samedi, 12 mai 2007
Témoignage
Témoignage:
Mon (modeste) rôle dans la "convergence nationale-communiste"
par Arnaud Hautbois
(les mésaventures d'Arnaud Hautbois au moment du scandale des "Rouges-Bruns", à Paris, au printemps 1993)
Depuis plus d'un an que je travaillais pour ou avec le GRECE, j'avais reçu du Secrétaire général la tâche de m'occuper de la communication. Mais, très vite, cette tâche devait déborder de ses attributions premières jusqu'à me voir confier les "initiatives culturelles". Passer de l'organisation du service d'ordre du 24ième Colloque à la tenue de soirées thématiques, de haut niveau idéologique, il y avait un pas. On me le fit franchir. Il est vrai que le pliage de courrier et le collage des timbres dans l'exigu bureau réservé au GRECE dans les confortables locaux de Krisis n'avaient pas donné l'occasion à mes talents de s'exprimer.
Le Maître des lieux, Alain de Benoist, me regardait avec un mélange de méfiance, de condescendance et de sympathie. De méfiance parce que le sens de l'auto-dérision et de l'ironie, qui est mon apanage, reconnu par tous mes copains, est perçu avec inquiétude par l'auteur du très austère Vu de droite. De condescendance, car n'ayant à mon actif que des articles très moyens dans Le Choc du mois et Espace Nouveau, mon rire, parfois gras, je l'avoue, était considéré comme une tare congénitale, ce qui fait désordre dans le tableau de la famille GRECE qui répond bien évidemment aux critères de pureté génétique les plus sévères.
La famille acceptait les torts de certains comme la monomanie, la paranoïa et l'alcoolisme; en revanche, le Patriarche allait jusqu'à vous reprocher, dans votre dos, l'humour, l'esprit d'entreprise, voire chez d'autres, le talent... C'est dans cette sympathique ambiance où surnageaient, vaille que vaille, de réelles personnalités, non sans l'aide bienveillante, il est vrai, de Xavier Marchand, que nous abordîmes le printemps 1992. L'Impasse Carrière-Mainguet s'activait comme une ruche bourdonnante. Nous allions sortir du ghetto de l'"extrême-droite" où l'on nous avait fourrés contre notre gré. Nous allions faire le grand bond en avant. Demain, la célébrité nous attendait. La grande offensive métapolitique venait de percer en plusieurs points névralgiques du front culturel et les têtes de pont semblaient solides.
Pour preuve, l'"Ayatollah", comme nous appellions le Maître des lieux entre nous, n'avait-il pas déjeuné avec Jean Daniel par l'entremise de Jacques Julliard, n'avait-il pas été plagié par Jean Edern-Hallier, n'avait-il pas écrit dans L'Idiot international de ce même JEH? Le Maître nous semblait puissant, nous ne devions pas en douter. Et nous n'en doutions pas.
En prise au doute
Notre jeunesse nous permettait de prendre avec optimisme les échecs et avec excitation, les réussites. Excitation muette, puisque le "Bazboug" nous avait fait savoir, par personne interposée, que notre vitalité et notre truculence l'empêchaient de travailler; moralité: nous devions affranchir les enveloppes en silence, puisque, visiblement, nous n'étions bons qu'à ça.
Alain de Benoist aime à entretenir une distance entre lui et le monde, distance qu'il sait rompre, lors des moments de détente qu'il s'accorde. Tout le jeu, subtil, de l'entreprise GRECE consistait, pour de Benoist, à pouvoir écrire et publier, afin d'obtenir un début de statut dans le monde des intellectuels du Tout-Paris. Naïvement, nous les jeunes, avions aussi envie d'écrire, de nous exprimer, de participer à l'entreprise éditoriale néo-droitiste.
