samedi, 12 décembre 2009
Les principes élémentaires de la propagande de guerre
SYNERGIES EUROPEENNES - Ecole des cadres/Wallonie
Section de Liège
Rapport de réunion mensuel : Dimanche 17.11.2002.
Objet : MORELLI (Anne), Principes élémentaires de propagande de guerre.- Bruxelles, Editions Labor, 2001.
Les principes élémentaires de la propagande de guerre
Intérêt de l’ouvrage ?
Une nouvelle fois, c’est un ouvrage rédigé par un auteur d’extrême gauche qui monopolise notre attention. Anne Morelli est professeur à l’Université Libre de Bruxelles où elle est notamment à la tête de la chaire de critique historique ; elle est également spécialiste en histoire des religions. Elle est proche du P.T.B. (Parti des Travailleurs de Belgique) à l’idéologie communiste et « immigrophile » ouvertement revendiquée. Anne Morelli est ainsi l’auteur de toute une série d’ouvrages historiques louant les bienfaits de l’immigration en Belgique. Nous connaissions déjà au sein de cette mouvance les ouvrages (Monopoly, Poker Menteur…) du journaliste Michel Collon critiquant avec virulence la superpuissance américaine, ouvrages dans lesquels cette autre figure de proue du P.T.B. dénonce avec brio la désinformation opérée par les médias occidentaux inféodés aux agences de presse américaines lors de la guerre du Golfe ou du Kosovo. Principes élémentaires de propagande de guerre appartient indéniablement à la même veine et constitue un ouvrage didactique intéressant pour se familiariser avec les techniques de propagande utilisées « en cas de guerre froide, chaude ou tiède » comme le suggère le sous-titre en page de couverture. Anne Morelli utilise des exemples historiques bien connus pour illustrer chacun de ces principes et laisse la porte ouverte pour l’avenir ; car en effet tout l’intérêt de l’ouvrage réside dans le fait que, désormais, le lecteur averti pourra reconnaître au cours des guerres futures, les mécanismes de désinformation utilisés par les Etats pour manipuler l’opinion publique. Nous invitons d’ailleurs nos cadres à procéder au petit jeu consistant à détecter ces grands principes dans nos informations quotidiennes. Une fois entraînés, vous verrez, vous citerez le numéro du principe sans même avoir besoin de l’expliquer. Tiens, Bush a encore utilisé le principe n°8… Une bonne manière à notre sens de filtrer l’information !
Genèse de l’ouvrage.
En réalité, Anne Morelli ne revendique pas la paternité de la dénonciation des dix principes évoqués dans son livre. L’essentiel de sa réflexion, elle le doit à l’ouvrage du pacifiste anglais Arthur Ponsonby publié à Londres en 1928 et intitulé Falsehood in Wartime. L’ouvrage a été traduit en français sous le titre Les faussaires à l’œuvre en temps de guerre. Comme il dénonçait principalement les fausses informations produites par les alliés durant la guerre 14-18, le livre n’était pas pour déplaire aux Allemands et la traduction française est parue à Bruxelles en 1941, ce qui a longtemps conféré à l’œuvre une réputation d’ouvrage de collaboration. Ce livre contestataire par rapport à la version officielle de la guerre 14-18 s’inscrit en réalité dans un mouvement pacifiste qui a gagné toute l’Europe durant l’entre-deux-guerres. Nous sommes effectivement à l’époque de la Société des Nations ou encore du Pacte Briand-Kellog condamnant le recours à la force en cas de conflit. Ainsi, quelques auteurs se risquent à remettre en question le récit mythologique construit autour de la Première guerre mondiale par les Alliés. Lord Ponsonby fait partie de ces auteurs contestataires mais signalons également l’ouvrage célèbre de Jean Norton Cru analysant de manière très critique les témoignages des poilus de la Grande Guerre[1] et le livre de Georges Demartial édité en 1922, intitulé La guerre de 1914. Comment on mobilisa les consciences.
Principales idées dégagées par Anne Morelli.
L’ouvrage d’Anne Morelli est divisé en dix parties, chacune développant un principe de propagande de guerre. Notre réunion s’est organisée autour de cette structure. Xavier a reformulé chacun des principes en les ponctuant d’exemples. Chaque personne participant à la réunion a été invitée à donner son avis ou des exemples personnels de manipulation médiatique.
