jeudi, 05 juin 2008
Adieu au Général-Major Jochen Löser
Adieu au Général-Major Jochen Löser
Le Général Major Jochen Löser est décédé le 13 février 2001, à l'âge de 83 ans. J'ai rencontré Jochen Löser le 6 octobre 1984, lors de ma toute première visite à la Foire de Francfort. J'arpentais ses immenses corridors à la recherche de livres pertinents, capables d'ouvrir à mes lecteurs des horizons nouveaux, en prenant appui sur des faits tangibles, capables aussi de crever la croûte des ronrons de la pensée imposée par les médias. Dans le grand stand de Bertelsmann, mon vœu a été exaucé. Bien en vue, plusieurs dizaines d'exemplaires de Neutralität für Mitteleuropa s'alignaient sur les présentoirs. J'ai tendu la main, saisi un de ces exemplaires, que j'ai compulsé un peu fébrilement, pour découvrir une démarche qui était la mienne depuis la lecture du fameux ouvrage de Jacques Droz sur l'Europe centrale (paru chez Payot) et du livre collectif de Helmut Bering (Wirtschaftliche und politische Integration in Europa im 19. und 20. Jahrhundert, Vandenhoek & Ruprecht, Göttingen, 1984), où les auteurs abordaient également les questions relatives à la "Mitteleuropa". Jochen Löser replaçait la question de l'Europe centrale dans l'actualité la plus brûlante, sur le fond d'une contestation générale de l'installation des missiles américains sur le territoire de la RFA. L'ouvrage que je tenais entre les mains était un traité rationnel, réclamant l'élargissement de la zone neutre en Europe centrale. Les non-alignés n'auraient plus été seulement la Yougoslavie, l'Autriche, la Suisse, la Suède et la Finlande, mais tous ces pays soustraits à la logique binaire de Yalta, plus les deux Allemagnes, le Bénélux, le Danemark, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hongrie. Ce que je découvrais là était enfin une alternative cohérente au statu quo, qui correspondait à notre volonté de dépasser le duopole mis en place à Téhéran, à Yalta et à Postdam, entre 1943 et 1945.
J'ai aussitôt demandé un exemplaire de presse à la préposée du stand, qui m'a dit: «Si ce livre vous intéresse, repassez cet après-midi, l'auteur sera présent sur le stand». C'est ainsi que j'ai rencontré Jochen Löser et que nous avons tout de suite sympathisé. Le Général Löser était un homme affable, doux, d'une extrême gentillesse, avec un sourire extraordinaire. Une sorte de complicité est née dans ce stand, où œuvrait également le frère de la militante écologiste radicale, Jutta von Ditfurth, fille du biologiste Hoimar von Ditfurth.
Notre visite chez le Dr. Otto Zeller
Nous avons travaillé ensemble pendant deux ans, en tentant de diffuser au maximum des alternatives au statu quo imposé par l'OTAN en matières de défense. Les réunions de travail se déroulaient principalement à Bonn, au domicile de Jochen Löser, à proximité du Rhin et d'une falaise magnifique, couverte de vignobles en terrasse depuis l'époque des Romains. Un jour, pour finaliser l'édition des souvenirs de guerre du Général Löser, nous nous sommes rendus à Osnabrück chez l'éditeur Otto Zeller. Un personnage extraordinaire, dont je garderai éternellement le souvenir. Le Dr. Zeller, aujourd'hui décédé, était un grand linguiste, traducteur d'Homère et des Védas, auteur d'une fresque brossant l'histoire indo-européenne depuis les plus lointaines origines. Une fois la version définitive du manuscrit du Général acceptée sans discussion et la remise des dernières photographies de l'épopée de Löser et de ses soldats, Otto Zeller nous a invités chez lui, où il vivait seul —et très triste— depuis le décès de son épouse, un être qui lui avait été très cher. Le Dr. Zeller habitait une vieille ferme nord-allemande de type traditionnel, dont il avait scrupuleusement respecté l'aménagement, axé sur le foyer central. L'architecture traditionnelle —repérable depuis la culture danubienne du Michelsberg (entre -4500 et -2750 av. J. C.)— de cette bâtisse m'a profondément impressionné. Nos plus lointains ancêtres avaient un sens de l'espace —un feng shui occidental— beaucoup plus développé que nos modernistes en quête perpétuelle de sensationnel. Après une visite de cette superbe ferme, nous nous sommes retrouvés à trois, Löser, Zeller et moi, autour de deux seaux, en train de peler les pommes de terre pour le repas du soir, comme si nous étions en bivouac. Scène d'une extrême simplicité et d'une grande chaleur humaine. Car mes deux aînés, le militaire et le philologue, hommes façonnés et ciselés par des expériences extraordinaires, ont profité de ce moment pour se raconter leurs souvenirs. Et j'ai écouté.
