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jeudi, 01 juillet 2021

De Platon à Packard: de la gestion du troupeau humain par les élites

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De Platon à Packard: de la gestion du troupeau humain par les élites

par Nicolas Bonnal

Hannibal a traduit Dean Arnold, auteur qui évoque la conspiration des élites à travers les âges ; en vérité nous en sommes toujours au même point. Il y a un troupeau et un berger qui veut en réduire le nombre ou en corriger le comportement. Ce berger ou philosophe-roi s’entoure de gardiens (les phulakes de Platon). Il est aujourd’hui aidé par l’ingénierie sociale massifiée et industrialisée. Le grand Vance Packard, auteur des Hidden persuaders (alias la persuasion clandestine), termine son livre effarant (encore plus effrayant que la Propagande de Bernays) par l’évocation du bio-contrôle. Et cela donne :

« Finalement - disons vers l’an 2000 — peut-être toute cette profondeur la manipulation de la variété psychologique semblera d'une manière amusante démodée. D'ici là, peut-être que les biophysiciens prendront le relais avec « bio-contrôle », qui est la persuasion en profondeur poussée à son paroxysme. Le bio-contrôle est la nouvelle science du contrôle des processus mentaux, réactions émotionnelles et perceptions sensorielles par des signaux bioélectriques. »

Packard enfonce le knout :

« La réunion de la National Electronics Conference à Chicago en 1956 a entendu l'ingénieur électricien Curtiss R. Schafer, du Norden- Ketay Corporation, explorer les possibilités surprenantes du biocontrôle. Comme il l'envisageait, l'électronique pourrait prendre le contrôle des indisciplinés humains. Cela pourrait épargner aux endoctrineurs et aux contrôleurs de la pensée beaucoup d'agitation et d'ennui. Il l'a fait paraître relativement simple. »

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Le cerveau humain est un outil :

« Les avions, les missiles et les machines-outils sont déjà guidés par l'électronique et le cerveau humain - étant essentiellement un ordinateur - peut l'être aussi. Déjà, grâce au bio-contrôle, les scientifiques ont changé le sens de l'équilibre des gens. Et ils ont fait des animaux avec le ventre plein, ils ont faim et ils ont peur quand ils n'ont rien à craindre. »

Et les conclusions sont terribles (je rappelle qu’on est en 1956) :

« Le magazine Time l'a cité comme expliquant : La réalisation ultime du bio-contrôle peut être le contrôle de l'homme lui-même…Les sujets contrôlés ne seraient jamais autorisés à penser comme personnes. Quelques mois après la naissance, un chirurgien équiperait chaque enfant avec une douille montée sous le cuir chevelu et des électrodes atteignant les zones du tissu cérébral. ... ... ... Les perceptions sensorielles et musculaires de l'enfant, son activité pourrait être modifiée ou complètement contrôlée par des signaux émis par des émetteurs contrôlés par l'État. »

Le Monde a évoqué le déclin cognitif des enfants avec le confinement ; ils sont aussi épuisés sur le plan physique après dx mètres de course. Bref l’Etat les tient et les parents déjà soumis vont les faire vacciner. Mais au point où nous en sommes…

Passons à Dean Arnold, ensuite, qui cite Platon et le livre V, monstrueux et totalitaire, de sa République si peu vilipendée par nos profs de philo (vous attendiez quoi de ces fonctionnaires ?) :

 « Encore une fois, il est difficile pour nous tous d'imaginer des gens « sympas » pensant de cette façon, ou agissant en conséquence. Cependant, la mentalité d'élite a toujours été avec nous, depuis que Platon a écrit sa République il y a 2300 ans. Chaque enfant étudie ce livre dans des écoles préparatoires comme celle où les Gates ont été formés.

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Le plus célèbre des philosophes grecs nous a dit que la classe dirigeante est celle « dont le but sera de préserver la moyenne de la population ». Il a en outre déclaré: «Il y a beaucoup d'autres choses qu'ils devront considérer, telles que les effets des guerres et des maladies et de tout autre organisme similaire, afin d'éviter autant que possible que l'État devienne trop grand ou trop petit. "

Platon ajoute que le contrôle de la population doit se faire en secret, ce que l'on pourrait appeler une conspiration. « Maintenant, ces événements doivent être un secret que seuls les dirigeants connaissent, ou il y aura un autre danger que notre troupeau… éclate dans la rébellion. »