1. Nous ne voulons pas la guerre.
Il est évident que dans notre société aux valeurs pacifistes, il n’est pas très populaire de se déclarer ouvertement en faveur de la guerre. Anne Morelli remarque avec raison qu’à la veille de chaque conflit, tous les dirigeants se prononcent en faveur de la paix pour rassurer leur opinion publique ; si par malheur ces derniers décident quand même de faire la guerre, ils déclarent généralement qu’ils la feront « contraints et forcés » par les circonstances. De plus, il est important de noter qu’au sein de l’historiographie postérieure à chaque conflit, c’est toujours le vainqueur qui impose sa propre vision de la guerre au vaincu. La production historique du vainqueur devient alors dominante et colle une étiquette belliciste sur le camp du vaincu. Les deux guerres mondiales ont à ce titre toujours été présentées dans notre historiographie comme ayant été désirées ardemment par le Reich, les Alliés n’ayant fait que se défendre face au « bellicisme allemand ». Ainsi, dans le récit de la Première guerre mondiale, on insiste par exemple rarement sur le fait que la mobilisation allemande était en partie provoquée par la mobilisation russe et l’étau géopolitique que constituaient alors les puissances de l’Entente. De même, lorsqu’on évoque la Guerre 40-45, il n’est pas si inutile de rappeler au néophyte que c’est la France qui, la première, a déclaré la guerre à l’Allemagne en 1939 et non l’inverse, tant l’image populaire de la terrifiante Allemagne nazie la rend à priori totalement responsable du second conflit mondial ! Ce principe est aisément transposable à l’actualité la plus récente. Lorsque les Etats-Unis désignent des pays tels l’Irak ou la Corée du Nord comme faisant partie de l’ « Axe du Mal », ils justifient à l’avance que les futures guerres projetées par le Pentagone se feront à l’encontre de pays bellicistes menaçant la paix mondiale : les Etats-Unis ne veulent donc pas la guerre mais se battront s’il le faut pour « imposer la paix »… cherchez le paradoxe !
2. Le camp adverse est seul responsable de la guerre.
Ce principe est évidemment lié au premier. Si nous ne voulons pas ou n’avons pas voulu la guerre, c’est qu’il faut imputer à l’ennemi la responsabilité entière de toutes les atrocités qui caractérisent un conflit. Anne Morelli cite à ce titre toute la propagande faite en 14-18 autour de la violation de la neutralité de la Poor little Belgium par l’ « Ogre Allemand ». La violation du traité des XXIV articles de 1839 par l’Allemagne l’a condamné à être désignée par les Alliés comme la nation parjure par excellence, responsable du conflit car non respectueuse des traités internationaux. Par opposition, l’Angleterre a été présentée à l’opinion publique des pays alliés comme une nation fidèle et honorable volant au secours de la Belgique. Cette basse propagande constituant à responsabiliser l’Allemagne et son « plan Schlieffen » est facilement démontable lorsqu’on sait que le « plan XVII » du Général Joffre avait prévu une pénétration des troupes françaises sur le territoire belge en violation flagrante du Traité de 1839 qui importait peu à l’époque aux puissances belligérantes, plus soucieuses d’un côté comme de l’autre de s’assurer un avantage stratégique sur l’armée ennemie au début de la guerre de mouvement. Les Anglais eux-mêmes avaient cherché à se concilier les faveurs de la Belgique avant le déclenchement du conflit pour obtenir l’autorisation d’un « débarquement préventif » sur notre territoire en cas de mouvement des troupes allemandes. Aux yeux des Anglais, le respect de la parole donnée comptait finalement fort peu et c’est surtout la nécessité de conserver la Belgique, « pistolet pointé vers l’Angleterre », et plus particulièrement le port d’Anvers hors d’atteinte de l’armée allemande qui a justifié l’entrée en guerre des troupes de Sa Majesté. Anne Morelli rappelle aussi que rien n’obligeait la France à soutenir la Tchécoslovaquie en 1939 : le pacte franco-tchécoslovaque ne prévoyait pas forcément d’engagement militaire français en cas d’invasion du territoire tchécoslovaque ; ce pacte était d’ailleurs lié à celui de Locarno de 1925 rendu caduc depuis qu’il avait été dénoncé par plusieurs des puissances signataires. Le soutien nécessaire de la France à la Tchécoslovaquie a pourtant servi de prétexte (à postériori) à l’époque pour justifier auprès de l’opinion publique française l’entrée en guerre de l’Hexagone.
A nouveau il est intéressant de faire un parallèle avec les événements les plus récents. Lors de la guerre du Kosovo, lorsque la France et l’Allemagne, de concert avec les Etats-Unis, « ont négocié » avec Milosevic le traité de Rambouillet, sensé être un plan de « conciliation », les médias occidentaux ont sauté sur le refus du dirigeant serbe pour justifier les frappes de l’OTAN. Peu de journalistes ont pris la peine de noter que ce fameux plan de « conciliation » réclamait, en vue d’un soi-disant règlement pacifique du conflit, la présence sur le sol serbe des forces de l’Alliance Atlantique (et non des Nations Unies), ce qui aurait constitué pour la Serbie une atteinte grave à sa souveraineté. Mais l’occasion était trop belle dans le « camp de la paix » de faire passer Milosevic pour le « seul responsable » des bombardements de l’OTAN.
