Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 02 décembre 2007

Aux sources de la démocratie scandinave

2483d73ed679b0841d863cefeb3a441b.jpg

Aux sources de la démocratie scandinave

Robert Steuckers

Analyse: Olof PETERSSON, Die politischen Systeme Nordeuropas. Eine Einführung, Nomos Verlagsgesellschaft, Baden-Baden, 1989, 155 S., DM 48.

L'objet de ce livre d'Olof Petersson: contribuer aux discussions politologiques sur la notion de démocratie en analysant le phénomène concret de la très ancienne démocratie scandinave, depuis les temps héroïques du Ting (assemblée populaire dans la Scandinavie antique) jusqu'aux parlements modernes. Ces assemblées sont des embryons de véritable démocratie directe, même si, au fil des temps, ce pouvoir populaire direct à été graduellement confisqué par les possédants. L'histoire scandinave connaît cette particularité que le dialogue entre gouvernants et gouvernés y a toujours été assez direct, contrairement à l'Europe médiévale, administrée selon les principes du féodalisme. Ce dernier a pu s'imposer au Danemark mais est resté marginal en Suède. Dans ce pays, le principe atavique du Ting se transforme au XVième siècle en une assemblée des quatre états (noblesse, clergé, bourgeoisie et paysannat). La présence du paysannat, constance incontournable de toutes les sociétés, est un fait quasi unique en Europe à l'époque. Au XVIIième, alors que le Danemark se dote d'un gouvernement monarchique absolu qui suscite d'intéressantes spéculations chez Bodin et Hobbes, la Suède opte pour un absolutisme très modéré où le Roi et le Paysannat sont unis contre les tentatives de la noblesse d'accroître son pouvoir, système et praxis politiques qui feront l'admiration enthousiaste de Ernst Moritz Arndt, père des nationalismes allemand et flamand. Au XVIIIième siècle, la Suède traverse une période de liberté (introduite par la constitution de 1719-20) suivie d'un renforcement du pouvoir royal (constitution de 1772) et d'une application imparfaite de la séparation des pouvoirs tout au long du XIXième. En 1849, le Danemark passe du jour au lendemain de l'absolutisme à une démocratie radicale, avec suffrage quasi universel pour les hommes. La Norvège, en 1814, à la veille de l'Union avec la Suède, se taille une constitution avec la séparation des pouvoirs où le droit de vote est accordé à tous les paysans indépendamment de la taille de leur propriété. La Finlande conserve sous l'hégémonie russe la constitution suédoise de 1772; en 1906, la répartition en quatre états est abrogée et une représentation maximale  ‹la plus étendue d'Europe‹  est adoptée englobant les ouvriers agricoles et industriels. Si les techniques de gouvernement populaire et démocratique étaient meilleures, plus mûries par les siècles, en Scandinavie que partout ailleurs dans le monde, restait toutefois à l'avant-plan le problème de la représentation des classes sociales nouvelles, que la complexification des sociétés suscitait: ce problème, la constitution finlandaise le résolvait en 1906, déclenchant un processus en chaîne dans tous les autres pays nordiques.

Cette longue tradition démocratique a permis aux Scandinaves d'élaborer des techniques de gouvernement optimales, dignes d'être copiés, à la condition que l'on se souvienne toujours du contexte particulier dans lequel elles sont nées. Ces techniques, on pourrait, chez nous, en mobiliser l'esprit et la forme dans le combat pour le référendum d'initiative populaire et l'institutionalisation de garde-fou contre l'emprise étouffante des administrations et contre les nominations de fonctionnaires et de magistrats sur base d'appartenance aux partis en place. Olof Petersson décrit avec la minutie du juriste et du politologue la genèse et le fonctionnement d'une série d'institutions et de techniques de gouvernement scandinaves: le référendum populaire, l'auto-administration aux échelons locaux (communaux), l'administration des minorités ethniques (Allemands au Danemark, Sami en Norvège, etc.), etc.

L'auto-administration des échelons locaux/communaux constitue certainement la caractéristique la plus originale des pays scandinaves. La démocratie est ancrée solidement à ce niveau géographique-là du pays depuis près d'un millénaire. L'ensemble des réflexes sociaux qui sous-tendent les autonomies locales scandinaves est sans nul doute ce qui doit mobiliser nos attentions et nos volontés. Le souci de faire participer à la chose politique le maximum de citoyens, depuis l'institution des quatre états au XVième siècle suédois jusqu'aux initiatives de citoyens contemporaines, constitue également une façon d'échapper à la confiscation du pouvoir par des cliques sectaires, religieuses, politiciennes ou concussionnaires. Olof Petersson avertit bien le public allemand, auquel cette édition s'adresse: la confiscation de la démocratie au profit de structures bureaucratisés, au départ portées par des citoyens volontaires qui exerçaient une fonction publique à côté de leur profession concrète, est une réalité dangereuse en Scandinavie. C'est cette bureaucratisation réelle qu'ont voulu dénoncée les critiques acerbes du modèle suédois, comme le Britannique conservateur Roland Huntford vers 1975. Pour Petersson, il n'y a pas de modèle scandinave qui soit une panacée. Il y a une double tradition de participation politique active des citoyens à la chose publique et de représentativité aussi complète que possible. Participation et représentativité qui ont connu des hauts et des bas. Raison pour laquelle ceux qui s'y intéressent doivent rester des citoyens vigilants. Une vigilance qui n'est possible que dans une société homogène, conscient de son histoire événémentielle et institutionnelle.

[Synergies Européennes, Vouloir, Juillet 1990]

Les commentaires sont fermés.