Les souvenirs du Dr. Zeller
Le Dr. Zeller était juriste et philologue-linguiste; j'avais été le lecteur attentif de son ouvrage Problemgeschichte der vergleichenden (indogermanischen) Sprachwissenschaft (1967; Histoire de la problématique des sciences linguistiques indo-européennes comparées), où il retraçait avec précision l'évolution de la recherche linguistique des humanistes de la Renaissance à Hirt, en passant par Leibniz, Bopp, Rask, les frères Grimm, Schleicher, Schrader, etc. Autour de nos deux seaux, le Dr. Zeller a encore évoqué d'autres souvenirs: j'en ai retenu trois. Sanskritologue, il avait été chargé d'accompagner dans Berlin le fils d'un Maharadjah, volontaire dans le bataillon indien de la Wehrmacht, qui sera stationné à Bordeaux. Il nous a brossé avec humour les anecdotes de cette visite, véritable choc entre deux civilisations. Ensuite, prisonnier de guerre, Zeller a dû servir d'interprète dans un tribunal militaire anglais, qui condamnait à la chaîne de pauvres diables de Polonais, de Russes et d'Ukrainiens, cherchant à rentrer à pied dans leur pays, mourant de faim sur les routes du Reich dévasté et chapardant des victuailles dans les casernes britanniques; des rixes éclataient parfois avec les gardes, à qui il arrivait de prendre un coup fatal. Inévitablement, ces bougres affamés, qui avaient tué pour pouvoir manger, étaient condamnés à la corde d'un gibet de sa Très Gracieuse Majesté. Cette fonction d'interprète, imposée par la contrainte, avait été pour notre philologue particulièrement horrible. Enfin, le début de sa carrière d'éditeur; le pouvoir communiste est-allemand vidaient les bibliothèques publiques et privées et vendait à l'Ouest des wagons entiers d'ouvrages rares et anciens. Zeller les rachetait au kilo, sélectionnait les meilleurs titres pour en faire des réimpressions, amorce de sa "Biblio Verlag".
Le lendemain, Zeller m'offrait le livre qu'il venait d'écrire pour ses enfants et ses petits-enfants, Am Nabel und im Auftrag der Geschichte. Où les titres des chapitres étaient déjà une grande leçon: «Vouloir vivre sans histoire, est une utopie»; «Seul ce qui a une histoire est réel». Deux préceptes à retenir en toutes circonstances. Am Nabel und im Auftrag der Geschichte est ensuite un vaste synopsis de l'épopée indo-européenne dans l'histoire, depuis les mégalithes jusqu'à la conquête spatiale.
Cette journée à Osnabrück m'a dévoilé l'extrême modestie de deux hommes exceptionnels, sur des plans différents. Une grande leçon. Que je n'oublierai jamais.
Stratégie du hérisson et défense civile
Sur le plan politique, ce bout de chemin fait avec Jochen Löser au beau milieu des années 80 m'a permis de développer des idées originales en matières de défense, diamétralement différentes des doctrines officielles de l'OTAN et des thèses pacifistes maniées par une certaine gauche de conviction donc d'irresponsabilité. Juste avant d'avoir écrit Neutralität für Mitteleuropa, Jochen Löser, avec le concours d'Harald Anderson, avait apporté une réponse originale aux conférences de Genève entre l'Est et l'Ouest, qui avaient débouché sur un échec (cf. Antwort auf Genf. Sicherheit für West und Ost, Olzog Verlag, Munich, 1984). Demeurant dans la logique théorique qui avait toujours été la sienne, y compris dans les coulisses de la FDP qui cherchait une position originale au temps où elle était isolée dans l'opposition, Jochen Löser préconisait une "stratégie du hérisson", calquée sur les modèles helvétique et yougoslave, permettant de rendre un territoire hermétique, imprenable, par recours à des moyens strictement conventionnels. Cette stratégie avait ensuite pour corollaire d'assurer une protection maximale des populations civiles (abris anti-atomiques, etc.), exposées aux opérations aériennes et terrestres de tout conflit susceptible d'éclater.
Löser nommait "Raumdeckende Verteidigung" ("Défense couvrant l'espace"), ce système de défense efficace, de type traditionnel, inspiré du modèle suisse, que d'autres, comme le Général français Brossolette, appelaient "défense par maillage territorial". L'adoption d'un tel mode de défense impliquait l'organisation d'une armée de citoyens, une milice territoriale (Löser: "Friedensmiliz", "Heimatdienst" & "Heimatschutz"), appelée à couvrir les tâches non directement combattantes, de même qu'à assurer les missions de soutien logistique, de protection des installations militaires sur les arrières du front, les transports et la surveillance des côtes. In fine, un maillage complet du territoire permet d'assurer la suprématie du feu sur le mouvement, donc des systèmes de défense sur les stratégies d'attaque frontale.
