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jeudi, 05 mai 2022

Le code sacré d'Hollywood

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Le code sacré d'Hollywood

par Andrea Zhok 

Source : Andrea Zhok & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/il-sacro-codice-di-hollywood

"L'Ukraine était bien plus qu'une guerre mentale en solo: c'était avant tout une guerre de mèmes, de canulars et d'opérations de psycho-information menée par une armée d'influenceurs, d'agences de relations publiques, de conseillers de l'OTAN et de la CIA, de stratèges politiques étrangers, de lobbyistes de Washington D.C. et [d'] un réseau de médias liés aux services de renseignement" (Extrait d'un article d'E. Pietrobon, dans Osservatorio Globalizzazione).

Maintenant, il ne fait aucun doute que l'Occident dirigé par les États-Unis a gagné la bataille de la propagande, de la publicité, de la persuasion médiatique, de la construction de modèles esthétiques, d'impressions et d'images sur toute la ligne depuis bien avant le conflit ukrainien.

Ce sont les États-Unis qui dominent l'imagerie véhiculée par ces porte-avions du consensus que sont Hollywood et les médias sociaux californiens, en passant par l'infotainment importé.

La victoire, cependant, a été si absolue, totale et durable qu'elle a maintenant créé un risque important, à savoir qu'elle n'est plus simplement un instrument de tromperie entre les mains de sujets machiavéliques, mais qu'elle a créé, après deux générations de triomphes, une bulle d'images et de croyances autoréférentielles dont vivent même les classes dirigeantes occidentales.

La question cruciale est de comprendre si le triomphe illimité de la persuasion et de l'imaginaire, indépendamment de toute capacité d'analyse de la réalité, est suffisant pour faire plier la réalité elle-même, pour la soumettre.

En Occident, du moins tant que les rayons des supermarchés resteront pleins, il est probable que le gouvernement de l'imaginaire suffise: les gens - du moins une grande partie d'entre eux - continueront à voir tout ce qui leur arrive uniquement à travers les spectacles médiatiques qu'on leur offre (comme ceux qui reçoivent un Covid dur avec trois doses de vaccin et remercient le ciel parce que "qui sait ce que cela aurait été sans cela").

Mais nous ne devons pas oublier que nos rayons de supermarché, ou notre pompe à essence, ne sont approvisionnés que parce que dans d'autres endroits reculés, il y a des millions de personnes qui se débattent la tête basse, et qui ne peuvent pas se permettre une déconnexion aussi totale que la nôtre entre la réalité avec laquelle ils fonctionnent et leur propre imagination. Ce n'est pas qu'ils soient étrangers ou immunisés contre le bombardement des porte-avions idéologiques américains, mais leur vie quotidienne les oblige à percevoir une certaine distance, une certaine abstraction, peut-être amusante.

Pour nous, Occidentaux, la victoire sur le gouvernement de notre imagination suffira à nous maintenir dans nos chaînes invisibles, et donc invincibles, mais il ne faut pas se leurrer, la réalité, avec sa dureté faite de travail, de sang, de sueur et de terre, n'aura pas le dernier mot.

Cela a toujours été le cas.

Et être "du côté du droit" selon le code sacré d'Hollywood et des influenceurs sur Instagram ne nous protégera pas du tout.

08:13 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : actualité, hollywood, persuasion | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

samedi, 12 janvier 2013

Connaissez-vous Vance Packard?

 
 

Connaissez-vous Vance Packard ? Il fut le premier, avec son ouvrage The Hidden Persuaders (1), à attirer dès 1957 l’attention du public sur les techniques de manipulation mentale. Vous savez, ces techniques que la loi antisecte a  finalement renoncé à interdire… peut-être parce qu’elles sont plus souvent utilisées par les publicitaires que par les sectes.

 

hidden.jpgEn 1964, il publie un autre ouvrage, Une société sans défense, sur la surveillance et le fichage de la population par la police, mais surtout par les entreprises, où cette fois il n’hésite pas à comparer la société dans laquelle il vit, l’Amérique des années 1960, aux œuvres d’anticipation de George Orwell et d’Aldous Huxley : 1984 et Le Meilleur des mondes.

Le temps a passé depuis mais les livres de Vance Packard, de George Orwell et d’Aldous Huxley n’ont rien perdu de leur actualité. Le monde dans lequel nous vivons correspond à peu de choses près à ce qui était à l’époque imaginé comme un cauchemar.

