, il a existé - bien que de manière minoritaire - des lignes critiques à l'endroit du développement du libéralisme, dont les tendances destructrices et autodestructrices ont été reconnues par les uns comme par les autres. Mais cette vigilance critique résiduelle a été dépassée par la logique du "front commun" : contre la droite sur la gauche et contre la gauche sur la droite. Malgré l'interchangeabilité substantielle des politiques, cette astuce rhétorique, cet appel à s'unir contre "l'ennemi" a fonctionné pendant des décennies, permettant à une politique sans idées ni principes, autres que les intérêts des grandes entreprises, de s'imposer sans scrupules.

Ceux qui, à gauche, se méfiaient des impératifs du marché ont fini par soutenir toutes les formes de dissolution des liens humains (familiaux, affectifs, territoriaux, communautaires, traditionnels, naturels, religieux), de manière parfaitement fonctionnelle pour produire des individus isolés à la merci du marché, pour produire des sujets fragiles, liquides, prêts à occuper des postes de rouages dans la machine mondiale.

Ceux qui, à droite, considéraient avec méfiance les processus de dissolution des liens familiaux, territoriaux, traditionnels, etc., ont cependant fini par soutenir des formes de marchandisation généralisée de la société, quand ce n'est pas carrément du darwinisme social, alimentant ainsi les formes sociales mêmes qui dévastaient ces liens qu'ils prétendaient vouloir défendre.

Dans le contexte de ce que l'on appelle "l'effondrement des idéologies", le couplage droite-gauche est donc devenu une astuce cosmétique pour maintenir en selle quelques survivants des anciennes formations idéologiques, alors qu'en fait l'idéologie globale du néolibéralisme a été imposée - déguisée en réalité ultime. Le besoin de mobilité de la main-d'œuvre sur le marché mondial a été dépeint de manière instrumentale comme de la "flexibilité", du "dynamisme", ou même invoqué au nom de l'"accueil" et de l'"hospitalité". Les exigences de fiabilité posées par le grand capital, protégé par la BCE, ont été présentées comme un européisme fier, par opposition à un nationalisme hargneux. La demande d'un capital humain illimité a été présentée comme une "libération des contraintes oppressives de la famille". La tendance libérale-capitaliste à la liquéfaction de tous les liens, qu'il s'agisse de lieux, de personnes, de cultures ou de traditions, a été présentée comme une force émancipatrice, qui permettait enfin aux individus de s'épanouir (tout en créant en fait des générations d'individus de plus en plus solitaires et désorientés).

Ce jeu a fait son temps. Si nous voulons rouvrir l'espace où un espoir politique fertile sera possible, nous devons laisser une fois pour toutes derrière nous l'opposition catégorique entre la gauche et la droite, en brisant l'inertie d'habitudes conceptuelles et verbales qui sont aujourd'hui totalement trompeuses.

mercredi, 13 juillet 2022

La "gauche" avance en Amérique du Sud... au profit des USA et du mondialisme

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La "gauche" avance en Amérique du Sud... au profit des USA et du mondialisme

Par Marcelo Ramírez

Source: https://jornalpurosangue.com/2022/07/05/a-esquerda-avanca-na-america-do-sul-em-beneficio-dos-eua-e-do-globalismo/

Il existe un consensus tacite parmi les analystes selon lequel la confrontation entre l'Occident collectif et le modèle multipolaire se développe à un rythme accéléré. La troisième guerre mondiale se déroule, comme on peut s'y attendre, sur des plans et des dimensions différents, où chaque chose qui se passe doit être lue avec la clé de la guerre.

Dans une confrontation de cette ampleur, qui est nécessairement universelle, aucune zone ou région ne peut rester sur la touche alors que le monde est devenu globalisé. La mondialisation n'est pas seulement le modèle économique qui a été identifié à cette forme de réorganisation du monde, mais elle comporte également une composante technologique qui l'a rendue possible.

La confrontation en Ukraine a occupé le devant de la scène pour deux raisons : d'une part, parce qu'elle implique directement l'OTAN ainsi que la Fédération de Russie, et d'autre part, parce qu'elle se déroule au sein même de l'Europe.

Le manque de perspective historique nous fait regarder avec effroi le fait que cette confrontation militaire se déroule sur le Vieux Continent. La plupart croiraient que les Européens sont des êtres qui ont évolué au-dessus de la moyenne de l'humanité et que les conflits étaient prévus dans des zones sous-développées et périphériques - par rapport au centralisme occidental - telles que le Moyen-Orient, l'Asie centrale ou un autre endroit inconnu de la plupart des Occidentaux.

Cependant, nous ne devrions pas être surpris que l'étincelle de la guerre mondiale commence en Ukraine. L'Europe a été le berceau des plus grandes confrontations du monde, du moins si on les mesure à l'impact qu'elles ont eues sur le nombre de vies perdues et sur le nombre de nations combattantes. Les deux guerres mondiales connues de l'humanité ont été déclenchées en Europe par des Européens, alors pourquoi ne serait-il pas logique que la troisième guerre mondiale ait la même origine ?

L'ampleur de la confrontation s'étend, comme nous l'avons déjà souligné, au monde entier. L'immédiateté de la communication, la facilité et la rapidité des transports ont réellement raccourci les distances, et s'il était difficile de rester neutre dans le monde au début du 20ème siècle, à l'heure de la virtualité du 21ème siècle, c'est une tâche extrêmement difficile qui nécessite des politiciens habiles qui ont une lecture des événements qui leur permet de se projeter comme des hommes d'Etat. S'il y a une chose qui manque dans le monde d'aujourd'hui, c'est précisément cela, et nous devons nous contenter de personnages médiocres qui, comme des marionnettes, obéissent aux impulsions générées par des forces insaisissables mais puissantes.

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Les déclarations des dirigeants finlandais ou suédois de rejoindre l'OTAN dans un contexte de tensions avec la Russie est une démonstration brutale de l'ignorance de ces personnages qui prennent des décisions dont ils ne comprennent pas les implications potentielles. Faire de leur pays une cible pour les missiles russes, hautement destructeurs, relève d'une effrayante myopie.

Les mêmes sanctions qui ont nui à leurs nations plus qu'à la Russie nous dispensent de chercher d'autres exemples d'ineptie: qui pis est, ils insistent pour hausser le ton à mesure que les effets délétères sur leurs économies se renforcent, attitude qui est typique des fous qui ne comprennent pas la réalité.

Cette description n'est pas nouvelle, personne qui lit ceci ne connaît la maladresse et l'immoralité de ceux qui les gouvernent, la seule chose qui diffère est que jusqu'à il y a quelques mois, leur travail consistait à faire naviguer leur pays sur le pilote automatique. Aujourd'hui, un front de tempête aux proportions bibliques s'est levé et ils se dirigent vers lui à toute vitesse, mais même face à lui, ils ne peuvent pas changer de cap.

Pour revenir au début de la note, la nature très universelle du conflit signifie que non seulement il s'aggrave de minute en minute mais qu'il s'étend aussi géographiquement. Le conflit et ses répercussions au Moyen-Orient, en Asie centrale ou en Extrême-Orient sont largement évoqués. Cependant, il existe un continent géographiquement isolé des principaux acteurs par les océans et souvent laissé de côté dans les analyses géopolitiques, mais qui constitue le dernier bastion des États-Unis pour défendre leur position d'hégémonie politique.

L'Amérique se distingue de l'Océanie en ce qu'elle ne s'est pas ouvertement alignée sur l'un ou l'autre camp ; l'alignement de l'Australie sanctionnant la Russie et la Chine, tout en faisant partie de l'AUKUS, place le continent austral au centre du conflit. La Nouvelle-Zélande, l'autre grand acteur régional, fait aussi partie des Five Eyes, le complexe d'espionnage électronique que le monde anglo-saxon emploie depuis des années.

L'Océanie fait déjà partie du conflit, même si elle n'est pas au centre du scénario géographique.

Les Amériques, différenciées peut-être par la réalité de leur appartenance au monde ibéro-américain, ont une attitude différente.

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Selon la presse, les principaux pays d'Amérique du Sud ont pris un virage à "gauche". La victoire d'Alberto Fernández en Argentine, de Castillo au Pérou, d'Arce en Bolivie, de Boric au Chili, de Maduro au Venezuela et de Petro en Colombie, ainsi que la victoire attendue de Lula au Brésil, donnent à penser que les États-Unis perdent du terrain dans ce qu'ils considèrent comme leur zone d'influence naturelle.

Cette idée est également soutenue par la présence importante d'investissements chinois qui ont supplanté les États-Unis comme principal partenaire commercial de la région.

Toutefois, il s'agit d'une perception erronée fondée sur la tentative de comprendre la politique d'aujourd'hui dans les anciennes catégories de gauche et de droite. Les politiciens susmentionnés sont considérés comme représentant différentes versions des social-démocraties, du gauchisme et du progressisme qui marquent le tournant sud-américain contre la "droite".

C'est là que commencent les confusions générées par ces catégories sur lesquelles la presse et les analystes occidentaux insistent.

Examinons de plus près le scénario. Qu'ont en commun tous les chiffres ci-dessus? À l'exception de Maduro et d'Arce dans une certaine mesure, les autres ont changé l'orientation de leur discours et, surtout, de leur action politique, passant de la revendication d'idées, d'une meilleure et plus juste répartition des richesses, aux luttes identitaires et écologistes.

L'action se concentre sur les questions de genre et le changement climatique anthropique, mais cela, justement, s'inscrit bel et bien dans la continuité des programmes économiques néolibéraux. Alberto Fernández n'a pas hésité à parler en langage "inclusif", à imposer l'avortement, à créer le ministère du genre, à dépenser 3,4% du PIB pour la "perspective de genre" en pleine crise terminale de l'Argentine. Le plan économique, si l'on peut généreusement l'appeler un plan, est une continuation du modèle établi par Mauricio Macri. Dette extérieure, accord avec le FMI, baisse des salaires réels et des pensions, dollarisation des tarifs des services publics, hausse des prix des denrées alimentaires de base, taux financiers très élevés qui étouffent l'économie et un clientélisme politique qui maintient le pays en essayant d'éviter une explosion sociale basée sur des plans sociaux soumis à la volonté politique du titulaire.

Avec les différentes nuances de chaque situation particulière, ce modèle économique est une chose que les leaders du progressisme régional ont en commun.

Mais ce n'est pas la seule chose ; l'alignement avec Washington est toujours présent. Bien qu'il y ait des tentatives de rébellion, comme cela s'est produit lors de la dernière réunion continentale, la réalité est que ce n'est qu'une façon de sauver la face, de montrer qu'on est différent des gouvernements de "droite" usés. La réalité indique que lorsqu'il s'agissait de décider de l'attitude à adopter face au conflit ukrainien, les positions prédominantes n'étaient pas de soutenir la Russie, mais de s'aligner sur les dénonciations de l'Occident collectif.

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Bolsonaro, le président de l'"extrême droite" brésilienne selon le vocabulaire du progressisme, a été un acteur majeur du rapprochement avec Poutine dans le contexte de la crise. Si ses politiques économiques présentent de nombreux points similaires aux politiques néolibérales, sur les questions d'identité, ses positions sont naturellement alignées sur celles de la Russie ou de la Chine, et le Brésil, contrairement à l'Argentine, n'a pas condamné la Russie à l'ONU.

Maduro, sans se soucier des questions d'identité, est devenu un partenaire privilégié de la Russie et de la Chine, tandis qu'Alberto Fernández a retardé les négociations stratégiques avec la Russie pour plaire aux États-Unis et au FMI, ou que Boric a attaqué les "dictatures" du Venezuela, du Nicaragua, de la Chine et de la Russie.

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Petro a nommé José Antonio Ocampo (photo) au poste de ministre des finances, un économiste néolibéral dont les idées ne diffèrent pas beaucoup de celles de Paulo Guedes, le ministre controversé de Bolsonaro.

Il est donc difficile de comprendre quelle est la véritable différence entre la gauche et la droite. En fin de compte, lorsque nous examinons les positions dans des faits concrets, nous constatons que les gauches présentent de grandes différences entre leurs propres factions. Si nous prenons l'exemple de la relation avec la Russie, nous pouvons voir deux camps, l'un composé de la droite et de la gauche contre une autre droite et une autre gauche de l'autre côté.

En fin de compte, parler en ces termes ne veut rien dire ; l'Amérique du Sud ne divise pas ses politiciens selon ces lignes de manière significative, mais plutôt selon leur positionnement en faveur de l'hégémonie américaine ou du monde multipolaire russe. Si nous prenons cet aspect en considération, nous verrons que les alignements finissent par être les mêmes que ceux des questions d'identité et différents de la division gauche-droite.

Il n'est donc pas correct de dire que l'Amérique du Sud se tourne vers la gauche, synonyme de rapprochement avec la Russie et la Chine, car les nouveaux dirigeants sont alignés sur Washington sur les questions que les États-Unis considèrent comme centrales.

Ce que nous voyons réellement dans cette région, c'est comment le mondialisme financier qui contrôle Washington a pu s'imposer habilement en changeant de vêtements. Alors que la gauche gardait le symbolisme, croyant que cela lui donnait la victoire, le mondialisme lui a fait croire que ce qui est important, c'est l'identitarisme et la rhétorique en échange du maintien de la décision sur les questions clés qui comptent pour les États-Unis.

C'est pourquoi nous voyons comment la gauche arrive au pouvoir dans une situation mondiale tendue dans l'arrière-cour des États-Unis, sans que ces derniers ne réagissent. Washington non seulement accepte, mais valide comme démocratiques les gouvernements qui acceptent de suivre ses politiques, même s'ils pensent qu'elles sont anticapitalistes. Alors qu'elle adopte cette attitude envers le Boric sud-américain, elle déclare la guerre à ceux qui ne s'alignent pas sur ses intérêts, qu'ils soient de gauche ou d'"extrême droite" comme Bolsonaro.