Par son niveau élevé et par son rôle d'ouverture vers les intellectuels d'autres horizons, Krisis nous était inaccessible, sauf à Charles Champetier, s'il le désirait. Ce Charles était l'étoile montante, une étoile de talent, indubitablement, et un bourreau du travail, à qui on ne pouvait rien refuser. Restait Eléments, mais bien vite nous dûmes nous apercevoir que l'ineffable "Jeannot Toto-Lapin", en abrégé JTL, était arrivé avant nous et qu'il nous était désormais impossible de dépasser le stade du lecteur discipliné. Il est vrai que Guillaume d'Erebe et moi-même étions les cibles favorites du valet obséquieux d'Alain de Benoist. Le personnage, s'il n'était aussi méchant qu'opportuniste, ne vaudrait pas le détour, tant cette méchanceté et cet opportunisme sont caricaturaux et nous faisaient bien rire, mais JTL était incontournable et son sens inné de tirer la couverture à lui en faisait un adversaire redoutable, sauf pour certains vieux de la vieille à qui on ne la faisait plus. Nous, les jeunes, nous étions perplexes et désemparés. Alain de Benoist, objet de tant de vénération chez JTL, ira même, un jour, exaspéré par le comportement de son caudataire permanent, par nous confier qu'il le prenait pour un "franc-tireur".
Désabusé et de plus en plus sceptique sur l'avenir de notre action, je pensais de plus en plus sérieusement au départ. A quitter cette impasse, où une intrigue naissait chaque jour et où l'on risquait à chaque pas de trébucher sur une entourloupette. Le décor était planté, les personnages en place, il ne manquait plus que le "drame". Il n'allait pas tarder.
ACTE I: La Mutualité
N'étant que très rarement convié au niveau réel de décision, malgré le fait que j'étais membre du "directoire" du GRECE, je ne fus que moyennement surpris par l'annonce de la présence d'Alain de Benoist au ³mardi marxiste². Par des contacts dont j'ignore encore tout, mais vraisemblablement issu de l'Idiot international, l'"Ayatollah" avait été très officiellement invité par Francette Lazard de l'Institut de Recherche Marxiste. Le thème était alléchant et paraissait être une introduction à la réunion que je préparais pour la semaine suivante: "Le paysage intellectuel français" (le "PIF"). Je me rendis donc à la Mutualité, le mardi 12 mai 1992.
Quelle ne fut pas ma surprise de constater que de Benoist ne figurait pas parmi les invités officiels, comme il me l'avait affirmé, sûr de lui, quelques jours plus tôt. Cherchant désespérément du regard le "Maître" au milieu de Spire, de Casanova et du rédacteur en chef d'Esprit, je dus me résoudre à m'asseoir et à attendre l'arrivée de celui que je venais voir et écouter.
Deuxième déconvenue, non seulement il arriva le dernier, mais il ne monta pas à la tribune, comme je m'y attendait. C'est du premier rang qu'il s'adressa à ses interlocuteurs, dos tourné au public, pour une courte mais, reconnaissons-le, bonne intervention. Suivie aussitôt d'applaudissements. Alain de Benoist, tellement heureux d'avoir parlé devant un parterre d'intellectuels communistes ou de gauche, ne remarqua même pas l'intervention haineuse de René "Monzat", qui avait été outré par les applaudissements des militants et sympathisants du PCF. Plus beau encore, ce fut Francette Lazard, membre du Bureau Politique du PCF qui remit à sa place celui que toute la droite radicale nomme l'³écrivain-flic². Le reste de la réunion, d'une médiocrité désespérante, manquait à mon goût de piquant. Je saisis l'occasion qui me fut donnée par le rédacteur en chef des Temps Modernes, Casanova, qui venait de parler de Pierre Drieu la Rochelle pour m'exprimer. Je défendis alors la mémoire de l'auteur du Feu follet et exprimai toute l'admiration que j'avais pour le jusqu'au-boutisme de son engagement. Ce fut Arnaud Spire qui me répondis, disons courtoisement, puis Casanova, qui transforma tellement ma question que je ne la reconnus plus. On évacua mon cas en trois minutes, mais ce fut pour laisser la parole à mon ami Patrick Gofman, que je n'avais pas aperçu dans l'assistance.