3. L’ennemi a le visage du diable (ou « L’affreux de service »).
Il est généralement assez difficile de haïr un peuple dans sa globalité. Quoique la nation allemande ait eu à souffrir au cours du XXe siècle des pires adjectifs de la part de l’opinion publique française, belge, anglaise ou américaine (Boches, Vandales, Huns, Barbares, etc.), les esprits les plus lucides étaient cependant obligés d’admettre que la démarche intellectuelle consistant à identifier l’ensemble d’une population à de simples stéréotypes était parfaitement idiote. C’est pourquoi la propagande de guerre a trouvé un subterfuge pour mobiliser la haine des plus récalcitrants. Elle canalise généralement toute l’attention de l’opinion publique sur l’élite dirigeante de l’ennemi. Celle-ci est présentée d’une telle façon que l’on ne peut éprouver à son égard que le mépris le plus profond. La presse à sensation n’hésite d’ailleurs pas à rentrer dans l’intimité des dirigeants, usant parfois de théories psychanalytiques fumeuses. Lors de la guerre du Kosovo, certains médias ont ainsi affirmer que si Milosevic était un va-t-en-guerre invétéré, c’est parce qu’il avait été battu par son père durant sa prime enfance. La plupart du temps, les dirigeants ennemis sont jugés parfaitement fréquentables avant le déclenchement des hostilités puis ils deviennent subitement des brutes, des fous, des monstres sanguinaires assoiffés de sang dès que le premier coup de fusil a éclaté. Avant que la Première Guerre mondiale n’éclate, Guillaume II et l’Empereur François-Joseph entretenaient des relations régulières avec la famille royale belge ; à partir d’août 1914, la presse belge n’a cessé de les décrire comme des fous sanguinaires tout en se gardant bien de rappeler leurs anciens contacts avec nos souverains .
Mais Hitler est sans nul doute le personnage qui aura le plus abondamment subi l’ire et l’acharnement de l’historiographie contemporaine. Il ne se passe pas un mois sans qu’une nouvelle biographie sur Hitler ne soit exposée sur les rayons « les plus sérieux » de nos libraires. Chacune a de nouvelles révélations à faire sur « le plus grand monstre de l’histoire », révélations toujours plus débiles les unes que les autres : le führer aurait eu des relations incestueuses avec sa mère à moins qu’il n’ait été homosexuel, juif, impuissant… ou même frustré de n’avoir pu réussir une carrière d’artiste peintre. Vous n’y êtes pas du tout, Hitler était un extraterrestre !
Il est d’ailleurs significatif que depuis la guerre 40-45, de nombreux « dictateurs » aient été présentés par la presse sous les traits de tonton Adolphe. Anne Morelli met bien en évidence cette « reductio ad Hitlerum » et cite notamment le cas de Saddam Hussein dont les moustaches ont été remodelées durant la guerre du Golfe par quelques ignobles feuilles de chou anglo-saxonnes. Rappelons nous aussi le nom de Milosevic « subtilement » transformé en « Hitlerosevic ». La méthode de personnalisation est à ce point ancrée que les manifestants anti-guerre du Golfe attaquent la politique américaine sous les traits de son seul président Georges W. Bush et n’ont pas hésité à l’affubler d’une certaine petite moustache sur leurs calicots ou ont remplacé les étoiles du drapeau américain par la croix gammée. Ce processus de personnification de l’ennemi sous les traits du démon et la canalisation de la haine publique ne sont pas sans rappeler la « minute de la haine » décrite par G. Orwell dans son roman 1984.[2]
4. C’est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers.
L’histoire est là pour nous montrer que toute guerre répond à des intérêts politiques bien précis : gain de territoire, affaiblissement du potentiel militaire, économique ou démographique de l’ennemi, contrôle d’une région stratégique-clef, etc. Considérer la guerre en ses termes constitue d’ailleurs un principe sain d’analyse des conflits. Au contraire, entacher la guerre de slogans idéologiques revient à dénaturer l’essence première des guerres. Un des arguments récurrents de la propagande de guerre à notre époque est la défense des droits de l’homme et de la démocratie, véritable religion laïque justifiant à elle seule tous les conflits. Ainsi, alors que le prétexte premier de la deuxième guerre du Golfe était la menace représentée par les soi-disant armes de destruction massive iraquiennes. Ne découvrant malheureusement pas la moindre trace de ces armes sur le territoire iraquien, les responsables de la coalition, relayés docilement par les médias, ont subitement transformé leurs objectifs en « rétablissement de la démocratie » en Irak. Comme on avait invoqué les noms saints de « démocratie », de « liberté » et de « droits de l’homme », la critique s’est tue car qui pourrait-être contre ?