Il est temps de commencer à réfléchir à ce qui détermine réellement la dialectique actuelle, la dichotomie gauche/droite ou cette dispute entre l'hégémonie anglo-saxonne et le modèle multipolaire mené par la Russie et la Chine.

jeudi, 09 juin 2022

La gauche et le relativisme: le triomphe de la raison "faible"

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La gauche et le relativisme: le triomphe de la raison "faible"

par Daniele Trabucco

Source: https://www.ideeazione.com/la-sinistra-ed-il-relativismo-ovvero-il-trionfo-della-ragione-debole/

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), la gauche italienne a suivi à la lettre, avec la complicité des démocrates-chrétiens de l'époque, la leçon gramscienne de conquête du pouvoir via les "casemates de l'État". Cela a malheureusement conduit à une véritable hégémonie culturelle qui s'est traduite et se traduit encore par les "occupations" des universités, des associations (véritables "réserves" électorales), des écoles et de la plupart des lieux de culture. La gauche, en d'autres termes, a transformé la société civile en un véritable "appareil" idéologique qui, sur la base de ses "enzymes", criminalise, adultère, ghettoïse le point de vue de ceux qui proposent (et non imposent) une lecture différente.

Pour réussir dans sa démarche, il utilise trois leviers :

1) la simplification linguistique qui, sous des termes qui ont pris un sens dogmatiquement univoque, sous-tend un jugement de valeur inavouable (le no-pass n'est pas celui qui, à juste titre, considère que la certification verte Covid-19 manque de preuves scientifiques, mais le subversif irresponsable qui sape la coexistence sociale et répand l'agent viral Sars-Cov2);

2) accepter la logique financière qui façonne de l'intérieur les institutions nationales et supranationales (voir, sur ce point, les contributions de Dardot et Laval);

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3) l'hypothèse d'une pensée "faible", ou plutôt relativiste, comme moyen d'analyser et de juger la réalité. En fait, la gauche adhère à une raison inspirée de la critique kantienne, à savoir que la connaissance humaine ne peut atteindre la réalité en elle-même, qu'elle ne peut tendre vers un savoir incontestable et qu'elle a donc besoin d'une réalité "liquide" dans laquelle puiser des droits de plus en plus insatiables (la bataille des droits dits civils qui n'ont rien de civil) et dans laquelle modeler, tel le démiurge platonicien, des adversaires à abattre pour se légitimer sans cesse.

Celui qui choisit une force politique "de gauche" (je suis d'accord avec Norberto Bobbio (1909-2004) pour dire que la distinction droite/gauche est toujours valable et pertinente), nie (d'abord par rapport à lui-même) que la nature humaine puisse tenter de connaître ce quid qui tient et ne se laisse pas contredire. La gauche abhorre le concept de l'homme en tant que substance et adopte, à la place, celui de l'homme/projet en perpétuel devenir et capable d'autodétermination contre l'ordre naturel lui-même, dont la négation conduit à l'affirmation de l'indifférentisme et à la contradiction évidente selon laquelle, même si l'homme peut être n'importe quoi, il ne sera finalement jamais capable de poursuivre les fins inhérentes à la nature de ce qu'il croit être à ce moment-là (un homme peut se sentir comme un serpent, mais vous ne serez jamais capable de vous glisser comme lui sur le sol).

Bien que vaincu, il suffit de voir comment les électeurs et les votants italiens ont sanctionné, le 04 mars 2018, le Parti démocrate de Matteo Renzi, aujourd'hui leader d'Italia Viva, détient habilement le pouvoir et soutient, depuis août 2019, l'Exécutif grâce à notre " belle ", autant qu'hypocrite, forme de gouvernement parlementaire à " faible rationalisation " (la critique de Carlo Costamagna (1881-1965) après-guerre était prophétique). Tout cela peut-il être changé ? Non seulement nous le pouvons, mais nous le devons : il est nécessaire de rejeter, avec la logique de fer de la raison et du bon sens, l'éternel retour des stéréotypes de ceux qui se sentent moralement supérieurs alors qu'ils ne le sont pas.

jeudi, 12 mai 2022

"La transmutation totale du progressisme doit être radicale, complète et étrangère à la partitocratie et au néolibéralisme"

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"La transmutation totale du progressisme doit être radicale, complète et étrangère à la partitocratie et au néolibéralisme"

Nous avons interviewé Carlos X. Blanco auteur du livre "Le marxisme n'est pas de gauche".

Par Carlos Pérez- Roldán Suanzes- Carpegna

Nous avons interviewé Carlos X. Blanco, qui a récemment publié El Marxismo no es de izquierda (le marxisme n'est pas de gauche), un ouvrage dans lequel il démonte les sophismes de ceux qui se disent défenseurs des travailleurs.

- Tant le PSOE que Podemos insistent pour nous convaincre que les droits des travailleurs sont en sécurité avec eux. La gauche actuelle est-elle vraiment engagée dans la défense des travailleurs ?

Pas du tout, de manière générale et en référence aux organisations majoritaires. En réalité, ceux qui se définissent comme des gauchistes et des progressistes suivent, en général, les dictats d'un agenda créé par une élite urbaine et apatride, qui, en Espagne, fait partie de la caste des universitaires, des ONG, des syndicats, des fonctionnaires, etc. C'est une élite qui regarde avec beaucoup de hauteur et d'arrogance le travailleur salarié et le modeste indépendant, l'Espagnol qui se lève tôt, qui s'efforce de subvenir aux besoins de sa famille et qui lutte pour joindre les deux bouts. Ils méprisent aussi profondément les agriculteurs, qu'ils qualifient de réactionnaires, de carnivores, d'ennemis du développement "durable". Ces haineux font partie d'une caste qui n'a pas quitté le pouvoir depuis le Felipismo, pas même dans les législatures théoriquement conservatrices d'Aznar et de Rajoy: ce sont les mêmes qui détestent les indépendants, tous ceux qui ne dépendent d'aucune autorité ou subvention pour leur dire ce qu'ils doivent penser correctement, ils détestent ceux d'entre nous qui ne vivent pas de subventions ou d'avantages. Cette élite gauchiste post-moderne (ou progressiste) est le résultat immédiat des agressions commises par le felipismo contre l'ensemble de la classe ouvrière, et elle n'a cessé de se reproduire et de s'étendre depuis lors. C'est une élite ochlocratique, qui déteste le talent et s'attaque toujours aux secteurs les plus productifs du pays. Felipe González a pris sur lui, dans les années 1980, de démanteler le tissu industriel qui avait été rapidement et solidement créé par le défunt régime franquiste.

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La neuvième puissance industrielle du monde était l'Espagne que Franco a laissée derrière lui à sa mort, une place d'honneur obtenue par un peuple alors très endurant et responsable, dirigé par des critères techniques plutôt qu'idéologiques ; même si, à vrai dire, l'Espagne était une puissance économique pleine de contradictions internes à résoudre et qu'il n'y avait aucune volonté de les aborder. L'une de ces contradictions était l'absence d'une véritable intégration du facteur travail dans les structures de l'État, avec une représentation adéquate des producteurs et des mécanismes de négociation du travail non classistes et non libéraux qui minimiseraient les conflits endémiques de l'époque. Un modèle organique de représentation et de négociation était nécessaire, des systèmes non partisans qui protégeraient les travailleurs de l'instrumentalisation des "syndicats de classe" qui étaient, et sont, à proprement parler, les courroies de transmission et les bras d'exécution des partis "progressistes". Ceux-ci, à leur tour, se sont avérés être des marionnettes contrôlées par le capital étranger, ultra-subventionnées et achetées, avec un très faible militantisme et une très faible participation : ils ont été créés afin de démanteler la nation au niveau productif et de nous transformer en la triple colonie que nous sommes maintenant : une colonie des États-Unis, de Bruxelles et du Maroc, peut-être dans cet ordre. La gauche autoproclamée d'aujourd'hui ne fait que servir de bélier à la politique néolibérale sauvage et criminelle déjà initiée par les ministres de Felipe (Solchaga, Boyer), une politique économique qui a toujours eu le soutien de fait (sous couvert de critiques purement verbales et testimoniales) des communistes, honteusement reconvertis en "Izquierda Unida" (Gauche unie). Aux heures décisives, les communistes de l'IU ont presque toujours soutenu les gouvernements socialistes des municipalités et des communautés autonomes, et les syndicats ont participé à la corruption et à la cooptation des dirigeants ouvriers, à la domestication des rebelles, pour les faire entrer dans le rang et permettre au capital d'exercer sa domination.

Le repli de la gauche postmoderne et indéfinie, de plus en plus anti-marxiste, dans l'univers délirant de ce que Prada appelle à juste titre les "droits de la culotte" et la gestion hédonique des fluides corporels, les questions de "violence du pénis", etc, avec le multiculturalisme et le "génératisme" obligatoires, ainsi que la capitulation devant l'Islam et les puissances qui le promeuvent, est la trahison la plus dégoûtante du marxisme et de tous les autres courants et traditions de lutte pour la justice sociale. Ce progressisme anti-marxiste et post-marxiste, comme celui de Podemos et de ses mutations et franchises, collabore à la liquidation de notre peuple. Il n'y a pas de libération du peuple si le peuple n'existe plus. Dans vingt ans, en 2042, le peuple espagnol n'existera plus.

- La gauche est-elle tombée dans le piège de la défense du marché et des grands dogmes libéraux ?

Complètement. C'est pourquoi ils ne comprennent plus le Das Kapital de Marx. Ils ne savent pas le lire, et s'ils le lisaient intelligemment, peut-être cesseraient-ils de s'identifier à la gauche et opteraient-ils pour les notions de souverainisme et de troisième position. C'est pourquoi, à d'honorables exceptions près, la gauche post-moderne qui n'a pas quitté le wagon du pouvoir, et qui ne cesse de créer des "marques blanches" pour compléter les montagnes russes du PSOE (Podemos, Más País, divers séparatistes...) n'a pas la moindre idée des lois économiques du capitalisme. C'est pourquoi la gauche dégénérée ne fait que des extrapolations métaphoriques des lois du marché. Le virus du libéralisme est si profondément ancré dans leur cerveau qu'ils ne peuvent qu'appliquer la logique mercantile et réifiante du Capital, et supposer tacitement et inconsciemment que la personne est une marchandise dont l'emballage peut être modifié à volonté. Aujourd'hui, je suis un homme, demain une femme, le jour suivant une grenouille et la semaine prochaine un alien. L'homogénéité et la non-différenciation des marchandises, la réduction des essences et des qualités du monde à de simples transactions économiques entre des atomes post-humains se reflètent dans une société comme celle qu'ils veulent construire : une société de fourmis où il n'y a pas d'identités sexuelles, nationales, religieuses ou autre. C'est le triomphe de l'abstraction. L'homme est déjà une marchandise.

C'est pourquoi dans mes livres, et notamment dans celui-ci, El Marxismo no es de Izquierdas (EAS, 2022), je défends un retour à la rationalité. Je défends le retour à la justice sociale, au noyau rationnel du marxisme, au droit des peuples à se défendre communautairement contre tous ces outrages législatifs, répressifs et idéologiques dirigés contre les travailleurs. Une agression contre les travailleurs qui est, en même temps, un ensemble d'agressions contre notre État national, une entité qui doit redevenir souveraine face au mondialisme et à la colonisation. Franco a admis, bien que de manière limitée, que les Yankees s'immisceaient dans notre souveraineté, peut-être parce que nous manquions de pain. C'est le sort des peuples brisés et pauvres. Mais le régime de 1978 n'a fait que nous enfoncer de plus en plus dans l'indignité: au point que nous sommes une extension du sultanat du Maroc. Voilà leurs jeunes qui viennent étudier gratuitement chez nous et leur population excédentaire vient repeupler une terre désolée, et nous acceptons encore et encore leurs décrets unilatéraux.

En tout cas, il y a une partie de la gauche, la plus en phase avec le marxisme authentique et la plus éloignée de la folie radicale féministe, animaliste et lacunaire (celle d'Ernesto Laclau), qui se rebelle. Récemment, en ce mois de mai, un numéro du magazine El Viejo Topo est paru avec un dossier consacré au livre de Fusaro auquel j'ai participé. Il y apparaît clairement quel genre de "gauche" est celle qui se limite à disqualifier un géant de la philosophie actuelle, tel que Fusaro, un érudit ayant écrit des dizaines de livres philosophiques que les progressistes ne liront ou ne comprendront jamais, en les traitant, avec une grande impudence, de "cantamañanas". Ces paresseux qui écrivent sur les ordres de Soros dans leurs pamphlets et traînent leur héritage dans les couloirs des universités veulent maintenant être une "police de la pensée". Ils pensent qu'en se faisant traiter de "rojipardo" (de "rouge-bruns") ou pire, ceux qui s'opposent réellement au capitalisme vicieux et à la perte de souveraineté se tairont. Si seulement ils pouvaient travailler pour une fois, y compris sur le plan intellectuel. Ce serait une autre histoire si nous avions une plus grande proportion de jeunes studieux, rigoureux et productifs et non une bande de bimbos hostiles au travail.

Il existe une gauche et un anticapitalisme qui n'est pas à la botte du mondialisme. C'est pourquoi elle publie gratuitement chez EAS, dans Letras Inquietas, dans El Viejo Topo, dans Adáraga, dans La Tribuna del País Vasco, dans Tradición Viva... Le public le plus agité peut avoir accès en ces lieux à des textes fondamentaux de Cruz-Sequera, de Fusaro, de Steuckers, de Preve, de Denis Collin.

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Après la mort de Franco, peut-on considérer que les politiques socialistes visant à démanteler le système destiné à protéger les travailleurs et les familles étaient délibérées?

Je pense que le modèle partitocratique, avec ses innombrables tentacules et extensions dans les syndicats, les associations d'entreprises, les ONG, etc. a été désastreux. Ce modèle a servi à neutraliser la pression de la classe ouvrière face à la poussée néolibérale qui a commencé avec l'ère Thatcher, Reagan, etc. et a permis d'adapter l'agression néolibérale à l'Espagne avec des mesures identiques mais certifiées avec l'approbation de la "gauche". Il semble que les autres voies possibles de transition vers un autre régime post-franquiste aient été délibérément bloquées afin de garantir la domination mondialiste sur l'Espagne et de parvenir à sa neutralisation effective. Vous savez: un concurrent de moins. Pour faire de la nation la triple colonie qu'elle est aujourd'hui. Je répète: colonie des États-Unis, de l'UE (Allemagne) et du Maroc. Il y avait beaucoup d'argent pour que Felipe monte sur le podium et fasse de l'Espagne un eunuque, un impuissant. Un pays de serveurs de café et de bars de plage, un abreuvoir où les étrangers peuvent s'enivrer et vivre du manège aux dépens des impôts d'une maigre classe ouvrière, et d'une classe moyenne en déclin.