Après quelques rappels au marxisme le plus orthodoxe, qui s'adressait à Spire, Gofman déclara "le dimanche je vote PCF, le lundi, j'apporte un article au Choc du mois". J'eus l'impression que de Benoist allait avaler son éternelle cigarette; Jean Laloux, de la rédaction de Krisis, qui l'accompagnait, se livrait, quant à lui, à une étude approfondie du plafond. La réunion terminée, je l'attendis dans le hall, et il déboula de la salle comme si il y avait vu le diable, m'accorda une poignée de main glaciale et un regard qui ne l'était pas moins; Laloux, lui, fut plus chaleureux, comme à son habitude, mais pas moins rapide, le "Gourou" de la ND disparaissant déjà dans l'escalier. Je finis la soirée avec Gofman, à commenter cette épique réunion et à en rire. Une semaine après, nos propos respectifs figuraient dans le Canard enchaîné.
Acte II: le PIF
Le 19 mai, nous organisâmes une réunion au Musée social sur le thème du "Nouveau paysage intellectuel français". Cette réunion, dépendant des "initiatives culturelles", puisqu'elle faisait suite à la sortir du numéro d'Eléments sur le même sujet, l'organisation m'en fut confiée, non sans inquiétude de la part d'Alain de Benoist.
J'avais contacté Jean-Marie Domenach qui, très gentiment, accepta. Ensuite, de Benoist m'avait demandé d'inviter Marc Cohen, rédacteur en chef de l'Idiot international, que je ne connaissais pas. En tout état de cause, ce n'était pas le cas de l'"Ayatollah", qui discutait de longs moments au téléphone avec Cohen pour le persuader de venir, non qu'il y fut hostile, mais il désirait certainement s'assurer de l'honnêteté intellectuelle du directeur de Krisis. J'obtins finalement son feu vert, à la grande joie du "Boss".
Champetier et moi-même, avons travaillé à l'élaboration du débat et à son orientation: chacun d'entre nous devait poser une question aux invités, dont de Benoist, puis, dans la foulée, d'autres, plus précises, afin de dégager des réponses mieux profilées. Le succès fut double, commercial d'abord, puisqu'il y eut 150 entrées payantes; ensuite par la qualité du débat et, enfin, par les nombreux commentaires de la presse. Dans cette très sérieuse soirée, il y eut un petit événement comique, passé presqu'inaperçu. Jean-Marie Domenach fit un commentaire sur un article qui encensait pompeusement de Benoist, le présentant comme le génie que la France attendait. Article dont l'"auteur ne doit pas être loin", a dit le fondateur d'Esprit; les yeux d'Alain de Benoist se sont figés pendant que son teint passait au rouge écarlate. Le vieux philosophe personnaliste n'avait pas été dupe: il avait découvert que le pseudonyme "David Barney" cachait piètrement l'objet même des flatteries étalées sans vergogne sur le papier d'Eléments... Mais au fait, n'est-on jamais mieux servi que par soi-même?
Je rejoignis le dîner qui s'ensuivit et donnai ma démission, la plaisanterie ayant assez duré.
Acte III: Le purge
La suite des événements allait me donner raison. En pleine campagne de presse sur le "national-bolchevisme", celui qui n'est plus pour moi qu'"AdB" noyait les rédactions de ses droits de réponse, de ses mises au point, dans l'indifférence la plus totale. La réponse la plus intelligente fut celle de Champetier, qui parut dans le Quotidien de Paris.
Le complot, s'il n'a jamais existé, parce que sinon j'en aurais forcément été, a eu au moins l'avantage de révéler les personnalités. Ni Gofman ni Cohen ni Cruse, qui ont été parmi les plus attaqués, n'ont cherché à se présenter comme des victimes, mais au contraire revendiquent la tentative d'un débat entre nationalistes et communistes. Mais il est vrai qu'eux n'ont pas une "image" à maintenir, et n'ont pas peur de ne plus être les invités de Jean Daniel. Ils s'en foutent. Et ils assument. Et moi aussi, j'assume. De fait, je crois qu'ils ont raison d'assumer. Et qu'il est possible d'assumer. Voilà. Tout simplement. J'assume contre les crétins. Contre les béni-oui-oui. Contre les cathos fondamentalistes. J'assume et je leur donne raison, aux nationaux-communistes, contre les réacs et les libéraux. Quant au pauvre de Benoist, il a toujours peur de son ombre et il n'a toujours pas compris que, quoi qu'il fasse, même s'il exécute les pires courbettes, il ne sera jamais absous.