5. L’ennemi provoque sciemment des atrocités ; si nous commettons des bavures, c’est involontairement.
L’histoire du XXe siècle est riche en faits propres à illustrer cette maxime. Durant la Première Guerre mondiale, selon la propagande alliée, ce sont surtout les Allemands qui ont provoqué le plus grand nombre d’atrocités. On accusait par exemple de nombreux soldats de l’armée allemande de couper les mains des jeunes enfants belges, d’utiliser la graisse des cadavres alliés pour fabriquer du savon ou encore de rudoyer et de violer systématiquement les jeunes femmes des pays occupés. Par contre cette même propagande passe fatalement sous silence le blocus alimentaire meurtrier de l’Allemagne pendant et après la guerre 14-18[3], elle passe sous silence les bombardements de terreur des anglo-saxons sur les villes allemandes et japonaises en 40-45. La terreur vis-à-vis des civils était d’ailleurs un des moyens clairement revendiqués et assumés par le Haut Etat Major allié ; en témoigne ce tract lancé sur les villes japonaises par les bombardiers américains en août 45 : « Ces tracts sont lancés pour vous notifier que votre ville fait partie d’une liste de villes qui seront détruites par notre puissante armée de l’air. Le bombardement débutera dans 72 heures. (…) Nous notifions ceci à la clique militaire [diabolisation de l’ennemi] parce que nous savons qu’elle ne peut rien faire pour arrêter notre puissance considérable ni notre détermination inébranlable. Nous voulons que vous constatiez combien vos militaires sont impuissants à vous protéger. Nous détruirons systématiquement vos villes, les unes après les autres, tant que vous suivrez aveuglément vos dirigeants militaires… »[4] Si la légende des mains coupées trouvait un écho certain durant l’entre-deux-guerres, elle a perdu à l’heure actuelle tout son crédit, tant elle était dénuée de fondements. Cependant, plus insidieuses sont les idées patiemment distillées à la population consistant à assimiler le soldat « au casque à pointe » à une brute épaisse où à criminaliser les armes allemandes « non conformes » aux lois de la guerre, tels les sous-marins, les V.1 et les V.2. Ces idées restent très solidement ancrées dans la mémoire populaire et il faudrait une propagande tout aussi acharnée que celle qui a contribué à les installer, pour pouvoir les supprimer.
6. L’ennemi utilise des armes non autorisées.
« De la massue à la bombe atomique, en passant par le canon et le fusil automatique, toutes les armes ont été successivement considérées par les perdants comme indignes d’une guerre vraiment chevaleresque, parce que leur usage unilatéral condamnait automatiquement leur camp à la défaite. »[5] Anne Morelli signale la propagande faite autour de l’emploi des gaz asphyxiants par l’armée allemande et l’utilisation des armes citées ci-dessus. A l’heure actuelle, on se focalise surtout sur la détention des armes de destruction massive dont il n’est même plus nécessaire de faire usage pour être un criminel de guerre et un ennemi de l’humanité. La seconde guerre du Golfe a montré qu’il s’agissait d’un prétexte rêvé pour justifier l’impérialisme américain. Il est d’ailleurs piquant de constater que, si nos souvenirs sont exacts, la seule puissance qui ait fait usage, et d’ailleurs contre des civils, de telles armes est celle qui les dénonce avec le plus de virulence aujourd’hui. Certains rétorqueront qu’une puissance belliqueuse telle l’Irak est une menace bien plus sérieuse que des régimes aussi pacifiques que ceux des Etats-Unis d’Amérique et d’Israël, ce qui ne manque pas de prêter à sourire.
7. Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes.
Il n’est pas nécessaire d’expliquer en quoi il est utile d’affirmer que les pertes de l’ennemi sont énormes tandis que les nôtres sont négligeables. Si les pertes de l’ennemi sont énormes, sa défaite est certaine et comme nos pertes à nous sont faibles, cela justifie auprès de la population et des troupes, un dernier effort de guerre pour remporter une victoire définitive. « La guerre de 1914-1918 a -déjà- été une guerre de communiqués ou parfois d’absence de communiqués. Ainsi, un mois après le début des opérations, les pertes françaises s’élevaient déjà à 313.000 tués environ. Mais l’Etat-Major français n’a jamais avoué la perte d’un cheval et ne publiait pas (au contraire des Anglais et des Allemands) la liste nominative des morts. Sans doute pour ne pas saper le moral des troupes et de l’arrière que l’annonce de cette hécatombe aurait peut-être induit à réclamer une paix honorable plutôt que la poursuite de la guerre. »[6] Plus près de nous, lors de la guerre du Kosovo, les pertes que les Américains se targuaient d’avoir infligé aux Yougoslaves, fondirent comme neige au soleil après le conflit. Dans la récente guerre en Irak, même s’il faut reconnaître à la supériorité technologique américaine le fait que la superpuissance ne compte pas énormément de morts dans ses rangs, les chiffres annoncés officiellement sont tellement peu élevés qu’ils en deviennent suspects.