Les Asturies, ma nation charnelle, étaient un laboratoire. Et ceux d'entre nous qui l'ont vécu dans les années 80, face à cette neutralisation brutale à laquelle nous étions soumis, devraient toujours l'avoir à l'esprit. Dans les Asturies, jusqu'en 1978, il y avait une culture du travail bien ancrée. Travail dans la "casería", la ferme régionale typique des Asturiens, et travail dans les mines et dans l'industrie. Il s'agissait souvent d'un travail de qualité, exigeant une préparation et une responsabilité maximales, qui se traduisait par des revenus élevés, un haut niveau d'éducation et de culture, etc. Mais l'héritage de l'INI devait être démoli, ainsi que la précieuse tradition d'autosuffisance asturienne qu'était la "casería". Les fameuses reconversions socialistes ont mis fin à tout cela. Aujourd'hui, dans ma patrie, il y a beaucoup de "beodos", les parasites de la "paguita", les singes réfractaires au travail et à l'effort tirés par le PSOE et Podemos. Presque personne n'a plus d'enfants dans les Asturies. Gijón, la ville où je suis né, est pleine d'excréments dans les rues. Vous pouvez difficilement marcher sur les trottoirs sans y mettre les pieds. Il y a plus de chiens que de personnes. Et eux, les quadrupèdes, ont plus de droits que les enfants, ils s'approprient les parcs jusqu'à ce qu'ils deviennent dangereux.

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Il y a de nombreuses années, nous avons essayé d'articuler une réponse spécifiquement asturienne à la décadence en dehors de certains "syndicats de classe" qui faisaient partie du problème et non de la solution. Rien à faire. Bien sûr, rien à faire de la part des secteurs "nationalistes" : peu nombreux mais avec un niveau très élevé en matière de stupidité. Et rien de la "droite", complètement engagée dans le néolibéralisme, indissociable des socialo-communistes, c'est-à-dire de ceux qui ont permis la destruction des secteurs stratégiques de l'industrie et de la campagne. Les autochtones élèvent des chiens, et les étrangers sont les seuls à remplir les jardins d'enfants. J'ai appelé cela "génocide" il y a de nombreuses années. Et j'ai été traité d'exagérateur et supprimé de "Wikipedia" (ce dont je suis reconnaissant aujourd'hui). Le problème existe lorsque les personnes elles-mêmes admettent d'aller à l'abattoir, de leur plein gré et avec le petit drapeau rouge à la main. Les Asturiens, comme la plupart des Espagnols, ont accepté d'aller à l'abattoir. Ce que j'ai vécu dans les Asturies au cours de ces "années décisives", je le vois maintenant dans le reste de l'Espagne. Ceux qui collaborent avec ce régime veulent que nous soyons une colonie, que nous nous laissions envahir, que nous existions comme un peuple castré prêt à être remplacé, et que nous soyons vidés de notre sang par les vampires néolibéraux, les seigneurs de l'argent. Laissez-les profiter de ce pour quoi ils ont voté.

La privatisation des entreprises publiques, l'incorporation de l'Espagne dans l'OTAN, l'intégration à l'Union européenne, le soutien aux mouvements indépendantistes périphériques peuvent-ils être considérés comme des jalons pour parvenir à la subordination de l'Espagne au grand capital?

Bien sûr qu'ils le peuvent. C'est ce que je pense depuis des années. Le colonialisme et la subordination des pays au 20e siècle ont été réalisés fondamentalement par le biais de la subordination financière et des instruments économiques. Et avec le chantage économique, nous, les Espagnols, qui ne devrions jamais oublier l'humiliation et les arts perfides de la bête américaine en 1898, sommes entrés dans l'orbite yankee. Nous, qui avons assisté impuissants à un génocide comme celui des Philippines (un million de morts), dès que l'indépendance a été obtenue par une ruse yankee : la mort programmée d'un million de personnes qui, un peu plus tôt, étaient les Espagnols d'Asie... L'indépendance devrait tirer ces leçons de l'histoire. En Europe de l'Est et dans les Balkans, la Bête a également apporté (et apporte) un génocide.

Que sont nos frères des Amériques depuis qu'ils se sont séparés de l'Espagne ? Esclaves des Yankees, pour la plupart. Leurs républiques se sont-elles améliorées sous le joug anglo-saxon ? Les deux empires anglo-saxons ont toujours été à l'origine de la fragmentation de l'Hispanidad. Tous les anciens Espagnols (Philippins, Américains, Guinéens, Sahraouis) devraient voir ce que leurs "republiquets" sont devenus. Si Madrid leur avait imposé un joug, c'était sans aucun doute un joug plus doux que celui imposé par les Américains. Bordels, casinos et parcs d'extraction de matières premières, esclaves dans l'âme, tel est le destin des ex-espagnols. Outre la puissance du dollar et de l'euro franco-allemand, il y a la puissance du pétrodollar et l'inspiration du croissant de lune. Laissez-les continuer, laissez-les continuer. Ce qui les attend, c'est de tomber dans la poubelle de l'histoire. Les alliés parlementaires du Dr Sánchez qui veulent plus de républiques basques et catalanes, qu'ils continuent sur cette voie.

La gauche espagnole est-elle un rara avis, ou est-elle une partie active d'un processus de dissolution de l'Europe?

Il y a de l'espoir pour une révolte du peuple travailleur et entreprenant, pour un abandon de la nauséabonde "idéologie exaltant les minorités", pour un rejet absolu de l'idéologie post-moderne inventée dans les universités américaines sous une certaine patine post-moderne et structuraliste française. Si elle n'abandonne pas bientôt la folie du génératisme, de la maurophilie, du suivisme moutonnier de l'Agenda 2030, etc., la gauche espagnole se dissoudra dans le néant et la crasse, en même temps que la dissolution de l'identité espagnole elle-même. Cette gauche fera partie du problème, l'agent causal du mal. Si, en revanche, elle revient à la défense du travailleur, du petit entrepreneur, du paysan, il y a une lumière au bout du tunnel.

Le concept marxiste d'aliénation ne se heurte-t-il pas frontalement aux politiques de la gauche européenne, qui s'acharne à défendre bec et ongles le turbo-capitalisme?

Si Marx a parlé d'aliénation, il a parlé d'une "perte de l'essence humaine". Marx est inscrit dans le meilleur et le plus classique de la philosophie (il n'était pas seulement hégélien, il était aristotélicien: l'ousia, l'essence que l'humanité sous le capitalisme perd). Mais cette gauche postmoderne d'aujourd'hui, majoritairement achetée par le Capital, est relativiste et nihiliste. Il n'y a pas d'essence, donc il n'y a rien à perdre. Ils ont décrété l'abolition de l'homme (et de la "femme"). Nous sommes des "choses" qui peuvent être "accordées", modifiées et "déconstruites", telles sont les barbaries qu'ils nous disent. Il n'y a pas de plus grande aliénation que d'être le champion d'un système qui vous anéantit. Les plus aliénés du système sont ceux qui, étant manipulés, instrumentalisés par des élites dont l'idéologie n'est autre que de faire de l'argent, se consacrent à transmettre l'idéologie aux autres et à s'idéologiser eux-mêmes. Le seigneur de l'argent n'a que faire du transgenderisme, de la culture de l'"éveil" et de l'"annulation" (= woke, cancel culture), de l'idéologie lauclaudienne ou du post-marxisme. Ce qu'il veut, c'est augmenter le nombre d'idiots afin de continuer à empocher des bénéfices.

Lorsque je lis certaines choses sur des sites de pseudo-gauche (CXTX, El Salto, El País...), je ne peux que me sentir triste. Beaucoup d'entre eux, auteurs ou lecteurs, sont jeunes. S'ils s'étaient appliqués à leurs études, ils auraient pu remettre en question un grand nombre d'absurdités qui leur ont été enseignées dans les cours universitaires et dans des livres rabâchés. Beaucoup d'entre eux se seraient consacrés à la procréation au lieu de dénigrer les mères et les femmes au foyer. S'ils avaient appris un métier ou s'ils avaient préparé un concours, ils cesseraient de traîner sur les réseaux sociaux ou dans les couloirs des facultés de politique en essayant de "se faire aimer", à la recherche du grand subventionneur, ce dont beaucoup d'entre eux rêvent vraiment : ils rêvent de vivre sans travailler. Beaucoup de ceux qui dénigrent aujourd'hui ceux qui pensent, produisent, procréent et entreprennent, se verront dans quelques décennies comme ce qu'ils sont presque aujourd'hui : vieux avant l'heure, abandonnés par un Système qui les a trompés, un pouvoir qui les a entraînés dans une tranchée de guerre qui n'aurait jamais dû être creusée. Ce sont les zelenskis que nous avons à chaque coin de rue, dans chaque commentaire de profil social, dans chaque critique qui n'en est pas une. Quelqu'un les a encouragés à s'engager dans une guerre médiatique dont ils sont d'avance les perdants. Pendant ce temps, les seigneurs de l'argent, qui ne sont ni de gauche ni de droite, ils sont simplement les seigneurs de leur argent, se frotteront les mains. Vieux et sans enfants, sans amour et entraînés par leur nihilisme, les ex-progressistes de demain seront comme des zombies. Morts dans la vie, qui se rendront compte trop tard qu'ils sont devenus les abatteurs d'un moulin à vent, le fascisme, mais abatteurs eux qui, très végétaliens, ne goûteront pas la viande.

La gauche semble avoir oublié l'économie et s'est tournée avec armes et bagages vers le libéralisme le plus débridé. Est-ce peut-être cette reddition qui justifie qu'ils se vendent maintenant à nous comme des combattants d'un fascisme inexistant ? Ne serait-il pas plus vrai de reconnaître que l'ennemi actuel de l'Occident est le capital sans patrie, sans nom, qui envahit et contrôle tout ?

Les termes sont tellement usés et dépassés qu'ils ne servent plus d'insulte ou d'injure. Elle est déjà "fasciste" ou "pro-russe" ou "populiste" ou "rojipardo" (= "rouge-brune") tout ce qu'ils déplorent. Tant de personnes déplorables vont constituer toute l'humanité à l'exception de cette élite très curieuse. Tant de Nazbols seront produits par ce progressisme qui vit à l'ombre de ce système universel d'exploitation et de domination, que leur élitisme et leur suprémacisme n'en seront qu'accentués et qu'ils deviendront les vrais nazis. Ils traceront une frontière : moi et les déplorables. Une minorité dérisoire dicte déjà comment ceux d'entre nous qui ont de sérieux doutes et objections à ce genre de progrès et à cette dérive d'un R78 qui n'est rien d'autre qu'une vente au rabais de la nation doivent penser et ressentir. Ils ne font que soutenir le libéralisme le plus débridé (un libéralisme qui contredit la propriété privée et la méritocratie, les axes du libéralisme classique et raisonnable), avec ses extravagances, et ils sont prêts à défendre les plus grandes absurdités idéologiques pour que cela ne se remarque pas. Felipe a su être un néo-libéral dans la pratique et un socialiste en surface. La progredumbre post-Sanchez aura du mal à cacher ses excroissances.

Le capital n'a pas de pays. Les travailleurs et la terre le font. Les post- et anti-marxistes de la gauche post-moderne ignorent les bases de l'inter-nationalisme. La lutte pour nos droits se déroule dans un cadre national. Il s'agit d'une "question" nationale. Il est insensé de ne pas comprendre cela. Il est insensé d'identifier le mondialisme et l'internationalisme.

La lecture de votre livre "Le marxisme n'est pas de gauche" permet de conclure que la gauche est passée de l'agnosticisme théologique à l'agnosticisme de la réalité. La défense de l'idéologie du genre, le mouvement d'annulation et sa défense de la mémoire historique sont-ils des manifestations de cet éloignement de la réalité ?

Oui, c'est un détachement de la réalité provoqué par l'absence même d'une ontologie, d'une théorie de la réalité. La gauche post-moderne est intellectuellement indigente et ignore complètement la philosophie classique. Il est urgent de la désintoxiquer des féministes, des animalistes, des structuralistes, des post-structuralistes et de tout le reste. Étudiez Platon, Aristote, Saint Thomas, Kant, Hegel, Marx... avec rigueur, et arrêtez avec les folies car, si vous finissez par les croire, vous finissez par détruire toute la culture et ruiner l'humanité. Je répéterais également ce que j'ai entendu tant de fois de la part de mon professeur, Don Gustavo Bueno : "Je suis un thomiste et un marxiste". On apprend toujours des grands. Puissent les futurs dirigeants du travail, de la lutte sociale, de la justice souveraine, entendre un jour : "nous sommes thomistes et marxistes". Il y a une réalité, et nous devons ramener la politique nationale et mondiale à la réalité. Cela signifiera que la politique aura mis l'économie à genoux, que le facteur travail domine le facteur argent et que l'homme sans entrave qui ne travaille pas ne méritera pas de manger. Nous avons besoin de quelque chose comme ce que Perón appelait une "communauté organisée". Le capitalisme veut créer des réalités virtuelles, véritable opium pour le peuple, pour vivre sur un tas de fumier mais en même temps pour croire ce que Bill Gates met dans votre cerveau, des petites fleurs rouges dans les prés de printemps. Face à cela, l'ontologie des combattants sociaux est une ontologie communautaire et une philosophie de la praxis. Une ontologie réaliste de l'être social : la polis qui se fait et se refait pour la rendre plus vivable et plus humaine.

Il semble que sur la scène politique officielle de l'Occident, seul ce que certains appellent le "progressisme" soit désormais représenté. Y a-t-il un espoir de reconstruire l'homme, la famille et les nations ?

Ma révision particulière du marxisme peut ressembler en partie à ce que certains appellent la "troisième position". Ni l'individualisme libéral, ni le collectivisme. Mettre un frein à tout excès de libéralisme. Du libéralisme classique, je retiens les droits naturels : la vie, la propriété privée résultant du travail et de l'épargne, la liberté de conscience et d'initiative. Peu d'autres choses. Du communautarisme je retiens la communauté organique et organisée, un peuple uni autour du facteur travail, la première école des lettres et des métiers étant la famille, sanctuaire inaliénable, composée d'hommes, de femmes et d'enfants. Du communisme, j'abolis la lutte des classes et je parle d'entente entre les classes afin de forger à nouveau un peuple unifié et souverain, qui est doté d'organisations démocratiques mais non partisanes et qui sait reconnaître les vrais leaders qui le représentent. Un peuple qui possède son destin et sait d'où il vient. L'amendement à la totalité du progressisme doit être radical, complet et étranger à la partitocratie et au néolibéralisme.

samedi, 30 avril 2022

Comment les États-Unis ont façonné une gauche à leur convenance

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Comment les États-Unis ont façonné une gauche à leur convenance

Source: https://misionverdad.com/globalistan/como-eeuu-formo-una-izquierda-su-medida

Pour s'opposer à l'Union soviétique, au socialisme et au communisme, le gouvernement américain a largement recouru à des armes idéologiques secrètes, finançant une gauche "saine" pour la sauvegarde des intérêts du capitalisme dans le monde.