Citons un peu de Platon alors pour compléter (livre V, traduction Chambry, 459-461 pour les amateurs). Mariage d’amour et famille interdits, reproduction garantie par et pour l’Etat totalitaire, comme chez le vieil Huxley :

« Toi donc, qui es législateur, en choisissant parmi les femmes, comme tu as fait parmi les hommes, tu assortiras les caractères, autant que possible. Or, toute cette jeunesse, ayant la même demeure et la même table et ne possédant rien en propre, sera toujours ensemble; et vivant ainsi mêlée dans les gymnases et dans tous les autres exercices, je pense bien qu'une nécessité naturelle la portera à former des unions…Mais, mon cher Glaucon, dans un État où les citoyens doivent être heureux, il ne peut pas être permis de former des unions au hasard ou de commettre des fautes du même genre, et les magistrats ne devront pas le souffrir. »

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Ensuite on pratique l’eugénisme :

« C'est à toi, Glaucon, de me le dire. Je vois que tu élèves dans ta maison des chiens de chasse et des oiseaux de proie en grand nombre. As-tu pris garde à ce qu'on fait pour les accoupler et en avoir des petits?

Que fait-on?

Parmi ces animaux, quoique tous de bonne race, n'en est-il pas quelques-uns qui l'emportent sur les autres?

Sans toutes ces précautions dans l'accouplement, n'es-tu pas persuadé que la race de tes chiens et de tes oiseaux dégénérerait beaucoup?

Oui.

Crois-tu qu'il n'en soit pas de même des chevaux et des autres animaux?

Il serait absurde de ne pas le croire.

Grands dieux! mon cher ami, quels hommes supérieurs nous faudra-t-il pour magistrats, s'il en est de même à l'égard de l'espèce humaine! »

L’homme est un animal ici comme chez Darwin. Kojève a parlé de notre futur d’abeilles. Comme nos politiques les magistrats de la cité platonicienne (influence sur More, Campanella, Cyrano, etc.) ont tous les pouvoirs :

« Il me semble que les magistrats seront obligés de recourir souvent au mensonge et à la tromperie pour le bien des citoyens; et nous avons dit quelque part que de semblables moyens sont utiles, lorsqu'on s'en sert en guise de remède. »

Les membres des familles ne se connaissent pas, seuls les magistrats savent le tout (on est dans de la science-fiction, vous ne voyez pas ?) :

« Il faut, selon nos principes, rendre les rapports très fréquents entre les hommes et les femmes d'élite, et très rares entre les sujets les moins estimables de l'un et de l'autre sexe; de plus, il faut élever les enfants des premiers et non ceux des seconds, si l'on veut avoir un troupeau toujours choisi; enfin, il faut que les magistrats seuls connaissent toutes ces mesures, pour qu'il y ait le moins de discorde possible dans le troupeau. »

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Les magistrats régulent (c’est la gouvernance !) :

« Ainsi il sera à propos d'instituer des fêtes où nous rassemblerons les époux futurs, avec des sacrifices et des hymnes appropriés à ces solennités. Nous remettons aux magistrats le soin de régler le nombre des mariages, afin qu'ils maintiennent le même nombre d'hommes, en réparant les vides de la guerre, des maladies et des autres accidents, et que l'État, autant qu'il se pourra, ne s'agrandisse ni ne diminue. »

C’est le bon vieux contrôle des populations et des copulations utiles qui comme chez les SS doivent produire une élite guerrière ; ce n’est pas un hasard si le film 300, anti-iranien à souhait, faisait son éloge de Sparte et de sa constitution particulière (lisez le livre universitaire et très précis de mon ami d’enfance Nicolas Richer, qui devient un bestseller) :

Quant aux enfants :

« Les enfants, à mesure qu'ils naîtront, seront remis entre les mains d'hommes ou de femmes, ou d'hommes et de femmes réunis et qui auront été préposés au soin de leur éducation; car les charges publiques doivent être communes à l'un et à l'autre sexe.

Oui.