8. Les artistes et les intellectuels soutiennent notre cause.
Dans l’histoire du second conflit mondial, on nous présente toujours la classe intellectuelle comme ralliée à la cause des Alliés. D’ailleurs, il est de notoriété publique[7] qu’il n’y avait pas d’intellectuels nazis ou fascistes et que ceux qui se présentaient comme tels n’étaient que des médiocres et des imposteurs achetés ou vendus au pouvoir. Cette vision de l’ennemi justifie la victoire morale et intellectuelle de « La Civilisation » contre ce camp de barbares incultes et primitifs. Le plus grave avec ces procédés est que la culture de l’ennemi est diabolisée. Dans le cas allemand, nombreux sont les intellectuels bien pensant d’après guerre qui ont démontré « savamment » que le nazisme était consubstantiel à la culture allemande et que Nietzsche, Wagner et bien d’autres étaient responsables de la barbarie nazie qu’ils avaient préfigurée. Cette vision justifie à l’égard de l’Allemagne toutes les atrocités puisqu’en regard du droit international, elle n’est plus un justus hostis mais un injustus hostis. Anne Morelli montre que les intellectuels font des pétitions en faveur de leur camp ou contre l’ennemi, que les artistes participent à la propagande en caricaturant ou stéréotypant l’adversaire. Ceux qui ne participeraient pas à ces pétitions verraient leur notoriété médiatiquement mise à mal et pour éviter ce sort pénible, ils s’alignent sur la position dominante. Car, il faut le remarquer, les « intellectuels » font souvent preuve d’une lâcheté à la hauteur de leur orgueil et inversement proportionnelle à leur courage physique légendaire. Anne Morelli se garde bien de mettre en lumière à quel point le rôle des intellectuels dépasse ce simple aspect pétitionnaire et mobilisateur pour investir le champ de la justification intellectuelle, morale et philosophique de la guerre en cours ou de celles à venir. Ainsi Bernard Henri Lévy et consorts ont tricoté le cache-sexe humanitaire de l’impérialisme le plus abject sous la forme du droit d’ingérence.
9. Notre cause a un caractère sacré.
Anne Morelli dénonce dans son ouvrage les liens de la propagande de guerre avec la religion. Si nous sommes d’accord pour la suivre dans sa condamnation de l’instrumentalisation de la religion par les propagandistes des Etats belligérants, nous nous garderons bien toutefois de jeter le bébé, c’est-à-dire la religion, avec l’eau du bain. Si dans les démocraties de marché, il n’y a guère plus que les Etats-Unis pour encore invoquer la religion dans leur propagande guerrière, les autres Etats ont trouvé dans les droits de l’homme, la démocratie et leur sainte trinité « liberté, égalité, fraternité », la nouvelle religion bien terrestre permettant de sacraliser toutes les manœuvres perfides de leur politique extérieure.