Une question bien documentée récemment abordée par le journaliste Benjamim Norton afin de souligner que l'intervention de Washington a été une question clé dans les divisions de la gauche occidentale, amenant des groupes censés être affiliés aux idées primordiales du socialisme à s'opposer à l'anti-impérialisme ou à soutenir ouvertement les politiques impériales.

Se tourner vers la "gauche non communiste" et la financer

Dans la première moitié du 20e siècle, après les deux guerres mondiales et après que le succès de la révolution russe et les réalisations de la construction du socialisme en Union soviétique soient devenus évidents, de nombreux intellectuels américains et européens se sont tournés vers les théories socialistes et le communisme de Marx, Engels, Lénine et Staline, et l'influence du libéralisme de droite a diminué. Cette situation a suscité l'inquiétude des groupes de pouvoir dans les pays occidentaux qui pilotent le cours du capitalisme, notamment aux États-Unis.

Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, les projecteurs se sont braqués sur le communisme, ennemi numéro un de l'Occident, et la guerre froide a commencé. Le gouvernement américain et les agences de renseignement ont compris que la meilleure façon de combattre les communistes était de recruter des personnes qui étaient mécontentes du projet mais qui professaient encore des affinités avec les idéaux de gauche. Cela a donné l'image que l'opposition au communisme n'était pas seulement exprimée par les réactionnaires.

La stratégie consistant à s'appuyer sur des "gauchistes non communistes" est devenue un élément central des opérations politiques anticommunistes dans la seconde moitié du 20e siècle.

Tous les chemins mènent au gouvernement américain

Ben Norton mentionne des cas spécifiques et influents qui ont résulté des opérations secrètes de Washington visant à saper le développement d'un bloc pour affronter le capitalisme. Parmi eux se trouvait Herbert Marcuse (photo), un intellectuel allemand d'origine juive qui a gagné le titre de "parrain de la nouvelle gauche", une gauche qui ne représentait aucune menace pour les entreprises et leur agenda international.

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Si Marcuse est devenu célèbre, c'est parce qu'il a travaillé pour l'Office of Strategic Services (OSS), l'organisation qui a précédé la CIA. À l'origine, il a été engagé par les services de renseignement américains pour enquêter sur le nazisme en Allemagne, mais après la Seconde Guerre mondiale, il a continué à travailler pour eux sur des recherches contre l'Union soviétique. Selon les recherches de Norton, ses "critiques" des politiques soviétiques étaient financées par le gouvernement américain. En fait, l'un des livres les plus connus de Marcuse, Le marxisme soviétique, était basé sur des recherches financées par l'OSS et le Département d'État.

Norton mentionne également Carl Gershman comme une autre figure qui expose l'intervention du gouvernement américain dans les divisions de la gauche occidentale. Gershman était l'un des dirigeants des Social Democrats, USA (SDUSA), un parti né de la scission du Socialist Party of America (SPA), et a ensuite été président du NED depuis sa fondation jusqu'en 2021.

La guerre culturelle et certains de ses produits

Entre le 25 et le 29 avril 1966, le New York Times a publié une série d'articles révélant que, pendant plus de 15 ans, la CIA avait financé des dizaines de magazines culturels dans le monde entier, créant ainsi un puissant réseau d'influence sur la gauche. Au centre de ce travail se trouvait le "Congrès pour la liberté culturelle" (CCF), fondé en 1950.

Le système mis en place par la CIA lui a permis de financer un grand nombre de projets secrets. À son apogée, le Congrès pour la liberté culturelle avait des bases dans 35 pays, toutes les capitales européennes, ainsi qu'au Japon, en Amérique latine, en Inde, en Australie, aux Philippines, entre autres.

Dans son livre The CIA and the Cultural Cold War (1999), l'historienne britannique Frances Stonor Saunders note qu'"il y avait très peu d'écrivains, de poètes, d'artistes, d'historiens, d'universitaires ou de critiques dans l'Europe d'après-guerre dont les noms n'étaient pas liés d'une manière ou d'une autre à cette entreprise secrète".

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La "guerre culturelle" déclenchée par la CIA avait un objectif à grande échelle : détourner les intellectuels européens de leur sympathie pour l'Union soviétique et imposer les valeurs culturelles américaines au monde. Les principaux théoriciens de ce mouvement, James Burnham et Irving Kristol, ont par la suite travaillé à façonner le néo-conservatisme, un courant politique sur lequel s'appuient les politiciens américains qui prônent la guerre comme solution aux conflits internationaux, sur la base de l'idéologie suprématiste selon laquelle les États-Unis sont une "nation indispensable".

Le forum fondateur du Congrès, qui s'est tenu à Berlin-Ouest en 1950, a réuni les principaux écrivains, philosophes, critiques et historiens occidentaux de l'après-Seconde Guerre mondiale : Karl Jaspers, John Dewey, Bertrand Russell, Benedetto Croce et Arthur Schlesinger Jr. pour n'en citer que quelques-uns.

Le travail efficace du CCF dans la création et le parrainage de revues littéraires et politiques prestigieuses a fait de la CIA un acteur clé dans la formation idéologique du peuple. Il s'agit notamment de The New Leader (États-Unis), Partisan Review (États-Unis), Paris Review (France), Der Monat (Allemagne), Mundo Nuevo (Amérique latine) et de nombreuses autres publications qui étaient considérées comme des références en matière d'opinion et de critique sur la gauche occidentale.

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Aujourd'hui, les mêmes personnes politiques et les mêmes réseaux financiers utilisent exactement les mêmes méthodes pour obtenir des résultats similaires dans la promotion d'une gauche utile, que ce soit au niveau international, avec des intellectuels devenant commodément "anti-guerre" lorsqu'il s'agit de l'opération de dénazification de la Russie en Ukraine et pointant du doigt "l'autoritarisme" de la Chine lorsqu'elle prend des mesures pour se protéger face à des menaces avérées d'armes biologiques ; ou au niveau de la région latino-américaine, avec des groupes de gouvernements "désillusionnés" dans des pays comme Cuba, le Nicaragua et le Venezuela, qui finissent par collaborer, qu'ils le sachent ou non, avec l'impérialisme dirigé par les États-Unis.

Toutefois, c'est la composante idéologique qui a prévalu au fil du temps, lorsque l'argent n'est pas nécessaire pour acheter les consciences. Il est notoire, comme dans le cas de la gauche espagnole, qu'il n'est pas nécessaire de dépenser de grosses sommes d'argent pour mettre les intellectuels et les créateurs au service de l'agenda de l'OTAN. Car même la banalité et l'atomisation intellectuelle dans le domaine des idées, de la formation et de l'information, ainsi que les opérations psychologiques à grande échelle, ont atteint la cible des positions de beaucoup qui justifient la volonté anglo-impériale sur la formation d'un monde multipolaire et la dignité.

- Nous sommes un groupe de chercheurs indépendants qui se consacrent à l'analyse du processus de guerre contre le Venezuela et de ses implications mondiales. Depuis le début, l'utilisation de notre contenu est gratuite. Nous comptons sur les dons et les collaborations pour soutenir ce projet. Si vous souhaitez contribuer à Mision Verdad, vous pouvez le faire ici: https://misionverdad.com/donate

mercredi, 16 février 2022

La gauche et les ouvriers: la vie des autres

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La gauche et les ouvriers: la vie des autres

Fabian Schmidt-Ahmad

Source: https://jungefreiheit.de/debatte/kommentar/2022/die-linke-und-der-arbeiter/

C'est une impressionnante démonstration de force. La capitale du Canada, Ottawa, a déclaré l'état d'urgence, le Premier ministre Justin Trudeau se cache depuis des jours, le gouvernement titube. Les camionneurs, qui doivent maintenir l'approvisionnement dans ce pays rude et peu peuplé, ont rejoint la capitale en convois gigantesques. Comme leur bras puissant le veut, des milliers de roues sont à l'arrêt depuis des jours ; en même temps, une vague de solidarité submerge la nation.

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Ce qui a commencé par une obligation de vaccination pour les transports transfrontaliers s'est transformé depuis longtemps en une protestation contre la restriction des libertés, dont les justifications sont de moins en moins compréhensibles pour les citoyens. Une période troublée qui, pourrait-on penser, devrait être un moment fort pour la gauche politique. Ici, l'ouvrier, le camionneur, qui traînait jusqu'ici sur sa selle la superstructure culturelle d'une classe chic improductive et qui lui fait désormais sentir la réalité.

Mais à quelques exceptions près, le regard des politiques de gauche sur les énormes "road trains" qui se faufilent dans les rues est craintif, voire ouvertement hostile. Car ils sont depuis longtemps devenus partie intégrante du "monde chic".

Le monde idéologique de la gauche

Ce qui amène les gauchistes dans la rue, en revanche, a rarement à voir avec le monde de l'ouvrier. Lorsque des justiciers "woke" protestent à Berlin contre le gaspillage alimentaire en bloquant des bretelles d'autoroute, il est fort probable que l'artisan énervé qui les fait sortir de la chaussée soit leur premier contact avec la classe ouvrière. Comment en est-on arrivé à une telle aliénation ? Il faut pour cela plonger dans les profondeurs idéologiques.

Selon la conception marxiste, les rapports de production déterminent la conscience humaine. Si ceux-ci changent, une nouvelle classe sociale apparaît avec sa propre conscience. Qu'y a-t-il donc de plus proche que de changer les conditions par une compréhension rationnelle des forces sociales dans un acte révolutionnaire, de telle sorte qu'une nouvelle classe humaine avec une conscience supérieure puisse être cultivée ?

Les tentatives de la gauche de s'immerger dans la réalité pratique de la vie ont toutes échoué. La conséquence n'a pas seulement été la mort et la misère par millions. Ce qui a été encore pire pour la théorie, c'est que cette nouvelle conscience n'est tout simplement pas venue. L'homme soviétique, à peine libéré des contraintes socialistes, est redevenu un Russe, un Estonien, un Polonais, qui invoque devant lui et devant le monde la sainteté de la famille, l'amour de la patrie et la bénédiction divine sur tout.

Des conditions réelles non découvertes

De toute évidence, Karl Marx et ses partisans n'avaient pas découvert les conditions réelles, mais quelque chose d'autre. A savoir une méthode d'accumulation du pouvoir qui flatte la vanité humaine et assure ainsi une subsistance rémunératrice. L'intellectuel de gauche était né, qui apporte essentiellement du bavardage sur le social et attend en retour d'être pris en charge par certaines parties productives de la société.

La conscience qui ne pouvait que se former à partir de cette relation - et ce, selon l'hypothèse de la gauche - est celle du comédon. L'intellectuel de gauche espérait un bond en avant, par la force de son esprit, pour la société. En réalité, il fait reculer celle-ci d'un cran.

Son mode de vie n'est pas celui de l'ouvrier, ni celui du capitaliste, mais un réseau de dépendances personnelles, d'obligations, de faveurs. Un échange de postes et de privilèges, une surveillance et des pots-de-vin réciproques. En bref, c'est la vieille société féodale qui connaît actuellement une renaissance sous la forme de l'État des partis. Les valeurs de la bourgeoisie ne sont plus que des décors de façade.

Seule l'appartenance à un groupe est valable

L'égalité devant la loi n'est plus valable, mais seulement l'appartenance à un groupe que l'intellectuel de gauche attribue aux autres. C'est aussi ce statut, couplé à la soumission au parti, qui permet d'accéder à la prospérité. En revanche, ce que l'on apporte concrètement à la société n'intéresse pas plus le seigneur féodal que le sacrifice de ses serfs. Le nouveau mercantilisme, c'est autant de capitalisme que nécessaire, autant de socialisme que possible, pour l'optimum de la communauté captatrice de rentes et de subsides.

Il y a pourtant une différence avec l'Ancien régime : cette classe pouvait encore s'enorgueillir d'un passé où elle a sans doute produit les plus hautes fleurs culturelles de l'humanité, avant de s'effondrer, vidée de sa substance. Mais vers quelles hauteurs l'intellectuel de gauche doit-il regarder ? Tout en lui est mensonge, même la prétention d'être intellectuel. Car pour ignorer toutes les absurdités et les contradictions des théorèmes de gauche, il faut déjà avoir un talent pour l'entêtement conceptuel.

Nourri par l'exploitation

Si l'intellectuel de gauche était honnêtement stupide, il aurait pu, avec une modestie socratique, repousser les limites de son intellect par un travail acharné. Mais sa vanité hautement cultivée empêche cette prise de conscience. "Les contradictions de ta pensée", lui chuchote-t-elle à l'oreille, "ne sont pas l'expression d'un échec, mais d'une conscience supérieure, dialectique, que ton entourage est trop limité pour saisir". Et tu n'as donc pas besoin de le lui expliquer.

C'est ainsi que vit l'intellectuel de gauche, un fœtus âgé dans le sac amniotique, nourri par l'exploitation. Il remercie gentiment les puissants et aboie contre tous ceux qui trouvent cet ordre de domination injuste. Si l'absolutisme s'est appuyé sur un sacerdoce décadent pour se protéger idéologiquement, l'intellectuel de gauche en est le descendant laïc.

Les sociétés occidentales se nourrissent encore du travail constructif de leurs ancêtres, mais tout est fini. Dans un climat aussi dur que celui du Canada, les échecs ne se manifestent que plus rapidement qu'ailleurs. Il peut alors arriver à l'Ancien régime que des colosses d'acier fassent vrombir les façades vitrées des immeubles comme des animaux préhistoriques enragés. L'intellectuel de gauche contemple cette agitation avec étonnement. Et quelque part dans sa peur, un pressentiment de réalité se fait jour.

JF 7/22

jeudi, 02 décembre 2021

La bataille culturelle contre le progressisme : elle ne peut être menée avec des prémisses communes à ce même progressisme!