Neutralité, finlandisation et Blockfreiheit
Une telle vision de la défense du territoire allemand permettait effectivement de le verrouiller contre toute attaque venant de l'Est soviétisé, parce qu'à partir du Brandebourg le territoire européen devient plus densément peuplé et structuré, donc moins ouvert comme l'est en revanche la plaine de l'Est, qui, elle, permettait hier le déploiement de masses de cavaliers et permet aujourd'hui celui de divisions de chars d'assaut. La densité du territoire allemand et ouest-européen permet de doter les défenseurs d'armes anti-chars très performantes, filoguidées ou à guidage électronique, descendant en droite ligne des Panzerfäuste et des Panzerschrecke de la Wehrmacht. Simultanément, ce verrouillage et ce maillage militaire du territoire centre-européen induisaient une remise en question de l'inféodation de la RFA aux structures de l'OTAN et de l'Alliance atlantique. Le statut de neutralité —décrié par les services de Washington maniant le (faux) spectre de la "finlandisation"— redevenait une option possible.
Du terme polémique "finlandisation"
Neutralität für Mitteleuropa contient justement une critique serrée de ce concept de "finlandisation" que critiquaient et rejetaient les atlantistes. Löser commençait par poser les termes "neutre" et "neutralité" comme des concepts positifs du droit international, même s'il admettait que "neutraliste" et "neutralisme" recelaient une connotation propagandiste, qui n'était ni positive ni objective. La neutralité est un droit des Etats, garanti par l'art. 2, §2, de la Charte des Nations Unies. La neutralité est assortie d'obligations: ne pas faire partie d'une alliance constitué à des fins de belligérance, ne pas céder la moindre parcelle du territoire national pour en faire un point d'appui pour une puissance voisine belligérante, armer le pays de façon à dissuader tout ennemi de pénétrer sur son territoire. La neutralité implique donc, ipso facto, d'armer la nation et de choyer l'armée, qui l'incarne. La neutralité, au sens juridique du terme, n'est donc pas un pacifisme, un anti-militarisme, que ceux-ci se camouflent ou non derrière le terme "neutralisme". La Finlande n'échappait pas à cette règle, même si cette neutralité devait tenir compte de ses relations conflictuelles avec l'URSS entre 1917 et 1945.
Le projet de Löser était donc d'élargir le statut de neutralité de l'Autriche à un espace centre-européen plus vaste, permettant de le dégager de la logique bellogène des blocs. Cette logique n'est donc pas celle d'une "finlandisation", comme le proclament et l'entendent les défenseurs de l'OTAN; parce que les Etats concernés n'ont pas les mêmes rapports de voisinage que ceux de la Finlande et de l'URSS. Elle est plutôt une "austrialisation" ou une "helvétisation", donc un renforcement de souveraineté par désengagement vis-à-vis d'une alliance téléguidée par une seule super-puissance, de surcroît étrangère à l'espace européen ("eine raumfremde Macht", auraient dit Carl Schmitt et Karl Haushofer).
Droits de l'homme et Armageddon
Autre atout majeur de Neutralität für Mitteleuropa: la critique du néo-machiavélisme occidental, camouflé derrière les discours sur les droits de l'homme. Avec la forte et élégante concision du militaire qui se consacre à l'écriture, Jochen Löser, dans le chapitre IV de cet ouvrage, critique vertement la volonté américaine de se poser comme l'incarnation du "bien" absolu, en lutte contre le "mal" absolu. Un bien qui proclame et défend les "droits de l'homme" et un mal qui les nie. Une telle attitude, explique-t-il, est une incongruité à l'âge des armes nucléaires. La puissance de destruction de ces armes est telle qu'on ne peut, dans un pareil contexte, tenir un langage d'apocalypse, car déclencher l'apocalypse devient possible mais n'est évidemment pas souhaitable, puisque la riposte de l'adversaire reste tout de même en mesure de réduire les bases territoriales du vainqueur à néant, le ramenant ipso facto à l'âge de la pierre. Contrairement à Reagan qui parlait d'Armageddon, Löser raisonne au départ de Clausewitz: les intentions de la politique doivent correspondre aux moyens mis en œuvre; l'objectif politique souhaité ne peut être un despote; il doit s'adapter à la nature des moyens. A l'âge des armes nucléaires, les moyens sont théoriquement absolus, en pratique, les puissances atomiques ont une marge de manœuvre très réduite. Le règlement des différends passe donc par la diplomatie et les négociations.