10. Ceux qui mettent en doute la propagande sont des traîtres.
Un article de l’Evenement (29 avril-5 mai 1999) paru durant la guerre du Kosovo, illustre à merveille ce principe. Nous pouvons y lire en gros titre : Soljenitsyne, Marie-France Garaud, Max Gallo, Peter Handke : ils ont choisi de brandir l’étendard grand-serbe. LES COMPLICES DE MILOSEVIC. L’hebdomadaire a classé tous les « partisans de Milosevic », entendez ceux qui ont choisi de critiquer plus ou moins ouvertement la propagande anti-serbe, en six grandes familles : La famille « anti-américaine » (Pierre Bourdieu), la famille « pacifiste intégriste » (Renaud), la famille « souverainiste » (Charles Pasqua), la famille « serbophile » (Peter Handke), la famille « rouge-brun » (Le journal La Grosse Bertha) et la famille « croisade orthodoxe » (Alexandre Soljenitsyne). Tous les intellectuels qui se sont positionnés au sein d’une de ses grandes familles ou derrière un de leurs patriarches sont par conséquent considérés comme des traîtres et des imbéciles parce qu’ils n’ont pas compris le caractère hautement humanitaire de l’intervention otanienne.[8] On remarquera au passage l’orgueil démesuré de ce genre d’article brandissant la bannière du « politiquement correct » pour mieux mépriser ses contradicteurs. Anne Morelli met bien lumière ce dixième principe ; elle ne se limite pas aux guerres passées mais n’hésite pas à rentrer dans le vif du sujet en dénonçant la propagande durant la guerre du Kosovo ou durant la Première guerre du Golfe. Anne Morelli reconnaît ouvertement que la propagande n’est pas le propre des régimes nazis ou fascistes mais qu’elle affecte aussi nos régimes démocratiques. Dans une de ses notes, elle fustige d’ailleurs l’historienne de l’U.C.L., Laurence Van Ypersele, pour ses propos tenus dans la revue de Louvain n° 107 (avril 2000) affirmant que ce sont « les régimes totalitaires qui sont passés maîtres dans la falsification de l’histoire par l’image (…) L’avantage des démocraties est de n’avoir jamais eu le monopole absolu sur la production et la diffusion des images (…) Cette production (…) émanait de plusieurs centres parfois contradictoires, laissant la place à des contre-discours possibles. » Selon Anne Morelli, ces propositions sont « fausses au moins en temps de guerre. »[9]
Cette dernière remarque de Anne Morelli montre une certaine forme d’indépendance d’esprit, se complaisant toutefois dans les carcans idéologiques imposés par le système. Madame Morelli peut se permettre de critiquer la propagande présente dans les régimes démocratiques en se référant à des auteurs de gauche ou d’extrême gauche, elle n’en risque pas pour autant sa place à l’Université Libre de Bruxelles en tant que titulaire de la chaire de critique historique. Mais, si elle allait plus en avant dans sa critique, le recteur de cette université « libre » ne manquerait pas de la rappeler à l’ordre et sans doute sentirait-elle alors peser sur ses épaules tout le poids du totalitarisme démocratique. Il est finalement très facile et peu risqué de dénoncer les carences de la démocratie en temps de guerre, il est par contre très dangereux et interdit d’affirmer à quel point la démocratie est en réalité, autant en temps de guerre qu’en temps de paix, un système totalitaire à la fois plus subtil et plus achevé que ceux habituellement cités. Un système plus subtil et plus achevé car il diffuse son idéologie dans l’esprit des gens sans que ceux-ci en aient conscience. Alors que dans un régime totalitaire comme l’U.R.S.S. l’ensemble du peuple n’ignorait pas les moyens mis en œuvre par l’Etat pour le manipuler : un parti unique, une presse unique… la démocratie sous couvert du multipartisme et de la liberté de la presse n’en fonctionne pas moins selon les mêmes principes. La prétendue pluralité des partis n’est qu’un vernis superficiel recouvrant une même foi en la « sainte démocratie » qu’il serait vain de vouloir remettre en question. Quant à la diversité de l’information tant vantée pour distinguer nos régimes des régimes totalitaires, il devient patent aux yeux d’un nombre sans cesse croissant d’analystes médiatiques qu’il s’agit tout au plus d’un slogan destiné à maintenir les gens dans l’illusion de la liberté de pensée. Le système est à ce point fermé que la seule critique possible à l’égard des principes gouvernementaux qui nous dirigent est en réalité une critique « guimauve » du type : nos gouvernements nous manipulent et ne respectent pas assez les règles de la démocratie. Entendez : vous avez le droit de critiquer le système mais pas en dehors des règles imposées par celui-ci, vous pouvez sermonner la démocratie mais vous ne pouvez le faire qu’au nom des principes démocratiques, il est permis de contester la démocratie pour l’améliorer mais non pour en critiquer l’essence. Nous sommes sûrs qu’un Staline n’aurait finalement pas trop dédaigné un pareil système. Il aurait créé à côté du Parti communiste et de la Pravda quelques autres partis et journaux. Les lecteurs russes auraient ainsi eu le choix entre l’idéologie marxiste, marxiste-léniniste, stalinienne, trotskiste ou encore plus tard maoïste. Ces différences idéologiques minimes permettant au peuple russe de s’illusionner sur sa liberté de penser. Sans doute Staline aurait-il d’ailleurs préféré le totalitarisme mou incarné par nos démocraties modernes au totalitarisme trop fermé qu’il a choisi de soutenir à l’époque. Un tel choix lui aurait ainsi évité de dépenser inutilement l’argent de l’Etat dans la répression idéologique et les déportations en Sibérie.
