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mercredi, 23 mai 2007

1908: annexion de la Bosnie-Herzégovine

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Erich KÖRNER-LAKATOS :

Rappel historique : comment la Bosnie a-t-elle été incluse dans l'Empire austro-hongrois en 1908

Il y a 95 ans, la monarchie danubienne, dualiste car à la fois autrichienne et hongroise, procédait à son dernier accroissement territorial. Le 5 octobre 1908, l'annexion est devenue réalité, après 30 ans d'occupation. Cela signifie que, désormais, la Bosnie et l'Herzégovine font partie intégrante de la monarchie austro-hongroise. Il s'agit effectivement d'un accroissement territorial substantiel pour l'Empire des Habsbourg, alors qu'il venait de perdre, au 19ième siècle, des territoires importants en Italie du Nord, d'abord la Lombardie, ensuite la Vénétie.

Cependant, le 5 octobre 1908, l'ensemble du territoire de Bosnie-Herzégovine, qui avait été occupé par les forces impériales autrichiennes et hongroises, n'est pas annexé : le Sandjak de Novi Pazar est évacué et restitué au Sultan (dans la terminologie administrative ottomane le terme “Sandjak” signifie “arrondissement” ou “département”; à l'époque, le territoire du Sandjak de Novi Pazar est devenu dans le langage courant le “Sandjak”, tout simplement). Mais les Turcs, qui y maintiennent des garnisons, n'y resteront pas longtemps : après la première guerre balkanique, ce territoire est partagé entre la Serbie et le Monténégro.

Le Sultan émet de faibles protestations, pour la forme, mais obtient de la part de l'Autriche-Hongrie des compensations financières importantes pour la perte de souveraineté qu'il est bien obligé de consentir. Pour l'homme malade du Bosphore, dont la monnaie ne vaut quasiment plus rien, ces compensations sont les bienvenues. Pour Vienne, il y a suffisamment de motifs pour justifier cette annexion. D'abord, Vienne se méfie de la Serbie qui souhaite agrandir son territoire en englobant la Bosnie et l'Herzégovine, dont la population est fortement apparenté aux Serbes, par l'histoire, la langue et la religion.

Le rôle du Monténégro

De même, la petite principauté du Monténégro souhaite aussi agrandir son territoire. Son prince, Nikita (ou : Nikola) a reçu le surnom du “beau-père” de l'Europe, car il a casé ses filles dans plusieurs dynasties européennes. Il considère que l'Herzégovine est une “terra irredenta” pour les Monténégrins, car elle a fait par­tie à la fin du moyen âge, du “pays des montagnes noires”, au sein d'une défunte principauté de Zeta. Le prin­ce monténégrin a des ambitions : il perçoit son petit Etat comme le Piémont du futur Etat grand serbe. En 1910, il se proclame roi du Monténégro dans sa résidence rurale de Cetinje. La fortune ne lui sera pas clémente : en 1918, il perd son trône et s'exile, pour le reste de ses jours, sur la Côte d'Azur.

Mais le motif principal de l'annexion de la Bosnie-Herzégovine à l'Autriche-Hongrie a été la révolution des Jeu­nes Turcs de 1908, qui a transformé l'Empire ottoman en une monarchie constitutionnelle. Dans le nouveau parlement d'Istanbul, devraient normalement siéger des députés de Bosnie et d'Herzégovine, ce qui, pour Vienne, puissance occupante de la région depuis 30 ans, risque de poser de sérieux problèmes.