Clausewitz et Bismarck
Cette perspective clausewitzienne interdit de placer la politique internationale sous le diktat des émotions, comme celles qu'éveillait dans les médias le nouveau culte des droits de l'homme, annoncé dès le discours inaugural de Carter en 1977. La politique internationale ne peut fonctionner que si l'on jauge objectivement, avec sérénité, les faits, les intérêts, les divergences entre Etats. Löser rappelait une parole forte de Bismarck: «Agir selon des principes est une attitude qui, selon moi, revient à courir dans la forêt en tenant en bouche une barre de fer dans le sens de la longueur». Par conséquent, le diplomate ne peut agir sous la dictée de ses sympathies ou de ses antipathies pour des situations en vigueur dans le territoire d'une puissance voisine ou adverse, ou pour des personnes y exerçant une fonction souveraine. Les émotions suscitées par les antipathies ou les sympathies n'ont pas leur place dans la sphère du politique. Les juristes extrémistes et les moralistes échevelés n'ont pas de rôle à jouer dans la sphère austère du politique.
Certes, les dissidents d'une puissance voisine ont droit à l'asile politique, à écrire et à œuvrer chez nous s'ils y sont accueillis, mais leur sort ou leur sécurité ne doit pas troubler le jeu subtil de la diplomatie classique. Si l'engagement des moralistes ou des juristes pour la liberté d'expression est un devoir moral, que personne ne va leur contester, les diplomates ont, eux, le devoir politique et la responsabilité de ne pas déclencher d'apocalypse ou de conflit au nom de doctrines éthiques vagues ou instables.
Voilà donc les thématiques que nous avons abordées entre 1984 et 1986. Mon discours à Versailles, lors du colloque du GRECE du 16 novembre 1986, est le résultat (succinct) de ces travaux. Pourquoi notre chemin s'est-il arrêté là? Tout simplement parce que l'accession de Mikhaïl Gorbatchev à la fonction suprême en URSS, remettait tout en question: et le duopole en place et l'ordre né de Yalta. Avec la perestroïka, les événements vont se précipiter: les accords "4 + 2", la réunification allemande, le dégel à Moscou, les manifestations de Prague, le démantèlement du Rideau de fer le long de la frontière austro-hongroise. Löser et moi avions l'intention de sortir, avec d'autres, un livre manifeste, mais chaque jour apportait sa part d'innovations ou de changements, si bien que toutes nos planifications étaient réduites à néant. De l'accession de Gorbatchev au pouvoir à Moscou en 1985 jusqu'au triomphe d'Eltsine en août 1991, l'Europe a vécu une succession de bouleversements auxquels nous n'étions pas préparés. Impossible dans de telles conditions d'achever un livre collectif, un tant soit peu substantiel. Il a fallu abandonner. Et nos relations se sont interrompues. A mon vif regret.
De la vieille leçon du Taciturne
Quinze ans ont passé depuis nos derniers échanges épistolaires ou téléphoniques. Quinze années de bouleversements inimaginables au jour de notre première rencontre, le 6 octobre 1984. Mais quinze années où l'Europe n'a pas été capable de trouver une solution rationnelle à ses problèmes de défense, comme nous le préconisions. Cet échec, dû à la piètre qualité intellectuelle et morale du personnel politique en place, est une tragédie. Notre civilisation s'est délibérément engagée dans une impasse. Le politique est mort. La citoyenneté, dont on parle à grands renforts de trémolos dans la voix, est devenue une illusion sinon une farce. Mais ce n'est pas une raison pour abandonner le combat: «Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer». Vieille leçon du Taciturne. En souvenir du Général-Major Jochen Löser, nous allons continuer le combat. Pour une Europe libre et forte, bien à l'abri de piquants, pareils à ceux du hérisson.
Robert STEUCKERS.