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La bataille culturelle contre le progressisme: elle ne peut être menée avec des prémisses communes à ce même progressisme!

Par Juan Manuel de Prada

Ex: https://kontrainfo.com/batalla-cultural-al-progresismo-no-se-puede-combatir-con-premisas-compartidas-por-juan-manuel-de-prada/

La droite rappelle souvent la nécessité de mener une "bataille culturelle" contre le progressisme rampant, une expression destinée à dépeindre une sorte de dérapage de combat culturel, journalistique et médiatique dans lequel deux visions du monde radicalement opposées se battent pour l'hégémonie culturelle. Cependant, pour mener une telle bataille, il faut se battre avec des principes tout-à-fait opposés à ce progressisme, des principes qui proposent une alternative radicale (non pas parce qu'ils sont extrémistes, mais parce qu'ils vont à la racine des problèmes qui sont en jeu). Lorsque cela ne se produit pas, lorsqu'il n'y a pas adoption de principes radicalement opposés, la bataille des droites est inévitablement perdue.

Dans ces "batailles culturelles" grotesques, auxquelles nous assistons trop souvent, la droite arrive toujours armée du concept de liberté propre au libéralisme, armée de munitions idéologiques se référant aux droits individuels du libéralisme, à la vision anthropologique du libéralisme, etc. Et puis le progressisme rampant n'a plus qu'à utiliser ces principes à son avantage, les faisant siens, les adaptant à ses intérêts et les développant jusqu'à des extrêmes que la droite timorée n'avait jamais soupçonnés. Et puis, après avoir développé de tels principes, la droite s'insurge contre ce qu'elle appelle, de manière absurde, le "marxisme culturel", qui n'est rien d'autre qu'un libéralisme cohérent. Car le libéralisme, avec son principe émancipateur, crée le terreau de toute l'ingénierie sociale qui convient au progressisme pour construire un " ethos " hégémonique... auquel, à la traîne, les champions de la droite finissent par se rallier, même s'ils en adoptent toujours une version atténuée ou honteuse.

Certains de ces champions ne s'y associent pas du tout, mais s'engagent plutôt dans des escarmouches sur certaines questions qui exacerbent les antagonismes sociaux de la manière la plus formidable qui soit. Tout comme la gauche utilise les immigrants, les féministes ou les écologistes comme "sujets révolutionnaires" pour poursuivre son assaut contre le pouvoir, les champions de droite de cette deuxième version de la "bataille culturelle" utilisent le mouvement pro-vie ou les classes moyennes appauvries.

Mais cette modalité de la "bataille culturelle", tout en utilisant ces groupes sociaux comme béliers, envenime et réarme les détracteurs, générant ainsi une dissociation empoisonnée par un essaim de haines. Cette dissociété polarisée effraie d'ailleurs les tièdes, qui finissent par succomber aux chants des sirènes du progressisme, qui établit toujours où se trouve la modération.

Ces deux modes de "bataille culturelle" sont complètement ineptes, aussi cosmiques que soient leurs douloureuses querelles intestines. Pour mener une véritable "bataille culturelle" contre le progressisme rampant, on ne peut pas y aller avec des prémisses communes, car cela favoriserait un grotesque méli-mélo idéologique qui finit par être le ferment qui favorise l'hégémonie du progressisme.

La seule "bataille culturelle" possible ne peut être menée qu'à partir de prémisses philosophiques, politiques et anthropologiques opposées aux idéologies concurrentes ; et ces prémisses ne sont fournies que par la pensée traditionnelle.

lundi, 08 novembre 2021

Droite et gauche, depuis 1989, les deux bras du rouleau compresseur néo-libéral

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Droite et gauche, depuis 1989, les deux bras du rouleau compresseur néo-libéral

Les nouvelles gauches fuchsia et post-marxistes finiront par devenir l'emblème même, culturellement et politiquement, du turbo-capitalisme gagnant!

Par Diego Fusaro

Ex: https://www.tradicionviva.es/2021/11/07/derecha-e-izquierda-desde-1989-los-dos-brazos-del-monstruo-neoliberal/

Tant à droite qu'à gauche, les gens ont été incapables, par myopie ou par mauvaise foi, de saisir la véritable signification historique de 1989 comme le triomphe du capitalisme américain contre toutes les formes de résistance culturelle, politique et économique. Dans la seconde moitié du 20ème siècle, le soi-disant "néo-fascisme" a largement pris la forme d'une ressource de normalisation atlantiste et anti-soviétique servile, fonctionnelle parce qu'il abandonnait toute résistance anti-impérialiste et participait au reflux complet de la droite vers le capitalisme gagnant. Une dynamique convergente de domestication des intelligences critiques avait eu lieu à gauche ; une dynamique destinée à culminer dans l'actuelle reconfiguration globale de la gauche comme front avancé de la post-modernisation capitaliste, avec la centralité incontestable de la privatisation et de la libéralisation individualiste des coutumes et de la consommation.

Grâce à une métamorphose kafkaïenne, les nouvelles gauches fuchsia et post-marxistes finiront par devenir l'emblème même, sur le plan culturel et politique, du turbo-capitalisme gagnant. Preuve en est que la Nouvelle Gauche post-marxiste, qui - comme toute force libérale - est également anticommuniste et antifasciste, aurait repris toutes les batailles du cosmo-mercantilisme après 1989, adhérant pleinement au projet de libéralisation privée dans la sphère économique, d'impérialisme éthique made in USA en politique étrangère, de dé-souverainisation au profit de la Banque centrale européenne dans la sphère politique.

Les mots de Tacite s'inscrivent dans cette course générale vers la servitude: at Romae ruere in servitium consules, patres, eques... En ce sens, il est toujours bon de rappeler comment, aujourd'hui encore, le secteur de la gauche constitue le front le plus avancé pour la dé-souverainisation et la sanctification du projet de l'Union européenne. Sur ce plan incliné, qui les amènerait à se redéfinir comme ce que Gramsci a combattu tout au long de son existence, les gauches fuchsia et arc-en-ciel, traîtresses à Marx et au projet anticapitaliste, sont en fait devenues de manière cohérente des formes articulées pour se maintenir à bonne distance du peuple et antithétiques aux intérêts matériels des travailleurs.

De la lutte contre le capital, la gauche est passée à la lutte pour le capital, se redéfinissant comme un parti glamour et individualiste, culturellement libertaire, politiquement anti-étatiste et privatiste, économiquement libéral et compétitif, géopolitiquement atlantiste : "Je me sens plus en sécurité en restant de ce côté, sous le parapluie de l'OTAN", avait déjà improvisé Enrico Berlinguer en 1976, révélant l'adhésion déjà presque totale de la gauche démo-phobe - comme de la droite - à l'ordre de la mondialisation américano-centrique et, dans ce contexte, anti-soviétique. Cette déclaration, qui condense l'embryon de la reddition de la gauche à l'atlantisme, gauche qui était en train de se redéfinir comme post-marxiste, peut pratiquement être considérée comme un achèvement de la déclaration du secrétaire du parti Refondation communiste, Paolo Ferrero, dans le journal "Liberazione" du 9 novembre 2009 : la chute du mur de Berlin "était un fait positif et nécessaire, à célébrer" (sic !). Les paroles de Ferrero, dans ce contexte, auraient pu être les mêmes que celles de n'importe quel politicien de foi libérale ferme. Non seulement cela, mais, comme cela a souvent été souligné, le secteur de la gauche s'est révélé incapable d'offrir une réponse forte et plausible à la crise du paradigme keynésien, sans parler d'une véritable alternative à celui-ci. Qui plus est, il s'est retrouvé directement à "gérer la crise du capital pour le compte du capital" : et ce sur le plan incliné qui le conduira, après 1989, à se hisser au rôle insoupçonné d'espace politique privilégié pour la représentation des intérêts des classes dominantes.

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La figure de Berlinguer constitue en effet un carrefour décisif dans le processus de métamorphose de la gauche marxiste et de sa normalisation libérale et atlantiste, tel qu'il finira par se réaliser après 1989 dans la nouvelle gauche malheureuse et sans conscience, celle des porte-drapeaux de l'Union européenne. Togliatti avait fait une revendication gramscienne de la souveraineté nationale comme base de l'internationalisme et de la "voie nationale vers le communisme" (s'opposant avec la même force à l'OTAN et aux projets d'intégration européenne). Il était aussi clairement conscient du conflit structurel entre le capital et le travail.

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Pour sa part, Berlinguer abandonne la référence à la souveraineté nationale des communistes, optant pour la voie de l'eurocommunisme et de l'ouverture cosmopolite (plutôt qu'internationaliste), mais aussi pour la subordination de la nation italienne à la monarchie du dollar ("le parapluie de l'OTAN"). Berlinguer a ainsi posé les bases de la redéfinition ultérieure de la gauche comme force de soutien à l'Union européenne et à cette ouverture cosmopolite qui était, de facto, l'ordre symbolique de la classe dominante et qui, dans l'imaginaire de la nouvelle gauche, réoccuperait pleinement l'espace précédemment occupé par la lutte des classes et la question du travail.

De plus, Berlinguer a remplacé de manière perverse la question sociale du conflit entre le capital et le travail par la "question morale", qui non seulement n'a rien de marxiste (puisque le marxisme considère la société du capital comme intrinsèquement corrompue, quelle que soit la conduite morale des agents individuels). De plus, elle a fini par ouvrir la voie, à son grand regret, à la fois à l'anti-keynésianisme qui marquera plus tard le quadrant de gauche comme la nouvelle force privilégiée du libéralisme après 1989, et à la perte, de la part de la gauche, de toute référence à la question socio-économique et au conflit de classe associé.

Article publié en italien sur https://avig.mantepsei.it/single/destra-e-sinistra-dal-1989-sono-le-due-braccia-del-mostro-neoliberale 

jeudi, 04 novembre 2021

Bonnal et la Gauche Caviar

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Bonnal et la Gauche Caviar

Le Coup de Gueule de Nicolas Bonnal, la rubrique de Café Noir enregistrée le mardi 2 novembre 2021.
 
 
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jeudi, 14 octobre 2021

Le charme éphémère du nationalisme de gauche

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Le charme éphémère du nationalisme de gauche

par Winfried Knörzer

Ex: https://wir-selbst.com/2021/08/15/der-fluchtige-charme-des-linksnationalismus/

Le nationalisme de gauche combine des éléments, des écoles de pensée et des tendances politiques qui sont généralement considérées comme opposées et incompatibles. Cette complexio oppositorum lui confère un attrait intellectuel élevé qui le rend particulièrement attrayant pour les intellectuels non conformistes et non conventionnels. Un tel être hybride est appelé chimère dans l'histoire de l'art, une expression qui n'est pas injustement utilisée dans le langage courant pour désigner des entités qui présentent le caractère de l'irréel. Le sort de ces créatures mythiques est que lorsqu'elles se matérialisent par quelque magie et apparaissent dans la réalité, elles se volatilisent en peu de temps.

Je ne veux pas développer ici des déductions abstraites, ni nier que d'autres choses soient possibles, mais seulement analyser ce qui s'est réellement passé. Tant que l'on reste dans la tour d'ivoire de la théorie, on peut penser et écrire beaucoup de choses; seule la réalité politique montre la valeur d'une position politique. Il faut partir du fait que les groupes nationalistes de gauche ont toujours été une petite minorité. Dès qu'ils ne se sont plus contentés d'écrire quelques traités et tracts, mais ont voulu agir politiquement, le processus suivant s'est régulièrement produit: au moment de l'épreuve, le nationalisme de gauche est plongé dans un tourbillon, et l'unité originelle mais toujours fragile se dissout. Les fragments du nationalisme de gauche sont alors attirés par la masse d'un objet plus grand et se fondent en lui. Le nationalisme de gauche, bien que brillant comme une comète, s'avère trop petit pour suivre son orbite de manière indépendante. À un moment donné, il est pris dans le champ gravitationnel d'une planète, plonge dans son atmosphère et se consume. Si la gauche est suffisamment forte et si, à un moment donné, pour une raison ou une autre, elle présente d'une manière ou d'une autre une orientation "nationale", cela attirera le nationalisme de gauche; le cas historiquement plus fréquent est, bien sûr, que le nationalisme de gauche tombe sous le charme de la droite (1).

images.jpgEn ce qui concerne la première possibilité, je me réfère uniquement au courant dit "de Scheringer" du KPD. Le KPD lui-même n'a jamais été vraiment nationaliste, il n'en présentait pas toutes les conditions; doté d'une direction idéologiquement peu originale et dépourvue de souveraineté en termes de personnalités, il a toujours écouté, comme un chien fidèle, la voix de son maître, le PCUS. Il a joué la carte nationaliste uniquement pour des raisons tactiques. D'une part, il voulait semer la confusion dans le camp des opposants, enfoncer un coin dans le "front contre-révolutionnaire". D'autre part, il avait montré qu'il ne pouvait pas réaliser le grand renversement avec ses propres forces, à savoir des parties de la classe ouvrière. Il cherche donc de nouveaux alliés, d'une part pour accroître sa base de masse, qui concerne surtout son agitation dans les milieux paysans (Landvolkbewegung vers 1930) et petits-bourgeois, d'autre part pour recruter des spécialistes importants (théoriciens "bourgeois" pour la propagande, officiers pour l'expansion de l'organisation militaire).

Les nationalistes de gauche comme Richard Scheringer, Bodo Uhse, Bruno von Salomon, Beppo Römer, qui étaient arrivés à la conclusion que la bourgeoisie ne pouvait pas contribuer au salut national, tombèrent sous le charme du KPD. Mais dès qu'ils ont adhéré à ce parti, ils ont été soumis à la ligne de celui-ci et la voix de leur nationalisme, lorsque le vent a tourné à nouveau et que les drapeaux noir-blanc-rouge avaient été rangés au grenier, s'estompait sans être entendue dans les bureaux de l'appareil du parti.