Ils porteront au bercail commun les enfants des citoyens d'élite, et les confieront à des gouvernantes, qui auront leur demeure à part dans un quartier de la ville. Pour les enfants des citoyens moins estimables, et même pour ceux des autres qui auraient quelque difformité, ils les cacheront, comme il convient, dans quelque endroit secret et qu'il sera interdit de révéler. »

Les femmes qui servent de cadres aussi dans cette société LGBTQ (tout le monde vit nu une partie du temps et en commun) sont des reproductrices étatiques avant de devenir des fonctionnaires préposées à la garde du troupeau :

« Les femmes donneront des enfants à l'État depuis vingt ans jusqu'à quarante; et les hommes, après avoir laissé passer la première fougue de l'âge, jusqu'à cinquante-cinq. » 

Le monde de Platon fait penser à l’âge de cristal, film dystopique des années 70. Persécution pour le contrevenant :

« Si donc il arrive qu'un citoyen, soit au-dessous, soit au-dessus de cet âge, s'avise de prendre part à cette œuvre de génération qui ne doit avoir d'autre objet que l'intérêt général, nous le déclarerons coupable et d'injustice et de sacrilège, pour avoir donné la vie à un enfant dont la naissance est une œuvre de ténèbres et de libertinage et l'enfant sera considéré dans l'Etat comme illégitime, né d'un concubinage et sans les auspices religieux. »

Platon a servi de modèle à la Renaissance (pensez à la sinistre abbaye de Thélème de Rabelais qui inspirera le sataniste britannique Alastair Crowley). La régulation et le contrôle du troupeau sont revenus au goût du jour : le contrôle étatique et médiatique est total (prison ferme pour les parents qui refusent l’éducation du genre en Allemagne), le troupeau est anesthésié et quoiqu’en pense Maffesoli il ne se révolte pas du tout. Il est prêt.

Dernier rappel : dans sa Persuasion clandestine, Packard évoque les mêmes problèmes de pénurie que mon ami Alexandre, et donc à terme la même nécessité d’en finir avec un troupeau qui consomme trop, et qui sera conduit à l’abattoir via le bio-contrôle. Les masques, confinements et vaccins ont bien préparé aussi cette soumission du troupeau, qui rime avec abstention.

Sources :

https://numidia-liberum.blogspot.com/2021/06/en-2009-proj...

https://fr.wikisource.org/wiki/La_R%C3%A9publique_(trad._...

https://www.amazon.fr/Sparte-Nicolas-RICHER/dp/2262039356...

https://www.algora.com/Algora_blog/2021/06/27/2009-projec...

https://archive.org/download/the-hidden-persuaders-vance-...

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/06/28/les-co...

 

 

samedi, 12 janvier 2013

Connaissez-vous Vance Packard?

 
 

Connaissez-vous Vance Packard ? Il fut le premier, avec son ouvrage The Hidden Persuaders (1), à attirer dès 1957 l’attention du public sur les techniques de manipulation mentale. Vous savez, ces techniques que la loi antisecte a  finalement renoncé à interdire… peut-être parce qu’elles sont plus souvent utilisées par les publicitaires que par les sectes.

 

hidden.jpgEn 1964, il publie un autre ouvrage, Une société sans défense, sur la surveillance et le fichage de la population par la police, mais surtout par les entreprises, où cette fois il n’hésite pas à comparer la société dans laquelle il vit, l’Amérique des années 1960, aux œuvres d’anticipation de George Orwell et d’Aldous Huxley : 1984 et Le Meilleur des mondes.

Le temps a passé depuis mais les livres de Vance Packard, de George Orwell et d’Aldous Huxley n’ont rien perdu de leur actualité. Le monde dans lequel nous vivons correspond à peu de choses près à ce qui était à l’époque imaginé comme un cauchemar.

Pourtant une fausse note subsiste : la dictature que redoutaient Orwell et Huxley était d’inspiration soviétique, mais le “ totalitarisme tranquille ” (2)  que nous connaissons aujourd’hui est capitaliste. Hormis cela, tout correspond : l’œil des caméras de vidéosurveillance épie chacun de nos gestes, nous sommes au seuil d’une normalisation génétique, la voix des médias nous berce du lever au coucher dans la douce anesthésie d’un divertissement médiocre et nous assure que notre monde serait parfait sans la petite délinquance et la contestation politique. Ce divertissement insipide comme un sucre d’orge porte même un nom : le tittytainment. Ce terme inventé par Zbigniew Brzezinski, qui fut conseiller pour la sécurité nationale auprès de Jimmy Carter, est une contraction de entertainment (divertissement) et de tits (seins en argot américain). L’évocation des seins se réfère ici plus à leur fonction nourricière qu’érotique. L’idée de Zbigniew est que, dans un monde où 20 % de la population mondiale suffira à faire tourner l’économie, le problème des nantis consistera à doser le pain et les jeux qu’il leur sera nécessaire d’accorder à la majorité démunie afin qu’elle se tienne tranquille :

Un coktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettrait selon lui de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète (3).