00:30 Publié dans Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : défense, militaria, neutralité, finlandisation, mitteleuropa, allemagne | | del.icio.us | | Digg | Facebook
L'eurocrate, le souverainiste et le plombier polonais
L’eurocrate, le souverainiste et le plombier polonais |
Écrit par Ecrit par Olivier JAROSZ et Gilles Emmanuel JACQUET | |
28-06-2007 | |
Retour sur 50 ans de « Construction » L’Europe a toujours puisé ses origines et sa force dans différents mythes qui se sont confondus avec un idéal de la civilisation européenne façonné par la Grèce antique (Eurôpé), développé par l’empire romain (Auguste), répandu par la chrétienté, (Papauté, Saint Empire…) réapproprié par la Renaissance (Pétrarque), l’Humanisme (Erasme), l’age classique (Abbé de Saint Pierre) les Lumières (Montesquieu, Rousseau), puis par les visionnaires (Victor Hugo, Coudenhove-Kalergi) sans jamais vraiment se concrétiser [Villain-Gandossi]. Il aura fallu attendre le XXéme siècle pour voir une coopération des différentes Nations. Après la tragédie de la seconde guerre mondiale qui a séparé des peuples aux racines communes, l’idée d’une construction européenne se devait de répondre à une nécessité concrète, une idée économique qui devait répondre à des impératifs de reconstruction marqué par la prospérité et une forte productivité. Les Etats-Unis connaissant également une croissance importante de la production (taylorisme et fordisme), l’URSS étant encore dans sa machine de guerre (stakhanovisme) et se transformant peu à peu dans une économie civile planifiée qui contraignit les européens à s’allier. Les idées qui circulent parmi les citoyens européens sont propices à une création d’un espace commun qui puisse rivaliser avec ces deux blocs. Jean Monnet fortement influencé par les idées libérales et fédérales du modèle américain va jeter les bases concrètes d’une communauté. Au coté de Schumann les fondateurs de la CECA (18 avril 1951) seront motivés par un souci profondément économique à savoir la reconstruction de l’Europe par le libre échange, le marché économique, la standardisation… cherchant à dépasser les modèles obsolètes des Etats nations protectionnistes. Cette combinaison des méthodes fonctionnalistes et des idées fédérales aboutira à la création de cette Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier. Face à une situation internationale tendue avec le début de la guerre de Corée (25 juin 1950) le projet d’une communauté européenne de défense va apparaître. L’échec de celle-ci face au caractère récalcitrant de la France de se voir avec l'Allemagne sous un uniforme commun, sera la première fracture entre la société et la politique française sur un sujet européen. Le traité de Rome signé il y a 50 ans va relancer l’idée d’une communauté. Conscient des premières velléités des pays, la construction se fera à travers une libéralisation progressive du marché européen et d’un marché commun du nucléaire. (Euratom). La CEE se construit de l’extérieur cumulant élargissements successifs (6 élargissements) et approfondissements institutionnelles (en 15 ans il y aura 4 traités). Le déficit démocratique apparaissant de plus en plus, les élections au parlement européen tendent à légitimer les institutions de la communauté. La volonté d’une création d’une identité commune européenne au sein du parlement qui ne reflétait plus les pays mais les partis approuve une idée fonctionnaliste se souciant de moins en moins des identités nationales. Malgré un taux moyen de participation (barre symbolique des 50%), l’Acte unique européen (17 et 28 février 1986) de la Commission Delors manifestait la détermination d’édifier un espace commun sans frontières avec l’instauration des quatre libertés fondamentales de circulation: marchandises, services, capitaux et personnes. Le traité de Maastricht du 7 février 1992 souhaitait relancer les idées fédéralistes en réorganisant la Communauté économique européenne en Communauté européenne sous forme des trois piliers. Cette nouvelle perspective marquée par la création de l'Union économique et monétaire, instituant une monnaie unique cherche avant tout à freiner le monopole du Deutsche Mark qui faisait sourciller les français mécontent de leur franc faible ainsi qu’une pseudo citoyenneté européenne n’étant finalement qu’une coquille vide. Ce traité prévoyant déjà sa propre révision au traité d’Amsterdam le 2 octobre 1997 augmentait l’interdépendance entre les pays membres. Les accords de Schengen intégrés, « communautarisaient » une des libertés fondamentales. L’entrée de l’Euro marque l’aboutissement dans la forme de l’UEM. Le polémique traité de Nice du 26 février 2001 est appelé à connaître une forme de longévité suite à l’échec du Traité Etablissant une Constitution pour l’Europe rejeté par deux pays fondateurs mais également mal accepté par d’autres gouvernements. Ce traité faisant suite à une volonté de refonte des