L'autre possibilité, historiquement plus courante, est incarnée de manière paradigmatique par les premiers fascismes. Mussolini était le chef de file de l'aile radicale et révolutionnaire du parti socialiste italien avant le début de la première guerre mondiale. Peu après le début de la guerre, il préconise l'entrée en guerre de l'Italie aux côtés de l'Entente. L'Italie est neutre à ce stade, bien qu'elle soit nominalement alliée aux puissances centrales. L'enthousiasme de Mussolini pour la guerre ne se nourrit pas encore de motifs nationalistes, mais découle d'une stratégie résolument de gauche. D'une part, il n'aimait pas les puissances centrales "réactionnaires", mais d'autre part, il espérait que l'aggravation de la constellation politique intérieure résultant de la guerre créerait une position de départ favorable au déclenchement d'une révolution. Cependant, par sa propagande belliqueuse, il s'aliène le parti pacifiste et finit par être exclu. Avec un groupe de personnes partageant les mêmes idées, les "Interventionnistes de gauche", il a fondé son propre mouvement politique, avec pour centre son journal Popolo d'Italia. Au fil du temps, il gagne de nouveaux alliés, les Futuristes (un groupe d'artistes modernes numériquement peu nombreux mais influent) et les membres des troupes d'élite (les "Arditi", comparables mentalement et physionomiquement aux Freikorps allemands), avec lesquels il lance le premier "Fascio" en mars 1919. Ce fascisme précoce aurait été relégué au rang de note de bas de page dans l'histoire de l'Italie - sous la rubrique des sectes politiques et des partis dissidents - si l'agitation communiste n'avait pas eu lieu.

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Afin de contrer la prise de pouvoir menaçante des communistes, des fasci locaux, alliances protectrices contre-révolutionnaires, soutenues et financées par les grands propriétaires terriens et les notables locaux, se forment, de manière totalement indépendante du quartier général de Milan, surtout dans les campagnes. Afin de ne pas perdre complètement le contrôle et de ne pas sombrer dans l'insignifiance, Mussolini prend le train en marche, mais cela signifie qu'il doit s'adapter à un mouvement soutenu par un groupe de personnes complètement différent et partant de prémisses complètement différentes. En l'espace de deux ans, le fascisme avait complètement changé : un mouvement nationaliste de gauche, révolutionnaire, anti-bourgeois, socialiste modéré, était devenu un parti nationaliste de droite, contre-révolutionnaire, soutenant la bourgeoisie.

Ernst Niekisch a connu une évolution similaire à celle de Mussolini en Allemagne. Les deux hommes se sont d'ailleurs rencontrés au milieu des années 1930, et dans leur conversation, ils ont également reconnu leur passé marxiste commun. Mussolini dit à Niekisch: "Ce n'est pas vrai, il faut être passé par l'école du marxisme pour posséder une véritable compréhension des réalités politiques. Celui qui n'est pas passé par l'école du matérialisme historique ne reste toujours qu'un idéologue" (2). Dans la première moitié des années 1920 - à l'époque, il était encore un fonctionnaire social-démocrate - Niekisch avait avancé une conception peu orthodoxe et nationaliste de gauche. L'oppression de l'Allemagne par les puissances bourgeoises victorieuses sous la forme du traité de Versailles a directement affecté les chances de vie de la classe ouvrière allemande. La bourgeoisie s'est montrée incapable ou peu désireuse de lutter contre cet état de fait. Il en a donc tiré la conclusion que la lutte sociale de la classe ouvrière doit aller de pair avec la lutte de libération nationale. Il est compréhensible que ses idées soient tombées dans l'oreille d'un sourd dans la social-démocratie. À la recherche d'une base organisationnelle servant de courroie de transmission pour ses idées, il se tourne d'abord vers un groupe de jeunes socialistes à vocation nationale, le Hofgeismarkreis, et vers un groupe dissident de droite du SPD limité à la Saxe, l'Altsozialdemokratische Partei. Aucun des deux groupes n'a cependant eu une longue vie. Tout en radicalisant son cours vers un nationalisme pur (3), Niekisch s'engage de plus en plus dans la voie de la droite authentique. Aux côtés d'intellectuels de droite tels que les frères Jünger, Albrecht Erich Günther, Franz Schauwecker, Alfred Bäumler, il s'appuie sur des groupes issus du milieu des anciennes associations de Freikorps et de la jeunesse bündische. À la fin des années 1920, ce développement était terminé. Si l'on feuillette les numéros de son magazine Widerstand, celui-ci ne diffère en rien des autres publications typiquement de droite, si ce n'est par la radicalité du nationalisme poussé à l'extrême. On y trouve des publicités de la maison d'édition interne de la résistance, qui publie des livres d'auteurs bourgeois-conservateurs tels que Othmar Spann et Wilhelm Stapel. Publicités pour des mémoires de guerre et des livres sur Ludendorff, critiques positives de biographies de Bismarck et d'ouvrages sur la race, gloses anti-pacifistes et antisémites, etc.

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Contrairement aux affirmations des études sur le processus de "construction de la nation" qui sont devenues populaires ces dernières années, il faut supposer l'originalité d'un amour profondément enraciné de sa propre personne (autophilie). Cette caractéristique commune est essentiellement la patrie. La portée de ce concept varie naturellement. En raison de l'absence de moyens de transport et de communication, à l'époque, le terme désignait inévitablement l'environnement immédiat: clan, village et ville, campagne. Ce n'est que grâce aux progrès des technologies de communication et de transport, mais aussi à l'importance croissante des techniques de socialisation abstraites et idéalistes, désormais transmises par l'éducation et non plus par l'expérience directe, et à la prise de conscience des points communs linguistiques, culturels et historiques, que l'expansion de ce sentiment d'appartenance à la patrie tout entière est devenue possible aux 18e et 19e siècles. Cette extension du sentiment originel de patrie à l'ensemble de la patrie est généralement appelée patriotisme. Le patriotisme est un complexe de motivation qui est encore pré-politique. Le nationalisme apparaît lorsque le patriotisme devient politique, c'est-à-dire lorsqu'il se transforme en un mouvement contre des ennemis internes ou externes. La distinction patriotisme/nationalisme correspond à la distinction de Karl Mannheim entre traditionalisme et conservatisme. Le traditionalisme est l'attachement pré-politique, pour ainsi dire inconscient, aux coutumes et traditions traditionnelles, le conservatisme le mouvement conscient, politique et militant contre la modernité.

Ce patriotisme originel et naturel appartient à l'essence de l'être humain originel, fait partie de son sentiment naturel. Cependant, le potentiel moteur naturel est toujours modifié et sur-formé par des tendances superposées. Cela peut conduire à un déplacement de la pulsion partielle autophile vers d'autres objets, par exemple non pas vers la nation en tant que telle, mais uniquement vers l'équipe nationale de football. Plus une personne est impliquée dans certains contextes sociaux, plus une solidarité de groupe se développe, qui remplace alors l'autophilie originelle. L'affiliation à des partis ou à d'autres groupes est alors le principal facteur de motivation. Un fossé s'ouvre alors entre la solidarité de groupe socioculturelle et l'autophilie originelle, qui se manifeste par un conflit d'intérêts entre le "partisan" et le citoyen moyen. Cela est devenu particulièrement clair pendant la révolution d'Allemagne centrale. Tandis que les intellectuels s'enivraient de modèles compliqués et irréels de "troisième voie", le peuple voulait la réunification. Un autre exemple, plus pertinent dans notre contexte:

Au printemps 1921, les insurgés polonais ont occupé une grande partie de la Haute-Silésie. La population allemande de Haute-Silésie est abandonnée par le gouvernement du Reich, qui craint la réaction des pays étrangers. Contre la résistance des autorités officielles, les troupes de volontaires des Freikorps parviennent néanmoins à pénétrer en Haute-Silésie et à repousser l'attaque polonaise. Les unités de ces troupes sont massivement entravées sur le chemin vers la Haute-Silésie par les employés des chemins de fer communistes et sociaux-démocrates, et les plus grandes unités sont même empêchées d'avancer par la SiPo (police de sécurité) du gouvernement social-démocrate de l'État prussien. En revanche, dans les villes de Haute-Silésie, les travailleurs communistes et sociaux-démocrates ont combattu côte à côte avec les soldats nationalistes de "droite" des Freikorps. Alors que l'autophilie s'est imposée chez les personnes directement impliquées, c'est-à-dire que le potentiel d'entraînement l'a emporté sur la sur-formation socioculturelle du parti, la loyauté au parti a prévalu chez les personnes de gauche sur le territoire du Reich, car leurs actions n'étaient pas déterminées par leurs liens avec la patrie en danger.

Cet exemple de "défense prolétarienne de la patrie" mérite la plus grande admiration, mais il n'indique en rien l'existence d'un nationalisme de gauche. La résistance à l'invasion polonaise est une expression de l'autophilie originelle et non le résultat d'une attitude résolument politique. Comme le géant Antaios, cette attitude tire sa force de la terre natale et diminue donc proportionnellement à la distance spatiale du point d'origine et temporellement avec le déclin de la menace aiguë. En revanche, les soldats des Freikorps, dont certains sont venus d'aussi loin que l'Autriche, sont de "vrais" nationalistes, car pour eux le "réveil de la nation" est un facteur de motivation principal dans leur vie, indépendamment de l'espace et de l'occasion. Cette lutte pour la patrie n'est donc ni gauchiste ni nationaliste, car elle est motivée par des forces de motivation qui trouvent leur origine dans des domaines de motivation dans lesquels les distinctions politiques n'entrent pas.

On pourrait objecter qu'il y a eu des mouvements nationalistes de gauche couronnés de succès, comme à Cuba et au Vietnam, Nasser, le parti Baath, et peut-être l'IRA. On peut dire ce qui suit à ce sujet :

chebol.jpgTout d'abord, il faut se demander si la nation représente réellement le point de référence central et la valeur politique la plus élevée pour ces mouvements. À mon avis, c'est plutôt la révolution socialiste-communiste qui est le facteur décisif dans ces pays. La nation ne fournit que le cadre de référence territorial du projet révolutionnaire, qui, dans un second temps, vise à porter son propre modèle au-delà des frontières nationales (cf. l'expérience bolivienne de Che Guevara, l'extension du régime communiste au Cambodge et au Laos).

Deuxièmement, ce nationalisme de gauche doit être considéré dans le contexte de la lutte de libération anticolonialiste. Pour s'émanciper des puissances coloniales ou des régimes de gouvernants qu'elles ont mis en place, il n'y a d'abord pas d'autre objet à libérer que la nation. Tout d'abord, la souveraineté sur son propre territoire devait être établie à l'extérieur, afin de pouvoir ensuite réaliser la révolution socialiste à l'intérieur.

Une telle constellation, caractéristique du tiers monde, ne peut que difficilement être construite pour la RFA. On perdrait grotesquement le sens des proportions si l'on voulait décrire sérieusement - et non dans un sens métaphorique polémique bien utile à la propagande - la République fédérale comme une république bananière. Il y a un monde de différence entre la colonisation culturelle (cette expression n'est-elle pas déjà une métaphore ?) par McDonald's et Hollywood et la colonisation réelle qui a eu lieu au XIXe siècle. Chacun a la liberté de manger un sandwich à la saucisse au lieu d'un hamburger et de lire Goethe au lieu de regarder Spielberg ; mais les Noirs devaient saluer le drapeau britannique et travailler dans les mines et les plantations pour les maîtres blancs. C'est pourquoi les gauchistes originels et les nationalistes de gauche n'ont jamais réussi à faire croire au peuple qu'il vit dans une colonie américaine. Cette thèse, même si elle contient une bonne part de vérité, correspond moins aux faits qu'au besoin de transférer l'élan nationaliste de libération en Allemagne. On a simplement besoin d'un ennemi pour pouvoir se libérer de quelque chose. Mais ce n'est qu'un nationalisme réactif. Le vrai nationalisme, en revanche, consiste à croire en la nation, non pas dans la séparation d'avec l'autre, mais dans le fait d'être soi-même, dans la réalisation de son propre.

Troisièmement, comme il n'y a pas de système de partis déjà fermement établi dans ces "jeunes États", le nationalisme de gauche ne peut pas du tout être pulvérisé entre les puissants blocs de gauche et de droite.

Les attitudes de gauche et de droite à l'égard de la nation diffèrent par la pondération opposée de la relation fins/moyens. Pour la droite nationaliste (4), la nation est toujours une fin et une méthodologie de "gauche" socialiste est un moyen d'atteindre une fin (intégrer la main-d'œuvre dans l'État et créer une véritable Volksgemeinschaft, ou soumettre l'économie à la volonté de l'État dans le sens d'une "mobilisation totale").

Pour la gauche, en revanche, l'invocation de la nation n'est le plus souvent qu'un moyen d'atteindre certains objectifs dans une situation historique concrète. Elle part de la question: qui est l'ennemi principal, peut-il être frappé efficacement par un engagement nationaliste ? Toutes les entreprises nationalistes de gauche sérieuses ont toujours eu lieu autour des luttes anti-impérialistes: dans la lutte pour la Ruhr en 1923, il s'agissait de repousser l'invasion de l'impérialisme français, et lors du débat sur le désarmement au début des années 1980, une faction nationale-pacifiste de gauche a émergé pour s'opposer à l'impérialisme américain. Une telle situation, dans laquelle sa propre nation devient l'objet d'une puissance impérialiste étrangère, ouvre la possibilité d'une orientation nationaliste pour la gauche, car face au danger de la victoire de l'impérialisme et de l'établissement de formes de pouvoir massives et manifestement soutenues par l'armée, qui font craindre une exploitation encore plus oppressive de la classe ouvrière nationale, l'union avec les forces nationalistes apparaît comme un moindre mal.

Sur la base de cette constellation, il serait tout à fait concevable de faire "un petit bout de chemin" (comte v. Reventlow) ensemble. Mais cette constellation n'existe plus. La gauche a mis de côté la lutte contre le capitalisme et l'impérialisme et combat le nationalisme au nom d'un universalisme moral. La gauche au sens classique du terme, en tant que représentant de la classe ouvrière, n'existe plus. Le travailleur, qu'elle vénérait autrefois comme un dieu descendu sur terre, n'est plus évoqué que par des expressions de mépris - pour elle, le travailleur a dégénéré en petit bouffon. La gauche a fait la paix avec le capitalisme, elle fait désormais partie intégrante d'un immense "juste milieu" qui a enrobé l'appel classique à "s'enrichir" du vernis passéiste, favorable à l'asile, etc. avec un vernis d'"hypermoralité" (A. Gehlen) qui allège le poids sur la conscience. Dans cette vision du monde, aussi économiste que moraliste, les sujets collectifs, que ce soit la nation ou la classe ouvrière, ne trouvent plus leur place. L'individualisme dépouille les êtres humains de leurs caractéristiques liées au groupe ; dans leur pure qualité abstraite d'être humain, tous les êtres humains apparaissent alors comme égaux. Pour ceux qui le croient, il n'y a aucune raison de principe de préférer un Allemand au chômage à un Indien affamé, puisque tous deux sont également humains. Avec l'abandon de la lutte contre le capitalisme, que la gauche ne veut plus abolir, mais seulement encadrer écologiquement et "clientélistement" (en privilégiant les femmes, les homosexuels, les cyclistes, etc.), le terrain a été enlevé à la coopération entre la gauche et la droite.