Pourtant une fausse note subsiste : la dictature que redoutaient Orwell et Huxley était d’inspiration soviétique, mais le “ totalitarisme tranquille ” (2)  que nous connaissons aujourd’hui est capitaliste. Hormis cela, tout correspond : l’œil des caméras de vidéosurveillance épie chacun de nos gestes, nous sommes au seuil d’une normalisation génétique, la voix des médias nous berce du lever au coucher dans la douce anesthésie d’un divertissement médiocre et nous assure que notre monde serait parfait sans la petite délinquance et la contestation politique. Ce divertissement insipide comme un sucre d’orge porte même un nom : le tittytainment. Ce terme inventé par Zbigniew Brzezinski, qui fut conseiller pour la sécurité nationale auprès de Jimmy Carter, est une contraction de entertainment (divertissement) et de tits (seins en argot américain). L’évocation des seins se réfère ici plus à leur fonction nourricière qu’érotique. L’idée de Zbigniew est que, dans un monde où 20 % de la population mondiale suffira à faire tourner l’économie, le problème des nantis consistera à doser le pain et les jeux qu’il leur sera nécessaire d’accorder à la majorité démunie afin qu’elle se tienne tranquille :

Un coktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettrait selon lui de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète (3).

 

C’est là que réside la différence entre le totalitarisme communiste et celui de nos “ démocraties-marchés (4) ” : l’ultralibéralisme a compris qu’il pouvait contenir par la douceur ses populations dans une aliénation passive que Staline cherchait à imposer par la force. Sylvio Berlusconi n’a menacé personne pour arriver au pouvoir, il a acheté des chaînes de télévision. Dans le roman de George Orwell, la population ne peut pas éteindre la télévision dans les appartements individuels. Dans l’Italie capitaliste, elle le peut, mais elle ne le fait pas. Et l’auteur du Meilleur des mondes l’avait déjà compris :

Aldous Huxley n’a-t-il pas écrit que le mot d’ordre devenu classique de Patrick Henry – la liberté ou la mort – paraîtrait aujourd’hui mélodramatique ? Nous l’avons remplacé, soutient-il, par des exigences d’un tout autre ordre : “ Donnez-nous des télévisions et des hamburgers, mais débarrassez-nous des responsabilités de la liberté (5). ”

vp1.jpgCe nouveau mot d’ordre sonne le glas de nos démocraties. Un exemple ? La disparition du commerce de proximité au profit de la grande distribution. Les grandes surfaces se sont imposées par la douceur et la séduction à nos habitudes de consommation. Des prix bas, une gamme étendue de produits et de services : le consommateur ne résiste pas. Pourquoi résisterait-il ? Il ne veut pas comprendre que, quand la grande distribution aura totalement éliminé le commerce de proximité et quand les fusions entre groupes auront abouti à un partage stable du territoire, les distributeurs n’auront plus aucune raison de se gêner pour augmenter subrepticement leurs marges commerciales… mais ils n’auront pas davantage de raisons de revenir contrepartie de cette augmentation au choix et à la qualité autrefois assurés par le commerce de proximité ! Ils auront imposé une implacable dégradation du service rendu aux consommateurs en éliminant la production artisanale et en exigeant de leur fournisseurs rapidité d’approvisionnement et quantités industrielles au détriment de toute qualité. Lorsqu’on est parvenu à s’assurer le monopole d’un marché et que tout boycottage est devenu impossible, on peut tout à coup démasquer ses longues dents et tirer une grosse marge bénéficiaire de mauvais produits.

Le choix de la grande distribution aura été effectué “ démocratiquement ”, comme celui de la télévision de Berlusconi. Les réactions des consommateurs ne sont pas difficiles à prévoir, elles font l’objet de tant d’investigations, d’études et de sondages que les pièges tendus par les experts du marketing font mouche à tous les coups. C’est pour cela que la démocratie est si facile à acheter.

L’ultralibéralisme a parfaitement compris que les méthodes staliniennes tant redoutées par Huxley et Orwell étaient aussi maladroites qu’inutiles : pourquoi contraindre brutalement les citoyens à une béate passivité alors qu’une connaissance plus approfondie de leurs comportements démontre qu’ils ne demandent que cela ? La population n’a nul besoin que l’aliénation soit obligatoire pour s’y adonner. Personne n’oblige encore les Italiens à regarder les chaînes de télévision de Berlusconi. Ce n’est que dans un second temps, quand tous les autres médias auront été éliminés, que celui-là deviendra obligatoire. Parce que la population préfère le divertissement à l’analyse, les grands groupes de presse et de télévision qui proposent un divertissement facile plutôt que des analyses sérieuses éliminent le journalisme d’investigation honnête et s’assurent progressivement un monopole de fait. Une fois ce monopole installé par le “ choix démocratique du marché ”, les informations indispensables à la vie quotidienne ne passeront plus que par ce vecteur unique et le rendront obligatoire. Après que nous lui aurons nous-mêmes souhaité la bienvenue, la dictature sera entrée par nos portes grandes ouvertes et se sera installée à notre table .

Philippe Laporte

Note :

(1) En traduction française : La Persuasion clandestine, Calmann-Lévy, 1958.
(2) André Bellon, Anne-Cécile Robert, Un totalitarisme tranquille, Syllepse, 2001.
(3) Hans-Peter Martin et Harald Schumann, Le Piège de la mondialisation, Solin – Actes Sud, 1997, page 13.
(4) Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs, Folio, 1999.
(5) Vance Packard, Une société sans défense, Calmann-Lévy, 1965, page 22.