Jetons un regard rétrospectif sur l'année 1878, où les troupes austro-hongroises pénètrent sur le territoire bosniaque. La guerre entre la Russie et la Turquie sévit depuis 1877. Officiellement, l'Autriche-Hongrie reste neutre, mais, par le truchement d'un accord secret, elle est liée au Tsar et se trouve de facto à ses côtés dans ce conflit, qui se termine par la défaite de la Turquie et par la Paix provisoire de San Stefano (une localité proche de Constantinople) en mars 1878. Les autres puissances européennes, et surtout l'Angleterre, craignent un accroissement de la puissance de la Russie des Tsars et de son allié bulgare. L'Empereur François-Joseph est contrarié, lui aussi, car, malgré son pacte secret avec le Tsar, on ne lui concède pas le droit de procéder à une annexion, mais, plus simplement, le droit d'occuper la Bosnie-Herzégovine, un foyer de désordre permanent, surtout à cause des pratiques rigides du personnel ottoman chargé de collecter l'impôt. L'Empereur veut dominer la région définitivement car seule une maîtrise stratégique de l'espace bosniaque permet de protéger la bande littorale dalmate, très exposée.

Pour cette raison, on en vient à réviser le Traité de San Stefano lors du Congrès de Berlin. L'article 25 du Traité qui y sera signé à la fin des négociations, le 13 juillet 1878, autorise la monarchie austro-hongroise à occuper et à administrer la Bosnie-Herzégovine, qui reste, comme auparavant, ottomane au regard du droit des gens. Le ministre des affaires étrangères d'Autriche-Hongrie, le Comte Andrassy confirme au Sultan que celui-ci garde sa souveraineté sur le pays occupé (Convention du 21 avril 1879).

Une occupation difficile

Les Autrichiens et les Hongrois avaient imaginé que les populations de Bosnie-Herzégovine, longtemps maintenues sous le joug ottoman, allaient faire bonne accueil aux troupes impériales aux uniformes chamarrés. Ils furent déçus : les troupes impériales ont dû se frayer un accès au territoire par la force des baïonnettes. Ce fut une vraie campagne militaire. 150.000 soldats impériaux sous les ordres du Feldzeugmeister, le Baron Joseph von Philippovic, commandeur du 13ième Corps d'Armée en Bosnie, et du Feld-Maréchal Baron Jovanovic (18ième Division d'Infanterie) en Herzégovine, ont dû affronter des francs-tireurs musulmans et disloquer des unités de volontaires turcs. Ce n'est qu'à la fin du mois d'octobre 1878, après avoir consolider les forces impériales avec de nouveaux renforts, que le contrôle du pays fut enfin acquis.

Les régions acquises n'appartenaient formellement à aucune des deux composantes de la “Double Monarchie” : ni à la Hongrie qui ne souhaitait pas augmenter sa population slave ni à la partie à majorité allemande (Cisleithanie; ndt : la Cisleithanie comprenait aussi les populations tchèque, slovène et italophone du Trentin). En effet, les “royaumes et les pays” représentés au sein de la Diète Impériale, soit la moitié cisleithanienne de l'Empire —on n'utilisera officiellement le terme “Autriche” pour les désigner qu'à partir de 1915). Du coup, l'équilibre précaire entre les deux parties de l'Empire est en danger. De surcroît, aucune des deux parties ne veut assumer la charge financière que représente la nouvelle composante, dont le développement laisse franchement à désirer : on la considère à l'époque comme “à moitié civilisée”. Elle est en tout cas dépourvue d'infrastructures modernes. Les juristes forgent alors une solution sur le modèle que l'Allemagne de Bismarck avait imaginé pour l'Alsace-Lorraine : la Bosnie-Herzégovine est un “Reichsland” commun et aura pour chef administratif le ministre impérial et royal des finances, commun à la Cisleithanie et à la Hongrie. C'est une personnalité exceptionnelle. Il s'appelle Benjamin Kallay von Nagy-Kallo. Il exercera cette fonction de 1882 à 1903. Il fera office d'étroit conseiller du monarque pour tout ce qui concerne le territoire occupé.