 

C’est là que réside la différence entre le totalitarisme communiste et celui de nos “ démocraties-marchés (4) ” : l’ultralibéralisme a compris qu’il pouvait contenir par la douceur ses populations dans une aliénation passive que Staline cherchait à imposer par la force. Sylvio Berlusconi n’a menacé personne pour arriver au pouvoir, il a acheté des chaînes de télévision. Dans le roman de George Orwell, la population ne peut pas éteindre la télévision dans les appartements individuels. Dans l’Italie capitaliste, elle le peut, mais elle ne le fait pas. Et l’auteur du Meilleur des mondes l’avait déjà compris :

Aldous Huxley n’a-t-il pas écrit que le mot d’ordre devenu classique de Patrick Henry – la liberté ou la mort – paraîtrait aujourd’hui mélodramatique ? Nous l’avons remplacé, soutient-il, par des exigences d’un tout autre ordre : “ Donnez-nous des télévisions et des hamburgers, mais débarrassez-nous des responsabilités de la liberté (5). ”

vp1.jpgCe nouveau mot d’ordre sonne le glas de nos démocraties. Un exemple ? La disparition du commerce de proximité au profit de la grande distribution. Les grandes surfaces se sont imposées par la douceur et la séduction à nos habitudes de consommation. Des prix bas, une gamme étendue de produits et de services : le consommateur ne résiste pas. Pourquoi résisterait-il ? Il ne veut pas comprendre que, quand la grande distribution aura totalement éliminé le commerce de proximité et quand les fusions entre groupes auront abouti à un partage stable du territoire, les distributeurs n’auront plus aucune raison de se gêner pour augmenter subrepticement leurs marges commerciales… mais ils n’auront pas davantage de raisons de revenir contrepartie de cette augmentation au choix et à la qualité autrefois assurés par le commerce de proximité ! Ils auront imposé une implacable dégradation du service rendu aux consommateurs en éliminant la production artisanale et en exigeant de leur fournisseurs rapidité d’approvisionnement et quantités industrielles au détriment de toute qualité. Lorsqu’on est parvenu à s’assurer le monopole d’un marché et que tout boycottage est devenu impossible, on peut tout à coup démasquer ses longues dents et tirer une grosse marge bénéficiaire de mauvais produits.

Le choix de la grande distribution aura été effectué “ démocratiquement ”, comme celui de la télévision de Berlusconi. Les réactions des consommateurs ne sont pas difficiles à prévoir, elles font l’objet de tant d’investigations, d’études et de sondages que les pièges tendus par les experts du marketing font mouche à tous les coups. C’est pour cela que la démocratie est si facile à acheter.

L’ultralibéralisme a parfaitement compris que les méthodes staliniennes tant redoutées par Huxley et Orwell étaient aussi maladroites qu’inutiles : pourquoi contraindre brutalement les citoyens à une béate passivité alors qu’une connaissance plus approfondie de leurs comportements démontre qu’ils ne demandent que cela ? La population n’a nul besoin que l’aliénation soit obligatoire pour s’y adonner. Personne n’oblige encore les Italiens à regarder les chaînes de télévision de Berlusconi. Ce n’est que dans un second temps, quand tous les autres médias auront été éliminés, que celui-là deviendra obligatoire. Parce que la population préfère le divertissement à l’analyse, les grands groupes de presse et de télévision qui proposent un divertissement facile plutôt que des analyses sérieuses éliminent le journalisme d’investigation honnête et s’assurent progressivement un monopole de fait. Une fois ce monopole installé par le “ choix démocratique du marché ”, les informations indispensables à la vie quotidienne ne passeront plus que par ce vecteur unique et le rendront obligatoire. Après que nous lui aurons nous-mêmes souhaité la bienvenue, la dictature sera entrée par nos portes grandes ouvertes et se sera installée à notre table .

Philippe Laporte

Note :

(1) En traduction française : La Persuasion clandestine, Calmann-Lévy, 1958.
(2) André Bellon, Anne-Cécile Robert, Un totalitarisme tranquille, Syllepse, 2001.
(3) Hans-Peter Martin et Harald Schumann, Le Piège de la mondialisation, Solin – Actes Sud, 1997, page 13.
(4) Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs, Folio, 1999.
(5) Vance Packard, Une société sans défense, Calmann-Lévy, 1965, page 22.