C’est pourquoi, dans le contexte des régimes démocratiques, ce dixième principe devrait à notre sens être complété. Les intellectuels qui critiquent la propagande officielle, pendant la guerre mais aussi en dehors, sont non seulement des traîtres mais aussi des fous, des égarés à la pensée irrationnelle, des idiots…bref ce ne sont pas des intellectuels ! La démocratie se présentant comme un régime où la pensée s’exerce librement, ceux qui s’égarent de la ligne officielle ne pensent pas vraiment !
Conclusion.
Nous considérons ce livre comme un ouvrage pratique, distrayant, un classique du genre qui a sa place dans toute bonne bibliothèque s’intéressant à la propagande. Toutefois cette analyse sommaire de la propagande est selon nous elle-même vérolée par le virus démocratique. Anne Morelli a effectivement passé sous silence une des questions les plus élémentaires concernant la propagande de guerre : « Quelle est l’origine, la cause rendant nécessaire un tel phénomène ? » D’aucuns affirmeront que la propagande de guerre a existé de tout temps. Certes, nous leur répondrons toutefois : jamais avec une telle ampleur qu’au cours de ces deux derniers siècles. Avant 1789, un noble, un guerrier, un mercenaire n’avait pas spécifiquement besoin de véritables « raisons » pour se battre, il le faisait soit par allégeance, soit par intérêt calculé, mais rarement par passion ou sentimentalisme. Par contre, le peuple, lorsqu’il combat, a besoin de moteurs beaucoup plus puissants. Pourquoi ? Parce que le peuple répugne à la fois à s’exposer à la mort et à user de la violence. Il lui faut donc une raison personnelle : la haine ; alors que les guerriers, élevés dans l’esprit du combat, non nullement besoin de personnifier ainsi la guerre. Pour lever les réticences de la population, il faut agir sur ses sentiments et provoquer en elle une pulsion de meurtre qui justifie son engagement sous les drapeaux. L’ennemi devient par conséquent un ennemi absolu, l’incarnation du mal avec laquelle nulle trêve, négociation ou paix n’est désormais possible. Parmi les moteurs puissants mettant le peuple en mouvement, citons la religion[10] et surtout les idéologies ; ces dernières ont été le moteur réel des guerres et des massacres au cours de « la soi-disant période de progrès que l’humanité a connue depuis qu’elle a été libérée du joug des monarques absolus » : nationalisme français (« Aux armes citoyens ! »[11] ), communisme (« Prolétaires de tous les pays, unissez vous ! »), fascisme (« Tout pour l’Etat, tout par l’Etat »), etc. Tout chef de guerre sait à quel point le patriotisme et le nationalisme sont des moteurs importants pour maintenir la cohésion des troupes et chacun des grands conflits de ces deux derniers siècles nous donne des renseignements précieux sur la manière dont les dirigeants ont procédé pour « mouvoir le peuple ». Anne Morelli est passé à notre sens à côté de cet élément essentiel : la propagande de guerre est étroitement liée à l’émergence des nationalismes au dix-neuvième siècle[12] et plus spécifiquement des régimes démocratiques. La propagande de guerre est donc bien à notre sens un phénomène historique visant essentiellement à toucher le peuple dans la mesure où celui-ci est désormais (théoriquement) associé au pouvoir ! Et la propagande de guerre est orientée de telle manière que le peuple continue à soutenir ses dirigeants dans les crises les plus graves. C’est ce qui fait à la fois la force et la faiblesse d’un pouvoir politique qui s’appuie sur le peuple. Les victoires napoléoniennes étaient ainsi dues non seulement aux qualités exceptionnelles de stratège de l’illustre officier corse mais surtout à l’étonnante capacité que la France possédait depuis la Révolution de lever des troupes « au nom de la nation en péril ». Le peuple confère indéniablement une puissance importante en terme quantitatif ! Toutefois, les dirigeants de semblables régimes se trouvent dans une position délicate une fois qu’ils ont utilisé leur botte secrète. Le peuple, la « nation en arme », la « masse » sont par définition des éléments instables[13] qu’il faut sans cesse rassurer, entendez par-là manipuler. Dans ces conditions une guerre trop longue, trop coûteuse en vies humaines a tôt fait de retirer aux dirigeants la confiance qu’ils détenaient de la base. L’avènement des « guerres totales » (c’est-à-dire réclamant la participation de l’ensemble de la nation à la guerre, y compris la population civile - d’où le concept d’économie de guerre) et l’essor des télécommunications ont encore accru cette faiblesse du système démocratique. Lors de la guerre du Vietnam, beaucoup d’observateurs ont déclaré que c’était le choc des images télévisuelles montrant des cadavres américains rapatriés en avion dans des « sacs plastiques » qui avait provoqué la défaite des Etats-Unis pourtant largement supérieurs en matière de technologie militaire. Semblable constat implique forcément la nécessité pour tout « pouvoir démocratique » de contrôler la presse en cas de crise aiguë au risque de perdre toute légitimité auprès de son opinion publique. La propagande de guerre est donc bien un phénomène ayant pour origine directe l’avènement de régimes politiques s’appuyant sur le peuple, obligés de contrôler le quatrième pouvoir. Osons l’affirmer, les régimes démocratiques constituent la cause première de la manipulation médiatique dont nous faisons aujourd’hui les frais.