Le capitalisme est la véritable force internationaliste qui dissout toutes les particularités nationales et remplace les siennes par une offre de biens uniformisée au niveau mondial. L'universalisme moral est son réflexe idéologique. Tout comme le capitalisme réduit les relations sociales à des relations d'échange abstraites, l'universalisme moral réduit la diversité concrète de l'humain, transmise historiquement, à une relation juridique abstraite. L'universalisme moral est la chaîne d'or avec laquelle le capital international lie la gauche à lui-même. Un nationaliste de gauche doit briser cette chaîne afin de retrouver la nation. Dans les rangs des nationalistes, il retrouvera le travailleur allemand et la "nostalgie anticapitaliste" (Strasser) à laquelle la gauche libérale-extrémiste d'aujourd'hui a dit adieu. Après l'effondrement du socialisme, la lutte contre le capitalisme ne peut être menée que depuis la droite, depuis une position nationaliste.

Notes:

(1) D'innombrables traités ont déjà été écrits sur la distinction entre la gauche et la droite. Devant l'impossibilité de trouver des signes distinctifs irréfutables, certains, en désespoir de cause, ont proposé d'abandonner complètement les termes "gauche" et "droite". La plupart des gens, cependant, ne se soucient pas de ces difficultés analytiques et situent leur propre position politique dans le schéma gauche/droite sans aucun problème significatif. Cette classification n'est pas le résultat d'une activité intellectuelle consciente - par exemple, en la comparant à un tableau d'énoncés doctrinaux stocké dans sa tête - mais d'une sorte de reconnaissance esthétique, sans concept. Par exemple, quelqu'un qui distribue du matériel de propagande politique dans une zone piétonne n'abordera pas tous les passants sans discernement, mais seulement ceux qu'il soupçonne d'être réceptifs à son propre message. Des signaux partiellement minimaux émis par la coiffure, les vêtements, l'expression du visage et la démarche se combinent pour former l'image d'un profil de personnalité auquel correspond une attitude politique. En d'autres termes, la plupart des gens savent ou sentent très précisément ce qu'est la gauche et la droite, c'est pourquoi il n'y a aucune raison pour moi de m'écarter de cette compréhension quotidienne.

(2) Ernst Niekisch : Une vie audacieuse. Rencontres et résultats. Berlin, Cologne, 1958, p. 263, réédité par Bublies Verlag.

(3) Par nationalisme pur, j'entends une attitude qui fait de la nation le critère unique et exclusif de la pensée et de l'action politiques et qui subordonne tous les autres domaines de la vie tels que la culture, l'économie, l'éthique, etc. aux exigences du point de vue national.

(4) Il existe aussi, bien sûr, une droite internationaliste, mais il n'est pas nécessaire de s'y intéresser ici : l'internationalisme féodal de la solidarité de classe aristocratique (Metternich et la Sainte-Alliance), la communauté religieuse transnationale du catholicisme politique, le mythe européen occidental conservateur ou de nouvelle droite.
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Dr. Winfried Knörzer

Winfried Knörzer, né en 1958 à Leipzig, a étudié la philosophie, les études allemandes, les études des médias, les études japonaises à Tübingen et a passé son doctorat sur un sujet de l'histoire de la psychanalyse. Activités professionnelles : Rédacteur en chef, spécialiste de l'informatique. Il publie par intermittence depuis le début des années 1990.

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Die Neuerscheinung (Juni 2021): „Farben der Macht“ von Dr. Winfried Knörzer im Lindenbaum Verlag. Hier können Sie es direkt beim Verlag versandkostenfrei bestellen: https://lindenbaum-verlag.de/produkt/farben-der-macht-der-rechte-blick-auf-die-gesellschaft-der-gleichen-winfried-knoerzer/

 

 

jeudi, 30 septembre 2021

La gauche bornée contre Daniel Bernabé et Ana Iris Simón

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La gauche bornée contre Daniel Bernabé et Ana Iris Simón

Óscar Guardingo Martínez*

Ex: http://www.elespiadigital.com/index.php/tribuna-libre/35278-2021-09-14-16-04-54

La trampa de la diversidad de Daniel Bernabé et La Feria d'Ana Iris Simón, aux thèses opposées, ont essuyé des critiques furieuses en provenance de l'espace culturel de Podemos et de Más Madrid. Les deux auteurs ont été relégués à la position ambiguë de dissidents de gauche, tout en acquérant une certaine pertinence auprès du grand public.

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Le succès dont nous parlons est objectif: onze éditions de La trampa de la diversidad ont déjà été publiées (plus de 18.000 exemplaires), tandis que Feria a été publiée douze fois (40.000 exemplaires) et figure régulièrement sur la liste des "best-sellers" et dans les vitrines des gares et des aéroports. La première chose qui frappe, c'est l'énorme écart entre ce que la gauche condamne et ce que le public apprécie.

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La conclusion rapide est que culturellement, ainsi qu'électoralement, les militants de gauche vivent déconnectés du peuple, que ce soit en tant que public ou en tant que peuple. Les dizaines d'articles contre ces livres signés par des cadres de Podemos, des ex-tertulliens de La Tuerka et de Fort Apache et des experts convertis à l'environnementalisme ne semblent pas avoir réussi à porter la répudiation au-delà d'une bulle restreinte d'activisme urbain hyper-politisé. D'autre part, le succès commercial des thèses de Bernabé et de Simón - attention, parce qu'elles sont antithétiques l'une de l'autre - montre que les élites intellectuelles de la gauche espagnole sont culturellement "hors jeu". Le dernier épisode de ce désaccord de longue date a eu lieu cette semaine avec l'expulsion de Daniel Bernabé de la section Opinion de Público, malgré le fait que ses textes aient été largement partagés et commentés.

Bernabé et Simón viennent de l'extérieur de l'intelligentsia de gauche parce qu'ils n'ont pas appartenu à ses cercles sociaux: ils n'ont pas participé à des fêtes universitaires avec ceux qui sont aujourd'hui "députés pour le changement", ils n'ont pas assisté ensemble aux mêmes concerts, ils n'ont pas partagé un appartement dans le quartier branché de Lavapiés à Madrid, ils ne se sont pas rencontrés pour dîner et ils ne se retrouvent pas tous les jours dans des chats sur Telegram. C'est pourquoi beaucoup de ceux qui sont "prédestinés" par leur famille et leur formation au rôle d'intellectuels organiques de gauche estiment que, d'une certaine manière, ces deux auteurs issus du barrio ont usurpé un espace qui ne leur correspond pas, l'espace qui était réservé à ceux qui les remettent aujourd'hui en question.

De quel espace parlons-nous exactement ? Succès commercial, collaborations pour la station de radio SER, interviews et chroniques dans El País. Tout cet espace est réservé à une classe supérieure progressiste de Madrid qui montre maintenant nos deux auteurs rebelles du doigt. La plupart des critiques adressées à ces deux écrivains proviennent d'écrivains qui ont passé toute leur vie à l'université et qui comptaient bien hériter de ces podiums. C'était un prix qui leur appartenait après une jeunesse tissée de radicalisme et de flirt avec la gauche sud-américaine (surtout la gauche argentine, plus raffinée, mais aussi le chavisme et l'indigénisme). Bernabé et Simón jouent le rôle d'imposteurs et de "squatters", lui, avec un passé de simple libraire et, elle, de journaliste précaire, qui a travaillé pour le magazine féminin Telva ainsi que pour le magazine de tendances Vice. Ils ne sont pas "de leur propre chef", et ils seront donc rejetés par les "prédestinés". Cependant, une telle condamnation est comme la fatwa des ayatollahs sans les fidèles.

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Le paquet idéologique de la gauche déclinante

Bien sûr, il ne s'agit pas seulement d'être étranger à la classe sociale de la jeune intelligentsia madrilène de gauche. S'il ne s'agissait que de cela, ce serait une simple question d'envie et de rancœur. Il y a aussi une question politique. Daniel Bernabé et Ana Iris Simón partent de positions antithétiques: Bernabé estime que l'heure est à la revanche contre le 15-M, qui, selon lui, a été une aberration pour la tradition de gauche. Simón, quant à elle, explique que la gauche a fini par s'approprier l'essence populaire (et populiste) du 15M pour son idéologie. Tous deux amendent de deux côtés le cocktail idéologique offert par la gauche espagnole aujourd'hui: "Féminisme, LGTBIQ+, Bienvenue aux réfugiés et un peu de travaillisme".

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Les détracteurs de ces deux livres sont l'élite intellectuelle typique de la gauche de notre pays: des trentenaires qui ont consacré leur jeunesse à la communication politique, pratiquant un populisme étranger au peuple espagnol, qui préfèrent importer leurs propres visions du péronisme. Maintenant qu'ils ont cessé de faire le V avec leurs doigts et de chanter des chansons argentines, ils ont mis à profit leurs titres académiques obtenus dans les meilleures universités britanniques et françaises pour défendre des paris aussi prévisibles et suivistes que d'embrasser l'environnementalisme la semaine où les sondages allemands donnaient Die Grünen (les Verts) vainqueurs, ou d'adhérer au socialisme radical le mois où Bernie Sanders a participé aux primaires démocrates. Ils ont tellement muté qu'il est difficile de les situer. Ils sont toujours du côté de la mode progressiste du moment: il y a dix ans, ils criaient que la jeunesse n'avait pas d'avenir, aujourd'hui ils sont de fervents adeptes du progrès et décrètent des condamnations culturelles contre quiconque ose dire que la génération qui a fait la grève du 14D vit mieux que la jeunesse d'aujourd'hui.

Ana Iris Simón a écrit un roman, mais il fonctionne aussi comme un essai. Du moins, parce qu'il a une thèse claire que l'auteur a répétée dans chaque interview: "J'envie la vie de mes parents". Et c'est à partir de cette thèse qu'elle s'est connectée à un très large public de jeunes qui envient la vie de leurs parents, mais aussi, selon les mots du communiste Felipe Alcaraz, "de parents et de grands-parents qui se promènent chaque jour avec les cadavres de travailleurs de leurs enfants et petits-enfants sur le dos".

Se demander si les jeunes de 20 ou 30 ans vivent moins bien que ceux qui avaient leur âge dans les années 1990 semble plutôt absurde. C'est un débat qui a été réglé - entre autres - dans les pages du fameux rapport Petras, l'étude sociologique commandée par le PSOE pro-Felipista et ensuite cachée dans un tiroir parce qu'il n'aimait pas les résultats, qui montraient comment ses politiques avaient détruit le marché du travail espagnol pour les générations à venir. Trente ans de néolibéralisme ne passent pas en vain: il suffit de constater qu'aujourd'hui les nouvelles pensions sont déjà plus élevées que les salaires les plus courants. À l'âge de 65 ans, votre chèque de pension est plus élevé que celui d'un travailleur actif d'une trentaine d'années.

Modifications de la gauche actuelle

La thèse principale de Feria est si solide que je suis sûr qu'il doit y avoir plus que les critiques de Simon. Bien sûr que oui : la Feria contient les ingrédients d'une mobilisation politique qui modifie le cocktail idéologique de la gauche que nous avons cité précédemment (rappelez-vous : "Féminisme, LGTIBQ+, Bienvenue aux réfugiés et un peu de travaillisme"). Le piège de la diversité aussi, mais pas tant pour avoir appelé à un projet qui dépasse les factions, mais à une redistribution du poids du paquet vers d'autres contenus: "Beaucoup de Labour, un peu de Welcome refugees et un peu de féminisme". Simon, en revanche, modifie l'ensemble de l'offre et propose les ingrédients d'un projet aux émotions politiques nouvelles. Les émotions dans son sens étymologique, c'est-à-dire quelque chose qui fait bouger, qui mobilise.

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La Feria offre des outils pour un nouveau populisme (le "isme" du peuple), mais pas en important un Perón qui, en Espagne, sonne martien, mais en assemblant des éléments populaires de notre nation: la nostalgie comme émotion face à un néolibéralisme qui a précarisé les vies en termes matériels (droits du travail et accès au logement), mais qui a aussi dissous les liens communautaires tels que l'amour de la patrie, de la famille et du parti, dans sa variante de la vie sociale au siège local, de l'espace de rencontre, de la camaraderie et de la formation d'une identité communautaire (c'est ainsi que sa famille paternelle vit le militantisme au sein du PCE). Elle a même osé aller un peu plus loin: elle est allée à l'église dès son plus jeune âge, au grand dam de son père athée. Feria exalte en fait les liens humains forts qui ont été affaiblis par les montagnes russes individualistes de la société de consommation.

Espagne et Ledesma Ramos

Il y a dans Feria un débordement de ce qui est permis par la gauche actuelle. Je fais référence à l'acceptation de l'Espagne de manière décomplexée, comme un pays qui appartient aussi aux gens ordinaires, ni meilleur ni pire qu'un autre après avoir accompli quatre décennies de démocratie. Alors que la gauche du PSOE maintient le tabou de ne jamais dire "Espagne" et remplace ce mot par des expressions telles que "l'État tout entier", Ana Iris Simón assume et embrasse l'Espagne. Les citations de Ramiro Ledesma Ramos ont été particulièrement controversées, bien que la personne citée dans le livre soit l'intellectuel Ledesma, une incarnation antérieure au politicien qui a fondé le syndicalisme de la Falange. La question se pose aisément : la gauche universitaire a-t-elle raison de lui faire des reproches ? a-t-elle une légitimité ?