institutions en accroissant sa légitimité démocratique a semble t-il raté son coche. Le choix d’une Europe espace sans frontière au détriment d’une Europe puissance, le doute quant à la représentativité du parlement (moyenne de 45% de taux de participations aux dernières élections européennes), l’absence de critères culturels et identitaires pourtant si fondamentaux, ont conduit à un échec de cette construction imposée par un fonctionnalisme sans racine. L’Europe inachevée Aujourd’hui les Nations se diluent dans l'Union européenne, précisément lorsque les Etats membres ont des visions parfois très contradictoires. Le problème de la Turquie étant à lui seul symptomatique. On peut considérer que la construction européenne apparaît moins comme la clé de la prospérité du vieux continent que comme une tentative, à ce jour infructueuse, d’enrayer le déclin bientôt séculaire de ce qui fut le foyer de la civilisation occidentale. Le rattrapage des USA s’est poursuivi dans les années 60 et 70 mais s’est brutalement interrompu depuis une quinzaine d’année et depuis l’Europe est dans une forme de déclin. Si les Etats européens ont eu la faiblesse de concéder leur puissance à une superstructure, cela n’a pu être que dans l’espoir que celle-ci serait en mesure d’apporter de façon efficace tout ce qui est demandé à la structure de l’Etat. Or, dans tous les principaux domaines, qu’il s’agisse de l’emploi, de prospérité, de sécurité, de démographie, de culture, de langue, le bilan est somme toute modeste. L’Union européenne qui se revendique être un leader dans plusieurs domaines fait hélas grand défaut sur certains grands enjeux. Sur la question de l’environnement, le budget colossal de la PAC finance à la hauteur de 1/3 les produits pesticides et chimiques nocifs pour la nature. Quant à la recherche, le projet Galileo a du plomb dans l’aile, sur la santé publique la grippe aviaire a démontré que elle n’était ni coordonnée ni efficace… L'opinion est que l'Union européenne devrait se concentrer sur les seules politiques où elle est à l'évidence plus efficace que les Etats membres comme la concurrence, le commerce extérieur, l'immigration, la monnaie, la défense, la diplomatie, l’environnement, l’innovation, l’éducation universitaire, l'aide au développement. Il est évident que dans une négociation, une UE27 et plus importante au sein des institutions que chaque pays individuellement, mais il faut surtout éviter d’approfondir une Europe à plusieurs vitesses. En revanche, à l’instar de nombreux eurodéputés et face aux multiples inégalités en Europe, l'agriculture devrait être nationalisée, tout comme les politiques sociales qui devraient être laissées à la responsabilité des Etats. L’Europe se doit de respecter ses multiples valeurs et cet héritage ne peut être que bénéfique pour la construction de son identité et de son futur, un monde de l’innovation de la nouvelle technologie… L’Europe chose inachevée doit être un système de réflexes face aux menaces extérieures et aux défis de la globalisation et s’adapter sans chercher toujours à vouloir centraliser, homogénéiser et déformer. L’Europe ne peut qu’exister par une unité morale, culturelle, par une connivence entre nations. Pourquoi tant de réticences ? Si l’Union européenne rencontre toujours des résistances malgré sa longue évolution, il est intéressant de s’interroger sur ce que ces oppositions traduisent. Cette construction progressive bâtie par des élites et par moments légitimée par les peuples, reste toujours aussi lointaine et complexe dans l’opinion des citoyens européens. La logique économique qui a prévalu - et qui prévaut encore étant donné qu’elle semble être moins sensible que la logique politique et identitaire - n’a su créer de véritable communauté et en est resté à une expression minimale et matérialiste du sentiment européen. Les institutions qui ont été modelées suivant cette logique ont aussi abouti à une situation de déficit démocratique renforçant ainsi du même coup un sentiment d’éloignement vis-à-vis de ces institutions dont le caractère semble être de plus en plus technocratique et bureaucratique. Ce type de situation est tout autant un frein à l’affirmation d’une identité européenne qu’à la construction d’une véritable Europe politique dont l’essence se manifesterait plus dans un désir clair de partager un destin commun (en plus d’une Histoire commune) plutôt que dans des débats sans fins portant sur l’opportunité d’adopter telle ou telle structure. En ce sens, les mouvements politiques souverainistes et leur argumentaire peuvent être vus comme des symptômes traduisant l’existence de failles ou de dysfonctionnements propres à l’Union Européenne et à sa construction. En janvier 2007, la création du groupe parlementaire « Identité, Tradition, Souveraineté » regroupant des eurodéputés venant de Grande-Bretagne, France, Roumanie, Belgique, Italie, Autriche et Bulgarie a été vue