Quant à nous, il nous reste du boulot, beaucoup de boulot, avant d'aller manger le Strogonoff sur les pelouses de l'Elysée.
Arnaud HAUTBOIS.
Directeur de Patrie-Liberté. Secrétaire à la communication de l'Alliance Populaire.
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Commentaires
Que votre site n'ait que ce ragot vieux de plus de treize ans à proposer à ses lecteurs montre que vous n'avez pas grand chose à dire ...
Écrit par : Hadrien | dimanche, 13 mai 2007
Nous publions aussi sur Aristote, cher Hadrien, vieux de plus de deux millénaires et demi... Mais sans doute sont-ce que les seuls articles plus ou moins qualifiables de "ragots" qui vous passionnent... La culture, chez les tenants de la ND/Canal historique, était finalement le cadet de leurs soucis. Seul l'espoir de parader dans la "PIF Pride" intéressait le gourou. Voilà pourquoi le témoignage d'Arnaud Hautbois continue à faire mouche... N'est-ce pas cher Hadrien... Rien de tel que la thérapie du miroir pour faire tomber les masques...
Écrit par : Sven Boeckaert | lundi, 14 mai 2007
Au fait, cher Hadrien, si nous n'avons rien à dire, nous, alors nous n'attendons qu'une chose, c'est que vous, grand oracle, preniez la parole pour dire, haut et fort, la vérité qui vous tient, que vous proclamiez par monts et par vaux, dans les villes et les campagnes, le message sublime de votre "Bazboug" comme le dit si plaisamment A. Hautbois. Qu'avez-vous à dire sur tous les thèmes ici abordés et qui n'ont jamais été abordés par votre canal historique? Et votre canal historique a-t-il autant traduit que nous? Un peu de modestie, cher Hadrien, un peu de modestie. Non, non, vous ne paraderez plus jamais dans la "PIF Pride". Nous, face à cette perspective, nous avons toujours dit, et vous le savez, "non possumus".
Écrit par : Sven Boeckaert | lundi, 14 mai 2007
Hi, hi, hi, voilà Hadrien (mais quel est le vieux coquin qui se cache derrière ce pseudonyme, comme il se cache, d'habitude, derrière des alumettes...?) qui fait rebondir la polémique. Encore, encore, quelques-uns de ces vieux textes explosifs pour qu'on se tape sur les cuisses...
Écrit par : Willy Pieters | lundi, 14 mai 2007
Qui se cache derrière "Sven Boeckaert" et "Willy Pieters" ?
Robert S. !
Écrit par : Gibelin60 | dimanche, 20 mai 2007
Bref, nous assistons à une gigantesque partie de cache-cache.... Ils retombent tous en enfance... Non plus l'enfant qui joue aux dés, mais celui qui se cache derrière une haie, une chaise, un guéridon. Belle variante héraclitéenne...
Écrit par : Arnaud Delville | lundi, 21 mai 2007
L'innoncence du devenir ou ... du devenu ?
Écrit par : Thierry Bonnert | mardi, 22 mai 2007
Devenu et figé. Mais y a-t-il là encore innocence créatrice. Résolument, je réponds "NON". Il y en a en effet dont le destin est de devenir assez vite des "devenus". Et les "devenus" confondent leurs agitations résiduaires pour des manifestation du grand devenir...
Écrit par : Jérôme Hansen | samedi, 14 juillet 2007
C'est le même Jeanot Toto-Lapin et Jean Lalou ?
Écrit par : Bonjour | mercredi, 21 août 2013
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