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Déchirer ses vêtements pour avoir cité Ledesma Ramos dénote une indignation surfaite, qui n'est pas apparue lorsque la jeune écrivaine antisystème et lauréate du prix national de littérature Cristina Morales, applaudie et récompensée en permanence par la gauche (même par l'Injuve andalou en 2012), a fait exactement la même chose. Les citations continues de Carl Schmitt, juriste de premier plan aux temps du nazisme, communes aux intellectuels de Podemos (surtout Errejón et Monedero), ne semblent pas non plus poser de problème. En fait, Ledesma Ramos lui-même a toujours été dans l'ADN du message de Podemos. Peu de différences peuvent être trouvées entre les discours vibrants d'Iglesias et d'Errejón proclamant que "la patrie n'appartient pas à ceux qui ont des comptes en Suisse ou un siège à l'IBEX" et la célèbre citation de Ledesma Ramos selon laquelle "seuls les riches peuvent se permettre le luxe de ne pas avoir de patrie".

Mon problème avec Ledesma Ramos? Son aversion élitiste pour la participation politique des masses mettra toujours la gauche mal à l'aise, sans compter que son engagement dans la violence pour exterminer l'opposition l'invalide comme point de référence pour un projet national-populaire. C'est ce qu'a expliqué récemment le pape François: l'Espagne a besoin de réconciliation, ce qui ne signifie pas abandonner nos positions politiques mais entrer dans un processus de dialogue national.

En réalité, Ledesma ne plaît même pas à l'aile droite espagnole de 2021, qui, au lieu de soutenir l'esprit d'entreprise national, s'est lancée dans un programme grotesque de défense de la bourgeoisie de la Silicon Valley, de Wall Street et de Barcelone (le fondateur de Glovo, Oscar Pierre, est la quatrième génération d'un arbre généalogique de la bourgeoisie catalane). Le caractère anti-bourgeois de Ledesma semble incompatible avec une droite espagnole dominée par les cadres des quartiers de Salamanque et les étudiants de MBA.  Parfois, avec une pointe de sarcasme, on se demande si le syndicat Vox n'est pas au service du projet mondialiste de George Soros.

Le succès commercial de Bernabé et Simón, face au barrage lassant de critiques de la gauche universitaire, alors que le public populaire vibre du succès des deux livres, me rappelle ces critiques musicaux élitistes des années 2000 qui ne reconnaissaient pas les tubes de Juan Magán, même s'ils passaient en boucle dans les discothèques, les bars de plage et les fêtes de quartier. Après avoir surfé sur la vague d'indignation populaire en Espagne depuis 2011, la gauche du PSOE donne à nouveau l'impression d'être méfiante et déconnectée du peuple. Ces dernières années, son soutien s'est réduit à la taille de ses équivalents européens: entre 6% en Allemagne et 2,5% en Italie. C'est pourquoi je suis tenté d'utiliser le terme "shrinking left" pour les définir.

Aux antipodes de cet écrasement, des auteurs comme Daniel Bernabé et Ana Iris Simón parviennent à se connecter au goût et à la mentalité populaires. Ils le font parce qu'ils intéressent et émeuvent indubitablement les gens. Il faut les féliciter, même si la gauche déclinante peut le regretter, consternée par le fait que les goûts populaires d'aujourd'hui prennent des chemins très différents du projet qu'ils nous vendent, qui peut se résumer à "Féminisme, LGTBIQ, Bienvenue aux réfugiés plus un peu de travaillisme".

* Óscar Guardingo était un sénateur de Podemos. Il est maintenant revenu travailler dans l'usine de moulage par injection d'aluminium de la fonderie SEAT Componentes.

Source : Vozpopuli

 

mardi, 21 septembre 2021

Sur le speed-liberalisme et la gauche édulcorée

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Sur le speed-liberalisme et la gauche édulcorée

Diego Chiaramoni

Source: https://posmodernia.com/sobre-el-liberalismo-speed-y-la-izquierda-edulcorada/

Gabriel Marcel avait l'habitude de dire que la mode est la cousine germaine de la mort. Les avant-gardes, au-delà de la force impérative avec laquelle elles font irruption sur la scène artistique ou politique, portent toujours le germe de leur propre disparition. Les noms et les œuvres qui perdurent dans le temps survivent en raison du germe de vérité ou de beauté qu'ils portent et non pour le simple fait d'avoir été avant-gardistes. Lorsque l'on échange des idées avec le progressiste moyen, dans le scénario imposé du politiquement correct et en tenant compte des susceptibilités à fleur de peau, les seuls contre-arguments que l'on entend sont les suivants: "vous êtes arriérés", "les choses changent", "retournez au Moyen Âge", etc.

Nous pensons qu'il doit être vraiment triste de militer pour les idées d'aujourd'hui, sachant qu'elles n'ont aucune densité ontologique autre que leur nouveauté et que le simple passage du temps les pulvérise. Pourquoi mettre tant d'énergie à militer aujourd'hui pour quelque chose qui ne vaudra plus rien ? Bien sûr, c'est là le cœur du problème: les vérités ont à voir avec l'incarnation des valeurs et non avec le relativisme de l'époque; une femme sort de chez elle sans porter de jupon, mais lorsqu'elle croise un voisin, elle le salue quand même par un "bonjour". C'est la différence entre une marchandise soumise au temps et une valeur.  

La scène politique actuelle (et la métapolitique, comme le gaucho Alberto Buela aime à le dire dans notre aréopage), semble être déchirée entre deux positions: a) le libéralisme de la vitesse (le speed-liberalism), dont les nouveaux visages prennent le nom de "libertaires", et b) la gauche édulcorée, qui reprend certaines vieilles idées et les nouveaux chants des sirènes du progressisme moral. Analysons brièvement les deux positions:

speed-unlimited-energy-drink-boisson-energisante-taurine-1131516z0-00000075.jpgLe speed est une boisson énergisante très répandue chez les jeunes. La combinaison d'éléments chimiques tels que la caféine et la taurine donne au buveur (selon la publicité), concentration et performance. Le nouveau visage du libéralisme semble assumer les effets "bénéfiques" de cette boisson. Dans tous les débats publics, ses partisans affichent la musculature de leurs idées: culte de la liberté individuelle, bonté du capitalisme, mépris de la plèbe et réalisation de soi comme but suprême. Dans notre pays (nous faisons référence à l'Argentine), on a inventé deux caractéristiques que, noblesse oblige, nous pensons qu'il est important de souligner. D'une part, l'impudence vertueuse de gifler la classe politique qui infeste le Congrès, la Maison du gouvernement et les enceintes gouvernementales. En revanche, certains de ses représentants de renom ont défendu les valeurs de la famille, de la vie et de l'éducation sans myopie idéologique. De plus, face à la question de l'avortement, ces mêmes représentants ont élevé la voix face au silence pusillanime de nombreux "pasteurs" lâches.

Le problème de ce nouveau visage du libéralisme peut être résumé en trois points fondamentaux, à savoir:

A) Le culte de l'individualisme, conséquence logique du modèle d'homme adopté par la doctrine libérale. Cette vénération de l'individu au détriment du bien commun entraîne une rupture avec la notion de communauté, qui est la sphère de valeurs où la personne humaine trouve refuge et acquiert progressivement maturité pour l'épanouissement de son propre potentiel. Juan Perón l'a bien exprimé dans son texte de clôture du Congrès de philosophie tenu à Mendoza, en Argentine, en 1949, lorsqu'il a déclaré: "Personne n'est épanoui dans une communauté qui ne l'est pas".  Il est vraiment étrange que le libéralisme défende en même temps la liberté individuelle inviolable de la chambre et les valeurs morales de la vie commune. Depuis quand le libéralisme est-il le garant de l'orthodoxie morale du peuple ? Quand la vertu ne se cultive pas dans la solitude, elle ne peut pas non plus être le mortier de la vie communautaire, jamais cet homo duplex du libéralisme n'a conquis le paradis terrestre qu'il promettait.

B) Le capitalisme en tant que bienfaiteur de l'humanité, conséquence de son culte de l'argent comme bien suprême de la vie humaine. Le libéralisme dans sa version speed-libertaire analyse la réalité à partir d'une reductio à l'économie et en cela, ils sont solidaires de la doctrine à laquelle ils prétendent s'opposer: le matérialisme marxiste. La personne, élément substantiel de la communauté, est bien plus que ce qu'elle achète ou mange; elle est une hiérarchie de valeurs dans la complexité de sa vie spirituelle; elle est liberté, drame et désir de sens. Dans son culte du capital, le libéralisme impose un faux principe: le capitalisme assure une vie équilibrée, et de la même manière qu'il se répand et triomphe dans la société nord-américaine ou nordique, par propriété transitive, il doit aussi triompher en Argentine, au Mexique ou en Espagne. Bien sûr, le libéralisme ne comprendra jamais l'élément religieux qu'il porte dans son ADN, c'est-à-dire qu'il est le fruit de la Réforme qui, à l'aube de la Modernité, a fracturé l'unité spirituelle de l'Europe. Le capital semble être la forme ultime de la subjectivité moderne. Notre ethos culturel hispano-américain est réfractaire à cet esprit, car il existe une chose appelée idiosyncrasie, ou mieux encore, le profil spirituel des peuples, qui prend racine dans les trois éléments qui donnent naissance à ce que les Romains appelaient genius loci : le climat, le sol et le paysage. Les idéologies importées n'ont jamais contribué à la croissance d'un peuple, tout simplement parce que personne ne grandit à partir de ce qu'il n'est pas [1].

C) L'idée vacillante de la liberté, dépourvue de vision métaphysique. L'énergique libertaire de ces temps-ci pousse son cri sacré qui dit "Vive la liberté" ! Et à quoi se résume cette liberté ? C'est que chaque individu ne doit pas voir ses idées, et encore moins son porte-monnaie, mis sous contrôle. Bien sûr, mais la liberté est plus profonde, c'est un don qui appartient au domaine de l'esprit et qui est ordonné au bien. "Eh bien", dira le libertaire, "c'est du platonisme, et ici c'est l'Évangile selon Milton Friedman". L'autorégulation de l'homme par sa raison est aussi utopique que le paradis marxiste d'une société sans classes. Derrière la richesse d'un individu ou d'un État, il n'y a pas toujours un passé sans tache. Celui qui a entrevu, avec ironie et lucidité, les dessous cachés de cette doctrine est le prêtre Castellani, qui, se référant au libéralisme d'antan, qui, comme celui d'aujourd'hui, consistait en une sorte d'élan de jeunesse face à une foule de choses qui devaient mourir, lançait lui aussi le cri "Vive la liberté". Ce qu'ils ne savaient pas, dit Castellani, c'est que derrière cette Liberté dorée et rose du libéralisme, il y avait d'abord une erreur, puis une fiction, puis une hérésie; l'erreur de la liberté du commerce, la fiction de la souveraineté du peuple, et l'hérésie de la Religion de la Liberté - opposée à la religion du Christ mais dérivée de celle-ci" [2].

Voilà pour le nouveau visage du libéralisme, le speedisme libertaire. Face à cela, il existe une autre espèce, phénoménologiquement plus difficile à aborder bien que basique dans son déploiement militant: la gauche édulcorée. Lorsque la gauche n'était pas animée par une préoccupation sociale sincère, son moteur intime était le ressentiment. Le ressentiment est un phénomène psychique qui tire sa force de l'impuissance face à la valeur qu'il ne peut imiter et de la rébellion contre le réel qu'il ne peut changer ; c'est pourquoi le ressentiment est une "auto-intoxication psychique", comme l'a brillamment défini Max Scheler (3).

Avec la lente progression du capitalisme dans le monde, la gauche a progressivement perdu son sujet historique, le prolétaire en tant qu'acteur de la révolution, et dans cette éclipse, sa force vitale, sa "mystique", s'est également obscurcie. La "révolution" devait alors se faire par d'autres moyens et la gauche a opté pour la culture. Bien sûr, ce qui était au départ une contre-culture est progressivement devenu le bouffon le plus grotesque de l'oligopole financier international. La gauche actuelle, édulcorée, comme nous l'avons appelée, ne rougit même pas de parler de sa vocation anti-impérialiste et, en même temps, de prendre en charge toutes les causes des maîtres du monde. Et pourquoi cela? Parce que le ressentiment rend aveugle. Quelle différence entre cette gauche qui milite pour la mort prénatale et ce poète exalté, peut-être le meilleur de toute sa génération, Miguel Hernández, lorsque, dans les vicissitudes de la prison et de la mort, il s'accrochait à la vie qui grandissait dans un ventre: "sauf ton ventre, tout est sombre, sauf ton ventre, clair et profond".  Celui qui l'a vu avec des yeux aiguisés et une écriture fourchue, c'est Francisco Umbral, le meilleur chroniqueur espagnol des dernières décennies du XXe siècle et au-delà, car aujourd'hui encore, ce Paco continue de s'épanouir chez ceux qui imitent son style. Dans un article mémorable et polémique, prenant comme toile de fond les échos de la chute de l'URSS, Umbral, dans les pages d'El Mundo a écrit :

"Ici, en Occident, nous sommes très fiers de nos corruptions démocratiques, nous vivons quotidiennement la fagoterie d'une liberté qui n'est pas la liberté et nous pensons avoir fait la révolution parce que les homosexuels s'embrassent déjà sur la Gran Vía et la Cinquième Avenue à New York, mais pour moi, il est plus urgent de désencombrer la Gran Vía et la Cinquième Avenue des mendiants, des ressortissants du tiers-monde, des aveugles, des chômeurs avec des moignons et des pancartes et de faire quelque chose de vraiment social et juste avec eux" [4]. 

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La sincérité brutale d'un socialiste sentimental. De ces socialistes qui remplissaient les cafés de poésie, il ne reste rien d'autre qu'un casting de marionnettes progressistes au service de l'atomisation des peuples. 

Nous pensons que la vieille dialectique entre la gauche et la droite est désormais obsolète et que le labyrinthe peut être surmonté par le haut. Aujourd'hui, c'est l'identité contre le mondialisme, c'est la dignité du pain bien mérité et une table austère mais heureuse. Et nous croyons, parce que nous prêchons la dignité de la personne, ni le sujet sans visage ni le culte individuel de son propre ego, parce que nous croyons en une tradition qui ne vénère pas les cendres - comme disait Chesterton -, mais vit dans le désir de maintenir le feu allumé.

Notes:

[1] Voir : Jean-Paul II. Centesimus annus (1991)

[2] Leonardo Castellani. Essence du libéralisme. Ed. Nuevo orden, Buenos Aires, 1964 : p. 7.

[3] Voir : Max Scheler : El resentimiento en la Moral. Espasa-Calpe, Buenos Aires, 1938.

[4] Francisco Umbral. Los placeres y los días. El Mundo : 14/01/1992.