Ce territoire, majoritairement bosniaque, avec Sarajevo pour centre, minoritairement herzégovien avec Mostar comme capitale régionale. L'Herzégovine est, comparée à la Bosnie, une petite bande territoriale située au nord du Monténégro. L'ensemble a 51.200 km2 et 1,9 million d'habitants. Sur le plan religieux, la situation est extrêmement complexe, conformément à tous les problèmes d'ordre ethnographique chez les Slaves du Sud. 43,5% de la population est Serbe et orthodoxe (les orthodoxes sont en général tous considérés comme Serbes); 23% sont catholiques et croates (on les appelle aussi les “Latins” et sont sous la houlette de l'Ordre des Franciscains); 32,3% son musulmans (on les dit “Turcs”, indépendamment de leurs origines ethniques). Les Musulmans constituent la couche dominante de la population des points de vue social et économique. A Sarajevo, on trouve une petite minorité de “Spaniols” : ce sont des descendants des Juifs expulsés de la péninsule ibérique après la Reconquista de 1492; ils avaient trouvé une nouvelle patrie dans les pays dominés par le Sultan.

Service militaire obligatoire pour les jeunes Bosniaques

Deux ans après le début de l'occupation, les choses deviennent claires car la Double Monarchie prend des mesures : le Reichsland de Bosnie-Herzégovine demeure pro forma sous la souveraineté du Sultan, mais, sur le plan administratif, il s'aligne désormais sur les critères en vigueur en Hongrie et en Cisleithanie. Sur les plans douanier et monétaire, il ne se distingue pas des autres territoires impériaux et royaux. Ce n'est plus l'étranger. Ensuite, une autre mesure entre en vigueur, véritable camouflet au visage du Sultan d'Istanbul : la Double Monarchie institue le service militaire obligatoire pour les jeunes Bosniaques. Les Bosniaques stationnés à Vienne, capitale de l'Empire et Résidence de l'Empereur, deviennent la coqueluche des petites servantes viennoises. Du point de vue militaire, les régiments bosniaques de l'Armée Impériale et Royale se sont comportés avec bravoure, surtout sur le front italien, où ils étaient la terreur de l'ennemi.

Toutes ces mesures administratives ne concernèrent nullement la région du Sandjak, car celle-ci n'avait été occupée que pour empêcher Serbes et Monténégrins d'avoir une frontière commune. Dès que la campagne militaire pour l'occupation de la Bosnie et de l'Herzégovine eut pris fin, le Sandjak redevient ottoman du point de vue administratif et on rend à la Sublime Porte le district de Mitrovica, situé plus loin au sud. Qui plus est, le Sandjak est encore moins développé que le reste du pays occupé. Toute tentative de rentabiliser cette région serait une tâche trop lourde pour l'Autriche-Hongrie.

L'annexion de la Bosnie-Herzégovine en 1908, bien que douteuse du point de vue du droit des gens, ne suscite guère de scrupules moraux dans la Double Monarchie. Mais, tous comptes faits, le Reichsland de Bosnie-Herzégovine, a profité énormément de la gestion impériale et royale. Contrairement à la situation qui prévalait avant 1878, le territoire se couvre de voies de chemin de fer. Les Austro-Hongrois construisent 6500 km de routes et de voies carrossables. Les systèmes de santé et d'éducation font des progrès énormes. Avec méthode et force moyens financiers, la zone occupée est hissée au niveau des autres possessions de la Couronne.

Conclusion : La “crise de l'annexion” se tasse bien vite, dès le début de l'année 1909 : la France et l'Angleterre avaient hurlé parce qu'on ne respectait pas à la lettre le Traité de Berlin; les Allemands sont eux aussi offusqués par la procédure, qu'ils jugent unilatérale. Mais Belgrade cultive son amertume sans désemparer : les plans de construire une Grande Serbie sont à l'eau. On rumine vengeance. Cinq ans plus tard, ce seront les coups de feu fatidiques de Sarajevo. C'était le 28 juin 1914.

Erich KÖRNER-LAKATOS.

(article paru dans Zur Zeit, Vienne, n°21/2003; trad. franç.: Robert Steuckers).

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