mardi, 20 février 2007
Stratégies et géopolitiques chinoises
Il y a près d’un demi siècle, Mao Tse Toung, fâché, avait dit que « la Chine n’était même pas capable d’envoyer une pomme de terre dans l’espace ». Entre temps, la situation a bien changé. Avec une fusée balistique, la République Populaire de Chine a réussi à détruire l’un de ses propres satellites météorologiques. Comme c’est souvent le cas chez les Chinois, toute cette opération a été enveloppée d’une aura de mystère. Ils avaient préalablement mis les Japonais et les Américains au courant, mais très peu de temps seulement avant le lancement de l’opération. L’opinion publique européenne l’a appris par les Américains. Si cela n’avait tenu qu’aux Chinois, rien n’aurait été dévoilé. Les faits sont ce qu’ils sont et ils ne sont guère impressionnants. Bien que… Tous les pays n’ont pas la possibilité technique de réduire un satellite en charpie ; ce que les Chinois ont réussi à faire en janvier 2007, les Russes et les Américains sont capables de le faire depuis plus de deux décennies. « One shot, many motives » ont dit les spécialistes du « Council on Foreign Affairs » (CFR). Et ce sont bel et bien ces nombreux motifs qui rendent toute l’affaire fort intéressante.
Une démonstration
Les analystes sont à l’unisson pour dire que le message majeur que les Chinois veulent transmettre au monde est de nature militaire. La destruction d’un satellite lancé par eux en 1999 démontrait clairement le savoir-faire chinois. Cela constitue donc un défi adressé aux Américains. En août 2006, les Etats-Unis ont constaté que les Chinois avaient pointé un laser sur l’un de leurs satellites. Cela pourrait signifier que les Chinois testent des méthodes pour « aveugler » des satellites du même type. Les Chinois, on le sait, sont patients et étudient de fond en comble tous les problèmes qu’ils abordent, même si cela prend de très nombreuses années. L’appareil militaire américain dépend largement des informations apportées par les satellites : état de choses qui n’a pas échappé aux spécialistes chinois. Peut-on imaginer l’armée américaine sans GPS ou sans disposer d’une information détaillée sur ses adversaires ? Non, bien sûr. De ce fait, les satellites sont le talon d’Achille de la machine militaire américaine. C’est donc à ce niveau-là que les Chinois iront les taquiner. « Lorsque ton adversaire a un tempérament volcanique, tu dois l’irriter encore davantage » : telles étaient les paroles de Sun Tzu ; il les a écrites il y a 2500 ans.
Tout cela signifie-t-il que la Chine est passée à la vitesse supérieure ? En fait, non. Au fond, ce teste, contesté, se situe dans le prolongement d’une tendance perceptible depuis quelques années déjà. La Chine est en phase ascensionnelle (« on the rise »), comme le signalait très récemment un rapport du Pentagone ; qui précisait en outre : « elle fait montre d’une ascension rapide et abrupte sur la voie de la grande puissance spatiale ». Si le programme spatial chinois se poursuit comme Pékin le souhaite, vers 2020, la Chine sera capable d’envoyer une mission dans l’espace. L’année prochaine, le programme spatial chinois prévoit le troisième voyage de cosmonautes.
Ironie : la destruction consciente de ce satellite météorologique met en danger ces multiples projets spatiaux qui devront se succéder. Parce qu’ils ont agi de cette manière, les Chinois seront confrontés à des centaines de fragments erratiques qui sont en fait de petits projectiles, qui peuvent endommager sérieusement d’autres satellites ou engins spatiaux.
Ensuite : quels sont les autres motifs qu’évoquaient les spécialistes du CFR ? Certains pensent que la Chine veut contraindre les Etats-Unis à s’asseoir à une table de négociations. En d’autres termes : qu’ils veulent des promesses claires sur le développement et l’usage des technologies spatiales. Il est toutefois peu probable que les Chinois essayent ainsi d’éviter une sorte de courses aux armements dans l’espace. La véritable intention, qui se profile derrière ces manœuvres spatiales, trouverait ses sources dans la grande question stratégique à laquelle la Chine se voit confrontée aujourd’hui.
Stratégie et géopolitique
Sur le plan géopolitique, la Chine, finalement, est un pays relativement bien protégé. Elle dispose de quelques frontières naturelles : la plaine sibérienne, le massif de l’Himalaya. Ces frontières naturelles permettent d’éviter bon nombre de dangers qui pourraient survenir de ces points cardinaux-là, ce qui permet à la Chine de résoudre déjà quelques problèmes militaires potentiels de taille. Certes, la Chine a des intérêts importants en Asie centrale. Mais, dans cette région, la concurrence est grande, raison pour laquelle la Chine y opte pour des formes douces d’accroissement de son influence. Mais il y a un lieu où la Chine entend bien imposer sa puissance militaire : la mer. La Chine est devenue une nation commerçante de tout premier plan ; par conséquent, la liberté des voies maritimes acquiert, pour elle, désormais, une importance cruciale. Sur ce point, Chinois et Américains sont sur la même longueur d’onde ; mais aucune nation fière d’elle-même -et la Chine en est une, à un point quasi pathologique- ne veut dépendre, en ultime instance, d’une autre, plus puissante, pour assurer sa propre sécurité.
Donc la Chine investit en masse dans sa propre marine, opération qui porte nettement sur le long terme. Si l’on veut miner à court terme les capacités de contrôle de l’US Navy, alors il faudrait procéder d’une autre manière. Le test, qui vient d’être effectué, peut-il être mis en rapport avec ce souhait chinois ? Sans doute. Ce raisonnement chinois est-il rationnel ? Non, mais c’est ainsi que l’on raisonne dans l’Empire du Milieu…
M.
(article paru dans « ‘t Pallieterke », Anvers, 7 février 2007).
15:24 Publié dans Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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