avec stupéfaction par les autres groupes du Parlement Européen. Il est intéressant de noter que ce groupe de tendance nationaliste n’est pas le seul à s’être formé au sein de l’hémicycle, on compte aussi l’Union pour l’Europe des Nations (constitué du RPF français, d’Alleanza Nazionale italien, du Fianna Fáil irlandais, du Prawo i Sprawiedliwość et de la Ligue des Familles polonaise, du Dansk Folkeparti danois, du CDS-partido popular portugais, d’Eestimaa Rahvaliit estonien, du Tēvzemei un Brīvībai/LNNKletton, de Ludová Únia de Slovaquie ou d’Ordre et Justice de Lituanie) ou à un niveau plus informel le réseau Euronat. Perçus comme des mouvements insidieux dont le rôle consisterait à détruire l’édifice européen de l’intérieur, ces groupes parlementaires peuvent aussi être vus comme un révélateur des faiblesses de la construction européenne. Au-delà de l’étiquette « souverainiste » ou « eurosceptique », ces mouvements ne partagent pas une vision monolithique de ce que devrait être l’Europe et ont des spécificités. Vus comme radicalement antieuropéens, ces groupes politiques veulent en fait pour la plupart une « autre Europe » qu’on désigne souvent sous le concept d’Europe des Nations. L’opposition de ces mouvements se base bien plus sur des peurs et ressentiments populaires concrets (travailleurs dont les conditions de travail se durcissent et dont les entreprises connaissent de nombreuses délocalisations, paysans confrontés à la concurrence étrangère et forcés de devenir des managers) que sur un soi-disant fantasme ou de pseudo pulsions xénophobes. De nombreux européens ont le sentiment que l’Union de l’Europe se réduit de plus en plus aux institutions de Bruxelles et ne reflète plus ce continent aux cultures et langues diverses dont l’unité s’était faite au gré d’expériences communes (racines Indo-européennes, Hellade et Rome antiques, Chrétienté, Renaissance). La construction européenne peine à s’imposer auprès des gens en tant que grand récit politique et historique tout comme de nombreux mouvements politiques peinent à créer à notre époque de nouveaux mythes politiques mobilisateurs. Le terme Union européenne renvoie de plus en plus à des questions budgétaires, juridiques ou techniques et non plus à une vision de l’Histoire et du destin des peuples d’Europe. Certaines décisions communautaires sont vues comme des mesures d’uniformisation ne respectant pas la spécificité des nations, de leurs traditions et productions (des variétés de fromages sont vouées à disparaître). En Pologne, le projet de panneaux indiquant l’entrée dans une commune représentait la silhouette de l’agglomération ainsi que le clocher de l’église avec sa traditionnelle croix. Jugeant que ce dernier détail heurtait les principes de laïcité, la Commission décida l’interdiction de faire figurer la croix du clocher de l’église sur ces panneaux signalétiques. A vrai dire, il se peut que la représentation de la croix du clocher ait choqué les membres de la Commission mais il est peu probable que cette même représentation ait choqué le peuple polonais. Alors que l’idée d’une Europe à deux vitesses dans le domaine économique (ce qui est optimal du point de vue des élites financières notamment pour la dynamique du système capitaliste) est devenue une sombre réalité (le budget destiné au soutien des derniers Etats ayant adhéré est comparable à celui qui avait été destiné au Portugal ou à la Grèce) et montre ainsi que la convergence économique (qui était accompagnée à l’origine d’un développement socio-économique positif) n’est plus que l’ombre d’elle-même. D’un autre côté, les élites européennes semblent vouloir combler la lacune identitaire de leur projet par une uniformisation culturelle qui créera une identité européenne artificielle, détachée d’un long passé et dont la raison d’être était une diversité harmonieuse. On s’étonne du niveau d’ignorance des citoyens sur les institutions européennes mais l’ignorance la plus grave est celle touchant la connaissance des pays européens, de leurs cultures et de leur Histoire. De vieux schémas mentaux hérités de la guerre froide ne semblent pas avoir totalement disparu et au-delà de l’idée de convergence, Bruxelles semble vouloir ériger les vieux Etats membres en modèles à suivre. D’un côté les européens de l’Ouest doivent arrêter de raisonner avec des clichés culturels « occidentalocentrés » (comme celui du « plombier polonais ») et d’un autre côté, on doit comprendre qu’il est risqué (pour la construction européenne) de vouloir à tout prix faire danser le sirtaki sous la pluie bruxelloise. Références : DAVIES Norman, Europe a history, Pimlico, (1997). SAKWA Richard, STEVENS Anne, Contemporary Europe, Palgrave MacMillan, (2006). Villain-Gandossi, C, L’Europe à la recherche de son identité. Comité des travaux historiques et scientifiques 2002. VERLUISE Pierre, Géopolitique de l’Europe, Ellipses (2005). AVRIL Pierre, L’Extrême droite s’organise au Parlement européen, Le Figaro, (10 janvier 2007). QUATREMER Jean, L'Europe brune serre les rangs au Parlement, Le Monde, (11 janvier 2007). |