La propagande est d’ailleurs passée à notre époque à un stade supérieur. Nous avons dit au début de notre conclusion qu’elle s’est adressée primitivement au classes populaires. Un tel phénomène étant cyniquement légitimé par la nécessité d’ « éduquer les masses ». Il est toujours piquant de rappeler ainsi que « l’école pour tous », tant vantée par les révolutionnaires français, ne répond pas seulement à des objectifs philanthropiques mais surtout à des nécessités économiques et politiques. Il convient de donner à « l’enfant du peuple » des connaissances techniques suffisantes afin qu’il puisse faire tourner plus efficacement nos industries, il convient de lui donner une éducation politique orientée afin qu’il participe (et donc souscrive) aux règles de la nouvelle gouvernance qui a été mise sur pied. Et si nos démocraties montrent particulièrement pendant les conflits armés des défauts monstrueux, au point que des intellectuelles comme Anne Morelli puissent s’émouvoir, c’est parce que les nécessités du danger qui les menacent leur font battre pour un court instant le masque recouvrant leurs vrais visages, le visage du plus cynique des totalitarismes, ce que Madame Morelli s’est bien gardée de conclure !
« La propagande est à la société démocratique ce que la matraque est à l’Etat totalitaire ».[14]
[1] Le livre a connu deux versions. La première forte de 727 pages (Témoins. Essais d’analyse et de critique des combattants édités en français de 1915 à 1928, Paris, 1929) a déclenché de très virulentes réactions (positives ou négatives) lors de sa parution. La deuxième s’intitule Du Témoignage. Il s’agit d’une édition abrégée parue en 1930 et reprenant l’essentiel des idées développées dans la première édition. L’ouvrage de Norton Cru a fait l’objet d’un colloque au Musée de l’Armée de Bruxelles à la fin de l’année 1999.
[2] Ce roman a fait jadis l’objet d’une des réunions mensuelles de notre école des cadres.
[3] La stratégie du blocus est particulièrement prisée par les puissances thalassocratiques. Elle permet un minimum d’engagement et un maximum d’effet puisque les morts tués de façon violente lors d’opérations militaires sont beaucoup plus voyants et traumatisants que les morts « doux » dispersés dans l’espace et le temps au fur et à mesure que l’embargo produit son effet. L’exemple iraquien de la dernière décennie est de ce point de vue exemplaire et témoigne de la cruauté des « droits de l’hommistes internationalistes » qui l’appliquent.
[4] MERARI (Ariel), Du terrorisme comme stratégie d’insurrection, dans CHALIAND (Gérard) (dir.), Les stratégies du terrorisme.- Paris, Desclée de Brouwer, 1999, pp. 76-77.
[5] MORELLI (Anne), Principes élémentaires de propagande de guerre.- Bruxelles, Editions Labor, 2001, p. 49.
[6] Idem, p. 54.
[7] Les cours d’histoire du secondaire présentent le plus souvent l’Allemagne nazie comme une terre dépourvue de penseurs et d’intellectuels puisque ceux qui y étaient avaient fui le régime. Einstein constitue le choux gras dont se délectent nos professeurs d’histoire « à la page ».
[8] Cité dans HALIMI (Serge) et VIDAL (Dominique), L’opinion ça se travaille.- Marseille, Agone, Comeau & Nadeau, 2000, p. 102-103.
[9] MORELLI (Anne), Principes élémentaires de propagande de guerre.- Bruxelles, Editions Labor, 2001, p. 92.
[10] A nos yeux, il s’agit toutefois du meilleur des motifs pour faire la guerre. Mais le rôle de la religion dans la guerre devrait faire l’objet d’une étude ultérieure.
[11] Les paroles de la Marseillaise « Abreuvons du sang impur nos sillons » montrent bien jusqu’à quel point conduit l’idéal démocratique.
[12] Le principe de la « nation en arme » apparaît lors de la révolution française et va bouleverser la manière de faire la guerre.
[13] Voir à ce sujet le classique de Gustave LEBON, Psychologie des Foules.
[14] CHOMSKY (Noam), Propaganda.- France, Editions du Félin, 2002, p.20.
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