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Rechts anarchist zijn
Jean-Marc Goglin: |
(Nsalternatief.wordpress.com) Door Jean-Marc Goglin De anarchist verschijnt op het einde van de 19de eeuw. Hij wijst in naam van de individuele vrijheden het hem opgelegde begrip vooruitgang af van de industriële maatschappij, die bezig is zich te vormen. De rechtse anarchist is geen simpele individualist. Hij verankert zijn waarden in de afwijzing van de democratie. Hij protesteert tegen de starre denknormen en -houdingen geboren uit de industriële revolutie en wil doorgaan voor de verdediger van de traditionele aristocratische waarden van Frankrijk. I. De democratie afwijzen De rechtse anarchist wijst de filosofische erfenis van 1789 af. Hij wijst het egalitaire postulaat af nagelaten door de Franse Revolutie en ontkent de legitimiteit van de meerderheid. Volgens hem kan het kwantitatieve criterium geen enkele legitimiteit aan de keuze geven. De keuze kan alleen maar tot stand komen door enkelen. De vrijheid definiëren als een collectief principe lijkt incoherent voor de rechtse anarchist. De vrijheid is individueel en is slechts het bezit van enkelen. Een revolutionaire regering kan in geen enkel geval de vrijheid officialiseren en de rechten die eruit voortvloeien. Inderdaad, de vrijheid wordt gekozen en gemaakt dankzij wil en energie. De rechtse anarchist wijst de legitimiteit van de Republiek af. Volgens hem vertegenwoordigt zij de decadentie, zowel moreel als politiek. Hij vindt het politieke systeem instabiel, corrupt en inefficiënt. Volgens hem heeft eigenlijk de burgerij de macht in handen en vermomt zij haar heerschappij onder een democratische schijn die tot een collectieve tirannie leidt. De rechtse anarchist haat de intellectueel, die de uitvinder van de democratie is. Hij vindt hem onrealistisch en onverantwoordelijk. Hij verwijt hem zijn zin van de geschiedenis, die onvermijdelijk gaat in de richting van vooruitgang. Hij wijst zowel de geschiedenisopvatting van Auguste Comte als die van Karl Marx af. De illusie die de intellectueel koestert om de grote politieke zienswijzen te definiëren komt voor de rechtse anarchist dus over als een gevaar. Niet enkel is de intellectueel geen gids, maar hij verziekt ook de fundamenten van de maatschappij. Hij theoretiseert slecht en is niet in staat om zelf te handelen volgens zijn ideeën, die trouwens niet toepasbaar zijn. De rechtse anarchist vindt dus in navolging van Friedrich Nietzsche dat de 19de eeuw een eeuw is van decadentie, zowel individueel als collectief. Volgens hem verdwijnt de spiritualiteit onder de illusie van de technische vooruitgang. De rechtse anarchist vindt dat hij de intellectuele en morele plicht heeft om in opstand te komen. Dat verzet leidt de rechtse anarchist dikwijls tot geweld: in zijn woorden, zijn geschriften, maar ook in zijn daden. Hij verzet zich in de eerste plaats tegen de instellingen die onder het mom van democratie de individuele vrijheden gevangen houden. Hij bekritiseert eveneens de futloosheid van de blinde collectiviteit. Het begrip volk komt hem over als een mythe, want niet in staat om te denken en te handelen. Hij bekritiseert niet de machtigen, maar de middelmatigen die laten begaan, ja zelfs de machtigen voortbrengen. De anarchist verdedigt de idee dat men de mensen verantwoordelijk moet maken. De rechtse anarchist stelt een filosofie van het “ik” voor. Dat “ik” hoort gewelddadig, veeleisend, scherpzinnig en scheppend te zijn. In navolging van Arthur de Gobineau vindt hij dat het oorspronkelijke “ik” primordiaal is en dat men het trouw moet zijn. De waarden verworven tijdens de kindertijd structureren het individu voor altijd en moeten worden gevrijwaard. De anarchist verdedigt het aristocratisme dat voor hem de eeuwige zoektocht is naar de uitmuntendheid doorheen waarden als eer, trouw, heldendom… De aristocraat is hij die de kracht van zijn verlangens kan harmoniseren met de strengheid van hun verplichtingen. De anarchist ontdekt in zichzelf gemeenschappelijke waarden met het Ancien Régime. Hij is ondanks dat alles geen monarchist. Eigenlijk is hij meer nostalgisch naar de idealen van het ridderwezen dan naar de institutionele organisatie. De rechtse anarchist tracht een synthese te bieden tussen de uitdrukking van de meest totale vrijheid en de erkenning van de verheven waarden van het individu. Hij behoort tot een denkstroming die het 19de-eeuwse politieke leven kenmerkt in zijn verzet tegen de grote stromingen van de eeuw: de democratie, het marxisme, het socialisme, het bonapartisme en het liberalisme. Bron: nsalternatief Tags: identiteit anarchisme |
00:07 Publié dans Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, anarchisme, philosophie | | del.icio.us | | Digg | Facebook